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Dictionnaire du Mouvement Ouvrier Seynois
Notice rédigée par
Pierre BROUÉ et Jean-Claude AUTRAN
 
LAMBERT Jean
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LAMBERT Jean, Maurice, Jules.

Né le 22 novembre 1898 à Dijon (Côte d’Or), mort le 31 août 1961 à Saint-Pardoux-la-Croisille (Corrèze) ; ingénieur ; administrateur des Colonies (1927-1945) ; militant communiste.

Jean Lambert naquit dans une famille d’intellectuels. Son père, Charles Lambert (Mouzon, Ardennes, 1866 - Nice, 1960), agrégé de grammaire à 24 ans, exerça comme professeur successivement au Puy-en-Velay (Haute-Loire), à Annecy (Haute-Savoie), puis à la Faculté des lettres de Dijon (Côte d’Or), où il devint Doyen, tout en étant par ailleurs très engagé dans la diffusion de l’espéranto. Son frère aîné, Paul, élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, mobilisé en 1914, fut tué au combat le 13 mars 1915. Sa sœur, Odette, était professeur d’histoire à Nice.

Très tôt, Lambert développa des idées révolutionnaires que la mort de son frère renforça encore. Après son baccalauréat latin-sciences-philosophie, il entra à la Faculté de médecine, mais ses études furent interrompues par son engagement en 1918, comme médecin auxiliaire sur le front des Vosges, puis à Salonique. Après sa démobilisation, il décida ne pas poursuivre en médecine, ressentant une « aversion pour la mentalité du corps médical… ». Admis à l’Institut électrotechnique de Grenoble, il en sortit avec un diplôme d’ingénieur électricien et électro-métallurgiste.
 
D’abord militant à l’Association républicaine des anciens combattants, secrétaire départemental à la propagande en mars 1922, il adhéra bientôt au Parti communiste (au plus tard, en 1922) et s’y distingua par la violence de ses attaques contre le « centre » du Parti représenté dans l’Isère par le docteur Ricard. Quand ce dernier démissionna, il proposa, en décembre 1922, une motion prononçant son exclusion. Il était, à cette époque, secrétaire fédéral adjoint du Parti communiste, aux côtés de Guibbert, l’ancien secrétaire départemental de l’ARAC. En mars 1923, Lambert renonça à cette responsabilité pour « raison de force majeure », mais demeura membre du comité directeur de la Fédération. En mai 1923, il fut inculpé de « provocation de militaires à la désobéissance » pour deux articles publiés dans Le Travailleur des Savoie et de l’Isère des 10 mars et 21 avril, sous le pseudonyme de Louis Savoy. Il aurait alors déclaré à la police, au cours de son interrogatoire, le 13 mai 1923, qu’il approuvait les actes des Vaillant, Bonnot, Caserio. En 1924, il défendit, dans la section de Grenoble, une motion qui fut adoptée et qu’il présenta ensuite au congrès fédéral de l’Isère, demandant que le Parti communiste considérant le « mauvais rendement » de la « participation aux élections bourgeoises », décida de ne présenter aux élections législatives que des « candidats d’amnistie » là où ils auraient « de grandes chances ». La motion ayant été adoptée au congrès fédéral, il fut délégué au congrès du Parti à Lyon, avec Pierreton, pour la défendre, mais elle n’obtint que leurs deux voix. Au même congrès fédéral, il se prononça contre l’adoption du rapport politique de la direction du parti, critiquant vivement la politique du « front unique » et ce qu’il considérait comme « l’étouffement de l’opposition ».

Dans les années 1922-1925, il fut licencié de plusieurs entreprises en raison de ses opinions politiques. Malgré ses diplômes, il lui devint impossible de trouver du travail. Il présenta alors le concours de l’École coloniale où il fut admis major.
 
A partir de janvier 1927, il quitta la métropole pour l’Afrique noire où il remplit des fonctions d’administrateur des colonies (Moyen-Congo, Tchad, Côte d’Ivoire, Mauritanie). Son habileté et sa popularité parmi les populations noires furent reconnues par sa hiérarchie : « M. Lambert a obtenu à Massakory [Tchad] des résultats très remarquables […]. Il a ramené la paix et rétabli l’ordre dans une région mise en coupe réglée par les pillards et les brigands […]. Cette transformation n’a nécessité aucune rigueur inutile, elle a été réalisée grâce […] à une compréhension merveilleusement exacte des moyens à employer. L’intelligence de M. Lambert, sa vaste culture, ses talents administratifs, son admirable conscience professionnelle […] sont dignes de la plus haute considération » (Fort-Lamy, 16 janvier 1931).

Le 10 décembre 1941, alors qu’il était chef de la Subdivision de Touba (Côte d’Ivoire), il entra en dissidence vis-à-vis du régime de Vichy. A la faveur d’une mission d’inspection à la frontière du Liberia, il quitta clandestinement la Côte d’Ivoire et rejoignit les responsables du mouvement démocratique en A.O.F. à Monrovia. Il se rallia à la France Libre, effectua diverses missions secrètes, notamment à Accra et à Lagos, et publia des articles extrêmement virulents anti-allemands et anti-vichychistes dans la presse clandestine.

Lambert étant, par ses fonctions, « détenteur de secrets intéressant la Défense nationale et sur la situation militaire, politique et économique de la Colonie », le tribunal militaire de Dakar, le 5 septembre 1942, le condamna « à mort par contumace, avec confiscation de tous ses biens », pour « trahison ».

Réhabilité en 1944 par le général de Gaulle, il reçut la médaille de la Résistance. Lambert reprit alors ses fonctions en Côte d’Ivoire comme chef de cabinet du Gouverneur Latrille, puis chef du bureau des Affaires sociales et politiques. Il rencontra et se lia d’amitié avec Félix Houphouët (alors médecin). Lambert le conseilla lorsqu’il se présenta aux élections d'octobre 1945 et l'aida à être élu député de Côte d'Ivoire au Parlement français [sous le nom de Houphouët-Boigny - boigny, signifiant le bélier], malgré des oppositions locales.
 
Au cours de sa carrière d’administrateur, Lambert fut plusieurs fois sanctionné et relevé de son poste pour ses opinions politiques, pour avoir souvent pris le parti des Indigènes. En octobre 1942, il eut ainsi un grave différend avec le Comité de l’Église de Fort-Lamy. En avril 1946, il fit libérer 22 enfants et jeunes gens prisonniers de Bonaké (Côte d’Ivoire), condamnés selon lui à une trop lourde peine pour de menus larcins. En juillet 1946, il s’opposa au secrétaire général et au chef des Affaires économiques de Côte d’Ivoire, voulant faire attribuer 25 % des parts d’importations aux coopératives de planteurs locaux de Côte d’Ivoire au détriment des sociétés commerciales. Il fut alors muté en Mauritanie, puis renvoyé en métropole (mai 1948) et finalement révoqué (mars 1949). Il fit valoir ses droits à la retraite, intenta un procès contre le gouvernement qu’il gagna en Conseil d'État en juillet 1953 et obtint, en réparation du préjudice subi, une indemnité égale à cinq ans d’émoluments.

Établi successivement à Menton (Alpes-Maritimes), à Marseille (Bouches-du-Rhône), au Beausset (Var), il se retira à La Seyne-sur-mer en 1956. Il poursuivit ses activités militantes, en suivant toujours avec attention la situation de l’Afrique noire. Il fit aussi bénéficier ses camarades ainsi que les élus communistes de La Seyne, de son expérience et de son érudition. Présent à toutes les réunions et à toutes le manifestations (contre le réarmement de l’Allemagne, pour la paix en Algérie, pour la résolution pacifique du problème de Berlin, pour la défense de l’école laïque, pour la défense des ouvriers de la construction navale,…), il accomplit tout seul un voyage en Union soviétique après s’être lancé dans l’apprentissage de la langue russe.
 
Lambert était marié et père d’une fille.

Au cimetière de Saint-Pardoux-la-Croisille, sur sa tombe, fut inscrit : « Jean Lambert, ami du peuple ».

ICONOGRAPHIE :

Lambert à la gauche du général De Gaulle en 1944
Lambert dans les années 1950


SOURCES : Arch. Dép. Côte-d’Or, 2 E 239/402 — Arch. Dép. Isère, 77 M 1. —  Arch. Dép. Haute-Loire, 6 E 178/236 — Arch. Dép. Haute Savoie, 4 E 3172 — DBMOF, notice par P. Broué. — Presse locale. — Sources orales. — Renseignements fournis par l’intéressé et documents officiels des gouvernements français, tchadien et ivoirien (1936 à 1948) fournis par sa famille à J-C Autran.

Pierre BROUÉ et Jean-Claude AUTRAN