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LAKMÉ
OPÉRA en 3 ACTES
Poème de MM. Edmond GONDINET et Philippe GILLE
Musique de Léo DELIBES
Ouvrage représenté, pour la première fois, sur la scène de l'Opéra-Comique
le 14 Avril 1883.
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L'action se passe en Inde, à la fin du XIXe siècle.
Résumé
ACTE I
Un jardin ombragé, situé sur la rive du fleuve et entouré d'une palissade en bambou ; un temple est à moitié dissimulé parmi les arbres. Il s'agit du refuge secret du brahmane rebelle, Nilakantha auquel les Britanniques ont interdit de pratiquer sa religion, et de sa fille, la prêtresse Lakmé, Hadji, le serviteur de Nilakantha, et Mallika, l'esclave dévouée de sa fille, font entrer furtivement les quelques Indiens fidèles qui désirent encore pratiquer leur culte sous la direction du prêtre proscrit. Alors que Nilakantha songe à sa vengeance, Lakmé prie leurs dieux Dourga, Siva et Ganeça, puis le prêtre renvoie les fidèles avec sa bénédiction.
Nilakantha croit dévotement que sa fille possède un don particulier pour intercéder auprès des dieux. Une fois seul avec elle, il l'informe qu'il doit se rendre à la ville pour veiller aux derniers préparatifs de l'importante fête religieuse et de la procession qui doivent avoir lieu le lendemain. Il lui promet d'être de retour avant la nuit.
Lakmé suggère à Mallika de passer la journée en barque sous le dôme de végétation fleurie qui ombrage le fleuve ; pour honorer le dieu, elles se mettront à la recherche du lotus bleu, fleur sacrée de Ganeça. Elles montent alors dans la barque et s'éloignent.
Un groupe de Britanniques approche. Miss Ellen, la fille du gouverneur, et son amie Miss Rose, se font réprimander par leur gouvernante, Mistress Bentson, qui leur déconseille de chercher à savoir ce qui se cache derrière la palissade en bambou. Mais celle-ci cède sous la poussée, et Rose se retrouve presque involontairement dans le jardin. Les autres, poussés par la curiosité, franchissent eux aussi la clôture. Gérald s'amuse de l'incident mais son ami Frédéric, qui connaît l'existence de Nilakantha et de sa fille, que le prêtre a presque transformée en une divinité, avertit ses amis qu'ils ne s'aventurent pas dans le jardin sans risque. Puis il rappelle à Ellen, qui s'étonne de ne rien remarquer de particulièrement sinistre dans les fleurs qui ornent les allées, que la magnifique datura, par exemple, renferme un poison mortel. Les jeunes gens se demandent s'il est juste de soustraire au regard des hommes une créature réputée aussi belle que Lakmé, et tous les cinq essaient de déterminer ce qui différencie les Asiatiques des Européens, Frédéric affirmant notamment, à la différence de ses amis, que les femmes ne sont pas partout les mêmes : l'Indienne, dit-il, ne connaît aucune retenue en amour, et en aimer une peut conduire à la tragédie.
Le regard de Miss Rose s'arrête alors sur quelques bijoux que Lakmé a abandonnés sur un banc, et Ellen en admire la beauté. Gérald conseille à ses compagnons de s'en aller ; lui-même restera quelques minutes pour faire un croquis des bijoux afin qu'ils puissent être copiés et que Miss Ellen, sa fiancée, porte les mêmes le jour de leur mariage.
Une fois seul, Gérald se plaît à deviner la personnalité de la mystérieuse propriétaire des bijoux. Comme il s'apprête à partir, il entend des voix féminines et se cache. Les jeunes filles reviennent, chargées de guirlandes de fleurs qu'elles déposent devant l'autel de Ganeça en priant, puis Mallika s'éloigne. Lakmé aperçoit alors Gérald. Elle pousse un cri mais congédie les deux serviteurs lorsqu'ils arrivent inquiets. Puis elle supplie le jeune Britannique de partir sur-le-champ : elle est fille des dieux, et il sera puni de mort s'il est découvert dans le sanctuaire. Charmé par sa beauté, Gérald lui déclare sa passion, et Lakmé s'avoue à elle-même que cet étranger produit sur elle une impression bien étrange. Gérald n'a guère de mal à la convaincre qu'ils sont unis par l'amour.
Entendant son père qui approche, Lakmé renvoie le jeune homme juste à temps pour qu'il échappe à Hadji, lequel attire l'attention de son maître sur la palissade brisée. Le prêtre jure alors de se venger de l'outrage.
ACTE II
Sur la place du marché, Mistress Bentson est importunée par un diseur de bonne aventure et par plusieurs colporteurs, qui réussissent à lui dérober sa montre. Frédéric et Rose se portent à son secours. Puis les vendeurs rassemblent leurs marchandises et s'apprêtent à partir, laissant la place à la fête. La gouvernante est inquiète car elle a perdu la trace de sa jeune protégée. Frédéric la rassure en disant qu'Ellen est probablement en compagnie de son fiancé.
Les jeunes danseuses du temple, les bayadères, ouvrent les festivités. Une fois leur numéro terminé, Nilakantha, déguisé en pénitent, apparaît en compagnie de sa fille, déguisée eu chanteuse ; il espère que l'homme ayant violé le sanctuaire se trahira en entendant chanter Lakmé et en essayant de s'approcher d'elle. Il oblige alors celle-ci à interpréter l'histoire d'une fille de parias qui vient en aide à un étranger, lequel est en fait Vichnou, fils de Brahmâ, qui l'emmène aux cieux. Mais Gérald demeure invisible, et Nilakantha ordonne à sa fille hésitante de poursuivre. Soudain, le jeune homme surgit de la foule pour soutenir Lakmé, chancelante. Le prêtre entraîne alors sa fille. Frédéric est stupéfait d'apprendre de son ami que la chanteuse des rues n'est autre que la fille du brahmane. Cependant qu'une compagnie de soldats britanniques traverse la place, Frédéric réussit à écarter Gérald du lieu de la scène. Nilakantha et d'autres conspirateurs réfléchissent à la manière d'en finir avec Gérald. Puis ils se dispersent, laissant Lakmé seule. Hadji rappelle alors à la jeune fille angoissée les services qu'il lui a rendus lorsqu'elle n'était encore qu'une enfant et l'assure qu'il irait jusqu'à sacrifier son existence pour elle.
Gérald retrouve la jeune prêtresse. Celle-ci lui dit que s'il partageait ses croyances religieuses, les autres Hindous seraient bien obligés de le protéger. Puis elle ajoute qu'elle connaît une cabane dans la forêt où ils pourraient s'aimer et vivre en toute sécurité.
On voit apparaître la grande procession religieuse, qui se dirige vers le temple de Dourga. Lakmé se cache en toute hâte ; Rose, Ellen et Mistress Bentson s'éloignent sur les traces du cortège. Frédéric rappelle à son ami, officier comme lui, que leur régiment doit prendre son service le lendemain. Alors que les brahmanes continuent d'implorer leur déesse, Gérard déclare que Lakmé est désormais ce qu'il a de plus cher au monde. Nilakantha et ses acolytes entourent alors Gérald, qu'ils frappent d'un coup de poignard avant de disparaître dans la foule. Le jeune homme s'effondre et Lakmé pousse un cri de consternation, mais Gérald n'est pas mortellement blessé, et Hadji emporte sur son dos l'officier évanoui cependant que Lakmé exulte à l'idée d'être unie pour toujours à celui qu'elle aime.
ACTE III
Hadji a conduit Gérald dans la cabane secrète de la jeune prêtresse, et les amants songent avec bonheur à passer le reste de leur existence dans cette hutte en bambou dissimulée dans la forêt. On entend au loin : Lakmé explique à Gérald que des couples d'amoureux chantent en se dirigeant vers la source sacrée, où ils s'apprêtent à boire l'eau dans une même coupe, scellant ainsi leurs deux vies à jamais. Ils ne peuvent, eux-mêmes, se rendre à la source, de peur d'être découverts, mais Lakmé dit qu'elle s'y rendra seule et en rapportera le liquide miraculeux afin qu'ils puissent eux aussi boire à la même coupe.
À peine a-t-elle disparu que Frédéric arrive. Il a suivi les traces de sang laissées par Gérald et n'a eu guère de mal à découvrir la cabane. Il supplie son ami de songer à son devoir et de ne pas sacrifier son avenir pour un amour passager. Mais Gérald lui répond que Lakmé lui voue un amour sincère. Frédéric mentionne en vain le chagrin d'Ellen, mais un dernier appel au devoir - le régiment part dans une heure - amène la promesse qu'il désirait ; il ne lui reste alors plus qu'à repartir. Lakmé revient avec l'eau sacrée et remarque le léger changement qui s'est opéré chez son amant. Des soldats chantent dans le lointain, et elle s'aperçoit avec douleur que le patriotisme de son amant est plus fort que son amour pour elle. Sans attirer son attention, elle va alors cueillir une fleur de datura, qu'elle porte à sa bouche. Un peu plus tard, Gérald lui jure un amour éternel, mais Lakmé répond qu'elle ne va pas tarder à mourir.
Nilakantha entre dans la cabane et menace de tuer Gérald, mais Lakmé avoue à son père qu'elle a bu les eaux de la source sacrée dans la même coupe que l'officier. Le brahmane est alors obligé d'arrêter son geste puisque le jeune homme est désormais un être sacré. Lakmé s'offre aux dieux en tant que victime expiatoire, et lorsqu'elle s'effondre et meurt, Nilakantha se réjouit de voir sa fille accéder à la béatitude éternelle.
CATALOGUE DES MORCEAUX
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ACTE I
Un jardin très ombragé où croissent et s'entremêlent toutes les fleurs de l'Inde. Au fond, une maison peu élevée, sorte de temple perdu dans la verdure, à demi-cachée par les arbres. L'image du Lotus sur la porte d'entrée et, plus loin, une statue de Ganeça, idole à tête d'éléphant, donnent à cette mystérieuse habitation l'aspect d'un sanctuaire. Au fond, le commencement d'un cours d'eau qui se perd dans la verdure. - Le jardin est entouré d'une frêle clôture en bambous. - C'est le lever du jour
Au lever du rideau, Hadji et Mallika vont ouvrir la porte du jardin à des Hindous, hommes et femmes, qui entrent avec recueillement.
N° 1 - INTRODUCTION - CHOEUR ET PRIÈRE
LAKMÉ, MALLIKA, HADJI, NILAKANTHA et CHOEURS.
LES HINDOUS : Mallika, avec les soprani ; Hadji avec les 2e ténors, basses
NILAKANTHA (sortant de sa demeure)
À ce moment, on entend la voix de Lakmé dans la demeure du brahmane. Tous les Hindous se prosternent.
LES HINDOUS (à bouche fermée)
À la fin du chant sacré, Lakmé a paru sur le seuil de la demeure du Brahmane et mêle sa prière à celle des Hindous.
LAKMÉ
LES HINDOUS
NILAKANTHA
LES HINDOUS
Tous les Hindous sortent avec recueillement, à l'esception du brahmane, de Lakmé et de ses deux serviteurs.
LAKMÉ, MALLIKA, HADJI, NILAKANTHA
NILAKANTHA (avec tendresse)
LAKMÉ
NILAKANTHA
Il faut que je te quitte à l'instant !
LAKMÉ
Quoi, déjà ?
NILAKANTHA
(Aux deux serviteurs)
Restez près de Lakmé.
HADJI
Nous veillerons sur elle.
MALLIKA
Nous veillerons tous deux.
NILAKANTHA
(Ensemble)
LAKMÉ, MALLIKA, HADJI
- Que le ciel te protège,
- Te guide par la main,
- Chasse tout sacrilège
- Au loin de ton chemin,
- Chasse tout sacrilège
- Au loin de ton chemin.
NILAKANTHA
- Que le ciel me protège,
- Me guide par la main,
- Chasse tout sacrilège
- Au loin de mon chemin,
- Chasse tout sacrilège
- Au loin de mon chemin.
Nilakantha s'éloigne accompagné jusqu'à la porte par Lakmé et ses deux serviteurs. Hadji rentre dans la maison.
LAKMÉ, MALLIKA
LAKMÉ (gaiement, après s'être débarrassée de quelques bijoux qu'elle a posés sur une table de pierre)
MALLIKA
(Ensemble)
LAKMÉ
- Dôme épais, le jasmin,
- À la rose s'assemble,
- Rive en fleurs frais matin,
- Nous appellent ensemble.
- Ah ! glissons en suivant
- Le courant fuyant ;
- Dans l'onde frémissante,
- D'une main nonchalante,
- Gagnons le bord,
- Où l'oiseau chante, l'oiseau, l'oiseau chante.
- Dôme épais, blanc jasmin,
- Nous appellent ensemble !
MILLIKA
- Sous le dôme épais, où le blanc jasmin
- À la rose s'assemble,
- Sur la rive en fleurs riant au matin,
- Viens, descendons ensemble.
- Doucement glissons
- De son flot charmant
- Suivons le courant fuyant ;
- Dans l'onde frémissante,
- D'une main nonchalante,
- Viens, gagnons le bord,
- Où la source dort
- Et l'oiseau, l'oiseau chante.
- Sous le dôme épais,
- Sous le blanc jasmin,
- Ah ! descendons ensemble !
LAKMÉ
MALLIKA
LAKMÉ
(Reprise de l'ensemble)
LAKMÉ
- Dôme épais, le jasmin,
- À la rose s'assemble,
- Rive en fleurs frais matin,
- Nous appellent ensemble.
- Ah ! glissons en suivant
- Le courant fuyant ;
- Dans l'onde frémissante,
- D'une main nonchalante,
- Gagnons le bord,
- Où l'oiseau chante, l'oiseau, l'oiseau chante.
- Dôme épais, blanc jasmin,
- Nous appellent ensemble !
MALLIKA
- Sous le dôme épais, où le blanc jasmin
- À la rose s'assemble,
- Sur la rive en fleurs riant au matin,
- Viens, descendons ensemble.
- Doucement glissons
- De son flot charmant
- Suivons le courant fuyant ;
- Dans l'onde frémissante,
- D'une main nonchalante,
- Viens, gagnons le bord,
- Où la source dort
- Et l'oiseau, l'oiseau chante.
- Sous le dôme épais,
- Sous le blanc jasmin,
- Ah ! descendons ensemble !
(Pendant les dernières msesures du chant, Mallika a détaché une petite barque qui était amarrée dans les roseaux : Lakmé y monte, suivie de Mallika qui a pris l'aviron. La barque s'éloigne et leurs voix s'éteignent dans le lointain).
LAKMÉ, MALLIKA (dans le lointain)
Ah ! ah ! ah !
ELLEN, ROSE, MISTRESS BENTSON, GÉRALD, FRÉDÉRIC
(Dialogues)
(On entend des éclats de rire en dehors de la clôture du jardin)
MISTRESS BENTSON
Miss Rose, Miss Ellen, respectez les clôtures.
ELLEN
Laissez-nous voir au moins par-dessus les bambous.
ROSE
La brèche est faite on peut passer !
GÉRALD
Voilà Mistress Bentson qui court les aventures !
MISTRESS BENTSON
C'est très irrégulier.
GÉRALD
Mais c'est très amusant !
FRÉDÉRIC
Dangereux quelquefois !
GÉRALD
Voilà ce qui nous tente !
MISTRESS BENTSON
Mais moi, je dois être prudente comme gouvernante.
ELLEN
Ces arbres et ces fleurs n'ont rien qui nous effraye.
FRÉDÉRIC
ELLEN
L'Inde est abominable !
GÉRALD
C'est un pays enchanteur puisqu'on y peut mourir en mordant une fleur.
FRÉDÉRIC
TOUS
Nilakantha !
GÉRALD
Ce Brahmane indompté qui souffle aux Indiens la haine vengeresse ?
FRÉDÉRIC
On la nomme Lakmé.
GÉRALD
Lakmé.
GÉRALD
Et vous croyez qu'elle est belle ?
FRÉDÉRIC
Ravissante, dit-on !Variante plus détaillée des dialogues de la scène précédente
(On entend des éclats de tire en dehors de la clâture du jardin).
ROSE
Que voyez-vous ?
FRÉDÉRIC
Je vois un jardin.
ELLEN
Et vous, Gérald ?
GÉRALD
Je vois de très beaux arbres.
ELLEN
Il n'y a personne ?
GÉRALD
Je ne sais pas.
ROSE
Regardez bien.
FRÉDÉRIC
Ce n'est pas commode, à travers une pareille clôture.
ELLEN
Essayez d'écarter les bambous !
MISTRESS BENTSON
Mesdemoiselles, mesdemoiselles, soyez prudentes.
GÉRALD
Tiens, je vois la statue de Ganeça, le dieu de la sagesse.
FRÉDÉRIC
Je vois une feuille de lotus dessinée sur la porte. C'est la demeure d'un brahmane.
ROSE et ELLEN
D'un brahmane !
FRÉDÉRIC
Allons-nous-en !
ROSE et ELLEN
Pourquoi ?
FRÉDÉRIC
Parce qu'il ne faut pas plaisanter avec ces gens-là.
ELLEN (écartant les bambous)
Oh ! moi, je veux absolument voir le jardin d'un brahmane.
MISTRESS BENTSON
Miss Ellen, soyez prudente!
ELLEN
Oh ! il est trop tard !
(Les bambous ont cédé, elle est entrée dans le jardin)
MISTRESS BENTSON
Oh ! Miss Ellen !
ROSE
La brèche est faite, on peut passer.
MISTRESS BENTSON (éperdue)
Miss Rose vous aussi.
GÉRALD
Nous ne pouvons plus reculer, vénérable Mistress Bentson.
MISTRESS BENTSON (entrant en faisant la grimace)
Mais je ne sais pas chez qui nous sommes.
FRÉDÉRIC
Moi, je le sais très bien. Je ne connais pas le propriétaire de ce petit temple, mais j'ai beaucoup entendu parler de lui.
GÉRALD
Très positivement, nous n'avons pas été présentés.
FRÉDÉRIC
Nous nous livrons là à une plaisanterie extrêmement dangereuse.
ROSE (vivement)
N'effrayez pas Mistress Bentson.
ELLEN
Oh ! non, ne l'effrayez pas!
MISTRESS BENTSON
Permettez, mesdemoiselles, je suis votre gouvernante, la prudence est un devoir pour moi.
ROSE
La prudence, oui ; mais la peur ?
MISTRESS BENTSON
La peur aussi. Quand M. le gouverneur a daigné me confier sa fille et sa nièce, il m'a recommandée d'avoir peur. Je me suis engagée à avoir peur. J'ai peur !
ELLEN (gaîment à Rose)
Vois comme c'est joli.
ROSE
Quel adorable fouillis de feuilles et de fleurs !
FRÉDÉRIC
Prenez garde aux serpents, sous les fleurs, Miss Rose !
ELLEN
Comme elle est coquette, cette rivière, toute bordée de verdure.
ROSE
Elle a l'air de s'allonger dans une courbe gracieuse pour arriver jusqu'ici.
ELLEN
Vois donc ces belles fleurs.
FRÉDÉRIC
N'y touchez pas, Miss Ellen, ce sont des daturas, des daturas stramonium, très inoffensifs en Angleterre, mais, sous ce beau ciel indien, il suffirait d'en mettre une feuille sous vos jolies dents...
MISTRESS BENTSON
Pour être empoisonnée ?
GÉRALD
Pour être empoisonnée.
FRÉDÉRIC
Parfaitement, Mistress Bentson.
MISTRESS BENTSON
C'est un pays abominable.
FRÉDÉRIC
Si vous me permettiez de vous parler raison...
ROSE
Nous ne voulons pas !
ELLEN
Non, non, nous ne voulons pas !
FRÉDÉRIC
Voyons, Gérald, toi qui as des droits ou du moins un semblant de droits, puisque tu auras le bonheur d'épouser Miss Ellen dans quelques semaines...
GÉRALD
Je n'userai jamais de mes droits pour contrarier ma femme.
ELLEN (lui tendant la main)
À la bonne heure, voilà une bonne parole!
FRÉDÉRIC
Oh ! ces amoureux ! (À Gérald) L'aventure, d'ailleurs, ne te déplait pas. (À Miss Ellen) Vous ne le connaissez pas bien, Miss Ellen ; il aime le danger, il y met de la Poésie ! c'est un rêveur de l'impossible, un enthousiaste de l'inconnu; il se perd avec amour dans les nuages bleus,...
ELLEN (vivement)
Je ne lui reproche pas.
FRÉDÉRIC (gaîment)
Au contraire, n'est-ce pas ? C'est moi qui suis prosaïque. Je vous jure pourtant que si j'étais seul...
ROSE
Quoi ? Nous ne nous exposons pas beaucoup, puisque nous ne rencontrons personne. On dirait cette demeure inhabitée.
FRÉDÉRIC
Je vous répète qu elle est parfaitement habitée par un brahmane fanatique qui se nomme Nilakantha. Il desservait une pagode que la conquête a ruinée, ce qu'il nous pardonne difficilement.
MISTRESS BENTSON
Mais j'en vois encore partout des pagodes !
FRÉDÉRIC
Dans les villes, oui ; nous aurons même demain une des plus grandes fêtes hindoues. Tous les brahmanes des environs vont se réunir à la grande pagode, mais dans les campagnes, le culte disparaît peu à peu. Nilakantha s'est retiré sur ce coin de terre qu'il a consacré à Brahma, de sa propre autorité, et il vit des modestes offrandes de quelques Hindous qui lui sont restés fidèles. Il a une fille.
ELLEN
Une fille ?
MISTRESS BENTSON
Ces gens-là ont des filles ?
FRÉDÉRIC
Elle se nomme Lakmé.
ELLEN
Oh ! le joli nom : Lakmé !
ROSE
Je voudrais bien la voir.
FRÉDÉRIC
Il ne manquerait plus que cela. Mais vous ne savez donc pas, européenne que vous êtes, que cette petite personne, née dans une pagode, vouée à quelque dieu ou à quelque déesse du ciel indien, se croit elle-même d'essence divine. Elle méprise tout ce qui se passe en dehors de cette enceinte et elle ne se montre pas.
ELLEN
Et vous croyez qu'elle est belle ?
FRÉDÉRIC
Ravissante, dit-on
(Chanté)
ELLEN
FRÉDÉRIC
GÉRALD
Une idole qu'on divinise !
ROSE
Que l'on enferme avec ferveur !
GÉRALD
Et qui jamais ne s'humanise !
MISTRESS BENTSON
Je la crois laide à faire peur !
ELLEN
FRÉDÉRIC
(Ensemble)
ELLEN, ROSE
- Ah ! beaux faiseurs de systèmes,
- Amoureux du changement,
- Laissez-là vos poèmes
- Et raisonnons un moment.
- Oui, les femmes sont partout les mêmes
- Fort heureusement,
- Les femmes sont les mêmes partout les mêmes
- Fort heureusement, fort heureusement !
MISTRESS BENTSON
- Ah ! beaux faiseurs de systèmes,
- Amoureux du changement,
- Laissez-là vos poèmes
- Et raisonnons un moment.
- Partout les femmes sont les mêmes
- Partout les femmes sont les mêmes
- Fort heureusement !
GÉRALD
- Ah ! beaux faiseurs de systèmes,
- Amoureux du changement,
- Laissez-là vos poèmes
- Et raisonnons un moment.
- Partout les femmes sont toujours les mêmes
- Partout les femmes sont les mêmes,
- Heureusement,
- Fort heureusement, fort heureusement !
FRÉDÉRIC
- Je hais tous les systèmes,
- J'observe tout simplement
- Sans faire de poèmes,
- J'observe tout simplement.
- Les femmes ne sont pas partout les mêmes
- Les femmes ne sont pas les mêmes,
- Heureusement,
- Fort heureusement, fort heureusement !
ELLEN
FRÉDÉRIC
ROSE (railleuse)
A-t-elle une grâce divine ?
FRÉDÉRIC (avec bonhommie)
Mon Dieu ! moi, je me l'imagine !
GÉRALD (raillant)
Faudrait-il vivre à ses genoux ?
MISTRESS BENTSON (ironique)
Dites donc qu'elle est mieux que nous !
FRÉDÉRIC
ELLEN (Récit.)
FRÉDÉRIC
Ne croyez pas que je compare !
ELLEN, ROSE, MISTRESS BENTSON
C'est votre esprit qui vous égare !
GÉRALD (riant)
Il est naïf en vérité !
FRÉDÉRIC
Je dis ce qu'on m'a raconté.
(Reprise de l'ensemble)
ELLEN, ROSE, MISTRESS BENTSON, GÉRALD
- Vraiment son esprit s'égare,
- C'est trop de naïveté
- Quelle crédulité quelle crédulité !
- Ah ! beaux faiseurs de systèmes,
- Amoureux du changement.
- Laissez-là vos poèmes
- Et raisonnons froidement.
FRÉDÉRIC
- Je crois ce qu'on m'a raconté, ce qu'on m'a raconté !
- Moi, je hais tous les systèmes.
- J'observe tout simplement,
- Sans faire de poèmes
- J'observe tout simplement.
(Ensemble)
ELLEN, ROSE
- Oui, les femmes sont partout les mêmes
- Fort heureusement,
- Les femmes sont les mêmes partout les mêmes
- Fort heureusement, fort heureusement !
- Gardez-vous de rien changer.
- En amour c'est un danger.
- Ah ! (laissez-là vos beaux systèmes) ah !
- Partout les femmes sont bien les mêmes, les mêmes !
MISTRESS BENTSON
- Partout les femmes sont les mêmes
- Partout les femmes sont les mêmes
- Fort heureusement !
- Gardez-vous de rien changer.
- En amour c'est un danger,
- Ah ! laissons-là ces beaux systèmes.
- Partout les femmes, les femmes sont bien les mêmes, les mêmes !
GÉRALD
- Partout les femmes sont toujours les mêmes
- Partout les femmes sont les mêmes,
- Heureusement,
- Fort heureusement, fort heureusement !
- Gardons-nous, de rien changer.
- En amour c'est un danger,
- Ah ! laissez-là vos beaux systèmes,
- Partout les femmes, les femmes sont bien les mêmes, les mêmes !
FRÉDÉRIC
- Les femmes ne sont pas partout les mêmes
- Les femmes ne sont pas les mêmes,
- Heureusement,
- Fort heureusement, fort heureusement !
- Oui, parfois il faut changer.
- Je n'y vois aucun danger.
- Je ne veux suivre aucuns système,
- Partout les femmes, les femmes, ne sont pas les mêmes, les mêmes !
FRÉDÉRIC
Nous commettons un sacrilège qu'un Hindou ne pardonne pas !
GÉRALD
Qu'importe à des soldats !
FRÉDÉRIC
On tombe un jour sans bruit enfermé dans un piège !
MISTRESS BENTSON
Partons ! Partons !
ROSE (apercevant les bijoux sur la table de pierre)
Oh ! des bijoux !
MISTRESS BENTSON
Suivez-moi !
ELLEN
MISTRESS BENTSON
Non ! non !
ELLEN
Quel dommage !
GÉRALD
Eh bien ! j'en prendrai le dessin.
ELLEN
Vous resterez sans nous ?
GÉRALD
Vous les mettrez le jour de notre mariage !
ELLEN
Pourtant, si c'était dangereux...
GÉRALD
Non !
FRÉDÉRIC
ROSE (apercevant les bijoux sur la table de pierre)
Tiens des bijoux de femme!
ELLEN
De la fille du brahmane!
ROSE
Qu'ils sont gracieux de forme
FRÉDÉRIC (vivement)
Mesdemoiselles! n'y touchez pas.
ELLEN
FRÉDÉRIC
Vous voulez qu'il s'installe avec ses crayons ?
GÉRALD
Pourquoi pas ?
FRÉDÉRIC
Çomment ! pourquoi pas ?... Parce qu'en entrant ici, nous n'avons pas seulement commis une violation de domicile condamnable en tous pays, mais un véritable mtrilège, la demeure d'un brahmane étant sacrée comme la pagode elle-même. Or un sacrilège commis par un Européen n'est jamais resté impuni. Le coupable tombe un jour ou l'autre frappé par une main invisible.
MISTRESS BENTSON
Ah! mon Dieu, pourquoi ge nous avez-vous pas dit ça tout de suite ?
GÉRALD
Les officiers de Sa Majesté la Reine d'Angleterre se moquent des brahmanes.
FRÉDÉRIC
Il ne s'agit pas de courage avec des ennemis qui ne se montrent jamais, qui poursuivent leur vengeance dans l'ombre sans se hâter, attendant l'instant propice, sûrs que pas un des leurs ne les dénoncera. Rappelez-vous que nous sommes en pays conquis.
MISTRESS BENTSON
Oui! oui ! en pays barbare. Quand je pense que nous serions si bien à Londres à Hyde-Park, humant ce joli brouillard qui nous fait le teint frais. Maintenant, mesdemoiselles, j'userai de mon autorité.
GÉRALD
Je propose une transaction. Vous allez retourner à la ville, respectable Mistress Bentson.
MISTRESS BENTSON
Merci.
GÉRALD
ELLEN (à Gérald)
Si pourtant vous deviez courir un danger...
GÉRALD (riant)
Pas le moindre. Aussitôt que je vois arriver quelqu'un, je me sauve. Je n'y mettrai pas d'amour-propre.
ELLEN
Je porterai ces bijoux-là, le jour de notre mariage.
GÉRALD
C'est alors que je les trouverai jolis.
MISTRESS BENTSON
Eh bien, mesdemoiselles ?
ROSE (à Ellen)
Je regrette de m'en aller.
ELLEN
Je le regrette bien davantage.
FRÉDÉRIC (à Gérald)
Rappelle-toi que tu as tort.
MISTRESS BENTSON
Monsieur Frédéric...
FRÉDÉRIC (en sortant)
MISTRESS BENTSON
Monsieur Frédéric... (Ils sortent)
GÉRALD
GÉRALD (Seul, se préparant à dessiner)
Frédéric, ayant fait signe à Gérald de le suivre, hausse les épaules et sort. Gérald se dirige vers les bijoux, puis s'arrête.
GÉRALD, puis LAKMÉ, MALLIKA
GÉRALD (renonçant à dessiner) (parlé)
(Il se cache, tout ému, dans un massif d'arbustes).
LAKMÉ, MALLIKA (ensemble, devant la statue de Ganeça)
(Elles posent les fleurs aux pieds de l'idole).
LAKMÉ (à Mallika)
MALLIKA
(Elle disparaît vivement derrière les arbres. Lakmé défait le manteau qui l'enveloppe, puis, au moment de suivre Mallika, elle s'arrête rêveuse).
LAKMÉ
Mais je sens en mon coeur des murmures confus !
LAKMÉ, GÉRALD (caché)
LAKMÉ
LAKMÉ, MALLIKA, HADJI, GÉRALD (caché)
LAKMÉ (apercevant Gérald et poussant un cri)
Ah ! Malllika ! Mallika !
MALLIKA (accourant)
Lakmé !
HADJI (accourant)
Quel danger te menace !
LAMKÉ (maîtrisant son émotion)
(Mallika et Hadji sortent en la regardant avec étonnement)
LAKMÉ, GÉRALD
Lakmé, dès que les deux serviteurs sont sortis, va droit à Gérald qui a fait un pas vers elle et qui la regarde avec ravissement
LAKMÉ (courroucée)
(À demi voix)
GÉRALD
LAKMÉ
GÉRALD
(Ensemble)
GÉRALD
- Ah ! tu veux que je t'oublie,
- Lorsque je sens que ma vie
- À tes lèvres se suspend,
- Oublier que je t'ai vue !
- Et cette grâce ingénue !
- Ah ! tu veux que je t'oublie,
- Lorsque je sens que je sens que ma vie
- À tes lèvres se suspend !
LAKMÉ
- D'où vient qu'à sa vue.
- De surprise émue,
- Mon coeur est tremblant !
- À sa vue,
- De surprise émue,
- Je sens en mon coeur
- L'ardeur
- D'une étrange fièvre. Ah ! va-t'en !
GÉRALD (très doux, sans bouger)
Laisse-moi ! laisse-moi te regarder !
LAKMÉ (à part)
(À Gérald)
GÉRALD
LAKMÉ (à part)
(Répétant comme malgré elle les paroles de Gérald)
GÉRALD
LAKMÉ, GÉRALD
Ah !
(En élargissant)
LAKMÉ (poussant un grand cri)
(Suppliant)
Par pitié... pour moi !
GÉRALD (s'éloignant)
Non ! je ne t'oublierai plus, ô douce vision !
HADJI, NILAKANTHA, LAKMÉ, LES HINDOUS
HADJI (montrant au Brahmane la clôture brisée)
Viens ! là ! là !
NILAKANTHA (avec indignation)
LAKMÉ
Je meurs d'effroi !
NILAKANTHA
NILAKANTHA et LES HINDOUS
Vengeance !
ENTR'ACTE
Place publique d'une ville Hindoue. De nombreuses boutiques chinoises et indiennes, des bazars, des étalages d'étoffes. À droite, la tente d'une maison de repos ou confiserie, avec divers bancs et chaises en bambou devant les petites tables à incrustation de nacre. Au fond, une grande pagode. C'est l'heure du marché.
N° 7 - CHOEUR ET SCÈNE DU MARCHÉ
Promeneurs, marchands, matelots, un Domben, un Chinois. Au lever de rideau, les marchands de fruits, de bijoux, etc., appellent les promeneurs venus pour la fête
MARCHANDS CHINOIS ET HINDOUS, MATELOTS, MISTRESS BENTSON, DOMBEN, KOURAVAR, puis FRÉDÉRIC, ROSE
MARCHANDS CHINOIS ET HINDOUS
HINDOUS
Admirez cette babouche !
CHINOISE
Gâteaux exquis à la bouche !
HINDOUS
Et ce mouchoirs merveilleux !
CHINOIS
Et ravissants pour les yeux !
MARCHANDS CHINOIS ET HINDOUS
6 MATELOTS (frappant sur une table)
MARCHANDS CHINOIS ET HINDOUS
6 MATELOTS
MARCHANDS CHINOIS ET HINDOUS
6 MATELOTS
Allons ! servez ! Ô fils de Brahma !
MARCHANDS CHINOIS ET HINDOUS
6 MATELOTS
Quand midi sonne,
MARCHANDS CHINOIS ET HINDOUS
Venez, on ne vend plus, on donne,
6 MATELOTS
Il faut partir.
MARCHANDS CHINOIS ET HINDOUS
6 MATELOTS
MARCHANDS CHINOIS ET HINDOUS
6 MATELOTS
Comment personne
MARCHANDS CHINOIS ET HINDOUS
Venez, on ne vend plus, on donne,
6 MATELOTS
MARCHANDS CHINOIS ET HINDOUS
MISTRESS BENSTON (égarée dans la foule)
UN DOMBEN (presque parlé)
Madame, le bonne aventure ?
MISTRESS BENTSON
Laissez-moi, je vous conjure.
CHINOIS
Voyez ces bijoux dorés.
MISTRESS BENTSON
Monsieur, vous m'exaspérez !
UN KOURAVAR (un Cipaye)
Laissez madame, on la désole ! (Il lui vole sa montre).
MISTRESS BENTSON
LE DOMBEN
MISTRESS BENTSON
Mais monsieur ! laissez-moi tranquille !
CHINOIS
MISTRESS BENTSON
Merci, monsieur, c'est inutile !
KOURAVAR (lui volant son mouchoir)
Chacun son lot !
CHINOIS
LE DOMBEN
LE KOURAVAR (regardant le montre qu'il a volée)
Chacun son lot ! Chacun son lot, son lot !
MARCHANDS HINDOUS ET CHINOIS
À moi plutôt !
MISTRESS BENTSON (furibonde)
Assez !
(Parlé)
FRÉDÉRIC (accourant)
C'est Mistress Bentson en fureur !
ROSE (accourant)
C'est Mistress Benson, qu'avez-vous ?
FRÉDÉRIC
Qu'avez-vous ?
MISTRESS BENTSON
On me violente !
(Ensemble)
MARCHANDS HINDOUS ET CHINOIS (le choeur reprend comme si rien ne s'était passé)
FRÉDÉRIC
ROSE
MISTRESS BENTSON
FRÉDÉRIC
ROSE
6 MATELOTS, LES MARCHANDS HINDOUS ET CHINOIS
C'est le signal du départ !
(Reprise du choeur. Les marchands se retirent peu à peu, chassés par les gardes. Quelques promeneurs hindous et des matelots sont restés par groupes au fond du théâtre).
(Ensemble)
LES MARCHANDS HINDOUS ET CHINOIS
6 MATELOTS
MISTRESS BENTSON
FRÉDÉRIC
ROSE, MISTRESS BENTSON, FRÉDÉRIC
ROSE
Moi, j'adore ce tapage !
MISTRESS BENTSON
Cependant, le marché est fini.
FRÉDÉRIC
Mais la fête commence !
MISTRESS BENTSON
Et que vont-ils faire encore ?
FRÉDÉRIC
MISTRESS BENTSON
Mais nous avons perdu Miss Ellen !
FRÉDÉRIC
Elle est sous la garde de son fiancé.
ROSE
MISTRESS BENTSON
Quelles danseuses ?
FRÉDÉRIC
N'avez-vous jamais entendu parler des bayadères de l'Inde ?
MISTRESS BENTSON
Que font-elles ordinairement ?
FRÉDÉRIC
Elles vivent dans les pagodes pour la plus grande joie des prêtres de Brahma.
MISTRESS BENTSON
Ce sont des vestales !
FRÉDÉRIC
Si vous voulez. Ce sont des vestales qui n'ont rien à garder !
MISTRESS BENTSON
Oh ! Shocking !
(Coda, avec choeurs)
LA FOULE
Les Bayadères sortent suivies de la foule. Pendant qu'elles sortent, on voit passer Nilakantha, revêtu du costume de Sanniassy, ou pénitent hindou, accompagné de sa fille.
ROSE, MISTRESS BENTSON, FRÉDÉRIC
ROSE (à Frédéric)
Voyez donc ce vieillard et cette jeune fille.
FRÉDÉRIC
C'est un Sanniassy.
ROSE
Comme son regard brille !
FRÉDÉRIC
Il va dans la ville quêtant de modestes offrandes et sa fille dira ces pieuses légendes que les Indiens aiment tant.
MISTRESS BENTSON
Ah ! Miss Ellen, Enfin !
FRÉDÉRIC
Toute joyeuse au bras de son fiancé.
ELLEN
Ne plaisantez pas. J'ai été très inquiète et je me reprochais d'avoir laissé Gérald dans le jardin de ce brahmane.
MISTRESS BENTSON
Vous n'y avez couru aucun danger ?
GÉRALD
Aucun!
ROSE
Mais il n'a pas rapporté les dessins qu'on lui demandait.
FRÉDÉRIC
Bah! vraiment ?
ELLEN
Il a eu raison.
MISTRESS BENTSON
Vous êtes reparti ?
GÉRALD
La fille du brahmane était là cueillant des fleurs.
FRÉDÉRIC
Tu l'as vue
GÉRALD
Je l'ai aperçue.
FRÉDÉRIC
Ah ! ah !
ELLEN
J'aurais eu de vrais remords si ma curiosité avait causé le moindre chagrin à cette jeune fille. Voilà que maintenant elle va m'intéresser, la petite déesse.
FRÉDÉRIC (à part)
Elle ne s'aperçoit pas qu'il est tout à fait rêveur, l'ami Gérald. Il y a des grâces d'état.
MISTRESS BENTSON
Mesdemoiselles, ne me quittez plus.
FRÉDÉRIC (bas à Gérald)
Tu sais que nous avons un appel à trois heures.
GÉRALD
Vraiment ?
FRÉDÉRIC
Le régiment part cette nuit, pour combattre des rebelles.
GÉRALD
Il faut absolument le cacher à ces dames.
FRÉDÉRIC
C'est cela.
(À Mistress Bentson)
Je vous conseille maintenant, Mistress Bentson, de rentrer avec ces demoiselles au palais du gouverneur. Il n'y aura plu à voir que la cérémonie de la pagode et le passage de la déesse Dourga. Nous irons vous prendre.
ELLEN
Vous rentrez avec nous, Gérald ?
GÉRALD
Mais certainement.
ELLEN
Vous ne m'avez pas dit si elle était vraiment belle la fille du brahmane.
GÉRALD
Elle est étrange.
(Il sort avec Ellen)
MISTRESS BENTSON
Je ne suis pas fâchée de rentrer, moi, et cependant,on n'a plus rien à me voler.
(Elle sort)
ROSE (au moment de les suivre, à Frédéric, en s'arrêtant)
Est-ce que vous n'avez pas une revue aujourd'hui ?
FRÉDÉRIC
En simple appel.
ROSE
En tenue de guerre.
FRÉDÉRIC
Mais non, pas en tenue de guerre. Pourquoi en tenue de guerre ?
ROSE
Vous ne nous dites pas que votre régiment part cette nuit ?
FRÉDÉRIC
Le régiment ?
ROSE
Oh! je sais qu'on le cache.
FRÉDÉRIC
Où avez-vous pris ces nouvelles?
ROSE
Chez mon oncle le gouverneur, par hasard. On ne se défie pas de moi.
FRÉDÉRIC
C'est-à-dire que nous devons faire à l'aube une promenade militaire.
ROSE
Dans une province révoltée ; Je n'ai pas voulu en parler à Ellen parce qu'elle tremblerait à l'idée de voir partir son fiancé. Elle n'a pas mon courage, et puis, moi, je n'ai pas de fiancé.
FRÉDÉRIC (à part)
Elle est ravissante !
ROSE
Ellen est déjà loin. (S'arrêtant.) Vous ne partirez
pas sans nous faire vos adieux ?
FRÉDÉRIC
Non, certes.
ROSE (apercevant Nilakantha et Lakmé)
Voici encore ce vieillard et cette jeune fille. Ils m'effraient.
FRÉDÉRIC
Prenez mon bras.
ROSE
Oh! volontiers! C'est parce que j'ai peur.
FRÉDÉRIC
Elle est adorable!
(Ils sortent).
NILAKANTHA, LAKMÉ
NILAKANTHA
(Frédéric et Rose passent avec indifférence)
LAKMÉ (timidement)
Brahma nous défend-il d'oublier un outrage ?
NILAKANTHA
L'outrage d'un étranger !
NILAKANTHA
NILAKANTHA (avec beaucoup de tendresse)
LAKMÉ, NILAKANTHA
LAKMÉ
NILAKANTHA (d'une voix contenue)
(Avec beaucoup de sentiment)
(Air des clochettes)
LAKMÉ
LAKMÉ (sans mesure)
Ah !
(Peu à peu, la foule des Hindous s'est rapprochée, attirée par la voix de Lakmé)
NILAKANTHA
LES HINDOUS
Écoutons la légende, écoutons !
LAKMÉ (presque en récitatif)
(Imitant la clochette)
Ah ! ah ! ah !
(Imitant la clochette)
Ah ! ah ! ah !
NILAKANTHA, LAKMÉ, LES HINDOUS, puis GÉRALD, FRÉDÉRIC
NILAKANTHA
(À part)
(À sa fille)
Chante ! Chante encore !
LAKMÉ (hésitante)
Mon père !
NILAKANTHA
Chante ! Chante encore !
LES HINDOUS
Ah ! chante encore !
(Quelques officiers paraissant au fond. Gérald et Frédéric sont avec eux)
NILAKANTHA (à demi voix)
Chante ! chante !
LAKMÉ
(Elle aperçoit Gérald qui ne l'a pas encore vue - Très émue)
NILAKANTHA
Encor !
LAKMÉ
Elle court sur la mousse et ne se souvient pas...
NILAKANTHA
Encor !
LAKMÉ (se troublant de plus en plus)
...ah !
NILAKANTHA
Chante !
LAKMÉ
...ah !
NILAKANTHA
Encor !
LAKMÉ (poussant un cri en voyant Gérald qui s'approche)
Ah ! ah !
GÉRALD (s'élançant pour la soutenir)
Lakmé
NILAKANTHA (s'emparant de sa fille)
C'est lui !
LES HINDOUS
Qui la trouble ainsi ?
LAKMÉ (cherchant à maîtriser son émotion)
(D'une voix faible)
Ah !
GÉRALD
La fille du Brahmane !
FRÉDÉRIC
Ici !
LAKMÉ
Ah !
NILAKANTHA (à sa fille)
Ah ! Brahma t'inspirait, l'étranger s'est trahi !
LAKMÉ (faiblissant)
Ah !
GÉRALD (avec émotion)
C'est Lakmé, c'est elle !
FRÉDÉRIC
Sois prudent.
GÉRALD
FRÉDÉRIC
On nous appelle !
GÉRALD
Attends !
LES HINDOUS
Les soldats ! Les soldats !
FRÉDÉRIC
Par cette enfant es-tu donc retenu ?
GÉRALD
Non ! non !
(Ils s'éloignent)
NILAKANTHA (Récit.)
(Des soldats Anglais défilent au fond du théâtre, fifre et tambours en tête.
NILAKANTHA, CONSPIRATEURS
NILAKANTHA (mystérieusement aux conjurés)
CONSPIRATEURS
NILAKANTHA
CONSPIRATEURS
NILAKANTHA, CONSPIRATEURS
Lentement nous enfermerons.
CONSPIRATEURS
Lentement nous l'enfermerons.
NILAKANTHA
CONSPIRATEURS
LAKMÉ
NILAKANTHA
(Les conjurés et le Brahmane sortent lentement ; Lakmé reste seule avec Hadji)
HADJI
HADJI (parlé, avec musique à l'orchestre)
(À ce moment, Gérald revient rêveur. Lakmé fait signe à Hadji de s'éloigner, puis court vers Gérald)
GÉRALD, LAKMÉ
GÉRALD
(Avec ferveur)
LAKMÉ (tristement)
(En hésitant un peu)
Tu me courrais aucun danger !
GÉRALD
LAKMÉ (résolument)
Je ne veux pas que tu meures !
GÉRALD (avec passion)
LAKMÉ
GÉRALD
LAKMÉ (mystérieusement)
GÉRALD (répétant les paroles de Lakmé)
LAKMÉ
Je viendrai souriante
GÉRALD, LAKMÉ
Et c'est là que tu vivras !
GÉRALD (avec passion)
LAKMÉ
GÉRALD
LAKMÉ
Lakmé t'implore et te supplie !
GÉRALD
Demande moi plutôt ma vie !
LAKMÉ
Ai-je donc perdu mon pouvoir ?
GÉRALD
Ah ! Lakmé, tu pleures !
LAKMÉ (avec beaucoup d'élan)
Je ne veux pas que tu meures !
GÉRALD
(Ensemble)
LAKMÉ
GÉRALD
LAKMÉ
(Elle se sépare de Gérald et sort en voyant arriver Nilakantha)
LAKMÉ - ELLEN - ROSE - MISTRESS BENTSON - GÉRALD - HADJI - FRÉDÉRIC - NILAKANTHA et les CHOEURS
Chant des Brahamanes
BRAHAMANES (Basses)
(Les Brahmanes se dirigent vers la Pagode)
(Sopranos et Ténors)
BRAHAMANES (Basses)
(Sopranos et Ténors)
(Les Brahmanes et les Bayadères entrent dans la Pagode - Ellen et Rose rentrent accompagnées de Mistress Bentson, puis Frédéric arrive avec Gérald)
ELLEN
ROSE
MISTRESS BENTSON
ELLEN, ROSE
FRÉDÉRIC (qui rejoint Gérald)
GÉRALD (préoccupé)
Oui ! leur fête m'intéresse.
FRÉDÉRIC (souriant)
La fille du Brahmane a passé par ici.
GÉRALD (éclatant)
BRAHAMANES dans la Pagode (Basses)
(Sopranos et Ténors)
FRÉDÉRIC (gaîment)
(Les brahmanes sortent de la Pagode, escortant la statue de la Déesse Dourga dont la statue est portée à bras dans une sorte de palanquin. La nuit est venue. Des porteurs de torches accompagnent le cortège. Les danses sacrées reprennent).
ELLEN, ROSE, MISTRESS BENTSON
BRAHAMANES (Basses)
(Sopranos et Ténors)
(La procession sort)
(Les Hindous et Nilakantha guettent Gérald. - Nilakantha le désigne du doigt. Les Anglais, à part Gérald qui demeure fasciné, s'arrangent pour s'échapper de la foule).
GÉRALD
(Gérald aperçoit Lakmé qui se montre à droite. Il va vers elle. Les conspirateurs le cernent de près. Nilakantha le suit et, au moment où Gérald est près de Lakmé, il le frappe et se sauve vivement en le voyant tomber).
(Gérald frappé par Nilakantha pousse un cri et tombe. Tous les conspirateurs disparaissent) .
LAKMÉ
(Lakmé se précipite vers Gérald, se penche sur lui, l'examine, et sa figure s'éclaire lorsqu'elle reconnaît que la blessure n'est pas dangereuse.).
Ils croient leur vengeance assouvie !
(Elle appelle Hadji qui accourt ; celui-ci comprend et va chercher des porteurs).
(Hadji et les porteurs emmènent Gérald précipitamment).
ENTR'ACTE
Une partie de forêt de l'Inde, dans laquelle on aperçoit une sorte de cabane en bambous perdue sous les lianes et les fleurs. Gérald est étendu sur un lit de feuillage. Lakmé épie son sommeil.
LAKMÉ
LAKMÉ
GÉRALD, LAKMÉ
Le théâtre représente une partie de forêt de l'Inde que le soleil éclaire de ses plus chauds rayons. Sous un arbre gigantesque une cabane à peine fermée et perdue dans les acacias roses, les daturas à double calice blanc, les tulipias jaunes.
Au lever de rideau, Gérald est étendu sur un lit de feuillage. Lakmé, à demi-penchée, inquiète, épie son sommeil en murmurant une chanson.
LAKMÉ
GÉRALD (s'éveillant sans voir Lakmé)
LAKMÉ (se penchant vers lui)
GÉRALD
GÉRALD
GÉRALD
LAKMÉ, GÉRALD, CHOEURS DANS LA COULISSE
LAKMÉ
CHOEUR DES COURTISANS (dans la coulisse)
Ah !
GÉRALD
LAKMÉ
Personne ici ne nous découvrirait !
CHOEUR (COUPLES D'AMOUREUX)
AUTRES COUPLES
Ah !
GÉRALD
LAKMÉ
(Gravement)
(Ensemble)
GÉRALD
- Et les déesses bienfaisantes
- Veillent sur leurs amours.
LAKMÉ
- Les déesses bienfaisantes
- Veillent sur leurs amours.
CHOEUR (COUPLES D'AMOUREUX)
AUTRES COUPLES
Ah !
LAKMÉ
GÉRALD
Ô douce tentatrice !
LAKMÉ
Attends-moi !
(Elle s'éloigne)
GÉRALD (la suivant des yeux)
FRÉDÉRIC, GÉRALD
FRÉDÉRIC (paraissant)
Vivant !
GÉRALD (parlé)
Ah !
FRÉDÉRIC (avec émotion)
GÉRALD
Je rêve !
FRÉDÉRIC
Quand les nôtres vont partir ?
GÉRALD
Laisse-moi me souvenir...
FRÉDÉRIC
Quand le pays tout entier se soulève !
GÉRALD
FRÉDÉRIC
La fille du Brahmane ?
GÉRALD
FRÉDÉRIC
GÉRALD (avec passion)
FRÉDÉRIC
GÉRALD
Je l'envelopperai si bien de ma tendresse...
FRÉDÉRIC
Et miss Ellen ?
GÉRALD
Je subis le pouvoir d'une enchanteresse...
FRÉDÉRIC
Et...ton devoir ?
GÉRALD
Mon devoir ?
FRÉDÉRIC (avec chaleur)
GÉRALD
Demain !
FRÉDÉRIC
Nous partons...nous partons dans une heure !
GÉRALD (avec résolution)
J'y serai !
FRÉDÉRIC
Je t'ai retrouvé ! retrouvé !
GÉRALD
J'y serai ! (regardant au fond)C'est Lakmé ! C'est Lakmé qui m'apporte l'eau sainte !
FRÉDÉRIC
(En sortant)
Il est sauvé !
LE CHOEUR DANS LA COULISSE, LAKMÉ, GÉRALD
LAKMÉ (revient triompante, elle apporte l'eau consacrée)
(Religieusement)
(Elle le regarde attentivement, puis, comme frappée de stupeur, elle pose la coupe en s'écriant :)
GÉRALD
Lakmé !
LAKMÉ
GÉRALD
LAKMÉ
Ce n'est plus toi !
GÉRALD
Es-tu moins belle et moins aimante !
LAKMÉ
Ce n'est plus toi !
GÉRALD
Moins belle et moins aimante !
LAKMÉ (gravement)
Veux-tu qu'à mon destin ton destin lié ?
GÉRALD
LAKMÉ (de même)
GÉRALD (presque parlé)
Ciel !
(Fifres dans la coulisse)
CHOEUR DES SOLDATS (au lointain dans la coulisse)
Alerte !
GÉRALD
Nos soldats !
CHOEUR DES SOLDATS
LAKMÉ
Jure !
CHOEUR DES SOLDATS
Courage !
GÉRALD
Ce sont eux !
CHOEUR DES SOLDATS
LAKMÉ
GÉRALD
Lakmé !
LAKMÉ (avec force en posant la coupe)
Tu n'oses pas !
CHOEUR DES SOLDATS
LAKMÉ (regarde attentivement Gérald dont les yeux restent fixés du côté où l'on entend le chant des soldats)
Avec déchirement, après avoir essayé vainement d'attirer son regard.
Pendant que Gérald la tête penchée suit de l'oreille les tambours qui s'éloignent, Lakmé désespérée va cueillir une fleur de datura et la mord en souriant, sans que Gérald ne l'aperçoive.
GÉRALD
Lakmé ! Lakmé ! Qu'as-tu ?
LAKMÉ (allant à lui, avec tendresse et souriante)
GÉRALD
LAKMÉ (avec passion)
(Elle y trempe se lèvres et la lui tend)
Prends !
GÉRALD (la prenant avec exaltation)
À toi ! Lakmé, et pour toujours !
(Il boit)
LAKMÉ (avec mélancolie)
C'est la fête de nos amours !
GÉRALD
LAKMÉ
GÉRALD
(Ensemble)
GÉRALD
- Je reste sous le charme,
- Que jamais une larme,
- Que jamais une larme .
(En élargissant)
Ne me voile ta beauté !LAKMÉ
- C'est ma première larme...
- Et je meurs sous le charme .
(En élargissant)
Par l'amour apporté !
GÉRALD
Toujours à toi, je te le jure !
LAKMÉ (défaillante)
GÉRALD
Mourir !
LAKMÉ (souriante)
GÉRALD
Lakmé !
LAKMÉ
Et je meurs dans tes bras !
GÉRALD
LAKMÉ
GÉRALD
NILAKANTHA, LAKMÉ, GÉRALD
NILAKANTHA
LAKMÉ
Ciel ! mon père !
GÉRALD
Frappez ! Frappez ! Je suis désarmé !
NILAKANTHA
Tu mourras ! Tu mourras !
LAKMÉ (retenant son père d'un geste)
NILAKANTHA
Lui !
LAKMÉ (d'une voix faible)
GÉRALD (effrayé)
Quel éclair dans ses yeux brille !
LAKMÉ (avec extase)
Ils m'ont parlé !
NILAKANTHA (éperdu, la saisissant)
Lakmé ! ma fille !
GÉRALD
LAKMÉ (mourante, le sourire aux lèvres)
GÉRALD (poussant un cri)
Ah ! morte !
NILAKANTHA (avec exaltation)
GÉRALD
Ah !
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