La Seyne_sur-Mer (Var)  La Seyne_sur-Mer (Var )
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de l'Histoire de l'École Martini
Marius AUTRAN
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Histoire de l'École Martini (1982)
L'enseignement à La Seyne-sur-Mer (1789-1980)
CHAPITRE TROISIÈME :
Le Second Empire
(Texte intégral du chapitre)


 

L'Empire autoritaire

Dans la nuit du 1er au 2 décembre 1851, le Prince Louis-Napoléon Bonaparte adressa aux Français une proclamation intitulée Appel au peuple. Dans ce document, il mettait en accusation l'Assemblée constituante qui, selon lui, était devenue un foyer de complots, prétendant qu'elle préparait la guerre civile en France et qu'il avait été conduit à la dissoudre dans l'intérêt du Pays. Il fit ensuite appel aux suffrages des Français.

C'était le Coup d'État qui devait mettre fin à la brève Seconde République - 1848-1851 - et qui rétablissait un empire napoléonien.

Le texte de la proclamation de celui qui devenait Napoléon III fut affiché sur les murs de notre Hôtel de Ville le 3 décembre. Le Maire de l'époque était Jean-Louis Berny. Quoique très attaché à l'idéal républicain, il ne prit pas position nettement contre le coup d'état. Il semble bien qu'il ait observé avec ses collègues une attitude d'attente. Peut-être qu'avant de se déterminer, cherchait-il à savoir ce qui allait se passer à Toulon, place forte où se trouvaient concentrées des garnisons militaires entièrement dévouées au Prince-président.

Dès le lendemain du Coup d'État, le Var fut mis en état de siège.

Il faut dire qu'une presse qualifiée de subversive avait dénoncé bien avant le 2 décembre les préparatifs de coup d'état. Le Démocrate du Var joua un rôle considérable dans la bataille des idées.

Du point de vue local, il attaquait la gestion municipale toulonnaise et menait une vive propagande anti-légitimiste et anticléricale en dévoilant la corruption de l'aristocratie et du Clergé de l'époque.

À La Seyne et à Toulon, l'opposition au Coup d'État se manifesta modérément. Un comité avait été constitué dans notre cité où participaient des hommes attachés aux idées républicaines. Citons Sauveur Peter, François Bernard, Cyrus Hugues, Joseph Rousset, Jacques Laurent, parmi les plus célèbres. Son action ne fut pas très efficace et il fut dissous quelques jours après sa création.

Cependant, il y eut des perquisitions, des arrestations et, par suite, des déportations en Algérie. Ce sera le cas de Cyrus Hugues (qui sera plus tard élu maire en 1876).

Si les grandes villes de notre département restèrent relativement calmes, il n'en fut pas de même des villages du Var.

Le peuple varois dans son ensemble, ne pouvait pas tolérer la conduite parjure de Louis-Napoléon Bonaparte qui avait prêté serment en ces termes :

" En présence de Dieu et devant le peuple français, je jure de rester fidèle à la République démocratique et de défendre la Constitution ".

Les paysans de l'arrière-pays, jaloux de leur indépendance et fidèles à l'idéal républicain, prirent les armes.

QUATRE-VINGT NEUF communes participèrent au mouvement d'insurrection. Sur ce nombre, soixante renversèrent leur Municipalité. Les vingt-neuf autres avaient pour la plupart un Maire Républicain.

Après des troubles sanglants à Cuers, le soulèvement s'étendit à Brignoles, Vidauban, Gonfaron, les Arcs, Tourves... Tout le sud du département était en armes. Bloquant le préfet à Draguignan, ce fut le Haut Var qui se souleva : Callas, Flayosc, Carcès, Ampus, Salernes, Barjols, Cotignac...

Mais les événements ne tournèrent pas à l'avantage des Républicains mal organisés. Malgré la résistance de l'héroïque bataillon du Luc, des milliers d'arrestations devaient remplir les prisons de Draguignan, de Toulon, de Brignoles et de Grasse.

La bataille d'Aups avec les exécutions sommaires dont la double fusillade de Martin Bidouré (1) a montré à quel point la répression fut féroce.

(1) Martin Bidouré : Ayant pris les armes contre le Coup d'État, Martin Bidouré, fut fait prisonnier aux environs de Tourtour par les gendarmes. Fusillé sur le champ, il ne fut que blessé, il se traîna après le départ des troupes jusqu'à une ferme, il fut dénoncé et conduit à l'hôpital d'Aups. Là on le fit prisonnier et on le fusilla derechef.

Sans compter les morts au combat, ni les assassinats, sans compter tous les Français morts en exil en Afrique du Nord ou à Cayenne, on a dénombré entre six et sept mille arrestations et deux mille cinq cents condamnations à des peines diverses.

C'est ainsi que s'ouvrit dans notre région l'ère de l'Empire autoritaire.

Si nous avons insisté quelque peu sur les péripéties locales du Coup d'État du 2 décembre 1851, c'est pour accuser davantage l'incidence néfaste des régimes de dictature sur l'Instruction du peuple et le lecteur établira sans doute des comparaisons entre les méthodes du Second Empire et celles du gouvernement de Vichy dont il sera parlé longuement dans le Chapitre VII.

Mais retournons à notre ville au lendemain du Coup d'État.

Le 16 décembre 1851, le Conseil Municipal fut dissous. Un Maire désigné par le Chef de l'État prit la tête d'une commission spéciale provisoire. Il s'appelait Antoine Léonard Barry, lieutenant de vaisseau en retraite.

La commission qu'il présidait était composée des personnages suivants : Lauze de Perret, propriétaire, Astoin, ancien maire, propriétaire, Estienne, propriétaire, Abram, maître cordier, propriétaire, Baudoin, constructeur de navires, Cauchard, Capitaine d'Infanterie de Marine et Raynaud, Chef de Bataillon d'Infanterie en retraite.

Les représentants de la classe ouvrière, pourtant la plus nombreuse déjà à cette époque, n'avaient donc aucune place. Par contre, les militaires s'étaient taillé la part du lion.

Évidemment, qui s'appuyait sur les propriétaires et sur les militaires avait la ferme intention de mater toute velléité d'opposition, y compris par la force.

À La Seyne, les nantis redoutaient une résurgence de l'idéal républicain et, plus encore, de l'idée du socialisme qui faisait son chemin.

Dans cette atmosphère de méfiance et de répression, le règlement des problèmes de l'enseignement n'allait pas être facilité, tant il est vrai qu'en période de crise politique, l'accession par le peuple à la connaissance est suspecte aux yeux de ceux qui gouvernent à son encontre.

Les notables de la Municipalité qui, à tour de rôle, avaient déclaré publiquement : " Je jure obéissance et fidélité à l'Empereur " allaient appliquer strictement les ordres de Sa Majesté Napoléon III, laquelle ordonna bientôt l'application de la loi Falloux dans toute sa rigueur. C'est donc une loi qui, au nom de la liberté de l'enseignement, devait communiquer à l'éducation la puissance de la religion de manière à rendre les sujets de l'Empereur plus dociles à son despotisme.

 

L'Enseignement confessionnel prospère

Une période prospère s'ouvre pour l'Enseignement confessionnel.

Alors que dans les années 1850 à 1860, notre école Martini faisait des prodiges pour se maintenir avec quelques dizaines d'élèves, en 1853-1854, l'Institution Sainte Marie recevait cent quinze pensionnaires. Entre 1855 et 1859, de nouveaux bâtiments furent construits. De grands terrains furent achetés et toutes ces dépendances furent couvertes par l'attribution d'importants crédits.

En novembre 1855, sous la Municipalité Martinenq, l'École des Frères des Écoles Chrétiennes fut également agrandie. Elle comptait alors un effectif de trois cent vingt élèves.

C'est en 1858 que fut fondé le Couvent de La Présentation composé de vastes bâtiments comprenant chapelle, dortoirs, classes, offices, communs et dépendances, jardin d'agrément et jardin potager. Cet établissement fut destiné à l'éducation des jeunes filles de la bourgeoisie de La Seyne et de ses environs. Il cessera de jouer son rôle au moment de la Séparation de l'Église et de l'État (2).

(2) Voir note (5) de l'Introduction.

La contre-offensive cléricale triomphait sur toute la ligne.

En 1856, l'École des Frères Maristes enregistre un effectif de trois cent soixante élèves. On envisage de nouveaux agrandissements. La classe des commençants compte plus de cent dix enfants.

Malgré toutes les attentions que la Municipalité Martinenq accordait à l'Enseignement confessionnel, des difficultés allaient se manifester pour ceux qui, localement, soutenaient la dictature impériale.

 

Difficultés de la scolarisation

Depuis 1852, le recouvrement des contributions familiales à l'Enseignement se faisait mal. Beaucoup de gens ne pouvaient pas payer. Il y eut certainement aussi des contestataires qui ne voulaient pas s'acquitter de la redevance scolaire.

On peut lire dans une délibération datée du 18 août 1856, communication d'une lettre du receveur municipal qui se plaint de ne pouvoir encaisser les participations financières des familles. Sur deux cent vingt-cinq familles qui auraient dû payer leur cote, trente-huit seulement s'en sont acquittés et vingt-six sur soixante et onze à la salle d'asile. Il s'agissait là seulement de l'École des Frères Maristes, celle qui devait devenir l'Externat Saint-Joseph. Il est probable que les mêmes difficultés existaient dans les autres établissements.

Durant cette période, les effectifs scolaires atteignirent le chiffre de cinq cents enfants environ, en comptant les cent cinquante élèves reçus dans les salles d'asile.

Les années passaient et la Municipalité qui supportait toutes les charges de l'Enseignement, tant en dépenses d'entretien qu'en paiement des salaires et indemnités, adressait des suppliques au Pouvoir de tutelle. Mais la Préfecture ne se laissait guère attendrir par les adjurations des Maires qui se succédaient.

Cette même délibération du 18 août 1856 mentionne un autre phénomène sur lequel il n'est pas inintéressant de s'arrêter.

Les parents préféraient en effet, lit-on, retirer leurs enfants de l'école, plutôt que de payer, ce dont les Frères Maristes se plaignaient amèrement. Les Maires de cette époque tentèrent de convaincre les familles de faire preuve de discipline. Ils n'y parvinrent pas.

La classe ouvrière représentait les neuf dixièmes de la population et ne recevait que des salaires de misère. Aucune assurance sociale ne couvrait alors les risques de maladie, d'accident du travail, aucune indemnité ne venait atténuer les méfaits du chômage. Les journées de travail duraient de dix à douze heures et l'on travaillait six jours sur sept. Plus cette situation s'aggravait et plus les suppôts de la dictature napoléonienne faisaient preuve d'une servilité aveugle.

Quelle meilleure preuve que le texte qui suit ?

Le 14 janvier 1858, un événement extraordinaire se produisit : Napoléon III et l'Impératrice Eugénie furent victimes d'un attentat qui faillit leur coûter la vie. Cet attentat était l'œuvre d'Orsini, conspirateur italien qui voyait en Napoléon III le principal obstacle à l'unification de son pays (3).

(3) Unité italienne : A la chute de Napoléon Ier qui avait fait passer, de conquête en conquête, toute l'Italie sous sa domination et s'y était fait sacrer Roi, cette nation n'était plus, selon le diplomate autrichien Metternich, qu'une expression géographique ". L'Autriche, directement ou indirectement, dominait la Macédoine de royaumes qui se partageaient la péninsule. À partir de 1820 se développe une opposition clandestine, sous formes de sociétés secrètes dont la principale fut la carbonaria. Napoléon III un carbonari avant de louer un quelconque rôle politique en France. Sous l'influence d'hommes comme Mazzini et Garibaldi, l'idée de l'Unité italienne gagna rapidement le pays et donna lieu à des insurrections armées contre les Autrichiens qui furent réprimées durement. C'est le roi du Piémont, Vittorio-Emmanuelle II et son ministre Cavour, aidés diplomatiquement et militairement par Napoléon III qui reprirent le flambeau de l'Unité italienne. Mais l'Empereur des Français qui avait d'abord facilité cette démarche s'opposa à l'annexion de Rome et ce n'est que le 2 octobre 1870, un mois après Sedan, que les armées italiennes purent s'emparer de Rome où le Pape se retira dans le palais du Vatican, se considérant comme prisonnier. La Ville éternelle devint alors capitale du jeune royaume d'Italie.

Aussitôt, le Conseil Municipal présidé par M. Estienne, se réunit pour protester et rédiger un message de sympathie à Sa Majesté l'Empereur. Voici la conclusion du texte :

" En conservant vos jours et ceux de l'Impératrice, Dieu a voulu vous récompenser de votre entier dévouement au bonheur du pays.

Avec la vive expression de notre reconnaissance pour un si grand bienfait, s'élèveront au ciel de ferventes prières pour qu'il plaise au Seigneur de répandre sans cesse, sur Votre Majesté, sur l'Impératrice et sur le futur Prince Impérial, espoir de la Patrie, ses plus abondantes bénédictions.

Nous sommes, avec le plus profond respect, Sire ! de votre Majesté Impériale les très humbles, très obéissants serviteurs et fidèles sujets.

Ainsi fait et délibéré ".

Suivent les signatures de tous les Conseillers municipaux.

C'était exactement le style des nobles de la Cour sous l'Ancien régime. Et pourtant, depuis près d'un siècle, la Révolution française avait aboli ces privilèges. Il semblait inconcevable aux notables de 1858 que le pauvre peuple puisse ne pas contenir son mécontentement.

Les années qui s'annonçaient allaient leur apporter de rudes leçons. Mais en attendant des jours meilleurs, les laïques, les démocrates et les républicains éprouvaient les plus grandes difficultés dans leur vie quotidienne.

 

Les luttes s'aiguisent

Notre École Martini était devenue bien pauvre. Elle avait été amputée de son école supérieure et ne fut pas la seule à subir une semblable sanction : la même mesure frappa l'école Rouvière, à Toulon. L'école des filles de la rue Clément Daniel avait été mise à mal elle aussi : le personnel laïque avait été remplacé par des religieuses.

Ces décisions péremptoires émanaient de l'Académie d'Aix dont le Recteur était alors l'Abbé Bonafous.

Par contre, nous l'avons vu précédemment, les principaux établissements dirigés par les ecclésiastiques recevaient toutes les faveurs du Pouvoir : importantes subventions pour des constructions neuves, des aménagements ou des transformations de locaux anciens.

Le drame étant qu'après ces constructions et ces créations, il fallait bien assurer le fonctionnement de ces écoles. Là, c'étaient les Municipalités qui devaient faire face à des dépenses très lourdes, ce qui ne manquait pas d'entraîner une augmentation d'impôts.

En définitive, c'était la population qui supportait les conséquences d'une politique dont nous connaissons encore les effets néfastes, à savoir le transfert des charges de l'État sur les collectivités locales.

Alors, des conflits éclatèrent entre d'une part la population et d'autre part les cléricaux et leurs municipalités alliées. Ces conflits épousaient les luttes que menaient les uns contre les autres, enseignants laïques et enseignants confessionnels.

Ces querelles prirent parfois un caractère mesquin. Par exemple, une délibération du Conseil Municipal nous apprend que, profitant de la nuit, des cléricaux sont allé causer des déprédations dans le jardin de l'école communale. Pas très glorieuses, ces vengeances sur les végétaux !

Ce qui est grave, ce n'est pas que des tensions aient pu régner, mais que les parents, se refusant à payer leur redevance, préférèrent priver leurs enfants d'instruction et les employer à des travaux divers. Ainsi une forte proportion d'enfants n'est pas enseignée.

Mais, même parmi les parents qui envoyaient leurs enfants à l'école et s'acquittaient de la cote, le mécontentement grandissait car la population ayant rapidement augmenté, les locaux scolaires étaient devenus insuffisants et encore plus inconfortables.

En 1865, le mouvement de protestation s'amplifia. Il exigea de la Municipalité Martel Esprit la création d'une seconde école communale, la gratuité de l'Enseignement et des bourses pour les enfants capables de poursuivre leurs études à un niveau élevé.

Parallèlement, le mouvement d'opposition au patronat et au cléricalisme, soutiens du pouvoir impérial, se développa considérablement. Le refus de payer les redevances scolaires n'était en fait qu'une forme de protestation.

Ainsi, la croissance de la population liée à l'industrialisation de La Seyne et de la région toulonnaise, les conditions de travail absolument inhumaines, seront à l'origine de nombreux conflits sociaux. La classe ouvrière, prenant progressivement conscience de sa force, se rassembla pour défendre ses droits. Elle le fit à l'échelle nationale, puisque par une loi de 1854, elle avait obtenu le rétablissement du droit de coalition.

Sous le Second Empire, disons-le, rien de sérieux ne fut fait pour l'Enseignement public. Les statistiques officielles nous apprennent en effet que le quart des enfants quittant l'école, ne savaient qu'à peine lire et écrire.

Par surcroît, en cette fin du règne de Napoléon III, de terribles épreuves s'abattirent sur la population seynoise, d'irréparables malheurs qui frappèrent particulièrement le monde des écoliers.

 

Le choléra de 1865

Au mois de juin 1865, une épidémie de choléra éclata brusquement. En quelques semaines, elle devait faire plus de cinq cents victimes. Le fait s'était déjà produit en 1835 et en 1845, mais alors le mal s'était limité à quelques cas mortels.

On ne savait pas bien expliquer les causes de ce terrible fléau qui frappait particulièrement les enfants. Mais, nos anciens nous l'ont souvent répété, la saleté régnait partout. Les gens ignoraient les règles les plus élémentaires de l'hygiène, mais par surcroît, il faut savoir que le cours du Gros Vallat, ruisseau provenant du Pont de Fabre, était un véritable égout déversant ses eaux fangeuses dans le port même, à côté de l'actuel quai Gabriel Péri. Quand on sait qu'en plus de ça, l'emplacement du jardin de la ville, en face de la Poste était alors couvert de joncs et de siagnes et que croupissait là un véritable cloaque alimenté par des tonnes d'immondices déversées par les Seynois, on ne s'étonne plus de la fréquence des maladies infectieuses. On mourait fréquemment de la tuberculose, de la diphtérie, de la rougeole ou des fièvres typhoïdes, autant de fléaux aujourd'hui maîtrisés.

Dans la seule journée du 15 septembre 1865, on enregistra jusqu'à soixante-huit décès officiels. Il s'ensuivit dans la population une panique indescriptible. La ville fut rapidement désertée. Naturellement, il fallut fermer les écoles, d'autant que les enfants payaient le plus lourd tribut à l'épidémie.

Les chantiers cessèrent presque leurs activités.

Ce ne fut que vers le printemps de l'année suivante que la vie reprit un cours à peu près normal. La fréquentation scolaire à Martini, aux Maristes ou à l'école des filles de la rue Clément Daniel reprit lentement, tous les évacués n'étant pas retournés à La Seyne.

On voit donc que la scolarité des enfants de cette époque était assez perturbée. Dans ces temps, la microbiologie faisait ses premiers pas. À la première alerte, les familles qui le pouvaient éloignaient les enfants vers les campagnes. Tans pis pour l'instruction, il s'agissait de survivre !

La recherche scientifique contre les facteurs de maladies mortelles n'avançait qu'à petits pas. Comment pouvait-il en être autrement puisque les budgets de la guerre engloutissaient des sommes énormes ? Des savants protestaient avec juste raison. Pasteur (4) n'avait-il pas écrit dans cette période un ouvrage intitulé Le Budget de la Science duquel cette citation est extraite :

" Qui voudra me croire quand j'affirmerai qu'il n'y a pas au budget de l'Instruction publique un denier affecté au progrès de la Science par les laboratoires ".

(4) Pasteur (Louis) (1822-1895) : Biologiste français, fondateur de la microbiologie. Ses études sur les fermentations lui permirent de découvrir les micro-organismes qui les provoque. D'une part, il put critiquer la théorie alors en vogue de la génération spontanée, mais surtout, il mit au point les procédés de conservation des produits qui fermentent (bière, lait, etc.) ce qu'on appelle la pasteurisation. Au cours de ses recherches sur les maladies infectieuses et contagieuses, il précisa sa théorie des germes (microbes), bouleversant la médecine où il préconisa la méthode de l'asepsie. Aseptiser = supprimer les germes infectieux). Puis il mit au point des vaccins préventifs contre le charbon, le choléra et surtout contre la rage. Sa figure de savant désintéressé lui valut le titre de bienfaiteur de l'humanité. Académie des Sciences en 1862. Académie Française en 1881. Il fonda l'Institut Pasteur en 1888 pour permettre à ses élèves et ses collaborateurs de poursuivre ses recherches en microbiologie.

Ainsi, quand le Pouvoir maltraite l'École, il ne fait pas la part plus belle aux progrès de la Connaissance, y compris au plus haut niveau, la Recherche.

 

L'Empire libéral - Des réformes utiles

Sous la pression de la contestation et des actions du peuple, malade, vieilli, Napoléon III entamera dans la dernière partie de son règne une politique plus libérale, visant à se gagner les sympathies populaires. En fait, il ne fera qu'encourager l'opposition républicaine.

Un nouveau ministre, Victor Duruy (5), accomplit des réformes très utiles par l'application de la loi de 1867.

(5) Duruy (Victor) (1811-1894) : Inspecteur général de l'Enseignement secondaire, il fut nommé Ministre de l'Instruction Publique par Napoléon III (1863-1869). Il contribua à faire adopter des réformes libéralisant l'Enseignement : rétablissement de l'agrégation de philosophie, introduction de l'Histoire contemporaine dans les programmes, développement de l'instruction primaire et secondaire. Académicien français en 1864.

Cette loi permit, entre autres, le développement de l'Enseignement féminin, la création des Caisses des écoles, l'autorisation pour les Municipalités d'assurer un enseignement totalement gratuit, la création des Conseils départementaux de l'Enseignement primaire, qui avaient droit de regard sur les écoles privées et les internats d'enseignement privé, l'introduction de l'enseignement de l'Histoire et de la Géographie dans l'enseignement primaire, le développement de l'enseignement des langues vivantes, la création de Bibliothèques municipales, etc...

L'enseignement donné dans les écoles fera alors la preuve se de son efficacité, Ayant conquis ses lettres de noblesse, il aura besoin d'une sanction et en cette fin du Second Empire, elle lui sera donnée par la création du Certificat d'Études Primaires.

Ainsi, l'enseignement primaire aura son diplôme qui, pendant longtemps, sera considéré comme non négligeable.

En 1878, quarante mille Certificats d'Études Primaires seront délivrés dans les quatre vingt trois département que compte alors la France administrative.

 

Au sujet de la gratuité de l'Enseignement : Réticences municipales

Nous l'avons vu, la loi de 1867 que fit adopter le Ministre Duruy autorisait les Municipalités à assurer un enseignement entièrement gratuit. Aucune obligation ne leur était donc faite de supprimer les redevances. Pendant longtemps, les édiles hésitèrent à le faire.

Dans les années 1855-1860, avec les Municipalités Estienne et Martinenq, voici comment raisonnaient les Élus sur cette question. Les lignes suivantes sont extraites d'une brochure écrite par Noël Verlaque en 1866 :

" Pour les écoles, quoique la gratuité soit partout désirée et désirable, il était impossible de leur faire une meilleure part.

Les trois centimes spéciaux, qui représentent le maximum d'impôts dont peuvent être frappés les contribuables pour ce chapitre, figurent pour la somme de 1.700,00 frs. Cet impôt ne peut être maintenu qu'avec la rétribution scolaire, attendu que les fonds pour l'entretien d'une école entièrement gratuite, ne peuvent être pris sur des recettes spéciales.

La gratuité générale pour les écoles communales des garçons, aurait donc eu pour conséquence de réduire les recettes de 4.000,00 frs de la rétribution, plus les 1.700,00 frs des centimes spéciaux.

C'est cette considération qui a déterminé le Conseil Municipal dans sa séance du 1er Août 1858, à ne laisser la gratuité de l'école des petits frères de Marie que pour les enfants de familles indigentes.

Cette mesure fut prise de manière à concilier tous les intérêts et avec toute la modération possible, puisque la rétribution mensuelle n'était que de un franc cinquante centimes pour les classes inférieures, et de deux francs pour les deux classes supérieures ".

Les documents d'archives nous permettent de constater que les protestations et l'action énergique des Seynois réussirent à imposer à la Municipalité Martel Esprit, en avril 1866, ce que la loi Duruy n'autorisa qu'en 1867.

La séance du Conseil Municipal du 31 mars 1866 fut très longue. À l'ordre du jour figurait la question de la gratuité de l'Enseignement. Les avis étaient très partagés. Si l'on accordait la gratuité totale, il est évident que le budget de la commune serait en déficit.

Alors, que faire ?

Le Maire fit alors la proposition de réserver la gratuité seulement aux enfants qui apprenaient à lire, à écrire et à connaître les quatre premières règles d'arithmétique. Passé ce degré d'instruction élémentaire, il faudrait revenir à la rétribution scolaire, en assurant toutefois le quart des places aux enfants indigents ou issus de familles nombreuses. On proposait aussi d'accorder la gratuité de l'enseignement aux meilleurs élèves, afin de créer une réelle émulation. On calculait qu'avec deux cents élèves qui pourraient payer une rétribution de trois francs par mois, on obtiendrait une recette annuelle de sept mille deux cents francs.

Cette somme était suffisante pour payer dix instituteurs.

La rétribution n'atteindrait alors que les enfants apprenant l'Arithmétique, la Géométrie, le Dessin, l'Histoire, la Géographie, le Lever de plans et la Langue française.

D'autres propositions furent avancées comme celle qui consistait à accorder la gratuité sur des critères d'âge, jusqu'à treize ans, par exemple.

 

Les Seynois obtiennent la gratuité scolaire pour tous

Et la discussion tournait autour de ces deux possibilités : gratuité totale ou gratuité partielle?

Finalement, le Maire qui était sans doute informé des orientations nouvelles que prendrait la politique impériale, finit par influencer la décision.

" En accordant la gratuité totale, dit-il, nous allons dans les vues généreuses de l'Empereur et de son gouvernement ".

Au terme des débats, la gratuité totale fut votée par seize voix contre quatre.

Dans cette période dite de l'Empire libéral qui s'ouvrait, allaient également se produire d'autres changements attendus par la population.

Le principe de la gratuité de l'enseignement apparaissait de plus en plus comme une nécessité. L'idée du service public faisait son chemin. Nos ancêtres Seynois nous ont donné un bel exemple de ce qui peut être obtenu par des luttes bien menées car, rappelons que les Municipalités n'étaient alors pas tenues d'accorder la gratuité scolaire. C'est en fonction des contingences sociales que la loi Duruy les autorisait à le faire.

À La Seyne, la majeure partie de la population vivait dans des conditions misérables et il fallut bien en tenir compte. Nous avons vu, d'ailleurs, que même les familles apparemment aisées manifestaient elles aussi leur réprobation à un enseignement payant, comme se manifestait aussi le désir de voir s'instaurer une école laïque, efficace, distincte de l'école habituelle gérée par des ecclésiastiques.

Pendant une longue période, les prêtres et les laïcs s'étaient succédé dans les écoles. Les enseignants non congréganistes étaient d'ailleurs toujours tenus, rappelons-le, d'accompagner les élèves aux services religieux.

En février 1866, la Municipalité vota des crédits pour la séparation de la Dîme (École Martini) afin de créer deux écoles distinctes : une école laïque et une école confessionnelle.

Dans cette période qui nous rapproche de la Troisième République et de ces lois laïques, il semble bien que l'Enseignement public soit traité sur un pied d'égalité avec l'Enseignement privé confessionnel.

Comment se présente alors l'école laïque de la Dîme ?

Elle est composée de trois divisions :

La première, celle des plus grands, compte vingt élèves et la classe est assurée par le Directeur.

La seconde est celle où l'on apprend l'Arithmétique et la Grammaire. Les élèves, au nombre de soixante-sept, savent lire et écrire.

La troisième division est celle des commençants et compte cent quarante-six élèves.

Les deuxième et troisième divisions sont chacune dirigées par un adjoint. Au total, TROIS maîtres se partagent CENT TRENTE TROIS élèves. On a une pensée émue pour le maître de la classe des commençants avec ses CENT QUARANTE SIX bambins.

Réorganisée, l'École des Frères marque un recul sensible. Elle ne compte plus que trois divisions au lieu de huit. La première division avec soixante élèves, la seconde, avec cent huit élèves et la troisième avec cent trente-deux élèves, totalisent trois cents enfants, au lieu des cinq cent trente qu'elle accueillait lors de la période la plus florissante.

Mais on a peine à imaginer de telles conditions de travail !

Les autorités locales, sur qui pesait tout le poids des dépenses afférentes à l'Enseignement (personnel, matériel, entretien des locaux, etc.) essayèrent d'adoucir quelque peu la difficulté des maîtres.

Dans sa séance du 6 février 1866, le Conseil Municipal vota des crédits pour créer deux postes de sous-maîtres à l'école laïque et un poste de sous-maître à l'école confessionnelle.

Et voilà que les deux écoles se trouvèrent à égalité avec cinq maîtres de part et d'autre.

Le phénomène important à souligner est alors ce courant d'opinion qui semble se dessiner en faveur de la gratuité et de la laïcité de l'enseignement.

L'exemple de La Seyne n'est pas isolé. Des réticences se feront encore sentir dans certaines régions de France pendant fort longtemps. Mais il est certain que le mouvement en faveur de l'École pour tous existait à l'état latent dans la masse des citoyens.

C'est d'ailleurs cette même année 1866, que Jean Macé (6) lancera son appel pour la constitution de la Ligue française de l'enseignement (7).

(6) Macé (Jean) : 1815-1894 - Rédacteur du journal La République, contraint de quitter la France après le Coup d'État de 1851. Il fonda la Ligue Française de l'enseignement (1866), il ne cessa de lutter pour l'école publique, laïque et obligatoire.

(7) Ligue Française de l'Enseignement : à sa fondation, en 1866, elle eut pour but la diffusion de l'instruction publique dans les classes populaires. Puis, sous la IIIe République, elle joua un rôle important dans la politique scolaire et fut également l'instigatrice des œuvres péri- et post-scolaires. Devenue Confédération générale des œuvres laïques en 1925, elle s'intitule aujourd'hui, depuis 1966-67, Ligue française de l'Enseignement et de l'Éducation permanente et regroupe environ quatre millions de participants et bénéficiaires.

Un véritable courant se développera, irrésistible, en faveur d'un enseignement public, laïque, mettant fin aux divisions religieuses dont le pays avait tant souffert.

Pour en revenir au cadre local et à notre école Martini, M. Terrin succéda à M. Berny, fils de l'ancien Maire de La Seyne. Peu de temps après sa promotion, il fut félicité par l'administration pour l'excellence de son travail et reçut une médaille d'argent, prix décerné par le Prince Impérial.

En novembre 1867, la Municipalité dirigée par le Maire Bernard Lacroix demanda que les heures d'études du soir ne soient plus payées par les familles. Elle interdit même les cours d'adultes de l'école congréganiste qui tirait des bénéfices par ce moyen.

Des secours - nous dirions aujourd'hui des subventions - sont demandées avec insistance au pouvoir de tutelle, à chaque réunion du Conseil Municipal.

Le 13 mai 1868, la Municipalité intervint pour que l'École de l'Hospice - rue Clément Daniel - revienne sous régie municipale. À un certain moment, la direction en avait été confiée entièrement aux Religieuses.

La même Municipalité intensifia son action en faveur de l'enfance et de la jeunesse seynoises.

Des travaux furent effectués permettant à la salle d'asile de recevoir davantage d'enfants. Elle donna des avis favorables aux demandes de bourses pour des jeunes préparant des concours : École Impériale des Arts et Métiers d'Aix-en-Provence, École Navale, etc..

Mais, même avec la meilleure volonté, les Municipalités qui vont se succéder de 1866 à 1881 éprouveront les plus grandes difficultés pour faire vivre et se développer l'Enseignement public.

Dans ce domaine, Napoléon III ne fera pas mieux que son oncle pour la simple raison que sa politique de prestige et d'aventures engloutira des sommes énormes.

Arrivant au Pouvoir, il avait déclaré : " L'Empire, c'est la Paix ! "

On se demande comment des hommes peuvent faire preuve d'un tel cynisme.

L'Empire, ce fut la guerre. Ce furent des guerres continuelles : guerre de Crimée, guerre du Mexique, guerre du Piémont. Ce furent aussi des expéditions coloniales en Nouvelle-Calédonie, dans la Mer Rouge, en Syrie, en Cochinchine, au Cambodge. Et c'est par la guerre que tomba le régime impérial, le 2 septembre 1870, dans la défaite de Sedan.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets et l'argent ne pouvant servir deux fois, on ne peut faire la guerre et instruire le peuple. Il faut bien conclure sur ce chapitre en disant que, malgré les désirs du Ministre de l'Instruction publique Victor Duruy, le Second Empire n'a pas apporté de changements spectaculaires aux problèmes d'Enseignement et de Culture populaire.

Mais le 4 septembre 1870, l'Assemblée proclama la IIIe République et, avec ce régime qui durera jusqu'à l'invasion de notre pays par les Allemands en 1940, s'ouvre une ère nouvelle pour l'école laïque.



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