Retour à la page d'accueil
du site
Dictionnaire du Mouvement Ouvrier Seynois
Notices rédigées par
Jacques GIRAULT
 
ÉTIENNE Victor
Retour au Dictionnaire du Mouvement Ouvrier
 

ÉTIENNE Victor.

Né le 4 septembre 1899 à Marseille (Bouches-du-Rhône), décédé le 3 novembre 1978 à La Garde (Var) ; cultivateur puis employé aux Coopérateurs du Midi à La Seyne, puis journaliste ; candidat communiste aux élections législatives de 1928, de 1932 et de 1946 dans le Var.

Ses parents (père ouvrier cordonnier, mère lavandière à domicile), marseillais, avaient six enfants et moururent en 1908. Pupille de l'Assistance publique comme son frère Baptistin Étienne, Victor Étienne fut placé, en octobre 1908, chez un petit cultivateur, cafetier et coiffeur, à Limans (Basses-Alpes). Intelligent, il fut reçu brillamment au Certificat d'études primaires, et son instituteur aurait voulu qu'il suive les cours d'une école d'agriculture. Étienne préféra rester chez ses parents adoptifs qui l'avaient bien soigné. Il remplaça alors pour les travaux agricoles et comme coiffeur un des fils mobilisé, pendant la guerre. Le café de ses parents adoptifs était le lieu de réunion des " blancs ", majoritaires dans le village. Pourtant, les " rouges " n'étaient pas absents et il se souvenait d'avoir lu, avant la guerre, l'Humanité, qui lui était prêtée par un métayer.

Étienne fut mobilisé en mars 1918 dans un régiment d'infanterie alpine. Obligé de suivre les cours de sous-officiers ce qui lui évita le front, il parvint au grade de caporal et fut chargé d'un cours sur les armes automatiques pour des élèves-officiers du centre de perfectionnement technique des officiers d'armement de l'armée du Rhin à Mayence. Il conserva de ces contacts avec le monde militaire une hostilité à l'armée. Il avait appris par des ouvriers métallurgistes mobilisés avec lui l'existence de la révolution en Russie et, pendant l'occupation de l'Allemagne, suivit avec intérêt les mouvements révolutionnaires.

Démobilisé comme sergent en mars 1921, Étienne vint s'installer dans le Var, à La Cadière où une partie de sa famille résidait. Son cheminement politique résultait des conséquences de la guerre (un de ses frères avait été tué, deux autres avaient été blessés). Aussi adhéra-t-il à la section communiste de La Cadière fondée à la suite d'une réunion avec Madeleine Faussecave ; il en devint secrétaire durant l'été de 1921 et fut délégué au comité fédéral du Parti. Dans le village, les vieux militants socialistes, membres du cercle, retournèrent très vite à la SFIO, tandis que de nombreux jeunes restèrent communistes par haine de la guerre.

Ouvrier agricole, Étienne travaillait avec son frère métayer au Brulat (hameau du Castellet). Après son mariage à Saint-Mandrier, en août 1923, avec une institutrice, future syndiquée à la Fédération de l'enseignement (voir Amélie Étienne), il devait prendre en métayage une vigne et devint gérant de la coopérative oléicole du hameau. Il participa avec son frère à la création de la coopérative agricole.

En 1926, grâce à un héritage, Étienne acheta une propriété de deux hectares environ au Beausset, qu'il exploita. Il demeurait à l'école et s'employait aussi comme ouvrier agricole jusqu'en 1933. Il fut à l'origine de toutes les actions locales du Parti communiste et collabora à l'éphémère hebdomadaire communiste, Le Var ouvrier et paysan. Après avoir pris part au congrès ouvrier et paysan de Marseille (23 août 1925), contre la guerre du Maroc, il représenta l'ARAC dans la réunion de protestation contre l'emprisonnement de Gaou, Perrin, et Magne (voir ces noms) à Brignoles, le 11 novembre 1926.

Militant actif, bon orateur, Étienne fut choisi comme candidat communiste aux élections législatives dans la troisième circonscription de Toulon (région d'Hyères). Le 22 avril 1928, il obtint 1 129 voix sur 14 144 inscrits ; le dimanche suivant, il ne retrouvait que 627 voix. Étienne avait fait aussi une partie de la campagne électorale aux côtés de G. Péri, candidat dans la deuxième circonscription de Toulon (Sud-Ouest varois).

Son rôle augmenta dans le département en dépit d'une exclusion temporaire prononcée contre lui. À la conférence du rayon à Carnoules, le 2 juin 1929, il devait présenter un rapport sur le congrès national de Paris où il dénonçait les " dangers de droite ". Il participa aux congrès régionaux, à Marseille, des Jeunesses (22e Entente), du Parti communiste et au congrès national de Saint-Denis (31 mars-7 avril 1929). Après une tournée de propagande dans le Haut-Var, il envoya un questionnaire aux secrétaires de cellules pour la préparation d'une conférence paysanne ; peu de réponses lui parvinrent, à en croire le rapport du secrétaire du rayon Seillon (voir ce nom) à la conférence de Carnoules, le 26 janvier 1930. Ce jour-là, Étienne rapporta sur les questions agricoles et fut élu au bureau du rayon, chargé, un moment, de la trésorerie.

À la même époque, Étienne signa une plaquette de vingt-quatre pages, La crise vinicole, publiée par le comité régional méditerranéen du Parti communiste et par la CGPT. La description bien argumentée se terminait par un appel :

" Préparez-vous à l'action pour votre défense et pour pousser l'offensive contre votre ennemi implacable : le capitalisme. Que le nouveau 1907 qui vient soit un 1907 de classe. "

Partageant les analyses des envoyés de la Région marseillaise, Étienne critiquait la mollesse des dirigeants syndicalistes de l'Arsenal de Toulon, dont Mazan (voir ce nom), lors des manifestations d'août 1930. C'est certainement ce que Kraus (voir ce nom) entendait quand il faisait allusion, dans ses notes, à l'autocritique de l'action du Parti par Étienne. En effet, les envoyés de la Région à Toulon, en août 1930, avaient souvent eu un comportement jugé " avant-gardiste ", puis plus tard " provocateur " par les militants toulonnais.

Orateur et polémiste, Étienne fut le meilleur spécialiste dans les contradictions apportées aux grands dirigeants socialistes (mai 1930 contre Renaudel, notamment, octobre 1930 contre Déat et Marquet). Le 7 décembre 1930, il parla au nom de la Fédération paysanne, lors de la commémoration de la résistance au coup d'État de 1951 à Aups.

Étienne devint secrétaire du rayon du Var vers le début de 1931 et collaborait à la rédaction du nouvel hebdomadaire Le Var ouvrier et paysan en août-septembre 1931. Il se rendait souvent alors à Marseille pour les réunions du comité régional dont il faisait aussi partie. Candidat aux élections cantonales de 1931 dans le premier canton de Toulon (centre de la ville), il obtint le 18 octobre, 182 voix sur 7 271 inscrits. Il n'y eut pas de deuxième tour. De nouveau candidat aux élections législatives dans la troisième circonscription de Toulon, il obtint 862 voix sur 15 506 inscrits le 1er mai 1932 et en retrouva 428, le dimanche suivant. La veille du scrutin, il lançait un appel reproduit dans le Petit Var :

" Au mensonge de la " discipline républicaine " qui favorise les bourgeois, il [le Parti communiste] oppose sa politique intransigeante, classe contre classe. Aucun désistement n'est possible en faveur d'un bourgeois " de gauche ", en faveur d'un allié " socialiste " de la bourgeoisie.

C'est seulement dans le cas où un ouvrier socialiste rompt avec son parti de trahison, accepte les points essentiels de notre programme [...] que nous sommes prêts à nous désister en sa faveur pour réaliser l'unité de lutte de tous les ouvriers. "

Au congrès du rayon du Var, à Carnoules, le 15 mai 1932, Étienne fut réélu secrétaire général. Il le resta peu de temps ; par la suite, dans un congrès à Brignoles (dans l'été de 1932 semble-t-il), Étienne avait émis des réserves à propos de la tactique " classe contre classe ". Nous n'avons pu déterminer les raisons profondes des modifications de son analyse, ni les raisons et la date exactes du changement dans le secrétariat du rayon.

Lors de la reparution de l'hebdomadaire régional, Rouge-Midi, Étienne, en mars 1933, signa des études sur la situation agricole du Var. Le 1er mai 1933, d'autre part, Étienne fit partie de la délégation de la CGTU qui alla proposer, à la Bourse du Travail de Toulon, aux syndiqués de la CGT assemblés dans la salle voisine, d'organiser une manifestation commune.

Comme il l'expliquait plus tard, lors d'une campagne électorale, Étienne ressentit vivement les conséquences de la crise viticole et entra, en 1933, aux Coopérateurs du Midi à La Seyne comme employé. Il devint directeur du secteur B (succursale de l'arrondissement de Toulon). Rouge-Midi, le 30 juin 1934 annonçait son exclusion du Parti pour " attitude anticommuniste " ; il avait en effet sanctionné une employée indélicate. Pourtant, orateur en vue (il avait notamment porté la contradiction à Montagnon à Draguignan, en janvier 1934), Étienne, comme délégué de la CGPT, continuait à participer à des réunions publiques, le plus souvent hors du département. Pendant les élections cantonales, en septembre-octobre, il aida le candidat communiste dans le canton de La Seyne et fut réintégré rapidement dans le Parti. Le 5 mai 1935, Étienne figurait sur la liste communiste aux élections municipales de La Seyne qui assura, par son retrait, la victoire de la liste sortante présentée par la SFIO au deuxième tour. Dès la formation à La Seyne du comité de lutte antifasciste (Amsterdam-Pleyel), Étienne en devint le secrétaire adjoint. Le 14 juillet 1935, Étienne, en tant que président du comité du Rassemblement populaire, parla à la grande manifestation unitaire du stade de La Canourgue. Pendant l'été, il représentait le Parti communiste dans une tournée organisée en commun avec la SFIO dans les villages de l'ouest varois. Lors de sa réélection à la présidence du comité de Front populaire de La Seyne, le 15 janvier 1937, Étienne dut toutefois s'engager à ne plus mentionner cette responsabilité quand il parlait dans des réunions communistes.

Étienne fut chargé de soutenir la candidature de Charles Gaou dans la circonscription de Brignoles en 1936. Cette mission lui avait été confiée en raison de sa spécialisation dans les questions agraires et en raison de la candidature du socialiste SFIO Lamarque (voir ce nom), adjoint au maire de La Seyne. Étienne pouvait donc critiquer en connaissance de cause la gestion socialiste de ce concurrent.

Suite logique de cette campagne, Étienne anima de nombreuses réunions organisées par la CGPT dans cette région. Le 26 juin 1938, il fut nommé secrétaire général du comité paysan créé lors du rassemblement de Brignoles. Il avait été aussi candidat communiste pour le conseil général dans le canton de Cotignac ; ce choix était une des tentatives faites par le Parti communiste pour surmonter les conséquences de la crise qui le traversait dans ce canton. Le 10 octobre 1937, il obtint 231 voix sur 1 780 inscrits et se désista pour le candidat socialiste SFIO. Sa profession de foi ne faisait pas allusion à son nouvel emploi et le présentait comme un " tout petit propriétaire [...] chassé de la terre par la crise viticole ".

Étienne n'avait pas été candidat pour la présidence du comité de Front populaire de La Seyne, le 5 février 1938. Devenu membre du bureau régional du Parti communiste, il participa les 23 et 24 juillet 1938 au congrès de l'Union départementale de la CGT et y critiqua les dirigeants " réformistes ".

Candidat de principe, sans avoir mené de campagne, Étienne avait obtenu 8 voix sur 458 inscrits dans l'élection complémentaire pour le conseil général dans le canton de Comps, le 7 août 1938, (l'année précédente, le candidat communiste avait réuni 6 voix).

Lors de l'élection complémentaire pour le conseil général en 1939 dans le canton de Sollies-Pont, Étienne représenta le Parti communiste et obtint, le 9 janvier, 222 voix sur 1 722 inscrits ; il se désista pour le candidat socialiste SFIO.

Lors de la réunion du Comité de défense paysanne, le 30 juillet 1939, Étienne fut chargé de répondre au questionnaire national sur l'agriculture pour les questions des ouvriers agricoles, de la viticulture et des différentes cultures.

Dès le début de la guerre, Étienne fut licencié des Coopérateurs du Midi, pour son appartenance au Parti communiste.

Inscrit au Carnet B, Étienne ne fut pas mobilisé en raison de ses charges familiales. Le décret du 18 novembre 1939 le désignait parmi les trente Varois, " individus dangereux pour la défense nationale à interner au centre de surveillance de Saint-Maximin ". Étienne resta quelques semaines encore à La Seyne ; après de nombreux interrogatoires par la police, le 19 mars 1940, le commissaire spécial de Toulon demanda son internement. Arrêté le 21 juin 1940, après un séjour à la prison maritime de Toulon, il fut transféré en Algérie, puis ramené en France et interné, en septembre 1940, au centre de séjour surveillé de Chibron (commune de Signes dans le Var). Lors d'une permission à La Seyne, la police signala qu'il avait rencontré certains de ses camarades communistes. Transféré au camp de Fort-Barraux (Isère), le 15 février 1941, l'autorité préfectorale refusa sa libération, demandée le 26 novembre 1941 par son épouse révoquée de l'enseignement, pour qu'il puisse, selon elle, cultiver sa propriété du Beausset. En novembre 1942, Étienne fut envoyé au camp de Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn) où il occupa des responsabilités dans l'organisation clandestine du Parti. Enfermé à la Prison de Toulouse où il rédigea le journal intérieur créé par les prisonniers, il fut transféré dans la citadelle de Sisteron (Basses-Alpes) d'où il s'évada le 8 juin 1944 pour rejoindre les FTPF de la Drôme. Il s'occupa alors essentiellement de tâches d'intendance.

Le 14 septembre 1944, la Fédération communiste du Var le rappelait pour lui confier la rédaction départementale du quotidien Rouge-Midi. Il était aussi délégué aux questions militaires du Front national dans le département. Au congrès des comités de Libération, le 9 décembre 1944, Étienne traita de l'Union des ouvriers et des paysans. Il fut violemment pris à partie par des délégués qui reprochaient aux paysans de s'être livrés au marché noir. Toutefois, son rapport traçait les grandes lignes de la reprise de l'agriculture varoise. Membre du bureau fédéral jusqu'en 1946, Étienne devint, après la disparition de Rouge-Midi, le rédacteur en chef de l'hebdomadaire communiste, Liberté varoise entre 1947 et 1949, après un séjour de mai 1946 à la fin de 1947 à la rédaction parisienne du journal La Terre. Il était le trésorier adjoint du syndicat des journalistes en 1946 et membre du comité directeur provisoire des Combattants de la liberté. Correspondant de La Terre, il entra dès sa création au quotidien communiste Le Petit Varois comme rédacteur. Il y signait souvent ses articles sous le pseudonyme " Figue et noix ".

Étienne joua un rôle actif dans la réorganisation du Parti communiste à la Libération. Selon Le Var Libre du 15 octobre 1944, il présidait la réunion où se reconstitua la section toulonnaise qui regroupait les quartiers est.

Délégué au congrès national de Paris (26-30 juin 1945), Étienne " viticulteur ", en raison de ses connaissances agricoles, figura en dernière position sur la liste " communiste et d'union républicaine et résistante " dans le Var pour les élections à l'Assemblée nationale constituante, le 2 juin 1946 ; cette liste obtint 59 747 voix sur 218 263 inscrits.

Il fut aussi candidat d'" Union républicaine et résistante antifasciste " dans le canton de Fayence en 1951. Le 7 octobre, il obtenait 447 voix sur 3 122 inscrits. Arrivé en troisième position, il se maintenait et ne recueillait plus que 411 voix au tour suivant, le candidat socialiste SFIO étant élu.

Membre du comité fédéral du Parti communiste de la Libération jusqu'en 1968, Étienne devait prendre sa retraite de journaliste en 1964. Il participa aux rétrospectives historiques dans la presse communiste locale et contribua à la plaquette anniversaire éditée par la Fédération du Var du Parti communiste en 1970. En 1971, il était le directeur de la publication du mensuel des sections toulonnaises du Parti communiste, Toulon d'aujourd'hui à demain. Il était en 1973 secrétaire de la cellule du quartier Vert-Coteau à Toulon et participait à l'activité de diverses organisations (Mouvement de la Paix, Secours populaire, etc.).

Victor Étienne était marié et père de trois enfants.

SOURCES : Arch. Nat. F7/13 085, 13107 ; 13118, 13123, 13164. - Arch. Dép. Var, 2 M 3.49, 2 M 3.50 ; 2 M 5.281, 2 M 5.282 ; 2 M 5.293 ; 2 M 5.295 ; 2 M 5.296 ; 2 M 7.35.3 ; 4 M 50 ; 4 M 55.2, 4 M 59.4.1 ; 4 M 59.4.2, 4 M 59.4.3 ; 4 M 59.4.4 ; 7 M 12.2 ; 18 M 13 ; 18 M 43 ; 3 Z 2.6 ; 3 Z 2.10, 3 Z 2.12 ; 3 Z 4.22 ; 3 Z 4.29. 3 Z 4.30. - Archives privées : fonds Pierre Fraysse. - V. Étienne, La crise vinicole, Toulon, 1930 ; 1920-1970. PCF Souvenirs de vétérans varois du Parti communiste français, Toulon 1970. - Presse locale. - Sources orales. - Renseignements communiqués par l'intéressé, par son neveu Monsieur V. Étienne, par J.-M. Guillon et par J. Garcin.