La Seyne-sur-Mer (Var) La Seyne-sur-Mer (Var)
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Carte d'invitation à la conférence (*) |
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(*) La conférence a été donnée également le 14 septembre 2011 dans le cadre du programme de l'Escolo de la Targo, Toulon |
Le contexte national et international de septembre 1911
Le
contexte est tendu en Europe, surtout entre la France et l’Allemagne.
La France relevée de ses désastres de 1870, s'est dotée d'une flotte de
guerre redoutable et certains industriels et politiques souhaitent
ouvertement que la guerre éclate pour prendre une revanche sur
l’Allemagne et reconquérir l’Alsace et la Lorraine. A l’opposé, il y a
des pacifistes, comme le grand tribun socialiste Jean JAURÈS, pour qui
la guerre doit être évitée à tout prix. Mais les va-t-en-guerre
considèrent les pacifistes comme faisant le jeu de l’Allemagne.
Il n’empêche que la flotte française de l’époque rivalise sérieusement avec les flottes anglaises et allemandes, et que la France ne se prive pas d’effectuer régulièrement des démonstrations de sa force. Ainsi, le 4 septembre 1911, une grande revue navale se déroule en Méditerranée sous les ordres du Vice-Amiral JAURÉGUIBERRY, en présence du Président de la République Armand FALLIÈRES et du Ministre de la Marine Théophile DELCASSÉ. Près de quatre-vingts unités y participent : 19 cuirassés répartis en trois escadres, 10 croiseurs-cuirassés en trois divisions, 24 torpilleurs, 10 sous-marins et de nombreux bâtiments auxiliaires.
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Cela explique la concentration exceptionnelle de navires de guerre, tous en parfait état de marche et chargés de leurs munitions, qui, les manœuvres terminées, se trouvent encore en rade de Toulon à la fin du mois de septembre 1911. Un grand nombre de ces unités ne peuvent se fixer à quai, les places étant limitées. Elles restent au mouillage dans la rade, solidement amarrées à de grands flotteurs en fer appelés coffres.
Dans cette multitude de navires de guerre on trouve les
plus gros cuirassés de l’époque (équipages de 600 à 800 hommes) : la
République, la Vérité, la Liberté,
la Démocratie, la Justice,
considérés à l'époque comme des mastodontes d'acier jaugeant 15 000
tonnes. Il y a d'autres unités de taille respectable : le Carnot,
le
Suffren, le Léon-Gambetta, l’Ernest-Renan,
le Jules-Michelet,
l’Amiral-Aube, la Marseillaise,
le Gaulois, l’Edgar-Quinet,
espacées
d'à peine une ou deux encablures.
Le Cuirassé Liberté
Conçu
par l'ingénieur Émile BERTIN, il est mis sur cale en 1902 aux Chantiers
de la Loire à Saint-Nazaire et lancé le 16 avril 1905. Après avoir
rejoint son port d’attache (Brest) où son armement est terminé, il
entre en service en 1908. Sa construction a coûté 42 millions de
francs-or. Il fait partie de l'escadre dite des "Patrie",
du nom d'un
cuirassé de même type. Il est considéré comme une unité d'une grande
valeur militaire.
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Ses caractéristiques sont les suivantes : il jauge 14 868 tonnes ; sa longueur est de 134 mètres ; sa largeur 24,25 m ; son tirant d'eau en charge 8,40 m. Propulsé par 3 machines alternatives alimentées par 22 chaudières Belleville totalisant une puissance de 20 500 CV, il peut atteindre une vitesse de 19,4 nœuds, soit 36 km à l'heure environ. Il peut charger jusqu’à 1 800 tonnes de charbon pour un rayon d'action de 8 000 milles marins à la vitesse de 12 nœuds.
La coque seule pèse 4 000 tonnes et la cuirasse 5 000, avec une épaisseur de 28 cm à hauteur de la ligne de flottaison.
Son armement comprend 37 canons : dont 4 canons de 305 mm en 2 tourelles et 10 canons de 194 mm en 5 tourelles. En plus de cette artillerie redoutable, la Liberté possède 5 tubes lance-torpilles dont 2 anti- sous-marins.
L'approvisionnement normal en munitions est de 550
tonnes. L'équipage compte 715 sous-officiers mariniers,
quartiers-maîtres et matelots, commandés par un état-major de 25
officiers.
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A l’aube d’une journée funeste
Le 25 septembre
1911, c’est une superbe journée d'automne qui s’annonce.
Sur le calme
plat de la rade de Toulon entre la passe de la grande jetée et
l'Arsenal, on peut voir les silhouettes massives des cuirassés de
l'escadre. Le cuirassé Liberté est relié au coffre
n° 20, à mi-distance
du rivage seynois (fort de l’Eguillette) et de la "zone de Milhaud" de
l’Arsenal de Toulon.
Le Commandant de la Liberté, le "Pacha", est le capitaine de vaisseau Louis Marie JAURÈS, frère du grand tribun socialiste et pacifiste Jean JAURÈS. Le capitaine de vaisseau JAURES ne commande la Liberté que depuis 10 mois et, depuis le 16 septembre, il est en permission de détente, ainsi que 142 hommes de l'équipage. Le commandant en second, le capitaine de frégate Léon JOUBERT est également à terre avec une partie de la bordée qui n'est pas de service. C’est l'officier le plus ancien dans le grade le plus élevé qui assure naturellement le commandement : il s'agit du lieutenant de vaisseau GARNIER.
A 5 h 30, la vie s’éveille à bord. Le branle-bas
sonné, les matelots décrochent les hamacs et commencent leur toilette.
La tenue doit être impeccable : ni mal peignés, ni crasseux à bord...
Puis chacun va prendre son service : on range le navire, on nettoie les
ponts, on vérifie les machines, on lustre les cuivres… C’est une
journée normale. L'officier de quart note sur le livre de bord : "5 h
30. Branle-bas - R.A.S.".
L'alerte
Tout à coup, à 5 h 33, la
routine quotidienne cesse : les bruits familiers du bord sont couverts
par trois détonations successives. Ce
bruit
sinistre ébranle les cabines, se
répercute tout le
long des ponts, envahit l'immense salle des machines. De l'avant à
l'arrière, de bâbord à tribord, c'est le même frémissement : "le feu à
bord !". Vers l'avant du navire, un mince filet de fumée s'élève
d'abord qui devient un épais nuage noir. Le feu a pris dans les soutes
avant tribord, les soutes à gargousses pour les pièces de 194 mm.
Message de détresse transmis par télégraphe : "Feu à bord de la Liberté
! Envoyez secours d'urgence !". Des navires les plus proches de la
Liberté, on entend des appels désespérés : "sauve
qui peut !". Des
hommes se jettent à l'eau et commencent à être recueillis par les
nombreuses embarcations mises à l’eau par les navires voisins. A un
moment, on croit à une accalmie du feu. Le lieutenant de vaisseau
Gaston BIGNON fait alors "sonner la générale" qui doit ramener tout le
monde à son poste et particulièrement au poste d'incendie. Il ordonne
de noyer les soutes avant où sont stockées les gargousses de poudre B.
L'incendie s'étend
Il
est 5 h 43. A ce moment précis, le lieutenant de vaisseau GARNIER prend
la direction des opérations. Il fait hisser les flammes "avaries
graves" et "demande de secours immédiats". Les ordres donnés par le
lieutenant de vaisseau Gaston BIGNON sont suivis, mais les barrages de
flammes et l'âcreté de la fumée interdisent toute approche de la
commande des vannes de noyage. Le feu poursuit sa course infernale. Les
gargousses chargées de poudre sautent l’une après l’autre. Les
lieutenants de vaisseau BESSON et MATHIEU, malgré la chaleur
aveuglante, insupportable de la fournaise, s'efforcent d'organiser le
sauvetage de l'équipage.
L'explosion
A 5 h 52, le lieutenant
de vaisseau GARNIER perd toute illusion : son navire est condamné.
L'incendie va au cataclysme. Il y a déjà beaucoup de victimes et il
faut sauver ces centaines de vies humaines. Il fait sonner le "poste
d'abandon". Quelques secondes plus tard, à 5 h 53 précisément, c'est la
formidable explosion qui déchire l'air sur plusieurs lieues à la ronde,
ébranle toute la rade et ses environs. On croit à un séisme dans la
région, mais c'est l’explosion simultanée des 735 obus de 19 chargés à
la mélinite, et des 4 600 obus de 65 et 45 mm. Un immense panache de
fumée jaune et noire s'élève à plus de deux cents mètres, en même temps
qu'une pluie de fer et de feu s'abat sur les unités voisines et sur les
embarcations alentour. Un steam-boat reçoit une tôle boursouflée d'un
mètre carré environ à une distance de plus d'un kilomètre. La puissance
de l’explosion projette des plaques d'acier, des tourelles même, des
débris métalliques informes, dans tous les azimuts, faisant de
nombreuses victimes sur les bateaux amarrés à proximité de la Liberté.
Cisaillés par une force prodigieuse, les ponts supérieurs se sont
enroulés vers l'arrière, arrachant tout sur leur passage. Les
déchirures béantes de la casemate avant permettent à l'eau de
s'engouffrer et de couler le beau cuirassé. Le cuirassé République
tout
proche de l'explosion reçoit une pluie de tôles tordues et brûlantes.
Une torpille sortie de sa rampe fonce sur lui, perce son flanc bâbord
arrière à quelques centimètres au-dessus de la ligne de flottaison et
provoque de nombreuses victimes. Un obus de 305 mm frappe la Démocratie
par tribord arrière, à hauteur du carré des officiers, causant une
large brèche. De la coque complètement déchiquetée, éventrée, émergent
encore des masses informes de tôles, de charpentes, d'appareils de
toute sorte. Les embarcations qui tournaient autour du navire
depuis la première alerte, ont disparu. De la chaloupe de la Direction
du Port, arrivée la première, on ne retrouve rien. Elle a été
désintégrée par le souffle extraordinairement puissant de
l'explosion.
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Les secours
Il
y a des survivants qu'il faut sauver à tout prix. Les secours
s'organisent sous la direction du Vice-Amiral AUBERT. Il faut faire
vite. Les remorqueurs Polyphème, Samson, Travailleur,
noient les
décombres fumants sous leurs lances. On cherche jusqu'à la tombée du
jour et pendant la nuit. Le lendemain, on cherche encore. Les blessés
sont transportés à l'Hôpital de Saint-Mandrier.
Une chapelle ardente est improvisée dans l'Arsenal à l'atelier Flotte et, chaque jour le nombre des victimes augmente. Le 27 septembre, deux jours après le drame, on dénombre 200 morts et plus de 300 blessés. Bilan, hélas, très provisoire.
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Sur les cuirassés : Suffren, 4 tués ; Liberté, 142 tués ; Vérité, 3 tués, République, 24 tués, Carnot, 1 tué. Sur les croiseurs-cuirassés : Léon-Gambetta, 6 tués ; Ernest-Renan, 7 tués ; Jules-Michelet, 1 tué ; Amiral-Aube, 7 tués ; Marseillaise, 1 tué ; chaloupe de la Direction du Port, 4 tués.
Il faut souligner le fait
que la plupart des victimes sont de jeunes marins (moyenne d’âge : 25
ans) et, en grande majorité, des marins bretons, le port d’attache de
la Liberté étant Brest. Peu de marins varois sont touchés et une seule
victime est seynoise, c’est Louis GAUTIER.
Les obsèques
Le 3
octobre 1911, une semaine après le désastre, ce sont les obsèques pour
les 152 victimes identifiées dont les familles ont réclamé les corps.
Cette journée du 3 octobre revêt le caractère d'une journée de deuil
national. Les plus hautes personnalités civiles, religieuses et
militaires sont présentes : Le Président de la République, le Président
du Conseil, les Ministres de la Guerre et de la Marine, le Préfet
Maritime, le Maire de Toulon, l’évêque de Fréjus-Toulon, les amiraux,
les députés et sénateurs du Var, etc.
Des dizaines de milliers de
personnes s’amassent le long du cortège qui, depuis la place d’Armes,
doit rejoindre l’Arsenal de Terre. L’émotion est considérable. La foule
est bouleversée par le spectacle d'un nombre impressionnant de
cercueils qui défilent sous une forêt de drapeaux et de couronnes de
fleurs, par la grande tenue des officiers, la rutilance des lames
d'acier, la blancheur des panaches des officiers généraux, une foule
qui prend conscience peu à peu de la gravité de ces drames successifs
connus par la Marine, et dont la fréquence troublante demeure
mystérieuse.
Les accents des marches funèbres remuent les témoins jusqu'aux entrailles, serrent les gorges, tirent les larmes. Le martèlement rythmé des tambours ajoute encore à l'émotion intense de la foule, massée là depuis plusieurs heures, et qui donne manifestement des signes d'énervement...
C’est alors que, vers 10 h 15, sur le
boulevard de Strasbourg, une panique se produit. On entend des cris
venus, on ne sait d'où : "Sauve qui peut !". Une rumeur d'épouvante
court dans toute l'assistance. D'autres cris jaillissaient : "Le mort
qui bouge !" - "Ça va sauter !". Alors un affolement général suit qui
dégénère en une panique effroyable : des bousculades et une fuite
éperdue vers les rues Molière et Racine. Le cordon des soldats est
bousculé, certains chevaux affolés entrent dans la foule, des femmes
s'évanouissent, des vieillards, des enfants sont piétinés.
Des gens se retrouvent sans chaussures, déshabillés, même. Des grappes humaines accrochées à des échelles s'effondrent, la tribune officielle s'écroule. La débandade gagne les militaires : certains fuient en abandonnant képis, sabres et même armes à feu. Les sauveteurs bénévoles relèveront quelque 280 blessés.
Un
grand nombre d'objets sont retrouvés l’après-midi au poste de police,
mais les propriétaires de sacs à main constatent avec désagrément que
leur contenu a disparu. Dans ces moments d'affolement, les détrousseurs
et les filous ne perdent pas leur sang-froid, et peut-être avaient-ils
eux-mêmes savamment organisé le désordre...
Avec un retard considérable, les corps arrivent à l’Arsenal de
Terre où
sont prononcés les discours officiels.
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Quelques phrases du discours du président FALLIERES : "Les
cruautés du sort se succèdent dans la Marine avec une implacable
continuité. Le souvenir d'une catastrophe étreint encore nos âmes qu'il
s'en produit une nouvelle, celle-ci plus effroyable, plus déconcertante
que celle qui précède. Qu'est le terrible désastre de l'Iéna à côté de
celui de la " Liberté " ? Et combien le désastre
des choses est de
nature à confondre la raison."
L’après-midi de ce 3 septembre
est consacré à la visite du Président à l’Hôpital Sainte-Anne et à la
remise de nombreuses décorations aux blessés et aux sauveteurs.
Une autre cérémonie
Le
7 octobre, une autre cérémonie, qui ne revêt pas la même solennité, se
déroule pour les corps non identifiés et non réclamés par les familles.
Dix prolonges d'artillerie transportent 74 cercueils depuis la place
Castignau jusqu'au cimetière de Lagoubran où l'on procède à une
inhumation collective. Ce deuxième cortège comporte : 59 victimes de la
Liberté, 5 de la République, 2
du Léon-Gambetta, 1 de l'Ernest-Renan,
5
de la Marseillaise, 2 de la Direction du Port. A
cette date, on compte
224 morts, identifiés ou non. Il faudra, hélas, y ajouter les morts
qu'on retrouvera bien après le drame, notamment dans les épaves. Le
bilan définitif dépassera alors les 250 tués, auxquels s’ajoutent plus
de 300 blessés, dont beaucoup très gravement atteints.
Les causes de la catastrophe
Comment
expliquer la série impressionnante des accidents plus ou moins graves
qui se produisent entre 1893 et 1911?
En dix-huit ans, ce sont des
combustions instantanées suivies ou non d'explosions que l'on constate
dans plusieurs poudrières et surtout, la plus grave, celle de Lagoubran
du 5 mars 1899, qui fait 80 morts et de nombreux blessés, détruisant
des centaines d'immeubles dans les quartiers avoisinants de Toulon,
d'Ollioules et de La Seyne. En dix-huit ans, ce sont les mêmes
accidents qui affectent une douzaine de bâtiments de guerre avec, en
apothéose, celui du cuirassé Iéna, qui explose le 12 mars 1907 à Toulon
dans le bassin de Missiessy et qui fait 120 morts et de nombreux
blessés. Pendant quelque temps, on incrimine des maladresses, des
incompétences, des négligences.
Puis
on imagine l'Allemagne
répandant partout
des espions chargés d’affaiblir notre Flotte en
provoquer des incidents et des sabotages. Et une certaine presse ne
va-t-elle pas désigner le commandant JAURÈS, frère du grand Jean
JAURÈS, dont les idées pacifistes le font accuser d’intelligence avec
l’ennemi…
Mais, rapidement, c’est l’instabilité de la poudre "B"
(mise au point en 1884 par l’ingénieur VIEILLE, sous le ministère du
général BOULANGER) qui est de nouveau mise en cause, comme dans
l’accident du Iéna.
(Pour plus de détails, nous renvoyons à la
conférence de M. Michel AUGIER "Voyage avec les poudres", du 3 octobre
2011).
Le déblaiement de l'épave
Ce n’est qu’en 1921 que des
travaux sont entrepris pour décoller l'épave du fond vaseux où elle est
enlisée depuis déjà 10 ans. On procède, en priorité, à l'enlèvement des
obus et des explosifs des soutes de l'arrière qui n'ont pas explosé le
25 septembre 1911. On amarre à l'épave le croiseur désaffecté
Latouche-Tréville. A partir de ce bâtiment équipé de compresseurs
puissants, on peut découper plus de 400 tonnes de blindage pour alléger
l'épave. On fait le vide des compartiments que l'on peut colmater. On
utilise une grande quantité de flotteurs souples et gonflables. Des
sous-marins désaffectés sont également employés pour le décollage du
fond. On fixe des flotteurs à des chaînes passant sous la coque grâce
au travail des scaphandriers. Mais ce n’est que le 25 février 1925, que
la dernière partie de l'épave (l’arrière) est soulevée et déplacée dans
une forme de radoub des bassins Vauban. Il s'est écoulé une longue
période de 13 ans et 5 mois depuis l'explosion. La grande grue des
Forges et Chantiers travaille longtemps encore pour repêcher quelque 3
000 tonnes de tôles dispersées au fond de la rade par l'explosion. Dans
le bassin de radoub, les chalumeaux découpent les masses de fer et
d'acier rouillées pendant des mois pour récupérer la ferraille destinée
à la refonte. Il ne restera alors plus rien du glorieux cuirassé
Liberté.
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Mais si la matière a disparu, les souvenirs du drame humain
persistent.
Des années vont passer.
Dès
l’année suivante, les Forges et Chantiers de La Seyne vont ainsi
procéder au lancement d’un autre cuirassé, le Paris, plus gros, plus
puissant, avec des armes encore plus redoutables. La cérémonie du
lancement est suivie d’un banquet au Casino de Tamaris, avec plusieurs
discours patriotiques et enflammés, notamment celui du Ministre de la
Marine, Théophile DELCASSÉ : "À la France, Messieurs, à la France,
toujours plus grande par le labeur de ses fils toujours plus
dévoués…".
Et la vie continue…Tous les 5 ou 10 ans, un article de journal vient rappeler la catastrophe à des lecteurs qui, pour la plupart, l’ont oubliée.
Et nous voici 100 ans plus tard, en septembre 2011 où se crée à Toulon un collectif de familles de victimes, à l’initiative de Mme Danièle PASCAL, petite-fille du quartier-maître Jean-Marie YHUEL, disparu dans l’explosion du cuirassé. Diverses manifestations sont organisées au cours de ce mois de septembre, grâce à l’action conjuguée des familles de victimes, de l’Amicale des Enfants de Bretagne du Var, de l’Escolo de la Targo, de la Marine et de la Municipalité de Toulon. La commémoration officielle a lieu au matin du 25 septembre avec : jet d’une gerbe de fleurs en rade à l’endroit exact de la catastrophe depuis le remorqueur Lubéron de la Marine Nationale, messe à la cathédrale de Toulon, dévoilement d’une plaque "à la mémoire des victimes de l’explosion du cuirassé Liberté", le tout en présence du Vice-Amiral d'Escadre Yann TAINGUY, Préfet Maritime, de M. Hubert FALCO, Sénateur-Maire de Toulon et de Mme Geneviève LÉVY, Député et Premier adjoint au Maire de Toulon.
Le drame humain
Jean-Claude
AUTRAN termine alors sa conférence en mettant l’accent sur le drame
humain causé par de telles catastrophes, et en prenant l’exemple,
toujours vivace au sein de sa famille, de la disparition de son
grand-père Louis GAUTIER.
Louis GAUTIER était né en 1886 d’une
famille pauvre venue habiter à La Seyne rue Denfert-Rochereau. A 18
ans, il s’engage dans la Marine et navigue comme matelot mécanicien sur
le D’Entrecasteaux, puis comme quartier-maître sur le Descartes. Son
engagement terminé, il est affecté à la Direction du Port de Toulon.
En janvier 1911, il épouse une jeune Seynoise, Joséphine MATHIEU. Ils vont habiter le Pont du Las. Ils attendent très rapidement un enfant dont la naissance est prévue pour la mi-octobre.
Le 25 septembre, alors qu’il n’était normalement pas de service, Louis Gautier remplace un camarade à la Direction du Port. C’est ce matin-là qu’il prit place dans la chaloupe qui se porta au-devant de la Liberté en feu pour se faire pulvériser.
Son corps fut retrouvé deux jours plus tard. Seul Seynois qui périt dans la catastrophe, son cercueil fut détaché du cortège officiel de Toulon et amené par une chaloupe de la Marine au quai du port de La Seyne. La Municipalité et une foule innombrable lui rendirent les honneurs qu'il méritait. Il fut inhumé le 3 octobre dans le caveau du Souvenir Français dans notre cimetière. Deux jours plus tard, le 5 octobre 1911, Joséphine GAUTIER mettait au monde une petite fille : Louise.
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Cruauté du sort qui aura voulu que ce beau marin ne
puisse ressentir les joies de la paternité. Cruauté du sort qui aura
voulu que la petite Louise ne puisse jamais connaître l'affection d'un
père. Cruauté du sort qui aura voulu que la jeune Joséphine GAUTIER,
veuve à 22 ans, eut sa vie brisée. Joséphine GAUTIER affronta son
calvaire avec un grand courage. Elle prit le chemin de la pyrotechnie
pour pouvoir élever sa fille qui, 21 ans plus tard, devint Madame
Marius AUTRAN. Joséphine GAUTIER s’est éteinte en 1986 à l’âge de 97
ans. Durant 75 ans, elle sera ainsi restée fidèle au souvenir de son
époux qu'elle n'a jamais remplacé.
Alors que les aides venant de
la Marine ne furent que minimes et longues à se mettre en place, il
faut souligner que la population seynoise manifesta un immense élan de
solidarité. Des dons, des secours d'urgence, furent apportés à la
famille de Louis GAUTIER. Nos philharmoniques locales prêtèrent leur
concours bénévole. Une fête de bienfaisance se déroula à l’Eden-Théâtre
le 31 octobre 1911, au cours de laquelle on déclama un à-propos en vers
très émouvant.
En lisant quelques-unes des strophes de ce
poème, Jean-Claude AUTRAN termine le récit de cette terrible page de
notre histoire au cours duquel, avec la force du vécu et de l’émotion
partagée, il a su toucher profondément un public nombreux et attentif.
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© Jean-Claude Autran 2013