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Archives familiales : Répertoire
lyrique
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LA
BOHEME
OPÉRA en 4
ACTES
- Livret
italien de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica
- d'après
le feuilleton, la comédie et le roman d'Henry Murger
Scènes de la vie de Bohème
(1845-1851)
Musique de Giacomo
PUCCINI
- Ouvrage
créé au Teatro Regio de Turin le 1er février
1896. Milan (Scala), 15 mars 1897.
- Manchester,
22 avril 1897 (version anglaise de W. Grist et P.E. Pinkerton).
- Londres
(Covent Garden), 5 octobre 1897 (version anglaise).
- Los Angeles,
14 octobre 1897.
- Paris
(Opéra-Comique), 13 juin 1898 (version française de
Paul Ferrier).
- New York
(Metropolitan Opera), 26 décembre 1900.
- Vienne
(Hofoper), 25 novembre 1903.
Distribution,
rôles, voix
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Artistes
à la création (Turin,
1896)
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- RODOLFO,
poète
(ténor)
- MARCELLO,
peintre (baryton)
- COLLINE,
philosophe (basse)
- SCHAUNARD,
musicien (baryton)
- MUSETTA,
une grisette (soprano)
- MIMI,
une cousette (soprano)
- BENOIT,
le propriétaire (basse)
- ALCINDORO,
conseiller d'État, admirateur de Musette
(basse)
- PARPIGNOL,
marchand de jouets ambulant
(ténor)
- UN
SERGENT DES DOUANES (basse)
|
- E.
Gorga
- T.
Wümant
- A.
Pini-Corsi
- M.
Mazzara
- C.
Pasini
- C.
Ferrani
|
- Chef
d'orchestre : Arturo TOSCANINI
|
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Distribution,
rôles, voix
|
Artistes
à l'Opéra-Comique de Paris
(1898)
|
- RODOLPHE,
poète
(ténor)
- MARCEL,
peintre (baryton)
- COLLINE,
philosophe (basse)
- SCHAUNARD,
musicien (baryton)
- MUSETTE,
une grisette (soprano)
- MIMI,
une cousette (soprano)
- BENOIT,
le propriétaire (basse)
- SAINT-PHAR,
conseiller d'État, admirateur de Musette
(basse)
- PARPIGNOL,
marchand de jouets ambulant
(ténor)
- UN
SERGENT DES DOUANES (basse)
|
- A.
Maréchal
- M.
Bouvet
- J.
Isnardon
- L.
Fugère
- J.
Tiphaine
- J.
Guiraudon
|
- Chef
d'orchestre : A. LUIGINI
|
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À Paris, au
Quartier latin, vers 1840
Résumé
- ACTE
I. Quatre compagnons de bohème - Rodolphe le
poète, Marcel le peintre, Schaunard le musicien et Colline
le philosophe - partagent une mansarde au Quartier latin. C'est le
soir de Noël et Schaunard a gagné un peu d'argent. Ils
partent réveillonner, à l'exception de Rodolphe qui
doit terminer un article. Il fait alors la connaissance de sa
voisine Mimi, venue chercher du feu pour sa bougie, et ils tombent
amoureux l'un de l'autre. Après un duo passionné,
ils rejoignent les trois autres compagnons au café
Momus.
ACTE
II. Le Quartier latin connaît une animation intense. A
la terrasse du café, Marcel reconnaît son ancienne
amie, Musette, devenue la maîtresse d'un riche vieillard,
Alcindoro. Mais Musette a vite fait de reconquérir Marcel
et de se débarrasser d'Alcindoro auquel elle laisse
l'addition.
ACTE
III. A l'aube, près de la barrière d'Enfer, l'un
des octrois de Paris. Les relations au sein des deux couples sont
devenues orageuses. Mimi vient se confier à Marcel : la
jalousie de Rodolphe rend leur vie impossible. Rodolphe avoue
à Marcel son intention de quitter Mimi : elle est atteinte
de phtisie et, si elle continue à vivre dans une telle
misère, elle ne survivra pas. Mimi, qui a assisté,
cachée, à leur entretien, se résigne à
leur séparation. Ils se font leurs adieux pendant que
Marcel et Musette, après une nouvelle querelle,
décident de se quitter à leur tour.
ACTE
IV. Les bohèmes ont repris leur vie dans la mansarde ;
Rodolphe et Marcel évoquant leurs amours, Colline et
Schaunard cherchant à les distraire par des
facéties. Musette amène Mimi, proche de l'agonie :
ils tentent de la sauver en vendant quelques objets
précieux pour payer le médecin, mais il est trop
tard. Elle expire dans les bras de Rodolphe.
*
Durée de l'ouvrage : entre 1 h 40 et 1 h 50
Version
française de Paul Ferrier.
CATALOGUE DES
PRINCIPAUX MORCEAUX
-
ACTE
PREMIER
- La
mansarde
-
- Une large
baie à droite, en oblique ; au-delà les toits, un ou
deux arbres dépouillés de feuilles. A droite, au
premier plan, la cheminée sans feu. A gauche, premier plan,
une petite porte : au-dessus un lit à demi caché par
un paravent : le mur à gauche, également en oblique.
Au fond, la porte d'entrée.
- Une armoire,
une table avec des livres et des liasses de
papier.
- Deux
chandeliers ; près de la baie, un chevalet sur lequel une
toile ébauchée, représentant le Passage de la
mer Rouge. Un escabeau ; quatre chaises.
-
SCÈNE
PREMIÈRE
- Rodolphe,
rêveur, regarde par la fenêtre, Marcel travaille
à son tableau, soufflant par moments dans ses doigts que le
froid engourdit.
MARCEL
- Cette mer Rouge me
glace et me dégoûte
- Et pleure dans mon
giron
- Goutte à goutte
!
- Pour me venger, je noie
un Pharaon !
- Et toi ?
RODOLPHE
- Moi, dans le ciel
gris
- Je vois
s'épandre la brume
- Dont
s'enfume
- Paris...
- Tandis que notre
vieille
- Cheminée est
là, qui bâille et sommeille,
- Oisive et vaine autant
qu'un gros rentier !
MARCEL
- Au mépris du
charbonnier
- Elle n'a pu survivre
!
RODOLPHE
- Le pauvre bois
prisonnier,
- Que fait-il sous le
givre ?
MARCEL
- Rodolphe, écoute
bien,
- Car cette pensée
est profonde
- Il fait un froid de
chien !
RODOLPHE
- S'il faut, Marcel, que
j'y réponde,
- Je ne crois plus,
ô peuple, à ta sueur !
MARCEL
(abandonnant sa peinture)
- Mes doigts sont gourds,
ô douleur !
- Comme si, sous sa
chemisette,
- Je touchais ce
glacier
- Qu'est le cœur de
Musette !
RODOLPHE
- L'amour est un
foyer
- Où la flamme
brille...
MARCEL
- ... Trop vite
!
RODOLPHE
- Où l'homme est
le fagot !
MARCEL
- Et le chenet, la femme
!
RODOLPHE
- L'un brôle dans
un souffle !
MARCEL
- L'autre est là
qui se pâme !
RODOLPHE
- En attendant on
gèle...
MARCEL
- ... Et ce, faute de
braise
RODOLPHE
- Qu'allons-nous faire
?
MARCEL
(prenant une chaise pour la briser)
- Attends !... Immolons
cette chaise !
RODOLPHE
(s'élance pour arrêter le geste de
Marcel)
- Euréka
!
MARCEL
- Tu trouves mieux
?
RODOLPHE
- Oui ! Sur le monde
ébloui
- Que l'art
déverse sa flamme !
MARCEL
(montrant son tableau)
- Brûlons la mer
Rouge !
RODOLPHE
- Non !
- De la toile peinte, fi
donc !
- Mais mon drame
!
- J'y mis tout le feu de
mon âme
MARCEL
(avec un effroi comique)
- Tu voudrais me le lire,
ô mes aïeux !
RODOLPHE
- Non ! mais que le
papier retourne en cendre,
- Et ma verve remonte aux
Cieux !
(Avec
emphase)
- Quel deuil sur nous
semble descendre !
- Mais Rome est en
péril !
MARCEL
- Grand cœur
!
RODOLPHE
(donnant à Marcel une partie du manuscrit)
- Prends ces quelques
pages !
MARCEL
- Vrai ?
RODOLPHE
- Prends donc
!
MARCEL
- Allume.
(Il bat le briquet,
allume une chandelle et jette dans l'âtre le cahier
enflammé. Tous deux s'asseyent au coin de la
cheminée et se réchauffent avec
volupté)
RODOLPHE
et
MARCEL
- Ô douce chaleur
!
(Il ouvre avec fracas
la porte du fond ; entre Colline transi de froid, battant la
semelle ; il jette avec humeur, sur la table, un paquet de livres
noués dans un mouchoir)
SCÈNE
2
COLLINE
- Du jugement dernier
paraissent les présages !
- Ma tante, au jour de
Noël, n'accepte pas les gages !
(Surpris)
Une flambée
?
RODOLPHE
- Eh ! oui ! parbleu
!
- C'est mon drame qu'on
donne...
MARCEL
- ... Au feu
!
COLLINE
- Mazette !
- Il est ardent
!
RODOLPHE
- Vif.
MARCEL
(voyant le feu diminuer)
- Mais court ! Une
allumette !
RODOLPHE
- Court, c'est un rare
éloge !
COLLINE
(prenant la chaise de Rodolphe)
- Poète, à
moi ta loge !
MARCEL
- Pressons l'entr'acte
pour ne pas
- Glacer la salle
!
RODOLPHE
(Jetant d'autres pages au feu)
- Acte deuxième
!
MARCEL
(à Colline)
Pauvre
poème !
(Le feu se
ranime)
COLLINE
- Quels vers
brûlants !
MARCEL
- ... Et délicats
!
RODOLPHE
- Dans l'azur
pâle
- Du feu qui
râle,
- Quelle
idéale
- Scène d'amour
!
COLLINE
- Un feuillet craque
!...
MARCEL
- Un baiser qui s'exhale
!
RODOLPHE
(Il jette au feu le reste du cahier)
- Et vite la suite, et
chauffe... le four !
COLLINE
- Tout beau
rêve
- Ainsi s'achève
!
ENSEMBLE
- La douce chaleur et le
joli feu !
MARCEL
- Grand Dieu
!
- Déjà
pâlit la flamme !
COLLINE
- Quel misérable
et piètre drame !
MARCEL
- Le feu blêmit,
languit et meurt !
COLLINE
et
MARCEL
- Au diable, au diable
l'auteur !
(Tout à coup,
par la porte du fond entrent deux gamins. L'un porte des
victuailles, des bouteilles, des cigares ; l'autre un fagot. Les
trois amis se précipitent sur ces approvisionnements et
tandis que Colline porte le fagot à la cheminée,
Marcel et Rodolphe disposent la nourriture sur la table. Les deux
gamins sortent. Le jour baisse graduellement)
COLLINE
- Cotrets !
MARCEL
- Cigares !
RODOLPHE
- Bordeaux !
ENSEMBLE
- D'où nous tombe
l'abondance ?
- D'où nous
viennent ces cadeaux ?
SCÈNE
3
SCHAUNARD
(entre triomphant et lance à terre quelque
écus)
- La Banque de
France
- Vous fait la
révérence !
COLLINE
(les ramassant avec Rodolphe, à Marcel)
- La chose est badine
!
MARCEL
(incrédule)
- Du plomb, j'imagine
!
SCHAUNARD
(lui montrant un écu)
- Quel homme ! Quel type
!
- Ce profil qu'on voit
?
RODOLPHE
(s'inclinant)
- C'est Louis-Philippe
!
- Salut à mon roi
!
ENSEMBLE
- Et voyez
- Louis-Philippe est
à nos pieds !
(Schaunard tente de
raconter son histoire, que les autres, occupés à
ranger les victuailles, n'écoutent pas)
SCHAUNARD
- Or De cet
or,
- Que dis-je
?
- De cet argent la source
est un prodige !
RODOLPHE
(mettant du bois au feu)
- Bourrons la
cheminée !
COLLINE
- Offrons-lui sa
toumée !
SCHAUNARD
(continuant)
- Un Anglais... un
milord... et du foin dans sa botte,
- Cherchait un musicien
!
MARCEL
(enlevant les livres de Colline et préparant la
table)
- Nous, mettons le
couvert, bien
- Vite !
SCHAUNARD
- ... J'y
trotte
RODOLPHE
- Où
- L' amadou ?
COLLINE
- Là !
MARCEL
- Prends !
SCHAUNARD
- ... Je me
présente ! On tope ! Je demande...
COLLINE
(déballant les victuailles)
- Rôti froid
!
MARCEL
(même jeu)
- Pâté de
viande !
SCHAUNARD
- ... Quand commencent
les leçons
- Il répond :
« Commençons ! »
- Me montre un perroquet
perché sur son balcon,
- Et conclut : «
Vous jouez jusqu'à ce
- Que lui trépasse
! »
RODOLPHE
(éclairant les chandelles)
- De mille feux que la
table étincelle !
SCHAUNARD
- Marché conclu
!
- Trois jours entiers,
j'ai dû.
MARCEL
(allumant 10 chandelles et les posant sur la table)
- Une
chandelle
COLLINE
- Pas de vaisselle
?
SCHAUNARD
- Maestro
famélique !
- Faire de la
musique,
- Mais ma grâce
savante
- Sut toucher la servante
!
MARCEL
- Manger, ô ciel
!
- Sans nappe
!
RODOLPHE
(sortant un journal de sa poche)
- Une idée
!
MARCEL
et COLLINE
- Le Constitutionnel
!
RODOLPHE
- C'est double
fête
- On soupe et l'on
dévore la gazette !
SCHAUNARD
- De persil l'on fit un
bouquet !
- Là mon astuce
éclate !
- Jacquot crispa sa
patte,
- Jacquot fit un hoquet !
...
- De la mort de
Socrate
- Mourut le perroquet
!
(Il saisit Colline
par le bras)
COLLINE
- Ouais !
SCHAUNARD
- Que tous trois le
diable vous emporte,
- Pour vous attabler de
la sorte !
- Qu'alliez-vous faire,
Dieu me damne ?
- Avec
sagesse,
- Pour les jours de
détresse
- Gardons cette manne
!
- Souper chez soi la
veille de Noël,
- Quand le Quartier
latin, plus sensuel,
- Exhibe boudins et
saucisses,
- Dont les fritures
tentatrices,
- Font à la
gourmandise appel !
TOUS
- C'est la veille de
Noël !
SCHAUNARD
- La jeunesse va
souriante,
- Chaque étudiant
promène une étudiante !
- De la religion et
confessez vos torts !
- On boit au logis... on
soupe au-dehors.
(Rodolphe ferme la
porte à clef, puis ils vont tous à table et se
versent du vin ; on frappe à la porte : tous
s'arrêtent stupéfaits)
SCÈNE
4
BENOIT
(du dehors, frappant)
- Peut-on entrer
?
MARCEL
- Qui ça
?
BENOIT
(du dehors)
- Benoît.
MARCEL
- Le patron de la
boîte
SCHAUNARD
- Il vient !... Il ose
?...
COLLINE
(criant)
- Tant pis !... la
porte...
SCHAUNARD
- ... Est close
!
BENOIT
(du dehors)
- Un mot, de grâce
!
SCHAUNARD
(ouvrant après avoir consulté les autres du
regard)
- Soit !
- Un seul !
BENOIT
(entre et tendant un papier à Marcel)
- Quittance ?
MARCEL
(empressé)
- Holà ! et vite
un siège !
RODOLPHE
- Vite !
BENOIT
(à part)
- Ceci cache un
piège !
SCHAUNARD
(sous des airs doucereux, le faisant asseoir)
- Voici !
MARCEL
- Un verre ?
(Il lui verse un
verre de vin)
BENOIT
- Merci !
RODOLPHE
et
COLLINE
- On trinque !
(Ils boivent tous.
Benoît dépose son verre puis se tourne vers Marcel en
lui montrant le papier)
BENOIT
- Le loyer de ce
trimestre.
MARCEL
(d'un air ingénu)
- Mais, sans faute
!
BENOIT
- En ce
cas...
SCHAUNARD
(l'interrompant)
- Buvez, notre hôte
!
(Il remplit les
verres)
BENOIT
- Merci !
LES
QUATRE
(trinquant avec Benoît)
- A Benoît, notre
hôte !
BENOIT
(continuant)
- ... Parce que vous
m'avez promis, l'autre trimestre, sans remise...
MARCEL
(lui montrant les écus sur la table)
- Comment donc !... Chose
promise...
RODOLPHE
(bas à Marcel)
- Eh ! là
!...
SCHAUNARD
(bas)
- La caisse ?
MARCEL
(continuant, à Benoît)
- Vous avez vu ?... Mais
avec des amis
- Volontiers on devise
!
- Quel âge
avez-vous donc, mon cher monsieur Benoît ?
BENOIT
(à part)
- Messieurs, par
charité.
RODOLPHE
- Vingt-neuf ans
révolus ?
BENOIT
(protestant)
- Bien plus, messieurs !
bien plus !
(Tout en le faisant
causer, les uns et les autres remplissent son verre aussitôt
qu'il l'a vidé)
COLLINE
- Mettons donc quarante
ans !
MARCEL
(à demi-voix)
- L'autre soir, à
Mabille,
- Votre vertu
fragile,
- Paraît-il,
succomba !
BENOIT
(inquiet)
- Moi ?
MARCEL
- On vous vit en
quête
- De conquête
!
- Niez !
BENOIT
(un peu pris de boisson)
- Eh ! eh !
MARCEL
(flatteur)
- Belle fille
!
BENOIT
(fat)
- Très belle
!
SCHAUNARD
(aimable, lui tapant sur l'épaule)
- Pendard !
RODOLPHE
- Coureur...
COLLINE
(lui tapant sur l'autre épaule)
- ... De ruelle
?
SCHAUNARD
- Quel gaillard
!
RODOLPHE
- ... Égrillard
!
MARCEL
(avec magnificence)
- Un vrai chêne !
Un canon !...
RODOLPHE
- Quelque sirène
?
MARCEL
- Brune aux cheveux
d'ébène !
- Monsieur Benoît
fait la fête à Mabille !
SCHAUNARD
- Farceur !
BENOIT
- J'ai l'âme
toujours juvénile !
COLLINE,
SCHAUNARD ET RODOLPHE
- Monsieur Benoît
fait la fête à Mabille !
MARCEL
- La beauté sourit
à son vainqueur !
BENOIT
(enhardi)
- Autrefois trop
candide,
- Plus mûr, je me
déride !
- Tiens, tiens, une
donzelle aimable... et brune ou blonde...
- Un peu... quoi ? pas
une baleine,
- Ni non plus une
mappemonde,
- Ni de la
pleine
- Lune la face
ronde
- Mais maigre... non !
Vraiment maigre...
- Non ! non !
- La maigre est une
guenon
- Rageuse et
bête...
- Et pas toujours
honnête !
- Mi-fiel et mi-vinaigre
!...
- Ainsi ma femme est
maigre !...
MARCEL
(donne un grand coup de poing sur la table et se lève ; les
autres l'imitent ; Benoît les regarde
éberlué)
- Sa femme ! Cet affreux
coureur
- Est donc marié
!
LES
AUTRES
- Quelle horreur
!
RODOLPHE
- Il souille la
candeur
- De notre chaste toit
!
SCHAUNARD
ET COLLINE
- Pouah !
MARCEL
- Quel scandale ! Quelle
audace !
COLLINE
- Hors d'ici, monsieur
Benoît !
SCHAUNARD
(majestueux)
- Au nom de la morale, je
vous chasse !
BENOIT
- Un mot...
LES
AUTRES
- Silence !
BENOIT
- Mes bons
messieurs...
TOUS
- Silence ! à la
porte ! et filez droit !
- Et tous nos compliments
à madame Benoît
(Ils le poussent
dehors et ferment la porte à son nez en
riant)
SCÈNE
5
MARCEL
(fermant la porte)
- Et voilà ma
façon de payer la quittance !
SCHAUNARD
- Mais « Momus
» nous attend tous au Quartier latin !
MARCEL
- En
conséquence...
SCHAUNARD
- ... Partageons le butin
!
(Ainsi
fait)
MARCEL
(conduisant Colline devant la glace de la
cheminée)
- Mire ces attraits et ce
poil châtain !
- D'un marchand de crins
on dirait l'enseigne !
- Ours, fais l'achat d'un
peigne !
COLLINE
- Au perruquier je
daigne
- Confier l'orbe exquis
de mon visage
- Et d'un ridicule
rasoir
- Je subirai l'outrage
!
- Allons !
MARCEL,
SCHAUNARD ET COLLINE
- Allons ! partons
!
RODOLPHE
- J'enrage !
- Mais j'ai ma chronique
à revoir
- De mon journal Le
Castor !
MARCEL
- Fais donc
vite
RODOLPHE
- Pardieu ! je connais le
métier !
COLLINE
- Nous t'attendrons en
bas chez le portier !
MARCEL
- Sois bref comme Tacite
!
SCHAUNARD
- Et coupe ras la queue
à ton Castor !
(Rodolphe ouvre la
porte et éclaire leur sortie)
MARCEL
(au-dehors)
- Pas de rampe ! empoigne
la corde !
RODOLPHE
(sur le pas de la porte)
- Prends garde
!
COLLINE
(au-dehors)
- Miséricorde
!
SCHAUNARD
Satané
corridor !
(On entend le bruit
d'une chute)
COLLINE
- Sacrelotte
!
RODOLPHE
(à la cantonade)
- Es-tu mort,
Colline
COLLINE
(d'en bas)
- Pas encor !
MARCEL
(d'en bas)
- En route !
SCÈNE
6
-
Rodolphe ferme la
porte, pose son chandelier sur la table, apporte un encrier et du
papier ; il s'assied, éteint la seconde chandelle, commence
d'écrire, et ne trouvant pas, il froisse et jette son
papier.
-
RODOLPHE
Ça ne vient
guère !
(On frappe
timidement, au fond)
Entrez !
MIMI
(du dehors)
- Pardon !
RODOLPHE
- Une femme !
MIMI
- S'il vous plait ! je
suis sans lumière.
RODOLPHE
(ouvrant la porte)
- Voilà
!
MIMI
(sur le seuil, une chandelle éteinte d'une main, de l'autre
sa clé)
- J'ai honte
!
RODOLPHE
- Non ! Mais entrez donc,
madame !
MIMI
- Pas la peine
!
RODOLPHE
(insistant)
- J'insiste ! entrez
!
MIMI
(elle entre et chancelle)
- Ah !
RODOLPHE
- Vous souffrez
?
- Dites ?
MIMI
- Non ! non ! rien
!
RODOLPHE
(à part)
- Comme elle est
pâle !
MIMI
(suffoquée par la toux)
- Six étages ! Une
échelle !...
(Elle
s'évanouit. Rodolphe la soutient et la fait asseoir. Le
chandelier et la clé ont échappé de ses
mains)
RODOLPHE
(embarrassé)
- Mon Dieu ! que faire ?
Mon Dieu !
-
- (Il prend de l'eau
et humecte le front de Mimi)
-
- A-t-elle l'air
souffrant ! [Dans ses traits, quelle angoisse
!]
- Ça passe-t-il un
peu ?
-
- (Elle revient
à elle)
MIMI
(dans un souffle)
- Oui !
RODOLPHE
- Ce froid-là vous
glace !
(Il fait asseoir Mimi
près de la cheminée)
-
- Près du feu
prenez place !
- Et puis, j'y pense...
Un doigt de vin ?
(Il court vers la
table et la sert)
MIMI
- Merci
RODOLPHE
- Tenez
MIMI
- Une larme !
RODOLPHE
- Ceci ?
MIMI
- Merci
(Elle
boit)
RODOLPHE
(à part)
- La douce enchanteresse
! [Que de gentillesse]
MIMI
(reprenant son chandelier)
- Maintenant, donnez-moi
du feu, que je vous laisse ! [Maintenant, rallumez ma
chandelle, et je vous laisse !]
RODOLPHE
- Tant de presse ?
[Quoi, si vite ?]
MIMI
- Il le faut bien
!...
(Rodolphe lui donne
du feu)
Merci ! Bonne nuit
!...
RODOLPHE
- Bonne nuit !
(Elle sort puis
reparaît à la porte)
MIMI
- Oh ! sotte que je suis
! et tête sans cervelle ! [Ah ! la sotte ! la sotte ! la
tête sans cervelle !]
- La clef de ma chambre
?
RODOLPHE
- Oui... Mais rentrez
donc ! [Oui... Mais il faut rentrer]
- Le vent soufflerait la
chandelle !
(La chandelle de Mimi
s'éteint en effet)
MIMI
(sur le pas de la porte)
- Ah ! mon Dieu
!
- Encore un peu de feu
?
RODOLPHE
(s'empresse avec sa chandelle, mais, en arrivant à la
porte, elle s'éteint aussi ; obscurité dans la
chambre)
- Allons ! Adieu la
lumière !...
MIMI
- Et ma clef ?... Oh !
comment la ravoir ?
RODOLPHE
- ... Sans y voir.
(Mimi est
entrée à tâtons, elle trouve la table et y
dépose son chandelier. Ainsi fait Rodolphe, après
avoir fermé la porte. Tous les deux cherchent du pied qui
glisse sur le plancher)
MIMI
- Maladroite
!
RODOLPHE
- Il fait si noir
!
(Il se trouve
près de la porte et la ferme)
MIMI
(confuse)
- Bien sotte est votre
voisine ! [Importune est la voisine !]
RODOLPHE
- Mais non, certes
!
MIMI
(confuse)
- Importune est la
voisine !
RODOLPHE
- J'imagine qu'on n'en
croit rien !
MIMI
- Cherchons !
RODOLPHE
(trouve la clef et la met dans sa poche)
- Je cherche.
- Ah !
MIMI
- C'est ma clé
?
RODOLPHE
- Non !
MIMI
(un peu incrédule)
- Peut-être
?
RODOLPHE
- J'en fais serment
!
MIMI
- Vraiment ?
RODOLPHE
- Vraiment !
(Il feint de
chercher, mais guidé par la voix et les pas de Mimi, il
essaye de s'approcher d'elle. Mimi penchée cherche toujours
à tâtons : à ce moment Rodolphe est
près d'elle et se baisse aussi, sa main rencontre celle de
Mimi)
MIMI
(surprise)
- Ah !
RODOLPHE
(tenant la main de Mimi, la voix pleine
d'émotion)
- Votre main
est glacée,
- Dans mes
mains réchauffez-la !
- La nuit est
sombre !
- Que sert de
chercher dans cette ombre ?
- Mais dans
la brune,
- Puisque de
la lune,
- L'heures'approche
où la clarté ruisselle,
- Laissez,
mademoiselle,
- Que je vous
dise en quelques mots ce que je suis,
- Ce que je
fais, comment je vis !...
- En amis, on
fait la causette !
- Eh bien,
voilà : Je suis poète !
- Quelle est
ma tâche ? J'écris !
- Quelle est
ma vie ? Je vis !
- Ma
gaieté pour compagne,
- Je chante,
nuit et jour,
- Mon hymne
au dieu d'amour !
- Vers mes
châteaux d'Espagne,
- Galions ou
Toison d'or,
- Mon
rêve prend son essor !
- Parfois,
dans ma mansarde,
- Un voleur
se hasarde :
- Un doux
regard de femme !
- Or, vous
voici, madame,
- Et tel est
votre empire
- Que du
premier sourire
- Vous avez
pris mon cœur !
- Mais je
bénis ma chance,
- Et dans vos
yeux je fis d'avance
- De mon
bonheur
- La douce
espérance !
- Et
maintenant, voisine, et comme
récompense,
- Faites-moi
votre confidence
- A votre
tour !
|
- Que cette
main est froide,
- Laissez-moi
la réchauffer
- Il fait
trop sombre !
- Pourquoi
chercher dans l'ombre ?
- Mais de la
lune,
- Perçant
la nuit brune,
- En
attendant que la clarté ruisselle,
- Laissez,
mademoiselle,
- Qu'en deux
mots je vous dise ce que je suis,
- Et comment
se passe ma vie
- Dites
?
- Eh bien,
voilà : Je suis poète !
- Quelle est
ma tâche ? J'écris !
- Quelle est
ma vie ? Je vis !
- Ma
gaieté pour compagne,
- Je chante,
nuit et jour,
- Mon hymne
au dieu d'amour !
- Vers mes
châteaux d'Espagne,
- Galions ou
Toison d'or,
- Mon
rêve prend son essor !
- Parfois,
dans ma mansarde,
- Un voleur
se hasarde :
- Un doux
regard de femme !
- Or, vous
voici, madame,
- Et tel est
votre empire
- Que du
premier sourire
- Vous avez
pris mon cœur !
- Mais je
bénis ma chance,
- Je vois
luire en vos yeux d'avance
- L'espérance
!
- Mais pour
ma récompense,
- Chère
voisine,
- Faites-moi
votre confidence
- A votre
tour !
|
MIMI
- Oui
!
- On
m'appelle Mimi !
- Mais mon
nom est Lucie !
- Et que
simple est ma vie !
- Sans
famille,
- Je fais des
travaux d'aiguille,
- Dès
le matin.
- Brodant sur
du satin
- Des lis et
des roses !
- J'aime
toutes ces choses
- Dont le
charme caresse,
- Qui vous
parlent d'amour, de printemps, de
jeunesse,
- Qui sont
chimère, et songe, et fantaisie,
- Et que d'un
mot vous nommez poésie !
- Je suis
folle !...
RODOLPHE
- Non ! non !
parlez, mademoiselle !
MIMI
- C'est Mimi
qu'on m'appelle
- Et je ne
sais pourquoi ?
- Seule chez
moi,
- Je me fais
la dînette... Je vais peu
- A la messe,
mais je prie le bon Dieu !
- Je vis
toujours seulette,
- Entre les
murs de ma chambrette,
- Tout
près de ce ciel où j'aspire
- Mais quand
revient le soleil,
- J'ai son
premier sourire !
- J'ai, dans
un souffle du zéphyr,
- Le premier
baiser de l'Avril vermeil !
- Parfois ma
fenêtre est fleurie,
- C'est ma
coquetterie ;
- Il est si
doux, le parfum d'une fleur !
- Et les
fleurs que je brode, hélas ! n'ont pas d'odeur
!
- Que vous
dirai-je encore qui me soucie ?
- Je suis
une
- Voisine
importune,
- Qu'il faut
renvoyer... sans rancune !...
|
MIMI
- Oui
!
- On
m'appelle Mimi !
- Mais mon
nom est Lucie !
- Et que
simple est ma vie !
- Dès
le matin
- Je fais des
travaux d'aiguille,
- Dans la
soie
- Et le
satin
- Je brode
des lis, des roses !
- J'aime
toutes ces choses
- Dont le
charme caresse,
- Qui vous
parlent amour, printemps, jeunesse,
- Qui sont
chimère, et songe, et fantaisie,
- Ce qui pour
vous s'appelle poésie !
- Je suis
folle !...
RODOLPHE
- Non
!
MIMI
- On
m'appelle Mimi !
- Et pourquoi
? Je ne sais !
- Seule chez
moi,
- Je me fais
la dinette... Je vais peu
- A la messe,
mais je prie le bon Dieu !
- Je vis
toujours seulette,
- Entre les
murs de ma chambrette,
- Tout
près de ce ciel où j'aspire
- Mais quand
revient le soleil,
- J'ai son
premier sourire !
- J'ai le
premier baiser de l'Avril vermeil !
- Le premier
souffle du zéphyre,
- Parfois ma
fenêtre est fleurie,
- C'est ma
coquetterie ;
- Il est si
doux, le parfum d'une fleur !
- Mes fleurs
à moi, hélas !
- Fleurs que
je brode, hélas ! n'ont pas d'odeur
!
- Que vous
dirai-je encore qui me soucie ?
- Je suis une
voisine importune,
- Qu'il faut
quitter... sans rancune !...
|
LA VOIX
DE SCHAUNARD
(d'en bas)
- Ohé !
Rodolphe
COLLINE
- Rodolphe !
MARCEL
- Ohé ! Grand
lâche !
- Écoute
!
COLLINE
- Fichu
poète
SCHAUNARD
- Ta plume a la goutte
?
RODOLPHE
(ouvrant la fenêtre avec impatience et se penchant un peu
pour répondre à ses amis qui sont en bas dans la cour.
Un rayon de lune éclaire la chambre de sa clarté
pâle)
- C'est quelques lignes
que j'ajoute !
MIMI
(s'approchant de la fenêtre)
- Ce sont ?
RODOLPHE
- Mes amis !
SCHAUNARD
- Honte au paresseux
!
MARCEL
- Tu n'es pas seul sans
doute ?
RODOLPHE
- Non, de vrai, nous
sommes deux !
- Mais allez chez Momus !
Allez d'avance !
- Je vais faire diligence
!
MARCEL,
SCHAUNARD, COLLINE
(dont les, voix s'éloignent)
- Momus ! Momus ! Momus
!
- De l'amitié si
tu trahis la loi,
- C'est que la muse est
avec toi
- Momus ! Momus ! Momus
!
(Mimi se rapproche
encore de la fenêtre, comme enveloppée par la
lumière de la lune. Rodolphe la regarde
extasié)
RODOLPHE
- Ô douce jeune
fille, ange ou déesse,
- En te voyant dans ces
blanches clartés,
- Ah ! C'est ma
jeunesse
- Dont je vois refleurir
les songes exaltés !
- Du printemps c'est le
retour,
- L'ivresse est
suprême,
- C'est l'espoir, c'est
la foi, c'est le ciel même,
- Le plus divin
poème,
- Ce baiser, c'est
l'amour !
MIMI
- Ô douce extase
d'amour !
- Parlez, oh ! parlez
encore !
- Je vois comme une
aurore,
- Aube de feu qui me
dévore
- Des flammes de l'amour
!
(Rodolphe
l'embrasse)
MIMI
(se dégageant)
- Non, par pitié
!...
RODOLPHE
- Je t'aime !
MIMI
- On vous attend
là-bas !
RODOLPHE
- Que nous fait à
nous ?
MIMI
- Je voudrais... mais je
n'ose...
RODOLPHE
- Dis !
MIMI
(avec une charmante taquinerie)
- Si j'allais avec vous
?
RODOLPHE
- Quoi ? Mimi
?
- Ce serait si
doux
- De rester ici, porte
close !
MIMI
- Ah ! sortons quand
même
RODOLPHE
- Mais au retour
?
MIMI
(malicieuse)
- Curieux !
RODOLPHE
- Prenez mon bras, petite
!
MIMI
- J'obéis,
monseigneur !
RODOLPHE
- Tu m'aimeras
?
MIMI
(avec abandon)
- Je t'aime !
RODOLPHE
- Amour !
MIMI
- Amour !
- ACTE
II
-
- Le
réveillon au Quartier latin
-
- Un
carrefour. A droite, face au public, le café Momus ; devant
la façade une banne abritant des tables
supplémentaires. Maison au-dessus et à gauche. Au
fond, une rue perpendiculaire à l'avant-scène. Les
magasins ouverts et
éclairés.
- Un peu
partout, des étalages de marchands ambulants ; baraques ou
petites voitures à bras. A l'une des maisons, fenêtre
praticable. Rue transversale au-dessus du café Momus.
Magasins et boutiques ornés de lanternes de couleur et de
lampions. Un grand lampion à l'entrée du café
qui est plein de consommateurs. Une foule variée grouille
partout : bourgeois, soldats, servantes, enfants,
étudiants, grisettes. Quelques personnes attablées
à la terrasse du café.
- Va-et-vient
tout le temps de l'acte.
-
SCÈNE
PREMIÈRE
MARCHANDS
(dans la rue, à la porté des boutiques, au
café)
- Oranges ! Valence
!
- Nougats d'Alger
!
- Caramels de Provence
!
- Voyez, mesdames,
mitaines,
- Épingles,
chaînes !
-
- FEMMES
-
- Quel bruit
!
-
ÉTUDIANTS
ET GRISETTES
- Tenons-nous bien !
hâtons-nous !
BOURGEOIS
- Laissez passer
!
UNE
MÈRE
- Emma, quand je
t'appelle !
BOURGEOIS
- Quelle foule, nous
partons !
-
- (Au café
:)
- Holà ! Eh !
Garçon, par ici...
- Vite ! Bière ! -
Cognac !
- Un ratafia ! -
Garçon ! - Du café !
- Garçon
!
-
- SCÈNE
2
-
- Rodolphe et Mimi se
promènent dans la foule. Colline est près de la
boutique d'une ravaudeuse, Schaunard achète une pipe et un
cor de chasse à la boutique d'un revendeur. Marcel est
poussé au gré de la foule.
-
SCHAUNARD
(soufflant dans le cor)
- Il est faux, ce
ré !... Mais pipe et trompe, combien ?
COLLINE
- Vieille est
l'étoffe...
- Mais pour un philosophe
!...
RODOLPHE
- Viens.
MIMI
(à Rodolphe)
- Moi, je voudrais un
bonnet...
RODOLPHE
- Viens,
- Car ce n'est pas le
jour de se refuser rien !
MIMI
- Un bonnet
rose
- (Ils entrent chez
une modiste)
MARCEL
- Moi, je me sens en
veine de gaieté !
- Qui veut, belle
jeunesse, un peu d'amour ?
- Voyez, regardez, c'est
le dernier jour !
- Un sou mon coeur dans
sa virginité !
SCHAUNARD
- Voyez-moi donc cette
foule,
- Flot humain qui roule
!
- Le bourgeois
parisien
- En
goguette,
- Aime faire la
fête
- Qui ne lui coûte
rien !
COLLINE
(montrant un bouquin à Schaunard)
- C'est un exemplaire
unique
- De la syntaxe runique
!
SCHAUNARD
- Bouquiniste
!
MARCEL
- À table
!
SCHAUNARD
ET
COLLINE
- Mais Rodolphe
?
MARCEL
- Il est chez la
modiste.
(Rodolphe et Mimi
sortent de la boutique)
RODOLPHE
(à Mimi)
- Viens, nos amis nous
attendent.
MIMI
- Que ce joli petit
bonnet rose me plaît !
RODOLPHE
(à Mimi)
- Le rose sied si bien
aux brunes !
MIMI
(regardant l'étalage de la modiste)
- Vois ces belles boucles
d'oreilles !
RODOLPHE
- J'ai certain oncle
très riche
- Que j'hérite du
vieux chiche,
- Et je
t'achèterai, pour le moins, les pareilles.
ÉTUDIANTS
- Prenons rue
Mazarine.
FEMMES
- On étouffe !
rentrons !
BOURGEOIS
- Regarde ! Le
café est tout près.
ÉTUDIANTS
et GRISETTES
- Forçons le
blocus !
- Entrons chez Momus
!
RODOLPHE
(à Mimi)
- Qui regardes-tu donc
?
MIMI
- Tu es jaloux
?
RODOLPHE
- Pourquoi non
?
- Le bonheur ne fait-il
pas naître la jalousie ?
MIMI
- Tu es heureux
?
RODOLPHE
(la serrant dans ses bras)
- Oui ! bien heureux ! Et
toi ?
MIMI
- Bien heureuse !
(Mimi et Rodolphe
rejoignent leurs amis. Cependant Colline, Marcel et Schaunard
entrés au café Momus, sont ressortis, trouvant
toutes les places prises, et apportent une table sur la terrasse.
Un garçon les suit)
COLLINE
- Odi profanum
vulgus, comme Horace !
SCHAUNARD
- Moi, j'aime, autour de
moi, de l'air et de l'espace !
MARCEL
(au garçon)
- Une chère de
roi,
- ... Abondante et
choisie !
SCHAUNARD
- Choisie !
MARCEL,
SCHAUNARD et COLLINE
- Large !
LA VOIX
DE PARPIGNOL
(criant au loin)
- V'là la boutique
au papa Parpignol !
RODOLPHE
(arrivant avec Mimi à la table des amis, la première
à droite du public)
- Deux places
!
COLLINE
- Enfin, vous
voilà !
RODOLPHE
- Et voici Mimi, ma jolie
fleuriste !
- Le ciel qui nous
assiste
- Pour moi l'a bien
choisie !
- Si je suis le
poète, elle est la poésie.
- De mon cerveau les vers
jaillissent,
- Entre ses doigts les
lis fleurissent,
- Et dans nos deux coeurs
qui s'unissent
- Règne l'amour
!
MARCEL
(riant)
- Ah ! ah ! le madrigal
est rare !
COLLINE
- Digna est intrare
!
SCHAUNARD
- Ingrediat si
necessit !
COLLINE
- Moi, j'accorde un
accessit !
(Parpignol
débouche de la rue transversale, poussant une voiture
à bras, ornée de fleurs et de lampions, avec des
jouets de toute sorte dedans. Des enfants le suivent admirant les
jouets)
LA VOIX
DE PARPIGNOL
(criant)
- V'là la boutique
au papa Parpignol !
COLLINE
(au garçon, avec emphase)
- Approche !
LES
ENFANTS (sautant
autour de la voiture)
- Parpignol ! Parpignol !
Voilà Parpignol !
- La boutique à
treize sols !
- Je veux la boîte
de soldats !
- La chèvre ! le
dada !
- Moi le tambour ! Moi le
canon !
- La poupée ! Le
clairon !
SCHAUNARD
(commandant le souper au garçon)
- Cerf en
broche
MARCEL
- Dindon !
SCHAUNARD
- Vin du Rhin
!
COLLINE
- Clos Suresne
!
SCHAUNARD
- Homard à
l'américaine !
(Les mères
accourent aux cris des enfants)
LES
MAMANS
(rattrapant leurs enfants)
- Les polissons ! La
satanée marmaille !
- Mais voyez-moi comme
c'est donc canaille !
- Assez courir la foule
et les baraques !
- Rentrez chez nous ou
vous aurez des claques !
- Eh ! vite ! les mioches
!
- Vite ou sinon, gare aux
taloches !
-
- (Les enfants ne
veulent pas s'en aller; l'un fond en larmes; sa mère
l'attrape par l'oreille et il se met à crier en
réclamant les instruments de musique de Parpignol. Les
mères, attendries, finissent par en acheter. Parpignol s'en
va par la rue de l'Ancienne Comédie, suivi par les enfants
qui font un énorme vacarme avec leurs tambours, tambourins
et trompettes)
LES
ENFANTS
- La trompette ! - Le
mouton !
- La poupée ! - Le
canon !
- Parpignol ! Parpignol
!... La chèvre !... Le clairon !
RODOLPHE
(bas à Mimi)
- Toi, Mimi, que veux-tu
?
MIMI
- De la crème
!
SCHAUNARD
(au garçon)
- Eh, garçon
!
- Un service qui fasse
honneur à la maison !
SCÈNE
3
MARCEL
(à Mimi avec galanterie)
- Et vous, à cette
fête,
- Mademoiselle, quelle
emplette avez-vous faite ?
MIMI
- Voyez, ce
n'est
- Qu'un petit
bonnet
- De dentelles, blanc et
rose !
- Ça semblerait
à d'autres peu de chose,
- Moi, dès
longtemps, avec délice,
- Je choyais ce caprice
!
- (Regardant Rodolphe
avec amour)
- Il a su lire dans mon
âme !
- Celui qui lit dans le
coeur d'une femme
- En amour est un
maître !
SCHAUNARD
- Un flambeau des
écoles !...
COLLINE
- Avec diplômes...
et les autres fariboles !
SCHAUNARD
- Tout ce qu'il dit sont
choses d'Évangiles !
MARCEL
- Ô l'âge
heureux des candeurs juvéniles !
- Espoirs trompeurs !
noires hypocrisies !
RODOLPHE
- La plus pure des
poésies
- N'est que prose vile au
prix de l'amour !
MIMI
- Plus que le miel aimer
est doux encore !
MARCEL
- Juste
métaphore
- Oui, tout miel... ou
tout fiel... ensemble ou tour à tour !
MIMI
(bas à Rodolphe)
- Sans le vouloir je l'ai
blessé !
RODOLPHE
- Son pauvre coeur est
courroucé !
SCHAUNARD
et COLLINE
- Allons ! à table
!...
MARCEL
(au garçon)
- Ohé !
garçon !
MIMI,
RODOLPHE, MARCEL
- Le verre en
main,
- Plus de chagrin
!
- Buvons !
TOUS
- Buvons !
MARCEL
(apercevant Musette qui s'approche)
- Versez !... Versez-moi
du poison !
(Il s'écroule
sur sa chaise)
RODOLPHE,
SCHAUNARD et COLLINE
(à l'exclamation de Marcel, ils se tournent et
s'écrient)
- Ah !... Musette
!
MARCEL
- Elle !
(À l'angle de
la rue Mazarine, Musette s'avance, très
élégante, suivie d'un vieux galantin, Saint-Phar, et
apercevant la table des bohèmes, s'arrête. Marcel,
très ému, feint de ne pas la voir. Schaunard et
Colline jettent des coups d'oeil de son côté.
Rodolphe est tout occupé de Mimi. Ils sont assis et
soupent)
LES
BOUTIQUIÈRES
(reconnaissant Musette)
- Ah ! - Tiens ! - Non !
- Si ! - Musette ! - Mais quel luxe de toilette !
(Elles entrent dans
leur boutique)
SAINT-PHAR
(tout essoufflé)
- Comme un
toton,
- Virer de-ci,
de-là, non, non !
- C'est trop
!
MUSETTE
- Viens, Loulou
!
SAINT-PHAR
- J'en deviendrai fou
!
SCHAUNARD
- Voyez donc ce vieux
sapajou !
(Musette, sans se
préoccuper de Saint-Phar, se dirige vers le café
Momus et s'assied à la table qui est
libre)
SAINT-PHAR
- Quoi ?... là
?... dehors ?
MUSETTE
- Assis,
Loulou.
SAINT-PHAR
- Gardez pour le
tête-à-tête
- Ces noms irrespectueux
!
MUSETTE
- Et vous, ne faites pas
la bête !
COLLINE
(examinant le vieux)
- Le vieux
- Coquin se
damne...
MARCEL
(méprisant)
- ... Avec la chaste
Suzanne !
MIMI
(à Rodolphe)
- La belle lorette
!
RODOLPHE
(regardant Mimi)
- J'aime mieux une
grisette !
MIMI
(se retournant avec curiosité vers Rodolphe)
- Et qui est-ce ?... Tu
sais ?
MARCEL
- Je crois
- Qu'aucun ne le sait
tant que moi !
- On l'appelle
Musette,
- Mais son nom est :
Luxure !
- Folle de
nature,
- Telle une
girouette,
- Tourner à
l'aveuglette,
- C'est l'âme de
Musette !
- Et comme la
chouette,
- La cruelle
pécore
- Par instinct vous
dévore
- Le coeur
!...
- Ah ! pauvre coeur !...
Elle me le prit tout !
- (Brusque, changeant
de ton)
- Passez-moi le
ragoût !
MUSETTE
(dépitée de constater que les amis ne la regardent
pas)
- Marcel m'a vue et
détourne les yeux, le lâche !
- Schaunard me blague,
lui !... ma présence les fâche !
- Si je pouvais crier !
Griffer, égratigner !
- (Avec un regard
à Saint-Phar)
- Mais je n'ai sous la
main
- Que ce vieux parchemin
!
- Tant pire
!...
- (Appelant le
garçon au loin)
- Ohé !
garçon !... Ohé ! crétin !
- (Le garçon
accourt)
- Pouah ! cette assiette
empeste la vaisselle !
- (Elle jette
l'assiette)
SAINT-PHAR
- Du calme, ma belle
!
MUSETTE
(furieuse, regardant Marcel)
- Voyez, s'il bronche
!
SAINT-PHAR
- Un peu
- De retenue
!
COLLINE
(mangeant)
- Cette dinde est
exquise
MUSETTE
(à part)
- Rien ne l'émeut
!
- Oh ! que je
voudrais
- Le battre !
SAINT-PHAR
- A qui parlez-vous
?
SCHAUNARD
(buvant)
- Ce vin vaut qu'on se
grise !
MUSETTE
(furieuse, à Saint-Phar)
- Toi, Loulou, fiche-moi
la paix,
- Mon vieux ! Je veux
faire à ma guise !
- Et voilà
!
SAINT-PHAR
- Parlez bas ! Parlez bas
!
MUSETTE
- Et voilà
!
ÉTUDIANTS
ET GRISETTES
(traversant la scène et la reconnaissant)
- Vois, vois donc cette
lorette !
- Mais oui, c'est Musette
!
- Musette avec un vieux
Céladon en retraite !
(Ils
passent)
MUSETTE
(à part)
- Serait-il jaloux de
cette ganache ?
SAINT-PHAR
- On vous regarde, on
vous entend,
- Musette !
MUSETTE
(à part)
- Il faut que je
sache
- Ce qui peut me rester
de mon pouvoir d'antan.
- (Regardant Marcel,
à haute voix)
- Tu ne me regardes pas
?
SAINT-PHAR
(se méprenant à cette question)
- Excusez-moi ! C'est le
repas
- Que
j'ordonne.
- (Il commande au
garçon)
SCHAUNARD
(à Colline)
- La comédie est
bouffonne !
- Elle parle à
l'un pour que l'autre entende !
COLLINE
(à Schaunard)
- ... Et l'autre, l'air
distrait,
- Feint de ne pas
entendre et boit du lait.
RODOLPHE
(à Mimi)
- Que la faiblesse est
grande,
- Mimi, de l'amant trahi
qui pardonne !
MIMI
(à Rodolphe)
- Pourquoi, puisque je
t'aime et de toute mon âme,
- Me parler de pardon
?
MUSETTE
(même jeu)
- Mais tout ton coeur
palpite !
SAINT-PHAR
(voulant la calmer)
- Ah ! çà,
madame !
MUSETTE
(coquetant pour Marcel qui commence à
s'agiter)
- D'un pas léger,
je vais souvent.
- Trottant, le nez au
vent,
- Et cambrant le
corsage,
- Plus d'un me
dévisage,
- Et guettant mon
passage
- Les
messieurs
- Me dévorent des
yeux !
MARCEL
(très animé, à ses amis)
- À ma chaise
qu'on m'attache !
SAINT-PHAR
(à Musette)
- Tâche
- De te calmer
!
MUSETTE
(continuant)
- Et j'ai plaisir flairer
ce désir
- Secret, qui dans leurs
yeux pétille,
- Songeant par ce qu'ils
voient de mes appas
- À ce qu'ils ne
voient pas !
- Et dans mon orgueil qui
frétille,
- Des
passants
- J'aspire l'encens
!
- J'aspire l'encens
!
SAINT-PHAR
- Bruyant et
futile,
- Ce chant m'horripile
!
- Ce chant m'horripile
!
MUSETTE
(continuant)
- Et toi qui sais le
secret de mes charmes,
- Tu veux cacher tes
larmes,
- Tu veux rompre ta foi
!
- Mais je le sens, mais
je le vois,
- Cruel, ton coeur est
tout à moi !
MIMI
(à Rodolphe)
- Je le vois bien,
hélas ! la malheureuse
- De votre ami Marcel est
amoureuse !
- Quelle pitié
s'éveille en moi !
SAINT-PHAR
- Que diront ces
gens-là ?
RODOLPHE
(à Mimi)
- Marcel, un
jour,
- L'aima !...
- Musette a trahi son
amour
- Pour aller courir
fortune !
SCHAUNARD
- Tu verras qu'il
cèdera !
- Les lacs tentent
mêmement
- Qui les tend et qui s'y
prend !
COLLINE
- Qu'est-ce qu'il en
adviendra ?
- Pour aucune, blonde ou
brune,
- Colline ne s'y prendra
!
- À ces dames, par
principe,
- Ma raison fait
échec,
- Et je leur
préfère ma pipe
- Avec un bon volume grec
!
MIMI
(à Rodolphe)
- La pauvre fille
éveille ma pitié !
- Péché
tant expié devrait être oublié.
RODOLPHE
- Mimi ! Lâche est
l'amour qui pardonne
- À qui le trahit
!...
SCHAUNARD
(à Colline)
- Mais toi, qu'une aussi
belle fille
- Se donne à toi,
bec à bec,
- Au diable ta
pacotille
- De rhétorique et
de grec !
MUSETTE
- Tu veux cacher encore
ton trouble, et malgré toi,
- Marcel, tout ton cceur
est à moi !
- Et maintenant il faut
renvoyer le barbon
- (Poussant un
cri)
- Aïe !
SAINT-PHAR
- Quoi donc ?
MUSETTE
- Quel supplice ! quel
martyre !
SAINT-PHAR
- Où donc
?
MUSETTE
- Au pied !... ma
bottine,
- Trop
étroite,
- M'assassine
!
MARCEL
(vaincu)
- Voir ma
jeunesse
- Refleurir !
- Frappe à ma
porte, ô ma maîtresse,
- Mon coeur tremblant
viendra t'ouvrir.
MUSETTE
(à Saint-Phar)
- Cours dans quelque
boutique aux alentours, cours vite
- M'acheter des
souliers... des brodequins
- Coquine
- De bottine
!
SAINT-PHAR
(scandalisé)
- Imprudente
!
- Quelle folie est cela
?
MUSETTE
(elle quitte sa bottine et la met sur la table)
- Tant pis ! Je la quitte
!... Et la voilà
- (Avec
impatience)
- Vite ! va ! trotte
!
SAINT-PHAR
- C'est trop bête
!
- Qu'on se compromette
!
- Musette ! Musette
!
MUSETTE
- Allons ! va
!
SAINT-PHAR
- J'y vais.
- (Il sort
désespéré en cachant la bottine dans son
gilet et en boutonnant son manteau avec
dignité)
RODOLPHE,
SCHAUNARD ET COLLINE
- Il est clair que ce
drame
- En comédie
finira.
(À peine
Saint-Phar est-il parti que Musette se lève et se jette
dans les bras de Marcel qui ne peut plus
résister)
SCÈNE
4
MUSETTE
(se jetant dans les bras de Marcel)
- Marcel !
MARCEL
- Sirène
!
SCHAUNARD
- Ainsi finit la
scène !
(Le garçon
apporte l'addition)
TOUS
(sauf Marcel)
- La note !
SCHAUNARD
- Saperlotte
!
COLLINE
- Déjà la
note !
(Il examine
l'addition qu'il passe à ses amis. On entend au loin la
retraite, dont la musique s'approche par degrés. La foule
arrive de toute part, regardant de-ci de-là, pour s'assurer
de quel côté viendra la retraite)
SCHAUNARD
(considérant la note)
- Oh !
RODOLPHE
(même jeu)
- Bigre !
COLLINE
(même jeu)
- Fichtre !
SCHAUNARD,
RODOLPHE ET COLLINE
- Rien dans la poche
?
SCHAUNARD
- Colline ?
- Rodolphe ?... et toi,
Marcel ?...
MARCEL
- Noire débine
!
RODOLPHE
- J'ai vingt sous dans ma
poche
SCHAUNARD
(terrible)
- Mais quoi ?
- Où donc est
passé tout notre argent ?
MUSETTE
(au garçon)
- Faites-moi mon compte
à moi !
LA
FOULE
- La retraite, c'est la
retraite
GAMINS
- La retraite vient de
là
ÉTUDIANTS
ET GRISETTES
- C'est d'ici
!
GAMINS
(indécis)
- On l'entend de ce
côté !
ÉTUDIANTS
ET GRISETTES
- C'est de là
!
GAMINS
- Non celui-là
!
BOURGEOIS
- Place ! place ! place
!
ENFANTS
(aux fenêtres)
- Maman, je veux rester !
- Papa, je voudrais voir !
MAMANS
(aux fenêtres)
- Thérèse,
taisez-vous ! - Jules, gardez de choir !
MUSETTE
(au garçon qui lui donne la note)
- Merci !
- Fusionnez les deux
additions,
- Le vieux paiera sans
réclamations !
RODOLPHE,
MARCEL, SCHAUNARD ET COLLINE
- Le vieux
Loulou...
LA
FOULE
- On l'entend de ce
côté !
ENFANTS
- Nous voulons voir la
retraite !
MAMANS
- Sagement, vous l'allez
voir !
QUELQUES
MARCHANDS
- Et le coeur bat
toujours
- Au roulement des
tambours.
MUSETTE
(plaçant les deux additions sur la table à la place
de Saint-Phar)
- Je laisse sur sa
table
- Cet adieu lamentable
!
RODOLPHE,
MARCEL, COLLINE ET SCHAUNARD
- Nous laissons sur sa
table
- Cet adieu lamentable
!
LA
FOULE
- Sans presse, sans
bourrade
- Rangeons-nous sur leur
chemin !
(La retraite arrive
par la rue, au fond, et défile lentement, escortée
par la populace)
SCHAUNARD,
COLLINE, MARCEL ET RODOLPHE
- La retraite !... en
retraite
- Et pour qu'il ne nous
voie
- Pas lui ravir sa
proie...
- ... Que cette foule en
fête
- Nous serve de cachette
!
(Ils se perdent dans
la foule)
LA
FOULE
- Le tambour-major
parade,
- Plus fier qu'un pieux
paladin !
MIMI,
MUSETTE, RODOLPHE, MARCEL, SCHAUNARD ET COLLINE
- Place ! place
!...
TOUS
- Place aux sapeurs
moustachus
- Et barbus !
- Vive le tambour-major
!
- Il a l'air
triomphal
- D'un
général !
- Le voilà
là, le beau tambour-major !
- Dans un
essor,
- Sa canne
d'or
- Le fait plus grand
encor !
- Tout au
sommet
- Scintille son
plumet
- C'est le tambour-major,
du régiment,
- Le plus bel ornement
!
RODOLPHE,
MARCEL, SCHAUNARD ET COLLINE
(portant Musette en triomphe)
- Gloire à
Musette, à la Sirène !
- Ange ou
lutin,
- C'est son
destin
- D'être la
reine
- Du Quartier latin
!
(Tableau animé,
au milieu duquel arrive Saint-Phar, avec un paquet sous le bras. Il
cherche vainement Musette chez Momus, et le garçon lui
présente les deux additions : en voyant la somme et ne
trouvant plus personne, il tombe écroulé sur une
chaise).
ACTE
III
La barrière
d'Enfer
- À
gauche, un cabaret, qui a pour enseigne le tableau de Marcel : Le
Passage de la mer Rouge, au-dessous duquel, en gros
caractères : AU PORT DE MARSEILLE. Des deux
côtés de la porte, peints à la fresque, un
zouave et un turco, couronnés de lauriers. Fenêtre
face au public. Porte. Au-dessus et à droite, des maisons.
Au troisième plan, à droite, les bâtiments de
la douane. Entre les maisons, une rue transversale. La grille de
l'octroi est praticable. Au-delà la campagne et la route
d'Orléans. De grands platanes dénudés et
couverts de neige, s'alignent légèrement en oblique,
au milieu de la scène. À leurs pieds des bancs de
pierre, celui du premier plan praticable.
- Paysage
d'hiver, neigeux et brumeux.
- Au lever du
rideau, clarté incertaine du point du
jour.
SCÈNE
PREMIÈRE
(Quelques douaniers
accroupis autour d'un brasier devant le bâtiment de la douane.
Du cabaret partent, par moment, des rires et des bruits de verres
choqués. Un douanier en sort, rapportant une bouteille de vin.
La porte de la grille est fermée).
QUELQUES
BALAYEURS (hors
la grille, battant la semelle)
- Ohé ! la douane
!... la grille
- Ohé ! C'est
nous, les balayeurs de Gentilly !
- La neige tombe !... Il
grésille !
UN
DOUANIER
- J'ouvre !...
- (Il ouvre la
grille)
- Voici !
- (Les balayeurs
entrent et s'éloignent par la rue d'Enfer. Le douanier
referme)
DES VOIX
(dans le
cabaret, les verres choqués)
- Boire un plein verre
à loisir,
- C'est le plaisir !
- Baiser une lèvre
en fleur,
- C'est le bonheur !
- Tralallera ! ohé
!
- Ève et
Noé !
MUSETTE
- Et le sage va, tour
à tour,
- De sa bouteille
à son amour !
(Bruits de grelots
sur la route d'Orléans. Claquements des fouets. Cris des
charretiers. Leurs chariots éclairés avec des
lanternes)
DES
VOIX
(au-dehors)
- Hop ! là ! hop !
là !
LES
DOUANIERS
- Ce sont les
laitières !
- (Le sergent sort du
poste et fait ouvrir la grille. Entrent les
laitières)
LES
LAITIÈRES
- Bonjour !... bonjour
!...
- (Elles
s'éloignent de divers côtés)
LES
FERMIÈRES
(avec leurs paniers au bras)
- Poulets ! Beurre !
- Oeufs et crème !
- (Elles paient les
droits et avant de se disperser :)
- Bonne vente !
- Vous de même !
- Rendez-vous aux
barrières ?...
- Sur les midi !...
(Elles
s'éloignent par des rues différentes. Mimi arrive
par la rue d'Enfer et regarde autour d'elle comme pour se
reconnaître. Elle est prise d'un accès de toux,
s'arrête proche du banc, se remet et demande au
sergent)
SCÈNE
2
MIMI
- Savez-vous, monsieur,
quelle est la guinguette
- Où travaille
certain peintre ?
LE
SERGENT (la lui
indiquant)
- C'est
là.
MIMI
Merci !
- (À une
servante qui sort du cabaret)
- Excusez-moi, ma bonne
dame, si
- Je vous arrête
!
- Voulez-vous bien dire
à Marcel qu'on le demande...
- Au peintre... ma
hâte est grande...
- C'est une amie à
lui...
- Mimi !
(La servante rentre
dans le cabaret)
LE
SERGENT (à
un paysan qui entre)
- Ce panier-là
?
LE
DOUANIER
- Vide !
LE
SERGENT
- Passez !
(D'autres entrent par
la barrière. Les cloches de l'hôpital
Marie-Thérèse sonnent matines ; le jour se fait
lentement, triste et gris; des couples, sortant du cabaret,
s'éloignent).
SCÈNE
3
MARCEL
(sortant du cabaret)
- Mimi !
MIMI
- Je comptais vous
trouver ici !
MARCEL
- Un mois qu'on y vivote
aux frais de la boutique !
- Musette a sa
chanson,
- Moi ma palette, et
voyez-vous,
- Sur le mur, je peins
ces pioupious !
- (Mimi
tousse)
- Mais il gèle...
Entrez donc !
MIMI
- Rodolphe est là
?
MARCEL
- Oui !
MIMI
- Alors, non
- Je ne peux pas
!
MARCEL
(étonné)
- Pourquoi ?
MIMI
(fondant en larmes)
- Marcel, voyez mes
peines,
- Mes larmes
!
MARCEL
- Encore des
scènes !
MIMI
- Rodolphe m'aime,
hélas et me torture !
- D'un éternel
soupçon je dévore l'injure !
- Un mot, un geste, un
rien suffit à lui déplaire !
- Tout irrite sa
colère.
- Parfois, la nuit,
croyant que je sommeille,
- Je le sens qui veille,
- Et qui m'épie...
et jusque dans mon rêve !
- « Prends, me
dit-il, prends, fille d'Ève,
- Un autre amant ».
- De ces douleurs sans
trêve
- Mon coeur est las !
- Que puis-je,
hélas !
- Contre le
soupçon qui l'obsède ?
- Mais vous, Marcel,
vous, venez à mon aide !
MARCEL
- La sagesse, ce me
semble,
- Est de ne point vivre
ensemble !
- Voyez nous deux
Musette,
- Dam ! ça
va
- Cahin caha,
- À la bonne
franquette !
- Rire et chanter
toujours
- Voilà les vrais
amours !
MIMI
- Oui, c'est la loi, la
loi barbare,
- Qu'on se sépare
!
- Mais à vous seul
j'ai recours !
- Nous le voulions bien,
sans doute ;
- Ça nous
coûte !
- C'est égal, ne
plus se voir,
- Voilà le devoir
!
- Faites au mieux, du
reste !
MARCEL
- Eh bien,
voilà...
- Je le réveille.
MIMI
- Il dort ?
MARCEL
- Il s'en vint là
- Dès le
patron-minette,
- S'affaler sur une
banquette
- (Mimi a un
accès de toux)
- Oh ! vous toussez
!
MIMI
- Et cette toux me brise
- Il me dit, hier, en me
quittant :
- « C'est fini !
» Et dès ce matin j'ai couru, grelottant
- Sous la bise
!
MARCEL
(observant Rodolphe dans le cabaret)
- Il s'éveille !
- Il se lève ! Il
me cherche !... Il vient.
MIMI
- Il faut
m'éloigner.
MARCEL
- Rentrez chez vous, moi
je lui parlerai...
- Allez, et dès ce
soir, sûr, je vous reverrai !
(Il pousse doucement
Mimi dans un coin du cabaret).
SCÈNE
4
RODOLPHE
(sortant du cabaret)
- Marcel, nous sommes
seuls,...
- Me voilà sage
!
- C'est bien fini,
- Je vais quitter Mimi
!
MARCEL
- Es-tu donc si volage
?
RODOLPHE
- Parfois
déjà j'avais cru que mon coeur était mort
!
- Un seul regard en
ranimait l'ardeur,
- Larme ou sourire
!
- Mais le
dégoût me prend !
MARCEL
- Crois-tu rompre le
charme de ses yeux ?
RODOLPHE
(avec douleur)
- Peut-être
?
MARCEL
- Sois plus sage !
- Si d'un amour
volage
- Cruel est le servage,
- D'une chaîne
légère
- Le joug ne pèse
guère !
- Tu es jaloux
!
RODOLPHE
- C'est vrai
!
MARCEL
- Volontaire,
égoïste
- Colère, mauvais
caractère,
- Despote, féroce
!
MIMI
(rentrée depuis peu sans être vue, s'arrête et
les écoute dissimulée, derrière un arbre)
- Eux ensemble !...
- Écoutons... en
cachette...
RODOLPHE
- Mimi est qu'une
coquette
- Capricieuse et folle
!...
- Et, quelle honte !
- D'un certain Vicomte
- L'hommage
l'émoustille !
- Retroussant sa robe et
montrant sa cheville,
- Elle a des airs de
provoquer les passants !
MARCEL
- Tu n'es pas
sincère, je le sens !
RODOLPHE
- Eh bien, non ! Je te
mens !
- La douleur est profonde
- Dont je
cache
- J'aime Mimi par-dessus
tout au monde !
- Je l'aime, mais ! oui !
j'ai peur !
- Oh ! oui, j'ai peur !
- La pauvre, elle est si
malade !
- La mort en
embuscade,
- Guette la douce
créature !
MARCEL
(surpris)
- Rodolphe !
MIMI
(défaillante, s'approche encore davantage, toujours
derrière les arbres)
- Ah ! qu'entends-je
?...
RODOLPHE
- Une toux implacable la
brise et la torture !
- Un flot de sang
pâle rosit sa joue !
MARCEL
(ému)
- La pauvre fille
!
MIMI
- Hélas ! mon Dieu
!
RODOLPHE
- Dans ma chambre
où le vent s'engouffre,
- Sans feu dans
l'âtre, songe, comme elle souffre !
- La malheureuse
!
- Et c'est moi, je
l'avoue,
- La cause
misérable
- Du mal inexorable
- Qui la dévore
!
MARCEL
- Mais, que faire
?
MIMI
(angoissée)
- Ô ma
vie.
RODOLPHE
- Petite fleur de serre
- Flétrie par la
misère,
- Éclose
dès l'aurore,
- Va-t-elle voir la fin
du jour ?...
MIMI
- Faut-il, hélas !
lui dire adieu
- Se flétrir ! et
souffrir !
- Puis hélas !
mourir, hélas ! mourir !...
MARCEL
- Quelle pitié !
- La pauvrette
!
- Oh ! pauvre Mimi
!
- Oh ! pauvre Mimi
!
(La toux et les sanglots
de Mimi révèlent sa présence)
RODOLPHE
(l'apercevant et courant vers elle)
- Toi, Mimi, toi
là !
- Ah ! Malheureuse
!
MARCEL
(à part)
- Elle écoutait,
peut-être !
RODOLPHE
- Mais n'en crois pas mes
larmes !
- Pour un rien, je
m'alarme !
- Viens près du
foyer !
- (il veut la faire
entrer dans le cabaret)
MIMI
- Non ! Cet air me
suffoque !
RODOLPHE
(la pressant amoureusement entre ses bras)
- Ah ! Mimi !
(On entend dans le
cabaret les éclats de rire de Musette)
MARCEL
- C'est Musette qui rit
!...
- Avec qui ?
(Courant à la
fenêtre du cabaret)
- Ah ! la coquette ! Ah !
l'effrontée !
(Il rentre vivement
dans le cabaret)
SCÈNE
5
MIMI
(se dégageant des bras de Rodolphe)
- Adieu !...
RODOLPHE
(avec douleur et surprise)
- Quoi ?... Mimi
!
MIMI
- La chambre qu'autrefois
gaiement j'avais quittée,
- J'y retourne
aujourd'hui seule et désenchantée,
- Les fleurs que je
brodais ont perdu leur fraîcheur !
- Adieu ! et sans
rancoeur.
- Écoute encore !
- Tu
rassembleras
- Tous les riens que je
laisse !
- Dans mon tiroir tu
trouveras
- Mon bracelet d'or et
mon livre de messe !
- Réunis tout
cela,
- Demain, sans plus
attendre,
- Je le ferai
reprendre.
- Et puis,... C'est peu
de chose
- Mon petit bonnet
rose,
- Veux-tu ? veux-tu le
conserver comme une relique d'amour ?
- Adieu !... Adieu et
pour toujours !
RODOLPHE
- Ainsi l'on s'abandonne
?
- Tu t'en vas, tu t'en
vas, pauvre mignonne ?
- Adieu les rêves
d'amour !...
MIMI
- Adieu, le réveil
avec l'aube nouvelle !
RODOLPHE
- Adieu, le bonheur si
frêle
MIMI
(souriant)
- Adieu les jalouses
querelles...
RODOLPHE
- Que ton sourire apaise
!
MIMI
- Adieu reproches
!
RODOLPHE
- Baisers
MIMI
- Les heures de
détresse...
RODOLPHE
- Que faisait le
poète
- Rimer avec : ivresse
!
MIMI
- Mais qu'en hiver,
triste est la solitude ! Hélas !
- Mais on n'est plus tout
seul quand le printemps fleurit !
RODOLPHE
- Combien l'isolement est
rude !
- Mais on n'est plus tout
seul quand le printemps fleurit !
MIMI
- On n'est plus tout seul
!
(À ce moment
on entend dans le cabaret un bruit de dispute, de verres et de
vaisselle cassés ; et bientôt Marcel sort avec
Musette, s'invectivant)
MARCEL
(dans le cabaret)
- Je te somme de
répondre !
- Que te disait ce jeune
homme ?
MUSETTE
(elle sort du cabaret vivement)
- Prends garde ! Que
veux-tu dire ?
MARCEL
(il la poursuit et ferme la porte derrière
lui)
- En survenant, j'ai vu
rougir ton front coupable !
MUSETTE
- « N'aimez-vous
donc plus la danse ? »
- Me disait cet homme
aimable.
RODOLPHE
- On cause
- Avec une
rose
MIMI
- Des nids en
éveil
- Monte un gai ramage
!
MARCEL
- Femme
légère et frivole !
MUSETTE
- Je répondais,
rougissante :
- « L'aimer, c'est
peu, j'en suis folle !
- L'aimer, c'est peu,
j'en suis folle ! »
MARCEL
(à Musette)
- Ce discours me semble
gros d'effronterie !
MUSETTE
- Je veux toute
liberté !
MARCEL
- Trêve de
coquetterie,
- Ou redoute ma furie
!
MUSETTE
- Qu'est-ce à dire
?
- Je me moque de ton
blâme !
- Sommes-nous
époux et femme ?
MARCEL
- Je ne veux pas, par la
ville,
- Passer pour un
imbécile !
MUSETTE
- Fi des amants à
scrupules,
- Plus que maris
ridicules !
RODOLPHE
ET MIMI
- Et pas l'ombre d'un
nuage...
- Dans le ciel vermeil
!
- La fraîcheur des
fontaines
- Et les brises
sereines
- Versent leurs baumes
sur les douleurs humaines !
MARCEL
- Fi des croqueuses de
pommes,
- Qui causent à
tous les hommes
- Femme frivole et
coquette !
MUSETTE
- Je prétends
faire à ma tête, à ma tête,
- Je prétends
faire à ma tête !
MARCEL
- Tu me quittes ?... Sans
rancune !...
- À moi
succès et fortune !
- (ironique)
- Mes hommages
!
MUSETTE
- Musette, Dieu merci
!
- S'en va d'ici
!
- (ironique)
- Mes hommages
!
MARCEL
- J'échappe
à mon enfer !
MIMI ET
RODOLPHE
- Veux-tu pas que nous
attendions les beaux jours ?
MUSETTE
(s'éloigne furieuse, puis s'arrête subitement et crie
:)
- Rapin ! Maçon !
Manoeuvre !
MARCEL
- Couleuvre !
MUSETTE
- Oh ! Bûche
!
MARCEL
- Cruche !
(Il rentre dans le
cabaret)
MIMI
- À toi ma vie
entière !...
- Pour qu'on se
quitte...
MIMI ET
RODOLPHE
- Pour qu'on se quitte
attendons les beaux jours !
RODOLPHE
- Les hivers sont si
courts !
MIMI
- Puisse
l'hiver
- Durer, durer, toujours
!
MIMI ET
RODOLPHE
- Pour nous quitter,
attendons les beaux jours !
ACTE IV
La
mansarde
La mansarde. Même
décor qu'à l'acte premier, mais par la baie
vitrée, on a la sensation du printemps. Les arbres dont on
voit la cime sont verts et aux fenêtres, des pots de fleurs
égaient la vue. Marcel est encore devant son chevalet, comme
Rodolphe se tient assis à sa table.
SCÈNE
PREMIÈRE
MARCEL
(continuant la conversation)
- Dans un coupé
?
RODOLPHE
- Très bien tenu,
ma foi !
- Le coupé de
Musette !
- « Eh ! Musette,
criai-je, ton coeur ?... »
- « J'ignore s'il
bat encore
- Sous le satin qui le
protège ! »
MARCEL
(s'efforçant de rire)
- Bah ! Tant mieux pour
elle !
- Tant mieux pour elle
!
RODOLPHE
(à part)
- Tant pis pour toi
!
- Ton rire grimace
!
- (Il reprend son
travail)
MARCEL
(ruminant)
- La peste soit d'elle
!...
- (Il continue
à peindre à grands coups de pinceau)
- Mais j'ai
vu...
RODOLPHE
- Musette ?
MARCEL
- Non ! Mimi
!
RODOLPHE
(tressaillant)
- Mimi ! Qu'importe
?
MARCEL
- Dans un carrosse
!
- Et quelle allure !
Quelle toilette !
RODOLPHE
- La petite bête
est morte
MARCEL
(à part)
- Mensonge !
- Le chagrin le ronge
!
RODOLPHE
- Travaillons.
MARCEL
- Travaillons
- (Ils reprennent leur
travail)
RODOLPHE
(jetant sa plume)
- Plume exécrable
!
MARCEL
(jetant son pinceau)
- Pinceau
déplorable !
- (Il regarde fixement
sa toile, puis, se cachant de Rodolphe, il sort de sa poche un
ruban de soie et l'embrasse)
RODOLPHE
(à lui-même)
- Ah ! Mimi s'en est
allée,
- Douce exilée !
- Elle est partie, et j'y
pense sans cesse,
- Et ma jeunesse,
- Ô Mimi, est
partie avec toi !
MARCEL
- Je ne puis m'expliquer
le pourquoi
- De ce
mirage
- Que mon pinceau
travaille malgré moi !
- Sil me plait peindre
frais ombrage,
- Grève ou
pâturage,
- C'est deux yeux noirs
que mon pinceau
- Dessine, sa bouche
mutine,
- Toujours Musette et son
gentil museau !
- C'est les traits de
Musette
- Musette si coquette et
si jolie
- Musette qui
m'oublie,
- Cependant que mon coeur
l'appelle,
- Mon pauvre coeur,
hélas ! mon lâche coeur !
RODOLPHE
(sortant du tiroir de la table le bonnet oublié par
Mimi)
- Cher petit bonnet rose,
- Que j'aime aujourd'hui
plus que toute chose,
- Toi le témoin
des heures de bonheur,
- Viens sur mon coeur,
- Mon coeur si triste
hélas !
- Et brisé
désormais comme tout mon bonheur !
- Quelle heure est-il
?
MARCEL
- (Resté
pensif, il sursaute aux paroles de Rodolphe et lui répond
joyeusement :)
- L'heure du dîner
d'hier !
RODOLPHE
- Et pas de Schaunard
!
SCÈNE
2
(Entrent
Schaunard et Colline, l'air triste et penaud)
SCHAUNARD
- Le voici !
RODOLPHE
- Eh bien ?
MARCEL
- Eh bien !
- (avec angoisse)
- Parlez !
COLLINE
(se laissant tomber sur une chaise)
- À notre air,
vous comprenez sans peine !
- Plus de crédit
!
SCHAUNARD
- Plus de veine
!
COLLINE
- Nous avons fait buisson
creux !
MARCEL
(s'asseyant désespéré)
- Nulle espérance
nous abuse !
SCHAUNARD
- C'est le naufrage de la
Méduse !
RODOLPHE
- Manger ni boire,
- Quel purgatoire
!
MARCEL
(se levant et traversant la scène)
- Diantre !
- On peine à se
serrer le ventre !
SCHAUNARD
(se couchant sur le lit comme s'il voulait dormir)
- Tant pis ! famine,
- Je te brave ! qui dort
dîne
(Colline se
lève et tâche de se faufiler du côté de
la porte de sortie)
RODOLPHE
- Où va Colline
?
COLLINE
(avec importance)
- D'urgence, le roi me
mande !
RODOLPHE,
MARCEL, SCHAUNARD
- On appréhende
?...
- Quelque complot
?
COLLINE
- Au ministère on
me demande !
RODOLPHE,
MARCEL, SCHAUNARD
- Peste !
COLLINE
(tâchant de se dégager de Rodolphe et Marcel et de
s'enfuir)
- Je vais causer avec
Guizot !
(Rodolphe s'assoit
sur le pas de la porte. Marcel d'une poussée fait reculer
Colline et l'empêche de sortir)
SCHAUNARD
- Quel portefeuille
?
MARCEL
- Finances ?
COLLINE
- Je pense !
SCHAUNARD
(montant sur le lit, avec emphase)
- Messieurs, devant cette
noble assemblée...
RODOLPHE
ET COLLINE
(l'interrompant)
- Assez !
MARCEL
- À bas
!
COLLINE
- Qu'il se taise
!
MARCEL
- Qu'on l'emporte
!
COLLINE
- Qu'on l'enferme
!
SCHAUNARD
(inspiré)
- Ne
préférez-vous pas,
- Messieurs, entendre une
romance ?
LES
AUTRES
(criant)
- Non !
SCHAUNARD
(renonçant)
- Le chorégraphe
a-t-il plus de chance ?
LES
AUTRES
(applaudissant)
- Oui, oui !
SCHAUNARD
(saute en bas du lit et esquisse un pas fantaisiste)
- Danse noble
- Et musique vocale !
(Ils portent dans un
coin les tables et les chaises et se disposent à
danser)
COLLINE
- Aménageons la
salle !
- Gavotte ?
MARCEL
- Pastourelle
?
RODOLPHE
- Tarentelle
?
SCHAUNARD
- Fandango !
COLLINE
- Je suis pour le
quadrille !
RODOLPHE
- La main aux dames
!
- (À
Marcel)
- Musique !
SCHAUNARD
- La la la la la la la la
la la !
- La la la la la la la la
la la !
RODOLPHE
- Gentille
demoiselle...
MARCEL
(minaudant - voix de femme)
- Demandez à ma
mère,
- Je vous prie
!
SCHAUNARD
- La la la la la la la la
la la !
- La la la la la la la la
la la !
COLLINE
(indiquant le pas)
- Balancez !
SCHAUNARD
- Cavalier seul
!
COLLINE
- Non, buse !
SCHAUNARD
(avec un mépris exagéré)
- Ouais !
- Ce sont moeurs de
laquais !
COLLINE
- Le vocable m'injurie !
- Aux épées
!
- (Il court à
la cheminée et prend les pincettes)
SCHAUNARD
(prenant la pelle à feu)
- Bravo ! En garde
!
- Je vais te crever la
peau !
- (Ils
ferraillent)
COLLINE
(se battant)
- Tu vois ton heure
dernière !
(Rodolphe et Marcel
arrêtent de danser et se mêlent à la
dispute)
SCHAUNARD
- Apprêtez une
civière !
COLLINE
- Édifiez un
tombeau !
(Schaunard et Colline
se battent .Marcel et Rodolphe se remettent à danser autour
des duellistes tout en chantant)
RODOLPHE
ET MARCEL
- Cependant que le fer
brille !
- Achevons notre
quadrille !
(La porte s'ouvre
brusquement et Musette entre, très
agitée).
SCÈNE
3
MARCEL
(saisi)
- Musette !
MUSETTE
(d'une voix étouffée)
- C'est Mimi
!
- Elle est là sur
le seuil, sans connaissance !
(Par la porte ouverte
on voit Mimi assise sur la dernière marche de
l'escalier)
RODOLPHE
(atterré)
- Ô ciel
!
MUSETTE
- La pauvre est
tombée en défaillance !
RODOLPHE
(se précipite vers Mimi et Marcel avec lui)
- Ah !
SCHAUNARD
(à Colline)
- Vous, apprêtez la
couchette
RODOLPHE
(dépose Mimi sur le lit avec l'aide de Marcel. À ses
amis, à voix basse)
- Là, à
boire !
(Musette accourt avec
un verre d'eau et fait boire une gorgée à
Mimi)
MIMI
(revenant à elle)
- Rodolphe !
RODOLPHE
- Tais-toi ! repose
!
MIMI
- Veux-tu, Rodolphe, me
garder près de toi ?
RODOLPHE
- Toujours, chère
âme ! toujours !
MUSETTE
(elle prend les autres à part et leur dit à voix
basse :)
- J'avais oui
dire
- Qu'elle avait bravement
donné son compte
- Au petit vicomte
!
- Errante,
- Presque
mourante,
- Je la vis venir
à moi... « La force m'abandonne »
- Dit-elle, « Je
frissonne !
- Je meurs !
- Près de lui je
veux mourir !
- Faites qu'il me
pardonne ?...
- Viens avec moi, Musette
! »
MARCEL
(lui fait signe de parler doucement)
- Chut !
MIMI
(à Rodolphe)
- Je me sens beaucoup
mieux
- Mon regard partout
s'arrête...
- Ah ! que je suis donc
bien ici !...
- Je respire... Je
rayonne...
- Et mon coeur n'a plus
de souci !
- Ah ! ne te quitter
jamais !
RODOLPHE
- Ah ! reste ! reste
ainsi !
- Pauvre mignonne
!
MUSETTE
- Qu'avez-vous à
boire ?
MARCEL
- Rien !
MUSETTE
- Pas de vin ? Pas de
café ?
MARCEL
- Rien !... Ah !
misère !
COLLINE
(à Schaunard)
- Aucun espoir de
guérison ?...
SCHAUNARD
(tristement à Colline)
- Pas une heure à
vivre !...
MIMI
(à Rodolphe)
- J'ai froid, Rodolphe,
- Si j'avais un manchon !
- Mes pauvres mains ne
pourront donc jamais se réchauffer !
- (Elle
tousse)
RODOLPHE
(prend les mains de Mimi dans les siennes)
- Là, dans les
miennes
- Tais-toi, je t'en
supplie !
MIMI
- Souvent je tousse, va,
j'y suis faite !
- Bonjour, ami Marcel
- Schaunard, Colline,
bonjour !...
- Vous voilà tous
les trois... pour fêter mon retour !
RODOLPHE
- Ne parle pas, Mimi
!
MIMI
- Cette toux
t'inquiète ?
- Marcel, un mot encore :
elle est bonne, Musette !
MARCEL
(serrant la main de Musette)
- Je sais... je
sais...
MUSETTE
(elle prend Marcel à part, détache ses boucles
d'oreilles et les lui donne en disant à voix basse :)
- Toi, prends... vends
ça, rapporte un cordial,...qu'un docteur vienne
!
RODOLPHE
(à Mimi)
- Repose !...
MIMI
- Ne t'en va pas
!
RODOLPHE
- Non ! Non !
-
- (Mimi s'assoupit
un peu ; Rodolphe prend un pliant et s'assoit près du
lit ; Marcel va partir, quand Musette l'arrête et
le conduisant plus loin de Mimi :)
MUSETTE
(à Marcel)
- À son dernier
caprice
- Il se peut qu'elle
tienne,
- La
pauvrette,
- Elle veut un manchon,
allons tous deux !
MARCEL
(ému)
- Ah ! ma bonne Musette !
(Ils sortent en
hâte)
COLLINE
(qui a retiré son paletot pendant que Musette et Marcel
parlaient)
- Ô défroque
si chère,
- Séparons-nous,
compagne de joie et de misère...
- Grâce te soit
rendue !
- Ni le froid ni la
famine, jamais ne t'ont fait courber l'échine !
- Dans tes poches
profondes
- Ont passé les
poètes, avec des philosophes !
- Hélas !
maintenant
- Les beaux jours ont
fui,
- Adieu donc, pauvre amie
et si longtemps fidèle
- Adieu ! adieu
!
-
- (Il fait un paquet
de son paletot, puis à Schaunard :)
- Schaunard ! Tirons
chacun de son côté !
- Mettons ensemble deux
actes de charité,
- (Lui montrant
Rodolphe penché sur Mimi endormie)
- Moi ceci... et toi...
laisse-les un instant !
SCHAUNARD
(ému)
- C'est juste, ô
philosophe !
- Allons, viens-t'en
!
(Schaunard regarde
autour de lui et, pour justifier son départ, prend la
carafe d'eau et sort derrière Colline, en fermant la porte
avec précaution).
SCÈNE
4
MIMI
(ouvre les yeux, voit que tous sont partis et tend la main vers
Rodolphe qui la lui baise avec amour)
- Ils sont partis !... Je
feignais de dormir...
- Rester seule avec toi,
Rodolphe, c'était mon rêve...
- J'ai tant à dire
et l'heure est si brève :
- Une chose aussi grande
que le monde,
- Comme la mer infinie et
profonde,
- C'est que je t'aime de
toute mon âme !
- C'est que je t'aime, et
de toute mon âme !
RODOLPHE
- Ah ! Mimi ! ma belle
Mimi !
MIMI
- Suis-je belle encore
?
RODOLPHE
- Belle comme une aurore
!
MIMI
- L'amour s'illusionne
!
- Tu voulais dire : Comme
la fin d'un jour...
- On m'appelle
Mimi...
- (comme un
écho)
- On m'appelle
Mimi...
- Et pourquoi ? Je ne
sais !
RODOLPHE
(Il prend sur son coeur le petit bonnet de Mimi et le lui
tend)
- A son nid fidèle
- Revient l'hirondelle !
Retourne
MIMI
(avec joie)
- Mon bonnet rose, mon
bonnet rose !
(Elle tend la
tête à Rodolphe qui lui met le
bonnet)
- Ah !
(Mimi fait asseoir
Rodolphe près d'elle et appuie la tête contre sa
poitrine)
- Tu te
rappelles,
- Quand je vins frapper
chez toi,
- La première fois
?
RODOLPHE
- Je me rappelle
!
MIMI
- Ma chandelle
était morte !
RODOLPHE
- Vite j'ouvris ma
porte...
- Puis la clé
égarée !
MIMI
- Et que tous deux nous
cherchions dans la nuit noire !
RODOLPHE
- Oui, cherche ! cherche
!
MIMI
- Mon bel
amoureux,
- Je crois bien sans
reproche,
- Que vous l'aviez
déjà dans votre poche !
RODOLPHE
- J'aidais la Providence
!
MIMI
- La nuit cachait la
rougeur de mon visage !
- « Que cette main
est froide...
- Laissez-moi la
réchauffer !... »
- Et dans tes mains tu
pris ma main glacée !
(Elle est prise par
une suffocation et laisse retomber sa tête,
épuisée)
RODOLPHE
(épouvanté et la soutenant)
- Oh ! Dieu ! Mimi
!
SCHAUNARD
(au cri de Rodolphe il accourt près de Mimi)
- Qu'y a-t-il
?
MIMI
(revenant à elle et souriant)
- Rien !... ça
passe !
RODOLPHE
(il relève son oreiller)
- De grâce ! Ne dis
plus rien !
MIMI
- Non ! rien, pardon, je
serai sage...
SCÈNE
5
MUSETTE
(rentrant avec Marcel. Il apporte une fiole et elle un
manchon)
- Elle dort ?
RODOLPHE
- J'espère
!
MARCEL
- Le docteur va
venir...
- Il vient... J'ai sa
promesse...
- Ceci d'abord
!...
(Il prend une lampe
à esprit de vin et la pose sur la table avec la
fiole)
MIMI
(rouvrant les yeux)
- Qui parle ?
MUSETTE
(s'approchant de Mimi et lui donne le manchon)
- Moi,...
Musette.
MIMI
(aidée par Musette, elle se soulève et avec une joie
enfantine prend le manchon)
- Oh ! qu'il est doux !
qu'il est mignon !
- Qu'il est douillet ! Je
vais dormir bien vite,
- Avec mes mains dans mon
manchon !
- (À
Rodolphe)
- C'est toi qui me le
donnes ?
MUSETTE
(vivement)
- Oui !
MIMI
(elle tend la main à Rodolphe)
- Toi ! le prodigue
!
- Merci ! Mais c'est
très cher !...
- (Rodolphe fond en
larmes)
- Tu pleures, Rodolphe !
il ne faut pas pleurer !
- (Elle met les mains
dans le manchon, s'assoupit peu à peu, inclinant
gracieusement la tête sur le manchon, comme si elle
dormait)
- Jamais... se
séparer...
- Ensemble... sans
cesse... et... dormir !...
(Après un
silence)
RODOLPHE
(rassuré en voyant Mimi endormie il fait signe aux autres
de ne pas faire de bruit et s'approchant de Marcel :)
- Que ce médecin
tarde !
MARCEL
- Il vient !
(Pendant ce temps,
Musette a mis la médecine apportée par Marcel
à chauffer sur le lampe à esprit de vin et, tout en
faisant cette besogne, presque inconsciemment, murmure une
prière)
MUSETTE
- Vierge, Sainte Madone,
- Ah ! faites grâce
à cette pauvrette
- Qui ne doit pas
mourir
- (Elle s'interrompt
et fait signe à Marcel)
- Pour garantir la
flamme, mettez ce livre comme écran...
- (Marcel place un
livre ouvert devant la flamme pour en faire un paravent)
- C'est ça !
- (Priant)
- « Voyez notre
détresse,
- Sainte Madone
!
- Je suis l'indigne
pécheresse,
- Mais Mimi, bonne
Vierge,
- Est un ange des cieux !
»
RODOLPHE
(s'approchant de Musette)
- J'espère encore
!
- Crois-tu que ce soit
grave ?
MUSETTE
- Non, certes
!
SCHAUNARD
(marchant sur la pointe des pieds s'approche de Mimi, puis, avec
un geste de douleur, revient près de Marcel et lui dit tout
bas :)
- Marcel ! elle est morte
!
(Cependant Rodolphe
s'aperçoit que le soleil entrant par la baie frappe le
visage de Mimi. Musette, d'un signe, lui indique son manteau. Il
la remercie d'un regard, prend le manteau, monte sur une chaise,
et s'efforce de l'étendre devant la fenêtre. Marcel
s'approche à son tour du lit et recule effrayé.
Colline entre avec précaution et dépose de l'argent
sur la table, devant Musette)
COLLINE
(à Musette)
- Musette, voici
!
COLLINE
(va vers
Rodolphe pour l'aider à étendre la mantille et lui
demande des nouvelles de Mimi :)
- Eh bien ?
RODOLPHE
- Tu vois ? elle est
tranquille !
(En se retournant, il
voit Musette qui lui fait signe que la médecine est
prête ; il descend de la chaise, s'approche de Musette et
s'arrête devant les mines consternées de Marcel et de
Schaunard)
(d'une voix
étouffée :)
- Qu'y a-t-il
?
- Que se passe-t-il donc
?
- (pâlissant et
fixant chacun à tour de rôle)
- Mais pourquoi me
regarder ainsi ?
MARCEL
(Il ne résiste pas davantage et court vers Rodolphe, le
serrant contre son coeur ; d'un cri angoissé :)
- Courage !
RODOLPHE
(il court au lit de Mimi et dans un cri de désespoir
:)
- Mimi !
(il se jette sur le
corps inanimé de Mimi en pleurant)
- Mimi !
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2016