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Marius AUTRAN
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Conférences et écrits de Jean-Claude AUTRAN

Saturnin Fabre



Carte d'invitation à la conférence


Résumé de la conférence
(paru dans le bulletin trimestriel Le Filet du Pêcheur, N° 126, mars 2013, pp. 3-10)

    Dans cette conférence, il a été question de deux personnages qui ont porté ces mêmes prénom et nom de « Saturnin Fabre » :

- l’un, ingénieur, grand entrepreneur de travaux publics, qui fut Maire de La Seyne de 1886 à 1895.
- l’autre, neveu et filleul du précédent, qui fut un acteur bien connu des cinéphiles à l’époque du noir et blanc, comédien de génie, homme aux talents multiples, mais personnage inclassable…

Origines familiales

    Les ancêtres Fabre étaient tous agriculteurs ou maçons à Ollioules, au Beausset ou à Toulon. Le couple Jean-Baptiste Fabre x Marie Victoire Maynard a donné naissance à 5 enfants, tous nés à Toulon entre 1840 et 1846, dont Saturnin Fabre (le Maire de La Seyne) et Jules Fabre (le père du comédien Saturnin Fabre). Malgré leur origine modeste, les parents Fabre ont su offrir à toute leur descendance des études poussées et leur ont communiqué à la fois le sens des affaires et une grande culture littéraire et artistique, notamment musicale.


    Les Fabre révèleront tous de fortes capacités d’entreprise et une grande volonté d’ascension sociale. C’est l’époque [Second Empire] où la France entre dans un processus de développement qui en fera en quelques décennies une nation définitivement riche. La réussite de Jean-Baptiste Fabre se situe dans ce processus qu’il a su capter et exploiter pleinement : d’ouvrier maçon, il devient maître maçon, puis grand entrepreneur. Les parents Fabre prônent « le courage face aux défis et aux incertitudes de la vie, un esprit d’indépendance et d’initiative ». Ils rejettent « les effondrements psychologiques et moraux, plus encore les perspectives d’assistance, les Fabre se battent pour réussir, et s’ils échouent, alors ils manifestent une capacité surprenante de rebondissement ». C’est dans ce contexte et cet état d’esprit (droite libérale) que les Fabre sont éduqués.

1ère partie : Saturnin Fabre « l’oncle », entrepreneur de travaux publics et Maire de La Seyne

    Grégoire Saturnin Calixte Fabre, qui adoptera Saturnin comme prénom d’usage, naît à Toulon le 15 octobre 1842. Il suit des études classiques, puis des cours d’architecture, de charpente et de coupe de pierres. Dans le même temps, il se passionne pour la physique, le dessin, la peinture, la musique. Il devient ingénieur des travaux publics.

    En 1869, à Toulon, il épouse Marie Hortense Poucel, originaire de Nantua. Ils auront deux filles, Rose (1870) et Germaine (1877).

    Jusqu’au début des années 1880, Saturnin Fabre exerce le métier d’entrepreneur des travaux publics (construction de voies ferrées, de ponts, de tunnels,…) dans différents sites du sud-est de la France.

Saturnin Fabre à La Seyne

    Vers 1882, il se fixe dans la région de Toulon et acquiert, à La Seyne, le vaste domaine agricole de « Cachou ». Avec une trentaine d'hectares étalés entre la route des Plaines, les Chemins de Janas et de N.-D. du Mai, cultivés en vignes, oliviers, fruitiers, céréales, et donnant aussi, dans sa partie arrosable jouxtant le quartier des Moulières, d'importantes récoltes de légumes. Malgré ses multiples activités, Saturnin Fabre s'occupe personnellement de la gestion de son domaine, conseille utilement les fermiers, surveille attentivement les plantations, les soins à donner aux arbres, la rentrée des récoltes, la vente des fruits, légumes et autres produits de la ferme. Il s’intéresse à tout, il s’occupe beaucoup de sa famille et occupe ses loisirs à jouer du violon ou à peindre.

    Devenu une personnalité de premier plan à La Seyne, Saturnin Fabre s’intéresse alors à la politique locale. Conseiller municipal à partir de 1884, sous les municipalités et d’Honoré Sabatier, puis d’Alphonse-Louis Barré, il devient maire en 1886 avec une large majorité. Il se dit républicain modéré, mais il commence à essuyer des critiques de la part d’une opposition socialiste montante pour qui il sera toujours un «  homme de droite », un « affairiste réactionnaire » et un « ennemi de la classe ouvrière ». Il sera réélu en 1888 et en 1892 (également conseiller général, mais jamais député).

    La situation de la ville au cours des années précédentes avait été marquée par une grande instabilité politique (4 maires en 4 ans) et une quantité de problèmes non résolus, qu’il s’agisse de concentration urbaine, d’emploi, d’écoles, de voirie, de transports collectifs et surtout d’hygiène. La ville ne dispose d’aucun moyen d’évacuation des eaux usées. Elle est tristement célèbre pour ses « toupines » et son « torpilleur ». Dès 1884, le « conseiller Fabre » prend la mesure des problèmes de l’époque. Il préside la commission Finances et Travaux, la plus décisive d'une municipalité ; il s'y fait remarquer par ses propositions pertinentes sur tous les aspects de la vie locale en insistant sur l'urgence de certaines réalisations dont l'ajournement devenait dramatique pour la population.

    En 1886, à peine élu maire, Saturnin Fabre expose l'ensemble de ses projets et ils sont grandioses. « Il faut voir grand ! », dit-il, et il aborde l'idée d'un emprunt important pour démarrer rapidement. Il ne veut pas se satisfaire des petites affaires courantes. Mais l'adversaire politique, intraitable, subodore de vilains projets, susurre à longueur de journée que le maire Fabre a des intentions maléfiques, qu'il prêche avant tout pour ses intérêts personnels confondus dans des entreprises juteuses.

L’œuvre de la municipalité Saturnin Fabre

    En matière d’extension de la ville, c’est de cette époque que datent l’ouverture de voies nouvelles : avenue Garibaldi, avenue des Sablettes, avenue des Hommes sans peur, rue Pierre Lacroix, route de Balaguier,… Le prolongement du boulevard du 4 Septembre, des rues Victor Hugo, Faidherbe,… L’extension de la ville et l’amélioration des liaisons avec Six-Fours, Ollioules et Saint-Mandrier. En 10 ans, la population s’accroît de 25 %.


    En matière d’emploi, alors qu’à l’origine les convictions libérales du maire étaient de ne pas se mêler des questions patronat-syndicat, il va rapidement adopter une position plus sociale et faire voter de nombreux crédits pour aider les familles de travailleurs des Chantiers au chômage, demander la réintégration d’ouvriers de l'Arsenal licenciés, et même faire voter des aides à des victimes de catastrophes (minières) lointaines.

    Dans le domaine de l’enseignement, c’est de cette époque que date l’extension de l’école Martini (vers le presbytère, le préau, le sous-sol,…), l’acquisition de terrains à La Gatonne en vue de la construction d’une future école de  filles, l’affichage de « tableaux d’honneur », l’apaisement des conflits entre instituteurs publics et cléricaux, etc.

    Au niveau des bâtiments publics, il y aura la construction d’un nouvel abattoir au quartier Peyron (en remplacement de l’égorgerie qui se situait à l’emplacement de l’actuel square A. France), la construction d’un nouvel l’hôtel des postes à l’angle des rues Hoche et Taylor, et le projet de nouvel hôpital. Pour cela, il décide de ne confier qu'aux entreprises seynoises les travaux financés par la commune.

    Pour ce qui est de la voirie, des transports et du tourisme, Saturnin Fabre va faire réaliser le cimentage des rues du centre ville et déposer de nombreux projets : voie ferrée entre La gare et la ville, tramway Toulon – La Seyne (qui ne verra le jour qu’en 1907), et il prévoit déjà sa prolongation vers Tamaris, Les Sablettes, Mar-Vivo, sans parler d’un projet de grand hôtel à Janas et d’un téléphérique permettant aux pèlerins d’atteindre Notre-Dame du Mai !

    C’est aussi Saturnin Fabre qui, le premier, va encourager et subventionner les premières associations culturelles et sportives, notamment la philharmonique La Seynoise. Le 27 octobre 1893, c’est lui qui accueille le Président de la République Sadi Carnot à l’occasion du lancement du cuirassé Jauréguiberry par les F.C.M.

Des luttes politiques ininterrompues

    L’opposition socialiste, menée par François Bernard, directeur d’octroi à la retraite, ne va cependant jamais désarmer. Elle ne voudra jamais reconnaître le bilan prodigieux obtenu en seulement 9 ans par Saturnin Fabre et ses coéquipiers. Au contraire, l’opposition va concentrer ses attaques sur le maire, en l’accusant « d’être un affairiste peu scrupuleux », de « dilapidation les biens publics », de « favoritisme », de « mégalomanie ». Elle va systématiquement ignorer ses libéralités en faveur de sa commune. N'avait-il pas fait don à la ville de terrains importants pour l'établissement d'un chemin reliant la route de Janas au chemin de N.-D. du Mai ? N'avait-il pas envisagé d'alimenter en eau les lavoirs des Moulières en période de sécheresse, et même la ville de La Seyne, en puisant dans les réserves de la nappe phréatique qui se trouvait dans son propre domaine ?

Restait un problème majeur : celui de l’hygiène publique, de la collecte et de l’évacuation des égouts

    Pour le résoudre, Saturnin Fabre a, là aussi, un projet ambitieux. Mais c’est pourtant sur ce projet qu’il va être renversé.

    Saturnin Fabre propose en effet de déverser les égouts en haute mer et, pour cela, il faut creuser une canalisation souterraine, un « émissaire commun », débouchant derrière Sicié. Mais un projet aussi colossal n’était évidemment envisageable qu’en association avec Toulon et les communes environnantes. Et c’est là que l’adversaire politique, profitant d’un courant de chauvinisme exacerbé et avançant l’honneur des Seynois, va faire chuter Saturnin Fabre : « Que le caca des Toulonnais passe sur notre sol ! Ah çà ! Jamais ! Les Seynois ne supporteront pas une telle offense ! ».

    1895 est alors une année d’affrontements à La Seyne : protestations, manifestations, pétitions ; le maire est frappé, giflé. On demande sa démission. Finalement, la majorité se fissure. Plusieurs conseillers s’en vont et Saturnin Fabre est même lâché par de nombreux notables. On votera 3 fois en 1895 : en mai, en juillet et en septembre. Finalement, la liste de François Bernard obtient la majorité, le parti Fabre a perdu la partie. En conséquence, le projet de collecteur de l’émissaire est rejeté dès janvier 1896 et… les Seynois garderont leurs toupines et leur torpilleur encore près de 60 ans !

Que devient Saturnin Fabre après 1896 ?

    Il reste le conseiller général du canton jusqu’en 1898, il défend encore les intérêts des Seynois, mais le cœur n’y est plus guère. Il réside encore occasionnellement à Cachou. Mais il revient surtout à ses activités d’ingénieur des travaux publics et aussi d’inventeur dans des domaines variés. Il dirige ainsi la construction de plusieurs lignes de chemin de fer ; il apporte ses solutions au problème des égouts de la ville d’Athènes (!) ; il améliore la ventilation de la salle des machines des cuirassés, etc.

    A partir de 1900, il va surtout travailler en Haute-Savoie. On lui doit l’aménagement de la station estivale d’Annecy, dont le Casino (dôme, chef d’œuvre d’architecture), ainsi que le palace de Talloires. Le 27 avril 1906, le Président de la République Émile Loubet signe le décret d'utilité publique approuvant le projet d'Annecy comme station estivale et le Savoyard de Paris écrit : « Dans trois ans, Annecy centre du tourisme international, sera l'image de l'œuvre du grand homme, de l'ingénieur éminent Saturnin Fabre ».

    Son dernier projet, le plus grandiose, dans lequel il investit énormément de capitaux, sera d’imaginer un chemin de fer au départ de Chamonix (Les Houches), essentiellement souterrain, qui permettrait d’atteindre le sommet du Mont-Blanc. Hélas, il ne verra jamais ce projet aboutir en saison de rivalités politiques au sein du conseil général de Haute-Savoie et c’est le projet de l’ingénieur Duportal, au départ de Saint-Gervais, qui sera retenu.

    A la suite de ce combat perdu, il meurt le 18 novembre 1906 à Lyon, en partie ruiné. Il est inhumé à Lyon et son corps est ramené à La Seyne le 24 octobre 1909 après qu’un mausolée eut été élevé par souscription publique à droite à l’entrée de notre cimetière.

    Le 20 novembre 1909, le conseil municipal de La Seyne, présidé par Jean Armand, décide à l’unanimité de dénommer l’avenue du port : « quai Saturnin Fabre ».


2ème partie : Saturnin Fabre « le neveu », comédien de génie et… personnage inclassable

    Ce deuxième « Saturnin Fabre », neveu et filleul du précédent, fut un personnage aux talents multiples : acteur, comédien, mais aussi chanteur, musicien, compositeur, caricaturiste, peintre,… Extravagant, halluciné, tourmenté, stupéfiant, délirant, insensé, truculent, haut en couleurs, baroque,… tels sont les qualificatifs qui lui ont été donnés. Mais c’était surtout un être ambigu : « furieusement intelligent, mais avec un comportement complètement givré », « acteur de génie, avec un personnage de timbré ».


    Nous allons survoler les différentes étapes de sa vie et de sa carrière et essayer de décrypter ce curieux personnage et de comprendre comment au sein d’une famille de gens normaux a pu émerger un personnage aussi fantasque. L’explication de cette nature extravagante pourrait, en effet, se trouver dans les drames, les souffrances refoulées, les blessures secrètes vécues dès la jeune enfance.

    Ce qu’on sait de ce personnage secret, vient en grande partie de son livre autobiographique Douche écossaise (1949) et de l’ouvrage Saturnin Fabre écrit par son petit-neveu, Roland Granier, en 1996. Mais Douche écossaise est davantage « un recueil de souvenirs, évocations riches d’originalité, pleines d’humour, souvent truculentes, de multiples évènements d’une vraie vie d’artiste bien remplie, mais agrémentée aussi de commentaires pénétrants, souvent acides, parfois cyniques, qui en disent long sur la philosophie de la vie et de son métier de grand acteur ».

    Une autre manière de cerner le personnage, c’est par des anecdotes ; à chacune des étapes de sa vie professionnelle, que d’avatars seraient à raconter ! Que de situations invraisemblables ! Saturnin Fabre est de ceux qui, par nature, semblent chercher les problèmes. « La cocasserie des situations constitue la marque dominante de sa relation avec les choses ».

Enfance et adolescence

    Charles Saturnin Joseph Fabre est le fils de Jules Fabre, le plus jeune de la fratrie des Fabre. Il naît le 4 avril 1884 à Sens (Yonne) où ses parents possèdent une importante entreprise de mercerie. Ses premières années sont marquées par série de drames familiaux (incendie de la maison et des entrepôts, ruine de l’entreprise, maladies) qui amènent ses parents à se reconvertir et à s’installer à Paris.

    En 1888, le jeune Charles (il n’adoptera le prénom de Saturnin que plus tard) est placé interne chez les Frères de Passy. Il n’a donc que 4 ans lorsqu’il est « incarcéré sous le simple n° 442 ». Il y côtoie des fils de grandes familles (Michelin, Courvoisier, La Rochefoucault,…), mais il vit très mal cette période de régime sévère, de vie monacale, d’ailleurs concomitante de nouvelles graves difficultés familiales. Il a 15 ans lors de sa « levée d’écrou » et il est psychiquement brisé. Cela explique sans doute le caractère atypique du personnage de Saturnin Fabre : ambigu, peu familier, parfois renfermé, mais parfois au contraire très expansif, surprenant, incarnant tous les excès. Sans doute sa vocation d’acteur baroque, halluciné, insensé, a-t-elle pris sa source dans un intense désir de défoulement. C’est ainsi que cette âme sensible a pu réagir après ces 11 ans d’enfermement, de souffrance et de refoulement chez les Frères.

    Toutefois, bien que très mauvais dans les disciplines classiques, bien que classé « distrait, inattentif, réfractaire aux mathématiques, ayant l’habitude de faire rire ses camarades », il acquiert chez les Frères une solide culture artistique, notamment en déclamation, en chant, en musique et en dessin. Lorsqu’il doit arrêter ses études, suite à une nouvelle faillite de l’entreprise familiale, il est d’ores et déjà évident qu’il sera artiste. C’est à cette époque qu’il vient régulièrement en vacances chez son oncle à La Seyne (Cachou) et qu’il amuse tout le monde par ses facéties.

Carrière artistique

    Dès 1900 - il a 16 ans - il se prépare à entrer au Conservatoire de Paris et obtient divers engagements pour des saisons théâtrales. Mais il doit s’interrompre pour son service militaire (1902-1905) qu’il demande à effectuer dans la Musique du 13e Régiment d’Artillerie de Vincennes.

    En 1907, il réussit brillamment le concours au Conservatoire et entre dans la classe de Paul Mounet. Mais, tout en étant, et de loin, le plus talentueux de sa promotion, il se distingue par son absentéisme, sa désinvolture, sa fumisterie. « Quand, par hasard, il s’aventure dans la classe, il y jette un de ces beaux désordres qui sont l’effet de son art… ».

    A la même époque, il rencontre le célèbre Antoine, directeur de l’Odéon qui va le recruter dans sa troupe. Il va ainsi jouer dans Le Barbier de Séville, l’Avare, le Tartuffe, La Jeunesse du Cid, l’Arlésienne, etc. Pour le seul dernier trimestre 1908 à l’Odéon, il joue dans 127 représentations - en plus des cours qu’il est censé suivre au Conservatoire.

    Mais sa fumisterie finit par lui jouer de mauvais tours : ses professeurs du Conservatoire refusent de lui attribuer le 1er Prix et il préfère alors démissionner. Autre grave erreur : il signe un contrat parallèle avec le Théâtre des Variétés, amenant l’Odéon - où sa carrière était pourtant toute tracée - à se séparer de lui. Suivent alors plusieurs années médiocres, mais qui contribuent à forger son expérience, dans l’ambiance délétère de la troupe des Variétés.

    C’est seulement vers cette époque qu’il adopte le prénom de Saturnin, trouvant qu’il sonnerait mieux pour sa carrière que celui de Charles, mettant momentanément en rage la veuve de son oncle : quelle honte d’avoir un comédien dans une famille de notables ! Et qui a osé usurper le prénom de son cher époux !

    Et puis, c’est la douloureuse parenthèse de la guerre de 1914-1918 au cours de laquelle il est mobilisé comme brancardier, une période sur laquelle il ne s’exprimera jamais : « Nous étions des brutes, et les brutes n’ont pas de mémoire… ».

    Après une nouvelle période d’aléas au Théâtre de la Porte Saint-Martin et à l’Ambigu, s’ouvre enfin une période d’activité théâtrale débordante à partir de 1920, avec des centaines de représentations (ses partenaires étant Charles Boyer, Jules Berry, Suzy Prim,…), vingt créations de comédies, des participations à plusieurs opérettes,... Il devient également directeur artistique du Théâtre Pigalle.

Carrière musicale

    Chez les Frères de Passy, il apprend le solfège supérieur, les lois de la composition, le chant, la clarinette. Il est ainsi clarinettiste solo au 13e Régiment d’Artillerie de Vincennes, puis dans plusieurs théâtres ou concerts. Il lui arriva de jouer, dans la même œuvre (Lakmé), alternativement au pupitre des clarinettes et, sur la scène, le rôle du baryton ! C’est lui qui tint le rôle de Joachim lors de la création de Rêve de Valse à Paris en 1910. Preuve de son excellente maîtrise de l’expression musicale, il composa de nombreux morceaux pour piano, ainsi qu’une œuvre lyrique qui fut jouée en 1913 à la Gaieté Lyrique en alternance avec Le Barbier de Séville !

Carrière cinématographique

    C’est grâce au cinéma que Saturnin Fabre acquit sa célébrité bien que, de cœur, il fut toujours un homme de théâtre. Mais il avouera que le cinéma lui a procuré des revenus beaucoup plus confortables que le théâtre, avec bien une moindre fatigue.

    Après plusieurs rôles dans le muet (dans la série Les Rigadin) à partir de 1911, c'est avec le parlant à partir de 1929 - il a déjà 45 ans - dans La route est belle, qu'il trouve matière à exprimer son talent. Cette « très forte nature théâtrale » ne quittera plus le cinéma parlant jusqu’en 1954, à 70 ans, avec Escalier de service, son dernier film. Il aura tourné ainsi dans au moins 84 films, dont les plus connus sont les suivants :

• 1936 : Messieurs les ronds de cuir, d'Yves Mirande - (Le Tondu)
• 1936 : Pépé le Moko, de Julien Duvivier, avec Jean Gabin. - (Grand-père)
• 1936 : Le voleur de femmes, d'Abel Gance - (L'académicien)
• 1936 : Désiré, de Sacha Guitry - (Adrien)
• 1937 : Ignace, de Pierre Colombier, avec Fernandel. - (Le baron des Orfrais)
• 1939 : Ils étaient neuf célibataires, de Sacha Guitry – (Colombinet de La Jonchère)
• 1941 : Le Club des soupirants, de Maurice Gleize - (Cabarus)
• 1942 : La Nuit fantastique, de Marcel L'Herbier - (M. Thalès)
• 1942 : Marie-Martine, d'Albert Valentin - (L'oncle Parpain)
• 1943 : Jeannou, de Léon Poirier - (Frochard)
• 1946 : Les Portes de la nuit, de Marcel Carné - (M. Sénéchal, le propriétaire)
• 1949 : Miquette et sa mère, d'Henri-Georges Clouzot - (Le marquis de La Tour Mirande)
• 1950 : Les Petites Cardinal, de Gilles Grangier - (Horace Cardinal)
• 1950 : La Dame de chez Maxim, de Marcel Aboulker - (Le général Petypon du Grêlé)
• 1953 : Carnaval, d'Henri Verneuil - (Le docteur Caberlot, psychiatre)
• 1953 : L'Ennemi public numéro un, d'Henri Verneuil - (W.W Stone, l'avocat)
• 1954 : Escalier de service, de Carlo Rim - (M. Delécluze, père et bourreau officiel)


    Il jouera ainsi avec Jean Gabin, Raimu, Fernandel, Charpin, Louis Jouvet, Pierre Brasseur, Jules Berry, Bourvil, Pauline Carton, Danièle Delorme, Henri Crémieux, Elvire Popesco,… et sous la direction des plus grands réalisateurs de l’époque : Sacha Guitry, Henri Verneuil, Gilles Grangier, Marcel Carné, Abel Gance, Julien Duvivier Henri-Georges Clouzot,…

    Il sera toujours un « second rôle », dont il faut nuancer la notion, souvent à connotation péjorative. Bien des seconds rôles ont en effet sauvé par leur talent certains films sans intérêt, ou ont permis à de nombreux navets de ne pas sombrer totalement dans l'oubli.

    Fidèle à ses attributions de comédien de théâtre, Saturnin Fabre met son faciès impassible au service d'un comique pince-sans-rire qui lui donne la plupart du temps des rôles d'excentrique ou de fêlé. Caractérisé par son phrasé inimitable, par une diction qui relève de la logorrhée, par une voix tantôt caverneuse, tantôt aiguë et par un regard très expressif, le jeu de Fabre trouve sa plénitude dans l'interprétation de personnages du troisième âge au caractère très marqué, le plus souvent par la folie, parfois par les traits de la fourberie.

    Danièle Delorme écrira ainsi : « Il avait une manière de jouer inimitable, stupéfiante et d’une telle invention ! On était toujours surpris de ce qu’il allait faire. C’était insensé, imprévu. Il incarnait l’excès. Il avait tous les culots. Il s’était fabriqué un personnage de timbré qu’il a trimbalé tout au long de ses films. Il était tellement grand acteur qu’il jouait sa folie ». Et d’ailleurs, en fin de carrière, on ne comptait plus les prises de bec, les affrontements qu’il eut avec ses metteurs en scène, notamment avec H.-G. Clouzot.

    Lors de la conférence, on aura pu écouter et visualiser quelques extraits de ses rôles dans Jeannou (1943), Miquette et sa mère (1949), L’ennemi public numéro 1 (1953), Carnaval (1953), Escalier de service (1954).

Le mot de la fin

    Les femmes ont joué un rôle très important dans la vie de Saturnin Fabre. Il eut de nombreuses compagnes et plusieurs « grands amours à commerce charnel » qu’on ne peut pas mentionner ici, pas plus que les nombreuses anecdotes, souvent cocasses, parfois dramatiques, voire les scandales, qui ont émaillé ces relations. Saturnin était quelquefois jaloux et violent : « Scènes de ménage et orages incessants, alternant avec nuits de braise ; séparations répétées suivies de retours enthousiastes… ».

    Ce n’est qu’à 41 ans qu’il décida de mettre fin à un célibat fort aventureux et débridé. Il épousa en effet, en 1925, à Paris, Suzanne Benoist, 36 ans, dont le rôle et la personnalité sont demeurés mystérieux.

    Mais, très malade dès 1948 et progressivement handicapée, son épouse meurt en 1957.

    Son frère aîné Maurice meurt le 18 octobre 1961

    Et Saturnin meurt à Montgeron, 6 jours plus tard, relativement isolé et sans descendance, le 24 octobre 1961.

Fier, grand, beau, distingué
Apollon en jaquette
Bref et peu familier
Roi des pieds à la tête
Élu par le destin pour toutes les conquêtes
Ève Lavallière
(Acrostiche écrite pour Saturnin Fabre vers 1910)


Diaporama de la conférence

(Il n'a pas été possible de faire apparaître les vues successives, ni les animations, ni les séquences vidéos renfermées dans certaines diapositives.
Seule figure ici la première vue de chaque diapositive)



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