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Une année scolaire avec M. Aillaud
L'automne 1921 fut une date marquante dans ma vie scolaire. Ma mère m'avait fait inscrire à l'école primaire Martini, dirigée alors par M. Rouffié.
Je savais avant la rentrée d'octobre que j'étais affecté à la classe de M. Aillaud, classe préparatoire au Certificat d'Études Primaires. Cet instituteur d'élite était en fonction depuis plus de trente ans. Il avait la réputation d'un maître d'une sévérité exemplaire. Mon père et l'un de mes oncles, qui avaient été ses élèves à la fin du XIXe siècle, parlaient de lui avec beaucoup de respect. Ils aimaient rappeler ses exigences pour la discipline et sa rigueur pour le travail bien fait.
Je me donnais bien quelque importance à la pensée d'entrer la Grande école mais tout de même, confusément je ressentais quelque inquiétude.
Jusqu'ici, je n'avais fréquenté que de petites écoles : la maternelle de la Rue d'Alsace - ou plutôt l'asile comme disaient les parents - et la petite école des Sablettes, avec ses deux classes bâties sur l'isthme en 1903. Les institutrices y accueillaient les petits enfants avec une attention toute maternelle.
Ce ne serait certainement pas le cas dans cette école que fréquentaient des centaines d'élèves dont l'âge variait entre cinq et seize ans. Dans cette multitude, qui s'annonçait houleuse, comment ma nature paisible et plutôt sauvageonne allait-elle réagir ?
Aussi, dans cette matinée du 1er Octobre 1921, quand je pénétrai dans la grande cour grouillante d'enfants turbulents, courant dans tous les sens, bousculant les uns, insultant les autres, je rue sentis mal à l'aise. Cette prise de contact avec ce nouveau milieu où il me faudrait vivre, bon gré mal gré, fit naître en moi un sentiment d'insécurité manifeste.
N'ayant pas encore de petits camarades, je m'adossai au tronc de l'orme centenaire, tout près de la fontaine, à gauche de la porte d'entrée Est. Tout apoltroni, je serrais entre mes jambes mon cartable tout neuf qui renfermait un beau plumier verni, à incrustations de nacre, et j'attendis patiemment.
J'étais loin de penser, dans ces minutes palpitantes, que je passerais plus de cinquante ans de ma vie entre ces murs déjà vétustes, dans cette atmosphère d'agitation perpétuelle qui ne convenait pas du tout à mon tempérament.
Quand l'horloge de l'église annonça les huit heures, simultanément j'entendis une cloche tinter nerveusement dans la cour de l'école. Des élèves se disputaient le privilège d'agiter la chaîne suspendue à l'angle extérieur du bureau directorial, ce qui permit à la cloche de retentir si puissamment que les retardataires arrivèrent essoufflés, à la limite d'être sanctionnés.
Alors retentirent les appels des maîtres qui cherchaient à constituer leur classe. J'en vis bien une dizaine qui arpentaient le préau, leur feuille d'appel à la main et qui vociféraient pour dominer le tumulte.
Pour la première fois, j'entendis des noms qui devinrent bien vite familiers aux élèves et qui l'étaient déjà pour des milliers de Seynois :
J'entendis encore les noms de Forel, Michel, Olivier, Roux, Santucci, Rougier...
Mais, c'était la colonne attendue par M. Aillaud qui me préoccupait. C'était donc lui, Aillaud, cet homme plutôt petit, corpulent, à la tête absolument chauve, à la moustache tombante et aux petits yeux luisants dont le regard me glaça quand il se fixa sur moi. " Taisez-vous ! " lança-t-il d'un ton qui n'admettait pas de réplique. Sitôt dans le rang, je me tins immobile, mon cartable à la main. Mais il se trouva, dans la trentaine d'élèves qui composaient la classe, quelques agités qui ne tinrent aucun compte des admonestations du maître. Alors je vis M. Aillaud remonter le rang qu'il avait composé et distribuer quelques gifles si énergiques que le silence et l'ordre régnèrent instantanément.
Ça commençait bien !
" En rang par deux ! Avancez ! " dit-il en prenant lui-même la tête de la classe pour nous diriger.
Pour accéder à la classe qui nous était destinée, il fallait passer devant le bureau de Monsieur le Directeur, monter des escaliers étroits et obscurs qui donnaient accès à deux classes. Celle de M. Aillaud était à gauche. Elle était longue, mal éclairée par quatre fenêtres étroites qui donnaient sur la grande cour nord, côté ouest, ce qui veut dire qu'elle ne recevait que peu de soleil pendant l'hiver.
Le maître nous fit placer un à un sur des bancs à deux places, non sans nous avoir demandé si nous n'étions pas handicapés pour la vue, auquel cas, il nous aurait placé dans les premiers rangs. Par la suite, à la fin du premier mois de classe, il nous disposa à peu près dans l'ordre de notre classement mensuel.
Pendant les quelques minutes consacrées à nos affectations, j'eus le temps d'observer l'équipement de la classe qui se résumait à ceci : trois rangées de dix bancs, faisaient face à un bureau posé sur une estrade qui se trouvait dans le coin gauche quand on avait la porte d'entrée derrière soi. À droite du bureau, un tableau noir. Sur la face de la classe opposée aux fenêtres, s'alignaient des portemanteaux, des cartes de géographie, dont celle de la France Physique, un planisphère et un compendium qui renfermait tout le nécessaire à enseigner le système métrique (les mesures de poids, en fer blanc, en étain, une balance et une chaîne d'arpenteur). Au fond de la classe, un placard vitré contenait des objets nécessaires à l'enseignement des Sciences et des Mathématiques : volumes en bois (prisme, cône, pyramide, etc.) sur lesquels depuis longtemps sans doute, M. Aillaud avait inscrit les formules permettant de calculer les surfaces latérales, les surfaces totales et les volumes.
Enfin, des livres et des cahiers en réserve, une boîte de craie, quelques appareils de physique (baromètre, pyromètre à cadran, thermomètre, etc.) complétaient cet équipement qui correspondait au programme du Certificat d'Études que nous devions affronter en fin d'année.
La première matinée fut consacrée à l'organisation du travail. Le maître dicta l'emploi du temps de la semaine et nous donna toutes sortes de conseils pratiques. Dans l'après-midi, désireux de savoir si nous serions aptes à suivre sa classe, M. Aillaud nous fit faire une dictée et deux problèmes.
La correction de ces premières épreuves fut ponctuée d'avertissements péremptoires
" Si, avant la fin du mois, vous ne faites pas moins de cinq fautes à la dictée, vous serez renvoyés d'où vous venez ! "
" Il est inadmissible de commettre de pareilles erreurs dans vos calculs ! "
" Quand à toi, Autran, si tu n'écris pas mieux avant quinze jours, tu t'en retourneras aussi ".
C'était bien vrai que j'écrivais mal et pourtant, j'utilisais les plumes sergent-major...
Nous étions donc prévenus. Après toutes ces injonctions et les délais fixés, nous savions ce qui nous restait à faire ! Je n'eus pas le courage de répéter tout cela à mes parents, le soir de la rentrée. Aux menaces proférées par M. Aillaud, se seraient sans doute ajoutées celles de mon père.
Durant cette première journée, je fus tellement impressionné par cette cascade d'ordres, et de commandements impératifs, que je n'eus aucune envie de jouer pendant les récréations.
Il en fut ainsi pendant plusieurs jours.
Puis je fis quelques confidences à ma mère qui prit très aux sérieux les menaces de l'instituteur. Elle se mit en devoir de me faire travailler le jeudi. (En ce temps-là, on ne redoutait pas le surmenage scolaire). Elle me faisait réciter mes leçons, le matin avant mon départ pour l'école, elle veillait sur mon écriture quand je faisais mes devoirs du soir...
Quand arriva la fin du mois d'octobre, il y eut seulement deux élèves de la classe qui furent éliminés, ce qui réduisit l'effectif à vingt-huit.
J'avais sensiblement amélioré mon écriture. Mais ce sont mes progrès en calcul et en orthographe qui furent spectaculaires.
Néanmoins, je tremblais quand, à chaque fin de mois, arrivaient les compositions mensuelles.
Il y en avait pour les disciplines essentielles : rédaction, orthographe et grammaire, histoire et géographie, arithmétique. À ces notes de composition s'ajoutaient les notes courantes de lecture, de sciences, de dessin, d'écriture, d'instruction civique, de morale, de conduite... Nous recevions aussi des cours de chant, de gymnastique, mais je constatais que M. Aillaud négligeait volontairement certaines disciplines qu'il jugeait secondaires pour s'attacher davantage à l'enseignement du calcul et du français.
Le cahier de compositions mensuelles était tenu régulièrement à jour. À la fin de chaque mois, les élèves reproduisaient les notes et les moyennes calculées par le maître (au centième près, d'ailleurs !) et, dans les quarante-huit heures qui suivaient, le cahier devait être signé par le père et rangé dans le placard de l'école.
S'il y eut quelques retards à restituer ces documents, s'il y eut aussi une signature contrefaite, les choses rentrèrent vite dans l'ordre, par crainte d'une verte réprimande ou de sanctions beaucoup plus tangibles dont M. Aillaud ne se privait pas.
Par rapport à ce qu'ils furent en 1882, année décisive où furent mises en place les structures essentielles de l'École laïque, les programmes n'avaient pas tellement varié. Les méthodes d'enseignement n'avaient pas, non plus, beaucoup changé. Il faut dire que la guerre de 1914-1918 et l'après-guerre avaient donné aux gouvernants des préoccupations estimées beaucoup plus urgentes que l'instruction publique.
Les programmes de 1882 avaient été pensés pour former des citoyens et des soldats d'une République qui accordait un certain nombre de libertés aux Français, mais aussi qui était dirigée par les tenants de la Bourgeoisie française attachée à maintenir coûte que coûte ses privilèges de classe.
Les organisateurs de l'Enseignement insistaient de plus en plus, dans les circulaires ministérielles, pour que soit développé d'abord le goût pour l'observation précise, puis la faculté au raisonnement, afin d'obtenir une plus grande efficacité dans la culture de l'intelligence.
M. Aillaud, et sans doute aussi M. Guigou, qui dirigeaient les deux classes préparatoires au Certificat d'Études, comprenaient parfaitement ces choses. Mais leur objectif était de préparer des élèves à un examen de très bon niveau à l'époque. " C'est très bien disaient-ils, de faire manipuler la chaîne d'arpenteur par les élèves eux-mêmes, de leur faire mesurer la cour de l'école, de préparer des expériences, d'observer, de discuter, mais encore faut-il avoir le temps ! "
Animés du désir de très bien faire, de n'avoir aucun échec aux examens de fin d'année, ces bons maîtres avaient raison.
J'ai énuméré toutes les disciplines enseignées dans la classe de Certificat d'Études. Il y en avait une bonne douzaine. Voyons un peu plus en détail leur contenu.
Pour l'Instruction civique, il avait fallu acheter un cahier cent pages et chaque semaine, pendant trois quarts d'heure, le maître dictait un cours que nous prenions à toute vitesse. Le premier quart d'heure était consacré aux interrogations, car il fallait bien contrôler le travail des élèves.
Toute l'organisation de la IIIe République figurait sur ce cahier que j'ai gardé longtemps comme une relique. Les principes de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, la Constitution républicaine avec ses trois pouvoirs distincts : le législatif, l'exécutif et le judiciaire, les attributions du Président de la République, des Députés, des Sénateurs, l'organisation judiciaire de la France, l'Enseignement, l'Armée, les grades, l'organisation des départements, avec les arrondissements, les cantons, les communes, le rôle du Maire, du Conseil Municipal, etc... Tout ceci nous était expliqué.
Des expressions comme suffrage universel, suffrage restreint, majorité absolue et majorité relative, etc., nous étaient familières.
Si l'on voulait aujourd'hui inculquer tout cela aux élèves d'un cours moyen deuxième année, les protestations des familles fuseraient sans doute aussitôt. Mais à l'époque, l'autorité des maîtres était si grande que personne ne songeait à constituer des Associations de Parents d'élèves désireuses de s'occuper du travail scolaire. On faisait une confiance absolue, à l'instituteur que l'on appelait encore, au début du XXe siècle, le maître d'école. La liaison entre les parents et le maître ne se faisait alors que par le truchement du cahier mensuel, pour les classes primaires et du carnet individuel pour les grands élèves de l'école supérieure.
L'enseignement de la morale était aussi copieux, avec un programme considérable qui traitait de toutes les qualités humaines, de tous les devoirs envers ses proches, envers son maître et envers les Institutions.
Je revois ce livre de Poignet et Bernat aux illustrations suggestives, sur lesquelles le maître faisait des commentaires sur un ton tellement persuasif que les élèves en étaient saisis et fortement impressionnés. C'est ainsi que le soir, rentré chez moi, il m'arrivait, à la veillée, de reprendre mon livre et de lire tout haut à mes parents ce qu'il fallait savoir de ces personnages modèles qu'on nous avait donnés en exemple.
J'admirais le Lieutenant Louhaut qui, après un moment d'hésitation, s'était jeté dans la Seine malgré le froid pour sauver un naufragé qui demandait du secours. Il allait fuir, mais tout à coup, il avait entendu la voix de sa conscience qui l'avait ébranlé : " Lieutenant Louhaut ! Vous êtes un lâche ! "
J'étais plein de compassion pour le jeune Washington qui avait tailladé un arbuste dans le jardin de son père et qui, la tête basse, venait d'avouer son forfait. Son père l'avait pardonné et même félicité pour sa franchise.
Chaque fois que je feuilletais mon manuel scolaire, je m'arrêtais longuement sur la page où figurait le joueur ruiné qui sortait de la salle de jeu en appliquant sur sa tempe le canon d'un revolver. Le maître nous avait dit à ce propos : " Si vous pratiquez des jeux quels qu'ils soient, votre vie sera brisée, vous rendrez votre famille très malheureuse et vous serez peut-être conduits à la prison ".
Et nous ouvrions tout grands nos yeux et nous l'écoutions bien attentivement, lui qui savait tant de choses.
Que dirait-il aujourd'hui, ce brave homme, en voyant que les jeux sont encouragés et même devenus institution d'État, comme le tiercé, la loterie nationale ou le loto, pour ne citer que ceux-là.
Ainsi, chaque jour ou presque, pendant quelques minutes, nous recevions des conseils, de bons exemples à imiter.
J'entends quelquefois dire que cet enseignement de la Morale est dépassé que les enfants ne prennent plus au sérieux ces vieux préceptes que nous avons appris de nos pères et de nos mères, à savoir qu'on ne doit pas tuer, qu'on ne doit pas voler son semblable, qu'on doit obéissance aux parents, qu'on ne doit pas faire aux autres ce qu'on ne voudrait pas qu'ils nous fissent, etc. En somme, ces recommandations que l'on trouve dans l'enseignement des morales religieuses. Si l'on ne veut plus de cette morale simple, accessible à tout être humain, que va-t-on nous proposer ? Il serait temps qu'on se rende compte des dangers mortels que court notre civilisation moderne avec son cortège de dégradations morales, de corruption, de dépravations montées en épingle, brefs de scandales de toutes natures.
Dans notre emploi du temps hebdomadaire, l'enseignement de l'Histoire nous prenait une heure, comme celui de la Géographie. Là encore il faut dénoncer la lourdeur des programmes d'alors. Dans les classes du Certificat d'Études, il fallait pouvoir répondre à des questions se rapportant à vingt siècles d'Histoire. Depuis les Gaulois jusqu'à la IIIe République, en passant par le Moyen Age, il fallait connaître toutes les dynasties de rois, toutes les guerres, tous les traités et toutes les révolutions qui avaient agité notre Pays. Cet enseignement, lié à celui de l'Instruction civique, se proposait, surtout après la défaite de 1870, de cultiver l'amour de la Patrie et l'attachement aux institutions républicaines que la Bourgeoisie avait données à la France.
C'était un Enseignement essentiellement livresque et M. Lavisse connut une pleine réussite en rédigeant son Histoire de France illustrée qui répondait exactement aux soucis des dirigeants de l'époque. Pendant près de cinquante ans, les petits Français apprendront rigoureusement et réciteront fidèlement le contenu de cet ouvrage qui était avant tout l'histoire des rois et des empereurs, des ministres et des hommes d'État, plutôt que celle des peuples. Naturellement, dans ce domaine comme dans d'autres, une évolution s'est produite.
À cette accumulation de faits qu'il fallait fixer dans sa mémoire s'est heureusement substitué le souci de dégager des lois de l'évolution historique. Aussi les programmes ont-ils été sensiblement allégés, surtout après les instructions de P. Lapie en 1923.
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Les maîtres de l'époque nous disaient : " les dates de l'histoire de France, c'est comme les tables de multiplication, il faut les avoir là ! ". Et en même temps, ils serraient leur menton entre le pouce et l'index de leur main droite, ce qui voulait dire qu'il fallait les avoir dans la mâchoire.
Que de phrases répétées par coeur pour retenir le contenu des traités de paix ou les successions de rois mérovingiens...
Et nous, pouvons aussi évoquer l'enseignement de la Géographie tel qu'il était préconisé par le manuel de MM. Gallouedec et Maurette qui a fait, lui aussi, une longue carrière dans les écoles françaises.
Pas question, à l'époque, de faire des classes promenades ou des enquêtes pour apprendre de façon concrète ce qu'était un mont, un col ou un promontoire. Dans ce domaine également l'enseignement était livresque et les élèves récitaient avec un ensemble parfait pour retenir le nom des plus hauts massifs du relief français avec leur altitude, des cours d'eau avec leur longueur respective, les chefs-lieux des départements et les sous-préfectures.
On répétait, on récitait, on rabâchait et il en restait forcément quelque chose.
Pour le calcul mental, la même pédagogie était en faveur. Nous avions un carnet de règles tenu à jour et que le maître contrôlait. Des règles que l'on chantait à tue-tête, et dont chaque syllabe se répercutait dans le quartier Cavaillon.
Et la chanson reprenait avec 0, 25, 2, 5, 25, 250, etc.
Pendant l'été, quand les fenêtres demeuraient grandes ouvertes, des phrases sonores lancées par de jeunes poitrines fusaient dans tous les azimuts.
Chez M. Aillaud c'était la leçon de géographie : " À Oran et à Alger, on vend des Bougies de Philippe-ville qui sont Bonnes ". Quand on avait cette phrase en mémoire, on savait le nom des cinq ports principaux de l'Algérie.
Des cours élémentaires s'envolaient les tables de multiplication. Chez M. Guigou, au cours moyen deux, on récitait par coeur la liste des conjonctions : " Mais ou et donc or ni car " On savait alors que chacun de ces mots donnait naissance à une proposition subordonnée.
On récitait tout : les règles de calcul, les règles de grammaire, les dates d'histoire, les prépositions, les conjonctions, le pluriel des noms, des adjectifs, etc. Chaque maître avait sa marotte et ses habitudes routinières, ses procédés pédagogiques.
Par exemple, mon maître faisait référence au Provençal encore très usité à l'époque : " Vous vous rappellerez - disait-il - que les mots de notre Provençal qui se terminent par -ado sont ceux qui expriment une contenance. Leur équivalent en Français se termine par -ée. Exemples : la boucado, la bouchée ; la carretado, la charretée... Alors que ceux qui se terminent par -a, comme liberta, égalita, ont leur équivalent français terminé par un -é accent aigu, comme liberté, égalité,... "
Si les instituteurs et même les professeurs usaient de citations provençales, c'est que la langue de nos aïeux était encore très répandue dans cette période. Je me souviens parfaitement que dans notre ville, les adultes s'exprimaient le plus souvent en Provençal. Il est probable que les enfants, jusque vers la fin du XIXe siècle, faisaient de même. La langue provençale régressa à partir du moment où les écoles d'enseignement public se multiplièrent. Cependant, il faut noter un décalage très net entre la ville et la campagne, entre la côte et l'arrière-pays : dans les années 1930, les enfants des écoles du Haut Var s'exprimaient toujours en Provençal pendant leurs jeux, alors que chez nous, on ne répétait plus guère que des expressions.
Les maîtres s'ingéniaient pour varier les procédés pédagogiques afin de nous transmettre ce qu'ils avaient appris eux-mêmes. Ils y parvenaient peu à peu, mais il faut bien reconnaître que leur tâche était des plus ardues car les programmes étaient vraiment trop lourds.
Et si nous parlions un peu de ces problèmes dont la solution était un véritable casse-tête !
Ah ! ces problèmes sur les alliages et les mélanges, ces monnaies de métal d'or et d'argent que nous n'avions jamais vues et dont il fallait déterminer les proportions de métal fin à la suite d'alliages savants ! Et ces robinets qui remplissaient des bassins par le sommet, alors que d'autres les vidaient par le bas et tout cela pendant des durées déterminées et avec des débits différents... Resterait-il de l'eau ? Et combien ? N'en resterait-il pas... ?
Et ces problèmes dits de fausse supposition à ne pas confondre avec les problèmes de fausse position ! Que d'énigmes à dénouer ! Que de mystères qui empoisonnaient nos soirées !
Quand nous quittions l'école, à seize heures, la mesure était déjà pleine - les écoliers d'aujourd'hui diraient qu'ils en ont ras le bol ! Six heures de bourrage de crâne. Après les interrogations, les leçons, les résumés à écrire, aucun répit n'était accordé aux élèves. En arrivant à la maison, il fallait faire les devoirs du soir qu'on corrigerait le lendemain matin à la première heure.
Le maître était rarement assis. M. Aillaud n'était à son bureau que lorsqu'il interrogeait. Alors les élèves, à tour de rôle - il n'en passait pas plus de quatre ou cinq chaque fois - venaient devant le tableau réciter leur leçon. Pendant qu'il recopiait des notes et des appréciations sur son cahier, M. Aillaud écoutait l'élève. Quand les questions restaient sans réponse précise et qu'il surprenait son élève les yeux tournés vers le plafond, simulant une amnésie passagère, ou bien, pis encore, implorant du regard le secours de ses camarades sous forme de gestes ou de mimiques, alors le maître entrait dans une colère redoutable. Sarcastique, il s'écriait : " Est-il possible que des parents aillent travailler pour nourrir des enfants pareils ! Tu pourras courir après ton certificat, cancre ! " Et, au paroxysme de la fureur, il lançait devant la classe consternée : " Pas un élève de reçu, cette année, avec tous les imbéciles qu'on m'a donnés ! "
Et l'élève était renvoyé à sa place qu'il rejoignait, tête basse. Il lui arrivait aussi, par surcroît de recevoir son cahier en pleine figure s'il se trouvait que, pour aggraver son cas, il eût une écriture défectueuse.
Généralement, ceux qui n'avaient pas su leur leçon passaient la récréation en classe pour recopier la dictée sans faute ou refaire les problèmes.
Il n'arrivait jamais que tous les élèves de la classe se retrouvent ensemble pour jouer pendant les récréations.
Néanmoins, il s'en trouvait toujours assez pour organiser des jeux. Quels étaient nos jeux préférés ?
Nous jouions beaucoup aux billes : billes au trou, en lignes, en triangles, que sais-je encore ? Nous aimions aussi le bilboquet et la toupie - en Provençal, la bordufle -, mais nous ne négligions pas d'organiser de grands jeux collectifs, comme l'as délivré ou les semelles. Ce dernier était peut-être celui qui nous amusait le plus.
Un élève, que le sort avait désigné en faisant la poire, se baissait, les mains sur les genoux, comme au jeu de saute-mouton.
Son pied gauche coïncidait avec une ligne droite tracée sur le sol. Tous les autres, et il pouvait y en avoir huit ou dix, sautaient par-dessus le mouton en file indienne. Après quoi, l'élève accroupi s'éloignait de la ligne d'une longueur de la semelle de son soulier, puis de deux, puis de trois, etc.
Les élèves qui sautaient à tour de rôle devaient le faire sans mordre de leur pied sur la ligne tracée au sol. La distance qui la séparait du mouton augmentant à chaque fois, il arrivait forcément que quelqu'un vienne à rater son saut, soit pour avoir empiété sur la ligne, soit pour avoir bousculé le mouton et roulé avec lui dans la poussière.
C'était évidemment au fautif de prendre la place du mouton et le jeu reprenait de plus belle, ne se terminant qu'avec la fin de la récréation.
On jouait aussi à Sèbe (1), qui soumettait à une épreuve d'endurance des élèves jouant le rôle de chevaux placés en file et au repos, le premier face à un obstacle, généralement un mur. Trois, rarement quatre élèves participaient à ce jeu. Prenant leur élan, les cavaliers devaient enfourcher leur monture et rester à cheval jusqu'à ce que la fatigue faisant plier ses genoux, la monture crie " sébo ! " signifiant qu'elle demandait grâce. Et l'on recommençait. Toutefois, si un cavalier avait raté son saut ou perdu son équilibre, les rôles étaient alors inversés.
(1) Sèbe - En Provençal, sèbo ! est une interjection qui signifie assez, je me rends. Cela vient, non pas du Latin ceba qui veut dire oignon (en Provençal cèbo), mais de l'Arabe seibou : laisse aller, lâche. Jouga à sèbo, nous dit Frédéric Mistral dans le Trésor du Félibrige, signifie jouer au cheval fondu. Il ajoute : " Dans la Flandre française, le jeu du cheval fondu est appelé " jeu de l'ognon ", traduction du Provençal sèbo qu'on a pris pour cèbo ". T2, p. 863, Ed. Edisud.
On jouait quelquefois aux billes avec une monnaie d'échange qui n'était autre que des noyaux de cerises teints de différentes couleurs.
Ceux qui étaient trempés dans l'encre violette n'avaient que peu de valeur - dix points, peut être ; ceux que l'on avait teintés en vert valaient vingt ou trente points, et ceux teints en rouge valaient cinquante points, car à l'époque, l'encre rouge était rare et chère.
Que de noyaux - on disait alors des pignons - sont restés au fond des encriers, sans qu'on puisse les en extraire, au grand désespoir du maître qui avait personnellement en charge de fabriquer l'encre liquide avec la poudre distribuée par Monsieur le Directeur, et de garnir les encriers des élèves. Rappelez-vous, les anciens ! ces encriers tronc-coniques, en porcelaine, largement évasés et qui s'enfonçaient dans les trous des bureaux.
Nos jeux étaient donc variés, mais certains, causes d'accidents sérieux, furent interdits par la suite.
Ainsi, lorsqu'il assura la Direction de l'école, Monsieur Malsert prohiba-t-il, dans les années 1935, le jeu de la semelle et l'usage de la bordufle.
Dans les années 1920-1930, la cour de l'École Martini était déjà trop petite. On l'avait divisée en deux parties.
Celle qui faisait face aux ateliers était réservée à l'école primaire supérieure ; les élèves de l'école primaire n'avaient pour jouer, que la partie qui faisait face au préau. On s'y bousculait et le maître de service avait fort à faire pour freiner l'ardeur excessive des enfants turbulents et brutaux.
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Les jours de pluie, contraints de rester sous le préau métallique, des centaines d'enfants se heurtaient. Les maîtres eux-mêmes qui avaient l'habitude d'aller et venir en bavardant, ne pouvaient circuler librement.
Certains d'entre eux préféraient ne pas sortir de leur classe. Ils occupaient les quelque dix minutes de la récréation écourtée, à garnir le poêle de la classe, à ranger le bois ou le charbon, à nettoyer l'ampoule qui éclairait leur bureau et sur laquelle les mouches avaient laissé trace de leur digestion. Ou bien ils corrigeaient des cahiers, ils préparaient des croquis, etc. Il y avait tant de choses à faire pour les maîtresses et les maîtres !
Aucune tâche, même les plus matérielles, ne leur était épargnée. Celle qu'ils redoutaient sans doute le plus, et c'est probablement, aussi vrai aujourd'hui, c'était la surveillance de la cour et de la cantine.
Mais voyons comment se passait l'interclasse de onze à treize heures.
La cantine de l'École Martini n'avait que des rapports très lointains avec les véritables restaurants scolaires de nos écoles d'aujourd'hui.
Située dans la partie Est du bâtiment principal, on y accédait par une porte étroite et un couloir obscur.
Elle comportait un réfectoire et dans le prolongement de celui-ci, la cuisine. Équipé d'une dizaine de tables lourdes, couvertes de zinc, ce réfectoire pouvait recevoir une soixantaine d'enfants. Mais les jours de pluie, il fallait en entasser une centaine.
Ne pouvaient bénéficier de ce service que les élèves éloignés de l'école. Le Directeur en établissait la liste en début d'année.
La cuisine, attenante au réfectoire, était équipée du strict nécessaire pour la préparation des repas. Encore faut-il préciser que ce ne fut qu'après la seconde guerre mondiale que des repas complets y furent préparés. Auparavant, c'est-à-dire pendant plus d'un siècle, on ne servit que la soupe, les écoliers apportant le complément du repas. Puis, vint une période plus courte où l'on servit une soupe et un dessert. Ce ne fut qu'avec les Municipalités d'après-guerre que fut institué le repas complet, la gestion de la cantine étant généralement assurée par le chef d'établissement.
Au fil des années, il fallut perfectionner le matériel. Le fourneau qui fonctionnait au bois ou au charbon fut complété peu à peu par des ustensiles modernes : éplucheuse, friteuse, etc. De grands placards enfermaient des marmites, des plats, des gamelles, des gobelets, etc. Un local servant de resserre touchait au réfectoire.
Quand on pénétrait dans la cantine, une odeur concentrée de soupe, de corps gras rancis et de plats réchauffés vous prenait à la gorge. Son âcreté avait dû s'incruster dans les tables et les bancs de bois et il fallait un bon moment pour s'y accoutumer. Cela n'excitait vraiment pas l'appétit. Mais les enfants qui fréquentaient régulièrement la cantine étaient devenus insensibles à ces désagréments.
Avec les chaleurs de l'été, attirées par les relents de nourriture, les mouches envahissaient le local, cherchant leur pitance sur le bord des gamelles ou des verres. Quel abominable fléau !
Si on entrebâillait les volets pour les faire ressortir à la lumière, la pénombre favorisait le chahut des élèves. Alors, pour limiter les désagréments, on suspendait quelques papiers attrape-mouches, hors de portée des loustics. Ces pièges à mouches étaient un papier englué qui se déroulait d'un carton cylindrique rappelant la cartouche d'un fusil de chasse. Les longs rubans à couleur et consistance de miel ne tardaient pas à recevoir ces maudits insectes par dizaines et qui grésillaient dans leur interminable agonie.
Chaque jour ou presque, il fallait changer ces pièges. Il semblait bien que ce fût un travail inutile parce que ces redoutables diptères étaient toujours aussi nombreux.
Les attrape-mouches faisaient donc partie du décor et quand un garnement réussissait subrepticement à en décrocher un, inutile de décrire les farces qui pouvaient s'ensuivre.
Aussi, les passants de la rue Martini souriaient-ils en percevant par les étroites fenêtres de la cantine, les vociférations et les invectives du maître de service.
C'était vraiment une corvée pour les maîtres ou les maîtresses de service, que de surveiller le local pendant l'interclasse.
Pour rendre cela plus supportable, les directeurs l'avaient scindé en deux moitiés. Un maître surveillait de onze heures à douze heures et l'autre prenait la relève jusqu'à treize heures.
Comment, durant cette surveillance, alors que tintaient les gamelles en fer sur les tables zinguées, que les enfants ayant apporté des plats à réchauffer s'en allaient à la cuisine et en revenaient, tandis que d'autres déballaient bruyamment bouteilles, cuillères et fourchettes, sorties de leur panier, comment pouvait-on obtenir un silence même relatif ?
Quand la soupe était distribuée, une accalmie se faisait, mais elle était de courte durée. Les repas n'avaient pas en effet la même durée pour chacun des commensaux.
Ceux dont la famille vivait dans l'indigence n'avaient emporté souvent qu'un reste de ragoût de la veille ou un morceau de fromage qu'ils dévoraient avec de gros morceaux de pain. Ils avaient enveloppé leur maigre ration dans un carré d'étoffe noire dont les coins opposés s attachaient solidement.
D'autres, mieux nantis, sortaient d'un grand panier d'osier, de forme oblongue, dont le couvercle tenait au moyen d'une tringle de fer, des papiers gras qui fleuraient bon la charcuterie, une tranche de rôti, ou une omelette appétissante ; ils terminaient leur repas par des fruits et l'arrosaient même parfois d'une petite bouteille de vin.
On se doute que même des enfants ne pouvaient pas rester insensibles à ces signes d'inégalité sociale.
Ceux dont les repas avaient été consommés en quelques minutes manifestaient leur impatience d'aller jouer dans la cour. Alors les conversations bruyantes repartaient et les clameurs intempestives fusaient. D'une manière ou d'une autre, le maître ou la maîtresse de service s'évertuait à réfréner le chahut. Pour ce faire, ils n'avaient pas tous le même style.
Il est bien connu des Seynois que l'on pouvait se permettre certaines libertés avec M. Michel, alors qu'avec M. Aillaud, une extrême prudence était de règle.
Mais au bout d'une demi-heure, le signal de la sortie retentissait. Des maîtres indulgents permettaient à des lambins dont la mastication était laborieuse, de prolonger leur repas de quelques minutes. Les jeux reprenaient alors dans la cour, en attendant la reprise des classes.
Généralement, la préposée municipale à la cantine faisait fonction de concierge.
Elle avait à sa disposition une loge servant à la fois de bureau de renseignements et de cuisine. À gauche, en entrant, un grand tableau recevait les clefs des classes, des bureaux et des ateliers, que les femmes de service suspendaient quand la propreté était faite et que les maîtres et les maîtresses reprenaient le matin.
Pendant la saison d'hiver, le personnel de service ouvrait les locaux parce que le poêle devait être allumé et ravitaillé en combustibles.
Au-dessus de la loge, au premier étage, deux chambres exiguës qui, à cette époque, n'étaient même pas chauffées, ne possédaient aucune installation sanitaire.
La concierge ne pouvait utiliser que les latrines de la cour. Tout le confort se résumait à l'existence d'un robinet qui recevait l'eau de la ville et d'un évier dont l'écoulement se faisait par une rigole cimentée qui longeait le mur de la rue Martini. L'évier de la grande cuisine de la cantine rejoignait, quelques mètres plus loin, le même écoulement. Quand la vaisselle était terminée, la rigole n'ayant pu emporter tous les déchets, les animaux du quartier venaient fureter à la recherche de quelques macaronis ou autre nourriture providentielle.
La concierge ne percevait qu'un maigre salaire. Quand elle revendiquait une augmentation, la Municipalité lui rétorquait tout d'abord qu'elle était logée gratuitement et que d'autre part l'état des finances communales n'autorisait aucune largesse.
" Si au moins - disait-elle - on nous faisait un peu de propreté ! " Mais pour avoir des murs blanchis à la chaux, il fallait parlementer longtemps avec les autorités locales et souvent sans résultats. La concierge qui faisait les récriminations ci-dessus évoquées était en poste dans la période 1920-1930. L'appartement-taudis de la conciergerie ne recevra d'améliorations sensibles que TRENTE ANS plus tard.
Patience et longueur de temps...
Pour améliorer quelque peu ses conditions d'existence, cette honorable employée de la ville se livrait à un petit négoce qui lui procurait quelques subsides. Pendant les récréations, elle vendait aux élèves des pains au chocolat, des croissants, des berlingots, etc. Sa clientèle était fidèle car, parmi les élèves, il y avait quelques privilégiés qui étaient toujours munis d'argent de poche.
De l'argent, mes parents m'en donnaient quelquefois, le jeudi, pour aller au cinéma appelé Kursal, où je retrouvais quelques camarades de classe. Mais point d'argent pour le déjeuner ou le goûter. Ma mère prenait soin chaque jour de me préparer un sandwich avec quelques rondelles minces de saucisson, ou un reste d'omelette froide de la veille. Chez nous, comme chez la plupart des familles aux revenus modestes, on ne gaspillait rien.
Après avoir dévoré notre pain ou notre brioche, on allait se désaltérer au lavabo, près de la porte d'entrée, un lavabo de forme semi-cylindrique en zinc, qui ressemblait à un abreuvoir pour bestiaux.
Il était desservi par une rampe métallique percée de nombreux trous. La tête penchée nous tentions d'atteindre les minces filets d'eau qui manquaient souvent leur destination du fait des bousculades. Et il y avait toujours des loustics pour faire des giclées et arroser leurs camarades. Alors, le maître de service intervenait et, souvent, distribuait des soufflets, généreusement à droite et à gauche.
Pendant les récréations, on pouvait observer des élèves plus soucieux que d'autres. Ceux-là ne jouaient pas, ne chahutaient pas, ne se pressaient pas autour de la fontaine. Ils révisaient leurs leçons dans un coin tranquille de la cour. Pour eux, approchait l'examen du Certificat d'Études.
Le Certificat d'Études Primaires
L'année scolaire 1920-1921 se termina pour les classes de préparation au Certificat d'Études Primaires assurées par MM. Aillaud et Guigou, par un succès complet aux épreuves. Au total, cinquante-six élèves furent reçus.
Depuis des années, ces deux instituteurs d'élite préparaient leurs élèves d'une manière si intense qu'ils ne pouvaient tolérer aucun échec. Deux générations de Seynois ont reçu leur enseignement de ces deux maîtres. C'est en 1898 que mon père fut admis au C.E.P., préparé par M. Aillaud et certains de mes oncles, vers la même époque, connurent également ce maître.
M. Guigou, de son côté, a laissé des traces très profondes dans l'éducation des petits Seynois.
Le Certificat d'Études, à cette époque, était un examen très valable et très sérieux. Les maîtres opéraient une véritable sélection. Ils se refusaient à présenter des élèves dont ils n'étaient pas certains du succès. Naturellement, ils ne pouvaient empêcher les familles de présenter leurs enfants. Mais dans ce cas, il était bien précisé sur les demandes d'inscription à l'examen, en face du nom de l'intéressé : Présenté par la famille. À ce titre, les maîtres ne prenaient pas la responsabilité d'un échec.
Cependant, l'autorité des maîtres était si grande que généralement les familles suivaient leurs conseils et les enfants peu assurés d'un résultat positif étaient présentés à la session de l'année suivante.
Examen très valable, avons-nous écrit. Certes, on peut critiquer les méthodes d'enseignement de nos anciens, mais il n'en reste pas moins vrai que les enfants entrant dans la vie active, nantis de leur diplôme, rédigeaient correctement une lettre, écrivaient sans fautes graves, connaissaient tous les calculs usuels nécessaires à la vie courante : volumes, surfaces, intérêts mesure de temps, etc. Ils pouvaient parler de l'Histoire et de la Géographie de leur pays. Enfin, l'enseignement qu'ils avaient reçu était une base solide pour continuer leurs études.
L'année où je fus présenté, l'examen se passa dans les tout premiers jours de juillet. Mais il faut le dire et insister sur le fait que depuis le premier juin, donc pendant un mois, M. Aillaud nous fit venir à l'école tous les matins à sept heures.
J'empruntais l'itinéraire habituel une heure plus tôt.
Mes parents demeuraient alors sur le Cours Louis Blanc, face au vendeur d'oranges, M. Gil, dans la gorge duquel le mot Mayorque revenait sans cesse.
Inquiet des épreuves qui m'attendaient à l'école, je marchais vite, la tête pensive. D'ordinaire, je m'attardais à regarder la vitrine de la pharmacie Armand où étaient exposés des objets curieux : bandages dont je ne comprenais pas bien l'usage, réclames comme celle du Dépuratif Richelet, de la Jouvence de l'Abbé Soury ou encore la silhouette noire qui appliquait de l'ouate sur sa poitrine et qui crachait un jet de flamme traduisant l'effet du thermogène.
À ce moment-là, les odeurs de pain chaud que le tonton Mabily sortait de son four parvenaient jusqu'à mes narines. Un four qu'il avait chauffé depuis la veille avec des fagots de brindilles bien sèches qu'on lui livrait chaque semaine depuis la forêt de Janas.
Immanquablement, cette odeur divine me donnait envie de dévorer mon déjeuner avant l'heure de la récréation.
À ce moment-là, des sons à la fois gutturaux et nasillards m'obligeaient à tourner la tête à droite : c'étaient les appels du perroquet de Marguerite Marro, l'épicière de la rue Carvin, la grand-mère d'Henri Tisot.
J'étais bien tenté de m'arrêter quelques instants pour le taquiner, ce que faisaient nombre de garnements qui passaient par là, mais je n'avais pas du temps de reste pour rejoindre ma classe et puis l'odeur des fromages les plus divers qui s'exhalait de la boutique était tellement concentrée que je préférais oublier le Jacquot.
Quand je tournais à l'angle du bureau de tabac de la rue Carvin, mon attention était parfois attirée par le préposé aux becs de gaz qui faisait sa tournée avec une longue perche pour fermer le robinet de commande de la lumière. Eh oui ! les rues étaient encore éclairées au gaz dans cet après-guerre qui vit la vulgarisation de l'électricité.
Ce préposé, je le regardais avec plus de curiosité le soir quand il allumait les réverbères. Il disposait d'une longue perche au bout de laquelle se consumait un morceau de corde. Il devait ouvrir d'abord la petite porte du fanal, ouvrir également le robinet de gaz, attendre la flamme et refermer la petite porte vitrée. À vrai dire, il lui fallait beaucoup d'adresse pour faire cet exercice à plusieurs mètres au-dessus de lui.
Quelquefois, devant l'église, je croisais Georgette, la marchande de lait, vieille figure seynoise qui laissera beaucoup de souvenirs dans la population. J'admirais son cheval qui avançait doucement dans la rue et qui, pendant que sa maîtresse vidait son bidon de lait dans les bouteilles ou les toupins, allait se placer de lui-même devant la maison des clients attitrés. Il connaissait toutes les adresses comme il connaissait bien les invectives de sa patronne plutôt mal embouchée.
Toutes ces scènes de la rue captivaient mon attention juvénile et celle de mes camarades que je rencontrais toujours au bas de la rue Martini.
Mais il nous fallait penser avant tout à la préparation de notre Certificat d'Études. À l'heure exacte, nous franchissions la porte de l'école où M. Aillaud, toujours aussi sévère, nous attendait. Entre sept heures et huit heures, nous faisions une dictée et deux problèmes de révision sur le programme de l'année et nous étions interrogés sur toutes les formules de géométrie, sur l'histoire et sur la géographie. Nous étions, comme on dit, chauffés à blanc pour l'examen.
Enfin, le grand jour arriva !
Je trouvai, sous l'immense préau tous mes camarades de classe : Audinet, Bernard, Renoux, Massello, Toche, Bonturi, Barzacchini, Silvy, Gillet, Zatara, Ritano, Vallarino, Paul, Filidéi,... Vespéro et Albini, élèves-musiciens de l'Avenir Seynois me paraissaient plus optimistes que les autres, généralement inquiets. Vignone, unijambiste depuis sa plus tendre enfance, jouait comme à l'accoutumée, infatigablement à poursuivre d'autres camarades en faisant des bonds prodigieux, s'aidant d'une seule béquille, et ne semblait nullement inquiet des épreuves qu'il faudrait affronter dans quelques minutes.
Je tenais sous mon bras gauche un beau sous-main que m'avais prêté le cousin Mabily pour la circonstance et, dans ma main droite, le plumier à incrustations de nacre renfermant porte-plume et crayons, mais aussi ces fameux cachets de cire rose qui serviraient à fixer l'angle droit de la feuille de papier cloche de manière à cacher mes nom et prénom au correcteur.
Après l'appel, nous fûmes répartis dans des salles qui n'étaient pas celles qui nous recevaient d'ordinaire. Je perdis de vue la plupart de mes camarades et me trouvai mêlé à des élèves en provenance d'autres écoles du canton.
La Seyne ne possédait à cette époque que trois écoles préparatoires au Certificat d'Études Primaires : l'École Martini et l'école François Durand pour les garçons et, pour les filles, l'école de la rue Clément Daniel.
La petite école mixte des Sablettes préparait exceptionnellement quelques bons élèves.
La matinée vit se dérouler les épreuves principales : rédaction, dictée et grammaire, problèmes d arithmétique.
Tout cela dura de huit heures à midi.
L'après-midi, la Commission d'examen nous interrogea sur l'Histoire, la Géographie et les Sciences. Je crois bien qu'il y eut aussi une épreuve de dessin et de chant.
Des dizaines d'instituteurs avaient été mobilisés pour toutes ces épreuves. Par souci d'équité, on pratiquait alors la double correction.
Dans cette période, il ne me semble pas avoir vu des institutrices dans le jury d'examen pour les garçons. Vers 1925-1930, des institutrices furent admises à l'École Martini, mais seulement pour les cours préparatoires et élémentaires.
Le soir, vers six heures, la commission ayant totalisé toutes les notes, les résultats furent proclamés sous le préau dans un chahut indescriptible. Je n'entendis pas mon nom et il me fallut consulter une liste affichée à l'entrée pour savoir la nouvelle.
Il y avait grand monde qui s'y pressait. En jouant des coudes, j'approchais péniblement. Un camarade avait déjà lu mon nom et, de loin, m'interpella : " T'y es, Autran ! "
Je me sentis quelque peu soulagé.
Il me semblait avoir passé un bon examen, mais sait-on jamais ? J'allais tout de même quand la cohue se fut dispersée, me rendre compte de visu des résultats.
Je vis alors de petits élèves venus des écoles extérieures s'éloigner en pleurnichant, consolés par des parents chagrinés eux aussi. Ils avaient raté leur certificat.
Égoïstement, je ressentis une plus grande satisfaction personnelle en constatant, pour la première fois peut-être, que d'autres étaient plus malheureux que moi.
Quand la multitude grouillante et hurlante se fut dispersée, je courus à ma mère qui me serra tendrement sur sa poitrine en m'embrassant. Comme elle était heureuse de mes premiers succès scolaires ! Elle y avait contribué elle aussi, qui m'avait fait réciter mes leçons chaque jour.
Puis je courus à la rencontre de mon père qui rentrait de son travail. Il fut satisfait, lui aussi, mais son enthousiasme fut plus nuancé. Il me dit : " C'est bien, mais ce n'est qu'un début ".
Le lendemain, M. Aillaud nous reçut dans la classe et nous félicita chaleureusement. Tous les pensums, toutes les sanctions, toutes les remontrances furent oubliés sur-le-champ. Ce qui nous fit encore plus plaisir, c'est de l'entendre dire : " Et maintenant, vous pourrez rester chez vous ! "
La coutume voulait que les classes d'examen qui avaient travaillé si durement pendant les deux derniers mois ne soient pas tenues de fréquenter l'école jusqu'au 31 Juillet comme les maîtres pouvaient l'exiger des autres classes.
Cependant, nos parents se consultèrent pour offrir à notre maître un souvenir.
À quelques jours de là, nous avions fait une collecte suffisante pour offrir à M. Aillaud un service à café. Alors, par un après-midi de juillet assez torride, nous prîmes le chemin du quartier Domergue, près des Quatre Moulins, où habitait M. Aillaud, pour lui apporter notre cadeau.
Avant d'ouvrir le portail de sa petite propriété, notre camarade Albini, élève-musicien de l'Avenir Seynois joua avec son cornet à piston une sonnerie militaire qui donna l'alerte dans tout le quartier.
Alors M. Aillaud, de son pas pesant, vint à notre rencontre et essuya quelques larmes de reconnaissance en nous voyant. Il nous fit asseoir autour de la véranda, nous offrit des biscuits et du vin blanc. Nous étions un peu confus de voir et d'entendre cet homme dont la sévérité et l'austérité nous avaient tenus en respect toute l'année, se répandre à présent en propos aussi courtois. " Et que feras-tu l'année prochaine ? Et toi ? Ce serait dommage de ne pas poursuivre les études. Tu m'as bien fait enrager, Bernard, mais enfin, je ne t'en veux pas, tu sais ? J'en ai tellement vu dans ma carrière ! "
Et les conversations se poursuivirent un bon moment.
Enfin, notre maître toujours ému nous remercia encore et il fallut prendre congé. C'est nous qui aurions dû le remercier, mais nous ne pouvions pas alors nous rendre compte de ce que son travail pouvait avoir d'ingrat et de la somme de dévouement dont il avait été capable toute l'année durant et particulièrement pendant le dernier mois de préparation.
Les maîtres, dans ce temps-là, faisaient bien des heures supplémentaires sans toucher la moindre rétribution.
Il est vrai que la foi laïque du début du siècle les animait toujours intensément.
Arrivé à ce point de notre histoire locale, il convient d'apporter une précision quant à la dénomination de l'école. Depuis le début, nous avons désigné la première école publique née sous le règne de Louis-Philippe, par le nom de son premier directeur, M. Martini.
Mais les documents administratifs qui s'y rapportaient parlaient alors de l'école de garçons d'Enseignement mutuel et de l'École primaire supérieure.
Ce ne fut que le 4 janvier 1922 que le Conseil Municipal délibéra pour rendre un hommage à M. Martini et décider que l'école dont il fut le premier directeur porterait son nom. Il fut également décidé par la même délibération, que la rue Grune, qui donnait accès à l'école, porterait également le nom de Martini. Le nom de Grune était celui d'un ancien propriétaire de terrains qui avait permis la création de la rue et probablement d'une partie de la cour.
Depuis cette époque, les Seynois se sont familiarisés avec cette plaque qui porte cette inscription : Rue J.-B. Martini - 1794-1852. Mais interrogez des centaines de nos concitoyens sur son origine, très rares sont ceux qui la connaissent.
Et maintenant, voyons de plus près le développement de l'école et de l'enseignement qu'elle a dispensé aux générations d'après la guerre de 1914-1918.
Il y avait certes beaucoup à faire, des retards à rattraper, imputables, évidemment, aux conséquences néfastes de la guerre.
Ma première année à Martini s'était donc terminée dans l'allégresse d'un premier succès scolaire. Après deux mois de vacances dans l'exaltation des baignades et des parties de pêche à Mar-Vivo, chez mes grands-parents, il me fallut reprendre le chemin de l'école.
Je ne tardais pas à comprendre ce que mon père m'avait dit. Le Certificat d'Études, ce n'était vraiment qu'un début. Pendant plus de dix ans, je devrais affronter des examens et des concours afin de me faire une situation stable.
J'entrais au cours supérieur dirigé par M. Lions à l'automne 1922.
C'était une classe préparatoire à l'école primaire supérieure qui existait depuis le début du siècle. On y recevait un enseignement général d'un niveau un peu plus élevé que celui de la classe de préparation au Certificat d'Études.
Elle avait été installée au-dessus de la classe de troisième année de l'école primaire supérieure et, pour y accéder, il fallait gravir un escalier aménagé dans le milieu du bâtiment Nord, prendre à droite au premier étage et traverser une salle qui fut ultérieurement aménagée en salle spécialisée pour le dessin.
Éclairée au nord et au sud par de grandes fenêtres à petits carreaux, elle était plus gaie que les classes de l'école primaire généralement sombres. Son mobilier était également plus récent et rien ne laissait à désirer car M. Lions, excellent maître lui aussi, était extrêmement méticuleux.
Les bancs étaient installés de telle sorte qu'on découvrait vers la droite une partie du quartier Cavaillon et vers la gauche, le presbytère, son jardin et son clocher. L'environnement était donc tout à fait différent de celui des autres classes de l'école : on voyait davantage de choses et les bruits les plus divers parvenaient jusqu'à nos oreilles.
L'attention des élèves aurait été encore plus dispersée si les deux rangées de vitres les plus basses n'avaient été rendues opaques par une couche de chaux. Assis, les élèves ne pouvaient voir ce qui se passait dans les jardins de l'église, mais le grand clocher prismatique, avec ses quatre faces évidées vers le sommet pour permettre aux grandes cloches de se balancer, dressait sa fière silhouette au-dessus de la ville. Lui, on l'observait souvent et il était la cause de maints rappels à l'ordre.
Il était surtout vivant par les sons qu'il lançait aux quatre vents. Au sommet de la tour, dans une superstructure que l'on peut encore découvrir aujourd'hui, était logée une horloge achetée par la Municipalité en 1913 et qu'un horloger de la ville, depuis cette époque, entretenait régulièrement. De cette horloge, dont le mécanisme n'était pas visible, se détachaient vers l'extérieur un bras de levier et un battant qui frappait une cloche toutes les heures et les demi-heures.
Elle rendait des services appréciables à la population surtout à une époque où les montres et les bracelets-montres étaient encore considérés comme des objets de luxe.
Les écoliers, qui comptaient les heures et les demi-heures, soupiraient parfois en estimant trop long le temps qui les séparait de l'heure de sortir, mais se lamentaient, par contre, les jours de compositions, devant la fuite accélérée des minutes qui restaient pour terminer l'épreuve.
Si, quand le clocher de l'église avait sonné onze heures, la cloche de l'école restait muette, des murmures plus au moins discrets se répandaient dans la classe. Alors la voix du maître s'élevait avec fermeté : " Ah ! Vous êtes pressés de partir ? Eh bien, vous resterez cinq minutes de plus ! ".
À la sortie, il y avait toujours des démêlés avec les responsables de ces retards dont tout le monde était victime.
Alors, soucieux de ne pas créer d'injustices, désireux d'éviter les querelles à la sortie, le maître déclarait : " Vous sortirez quand votre tenue sera irréprochable ". Cela signifiait : observer le silence absolu, avoir ses affaires en ordre parfait, ne pas remuer, ne pas buter de ses pieds la traverse du banc, ne pas rire ou sourire, etc...
Si l'attention du maître se relâchait un peu, il y avait toujours un farceur en mal de gloriole qui faisait des grimaces ou même des gestes obscènes. Alors des rires s'étouffaient et le calme devenait relatif. " Audigier, Silvy, Bernard, vous pouvez partir ! " disait M. Lions. Ne sortaient que les irréprochables. Les autres, peu à peu, rectifiaient la position. La sortie s'échelonnait sur un quart d'heure et quand les responsables de cette retenue sortaient, les irréprochables étaient déjà loin. C'était là un procédé de M. Lions pour exercer la discipline qui ne s'est jamais manifestée avec brutalité dans sa classe.
Mais le grand clocher livrait aussi d'autres sonneries tout au long de la journée, les unes annonçant des messes, les autres des cérémonies funèbres.
Plusieurs fois par jour, il arrivait que retentisse le glas que marquaient trois notes successives : bang ! bang ! bang ! suivies de trois autres notes plus élevées de deux tons : bang ! bang ! bang !
L'effet produit était vraiment lugubre.
On pouvait suivre alors par la pensée le prêtre vêtu de ses habits de cérémonie, aux ornements sacerdotaux qui m'apparaissaient bien complexes, suivi de deux enfants de choeur portant la calotte et la robe de dalmatique rouge. L'un tenait bien haut la croix, l'autre balançait l'encensoir au bout de sa main droite. Ils s'en allaient au domicile du défunt dire les dernières prières. La coutume le voulait ainsi à l'époque.
Puis, au moment où le cortège pénétrait dans l'église, le glas retentissait une deuxième fois. À la sortie de l'office, le cortège se reformait et il arrivait que les petites filles de l'Orphelinat de Saint-Vincent-de-Paul viennent en rang par deux se placer devant le char funèbre. Même si elles étaient en classe ce jour-là, l'institutrice devait les libérer pour accomplir le service qui leur était demandé généralement par des familles très croyantes.
Avec toutes ces images qui défilaient devant nos yeux, il est bien certain que nos pensées étaient loin de la solution de nos problèmes d'arithmétique ou des règles d'accord du participe passé.
Dans les périodes de grandes cérémonies, pendant les communions ou les fêtes de Pâques, quand les grandes cloches sonnaient à toute volée, notre curiosité n'y tenait plus, leur balancement interminable captivait totalement notre attention. Mon voisin Filidéi me disait : " Ce sont les cloches qui arrivent de Rome ".
Il avait l'air de croire sérieusement à ce qu'il disait. Je souriais et lui répondais discrètement : " Tu me prends pour un imbécile ? Va raconter ailleurs tes balivernes ! "
Pendant la récréation, il m'exprima son amertume ; je l'avais certainement vexé. Sa famille, pratiquante assidue de l'Église catholique, lui donnait une éducation religieuse. Il me revient d'ailleurs une mésaventure qui lui arriva l'année précédente dans la classe de M. Aillaud.
En retirant un livre de son cartable, Filidéi avait fait tomber son manuel de catéchisme par terre au moment même où le maître passait dans la travée.
Furieux M. Aillaud l'avait tancé vertement en hurlant : " Je ne veux pas voir cette littérature dans ma classe ! Vous m'entendez ! La prochaine fois, je mettrai votre catéchisme dans le poêle ! Tu as bien compris, Filidéi ? "
Mon camarade, rouge de honte, se fit tout petit, abattu sur son pupitre. Mais il n'allait pas pour autant renoncer à sa religion familiale.
Aussi, dans la classe du cours supérieur, quand les cloches s'agitaient lourdement autour de leur anse, accrochées aux solides moutons de bois, les regardait-il avec attendrissement.
Un jour, il m'apporta un document qu'il avait emprunté aux archives de son père : c'était une sorte de tract que le Curé de la Seyne avait fait éditer à l'occasion du cinquantenaire de la pose des cloches de l'église. Je le trouvais intéressant, car il m'apporta des éléments d'histoire locale auxquels je ne fus pas insensible.
Il disait, par exemple, que le poids des cloches dépassait quatre tonnes, qu'elles furent mises en place pour la Noël 1862 en remplacement d'autres cloches beaucoup plus petites :
La plus grosse, disposée côté Nord, était chargée de sonner l'Angélus et les offices. Elle fut consacrée sous le vocable de la Bienheureuse Vierge Marie. Son parrain fut le Maire d'alors, M. Marius Estienne et sa marraine, Anne-Marie Arnaud.
Du côté sud, une cloche de taille inférieure à la première avait été dédiée aux apôtres Pierre et Paul. Son parrain avait été Pierre Combal et sa marraine Madeleine Lombard-Daniel.
À l'est, une cloche inférieure en poids aux deux précédentes avait été consacrée sous le vocable de Saint-Joseph, protecteur des mourants. Son parrain était François-Noël Verlaque, Conseiller municipal et Conseiller général et sa marraine se nommait Louise-Jeanne Pelletier-Ricard.
Quant à la dernière, fixée sur la face ouest, elle était chargée d'annoncer les enterrements et les messes de sortie de deuil. Le document ajoutait qu'elle avait été dédiée à la Bienheureuse Marie-Madeleine, avec pour parrain Alexandre Charge et Charlotte Daniel pour marraine.
Il existe une cinquième cloche, celle qui domine le clocher, la plus ancienne, aussi, et qui n'avait pas été renouvelée en 1862. Elle porte d'ailleurs le millésime de 1689 avec l'inscription suivante : " Des orages et des tempêtes délivrez-nous, Seigneur ! Marie, mère de la Grâce, priez pour nous ! Sébastien Cevenal m'a faite - 1689 ".
J'admirais mon camarade d'être en possession de documents d'une valeur aussi rare et j'étais littéralement stupéfait d'entendre ses commentaires. En effet, le tract donnait la traduction des inscriptions. En réalité, elles étaient gravées en latin et mon ami savait que " Marie, mère de la Grâce, priez pour nous ", cela se disait en latin : " Maria, mater gratiae, ora pro nobis ".
Ces trois derniers mots, je les avais entendu dans la bouche de M. Aillaud, peu après mon entrée dans sa classe. Pourtant, ses sentiments étaient loin de pencher vers le cléricalisme... Comment expliquer l'usage qu'il en faisait ?
Quand il surprenait un élève en train de bavarder, il arrêtait son cours, fixait sévèrement le fautif qui relevait la tête et lui disait avec un air narquois " Ora pro nobis ! " Et comme le bavard écarquillait les yeux pour exprimer son impuissance à comprendre, le maître ajoutait : " C'est ainsi que le prêtre, à l'église, termine son sermon ". Implicitement, cela signifiait : " Arrête le tien ! "
Ah ! Ces cloches de Notre-Dame du Bon Voyage ! De combien de réprimandes, de combien de punitions n'ont-elles pas été la cause ! Plusieurs générations de Seynois pourraient sans doute en témoigner.
Malgré cela, toutes les fois qu'elles se remettaient en branle, j'essayais de comprendre comment il avait été possible, pour des hommes, de hisser au sommet du clocher des poids de plusieurs tonnes. Mon imagination tombait en extase à la pensée de ceux qui avaient dessiné, coulé, gravé, transporté, hissé ces instruments d'airain dont les sons retentissaient à plusieurs lieues à la ronde, et rappelaient les devoirs, les joies et les peines des uns et des autres.
Ma pensée s'en allait aussi vers le sonneur qui, d'en bas, tirait sur les cordes de toutes ses forces pour obtenir l'amplitude suffisante, génératrice des sons qu'exigeait la nature des cérémonies. Je le voyais même suspendu assez haut, ses jambes ballantes au-dessus du sol, puis redescendre lourdement sur ses jarrets, quand il voulait atteindre l'effet maximum de ses chères cloches.
Dans ces moments de vacarme assourdissant, on n'entendait même plus la voix du maître, au point qu'à la belle saison, on ne pouvait laisser ouvertes les fenêtres de la classe orientées vers le clocher. La leçon était alors interrompue et le maître nous donnait à faire un travail écrit.
Effectivement, ces sonneries multipliées gênaient considérablement le travail scolaire.
Et ce n'était pas tout ! Que dire, alors, des fenêtres orientées au Sud, par où nous arrivaient les bruits métalliques des marteaux sur les enclumes et les mandrins de la chaudronnerie, les hurlements de la scie circulaire de la menuiserie, ou les commandements à haute voix du moniteur de gymnastique qui faisait sa leçon dans la cour, quand ce n'était pas le grincement de la machine du tailleur de pierres, M. Carle, qui découpait, dans des blocs de marbre, des pierres tombales.
Et si l'on parlait des bruits de la rue Jacques Laurent ou de la rue Cavaillon : la trompette glapissante du marchand de brousses, pendant que le marchand de poissons allait au-devant de sa clientèle avec des sardines fraîchement débarquées en criant : " A l'aubo ! A l'aubo ! " (2). Très souvent, c'était le tondeur de chiens, homme basané à l'énorme cisaille, qu'il agitait d'un mouvement incessant, égrenant des notes métalliques sur son passage. Ou alors le collecteur de peaux, criait : " Pèu dé lèbro, pèu dé lapin ! " Ou encore, parlons du rémouleur qui attendait ses clients, le matin, au bas du marché et qui, dans l'après-midi, visitait les rues de la ville et des quartiers en vociférant un appel à peine intelligible, où l'on pouvait distinguer les mots de ciseaux et de couteaux.
(2) Aubo : Les sardines d'aube, sont les sardines pêchées au lever du jour. Les sardines pêchées le soir, sont des sardines de primo.
Autant de sons divers qui arrivaient jusqu'à nous, autant d'images vivantes qui défilaient devant nos yeux. Il fallait vraiment de gros efforts d'attention pour faire correctement notre travail.
Et encore, nous n'avons pas parlé du choc inlassable des marteaux-pilons des Chantiers, des jets de vapeur qui s'échappaient bruyamment des navires en réparation, des sirènes de la rade, du ronron des hydravions, etc.
On imagine donc sans peine que les conditions de travail n'étaient pas des meilleures et cependant, les jours s'écoulaient et les semaines et les mois, avec des satisfactions, des déconvenues, des moments heureux et des heures grises.
De cette année scolaire 1922-1923, j'ai gardé des souvenirs pénibles. La guerre était finie depuis quatre ans, mais on en parlait toujours autour de moi.
On avait bien organisé la Société des Nations (3) pour assurer le maintien de la paix, mais les traces de la guerre étaient loin de s'effacer. Des interventions armées avaient eu lieu en Russie, on parlait de la guerre du Rif (4), de la naissance du fascisme (5) et de la Marche sur Rome avec Mussolini (6).
(3) Société des Nations : Organisation internationale créée en 1920 pour le maintien de la paix et le développement de la coopération entre les peuples. Elle avait son siège à Genève. Bien que le président américain Wilson en ait été l'inspirateur, les Etats-Unis n'en firent pas partie. Mais elle fut loin de répondre aux espoirs qu'elle avait suscités. Si elle fut à l'origine de la création du Bureau International du Travail, elle se montra impuissante à résoudre des problèmes graves : réarmement allemand, guerre civile espagnole, Anschluss, etc. Elle disparut officiellement en 1946 et fut remplacée par l'organisation des Nations Unies [O.N.U.](4) Guerre du Rif - Le Rif est une chaîne plissée du Maroc septentrional bordant la Méditerranée du détroit de Gibraltar à l'embouchure de la Moulouya. Sa population essentiellement composée de Berbères mena toujours une opposition farouche à la pénétration européenne. Après la défaite espagnole d'Anoual en 1921 l'offensive coordonnée des forces françaises et espagnoles contraignit en 1926, Abd-El-Krim à se rendre.
(5) Fascisme - de l'italien fascio, faisceau - Mouvement fondé en 1919 en Italie par Bénito Mussolini qui rassemblait des petits groupes d'anciens combattants et d'anciens syndicalistes.
Mais ce mouvement se transforma surtout avec la Marche sur Rome, en un véritable régime politique dont la doctrine , tout à fait empirique, se dessina au gré des événements, en vue de la conquête du pouvoir total. Né de l'impuissance du régime parlementaire et de la déception des nationalistes humiliés par les traités de 1919-1920, le fascisme est défini par Mussolini comme " réactionnaire, antiparlementaire ; anti démo-libéral, anti socialiste ". Il a été un refus total de l'individualisme libéral issu des philosophes français du XVIIIe siècle. L'individu s'effaçait devant l'État totalitaire et centralisateur et, selon une tradition proprement italienne, trouvait son idéal dans la grandeur romaine. Au service de l'Etat, il y avait le duce, le chef, et le Parti. Le duce cumulait les pouvoirs exécutif et législatif, et sa volonté n'avait pas de limites ; le parti fasciste, fondé en 1921, jouait le rôle d'une élite parmi laquelle étaient choisis les fonctionnaires et les membres des formations paramilitaires. Par son intermédiaire, le fascisme encadrait l'individu pour annihiler tout esprit critique et, par un système corporatiste, réduire les antagonismes sociaux. Les corporations, regroupant patrons et ouvriers, prétendaient supprimer la lutte des classes. L'embrigadement des Italiens commençait dès l'enfance et se poursuivait de façon à fondre tout individualisme dans une mystique du Chef de l'Etat.
- (6) Mussolini (Benito, Amilcare, Andréa) - 1883- 1945 - Né en Romagne, d'un père forgeron, il devint instituteur et enseigna deux ans, s'inscrivit au Parti Socialiste et, pour se soustraire au service militaire émigra à Genève. Il y vécut de 1902 à 1904, se liant avec les milieux socialistes cosmopolites. En 1904, il se décida à faire son service militaire et rentra en Italie. Il obtint un poste de professeur de Français puis devint journaliste à Trente. Appelé en 1912 à Milan par les leaders socialistes pour diriger l'Avanti, journal du parti, il se montra jusqu'en 1914 un socialiste intransigeant et résolument neutralisé. Mais il fit une brusque volte-face et fut accusé d'avoir été acheté, ce qui l'obligea à démissionner du parti socialiste. Il créa alors des mouvements de soutien aux interventionnistes et, quand l'Italie entra en guerre en 1915, il dut partir au front. Grièvement blessé en 1917 au cours d'un exercice, il fut réformé et continua à soutenir une politique nationaliste et annexionniste. En 1919, avec quelques anciens soldats des corps d'élite, les arditi, il fonda le premier mouvement fasciste qui connut de grands succès après la guerre et prit une existence officielle en 1921. Son nombre d'adhérents passa de 31 000 en 1921 à 720 900 en 1922. Il gagna la confiance de la bourgeoisie, des milieux industriels, de l'armée et de la Police, par la violence avec laquelle ses fasci matèrent les révoltes ouvrières. C'est au cours de la Marche sur Rome où 126 000 hommes convergèrent vers la capitale quand lui-même fit le voyage de Milan en wagon-lit, qu'avec la complicité des notabilités locales et des officiers antiparlementaires, il obtint du roi Victor-Emmanuel III de prendre la tête d'un gouvernement. Peu après, en novembre 1922, après un discours d'intimidation, il obtint les pleins pouvoirs, pour douze mois, de la Chambre. Après le meurtre du député Matteotti, les partis de l'opposition, notamment les communistes, se retirèrent en signe de protestation, ce qui laissa le champ libre à Mussolini. Les lois de décembre 1925 et de janvier 1926 établirent la dictature. Il établit alors le système de la liste unique et du parti unique, responsable uniquement devant le roi. A partir de 1936, avec l'affaire d'Ethiopie, il se lança dans des entreprises de conquêtes qui l'éloignèrent des démocraties occidentales, tandis qu'il se rapprochait d'Hitler. [Création de l'axe Rome-Berlin en 1936 et du Pacte d'acier en 1939. Il sentit qu'il perdait toute initiative au profit d'Hitler et cependant, proclama en 1939, la non-bélligérance de l'Italie.
- Mais devant les rapides victoires de l'Allemagne, ayant peur de ne pouvoir " s'asseoir à la table de la Paix comme belligérant " et malgré les avis contraires de son entourage, il lança le pays dans la guerre avec l'assentiment du Roi. [Juin 1940] Il attaqua la France. Mais une succession de défaites en Grèce, dans les Balkans, en Afrique du Nord le poussèrent à durcir la dictature et il fut bientôt déposé par le Grand Conseil fasciste qu'il avait créé lui-même. Il fut arrêté le 25 juillet 1943. Interné dans les Abruzzes, il fut délivré sur ordre d'Hitler par un commando SS. I1 accepta d'être placé à la tête d'un gouvernement fantoche qui siégeait à Salô, sur le lac de Garde. Il fit alors fusiller quelques membres du Grand Conseil, dont son gendre Ciano. Lors de l'effondrement du Reich, Mussolini tenta de fuir en uniforme allemand, mais fut reconnu et arrêté par un détachement de partisans communistes le 26 Avril 1945 qui le fusillèrent le 28 Avril, avec sa maîtresse Clara Petacci. Leurs cadavres furent suspendus à Milan, par les pieds à des réverbères et insultés par la foule.
Les enfants des écoles étaient associés quelquefois aux cérémonies de restitution des corps. Le Ministre des anciens combattants, répondant aux voeux des familles durement éprouvées, voulut rendre à chacune d'elles les restes mortels de leurs enfants, dans la mesure où fut possible l'identification car, hélas ! il y eut un nombre important de disparus.
Je me souviens d'avoir participé une fois au moins à ces cérémonies funèbres. Des scènes déchirantes se déroulaient dans la Bourse du Travail où, depuis la veille, on avait rassemblé les petits cercueils portant une plaque d'identité en cuivre. Le service d'ordre avait de la peine à contenir la foule sur l'avenue Gambetta. Les enfants des écoles, sous la conduite de leur maître, étaient aux premiers rangs.
Chacun ayant reconnu ses morts, les familles se rangeaient silencieusement derrière des chars de l'armée tirés par des chevaux. Huit à dix petits cercueils couverts d'un drapeau tricolore étaient groupés sur chaque char. Après la bénédiction donnée par le clergé, un long cortège accompagné de militaires en armes et en tête duquel marchaient les écoliers, s'ébranlait lentement vers le cimetière.
Là, c'étaient des discours officiels où les expressions victimes du devoir, sacrifice suprême, mort au champ d'honneur, revenaient souvent. De nouvelles prières étaient chantées par les prêtres venus ce jour-là en plus grand nombre.
À la vue des petits cercueils de bois blanc, j'essayais d'imaginer ce qu'ils pouvaient contenir. Certains camarades disaient qu'ils renfermaient des cadavres, d'autres des squelettes seulement.
Je n'avais jamais vu, jusque-là, que des squelettes d'animaux dans la campagne ou dans les bois. Était-il donc possible que des hommes puissent se transformer dans un état semblable ?
Je me faisais donc sur la mort des idées bien confuses, d'autant que dans les comptes-rendus de la presse, on parlait de transfert des cendres ou de dépouilles mortelles.
Au soir de ces cérémonies funèbres, j'étais si impressionné que j'avais beaucoup de mal à trouver le sommeil réparateur. Mon père, pessimiste par nature, expliquait dans son entourage que les dangers de la guerre n'étaient pas éteints. Il avait sur ces questions des idées très justes : " Tant que les profiteurs de la guerre, les spéculateurs, les marchands de canons n'auront pas été mis à la raison, toutes les conférences sur la Paix, toutes les Sociétés des Nations ne serviront strictement à rien ".
Il prophétisait vrai car, hélas, vingt-cinq ans plus tard, avec les accords de Munich (7), je connus ma première mobilisation et, un an plus tard, nous entrions dans la seconde guerre mondiale.
(7) Accords de Munich - Conférence tenue à Munich en septembre 1938 et qui réunit les représentants de la France (Daladier), de la Grande-Bretagne (Chamberlain), de l'Italie (Mussolini) et de l'Allemagne (Hitler). Les accords qui en résultèrent marquèrent le recul des démocraties occidentales qui, par crainte d'un conflit, laissèrent Hitler annexer le territoire des Sudètes.
À la maison, dans la rue, on parlait toujours de la guerre. La presse locale continuait de publier des statistiques effrayantes. Dans un article intitulé La guerre continue, je lus que des centaines de combattants s'éteignaient encore chaque jour des suites de leurs blessures. J'appris que la guerre avait fait 3 500 aveugles et que des dizaines de milliers de gazés offraient une proie facile à la maladie.
Dans ces années d'après-guerre, des maladies vaincues aujourd'hui faisaient des ravages dans la population. On mourait encore des fièvres typhoïdes et de la tuberculose. Certes, la médecine avait fait des progrès, tendant à limiter la mortalité, mais les dangers demeuraient immenses et le taux de mortalité infantile restait très élevé.
C'est dans cette période que nous eûmes la douleur de perdre deux bons camarades de classe, Jubin et Picca.
Le premier fut terrassé par une forme de tuberculose à évolution rapide, nommée phtisie galopante. Il fut emporté en quelques jours.
Le second, d'une santé débile depuis sa plus tendre enfance, s'éteignit lentement de la tuberculose.
Quand j'annonçai la triste nouvelle à mes parents, le soir, ma mère se répandit en lamentations et plaignit de grand coeur la pauvre Madame Picca déjà terriblement éprouvée par la disparition de son mari, tué au cours de la guerre.
" Quel malheur, disait-elle, comment de telles choses peuvent-elles être possibles ? "
Tous ces événements de la guerre et de l'après-guerre me causaient du chagrin. Je prenais peu à peu conscience de l'importance des injustices dont l'humanité souffrait et de l'impuissance des hommes devant les grands fléaux qui nous menaçaient.
Pour accompagner notre camarade Picca à sa dernière demeure, le maître nous avait demandé de revêtir notre costume du dimanche.
Je revois encore ce char funèbre tiré par deux chevaux ornés d'un drap blanc bordé d'un galon doré touchant presque à terre et coiffés d'un chapeau percé de deux trous, sur le dessus, pour laisser pointer vers le ciel les petites oreilles droites des bêtes. De part et d'autre, on voyait de grands trous noirs dans lesquels on devinait la présence des yeux globuleux, impassibles à la tristesse de l'assistance.
Mon regard ne pouvait se détacher du petit cercueil couvert d'un linceul blanc, lui aussi. J'imaginais les traits de mon bon camarade, pris dans le sommeil de l'Éternité.
Au sortir de l'église où la classe entière avait attendu dans un silence impressionnant, le maître nous fit placer en tête du cortège puis, lentement, la colonne s'ébranla. La psalmodie du prêtre s'éleva doucement, entrecoupée par le bruit des sabots de l'attelage dont les fers tintaient sur le pavé de la rue.
Quand les dernières prières furent dites et que le petit cercueil disparut pour toujours dans sa sépulture, toute la classe atterrée resta figée un bon moment. Puis, sous la conduite du maître, nous reprîmes le chemin de l'école.
Nous venions de recevoir une leçon, une terrible leçon de la vie.
L'année scolaire 1922-1923 touchait à sa fin, M. Lions était satisfait dans l'ensemble de notre travail. Il y aurait certainement quelques redoublants. Peut-être, aussi, enregistrerait-on quelques départs, mais limités, cependant, car la sélection avait été opérée l'année précédente.
On pouvait faire cette constatation que nombre d'écoliers nantis de leur Certificat d'Études quittaient l'école vers douze ou treize ans. Depuis le début de ce siècle, un courant d'immigration italienne s'était manifesté particulièrement à La Seyne où l'on notait une proportion de trente pour cent de noms à consonance étrangère.
Ces travailleurs italiens étaient venus chercher un emploi aux Forges et Chantiers. Apres au gain, remarquables par leur sobriété, exception faite pour le dimanche où ils vidaient volontiers quelques bouteilles de vin, ils eurent vite accumulé des économies suffisantes pour acquérir des terres et les cultiver en dehors de leurs heures de travail salarié. Certains réussirent même à s'installer comme artisans ou commerçants.
La plupart de leurs enfants avaient fait leurs études primaires, mais généralement, surtout après le Certificat d'Études, ils aidaient leurs parents à la maison, à l'atelier ou aux champs.
Certains de ces travailleurs immigrés, par leur labeur acharné, surent se créer des situations enviables, au grand dam de la population autochtone. Il s'ensuivait souvent des manifestations à caractère raciste ou, du moins, xénophobes. En fait, comme dans bien des cas semblables, c'étaient des manifestations de jalousie qui éclataient un peu partout, à la campagne comme à la ville.
Et la population seynoise ne voyait pas - ou ne voulait pas voir - que c'étaient ces travailleurs étrangers qui accomplissaient le plus souvent les travaux les plus pénibles. Mais assistons-nous à autre chose, aujourd'hui, avec les travailleurs nord-africains ?
Mais cela nous a quelque peu éloigné de notre École Martini où l'on put constater à cette époque qu'une bonne moitié des enfants, après leur certificat d'études primaires, s'en allaient, comme on dit, dans la production.
Répétons que les familles, d'une façon générale, ne poussaient pas tellement les enfants aux études, même s'ils avaient des aptitudes à les poursuivre avec succès. Il faut dire aussi qu'elles étaient coûteuses, et qu'on ne trouvait pas sur place les structures pédagogiques souhaitables, obligeant les Seynois qui voulaient étudier à se rendre à Toulon pour préparer des examens d'un niveau plus élevé, sinon à Aix ou à Marseille. Seules les familles aisées pouvaient envisager pour leurs enfants la préparation aux écoles de maistrance ou des Arts et Métiers. Quant aux grandes écoles, comme Polytechnique, Saint-Cyr, l'École de Santé, etc. il était rarissime qu'un de nos concitoyens puisse y accéder.
Par rapport à ce que nous avons vu au début du siècle, pas de changements notables ne sont à signaler dans les structures pédagogiques.
L'École Primaire Supérieure comportait toujours trois années d'études qui conduisaient progressivement au certificat d'enseignement primaire supérieur, examen qui deviendra en 1930 le Brevet d'enseignement primaire supérieur (B.E.P.S.) puis, après la guerre de 1939-1945, le Brevet d'études du premier cycle (B.E.P.C.)
Dans la même période, le Certificat d'Études Pratiques Industrielles (C.E.P.I.) sera remplacé par le Brevet d'enseignement Industriel (B.E.I.). L'école préparait également au Brevet élémentaire (B.E.)
D'un niveau élevé que n'atteignent pas toujours les titulaires actuels d'un baccalauréat, ce Brevet élémentaire était une excellente base de départ pour affronter des concours divers : École normale d'instituteurs, Caisse d'Épargne, Contributions directes, P.T.T., Maistrance, c'est-à-dire des concours qui ouvraient la voie à des emplois de petits fonctionnaires.
Nous verrons par ailleurs qu'avec la naissance de l'Enseignement technique, d'autres possibilités s'offriront aux jeunes Seynois, mais il faudra encore beaucoup de temps, après le vote des lois d'organisation, pour que cet enseignement soit dispensé de façon concrète jusqu'à la base.
Une large part de cet ouvrage sera réservée plus loin au départ et au développement de l'Enseignement technique à La Seyne, tout en montrant les incompréhensions, les négligences, et même le mépris dont il fut l'objet.
Revenons à l'enseignement général.
La classe de première année fonctionnait au rez-de-chaussée d'un bâtiment récemment construit en bordure de la rue Jacques. Laurent. Elle était spacieuse et pouvait contenir vingt-quatre bancs à deux places, c'est-à-dire près de cinquante élèves.
Au-dessus, donc au premier étage, une salle pour l'enseignement des Sciences - physique, chimie et sciences naturelles - avait été aménagée avec une grande table carrelée, comme on en trouve dans les laboratoires, et de longs bancs disposés en gradins, pour que les expériences soient visibles à tous. Cette salle était réservée aux élèves de deuxième et de troisième années.
Dans les années 1927, la classe de quatrième année, classe spéciale de préparation à l'École normale d'instituteurs, viendra y travailler souvent.
Les classes de deuxième et de troisième années étaient installées au rez-de-chaussée du bâtiment nord, qui jouxtait l'école primaire (voir le plan). En somme, les bâtiments n'avaient pas subi de grandes transformations depuis vingt ans.
Celles qui interviendront par la suite ne seront que des ajouts à des bâtiments existants, nécessités par la croissance des effectifs.
À partir de l'année 1924, qui marque le départ de l'enseignement technique, des agrandissements s'imposeront pour tous les ateliers : menuiserie, ajustage, chaudronnerie. Une deuxième salle de dessin sera nécessaire et, de même, un bureau pour le chef de travaux.
Des constructions comme l'atelier de chaudronnerie seront surélevées pour l'aménagement de salles de cour destinées aux élèves du Technique.
La dernière transformation importante sera la construction du bâtiment implanté dans l'angle sud-ouest de la cour, en bordure de la rue Jacques Laurent. Avec ses cinq classes, cet ajout pris sur la cour de l'école, permit d'accueillir les effectifs croissants du Collège, car à partir de 1940, on ne parlera plus de l'École Primaire Supérieure, mais du Collège Martini.
Nous reviendrons sur ces problèmes d'accueil des élèves dans la période qui suivit la seconde guerre mondiale.
Pour l'instant, revenons à l'année 1924, dans cette classe de première année, spacieuse, où j'allais faire connaissance avec l'école primaire supérieure.
Je ne me doutais pas, quand j'y entrai pour la première fois, que vingt ans plus tard, j'y enseignerais toutes les disciplines, y compris les langues vivantes, dans la première classe de sixième de l'établissement transformé en collège. Je dis bien la première classe de sixième de la ville. Il y en a TRENTE HUIT aujourd'hui...
Les méthodes de travail y étaient toutes nouvelles. Toutes les heures, ou presque, un professeur différent arrivait, son cartable à la main. Je ne trouvais pas ça déplaisant, et mes camarades non plus, de n'avoir pas à entendre toujours la même voix qui prodiguait les mêmes conseils. Il nous fallut bien quelques semaines d'adaptation à cette nouvelle organisation. Chaque professeur avait son caractère, ses méthodes, ses exigences...
Tout aurait été parfait, si, dans les débuts, nous n'avions pas eu un professeur qui nous terrorisait littéralement.
Après la guerre et ses hécatombes, les cadres manquaient cruellement dans l'Enseignement.
Monsieur Gueirard, qui fut professeur de Sciences avant 1920, occupait alors la chaire de Mathématiques. Gravement malade depuis plusieurs mois car, disait-on, il avait subi l'ablation d'un rein, il fut remplacé par un lieutenant d'artillerie récemment démobilisé, lequel n'avait aucune notion de pédagogie.
Il alignait sur le tableau noir de longues suites de formules, croyait que nous étions suffisamment avancés pour comprendre l'algèbre et la géométrie, alors que nous n'en possédions même pas les rudiments.
Tous les exercices qu'il nous donnait se rapportaient à la balistique et il fut question à un certain moment, d'envoyer des projectiles sur la lune. Un véritable précurseur, ce professeur suppléant !
Comme nous ne comprenions absolument rien à ce qu'il nous disait, nous avions l'impression qu'il faisait des problèmes sur le tableau noir pour se faire plaisir à lui-même.
Quand un professeur ne connaît pas son métier, il s'ensuit immanquablement le désordre dans la classe. Il nous fallut cependant supporter pendant des mois la hargne de ce monsieur qui n'arrêtait pas de nous rudoyer - voire de nous insulter.
Il nous arriva même pour éviter les cours de l'Artilleur, ainsi que nous l'avions surnommé, de faire l'école buissonnière. Un certain jour, les trois quarts des élèves ayant manqué les cours de Mathématiques, le lieutenant porta plainte à la Direction. Appelés à tour de rôle chez M. Peyron qui dirigeait alors l'école, nous avions donné le véritable motif de notre absence. La sanction qui s'ensuivit fut minime : Monsieur le Directeur fut très compréhensif.
À quelque temps de là, le lieutenant fut relevé de ses fonctions à Martini et muté dans une autre école.
Fort heureusement pour nous, M. Gueirard rentra de son congé de maladie. Il nous proposa alors de rattraper le retard accumulé par des leçons qu'il nous donnerait le jeudi matin. La majeure partie de la classe accepta bien volontiers. Vers la fin de l'année scolaire, nous étions en possession des éléments essentiels de l'algèbre et de la géométrie et nous pûmes entrer en deuxième année d'école primaire supérieure.
Avec M. Gueirard, dont je reparlerai plus longuement, car il fut un professeur de talent, toute une génération de Seynois n'a pas oublié trois autres professeurs : MM. Romanet, Azibert et Lehoux.
Si l'on compte M. Peyron, qui lui aussi enseignait certaines disciplines, il y avait donc cinq professeurs qui se chargeaient d'appliquer les nouveaux programmes de l'Enseignement, modifiés et mis au point en 1923, sous le ministère Lapie.
Ces programmes comportaient une douzaine de disciplines. La spécialisation des professeurs n'ayant pas à cette époque, un caractère absolu, il arrivait que le professeur d'Histoire et de Géographie enseigne en même temps les langues.
Ce fut le cas de M. Azibert, qui nous enseignait l'Anglais ; ce fut également le cas de M. Romanet qui, avec l'enseignement du Français, se chargea de l'Éducation physique. Il en était d'ailleurs ravi, lui qui fut le premier président de l'Union Sportive Seynoise.
Ce fut le cas de M. Peyron, le Directeur qui en plus de sa charge enseigna en même temps la Morale et les Sciences naturelles.
If faut s'arrêter quelques instants sur les méthodes de M. Peyron qui, en 1924, enseignait la Botanique. Il ne faisait pas des cours ex-cathedra. Il commença par nous faire apporter toutes sortes de plantes, il nous fit classer des feuilles, des tiges, des racines et des fleurs suivant leur forme, nous fit observer attentivement le nombre et la forme des pièces florales, il nous fit dessiner, comparer, raisonner... En somme, il appliquait ce que l'on appelle aujourd'hui des méthodes actives.
Son enseignement très vivant captivait tout le monde. Il nous apprit ainsi à faire un herbier et sut si bien nous intéresser à la Botanique, que le jeudi, nous partions souvent en groupe dans la campagne pour enrichir nos collections.
Dans cette même période, deux de mes camarades préférés collectionnaient les timbres...
Lorsqu'ils atteignent quatorze ou quinze ans, la plupart des enfants aiment collectionner des timbres, des cartes postales, des plantes, des insectes, des pièces de monnaie, etc...
Je voulus, moi aussi, faire ma collection de timbres. Cela ne manquait pas d'intérêt. À l'occasion du Nouvel an, mes parents m'avaient offert un album. Mon père n'avait pas été très enthousiaste car, disait-il, " Tu vas perdre beaucoup de temps au détriment de tes études. Je préfère - ajoutait-il - te voir chercher un problème, plutôt que de coller des timbres dans un album ".
J'essayais bien de le convaincre de l'intérêt de la chose, en lui expliquant que les timbres du moment auraient peut-être un jour une très grande valeur, que c'était en quelque sorte un placement d'argent que je faisais, mais il n'était pas très réceptif à mes arguments.
De l'argent, je n'en avais pas souvent et je n'osais même pas en demander à ma mère. Aussi m'arrivait-il d'être quelque peu gêné en comparaison de camarades mieux nantis.
Cela m'amène, si vous le voulez bien, à vous raconter un souvenir d'enfance amusant, une de ces mésaventures qui rappellera à nos concitoyens de ma génération des spectacles de la rue, aujourd'hui disparus.
Ce jeudi-là, j'étais en compagnie de Millou à qui je fis part de mon désir d'acquérir quelques timbres pour ma collection.
J'avais été frappé par la série relative aux Colonies françaises.
En ce temps-là, la IIIe République, désireuse de pérenniser l'empire colonial et surtout les bénéfices d'exploitation qu'en tiraient les capitalistes, avait fait procéder par le Ministère des P.T.T. à l'émission de beaux timbres représentant les paysages et les activités de nos colonies.
Il y avait donc des timbres pour l'Afrique équatoriale, le Sénégal, la Côte d'Ivoire, l'Algérie, la Tunisie, le Maroc, la Nouvelle-Calédonie, la Guyane, le Tonkin, la Cochinchine, l'Annam, le Cambodge, etc. Cette série, je la voyais affichée dans les librairies. Hélas ! je n'avais pas les moyens de l'acheter...
Millou, très entreprenant, me dit : " De l'argent ? nous allons en trouver. Viens avec moi ! "
Je me demandais avec un peu d'inquiétude quel pouvait être son secret. Nous arrivâmes devant l'église. Il s'assit sur les marches de l'escalier et me dit de faire comme lui. Je lui dis : " Nous n'allons tout de même pas faire de la mendicité ? - Mais non ! sois tranquille ". Et comme je manifestais un certain étonnement, il me dit : " Tu vas voir. Tu ne sais pas que le jeudi c'est le jour où il y a le plus de baptêmes ? "
Je compris d'autant plus vite qu'à ce moment précis, il arriva une calèche tirée par un cheval blanc superbe, aux sabots vernis, conduit par un cocher portant un chapeau haut-de-forme.
De ce véhicule descendirent trois ou quatre personnes dont une femme qui portait un bébé enveloppé soigneusement dans une abondante étoffe de mousseline blanche. Millou me dit en montrant un homme du doigt : " C'est lui, le parrain ! "
Pendant que le parrain et la suite entraient dans l'église, une vingtaine d'enfants s'étaient rassemblés sur le perron et se mit à crier : " Pèirin ! Rascous ! Lou pichoun vèndra gibous ! "
Ils s'exprimaient en Provençal, ce qui veut dire que cette pratique devait remonter à une époque déjà lointaine. Ce qu'ils disaient ? Je le traduis pour les profanes : " Parrain ! Avare ! Le petit sera bossu ! " Implicitement, cela voulait dire qu'il deviendra bossu, si le parrain ne fait pas des étrennes à l'assistance.
Millou criait plus fort que les autres et me sermonna à cause de ma timidité.
Les parrain et marraine entrèrent donc dans l'église pour la cérémonie du baptême, mais la cohorte hurlante attendit sur le porche. Ce n'était pas dans les moeurs de faire du chahut dans un lieu de culte.
Nous attendîmes donc au-dehors. Quelque dix minutes plus tard, quand la porte de l'église se rouvrit, que l'enfant reparut avec son parrain et sa marraine, alors le charivari reprit de plus belle. Le parrain savait ce qu'il lui fallait faire. Il avait préparé dans ses poches, depuis plusieurs jours, sans doute, une provision de menues pièces de monnaie. Il les prit à pleines mains, sitôt arrivé dans la rue avant de remonter dans la calèche et les projeta le plus loin possible, afin de se donner le temps de déguerpir avec son équipage.
Ce fut alors une cohue indescriptible. Chacun des enfants se précipitait pour ramasser le plus de pièces possible. Il y en avait de grosses de 10 centimes, en bronze, de moins grosses, d'un centime, des pièces de nickel percées d'un trou au milieu, de vingt-cinq centimes, dix centimes et cinq centimes. Comme sur la même pièce se précipitaient parfois plusieurs garnements, il fallait se bousculer, faire des crocs-en-jambe, pour s'emparer du moindre butin.
J'eus ma blouse déchirée. D'autres enfants furent piétinés. Pour éviter les mauvais coups ayant vu rouler plusieurs pièces dans le ruisseau, je n'hésitai pas à plonger mes mains dans l'eau sale où couraient quelques macaronis et finis par récupérer une petite pièce en nickel. C'était vraiment peu et mon butin ne me permettait certainement pas des largesses.
Millou, plus fort que moi avait réussi à s'imposer et il avait récolté environ deux francs de monnaie. Il me dit d'attendre encore et que peut-être un autre baptême arriverait.
Mais je décidais de rentrer à la maison, non sans inquiétude, car il me faudrait bien justifier la déchirure de mon sarrau.
Généreux, mon camarade me dit : " T'en fais pas ! tu les auras tes timbres ". Il m'emmena sur le cours Louis-Blanc, dans la petite librairie tenue par M. Maratray et il acheta plusieurs des timbres que je convoitais depuis longtemps, qu'il mit dans ma poche.
Ma mère me gronda quand je lui racontai cette mésaventure. Elle me recommanda de ne plus participer à des divertissements de cette sorte, réservés seulement à des malotrus.
Mes activités du jeudi allaient fort heureusement trouver une autre orientation.
Les cours d'enseignement agricole
La Municipalité de l'époque avait institué des cours d'Enseignement post-scolaire agricole. Un instituteur de l'école François Durand, père de famille nombreuse, avait postulé pour assurer ces cours. Sa compétence était certaine, puisqu'il était titulaire d'un brevet spécial pour ce genre d'enseignement. Il s'appelait M. Rougier.
Ces cours, il avait eu la possibilité de les organiser un peu à sa guise. Le plus commode pour lui, comme pour les élèves, était de les faire le jeudi ou le dimanche matin.
Il disposait d'un lopin de terre attenant à l'école François Durand. Mes premières notions théoriques et pratiques d'agriculture, c'est à lui que je les dois.
Les cours étaient facultatifs et gratuits pour les enfants. M. Rougier recevait une indemnité annuelle de la Ville.
Nous étions une trentaine de volontaires pour suivre ces cours et tantôt dans une salle de classe tantôt - le plus souvent - sur le terrain, le professeur nous donnait des notions d'agriculture pratique. Comment semer des graines ? Comment tailler des arbres ? etc. Mais il sut organiser des excursions, des visites d'exploitations environnantes. C'était ainsi que le grand vignoble du Clos Vidal reçut notre visite et que je vis fonctionner pour la première fois des fouloirs mécaniques, des pompes pour le soutirage du vin, en un mot, une exploitation moderne. Pour mémoire, le Clos Vidal se trouvait exactement à l'emplacement des grandes constructions de Mar Vivo, face à la pharmacie de M. Bergougnoux.
Il nous arrivait de partir pour la journée entière ; nous emportions naturellement un repas froid. Ces excursions nous permettaient d'herboriser, de visiter des jardins potagers, des vignobles, des oliveraies, des jardins exotiques, comme celui du Mourillon ou des ruchers.
Grâce à M. Rougier, je connus les environs de La Seyne et de Toulon.
Nos parents nous savaient sous bonne garde, d'autant que les jours de longue sortie, l'un des médecins inspecteurs des écoles se joignait à nous. Je pense particulièrement au docteur Grandjean, homme vénérable qui en imposait avec sa longue barbe de patriarche.
Quand M. Rougier n'était pas disponible pour nous emmener en excursion, je passais mon jeudi chez mes grands-parents à Mar Vivo.
Mon grand-père, passionné de chasse et de pêche, m'apprit tout ce qu'il savait pour capturer poisson et gibier. Aujourd'hui encore, je bénéficie de son enseignement mais hélas ! la forêt de Janas n'est plus giboyeuse et la mer se dépeuple un peu plus chaque année.
Mes anciens m'ont appris à exploiter toutes les petites ressources locales non négligeables parfois : champignons, escargots, salades sauvages, arbouses de la forêt, plantes aromatiques, etc. Ils ont su me faire apprécier les splendeurs de la nature, la beauté de notre forêt, l'attrait intarissable de nos calanques avec leurs fonds diversement bariolés.
Quand je rentrais à la maison, les jeudis et les dimanches, j'étais ivre d'air pur et de soleil, mais le lendemain, je reprenais courageusement le chemin de l'École Martini.
L'année scolaire se passa normalement et à l'automne 1925, je me retrouvais avec une trentaine de mes camarades en deuxième année de l'école supérieure.
La direction de l'école avait été confiée à M. Mendès, qui venait de l'école de Lorgues. L'équipe Romanet, Gueirard, Azibert et Lehoux accomplissait sa tâche avec beaucoup de conscience.
Mes notes étaient satisfaisantes en Sciences et en Mathématiques, acceptables en Histoire, Géographie, Anglais, médiocres en Français.
L'enseignement des Sciences me captivait malgré la sévérité du professeur, M. Lehoux, un géant qui mesurait presque deux mètres de hauteur, intraitable sur la qualité des leçons apprises, des devoirs faits et des croquis reproduits. Quand un élève paresseux flanchait devant le tableau noir, des épithètes peu flatteuses fusaient sur un ton qui n'incitait personne à sourire : " Crétin ! idiot ! cancre ! " Qualificatifs suivis quelquefois par un net " Saligaud ! " si le cahier était mai tenu :
Fort heureusement pour moi, je n'essuyai jamais de telles invectives.
Elle avait été aménagée au moment où j'entrais à l'École Primaire Supérieure. Son équipement était à peu près convenable pour l'époque.
À gauche, en entrant, des placards vitrés, immenses, contenaient des instruments de physique et du matériel scientifique : ballons, cristallisoirs, tubes à essais, produits chimiques.
À droite, une longue table d'expériences, faite en maçonnerie, carrelée de blanc sur le dessus, était équipée de réchauds et de becs de gaz, tandis qu'au fond, un lavabo servait surtout au nettoyage du matériel ayant servi aux expériences.
De longues tables en gradin faisaient face à la table de laboratoire et à un immense tableau sur lequel des formules écrites par le professeur restaient en permanence. Par exemple :
Acide + métal = sel + eauCorps simple + oxygène = oxyde-anhydrique - basique - neutre.
Très au-dessus, une longue bande de papier noir plaquée au mur portait la liste des métaux et des métalloïdes suivis de leur poids moléculaire.
Je ne trouvais pas désagréable cette odeur de produits chimiques mêlée à celle des gaz brûlés et les premières expériences m'incitèrent à installer dans un réduit de la maison, un petit laboratoire où je pourrais, moi aussi, fabriquer du gaz carbonique pour y asphyxier des lézards, puis de l'oxygène pour les ramener à la vie.
Tout cela était bien nouveau pour moi et mes camarades.
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M. Lehoux préparait toujours ses expériences à l'avance. Il nous faisait observer, prendre des notes, dessiner, et exigeait que le travail fait à la maison soit exécuté avec le maximum de soins.
De 1925 à 1928, donc pendant trois années consécutives, nous avons reçu dans cette salle un enseignement très complet dans les disciplines scientifiques essentielles : Physique, Chimie, Sciences naturelles.
Mais il convient de dire que les programmes étaient trop lourds, les professeurs s'en plaignaient.
Il serait fastidieux d'énumérer toutes les leçons, tous les principes, toutes les formules que les élèves devaient emmagasiner dans leur jeune tête.
La statique des solides et des fluides, les changements d'état des corps, l'électricité, le magnétisme, l'optique, la chimie, avec l'étude de tous les métaux, des métalloïdes, des alliages, les sciences de la nature, avec le corps humain, la botanique, la zoologie, la géologie, etc. etc.
Tout cela représentait une somme énorme de connaissances.
Évidemment, elles ne pouvaient être approfondies comme elles le sont aujourd'hui, puisque les programmes s'étalent de la sixième à la première.
Et je répète ici ce que l'on a constaté dans la classe de préparation au Certificat d'Études :
Nous travaillions pour la préparation des examens et des concours. Il fallait donc bachoter et l'on nous faisait des têtes bien pleines plutôt que bien faites.
De toutes ces disciplines scientifiques, c'étaient les Sciences de la nature qui me captivaient le plus, bien qu'elles soient enseignées d'une façon trop livresque encore.
Observer dans un livre ou sur une carte murale le dessin d'une abeille avec ses mandibules complexes, ses yeux énormes, ses pattes de travailleuse acharnée qui creusent, qui transportent, qui bâtissent, ses trachées, ses ailes, etc. ne manque pas d'intérêt. Mais faites observer par l'enfant une abeille, avec une grosse loupe ou un microscope, il sera littéralement captivé par une infinité de détails. Donnez lui à reproduire ce qu'il aura observé, même s'il le fait maladroitement, et sa curiosité sera aiguisée davantage, surtout si on l'aide à comprendre le pourquoi et le comment des choses.
Notre équipement scientifique n'était pas encore assez riche pour nous aider à découvrir nous-mêmes les secrets de la nature. Il y avait peut-être une loupe pour toute la classe, mais aucun microscope.
La première fois que j'appris à observer sérieusement et à dessiner, ce fut en 1928, à mon entrée à l'École normale d'instituteurs de Draguignan.
M. Lehoux savait très bien son métier, mais les moyens matériels lui manquaient. Ajoutons qu'à cette époque, l'État donnait rarement des subventions pour l'achat de matériel scientifique. Le strict minimum était fourni par la Municipalité qui n'arrêtait pas, de son côté d'envoyer au Préfet des délibérations pour réclamer des subsides.
Néanmoins, pour rendre son enseignement plus vivant, le professeur nous demandait d'apporter des échantillons pris dans la nature au cours de nos sorties du jeudi ou du dimanche.
Et c'est ainsi qu'on trouvait souvent sur la table du laboratoire, des végétaux, des animaux, des minéraux ou même des oiseaux, des reptiles naturalisés ramenés de pays exotiques par un papa navigateur, des squelettes de petits animaux trouvés dans le bois, mais aussi des boîtes renfermant des modèles vivants : insectes, reptiles, batraciens, etc.
Le professeur nous avait appris à nettoyer les ossements d'animaux grâce à l'eau de Javel, ce qui lui permettait d'enrichir la collection de son musée avec des vertèbres, des dents de ruminants, de carnivores, d'insectivores, etc.
Il avait vraiment réussi à nous intéresser à son enseignement. Mais pour certains élèves, cet engouement apparent pour les sciences cachait de malignes intentions.
Il arriva qu'à l'occasion de cours donnés par les professeurs suppléants n'ayant pas bien leur classe en main et surtout s'il s'agissait de professeurs féminins, que des boîtes s'ouvrent, laissant aux souris, aux reptiles, aux insectes vivants, l'entière liberté de leurs mouvements.
Effrayés, ces animaux couraient dans tous les sens. Alors les élèves de la classe, déchaînés, montaient sur les tables, ouvraient les fenêtres et appelaient au secours.
Le professeur, lui-même, n'était pas toujours rassuré et l'on devine la peine qu'il avait, surtout s'il manquait de fermeté, pour rétablir l'ordre dans la classe.
Qui était responsable ? Qui avait apporté des bestioles dans les bureaux ? On ne le savait jamais. Le professeur impuissant devant le tumulte envoyait chercher le Directeur. Une enquête commençait qui ne donnait souvent aucun résultat.
Pour ne pas perdre la face, le directeur avait alors recours à une punition collective, ce qui n'était pas juste. Mais nous acceptions la sanction de bonne grâce, car elle venait comme une compensation presque naturelle, aux moments si agréables que nous venions de vivre.
Il suffisait ensuite d'expliquer ceci à nos parents, ce qui, croyez-le bien, n'était pas toujours facile, surtout avec un père comme le mien qui n'était pas particulièrement porté sur l'indulgence.
Ce fut à la suite d'un incident dans le goût de celui que je viens d'évoquer qu'un certain jeudi, toute la classe fut consignée.
Mais ce n'est pas à l'école, que le Directeur nous avait convoqués pour purger notre peine collective. Le rendez-vous avait été fixé à quatorze heures, devant son jardin potager.
Il nous attendait patiemment, Monsieur le Directeur, il avait sans doute arrêté son plan de travail.
Ce ne fut qu'une minorité d'élèves qui se présenta. Une dizaine, peut-être, mais cette minorité comportait une majorité de farceurs..., des farceurs qui sans nul doute, avaient arrêté leur plan eux aussi.
Le directeur dut s'absenter. Avant de partir, il distribua les tâches à chacun d'entre nous en multipliant les recommandations. Je me souviens fort bien d'avoir été chargé d'arracher les mauvaises herbes dans une allée. Mon camarade Vincent Fournier devait planter des poireaux dans un sillon préparé par un autre élève, pendant qu'Arnaud Noël débarrasserait les tomates des plantes parasites. Quant à Chélotti, il avait la charge redoutable de vider la fosse à purin. (La ville était encore loin de posséder un réseau d'assainissement...).
L'un d'entre nous s'étant aperçu que le Directeur était parti en compagnie de sa femme, nous comprîmes que nous étions sans surveillance.
Alors commença une partie de fous rires comme j'en ai rarement connus dans ma vie.
Sur les injonctions des meneurs, les pires sottises furent commises. Arnaud avait bien arraché les mauvaises plantes, mais les ayant confondues avec les pieds de tomates, il s'ensuivit dans la plantation les plus graves dommages. Fournier, lui, avait bien planté les poireaux, mais il avait mis en terre les tiges et les feuilles et laissé dépasser les bulbes et les racines. Quant à Chélotti, responsable du nettoyage de la fosse à purin - nous disions la suèye ou encore la suie, dans notre langage provençal - il s'était armé pour ce faire d'un long bâton au bout duquel était fixée une casserole, par le moyen d'un morceau de fil de fer. Avec l'usage, cet amarrage avait pris du jeu et, au lieu d'enfouir la vidange dans le sol, suivant la recommandation de Monsieur le Directeur, il l'avait copieusement répandue dans les allées, sur les géraniums en fleurs, au pied des rosiers, autour de la maison, bref, un peu partout dans la propriété. On imagine la puanteur qui flottait dans le jardin et ses environs immédiats. Je voulus l'atténuer par un arrosage efficace, mais quelle imprudence du Directeur d'avoir laissé un tuyau à notre portée ! Chélotti s'en saisit et chacun eut droit à une douche copieuse.
Des passants sur la route, se retournaient, tellement ils entendaient des rires éclatants qui jaillissaient de nos poitrines...
L'un d'entre nous, songeant tout de même aux risques encourus si le Directeur venait à rentrer, s'enquit auprès d'un passant de l'heure qu'il pouvait être.
Il était temps ! La retenue touchait à sa fin. Nous quittâmes précipitamment le jardin, laissant les outils, les tas d'herbes, le tuyau d'arrosage, etc. dans un désordre indescriptible.
Le lendemain matin, il fallut tout de même rentrer à l'école, pas tellement rassurés après nos forfaits de la veille. Quelle serait la réaction de Monsieur le Directeur ?
À notre grand étonnement, rien ne se produisit, et depuis ce jour-là, il ne fut plus question de retenues à domicile. Notre action de rébellion avait fait jurisprudence...
J'ajoute tout de même que, pendant plusieurs jours, nous fîmes de notre mieux pour ne pas nous trouver sur le passage de Monsieur le Directeur.
Les jours passaient. J'avais l'impression que pendant les récréations, les bousculades se multipliaient. Devant les ateliers, des groupes se formaient. Des élèves en pantalons bleus et vestons gesticulaient bruyamment. Des élèves que nous n'étions pas habitués à voir dans notre cour de récréation, laquelle semblait rapetisser d'une année sur l'autre.
Plusieurs fois dans la semaine se présentaient des élèves dits des cours professionnels. Ces cours existaient depuis plusieurs années. Ils étaient assurés par des professeurs d'atelier détachés des Forges et Chantiers qui donnaient un enseignement pratique dans les ateliers d'ajustage, de menuiserie et de chaudronnerie, ateliers qu'il devenait nécessaire d'agrandir au fur et à mesure de la croissance des effectifs.
Si, lors de leur création, ces cours étaient facultatifs, depuis 1924 ils étaient devenus obligatoires. Il avait donc fallu diviser l'effectif en deux groupes.
Le premier groupe recevait des leçons de technologie de M. Forel, le second des cours de dessin et de mathématiques de M. Michel.
Il n'était pas encore question d'un véritable enseignement technique, mais les choses allaient se préciser.
En 1923, la ville demanda la création d'une section pratique d'Enseignement technique industriel et en août 1924, elle délibéra pour obtenir la création d'une véritable École Pratique d'Industrie. Elle obtint satisfaction la même année.
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Avant de préciser les conditions de la naissance et du développement de l'enseignement technique, je voudrais évoquer quelques souvenirs de mon passage aux ateliers de l'École Martini. En effet, ceux des élèves qui suivaient l'enseignement moderne - et c'était mon cas - étaient tenus d'assister à un cours de deux heures de travaux manuels hebdomadaires.
La pratique du travail manuel a toujours été recommandée dans l'enseignement public, avec juste raison d'ailleurs, parce qu'il a une valeur éducative mais aussi parce qu'il vise des buts pratiques. " On ne sait bien que ce qu'on a agi " disait-on autrefois.
L'homme a développé son intelligence parce qu'il s'est d'abord servi de ses mains. L'homo faber précéda l'homo sapiens.
Alors, depuis la maternelle où l'on dessine, découpe, colle, jusqu'au moment où l'enfant est capable de créer des objets, depuis les cours élémentaires où l'on assemble des figures géométriques de carton pour compléter les leçons de calcul, on arrive peu à peu à l'âge où l'on aspire à créer des objets. Pour ce faire, il est bon que les enfants soient familiarisés avec la manipulation des outils.
Dans cette année 1924, ma promotion à l'école primaire supérieure fut divisée en trois groupes destinés respectivement à la menuiserie, à l'ajustage et à la chaudronnerie.
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Je ne sais pas comment se fit la répartition. Aucun élève ne fut consulté sur ses préférences ou ses aptitudes. En ce temps-là, la concertation était une pratique totalement ignorée des maîtres et des élèves.
Un certain samedi après-midi, le Directeur vint nous annoncer notre affectation. Je fus désigné pour la chaudronnerie, avec une dizaine d'autres camarades.
L'instructeur, ou plutôt le maître d'atelier, nous attendait. Nous n'avions pas beaucoup de parcours à faire, puisque l'atelier de chaudronnerie et notre classe étaient mitoyens.
Monsieur Sauvaire, qui dirigeait la chaudronnerie depuis 1900, était un ancien de la maison. C'était un homme de taille moyenne, plutôt sec, portant un veston étriqué et une casquette de marine. Il nous accueillit plutôt froidement. Sa voix bourrue m'impressionna quelque peu. Il était du genre râleur, comme nous disions, mais j'eus, par la suite, l'occasion de me rendre compte qu'il était un brave homme et qu'on l'avait placé là parce qu'il était très qualifié et qu'il faisait son métier avec beaucoup de soin et de dévouement.
De cet atelier, j'ai déjà parlé dans le passage traitant de la période de 1900 à 1920.
Il n'avait pas beaucoup changé. Les murs étaient noirs, la disposition du matériel était celle que m'avaient décrite mes anciens ; l'équipement restait à peu de choses près le même.
Les trois fenêtres qui s'ouvraient sur la rue Jacques Laurent permettaient de dominer la cour où évoluaient les fillettes de l'Orphelinat Saint-Vincent-de-Paul.
Pour éviter que les apprentis chaudronniers entrent en communication, fût-ce par gestes, avec l'élément féminin d'en face, les vitres les plus basses de ces fenêtres avaient été barbouillées à la chaux.
Ce procédé s'avéra inefficace. Le fragile revêtement blanc était souvent rayé par les limes, suffisamment pour qu'on pût voir défiler les enterrements dans la rue.
Il arrivait aussi que les rayures reproduisent des formes obscènes dont la pudeur des religieuses de l'orphelinat devait souffrir cruellement. Les responsables de ces dessins restaient généralement introuvables.
Afin d'éviter des incidents, M. Soléri, successeur de M. Sauvaire, décida un jour de remplacer les vitres intérieures par des tôles fixées du dehors.
Mais comment se présentait cet atelier ?
À gauche de l'entrée, on avait fiché en terre de gros madriers traversés de part en part par des mandrins en fer, de calibres différents, pour façonner des pièces.
Au milieu, une forge activée par un soufflet mécanique avait remplacé un grand soufflet de forgeron autrefois actionné par un cordon suspendu et que l'on pouvait encore voir, abandonné, dans le coin gauche.
Sur le sol en terre battue, autour de la forge, posée sur un rondin énorme en bois dur, trônait l'enclume principale, celle sur laquelle les coups de marteau tintaient avec tant de force que leur chanson se répercutait dans les quartiers environnants. Mais il y avait également deux ou trois autres enclumes de tailles différentes et d'autres plus petites encore que l'on appelait des bigornes.
Autour, contre les murs, des établis portaient quelques étaux et, au-dessus des établis, étaient fixés sur des panneaux de bois noircis par la fumée et tailladés en tous sens, les outils spéciaux au travail de la chaudronnerie, de la plomberie, de la zinguerie, c'est-à-dire des cisailles des marteaux à planer, des pinces, des fers à souder, des marteaux à boules nécessaires à l'emboutissage, des limes de différentes grosseurs, etc.
Dans un coin, on pouvait distinguer une grande caisse contenant des rognures de cuivre et de laiton ou des objets en bronze, abandonnés parce que hors d'usage.
M. Sauvaire nous apprit que le cuivre était très cher et qu'il ne fallait pas en gaspiller. Il était chargé par la Municipalité de récupérer tous les déchets destinés à la vente pour compenser les achats de métal neuf.
Il fut question, à un certain moment, de distribuer sous forme de prime aux élèves méritants, le produit de cette vente.
Dans le coin le plus obscur de l'atelier, on pouvait distinguer de grandes feuilles métalliques de cuivre, de laiton, de zinc, de fer blanc, coincées à la base dans une espèce d'étui en bois.
Toutes les fois qu'on nous donnait une pièce à confectionner, M. Sauvaire lui-même découpait dans ces belles surfaces vierges, le strict nécessaire à l'exécution.
À proximité de la forge, entre les deux fenêtres donnant sur la rue, un immense placard renfermait des outils de précision, des acides, des boites de rivets, de la brasure, des boulons, etc.
M. Sauvaire, seul, en avait la clef. Il ne la confiait à personne et l'on comprend sa prudence. Sans doute, victime de quelque larcin dans le passé, avait-il le souci de ne pas voir disparaître du matériel que, d'ailleurs, on ne lui octroyait qu'avec parcimonie.
De cet ensemble, une odeur particulière se dégageait, composée de celles de l'acide bouillonnant, du gaz des brasiers de coke et de houille incandescents, d'oxyde de fer qui se détachait en étincelles rutilantes du fer battu sur l'enclume...
Toutes ces odeurs me rappelaient quelque peu les exhalaisons de la salle de sciences.
Quand on ajoutait du charbon sur la forge et qu'une fumée jaune et âcre se dégageait et débordait de la cape, nous étions tout à fait dans l'ambiance d'une petite usine.
Dès la première séance de travail, M. Sauvaire se préoccupa de nous apprendre le nom des outils les plus usuels. Il nous fit observer la forme précise de chacun d'eux pour mieux en comprendre la fonction. Il nous fallut prendre des notes en prévision d'une interrogation pour la séance suivante.
L'interrogation eut lieu. Je fus très à l'aise pour répondre car la plupart des outils de l'atelier, mon père les avait à la maison.
Tout cela me parut très simple.
Ce le fut moins lorsqu'il fallut passer à l'application pratique.
Le professeur traça sur la tôle des rectangles, des circonférences, qu'il nous fallut découper au marteau et au burin.
Les premiers coups manquaient de puissance ; nous voulions ménager nos doigts de petits intellectuels de l'enseignement moderne.
Alors M. Sauvaire, nous prenant le marteau des mains, frappait à coups redoublés sans même regarder le burin. Seule la ligne à suivre le préoccupait.
- " Mais ça n'est pas difficile, nom d'un chien ! " s'écriait-il et il passait de l'un à l'autre. Quand un marteau avait raté sa destination et que le maladroit s'en allait dans un coin en soufflant sur ses doigts, M. Sauvaire souriait : " Ce n'est rien, mon petit, c'est le métier qui rentre ".
Et généralement, les camarades riaient. Les enfants ont facilement tendance à rire du malheur des autres, sans se douter le moins du monde que l'adversité les frappera à leur tour, tôt ou tard.
Je fus littéralement émerveillé le jour où M. Sauvaire nous montra comment fabriquer une tubulure en partant d'un disque de cuivre.
Il traça à l'intérieur de la plaque circulaire une circonférence du diamètre correspondant à la partie cylindrique du tube. Il fallait transformer une surface circulaire en une surface sphérique et cela, grâce à un marteau à boules dont la tête s'enfonçait à chaque coup dans le métal pour l'amincir et l'emboutir, en prenant appui sur le bord de l'enclume.
Le cuivre avait été préalablement chauffé et trempé pour lui donner une plus grande souplesse. Les coups de marteau, donnés de la main droite, tombaient avec force sur l'enclume qui tintait, et cela avec une précision extraordinaire. Dans le même temps, la main gauche faisait tourner le disque de métal.
Peu à peu, le métal repoussé prenait la forme d'un hémisphère et quand il fut suffisamment approfondi, égalisé, aplani sur une autre pièce de métal sphérique qu'on appelait la boule, le disque original avait pris la forme d'un chapeau de cardinal. M. Sauvaire traça alors une autre circonférence au sommet de l'hémisphère et au moyen du bédane, découpa et enleva une petite calotte de cuivre. Après quoi il lui fallut rabattre la partie restante à petits coups de marteau de manière à obtenir une forme cylindrique, sans aucune déchirure dans le métal. Le chapeau de cardinal devint alors une sorte de canotier auquel il manquait le dessus.
C'était la forme la plus simple à obtenir pour les débutants que nous étions. On pouvait bien-sûr la compliquer en tombant les bords au sommet et en perçant des trous.
Cette démonstration m'avait séduit et je parvins assez rapidement à faire un travail convenable, mais certes pas dans le temps record du professeur.
Quand les équipes des ateliers d'ajustage et de menuiserie rencontrèrent celle de la chaudronnerie, un colloque des plus animés se déroula dans la cour. Chacun fit part de ses réflexions sur le travail et aussi sur le comportement des professeurs.
À quelque temps de là, un incident se produisit dans l'atelier d'ajustage.
Un élève dont j'ai oublié le nom avait remarqué que M. Fabre avait déposé dans le tiroir d'un établi proche de son bureau, un lot de petites limes triangulaires qu'on appelle des tiers-points. C'était une commande qu'il avait faite depuis longtemps et il s'agissait donc d'outils absolument neufs.
L'élève en question fut tenté et au moment de la sortie, alors que M. Fabre changeait de veston et se préparait à partir, il se saisit des trois ou quatre limes qu'il glissa rapidement dans la poche de son pantalon. Mais les limes toutes neuves n'ayant pas encore de manche, il lui fallait marcher avec prudence, on comprend pourquoi.
Il sortit de l'atelier sans précipitation. M. Fabre, sortant le dernier, ferma l'atelier et interpella l'élève pour lui demander de déposer la clef de l'atelier chez le concierge. Il sortait en effet par la petite porte donnant sur la rue Jacques Laurent, alors que la conciergerie était à l'opposé.
L'élève prit la clef et se dirigea vers la concierge qui attendait tous les soirs pour rassembler les clefs de toutes les classes et de tous les ateliers.
Au moment de remettre la sienne, le petit larron, maladroitement, la fit tomber à ses pieds. Aussitôt, il se baissa pour la ramasser, oubliant sans doute ce qu'il avait dans la poche de son pantalon et il poussa un grand cri de douleur, devant la concierge effrayée.
Alors qu'elle s'inquiétait du motif de sa douleur le chapardeur s'enfuit à toutes jambes, en ayant soin de prendre dans sa main les objets subtilisés.
Mme Broquier, la concierge de cette époque demeura tout éberluée, ne trouvant pas d'explications à une conduite si inattendue.
Mais les choses n'en restèrent pas là.
M. Fabre s'aperçut le lendemain qu'il manquait des limes dans son tiroir. Il s'enquit auprès de la concierge pour savoir si, par hasard, elle n'aurait pas prêté la clef à un quelconque visiteur.
Alors, fronçant les sourcils, Mme Broquier fixa son regard malicieux sur M. Fabre et parut réfléchir longuement.
Machinalement, elle saisit sa tabatière, dans la poche de son grand tablier et, entre le pouce et l'index de sa main droite, prit une pincée de tabac à priser qu'elle poussa dans sa narine gauche, non sans avoir inspiré fortement pour absorber tout l'arôme.
" Non, je n'ai prêté la clef à personne ". Mais se rappelant l'incident de la veille, elle ajouta d'un ton soupçonneux : " C'est un enfant qui me l'a rendue hier soir, cette clef, mais j'ai constaté une chose bizarre. Il était pressé. Il a fait tomber cette clef à ses pieds et en se baissant pour la ramasser, il a poussé des cris de douleur et s'est enfui en se tenant le bas du ventre. Je n'ai pas compris ce qui lui arrivait, mais son attitude m'a paru drôle ". À quoi M. Fabre répondit : " Vous n'avez pas compris ? Et bien je vais vous expliquer ". Il eut tôt fait de montrer le rapport de cause à effet entre la disparition des limes et le comportement bizarre de J'élève. " Ah le coquin ! " reprit Mme Broquier.
M. Fabre mena son enquête dans son atelier, mais ne put interroger le délinquant qu'au bout de quelques jours, car il s'était absenté.
S'était-il blessé sérieusement ? On ne le sut jamais.
Quand il se présenta, M. Fabre n'eut pas beaucoup de peine à lui faire avouer son méfait. Une punition, bien sûr, s'ensuivit et les parents furent informés.
La nouvelle se répandit dans l'école comme une traînée de poudre. Le fautif fut présenté dans toutes les classes comme un individu dont il fallait se méfier. C'était un procédé disciplinaire de l'époque qui consistait en une condamnation par toute la collectivité.
À la vérité, cet incident nous amusa plutôt. Pensez donc : des limes volées qui s'étaient plantées dans le ventre du voleur. Une histoire désopilante qui resterait dans les annales de l'École Martini.
Il y en aurait tant et tant, des histoires ébouriffantes à raconter. Quel est l'écolier ou l'étudiant qui ne se souvient pas de farces jouées à tel professeur ou à des camarades ? Qui n'a pas connu de ces anecdotes dont on a conservé un souvenir impérissable, de ces incidents de la vie scolaire qui nous ont fait rire aux larmes et qu'on aime toujours à raconter avec la même gourmandise ?
Mais passons à des choses plus sérieuses.
J'ai conservé un excellent souvenir de ces travaux manuels exécutés dans les vieux ateliers de l'École Martini. J'ai compris là toute la valeur de ces vieux maîtres d'ateliers qui n'avaient pas reçu une formation théorique, parce que dans leur jeunesse, la société ne pouvait ou ne voulait pas la leur donner. L'expérience, la pratique, la volonté, la patience et un effort tenace leur avaient finalement permis d'exécuter des travaux difficiles et même des oeuvres d'art. Personne, à l'époque, ne pouvait se douter qu'il ne serait plus un jour nécessaire de peiner autant et que les techniques modernes feraient des progrès incroyables en si peu de temps.
La seule École Martini est un exemple de cette évolution rapide. Nous allons voir maintenant en remontant à des sources fort lointaines, comment l'Enseignement technique, d'une nécessité vitale pour une ville comme La Seyne, a pris naissance et a pu se développer malgré les incompréhensions, les difficultés et même les oppositions.
Naissance de l'Enseignement Technique
Entre 1833, point de départ de l'Enseignement public, classique et moderne, et 1882, année où les programmes furent solidement établis et appliqués par un personnel formé dans ce but, il aura fallu presque cinquante années de tâtonnements, de recherches, d'incompréhensions et de luttes sévères pour aboutir à des résultats positifs.
Que dire alors de l'Enseignement technique, qui a toujours occupé une place à part, une place de parent pauvre, dans le système scolaire ? Même encore au début du XXe siècle, les partisans acharnés de cet enseignement ne parviendront que difficilement à faire entendre leur voix.
La raison essentielle de cette discrimination réside dans le fait qu'il existait dans notre système éducatif une tendance élitiste en contradiction avec une pédagogie démocratique.
Cette tendance persiste encore de nos jours. Elle s'atténue d'année en année. Nous verrons dans la deuxième partie de cet ouvrage comment, malgré tout, l'Enseignement technique a peu à peu évolué.
Revenons pour l'instant à nos problèmes locaux.
Au XIXe siècle, les constructions navales se développent à La Seyne.
Pour les constructions en bois, il faut des charpentiers, des calfats, etc. Ces gens-là apprenaient leur métier de leurs aînés, par la pratique et la routine. Ne disait-on pas que pour coincer l'étoupe entre les bordages, il n'était pas besoin de savoir lire et écrire ?
Dans les premières constructions métalliques, les tôliers, les riveteurs ne devaient pas non plus savoir tellement d'éléments théoriques. On envisage bien à cette époque la formation professionnelle, mais on la voit uniquement sous l'angle pratique et utilitaire.
Même en 1913 des voix s'élèveront au Parlement pour dire à ce propos : " Il ne s'agit pas de parfaire l'instruction générale des apprentis. Le seul but des cours d'enseignement technique élémentaire est de procurer des connaissances pratiques, d'assurer l'entraînement nécessaire aux soldats de la grande armée commerciale et industrielle qui doit remporter la victoire sur le champ de bataille moderne des rivalités économiques ".
C'est dans cet esprit que nos municipalités, à partir de 1880, vont prendre des initiatives pour favoriser et développer l'enseignement professionnel. De nombreux exemples précis en attestent.
- En mars 1880, la municipalité décide la construction d'un hangar à côté de l'école de garçons pour y installer un atelier.
- En février 1880, un crédit est voté pour payer les frais de déplacements d'une institutrice qui ira à Paris apprendre le tracé des patrons. " Nous voulons, disait la délibération municipale, que nos jeunes filles deviennent de bonnes mères de famille ".
- En décembre 1880, une loi stipule que les écoles professionnelles fondées par les communes pourront être subventionnées par le Ministère de l'Instruction publique. La ville de La Seyne délibère alors en vue de bénéficier de cette loi. Remarquons, en passant, que l'État ne prendra sérieusement en main le problème de l'enseignement technique qu'en 1919 avec la loi Astier et en 1920, année de la création d'un sous-secrétariat d'état. Notons également que l'État Préférait jusque-là, inciter les Municipalités à faire des expériences qu'il ne cautionnait pas.
- En 1882, un bâtiment fut construit à l'École Martini pour servir d'atelier. Ce fut probablement l'atelier de menuiserie, contigu aux classes d'école Primaire supérieure. Puis, deux postes de maîtres de travail manuel sur bois et sur fer furent créés. Les Municipalités avaient sans doute en vue la création d'emplois dans la commune.
- En 1891, deux chefs d'atelier sont détachés par les Forges et Chantiers pour assurer à l'École Martini le fonctionnement des cours professionnels. Ils concernent seulement les travaux de menuiserie et d'ajustage.
- En 1900, c'est la construction de l'atelier de chaudronnerie, en bordure de la rue Jacques Laurent. Trois professeurs d'atelier seront alors nécessaires. Précisons que la Municipalité prenait à sa charge la moitié du salaire de ces professeurs, l'autre moitié étant payée par la Société des F.C.M.
- En 1901, en plus des cours d'adultes, qui se donnaient à la Bourse du Travail, la Ville vota un crédit de six-cents francs pour que deux professeurs puissent assurer des cours gratuits préparatoires à l'école de Maistrance. Il s'agissait de MM. Roux et Magnino.
- En 1916, les Municipalités Armand et Juès proposèrent la création d'une section industrielle à l'école primaire supérieure de La Seyne et les démarches furent envisagées auprès de M. Painlevé, Ministre de l'Instruction publique. Elles voulurent y associer la Société des F.C.M. sollicitée pour fournir quelques machines. Hélas ! ce projet ne vit pas le jour. Sans doute craignait-on en haut lieu qu'il ne soit porté atteinte à l'Enseignement général.
- En 1919, la Ville vota un crédit de deux cents francs pour assurer l'Enseignement du dessin de construction navale au cours du soir de la Bourse du Travail. Cette mesure fut prise pour aider les jeunes qui avaient été dans l'obligation de quitter l'école après leur Certificat d'Études Primaires, et qui cherchaient un emploi soit dans les Chantiers de La Seyne, soit à l'Arsenal. Ces cours, gratuits, étaient suivis fidèlement par des jeunes gens véritablement soucieux d'assurer leur avenir professionnel.
- Entre 1920 et 1926, des crédits importants furent affectés à Martini pour faciliter la création de l'École Pratique d'Industrie, embryon de l'Enseignement Technique.
Cette École Pratique sera créée officiellement après un processus complexe étendu sur deux années.
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Ce fut le 5 avril 1922 qu'une décision du Secrétaire d'État à l'Enseignement technique désigna La Seyne, ainsi que Toulon et Saint-Zacharie pour la création de cours professionnels obligatoires. Le texte précise : " Pour les besoins des professions commerciales et industrielles de la localité ".
Le Conseil municipal délibéra le 8 juin 1923 pour décider la création des Cours professionnels d'apprentis, en application de l'article 37 de la loi du 25 juillet 1919, dite loi Astier.
Il est bon de rappeler à ce propos que depuis le début du siècle, le Conseil Supérieur du Travail discutait de cette question. Le vote de la loi Astier, véritable charte de l'Enseignement professionnel, fut obtenu par l'action de l'Association Française pour le Développement de l'Enseignement Technique (A.F.D.E.T.), association qui avait été fondée à Paris en 1902.
La création des cours professionnels d'apprentis ne fut définitivement autorisée qu'après l'avis du Comité départemental de l'Enseignement technique.
Par décret du 6 octobre 1923, les sections industrielles et commerciales deviendront l'École Pratique de Commerce et d'Industrie.
Quand la première année fut mise en route, elle comportait une trentaine d'élèves. Dans un rapport daté de 1924, l'Inspecteur départemental de l'Enseignement technique s'adresse au Préfet maritime pour susciter des possibilités de coopération avec l'apprentissage militaire. Ce rapport précise que l'on peut enseigner à la Seyne l'ajustage, la forge, la chaudronnerie sur cuivre et la menuiserie et que les locaux de Martini peuvent admettre trente ajusteurs, seize menuisiers et douze chaudronniers.
Les avis étaient partagés sur la question et des polémiques s'ensuivirent. Les mutations au poste d'Inspecteur départemental de l'enseignement technique seront fréquentes.
M. Danoy, Inspecteur de la Marine en retraite, sera remplacé par M. Coulomb, ancien élève des Arts et Métiers, Adjoint au Maire de Toulon, remplacé à son tour par M. Boursier, industriel toulonnais. Puis ce fut M. Abram, industriel seynois qui occupa le poste de 1929 à 1931. Dans les années suivantes, on y trouve M. Boursier, fils du précédent et M. Portalis, syndicaliste de la C.G.T. Il faudra dix ans pour que l'institution trouve sa stabilité.
Mais revenons à notre École Pratique qui naquit dans le giron de l'École Martini.
Elle eut à sa tête, comme chef de travaux, M. Roman, qui devint par la suite directeur de l'école technique Rouvière de Toulon. La première équipe de professeurs fut composée de MM. Duver et Vivet.
Les débuts furent difficiles. La place manquait. Il fallut agrandir les ateliers en gagnant sur les terrains jouxtant le presbytère où était implanté primitivement le gymnase.
Des problèmes d'accueil de plus en plus complexes se posaient.
Il fallait accueillir des élèves de l'école primaire supérieure qui recevaient chaque semaine deux heures d'enseignement manuel, les élèves de l'École Pratique récemment ouverte, les apprentis des F.C.M. qui venaient compléter leur instruction, ainsi que ceux de la ville, employés par des artisans ou des commerçants.
Vers 1930, l'École Martini devint une véritable ruche. Des élèves arrivaient, d'autres s'en retournaient, à chaque changement d'heure. Les grandes classes se dirigeaient en colonne par deux vers le stade municipal aux heures d'éducation physique, pendant que les instituteurs donnaient leur leçon de gymnastique suédoise dans la cour.
Avec les appels, les coups de sifflets mêlés au bruit des marteaux sur les enclumes, le miaulement des scies mécaniques, le retentissement des voix juvéniles, émanant des classes primaires et qui hurlaient, scandant à tue-tête des règles de grammaire ou des tables de multiplication , on imagine l'ensemble discordant, assourdissant, même, qui caractérisait l'École Martini à cette époque.
Malgré le dédoublement des locaux, la section menuiserie rénovée ne comptait que seize établis pour trente élèves apprentis.
Un professeur de dessin industriel fut spécialement affecté à l'École Pratique.
L'ancien atelier d'ajustage fut transformé en atelier de forge et équipé de quatre étaux, trois tours à fileter, deux machines à percer, une scie à métaux, six forges, une affûteuse. Deux plateaux universels, un poinçon à levier et une cisaille enrichirent l'équipement. Quatre machines pouvaient être actionnées par un moteur.
Pendant les récréations, les élèves du Moderne se rassemblaient devant les fenêtres des ateliers pour les voir fonctionner. C'était pour l'époque une véritable révolution que de voir un tour se mettre en marche en appuyant simplement sur un bouton. Quel travail merveilleux faisaient la raboteuse, la dégauchisseuse, les scies de menuiserie, installées depuis peu !
Il est bon de se souvenir que dans les périodes antérieures, la seule énergie mécanique existant dans ces petits ateliers était la force musculaire des hommes. La perceuse ? actionnée par une manivelle. Le tour et l'affûteuse ? par une pédale semblable à celle du rémouleur ou au balancier de la machine à coudre.
Oui, nous étions littéralement émerveillés en voyant tourner ces premières machines, comme nous l'étions, au fil des jours, en observant la croissance du nombre des automobiles, encore qu'en ces temps, de longs moments s'écoulaient sans qu'on vît dans les rues le moindre véhicule.
Quel chemin parcouru !
N'oublions pas aussi de parler de la chaudronnerie qui reçut quelques améliorations, dont une forge nouvelle, mécanisée elle aussi. Le sol en terre battue reçut une chape de ciment, innovation que l'on attendait depuis plus de vingt ans...
Ajoutons, pour compléter ces signes de progrès techniques dans l'école, que les lampes électriques remplacèrent les anciennes lampes à pétrole ou à carbure.
L'École Martini ne fut pas seule à bénéficier de l'aide de la Ville qui prit à sa charge une grande partie des dépenses pour ces diverses améliorations.
L'école de filles de la rue Clément Daniel recevait depuis la fin du XIXe siècle une aide de la Municipalité, puisque le cours de coupe et celui de broderie étaient donnés par des maîtresses rétribuées sur le budget communal.
Il en fut de même, à partir de 1923, avec la création des cours de sténographie et de dactylographie.
Dans les années 1925-1926, l'enseignement professionnel était suivi à la Seyne par cent vingt élèves. C'est pourquoi la Municipalité crut bon d'insister auprès des autorités académiques pour qu'une section pratique soit créée au sein du cours complémentaire de jeunes filles. L'Académie donna son accord, à condition que la Ville prenne à sa charge de rémunérer les maîtresses auxiliaires, enseignant le repassage, la couture à la machine et la dactylographie.
Nos édiles actuels, toujours aux prises avec des problèmes de transfert de charges de l'État sur les Communes, apprécieront...
Revenons à notre école primaire supérieure dont les effectifs s'accroissaient sensible-ment, puisqu'une quatrième année avait été nécessaire.
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Elle fonctionnait toujours avec quatre professeurs principaux, MM. Romanet, Gueirard, Lehoux et Azibert. Le directeur d'alors, M. Mendès, était chargé des cours de Morale.
Un professeur de dessin, M. Lovichi, détaché des Forges et Chantiers, enseignait le Dessin Industriel à l'École Pratique et le Dessin d'Art à l'école supérieure.
Nous eûmes, dans cette période de 1924 à 1928, deux professeurs de Musique, M. Excoffier, qui enseignait également à Toulon, qui fut remplacé par M. Castel, bien connu des Seynois car il dirigea pendant plusieurs années la société philharmonique La Seynoise avant de partir pour Toulon où il assuma les fonctions de chef d'orchestre de l'Opéra municipal.
Les locaux qui demeuraient ce qu'ils étaient au début du siècle n'avaient bénéficié d'aucune amélioration.
Après l'année 1920, la majeure partie de nos cours se passait dans les salles de deuxième et de troisième années, au rez-de-chaussée du bâtiment principal jouxtant l'école primaire.
Ils n'offraient aucun confort spécial. Leur mobilier était sommaire : des bancs ordinaires à deux places, un tableau noir, un placard, quelques cartes murales, un poêle pour nous réchauffer l'hiver... tout au moins le matin, car le plus souvent, il n'y avait pas assez de combustible pour l'alimenter toute la journée. C'est pourquoi on voyait inscrit à la craie sur les tuyaux : pôle du froid.
L'environnement bruyant que j'ai évoqué plus haut, rendait le travail des professeurs difficile. Et cependant, malgré des conditions défavorables, chacun accomplissait sa tâche courageusement. On va pouvoir en juger par la suite.
Dans l'avant-propos de cet ouvrage, il a été dit que la période la plus précise et la plus vivante serait celle d'après 1920.
Des pages parfois longues seront consacrées au personnel enseignant ou au personnel de direction. Il est évidemment impossible de parler de tout le monde, ni même de tous les instituteurs ou professeurs que j'ai connus. Si une place plus grande a été réservée à certains d'entre eux, ce n'est pas par désir de favoriser les uns au détriment des autres. J'ai été amené naturellement à parler longuement de ceux qui m'ont éduqué pendant plusieurs années, de ceux avec lesquels j'ai collaboré par la suite.
Dans son immense majorité, le personnel de l'École Martini qu'il s'agisse des instituteurs, des institutrices, des professeurs, des maîtres d'atelier ou des directeurs, a donné le meilleur de lui-même pour assurer à la jeunesse seynoise les succès scolaires indispensables à son avenir.
Je m'en suis particulièrement rendu compte dans cette période de 1924 à 1928 où j'affrontais, comme la plupart des camarades de ma promotion, des examens consécutifs : concours des Bourses nationales, Brevet d'Enseignement Primaire Supérieur, Brevet Élémentaire et concours divers. Ainsi, en 1928, nous avons passé le concours d'entrée à l'école normale d'instituteurs de Draguignan que nous visions en premier lieu.
Dans cette période prospère de l'enseignement public, les professeurs se sont particulièrement intéressés à chacun d'entre nous, nous prodiguant leurs conseils et leurs encouragements. L'effectif de l'École Primaire Supérieure voisinait les cent élèves et nous travaillions dans une ambiance agréable, confiante, qui est totalement différente des grandes unités pédagogiques que nous connaissons aujourd'hui. L'atmosphère y était familiale, d'autant que les professeurs principaux avaient une expérience déjà fort longue de la vie seynoise.
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Je ne saurais dire combien de Seynois ont utilisé ce vocable pour désigner les quatre professeurs principaux qui ont enseigné à l'École Martini dans la période de 1920 à 1940.
Au chapitre IV, qui traite de la période de 1905 à 1920, j'ai cité deux d'entre eux, M. Gueirard qui enseigna la Physique puis le Mathématiques et avait remplacé M. Pierre en fonction depuis le début du siècle, et M. Romanet qui enseignait le Français.
En 1923 vint M. Lehoux, Normand d'origine, qui devait rester une dizaine d'année à la Seyne, puis abandonner l'enseignement pour s'occuper d'une exploitation familiale.
Quant à M. Azibert, professeur d'Histoire, de Géographie et de Langues, il était déjà en fonction à l'École Martini avant mon entrée à l'École Primaire Supérieure.
Le Quatuor, comme nous disions, était donc composé de MM. Romanet, Gueirard, Azibert et Lehoux.
M. Romanet était le plus ancien. Il avait été nommé professeur à l'École Primaire Supérieure Martini au début du siècle. Je crois savoir qu'il n'avait jamais enseigné ailleurs qu'à La Seyne.
La mobilisation l'avait pris alors qu'il exerçait déjà dans notre école. Il fit la guerre de 1914-1918 et fut blessé très grièvement. Après l'Armistice, il reprit son poste qu'il ne devait quitter qu'à son départ en retraite, vers 1941.
M. Gueirard, Seynois d'origine, a accompli la presque totalité de sa carrière à La Seyne. Il dut abandonner ses fonctions pour raisons de santé et mourut en 1933, à l'âge de 48 ans.
M. Azibert était Toulonnais et, lui aussi, à ma connaissance, a effectué la majeure partie de sa carrière à l'École Martini.
Dans la période particulière de 1924 à 1928, cette équipe de professeurs émérites que nous appelions le Quatuor nous a donné le meilleur d'elle-même pour nous aider à nous établir dans la vie.
Si nous l'avions ainsi surnommée, cette équipe, ce n'est pas seulement à cause du nombre de personnes qui la composaient, mais aussi parce qu'il se trouve que leur voix correspondait aux instruments de musique qui composent un quatuor.
De cet ensemble, c'est la voix de ténor de M. Gueirard et celle de basse chantante de M. Romanet que nous entendions le plus souvent. Ce sont eux, en effet, qui avaient les horaires les plus chargés.
Né à la Seyne en 1885, Étienne Gueirard, dès son enfance, attira l'attention de ses maîtres par sa vive intelligence. Il fit ses études à l'école primaire supérieure Martini et se passionna pour les Sciences et les Mathématiques.
Sa carrière toute droite a commencé par de beaux succès universitaires. Travailleur acharné, il conquit les premières places parmi les étudiants seynois de sa génération. À vingt ans, il entrait à la faculté d'Aix-en-Provence. Trois ans plus tard, il était professeur Licencié-ès-Sciences.
Après quelques mois d'Enseignement à l'École Rouvière, il était nommé à la Seyne, sa ville natale où il accomplit toute sa carrière d'enseignant, prématurément interrompue par la maladie.
En 1914, il fut mobilisé et participa à la campagne d'Orient. Il passa vingt-six mois dans le secteur de Salonique, y contracta le paludisme dont il souffrit de longues années, même après son retour.
Son devoir de patriote accompli, il reprit son poste à l'École Martini, mais son état de santé, compromis par la guerre, allait s'aggraver encore. Vers 1923, il subit une opération délicate, reprit son poste après quelques mois de repos et put enseigner encore pendant dix ans, retrouvant tous les jours ses élèves avec joie.
L'enseignement était pour lui une vocation. Il y trouvait la satisfaction de ses aspirations les plus profondes : se cultiver lui-même, toujours davantage, se perfectionner moralement et agir dans le sens le plus élevé sur le coeur et l'esprit de la jeunesse.
Il eût été difficile de trouver meilleur maître ou meilleur guide. Tous les anciens élèves de l'École Martini qui ont reçu son enseignement et même ceux qui ne mordaient pas trop aux Mathématiques seront d'accord pour le reconnaître.
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Pendant plus de vingt ans, Étienne Gueirard s'est attaché passionnément avec une rare conscience et un dévouement inlassable à aider ses élèves à conquérir une place honorable dans la société. Il écrivit pour eux un ouvrage intitulé Conseils pratiques pour la résolution des problèmes de géométrie qu'il offrit gracieusement à chacun d'eux. La préface dit, dans sa conclusion :
" J'ai cherché, chaque année, à faciliter la tâche de mes jeunes gens en perfectionnant mon enseignement. J'ai glané de droite et de gauche des observations, des conseils. Je les ai rassemblés pour vous, mêlant les résultats de ma modeste expérience aux principes glanés chez des professeurs éminents. Vous pourrez retirer, je crois un grand profit de cette collaboration dont j'ai fait ces Conseils pratiques.
Eussiez-vous, grâce à eux, évité seulement la moitié des difficultés que j'ai éprouvées étant élève, je serais convaincu d'avoir fait oeuvre utile et je me déclarerais satisfait ".
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Cet ouvrage qui figure toujours dans ma bibliothèque depuis plus de cinquante années où je l'avais classé, je le conserve comme une relique.
Je revois encore Étienne Gueirard se rendre chaque matin, de son pas régulier, de la maison où il habitait, rue Philippine Daumas, vers l'École Martini. Il faisait un détour par le Rond-point des Sablettes - aujourd'hui Rond-point Kennedy - et entrait dans la mercerie tenue par sa mère qu'il embrassait affectueusement, bavardait avec elle quelques instants, puis, par la rue Cauquière et la rue Cavaillon, il entrait à l'école avec quelques minutes d'avance.
Quand sa grande silhouette corpulente contournait l'angle du bureau directorial, les élèves s'apprêtaient à se ranger en colonne par deux devant leur classe. On dirait aujourd'hui qu'ils étaient caporalisés.
La cloche allait retentir, ce n'était qu'une question de secondes. À la saison d'hiver, sa silhouette s'épaississait d'un grand manteau flottant qu'on appelait raglan et se coiffait d'un chapeau melon. Aux beaux jours, il portait toujours des costumes gris et pour couvre-chef arborait alors un canotier.
Sa serviette ne le quittait jamais. Il y rangeait avec beaucoup de soin les copies à corriger ou à restituer aux élèves.
Rappelez-vous ! les anciens de Martini, sa manière d'enseigner. Il se tenait rarement debout à cause de son état de santé et s'asseyait généralement au fond de la classe entre deux rangées de bancs, son cahier de cours sur les genoux, une longue badine dans sa main droite.
Auparavant, il avait tracé au tableau toutes les figures de géométrie nécessaires aux démonstrations de son cours. Il traçait des circonférences à la perfection sans l'aide d'un compas. Un élève restait devant le tableau pour l'aider dans sa tâche, alors qu'il regagnait sa chaise au fond de la salle.
Pendant les saisons d'hiver, les locaux étaient si peu chauffés qu'il ne se débarrassait ni de son manteau, ni de son chapeau.
Placé en arrière des élèves, il les surveillait tous. De sa voix de ténor, il forçait l'attention de chacun, secouant l'apathie des uns, imposant le silence à d'autres par son seul regard.
Étienne Gueirard n'était pas un professeur qu'on pouvait chahuter. À la moindre incartade, le fautif passait au tableau. Si les réponses n'étaient pas satisfaisantes, alors on entendait souvent l'expression : " Il est sérieux comme la semelle de mes souliers ! " Il n'en fallait pas plus pour susciter un moment de détente, mais la situation était vite reprise en main.
" Au tableau... " La dernière syllabe se prolongeait quelques secondes. Si la victime désignée bafouillait et ne savait que faire du bâton de craie qui tournait dans ses doigts, alors M. Gueirard, s'exprimant en Provençal, ce qu'il aimait faire assez souvent, s'écriait : " Mi fas toumba la pèiro daù fusiù ! " Ce qui revenait à dire " Tu me désarmes " en se référant aux vieux fusils dont la mise à feu de la cartouche se faisait autrefois grâce à un bout de silex.
Si le cours était terminé avec quelques minutes d'avance, les interrogations orales fusaient :
Tout y passait : les racines carrées usuelles, les volumes des pyramides, des cônes, etc...
M. Gueirard exigeait que toutes ces formules soient dites sans hésiter. Là encore, comme dans la classe du Certificat d'études, on récitait, on bachotait. Mais à force de se faire interroger et de rabâcher, tout le monde, dans la classe, finissait par savoir au moins les formules à appliquer pour la solution des problèmes.
Chaque mois nous avions une composition de Mathématiques mais ne disposant pas de deux heures de cours consécutives avec nous, M. Gueirard nous faisait alors venir à sept heures le matin. Entre sept heures et neuf heures, nous devions résoudre trois problèmes d'arithmétique, d'algèbre et de géométrie. Personne, en ce temps-là, n'aurait protesté parce que l'emploi du temps était modifié. Le professeur n'aurait même pas pensé, de son côté, à se faire payer une heure supplémentaire.
Le lendemain, ou deux jours plus tard, les copies nous étaient rendues, corrigées avec une extrême précision.
À une certaine période, la maladie ayant obligé M. Gueirard à interrompre ses cours, il nous fit venir le jeudi matin pour rattraper les leçons. Sa conscience professionnelle exigeait que des programmes de l'année, rien ne soit laissé dans l'ombre.
Mais, pour terminer l'évocation de cette personnalité exemplaire, ajoutons qu'il ne fut pas seulement un professeur compétent et dévoué qui a forcé le respect de tous, il fut également un citoyen toujours prêt à rendre service aux humbles : ami de la justice, homme de coeur à la sensibilité généreuse, il recherchait les occasions de servir ses semblables.
Il fut aussi un militant laïque qui mit toute sa foi, toute son ardeur et sa volonté au service de l'École publique.
C'est en considération de toutes ces qualités, de tous les services qu'il a rendus à ses élèves et à ces concitoyens, que la Municipalité sous la direction de Toussaint Merle décida de perpétuer son souvenir en donnant son nom à la coquette place qui borde le boulevard de Stalingrad, à la hauteur du chemin Santéri. Vous trouverez d'ailleurs ci-jointe la lettre qu'écrivit à ce propos le Maire à la Veuve d'Étienne Gueirard.
LIBERTÉ - ÉGALITÉ - FRATERNITÉ ----------
Madame, J'ai été très sensible à votre lettre du 24 Février 1958. Soyez persuadée qu'en proposant au Conseil Municipal de donner le nom d'E. GUEIRARD à une coquette et nouvelle Place de la ville, M. AUTRAN et moi-même avons obéi à des sentiments reconnaissants toujours vivaces malgré les années. Nous n'avons jamais oublié combien M. GUEIRARD fut pour nous, à la fois le professeur, le conseiller et l'ami. Pendant 4 ans, nous avons bénéficié de ses leçons remarquables et de sa pédagogie exceptionnelle. Nous avons aussi profité des discussions qu'il recherchait avec nous et au cours desquelles il savait nous livrer son expérience des gens et des choses. C'était le cas, par exemple, lorsqu'il nous réunissait, à la veille des examens, sur la terrasse de la modeste campagne du vieux chemin des Sablettes. C'est-à-dire qu'en même temps qu'il nous apprenait solutionner les problèmes de Mathématiques, il a su nous conduire au succès dans nos examens, et surtout il nous a préparés à devenir des hommes. En définitive, il a permis aux fils d'ouvriers que nous étions de connaître une vie moins difficile que nos pères. Et ce n'est pas rien, n'est-ce pas ? Je suis persuadé que si votre regretté époux était encore parmi nous, et même si nos opinions eussent été différentes, il aurait été heureux de voir ses anciens élèves à la direction des affaires communales. Il me serait possible d'écrire longuement sur M. GUEIRARD et ses anciens élèves. Je ne veux pas allonger cette lettre. Au-delà des mots, ne reconnaissez, Madame, que le sentiment d'affectueuse reconnaissance que nous devons à M. GUEIRARD et aux enseignements généreux qu'il nous a si généreusement prodigués, qui nous sont encore utiles aujourd'hui. Il y aura 30 ans, en Juillet 1958, nous le quittions pour affronter la vie : il nous y avait bien préparés. C'est tout ce que signifie cette modeste plaque " Professeur Etienne GUEIRARD ". Notre satisfaction sera encore plus grande si elle peut, maintenant, servir d'exemple à nos fils qui nous ont remplacés sur le banc de cette vieille école Martini. Je vous prie de croire, Madame, à mes sentiments les plus respectueux.
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M. Romanet a laissé aussi de nombreux souvenirs dans notre population. Sa carrière, seulement interrompue pendant la guerre de 14-18, se déroula entièrement dans notre École Martini.
Il était né à La Terrasse, petit village montagnard de la vallée du Grésivaudan, non loin de Grenoble. Il avait fait ses études dans son département d'origine et avait été admis très jeune à la Licence de Philosophie.
Notre ville de La Seyne fut son poste de début dans l'Enseignement. Il trouva notre région si accueillante, notre climat si attachant, qu'il décida de s'y fixer définitivement.
Cependant, il ne négligeait pas, durant les vacances scolaires, de retourner dans son pays natal, retrouver ses parents et ses amis.
Grand et robuste, sa démarche avait une certaine noblesse. Le visage rougeaud, le nez plutôt fort, busqué présentait de face une légère déviation de la cloison nasale, tandis que son front très découvert se perdait dans une chevelure blonde, coiffée d'une raie de côté, ainsi que c'était la mode au temps de sa jeunesse. Le regard malicieux de ses yeux bleus trahissait une tendance goguenarde qui s'exerçait impitoyablement chaque fois qu'un élève répondait des sottises. Une moustache épaisse, rousse, tombante, masquait en grande partie sa bouche et sa denture noircie par le goudron, car M. Romanet était un fumeur invétéré.
Sa tenue vestimentaire était plutôt négligée. Il était célibataibre, et le resta toute sa vie. La femme de ménage qui s'occupait de l'entretien du petit appartement qu'il occupait au Boulevard du 4 Septembre ne remplaçait pas une épouse soucieuse de la tenue impeccable de son mari.
Et puis, disons-le, il était désordonné par nature et le reconnaissait lui-même. Il aimait passionnément sa vie libre et indépendante.
S'il respectait les horaires imposés par sa profession, ses repas qu'il prenait au restaurant, avaient lieu à des heures qui étaient fonction de la durée des parties de poker qu'il faisait chaque jour et qui se prolongeaient souvent jusqu'au milieu de la nuit.
Il lui arriva de se trouver pécuniairement démuni - et de chercher à rétablir ses finances par le jeu : Quand il prenait son service, le matin, après une soirée infructueuse passée généralement chez Lichou, dans la rue Cyrus Hugues, son humeur était redoutable et à la moindre peccadille d'un élève, il entrait dans des colères furieuses.
Souvenez-vous, les anciens de Martini !
N'est-il pas vrai que ses colères sont demeurées légendaires ?
Assis devant son bureau, il commençait par le frapper de son poing fermé en scandant ses phrases interminables de sa voix d'orgue des phrases où ses qualificatifs préférés, comme crétin, idiot, fainéant, retentissaient jusqu'à l'autre bout de l'école. Il n'aurait pas fallu alors rajouter si peu que ce soit à sa contrariété, car les poings n'auraient pas seulement battu le dessus du bureau.
Malgré la frayeur légitime qu'il nous inspirait, quand à chaque coup de poing, la montre déposée devant lui sursautait et retombait, quand les copies s'éparpillaient, il nous fallait vraiment faire un effort pour ne pas sourire.
Si l'un d'entre nous ne parvenait pas à se contenir, alors M. Romanet hurlait : " Sortez ! Allez-vous en ! Nous n'avons pas besoin de crétin comme vous ! " Son visage rose de montagnard passait au rouge écarlate et ses yeux s'enflammaient de fureur. Il était vraiment du genre irascible.
Je le trouvais parfois bien déconcertant, d'autant que dans ses moments de sérénité, il était très familier avec les élèves, trop, peut-être.
À la manière qu'il avait de nous faire entrer dans la classe, le matin, on pouvait déjà présumer de ce que serait l'atmosphère des cours.
Après l'ordre rituel : " Asseyez-vous ! ", il suspendait son chapeau de feutre à la patère réservée aux professeurs, déposait sur le bureau des copies corrigées, un livre de cours, un paquet de tabac gris, une boîte d'allumettes et un petit livret de papier à cigarettes. Dans toute ma carrière, c'est le seul professeur que je vis fumer en classe. Il se plaisait à répéter, quand on lui faisait la remarque, qu'à sa connaissance, aucun règlement n'interdisait à un professeur de fumer pendant les cours.
Sa chaise n'était jamais posée sur ses quatre pieds. il l'inclinait légèrement en arrière en passant le bout de ses chaussures sous les pieds de devant, une habitude, une manie comme chaque professeur peut en avoir.
Les élèves, tout le monde le sait, sont facilement moqueurs et attribuent généralement des sobriquets à leurs maîtres. M. Romanet, fit exception à cette règle. Nous aurions pu le surnommer le râleur mais, familièrement, entre nous, nous l'appelions simplement le père Romanet.
Qui ne se souvient de ces surnoms surgis un jour dans la bouche d'un farceur et qui devaient marquer un professeur toute sa carrière durant. Interrogez les anciens de Martini ; tous sauront vous dire qui étaient Chit, Pitche, le Poupre, Pépé, Zizi, Fraise, Bogue,... ; interrogez ceux qui par la suite devinrent des Normaliens, ils vous diront qui furent Le grand Vuit, Nan-na, Cucu, Lof, La Cornue, Charreton, et j'en passe.
Chacun de ces surnoms évoque pour les anciens des anecdotes ineffaçables, des scènes de la vie ou les profs sont tournés en dérision par une jeunesse impitoyable à l'affût d'une manie, d'un tic, d'un défaut de prononciation, ou d'une négligence vestimentaire.
Comment ne pas se divertir, en effet, quand on entendit un certain professeur d'Éducation physique, victime d'un défaut de langue, qui commandait à ses élèves " Saucissements sur place ", quand il voulait dire " sautillements sur place ". A-t-il jamais compris ce professeur, la raison de ces rires étouffés qui gagnaient toute la classe ?
Comment ne pas s'épanouir la rate en présence de ce professeur venu du Nord qui voulut nous convaincre un jour que dans le midi, on l'avait adopté tout à fait et qu'en retour, il n'était pas un ingrat. Jugez plutôt :
Croyant s'exprimer en bon provençal, il nous dit, prenant place à son pupitre en épongeant son front, alors que l'après-midi d'été s'alourdissait de canicule : " Eh bien ! mes enfants, fa caga ! fa caga ! " Il avait voulu dire " fa cau " c'est à dire " il fait chaud ". Vous imaginerez sans mal dans quel état cette erreur avait pu mettre la classe. Je laisse le soin aux ignorants de la langue provençale, d'en découvrir toute la saveur - si l'on peut dire.
À la séance suivante, ce ne fut pas lui qui s'exprima le premier. mon camarade Vincent, effronté par nature, lui lança : " Alors Monsieur, fa pas caga, aujourd'hui ? " Et les rires de repartir de plus belle devant le professeur impuissant à rétablir l'ordre.
Comment ne pas rire sous cape en présence de ce maître Moraliste qui faisait ses leçons sur la propreté, oubliant que son gilet était taché du café au lait de la veille ou du matin, négligeant sa barbe noire qu'il ne rasait qu'une fois par semaine, par souci d'économie.
Comment ne pas sourire, aussi, et se moquer quand il disait à son collègue qu'après le rasage, il se tamponnait les joues avec de l'eau teintée d'un peu de vinaigre, toujours par souci d'économie...
Il trouvait vraiment excessif le prix de l'eau de Cologne !
Comment oublier enfin, ce vieux professeur qui négligeait parfois dans son départ précipité, de serrer les attaches qui fixaient son caleçon long à ses chevilles, de sorte qu'en marchant il laissa brinqueballer les cordons du sous-vêtement hors de ses jambes de pantalon. Il n'en fallait pas plus pour déclencher dans les rangs de la classe un fou rire général..., générateur de punitions collectives que nous acceptions de bonne grâce en compensation de notre défoulement.
Que les mânes de tous ces maîtres disparus nous pardonnent. Nous avons bien ri et nous ne regrettons rien, persuadés que nous sommes qu'ils en firent de même dans leur jeunesse.
M. Romanet, professeur polyvalent
Revenons quelques instants à nos classes de Français qui occupaient dans notre emploi du temps six heures par semaine dans les disciplines suivantes : composition française, lecture expliquée, récitation, orthographe et grammaire.
Pour nous intéresser, M. Romanet usait de toute la force de son verbe qu'il avait haut et dont le ton majestueux forçait l'attention des élèves. Son niveau de culture élevé, son éloquence chaude et persuasive tenaient les enfants sous le charme.
Les inflexions de sa voix chaude et chantante nous tenaient littéralement en extase quand il nous lisait des oeuvres de Victor Hugo, comme Hernani ou La Légende des Siècles, ou des oeuvres d'Edmond Rostand, comme L'Aiglon, ou Cyrano de Bergerac.
L'expression d'un artiste professionnel n'aurait pas été meilleure. Il déclamait et nous parvenions parfois à l'imiter.
Il expliquait fort bien les textes au programme, mais il restait peu de traces écrites de son enseignement, surtout en lecture expliquée.
Nous avions une épreuve d'orthographe par quinzaine. Les textes choisis étaient généralement difficiles et M. Romanet se complaisait dans la discussion des cas litigieux, parce qu'il était fort grammairien. Il nous donnait à rédiger à la maison une composition française par quinzaine, également, et les sujets étaient bien choisis. Ses corrections étaient sévères et les bonnes notes fort rares.
Pour rompre la monotonie et l'austérité des cours de grammaire, il émaillait quelquefois ses leçons d'anecdotes, vécues pendant sa carrière. Il nous dit avoir dicté un jour le mot caleçon et d'autres mots comportant une cédille. Mais voilà ! un élève avait bien marqué la cédille, mais il avait eu la maladresse de la placer sous le premier " c " et non sous le second. La signification du mot en devint tout autre. Ce fut alors une explosion de rires percutants, pétaradant dans la classe.
Nous nous détendîmes dans la liesse, comme on s'en doute, et il fallut un bon moment pour obtenir le retour au calme.
Dans une dictée, se trouva un jour le mot jars, terme rarement utilisé dans la langue courante. Parmi les questions qui suivent ordinairement la dictée, M. Romanet demanda " Qu'est-ce qu'un jars ? "
Un élève ne sachant que répondre - et il ne fut pas le seul - se pencha vers son copain pour quémander à voix basse une réponse. L'autre, qui savait, répondit bien discrètement : " C'est l'homme de l'oie " au lieu de dire le mâle de l'oie. Et le quémandeur de noter sur sa copie : " un jars est un homme de loi ".
Quand il rendit les copies. M. Romanet donna libre cours à son ironie mordante.
Il lui arriva aussi de se fâcher mal à propos. À la question orale : " Que signifie le verbe affaisser ? " mon camarade Pizzini qui ignorait sans doute la racine du mot, répondit en toute franchise : " Affaisser veut dire tomber sur les fesses ".
Furieux, M. Romanet, croyant que son élève avait voulu se moquer de lui et faire rire toute la classe, lui administra un soufflet magistral. Évidemment, mon camarade ne s'attendait pas du tout à ce que son erreur involontaire soit sanctionnée aussi brutalement.
Dans les années 1925 à 1928, l'enseignement de l'Éducation physique n'était pas toujours donné par des maîtres spécialisés. On faisait quelquefois appel au professeur de Lettres ou au professeur de Sciences. Et c'est ainsi que je vis M. Romanet s'occuper de l'éducation sportive. Il le faisait d'ailleurs très volontiers.
Il nous amenait toutes les semaines sur le stade de la Canourgue, qui devait devenir le stade municipal.
Ses leçons d'athlétisme nous furent bénéfiques et déjà les Seynois figuraient en bonne place dans les championnats d'Académie.
Les jours de mauvais temps, les séances de sport se passaient dans le sous-sol de l'école, vestige de ce qui fut l'Hôtel de la Dîme où l'École Martini, on s'en souvient, avait été installée.
L'équipement était convenable, pour l'époque. Nous y trouvions la barre fixe, les anneaux, la corde lisse, la corde à noeuds, le cheval d'arçon, des poids et haltères, etc.
Cet équipement, les sociétés sportives l'utilisaient le soir après la sortie des écoles. M. Romanet s'occupa d'ailleurs également du sport seynois en général puisqu'il fut, si mes souvenirs sont exacts, le premier président de l'Union Sportive Seynoise.
Il ne fut pas seulement passionné de sport. Il adorait également la chasse. Il y avait pris goût dans sa jeunesse, son pays de l'Isère étant particulièrement giboyeux.
Il fallait l'entendre raconter ses parties de chasse à ses collègues. Ah ! ces randonnées dans les massifs de Belledonne et de la Grande Chartreuse ! Il en parlait toujours avec la même frénésie. Lièvres, lapins, coqs de bruyère ! il les traquait dès l'ouverture au mois d'août. Mais rentré à la Seyne à l'automne, il était surtout occupé par la chasse au gibier de passage, la bécasse en particulier. Ses marches acrobatiques sur les pentes abruptes, le long des crêtes escarpées et des sentiers perdus dans les hautes bruyères, là où se tenaient de préférence les gallinacés qu'il convoitait, ça aussi, c'était du sport.
Et quand le soir tombait, que la fatigue alourdissait ses pas, quand le chien harassé avait pu se désaltérer une dernière fois dans le courant limpide d'un vallat, il rentrait, heureux de sa journée et fier, si le bec d'un grand coq de bruyère dépassait du filet de son carnier. À ses amis qu'il retrouvait au village et devinaient son succès à ses yeux rieurs, il déclarait " Hé ! hé ! c'est le vingtième de la saison ! "
Au premier passage de bécasses en forêt de Janas, il n'était pas rare de le voir monter le chemin de Gavet en compagnie de ses amis instituteurs Arène et Lombardi, chasseurs passionnés eux aussi. Armés de leur calibre 12, bottés et harnachés, ils passaient par le quartier Bastian et les Moulières, se dirigeant vers le champ de tir, vers Roumagnan pour y cerner les remises ancestrales de bécasses dont ils connaissaient parfaitement les contours.
Voilà quelques aspects de la vie de M. Romanet qui résida à la Seyne de nombreuses années. Des générations de Seynois ont connu sa silhouette familière, c'est pourquoi il a laissé dans notre ville des souvenirs vivaces.
En 1941, alors que j'étais devenu un de ses collègues enseignants, j'ai assisté sous la présidence de M. Malsert, directeur de l'école, à la cérémonie de son départ à la retraite. Elle fut simple mais combien émouvante. Il était tout heureux de m'y retrouver, ainsi que d'autres anciens élèves et au moment de nous séparer, il nous dit " Ce n'est qu'un au revoir, mes amis ".
Retiré dans son village natal, il vint cependant chaque année passer à la Seyne deux ou trois mois d'hiver.
Au début de 1955, il ne reparut pas et l'on apprit par la suite que le 7 novembre 1957, il s'était éteint dans son petit village de la Terrasse où il repose dans son dernier sommeil.
Si du bon Quatuor auquel j'ai consacré une place honorable, j'ai parlé longuement de MM. Romanet et Gueirard, c'est parce qu'ils étaient à mon sens plus Seynois que les autres et parce que je les ai connus plus familièrement, tout comme mes parents.
Mais je ne voudrais pas trop laisser dans l'ombre la personnalité de M. Azibert qui enseigna l'Histoire et la Géographie et aussi la langue anglaise.
Je le connus moins que les autres, parce qu'il habitait Toulon et qu'en dehors des heures de cours, il s'en allait prendre le tramway sur le port et ne s'attardait pas en discussions avec ses collègues.
De taille moyenne, remarquable par sa moustache que roussissait le tabac, sa barbe poivre et sel taillée en pointe, sa chevelure grisonnante avec raie sur le côté, M. Azibert portait des lorgnons derrière lesquels ses yeux vifs luisaient d'intelligence et de malice.
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Il était calme, patient et savait intéresser son auditoire. Naturellement, il avait devant lui de bons élèves attentifs, désireux de bien faire et d'autres, nonchalants, qui lui donnaient peu de satisfaction. Cependant, je ne le vis jamais rougir de colère ; il prodiguait ses conseils, haussait quelquefois le ton, grondait, rappelait à l'ordre les paresseux, les distraits, sans se laisser aller à des emportements excessifs.
Quand un élève de passage au tableau bredouillait, bafouillait, parce que de toute évidence il n'avait pas appris sa leçon, M. Azibert le renvoyait à sa place, lui donnait une mauvaise note, une punition écrite, le plus souvent et lui disait bien tranquillement : " Vous croyez peut-être que vous travaillez pour moi, jeune homme ! Vous vous trompez lourdement ". Et il passait à une autre interrogation. En fait, il interrogeait souvent et il avait raison, car, de plus, savoir interroger, c'est savoir enseigner.
Lorsqu'un élève s'était distingué, il obtenait une bonne note, bien entendu, mais il l'autorisait à rédiger une Exemption.
C'était un morceau de papier sur lequel étaient ces simples mots : " Exemption accordée à l'élève Untel, pour avoir obtenu une bonne note en Géographie " (ou en Histoire, ou en Anglais).
Le petit papier était daté et signé par le professeur, une sorte de bon point comme on en donnait au cours préparatoire. Cette exemption pouvait servir de monnaie d'échange et annuler une punition. Il m'arriva, d'ailleurs, d'en exhiber une, certain jour où la classe s'était fait consigner, ce qui me permit avec d'autres élèves sans reproches de sortir de l'école avant les autres et, ma foi, nous n'étions tout de même pas peu fiers de jouir de cet avantage.
M. Azibert fut un bon professeur. Jamais on ne le vit manquer la classe. Il termina toujours ses programmes, lesquels étaient pourtant bien chargés. Il nous prépara très sérieusement à nos examens et à nos concours et fut très heureux des succès de ses élèves.
En trois années d'études, avec deux heures par semaine, seulement, il nous apprit la langue anglaise. Nous aurions pu nous expliquer avec des Anglais dans un langage courant, si nous avions eu l'occasion de voyager. Mais en ces temps-là, ce n'était guère dans nos possibilités.
Son enseignement était livresque, bien sûr. Comme le Professeur de Mathématiques et celui de Sciences nous bourraient de formules, il nous faisait emmagasiner les textes des traités de paix qui suivaient les principales guerres de l'Histoire auxquelles notre pays fut mêlé, il nous entraînait à dessiner de mémoire les cartes des régions de France et des Colonies.
Il me souvient d'avoir reproduit la carte de l'Indochine à l'examen du Brevet Elémentaire avec les cours d'eau, les montagnes, les caps, les golfes et d'avoir situé exactement jusqu'à soixante-dix villes. Il me serait bien difficile d'en faire autant aujourd'hui ! Là aussi, nous récitions, nous bachotions, nous rabâchions.
Mais je ne voudrais pas quitter M. Azibert sans rappeler une anecdote à mes camarades de classe. Elle se situe probablement au cours de l'année 1928.
Le programme de Géographie, cette année-là, portait sur l'étude de la France régionale et à chaque leçon, le professeur abordait une région différente. Celles-ci correspondaient à peu près aux provinces d'autrefois. Le plan suivi était presque toujours le même : la leçon commençait par la géographie physique, se poursuivait par la géographie économique, la géographie humaine, etc.
M. Azibert développait son plan dont nous prenions par écrit les lignes essentielles. Un élève dont j'ai oublié le nom fit un jour la remarque qu'une expression revenait souvent à sa bouche. Il était de ceux qui cherchent toujours à prendre en défaut le professeur sur son langage, sur sa tenue, sur ses manies. Et ce faisant, il est bien évident qu'il ne retenait pas grand-chose de la leçon.
M. Azibert ne se rendait pas compte - et combien de professeurs sont comme lui - qu'il commençait souvent ses phrases par l'expression " d'une façon générale ". " D'une façon générale, on peut dire que le climat de la région présente telle ou telle caractéristique ". " D'une façon générale, on peut dire que les productions... ". Et ainsi, il avait même prononcé cette expression jusqu'à vingt cinq fois au cours de la même leçon.
Toute la classe, alertée, avait fini par se laisser prendre à ce jeu, car à chaque fois que l'expression tombait, certains comptaient à voix basse, d'autres traçaient des bâtonnets sur le papier.
Finalement, l'attention des élèves était tout entière braquée sur les instants attendus et il s'ensuivait une hilarité générale, graduée suivant la volonté ou le tempérament de chacun. Certains souriaient seulement, d'autres hoquetaient discrètement, en secouant nerveusement leurs épaules, d'autres enfin, pouffaient de rire.
Alors M. Azibert chercha à connaître le motif de ces désordres. Pressant de questions deux ou trois élèves, pris individuellement pendant une récréation, l'un d'eux finit pas dire la vérité. Le professeur sourit avec indulgence.
Nous attendions avec curiosité sa réaction aux cours suivants. M. Azibert tenant compte des incidents précédents, dans l'espoir d'éviter les ricanements éventuels, remplaça l'expression incriminée par une autre, un peu différente : " D'une façon constante ".
Ce ne fut pas la solution miracle ! Nous trouvions tout aussi risible la seconde expression que la première.
Boileau à écrit : " Sans cesse, en écrivant, variez vos discours ". Ce conseil, excellent pour ceux qui écrivent, ne l'est pas moins pour ceux qui parlent.
Instituteurs ou professeurs qui aurez peut-être la curiosité de lire ces pages ! surveillez votre langage et vos gestes de chaque instant devant vos auditoires. Si forts pédagogues que vous soyez, des élèves pleins de malice chercheront toujours à trouver ce qui peut vous ridiculiser. Mauvaise habitude, que celle qui consiste à l'emploi d'un même mot ou d'une même locution qui vient se placer au début ou à la fin d'une phrase.
Des anciens de Martini, mais dans une période beaucoup plus proche, se souviendront sans doute de ce professeur qui terminait si souvent ses phrases par ces deux adverbes " purement et simplement ".
Je pourrais en rajouter et mettre encore beaucoup d'autres enseignants sur la sellette, mais loin de moi la pensée de me considérer comme une exception !
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Rangée " debout " - De gauche à droite : MM. ARÈNE - QUINIO - VALENTE - AZIBERT - GIRAUD - ROMAN -MOURÉ - VACCHERO - GUEIRARD - ROMANET - PENCIOLELLI - ZALI Rangée " assis " - De gauche à droite : MM. MICHEL - GARDET - LOMBARDI - Mme BOUDON - Mme MENDÈS - M. MENDÈS - Mme VENTRE - MM. VENTRE - LEHOUX - FABRE -SAUVAIRE |
Je ne voudrais pas terminer l'évocation de cette période 1924-1928 sans insister un peu sur ma dernière année à Martini en qualité d'élève de l'École Primaire Supérieure.
Certes, dans les pages précédentes j'ai eu l'occasion de l'écrire, un noyau de professeurs préparait les jeunes Seynois à des professions diverses. Avec la naissance de l'Enseignement technique, de nouveaux débouchés s'offrirent : les jeunes qui avaient choisi un métier manuel après le Certificat d'Études purent effectuer trois années d'études à l'École Pratique d'Industrie et obtenir un Certificat d'Aptitude Professionnelle et un Brevet Élémentaire Industriel.
L'École Martini étant insuffisamment équipée, on ne pouvait s'y préparer au concours d'entrée à l'école des Arts et Métiers. Pour ceux qui désiraient le faire, il leur fallait suivre une quatrième année qui fonctionnait à l'École Rouvière de Toulon.
L'année 1928 fut extrêmement bénéfique pour tous les élèves qui composaient ma promotion. Nous avons tous obtenu cette année-là des succès remarquables aux divers concours - P.T.T., contributions, École Normale, etc., que nous avions préparés conjointement.
Personne à ce moment-là ne se posait les problèmes d'orientation. Avions-nous la certitude d'être aptes à exercer tel métier plutôt que tel autre ? Absolument pas.
Quand, avec certains de mes camarades, nous visions plus spécialement le concours d'entrée à l'École Normale, nous n'avions aucune idée précise sur les difficultés du métier d'Enseignant ; nous n'avions même pas choisi d'être Instituteur plutôt qu'employé des Postes. Nos parents en avaient décidé pour nous et nous ne discutions même pas leurs décisions.
Nos parents, de leur côté, ne discutaient pas les conseils des professeurs. Aimions-nous les enfants ? Aurions-nous la patience nécessaire pour exercer un métier qui est en vérité un art délicat ? Saurions-nous nous intéresser et nous faire écouter de nos auditoires ?
La concertation ? Un mot totalement ignoré à l'époque.
J'eus la chance de n'être pas dépaysé outre mesure devant mes premiers élèves à la rentrée d'octobre 1928, mais combien de mes camarades ne purent s'adapter à une profession qu'on leur avait imposée ! Combien, poussés par une ambition légitime mirent à profit leur passage à l'École Normale pour se diriger vers l'Administration, l'Armée ou les Finances !
Mes parents, quant à eux, ne visaient pas très haut pour moi.
L'essentiel, à leurs yeux, était de pouvoir gagner sa vie dès que possible, sans être obligé de mettre la main dans la caisse à outils.
Les parents ont toujours le désir de voir leurs enfants accéder à une situation meilleure que la leur. Ambition fort louable, bien sûr. Mais combien, pour satisfaire un orgueil personnel et surtout pour n'avoir pas su apprécier leur enfant à sa juste valeur, commettent des erreurs d'orientation difficilement réparables ?
Je pense à tous ceux qui, ne doutant de rien, ont voulu pour leurs enfants des situations mirobolantes, sans savoir juger, ni jauger leurs aptitudes à les atteindre.
En cette fin d'année scolaire 1928, tous les élèves de ma classe qui allaient quitter l'École Martini avaient la certitude d'une situation honorable.
Ceux qui n'avaient pas été admis à l'École Normale le furent au concours des Postes ou des Contributions. D'autres devaient entrer à la Caisse d'Épargne et se faire, plus tard, de brillantes situations.
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Assis au 1er rang : Marius AUTRAN, E. CARRIÈRE, Vincent FOURNIER, André JAUFFRET, Toussaint MERLE, MEISTER, BRÉANDON, Émile GUIEU Au 2ème rang : Auguste TOSELLO, ZATTARA, GAILLARD, AUJARD, ?, Barthélemy BOTTERO, JALABERT, GUILLON, PAUL, GILET, ? Au 3ème rang : LENTÉRI, Denis GUIEU, GANDOLFO, Alexandre MIROY, LUCCIONI, ?, GUILLAMET |
Le concours d'entrée à l'École Normale
Le succès le plus spectaculaire de ma promotion fut celui de notre concours à l'École Normale d'Instituteurs de Draguignan.
Le concours se déroula au début du mois de juillet 1928. Les épreuves écrites affrontées dans le sous-sol de la Préfecture de Draguignan m'avaient paru favorables. J'avais confiance dans l'issue des premiers résultats. Il est vrai que le bon Quatuor nous avait chauffés à blanc, comme on dit. Ce bourrage de crâne, fort heureusement, eut d'heureuses conséquences.
Quand le résultat du concours écrit fut affiché, sur la quinzaine de candidats originaires de la Seyne, douze furent déclarés admissibles. Le même soir, M. Romanet, qui faisait partie de la commission d'examen, comme chaque année, d'ailleurs, nous réunit pour nous encourager avant l'examen oral. Il savait, lui, notre classement et nos possibilités d'admission définitive. Mais ne voulant pas trahir le secret professionnel, il se borna à nous dire que plusieurs d'entre nous étaient bien placés. Encore fallait-il se défendre victorieusement à l'oral.
Le lendemain matin, le coeur battant, il nous fallut affronter des professeurs nouveaux, ceux de l'École Normale, pour la plupart.
En attendant l'installation des salles d'examen et des membres du jury, nous nous livrions à toutes espèces de supputations.
Sur la soixantaine de candidats en provenance des écoles primaires supérieures de Toulon, La Seyne, Lorgues, Brignoles, Fréjus et Draguignan, une trentaine avaient été éliminés à l'examen écrit.
Sur ce nombre, dix-sept seulement devaient être retenus. Une dizaine de Seynois restaient dans la compétition. Quelles étaient mes chances ? J'étais bien incapable de le dire.
Un échec ne serait pas un déshonneur. Avec mon petit bagage d'instruction, je serai bien capable de gagner ma vie. À dix-huit ans, j'avais bien conscience du sacrifice de mes parents, de condition modeste, et j'aurais bien voulu ne pas être à leur charge encore longtemps.
Les épreuves commencèrent et se déroulèrent assez rapidement, puisqu'il ne restait qu'une trentaine de candidats en lice.
Les épreuves de sciences, de dessin, de chant se passèrent fort bien. Je fus interrogé en Morale par le Directeur de l'École normale, M. Gilet, un homme exceptionnel dont je devais par la suite apprécier les qualités remarquables à tous points de vue.
Une épreuve que je redoutais était celle de Lecture et Récitation. Parmi les poèmes imposés par le règlement du concours, j'avais choisi un texte de José-Maria de Heredia (8), intitulé Suivant Pétrarque et que je devais réciter devant deux professeurs, un homme et une dame ou peut-être demoiselle.
(8) Heredia (José Maria de) - 1842-1905 - D'origine cubaine, mais élève en France de l'École des Chartes, il composa des vers dès 1862. Il dut à son maître Leconte de Lisle de collaborer au recueil Le Parnasse contemporain. Lui-même, dès la parution des Trophées en 1893, recueil de 118 sonnets fit figure de maître de l'école parnassienne, en joignant à un rare talent d'évocation une impeccable facture métrique. Académicien français en 1824.
Le professeur masculin était un petit homme grassouillet à barbe rousse taillée en pointe. Le professeur féminin qui l'accompagnait me troubla par son extraordinaire beauté, mais vraiment, cette sensation fut de courte durée. L'émotion, le souci de ne pas rater mon épreuve m'interdit toute contemplation excessive.
Le jury me fit donc réciter Suivant Pétrarque. J'eus l'impression fugitive, dès le début, que le petit professeur s'intéressait davantage à sa collaboratrice qu'au poème de Heredia.
Pendant que je récitais, ou mieux, que je déclamais, en m'inspirant des conseils de M. Romanet, les examinateurs échangeaient des sourires pleins de douceur, d'une douceur infinie, accusée peut-être par la pureté des sentiments exprimés par le poète.
Qu'on en juge par ce sonnet, si beau que je me fais un plaisir de le reproduire ici tout entier :
Quelques questions suivirent. Lesquelles ? je ne saurais le dire. Les examinateurs avaient l'air satisfait de mes réponses, de ma bonne diction et, probablement aussi, de mon choix.
Au bout de quelques heures, tous les candidats ayant été interrogés, le jury d'examen fut en mesure de nous donner le résultat définitif.
Réunis dans la salle d'étude de l'École Normale, nous attendions le verdict.
Inutile de dire les instants d'angoisse qui nous étreignaient en attendant l'arrivée des autorités. C'est notre avenir qui se décidait en ces minutes palpitantes. Nous ne voulions pas décevoir nos parents, nos amis, nos professeurs. Nous imaginions déjà l'année suivante, en cas d'échec.
Notre inquiétude allait croissant...
Tout à coup, une porte s'ouvrit. Le jury entra derrière Président qui était Monsieur le directeur de l'École Normale.
Tout le monde se leva respectueusement et un silence de mort s'établit.
M. Gilet, une feuille simple à la main, nous commanda de nous asseoir, nous pria de garder notre calme et prononça des paroles aimables, pleines d'encouragement pour ceux qui ne seraient pas admis définitivement.
Oui ! dans quelques instants, il y aurait dix-sept élus, dix-sept heureux parmi lesquels certains retourneraient à la Seyne, dans leur École Martini, en triomphateurs. Dix-sept d'entre-nous connaîtraient l'étreinte fébrile de leur mère aux yeux remplis de larmes, fêteraient famille leur succès retentissant.
Monsieur le Directeur commença la lecture des résultats Premier... Deuxième ... Troisième, Quatrième...
Deux Seynois admis sur les quatre noms.
Cinquième... Sixième... Septième : Marius Autran. J'entends mon nom ! Est-ce bien vrai ? Ces instants sont difficiles à décrire. Une joie indicible m'envahit. Je dus frissonner, rougir, je ne sais plus, je me voyais déjà dans les bras de ma mère qui pleurerait de joie, sans doute. Je recevais les félicitations des uns et des autres.
M'étant ressaisi, cependant, j'entendis nommer les derniers et il me fallut m'informer discrètement pour savoir lesquels de mes camarades seynois, après moi, avaient été admis.
Une seconde lecture remit les choses en ordre dans ma tête. Trois Seynois étaient placés devant moi ; Miroy, Jalabert et Guillamet ; trois autres me suivaient : Guieu, Merle et Bernard.
J'étais donc dans le juste milieu.
Je regardais autour de moi et je vis le large sourire de mes copains de Martini. Une espèce de solidarité dans le succès, d'esprit de corps, comme disent les militaires, se créa spontanément.
C'était aussi le succès de notre école, de nos professeurs, de notre ville.
Une fois proclamés ces résultats, quelques conseils nous furent donnés à propos de la rentrée d'octobre 1928 qui se ferait, cette fois, dans cette École Normale pour l'accès de laquelle nous avions tant travaillé.
Et nous voilà quittant Draguignan dans un charivari indescriptible, en criant dans la rue " Vive la Seyne ! Vive Martini ! "
J'éprouvais cependant un sentiment de commisération pour les quelques camarades qui avaient été recalés. Ils s'en retournaient, penauds, leur valise à la main et je me fis un devoir de les encourager à poursuivre leurs efforts l'année suivante, ce qu'ils firent, d'ailleurs, avec succès.
Notre exubérance rendit remarquable notre arrivée à Toulon. Sur le quai de la gare, quelques familles attendaient ; il y eut des embrassades, mais aussi des déceptions.
Quand j'arrivai au quai Hoche où habitaient mes parents, dès que la porte s'ouvrit, mon large sourire significatif combla mes parents de joie. Pensez-donc ! ils seraient si fiers de pouvoir dire à leurs amis " Notre fils sera instituteur ".
Je courus le lendemain annoncer la nouvelle à mes grands-parents qui en pleurèrent de joie. Ils s'en allèrent sur le champ dire à leurs voisins les plus proches " Nostré pichoun fiù séra mèstré d'escolo ! "
L'atmosphère de liesse n'avait pas touché que les familles. Les lauréats se retrouvèrent avec ceux du Brevet Elémentaire - il y eut cette même année 1928, quatorze reçus - pour rendre visite à M. Mendès, le Directeur et à nos professeurs. La presse locale consacra un article pour informer la population des succès de l'École Martini.
M. Gueirard, cheville ouvrière de ces succès, organisa une fête avec le concours de l'Amicale Laïque. Des prix et des diplômes nous furent attribués.
Et puis, les moments d'allégresse passés, il fallut bien penser à la prochaine rentrée. Ma mère prépara mon trousseau de Normalien. Il fallut en effet prévoir un séjour de trois années à Draguignan et il me semblait que je n'en verrais jamais la fin.
Il y a maintenant soixante-dix ans de cela... et plus !
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Jean-Claude Autran 2016