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Léon Gay, dessinateur de son état, devint président de La Seynoise en 1890. Il devait le rester pendant six ans, assisté de Schivo à la vice-présidence, d'Esmenjaud au secrétariat et de Roche à la trésorerie. Il porta les activités de La Seynoise à un niveau très élevé comme en attestent les bilans que nous développons ci-après.
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Les problèmes financiers, suivis de très près, seront réglés minutieusement. Le trésorier encaissa régulièrement les cotisations des membres exécutants (un franc par mois) et des membres honoraires (un franc cinquante par mois), mais il apparut assez vite que d'importantes ressources restaient à créer. Il est vrai qu'une subvention de deux cents francs était versée chaque année par la Ville, mais elle ne pouvait suffire à tout. Il fut donc nécessaire d'organiser des festivités.
En 1890, La Seynoise n'a pas changé de siège. À la rue des Aires, un bal est parfois donné qui rapporte, nous disent les archives, quinze francs en moyenne. Il faut en faire souvent pour alimenter la caisse, surtout que les problèmes d'inflation et de vie chère se posent déjà.
Songez que la recette d'un Bal des Aires suffit à peine à payer le déplacement du chef lorsqu'il va à Hyères. - le coût du voyage en calèche est de douze francs. Or il faut bien qu'il se déplace pour préparer les festivités en collaboration avec les sociétés musicales voisines.
Inévitables étaient donc les dépenses de transport comme l'étaient celles occasionnées par l'achat de bougies. En effet, surtout en hiver, les musiciens devaient, pour répéter, s'éclairer à la bougie. Ils en faisaient une consommation importante, si l'on en croit le registre des dépenses qui mentionne en moyenne quatre francs quarante centimes par mois affectés à cet usage.
Laissons à penser aux musiciens d'aujourd'hui tout le mérite qu'eurent leurs aïeux, à déchiffrer leurs partitions à la lueur vacillante des bougies, sans parler des désagréments occasionnés par l'odeur du suif. On n'imagine pas les problèmes posés : par exemple, ne pas dévier le souffle de l'instrument par crainte d'éteindre la flamme...
Malgré ces désavantages, les musiciens préféraient la bougie à la lampe à pétrole qui était plus onéreuse à utiliser et nécessitait un entretien délicat.
Pour faire des économies, on évitait d'acheter les partitions. Vers la fin du XIXe siècle, il existait bien des maisons d'édition, mais généralement, pour éviter la dépense, ce sont les chefs de musique eux-mêmes, secondés de quelques bonnes volontés, qui reproduisaient À LA MAIN chaque partition.
Au moyen d'une plume souple trempée dans l'encre noire, on recopiait les notes. Une simple pression suffisait à marquer une noire ou une croche, deux traits dessinaient une blanche, etc. Mais donner à chaque musicien sa partition demandait un travail considérable !
Peut-on imaginer la somme de patience qu'il fallait à ces passionnés de musique pour couvrir les portées de notes, ce que compliquait l'accumulation de triples ou de quadruples croches, d'altérations diverses ou de signes musicaux, sans oublier les barres de mesure et les abréviations indiquant les mouvements ? L'oubli d'un dièse ou d'un bémol entraînait fatalement de petits conflits entre l'exécutant et le copiste, mais ces incidents mineurs se terminaient généralement par des sourires d'indulgence.
Ce travail prodigieux, il faut y penser, ne pouvait se faire qu'après la journée de travail qui était alors de dix à douze heures. C'est donc à la lueur des bougies ou des lampes Pigeon que nos ancêtres musiciens affinaient leurs partitions.
Des économies, on pouvait en faire aussi en lésinant sur les frais de transport.
Laurent Ribba, ancien musicien, contait plaisamment à nos pères qu'il n'hésitait pas, avec quelques camarades instrumentistes, à se rendre à Saint-Mandrier à pied pour répondre aux invitations de La Conciliation, petite musique locale qui se produisait sur le kiosque face à l'actuel Hôtel de Ville.
Les musiciens dont les instruments étaient les plus légers utilisaient souvent une bicyclette. Mais pour Laurent Ribba qui jouait de la grosse caisse, il aurait fallu une calèche. Devant l'importance de la dépense, notre citoyen préférait s'en aller à pied, son instrument sur le dos, en compagnie, probablement, du joueur de la basse ou de la contrebasse.
Quelquefois, ils rentraient par la mer : une vedette assurait la liaison Saint-Mandrier - Toulon, puis un second bateau amenait les voyageurs de Toulon à La Seyne. Ce moyen de transport un peu compliqué était un recours en cas de fatigue.
Quand le père Ribba égrenait ses souvenirs de jeunesse à La Seynoise, il ne pouvait manquer de rappeler la mésaventure arrivée à l'un de ses camarades exécutants désireux de rentrer à La Seyne par bateau et qui ne vérifia pas la destination de la vedette sur laquelle il embarqua à Saint-Mandrier.
L'embarcation appareilla et, au lieu de mettre le cap sur le port de guerre, elle piqua vers le large. Lorsqu'il vit la vedette s'engager dans la passe, notre musicien s'inquiéta auprès du pilote :
- Mais vous allez où, brave homme ?
Étonné par une telle question, le pilote répondit tranquillement :
Le pilote ralentit et, avisant à quelques encablures une barque de pêche qui rentrait sur Toulon, il la héla pour qu'elle accepte de prendre à son bord le voyageur fourvoyé et confus de sa méprise.
Cet incident de parcours se termina, on s'en doute, par des rires et des quolibets.
Toutes ces difficultés dont la solution n'était pas toujours évidente à trouver seront parfois la cause d'un ralentissement dans les activités de La Seynoise.
Le Président aurait accepté plus souvent les propositions de concerts, de participation à des fêtes, émanant d'autres sociétés artistiques ou de municipalités voisines, mais dans la plupart des cas, les frais de déplacement étaient trop élevés pour l'association.
Il fallait penser aussi aux journées perdues par les musiciens qui étaient pour la majeure partie d'entre eux, ouvriers des chantiers navals, de l'arsenal maritime ou de petites entreprises locales. Rares furent les patrons qui acceptèrent d'aider la musique en donnant congé à leurs employés, et un demi-siècle nous sépare encore des congés payés un des acquis du Front Populaire.
Eh bien ! malgré toutes ces difficultés, La Seynoise, sous la sage direction du Président Gay, allait s'affirmer comme une grande formation.
Il est impossible de raconter par le menu toutes les sorties, les participations à des cérémonies, à des concours où La Seynoise s'est manifestée avec éclat en cette fin du XIXe siècle. Mais pour cette année 1891, citons des concerts donnés à Saint-Cyr, Bandol, Ollioules, Six-Fours, La Seyne... Ce fut aussi une moisson de diplômes, de palmes d'honneurs et de médailles d'argent. Qui plus est, une excursion à Saint-Tropez avait particulièrement enthousiasmé les membres de l'association et leur famille.
Au cours de cette même année, le conseil d'administration organisa une fête pour l'inauguration du nouvel étendard national dont la société avait été dotée. Cet étendard s'est depuis alourdi de nombreuses médailles de vermeil, d'or et d'argent récoltées dans les concours.
Cette fête eut un retentissement important dans notre ville. Les musiciens, partis de la salle des Aires, parcoururent la ville. Par la rue Victor-Hugo, ils gagnèrent l'Hôtel de Ville construit sur le port en 1847 à l'emplacement où se trouve l'actuelle maison commune. Ils exécutèrent des hymnes enflammés qui rassemblèrent la foule. Puis on remonta la rue de l'Hôpital (actuelle rue Clément-Daniel) en passant par la rue Hoche où l'on salua au passage le Cercle des Travailleurs. Parvenu à la place du Séminaire (actuelle Place Germain-Loro) le cortège redescendit vers le port en empruntant le Cours Louis-Blanc et la rue des Maures (actuelle Rue République).
Ce défilé se termina par un apéritif servi au Café de l'Univers et que les archives appellent un vermouth de l'amitié.
Le nombre des participants à ce vermouth de l'amitié fut prudemment limité car le trésorier, M. Roche, s'était donné tant de mal pour rétablir la situation financière qu'il n'aurait pas admis des dépenses excessives.
Pour réunir les fonds nécessaires à l'achat du nouvel étendard, un bal masqué avait été organisé dans le sous-sol de l'École Martini. Avant de devenir un gymnase, cette grande salle servit pendant très longtemps de lieu de réunion pour les syndicats, de salle de conférences et de salle de réjouissances mise à la disposition de toutes les formations artistiques. Parmi les invités à ce bal, on comptait naturellement les représentants de la Municipalité, mais aussi ceux des associations de la ville : L'indépendante, l'Orphéon Gaudemard, Les Flâneurs, Le Souvenir Français, Le Cercle des Travailleurs, Le Cercle des Montagnards, le Cercle Radical, le Cercle de l'Industrie, autant de groupements qui pouvaient se réunir et s'exprimer librement depuis l'instauration de la IIIe République.
En cette même année 1891, un autre événement de taille est à signaler indiquant bien que La Seynoise traversait une période faste : le 27 août, notre association participa au concours de musique de Brignoles où elle obtint le premier prix d'exécution sous la direction de Marius Silvy. Elle en revint avec un magnifique étendard de soie et la somme de cinq cents francs dont le trésorier dut se réjouir vivement.
Au début de l'année 1892, le bureau fut quelque peu remanié : M. Dauphin fut nommé vice-président, le secrétariat, confié à M. Schivo, fut renforcé d'un poste de secrétaire adjoint auquel M. François Garro fut élu. M. Léon Gay resta président et M. Roche continua de s'illustrer au poste de trésorier.
Au cours de sa première réunion, le nouveau conseil d'administration discuta de l'acquisition d'un terrain pour y établir le siège définitif de la société.
La Salle Coupiny, au quartier des Aires, qui était, rappelons-le, louée pour les noces, les communions et autres banquets, était de plus en plus demandée pour ces réjouissances. La Seynoise se voyait contrariée dans ses activités. Ses dirigeants auraient voulu posséder un siège afin que les musiciens soient bien chez eux.
Des pourparlers s'engagèrent avec la ville qui offrit un terrain, mais l'accord ne put se faire sur le prix jugé hors de portée du petit budget de La Seynoise.
À la vérité, ce n'était pas seulement le prix du terrain qui était un obstacle (cinquante centimes le mètre carré). Il fallait construire une salle de répétition et donc trouver des ressources importantes.
La solution à ce problème fut remise à plus tard et le programme pour l'année 1892 fut établi soigneusement. Il se résumait pour l'essentiel à des concours, des sorties, des excursions et à la participation à des fêtes locales dans les communes voisines. Tout cela, naturellement, en plus des cérémonies seynoises : 14 Juillet, Sainte-Cécile, etc.
Ainsi, un concours à Aix, les 14 et 15 Août permit à La Seynoise de remporter un premier prix d'exécution. Un autre concours, à Saint-Raphaël, plaça encore La Seynoise en tête des trente musiques concurrentes. C'est avec une médaille d'or qu'elle revint, toute fière, de cette compétition.
Mais arrêtons nous quelques instants sur ce concours qui provoqua bon nombre de discussions en Assemblée générale.
Le Président Léon Gay avait estimé que l'on pourrait, pour éviter l'ardeur de la canicule sévissant en ce mois d'août, effectuer le déplacement en bateau. Il existait à Marseille une compagnie dite de remorquage qui disposait de petits yachts capables de longer les côtes sans grand danger. L'horaire avait été ainsi fixé : en partant de la Seyne vers deux ou trois heures du matin, on pouvait accoster à Saint-Raphaël vers huit heures.
Oui ! Objectèrent certains musiciens - Mais le manque de sommeil ne nous mettra pas dans de bonnes conditions pour le concours ! Et si certains d'entre nous souffrent du mal de mer ? - ajoutèrent d'autres membres exécutants.
La discussion allait bon train et les avis, très partagés, ne laissaient entrevoir aucune solution de compromis. Tout le monde, à la réunion suivante, s'accorda finalement à penser que ce voyage était impossible par voie maritime. D'autant qu'il fallait payer le déplacement des bateaux non seulement de La Seyne à Saint-Raphaël, mais aussi de La Seyne à Marseille, leur port d'attache.
Le Président prit alors contact avec la société des bateaux à vapeur qui reliaient Toulon à La Seyne. Là encore, la négociation ne put aboutir. Alors Monsieur Gay écrivit à Monsieur Ortolan, Président de la Musique de Saint-Raphaël pour le prier de venir à la gare accueillir ses invités car c'est finalement par le train que nos Seynois rejoignirent le lieu du concours.
Notons avec intérêt que la fiche qu'il fallut présenter au Président du jury porte les renseignements suivants que nous reproduisons fidèlement :
La fiche nous apprend également qu'à cette date, la société possède deux étendards et vingt-cinq médailles, dont trois en or, douze en vermeil, neuf en argent et une en bronze (grand modèle). Elle détient également divers objets offerts en récompenses : palmes, diplômes, statuettes, bannières, etc.
La renommée de La Seynoise allait grandissant. Ses activités se multipliaient, mais ses moyens financiers la limitaient dans ses projets.
Nous l'avons évoqué, le problème du local pour les activités de l'association se posait. Où trouver les fonds pour non seulement acquérir le terrain que la commune cédait à un prix raisonnable, mais encore édifier cette salle dont on rêvait et dont les plans avaient été dressés : vingt-deux mètres de long, vingt mètres de large... ?
Sans doute, les dirigeants d'alors manquèrent-ils d'audace. C'est pourquoi il sera encore question de cette salle pendant vingt-cinq ans dans les réunions de bureau et les assemblées générales.
Puis, lorsque le projet aboutira enfin, nous le verrons en son temps, il faudra au président et au trésorier encore quinze ans de démarches pour achever de rembourser les emprunts. Ceci nous mènera en 1937, ce qui veut dire que l'épisode du local aura duré près d'un demi-siècle !
Il est vrai, messieurs les Présidents, que vos soucis n'auraient pas hanté vos rêves si les gouvernants de l'époque, considérant que répandre la pratique de l'Art musical dans les couches populaires était un axe important d'action, vous avaient donné les moyens de mener à terme vos entreprises militantes. Si le budget de la Culture, aujourd'hui, est loin de satisfaire les besoins et les aspirations des Français, il était, à l'époque, carrément inexistant. Ah ! il existait bien alors un Ministère des Beaux-Arts académique et parisien, mais pensez un peu si les soucis de La Seynoise arrivaient jusqu'à lui avec assez de force pour en tirer quelques subsides...
Pour en revenir à cette fin du XIXe siècle qui est l'une des périodes les plus brillantes dans l'histoire de La Seynoise, sa renommée était telle que de tous les coins du Var et des départements voisins elle était appelée à se produire.
Son répertoire comportait les oeuvres des plus grands maîtres de la musique et l'époque voulait que les foules accourent de fort loin pour entendre ces morceaux du répertoire de l'art lyrique que sont Faust, Mireille, l'Arlésienne, Manon, etc. qui étaient alors connus du public. Il n'était d'ailleurs pas rare qu'au cours d'une réjouissance familiale, un convive doté d'une belle voix chante le grand air d'un opéra célèbre. Les opérettes dites à grand spectacle avaient plus que jamais les faveurs du public qui se pressait à l'Opéra de Toulon pour entendre Les Mousquetaires au Couvent, les Cloches de Corneville, Les Vingt-huit jours de Clairette, Si j'étais Roi, etc.
Notre orchestre, fort de cinquante musiciens, jouait quelques-uns de ces airs très connus et que le public entendait toujours avec plaisir.
Mais voilà qu'après cette période faste, l'expansion de La Seynoise, malgré le succès qu'elle connaît, va être freinée.
Malgré les conquêtes ouvrières de la IIIe République, la vie sociale est loin d'apporter à nos Seynois d'alors toute satisfaction. Les travailleurs sont maintenant organisés en syndicats qui luttent pour de meilleurs salaires mais surtout pour avoir du travail. Le chômage, à cette époque aussi, sévit durement. Témoin la lettre du président Gay, datée du 28 juin 1892 et adressée au Maire de La Seyne, dans laquelle il demande une aide financière plus importante que la subvention habituelle. Il explique longuement les difficultés de ses musiciens dont la plupart sont des ouvriers employés aux Forges et Chantiers. On y apprend ainsi qu'à cette époque, le terme de chômage technique n'existe pas. Lorsque le patronat prie ses ouvriers de rester chez eux pour un jour, deux jours, ou parfois, hélas ! plus longtemps, il dit avec un sens remarquable de l'euphémisme qu'ils sont en promenade ! !
Dans ces conditions, certains musiciens, devant le manque à gagner, vont se louer ailleurs et envisagent même parfois de s'expatrier pour trouver un emploi plus stable.
Bien évidemment, la perte d'instrumentistes chevronnés sera douloureusement ressentie par La Seynoise.
Le Conseil d'Administration aurait voulu qu'aucun musicien ne quitte La Seyne, même provisoirement. Le prestige de notre musique était devenu tel qu'un ralentissement de ses activités était impensable. À cette époque, pour donner à la formation un aspect mieux en rapport avec sa renommée, il fut question de doter les musiciens d'un costume en leur demandant une participation modeste. Mais il fallut se contenter de la casquette avec la lyre comme insigne, une casquette en drap qu'à la saison d'été recouvrait une coiffe blanche. Il est certain que l'uniforme aurait été du meilleur effet, mais il fallut reculer devant la dépense.
Ne quittons pas cette année 1892 sans ajouter au bilan des activités la participation de La Seynoise à la célébration du centenaire de la République. C'est en effet en 1792 que, pour la première fois en France, la République était proclamée. Le Maire, Saturnin Fabre, attacha beaucoup d'importance à cette célébration à laquelle il avait convié les autres formations locales comme L'Indépendante, l'Orphéon des Flâneurs et l'Orphéon Gaudemard. Chacune d'elle joua ou chanta La Marseillaise devant l'Hôtel de Ville.
À la même période le Maire de Bormes, Monsieur Vigourel, demanda le concours de La Seynoise pour donner de l'éclat à trois inaugurations qui avaient lieu le même jour dans son village. La population en liesse vint célébrer la naissance d'un nouvel Hôtel de Ville, d'un groupe scolaire neuf et d'un monument élevé par souscription publique à la gloire de la Révolution Française. La Municipalité de Bormes avait estimé que seule La Seynoise était à la hauteur pour rehausser l'éclat de telles festivités et elle prit à sa charge tous les frais de déplacement.
Après les discours, le concert fut vivement applaudi et nos musiciens participèrent à un grand banquet réunissant également des personnalités locales et départementales sous le présidence du poète et romancier Jean Aicard (1).
(1) Aicard Jean. Écrivain français né à Toulon en 1848 et mort à Paris en 1921. Académicien français en 1908, il est surtout connu pour son Maurin des Maures écrit en 1908.
Cet exemple, nous l'avons relevé parce qu'il est remarquable, mais il n'est pas unique dans les annales d'une société musicale à qui des communes voisines firent souvent appel pour parer de musique une fête locale. Ainsi, des liens familiers purent se tisser, de ville à ville, et souvent entre musiciens de formations différentes. De sorte qu'au nom de l'amitié, des instrumentistes n'hésitaient pas à parcourir des distances parfois importantes pour prêter main-forte et pallier dans une formation amie, des carences momentanées.
Cette solidarité pouvait se manifester sous d'autres formes comme, par exemple, vendre des billets de tombola pour La Six-Fournaise ou La Conciliation de Saint-Mandrier. À charge de revanche...
Mais il est amusant de constater que, les tombolas devenant de plus en plus nombreuses - toutes les associations en organisaient et inondaient leur entourage de billets - un beau jour l'on en fut à ce point saturé que cela devint un désagrément. Et les tombolas furent quasiment supprimées.
Pour en finir avec 1892, rappelons que c'est le 20 Octobre de cette même année que fut inauguré le monument élevé à la mémoire des soldats et des marins morts pour la Patrie - monument appelé du Souvenir Français - fleuri chaque année par la Municipalité à l'occasion des cérémonies du 11 novembre.
La Seynoise participa avec les autres formations musicales de la localité à cette cérémonie.
On voit donc à la lecture de ce bilan que la vitalité de notre association se manifestait avec une force sans cesse accrue. Sans pouvoir toutefois répondre à toutes les sollicitations qui lui parvenaient des horizons les plus divers.
À travers toutes ses activités, La Seynoise s'était liée aux organismes les plus divers : syndicats ouvriers, municipalité, partis politiques, associations sportives, sociétés de secours mutuel - ancêtre de nos mutuelles - ou associations étrangères comme la Fratellanzano popolare, société italienne de secours mutuel qui fondée en 1888, siégeait au numéro 23 de la rue Victor-Hugo.
À la fin du XIXe siècle, les immigrés italiens de plus en plus nombreux fondèrent des associations de solidarité pour faire face à leurs conditions de vie et de travail extrêmement pénibles.
Nos anciens nous ont parlé de ces hommes de peine italiens qui cherchèrent tout naturellement à nouer les relations les plus cordiales avec les familles ouvrières seynoises.
Ce ne fut pas toujours facile. Aujourd'hui où la majorité des Seynois ont une branche de leur famille d'origine italienne, on peut voir mutatis mutandi le même phénomène se reproduire avec les travailleurs maghrébins. L'histoire nous apprend que les propos justifiant les exclusions sont les mêmes que ceux que l'on tenait pour les Italiens :
Les problèmes de racisme se posaient avec une acuité renforcée par l'existence - comme aujourd'hui - d'un taux de chômage important frappant régulièrement les travailleurs du chantier.
Ces derniers, comme les autres membres de la - population seynoise, sortaient bien sur le pas de leur porte pour applaudir la Fanfare garibaldienne, mais ils reprochaient à ces Italiens surnommés souvent avec mépris les Piantou ou bien les Bàbi (crapaud) ou les Macaroni, de venir manger le pain des travailleurs français. Cela désobligeait et faisait bien souffrir ces pauvres gens chassés de leur pays par la misère et qui étaient - ne l'oublions pas - pain bénit pour un patronat qui trouvait en eux de la main d'oeuvre docile, âpre à la tâche et que l'on sous-payait.
À La Seynoise, il semble que ce sectarisme n'ait pas été trop de mise. On répondait volontiers à l'invitation de la Frantellanzano popolare lorsqu'elle célébrait l'anniversaire de sa fondation ou à celle de la Subalpina italiana, autre société de secours mutuel plus ancienne que la première, puisqu'elle avait été fondée en 1886.
Alors, on buvait ensemble le vermouth de l'amitié, on dansait, on jouait de la musique et l'on se promettait une aide mutuelle. Et puis, au fil des années, on put voir de nombreux jeunes gens immigrés rejoindre les rangs de La Seynoise où ils devinrent d'excellents instrumentistes.
Citons au passage les Taliani, les Gilardi, les frères Garro, les Massello, les Bergonzo, Bonino, Falco, Molinari, Vallarino, Ciarlo, Schivo, Baccino, Bonaccorsi, etc.
Ne venaient-ils pas de ce pays qui a donné le jour à tant de grands Maîtres de la Musique ? Guiseppe Verdi (2) n'était-il pas leur concitoyen ?
(2) Verdi Guiseppe (1813-1901). Fils d'un aubergiste de village, il découvrit la Musique grâce à une formation locale. Dès 1839, son premier opéra, Oberto, écrit pour La Scala de Milan, connut le succès. Mais c'est avec Nabucco (1842) et I Lombardi (1843) qu'il reçut la gloire. Sa popularité fut le fruit de son puissant souffle dramatique et patriotique s'appuyant sur les idées naissantes d'une Unité italienne. D'ailleurs en 1861, il entra au Parlement. Verdi a incarné dans l'Europe tumultueuse du XIXe siècle l'idéal humaniste du Romantisme.
Nous retrouverons plus tard la plupart de ces noms parmi les soixante-neuf exécutants du fameux concours de Cannes en 1904, dont on lira plus loin la liste nominative des participants.
Mais auparavant, évoquons deux événements extraordinaires qui eurent lieu l'année suivante.
Visite de l'escadre russe le 13 Octobre 1893
Nous nous sommes un peu attardés sur les années 1891 et 1892 pour vous montrer quelle était la vie quotidienne d'une association pendant la dernière décennie du XIXe siècle.
Il serait fastidieux de poursuivre cette énumération de manifestations diverses. La Seynoise fit face scrupuleusement à toutes ses obligations à la grande satisfaction des Seynois qui accouraient au son des trompettes et aux roulements des tambours tantôt pour une cérémonie, tantôt pour un bal, tantôt pour un concert donné devant l'Hôtel de Ville ou au bas du Cours Louis-Blanc.
Au mois d'octobre 1893, une escadre russe, sous le commandement de l'Amiral Avellan vint faire escale à Toulon dans le but de resserrer une alliance apparemment défensive.
Après l'humiliation qu'avait représenté pour le pays la défaite de Sedan, en 1870, la Bourgeoisie française au pouvoir, désireuse de rompre un isolement diplomatique et de conserver les conquêtes de son immense empire colonial, noua des relations avec la Russie des Tsars.
La visite à Toulon de cette escadre russe répondait - dit-on - courtoisement à celle effectuée en 1891 par l'Amiral Gervais à Cronstadt.
En fait, le propos était de mettre sur pied des alliances militaires qui, dans l'esprit de Revanche qui animait les gouvernants français, allaient conduire à la première guerre mondiale.
Une alliance existait sur le plan militaire avec la Russie, mais pour la rendre, le cas échéant, plus efficace, il fallait qu'elle soit populaire.
C'est pourquoi, en cette matinée du 13 octobre 1893, les musiciens de La Seynoise avaient été mobilisés comme tous leurs collègues de la région toulonnaise, pour saluer les représentants de la Russie à Toulon.
Des centaines de bateaux grands et petits, des paquebots, des steamers, des yachts, des tartanes, des barques de pêche ou de plaisance, venus des ports de la côte et même de Marseille, s'étaient portés au-devant de l'escadre russe qui resta dix-sept jours en rade de Toulon.
Toutes les administrations, les corporations, tous les ateliers, avaient été mis en congé pour cette journée qui s'annonçait comme un fait exceptionnel.
Dans les jours qui suivirent, que ce soit à La Seyne, à Toulon, à Hyères, à Six-Fours, etc. ce ne furent que réjouissances, réceptions à la Mairie, concerts sur les navires, représentations théâtrales, batailles de fleurs, etc.
Naturellement, nos musiciens prirent une large part à la liesse générale qui devait se prolonger, quelques jours plus tard, avec un autre événement extraordinaire.
Le Président de la République à La Seyne
Le 27 octobre de cette même année 1893, il fut procédé au lancement du cuirassé Jauréguiberry (3) construit aux Forges et Chantiers de la Méditerranée alors sous la direction de Monsieur Amable Lagane.
(3) Jauréguiberry Jean-Bernard (1815 - 1887). Amiral français qui servit en Crimée, en Chine et en Cochinchine avant d'être nommé Gouverneur du Sénégal. Membre du gouvernement de la Défense Nationale en 1870, il fut aussi combattant. Élu député en 1871 et 1872, puis Sénateur inamovible en 1879, il fut deux fois Ministre de la Marine (1879-1880 et 1882-1883).
Le Président de la République Sadi Carnot (4) vint assister à cette cérémonie.
(4) Carnot Marie François Sadi (1837 -1894). Fils de Lazare Carnot, polytechnicien, il fut nommé Préfet lors de l'avènement de la IIIe République, le 4 Septembre 1870, puis fut élu député républicain en 1871. Plusieurs fois ministre, il fut élu Président de la République en 1887. Après avoir connu l'agitation boulangiste et le scandale de Panama (1892), il fut assassiné en 1894 par l'anarchiste Caserio lors de l'Exposition de Lyon.
Il fut reçu à l'appontement disposé devant l'Hôtel de Ville par Monsieur le Maire Saturnin Fabre qui avait convié La Seynoise et les autres formations musicales locales pour saluer le Président.
Après les présentations d'usage, le cortège présidentiel rejoignit le Chantier aux accents entraînants des pas redoublés. Toute la population de la commune et des environs était là, massée sur les trottoirs et criait : « Vive Sadi Carnot ! Vive la République ! ».
Les enfants des écoles avaient été invités par leur maître ou maîtresse à s'endimancher. Ceux qui ne possédaient pas de vêtements présentables - et cela n'était pas rare à l'époque - ne furent admis qu'au second rang. Ils avaient tout de même la consolation de brandir comme les autres, un petit drapeau tricolore qu'on leur avait demandé d'agiter en criant : « Vive le Président de la République ! » sur le passage du cortège.
Les petites filles, sur l'ordre de l'Administration, avaient soigné leur mise autant que faire se pouvait. Avant de quitter leur école où on les avait rassemblées, les institutrices, aidées de quelques mamans, avaient noué dans les chevelures soignées pour la circonstance, de grands rubans tricolores.
Bien avant l'arrivée des officiels, la foule se pressait sur les trottoirs pour occuper le premier rang. On ne voulait rien perdre de ce spectacle rarissime. Pensez donc ! Un président de la République à la Seyne ! Ce n'était pas un événement banal.
Notre ville avait bien reçu dans le passé des personnalités de haut rang. Pour ne s'en tenir qu'à la période la plus récente, elle avait vu, en 1793, Napoléon Buonaparte mettre en place un dispositif militaire permettant d'arracher la ville de Toulon des mains des Anglais dans lesquelles l'avaient livrée les Royalistes locaux.
Puis ce fut Napoléon III qui vint en 1852, un an après le Coup d'État, pour se recueillir au Fort Napoléon et à la Batterie des Hommes-sans-Peur, lieux où son oncle avait conquis sa célébrité.
Naturellement, en 1793, peu de gens se souciaient de l'obscur officier artilleur et en 1852, l'empereur nouvellement sacré, dont le règne naissant s'appuyait sur une répression sanglante, notamment dans le Midi, se soucia peu d'associer la population à sa visite.
Avec Sadi Carnot, il en alla tout autrement.
Le lancement du cuirassé fut un succès éclatant pour notre Construction navale. Le soir même, un banquet offert par la Municipalité réunit les sous-officiers et les marins russes qui étaient à trois jours d'appareiller, dans la grande salle de l'Eden Théâtre, établissement construit en 1891 sur la limite sud de la place dite de la Lune et baptisée successivement Noël-Verlaque (5) et Benoît-Frachon (6).
(5) Verlaque Noël. Personnalité de la construction navale à La Seyne. Ingénieur des Chantiers, devenu directeur, à qui succéda Monsieur Lagane en 1872. Il fut également Conseiller municipal et Conseil général du canton dans les années 1865. Il fit construire une demeure bourgeoise au quartier des Sablettes pour y vivre sa paisible retraite, que les Seynois ont longtemps connue sous le nom de Château Verlaque.
(6) Frachon Benoît. Syndicaliste français, né en 1893 au Chambon-Feugerolles, Loire. Mort en 1975 aux Bordes, Loiret. Il joua un rôle déterminant lors des accords Matignon puis dans l'organisation de la CGT dont il fut secrétaire général (1936-1939, 1944-1967), puis président (1967-1975).
Avec l'Eden, les Seynois connurent pour la première fois un véritable théâtre où pendant plus de trente ans, des spectacles en tout genre eurent les faveurs du public : opérettes, comédies, vaudevilles, opéras, comiques, pastorale et même music-hall.
Les moyens de communication étant rares vers la fin du XIXe siècle, nos anciens, amateurs de bel canto n'hésitaient pas à se rendre à Toulon à pied. En effet, depuis octobre 1862, un Opéra avait été construit dans cette ville et qui existe toujours.
À La Seyne, les spectacles étaient suivis par un public passionné et exigeant dans l'Eden Théâtre, concert qui devint par la suite le Comédia où le cinéma parlant fit son apparition au détriment des représentations théâtrales.
En 1944, lors du bombardement libérateur américain du 29 avril, de sinistre mémoire, l'établissement fut complètement détruit. Sur son emplacement déblayé furent édifiées des constructions préfabriquées à usage d'école primaire.
Actuellement, l'office municipal des H.L.M. y a son siège parmi des bâtiments qui hébergent, outre ses bureaux, des logements.
Mais, pour en revenir à cette journée mémorable, le banquet fut suivi d'un grand concert au cours duquel La Seynoise produisit les plus belles oeuvres de son répertoire. Et le poète Jean Aicard, qui honorait l'assemblée de sa présence, récita des vers composés pour la circonstance.
Célébration du centenaire de la prise de Toulon
Enfin, en décembre, était célébré le centenaire de la Prise de Toulon.
C'est, en effet, le 17 décembre 1793 que, sous une pluie battante et après avoir mis en place un dispositif ingénieux, Bonaparte, depuis la batterie dite des Hommes-sans-Peur, enlevait sur la colline Caire une redoute tenue par les Anglais. Il conduisit lui-même l'assaut et fut blessé légèrement. Ce fort, rebâti en 1821, devint le Fort Napoléon dont la Ville de La Seyne a fait récemment l'acquisition.
Rappelons que ce sont les Royalistes toulonnais qui avaient livré leur ville à l'armée de la coalition européenne, plutôt que d'accepter le nouveau régime issu de la Révolution Française. Ainsi, lorsque sous les coups de l'Histoire des privilèges tombent, ceux qui en étaient les bénéficiaires n'hésitent pas à trahir leur Patrie plutôt que de se plier à la volonté majoritaire.
Lorsque, après différentes phases qui démontrèrent le génie militaire de Napoléon Bonaparte, Toulon fut repris, le gouvernement révolutionnaire, en signe de représailles, débaptisa la ville qui portera jusqu'en 1794 le nom de Port la Montagne.
Cet événement historique auquel participa un homme qui allait diriger le pays se devait d'être célébré par la Municipalité de la Seyne. Bien sûr, La Seynoise était présente.
Elle participa au défilé qui conduisit le Maire Saturnin Fabre et son Conseil municipal au Fort Napoléon que l'on appelait surtout alors Fort Caire du nom de l'ancien propriétaire de ce terrain. Là, des discours furent prononcés à la gloire des combattants de 1793, ces soldats de l'an II, et à la gloire de leurs chefs prestigieux.
Comme on peut en juger par ces rappels d'activités brillantes, la doyenne de nos associations seynoises se manifestait partout et en toute occasion. D'année en année, de festivals en concours, son étendard se couvrait de médailles.
Elle avait alors plus de cinquante ans d'existence et ses musiciens chevronnés l'avaient fait connaître partout dans le département et dans notre région provençale, malgré les difficultés que nous avons évoquées.
Mais elle avait trouvé une grande stabilité dans sa direction, ce qui lui permit, l'année suivante, de progresser encore en portant le renom de notre cité au-delà des limites de notre département et même de notre région, puisqu'elle participa au concours international de Lyon.
Vers la célébrité : le concours international de Lyon
Depuis le début de l'année, la Confédération Nationale des Musiques de France avait arrêté l'organisation d'un concours international pour le mois d'août. Cette compétition était ouverte à des formations très diverses : musiques d'harmonie, fanfares, orphéons, etc. et avait suscité un grand intérêt en France, ce qui lui valut de recevoir un nombre très important d'inscriptions.
Sous la présidence de Léon Gay, sous la baguette de Marius Silvy, il fallut bien des efforts pour entraîner les musiciens dans cette perspective. Aux difficultés de tous ordres que nous avons évoqués plus haut s'en ajoutait une autre : la salle Coupiny, rue des Aires, ne pouvait plus contenir tous les musiciens de La Seynoise dont le nombre sans cesse croissant, atteignit un seuil élevé l'année du concours de Lyon.
La Municipalité, très compréhensive, autorisa La Seynoise à répéter au sous-sol de l'école laïque, c'est-à-dire dans la grande salle qui deviendra le gymnase Martini.
Mais ce sont surtout des problèmes financiers qu'il fallut régler pour faire face aux dépenses de transport, de nourriture, de logement, etc. On fit appel à la générosité de tous et ce ne fut pas en vain : des dons allant jusqu'à cent francs - cent francs or de l'époque - émanant de Marius Michel, dit Michel Pacha, ou de Monsieur Allègre, ex-gouverneur de la Martinique et membre honoraire de La Seynoise, furent nombreux. L'amour de la musique, mais aussi la fierté de clocher qui joue toujours en pareil cas, poussèrent les citoyens les mieux nantis à ouvrir leur bourse. Aussi, le trésorier vit-il assez rapidement tomber dans son escarcelle les sommes indispensables. La Municipalité, de son côté, accorda une aide supplémentaire.
Mais le Président et ses amis du Conseil d'administration ne voulurent pas se contenter de la générosité publique. Partout où cela fut possible, on organisa des représentations et des concerts au profit de la trésorerie spéciale ouverte pour le concours. Ainsi, un spectacle important fut donné au Casino Cayol, à Six-Fours, grâce à l'amabilité du Maire de l'époque, Monsieur Esprit Simon.
Un comité dynamique, qui souhaitait ardemment des succès pour notre philharmonique, impulsa l'élan. Aussi, la préparation allait-elle bon train dans l'enthousiasme général.
Et voilà que se produisit un événement dramatique : le 24 Juin 1894, le Président Sadi Carnot fut assassiné par Caserio, un anarchiste italien.
L'attentat se produisit à Lyon, là où, précisément devait avoir lieu le concours international quelques semaines plus tard.
La consternation gagna la France entière et n'épargna pas La Seyne qui se souvenait de la visite de l'Homme d'État, l'année précédente, lors du lancement du Jauréguiberry.
Il va sans dire que cet attentat criminel avait soulevé l'indignation générale contre ces individus stupides qui croient pouvoir changer l'ordre social en supprimant physiquement de hautes personnalités.
Un deuil national de trente jours fut observé. Les fêtes locales furent repoussées aux 28, 29, 30 et 31 juillet. Le Conseil d'administration de La Seynoise se fit un devoir d'adresser deux télégrammes de condoléances, l'un destiné à Madame Carnot, au Palais de l'Elysée, l'autre au Maire de Lyon.
Mais le concours ?
Il y eut quelques hésitations au sein de la Fédération nationale organisatrice du concours. Devait-on le maintenir ou fallait-il le renvoyer à l'année suivante ?
Finalement, compte tenu du fait que la préparation à cette manifestation était passablement avancée et que des frais importants avaient été engagés, on ne jugea pas opportun d'en repousser la date. Le deuil national n'en serait pas moins respecté et le concours aurait bien lieu les 12, 13 et 14 août.
Aux dates prévues, une délégation de quatre-vingts Seynois dont quatre femmes se rendit donc à Lyon. L'organisation du voyage avait été réglée dans les moindres détails : logement, déplacements, restauration, lieux de compétition, etc.
Nous passerons sur le déroulement du concours dont la narration par le menu serait lassante, pour en arriver au palmarès.
Lorsque fut donnée sa lecture, La Seynoise se vit attribuer un premier prix d'exécution avec médaille d'or, un second prix de lecture à vue, un second prix d'honneur et un second prix de soli, ces derniers se matérialisant par quatre médailles de vermeil.
On peut parler sans exagération de triomphe.
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Côté pile et côté face de la médaille d'or offerte au Président Léon Gay en août 1894 lors du concours international de Lyon. Archives privées de Madame Toche, fille du Président Gay (Repro F. Laï) |
Dès que les résultats furent connus à La Seyne, le Maire Saturnin Fabre, qui ne laissait rien au hasard, expédia à Lyon le télégramme suivant :
« Bravo ! Bravo ! Recevez vives félicitations de tous nos concitoyens. Nous sommes heureux et fiers de vos succès ».
Un autre télégramme signé « Maire et Adjoints » suivit le premier avec ce texte :
« Cordiales félicitations - Mairie et cafés pavoisés - Port illuminé ».
Nos musiciens furent profondément touchés par ces marques d'amitié et d'encouragements. Leur retour à La Seyne, on s'en doute, s'effectua dans l'exaltation des succès bien mérités par des mois d'efforts persévérants.
L'arrivée des voyageurs fut un véritable triomphe. La population ovationna notre vaillante philharmonique avec force embrassades et chansons. La fête se poursuivit pendant plusieurs jours. Des télégrammes, des lettres de félicitations parvenaient à la rue des Aires, expression de sentiments d'admiration et d'amitié émanant des associations artistiques du département. De nombreuses personnalités se joignirent à ce concert d'éloges, adressant leur profonde reconnaissance aux musiciens qui avaient porté bien haut le prestige de la ville de La Seyne et du département du Var.
Léon Gay était un président comblé qui n'oubliait pas que le succès était dû avant tout à un travail acharné de tous les musiciens et de leur chef remarquable, Marius Silvy.
Ces brillants résultats, on les devait aussi à tous les animateurs, aux bienfaiteurs généreux, en somme à tous ceux qui, pendant des mois, avaient fait preuve d'un dévouement exemplaire.
La Seynoise connaissait la célébrité.
Nos concitoyens eurent l'occasion quelques semaines plus tard, d'entendre les morceaux exécutés au concours de Lyon. Ce fut très certainement au mois de Septembre. À cette occasion, l'orphéon Jeune France de Saint-Jean-du-Var se proposa de participer à ce concert et d'y chanter les épreuves du concours. C'est ainsi que retentirent à La Seyne les airs de La Taverne des Mousquetaires, Les Derniers Jours de Pompéi, la Chanson des Fleurs, Les Pèlerins du Devoir, etc.
À la fin de l'année 1894, le Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts accorda une subvention de CENT FRANCS à La Seynoise à titre d'encouragement. Le trésorier Roche, à la réception de cette somme, fut particulièrement heureux car les apéritifs du retour avaient creusé un trou profond dans son budget.
Ce fut donc une belle page que notre association, son Président, ses musiciens et ses sociétaires écrivirent cette année-là dans notre histoire locale.
Au début de l'année 1895, La Seynoise reçut un cadeau des officiers et de l'équipage du cuirassé brésilien Riachuello en signe de remerciement pour sa participation à une cérémonie funèbre. C'est un magnifique étendard qui fut offert et, quelque cinquante ans plus tard, ce présent qui avait subi les injures du temps devra être restauré.
On voit à la lecture des archives que notre philharmonique est sollicitée de tous côtés pour des festivals, des célébrations d'anniversaire, des cérémonies inaugurales, etc.
Faisaient appel à La Seynoise d'abord, des organismes divers comme les Municipalités du département, les sociétés musicales, les sociétés de gymnastique, le sou des écoles laïques, les syndicats ouvriers qui prenaient chaque jour une importance croissante, les sociétés de secours mutuel, y compris les sociétés étrangères, la Direction des Forges et Chantiers de la Méditerranée, au moment du lancement de navires, etc.
La Seynoise, certes, mais il serait injuste de passer sous silence une autre formation artistique. L'Indépendante, créée plus récemment, qui donna naissance à L'Avenir seynois et qui joua pendant plusieurs décennies un rôle non négligeable dans notre ville.
Il ne s'agissait pas toujours de grands spectacles : concerts publics en plein air, concerts donnés à l'Eden théâtre, quand la saison ne se prêtait plus à des activités à l'extérieur, festivals de musique, carnavals, batailles de fleurs, etc. Les petites sorties dans la rue donnaient déjà un certain relief à la vie associative naissante.
Etait-ce la fête du Président ? La musique venait jouer sous ses fenêtres une aubade ou une sérénade ou La Marseillaise ou un pas redoublé qui mettait tout un quartier en joie. Les enfants faisaient rapidement escorte au défilé des musiciens et l'on admirait le bel étendard de La Seynoise déjà vénérable en cette fin de siècle. Les gens accouraient sur le pas de leur porte
Un autre prétendait qu'on voulait fêter sa nomination au grade de contremaître et les commérages allaient bon train.
Quels qu'en soient les prétextes, ces sorties donnaient l'occasion d'un spectacle, d'une animation qui venait s'ajouter aux fêtes des vendanges, à la représentation de La Pastorale de Maurel et à bien d'autres choses encore.
Ainsi, l'audience de La Seynoise avait grandi considérablement et notre société musicale ne parvenait pas à répondre à toutes les sollicitations.
Les musiciens s'insurgeaient même parfois, objectant la fatigue que leur valaient ces multiples prestations. La plupart d'entre eux étaient en effet des travailleurs de la terre ou du chantier naval et devaient embaucher très tôt le matin. Quand les bals se prolongeaient à des heures tardives, on comprend que le manque de sommeil ait pu les rendre quelquefois de mauvaise humeur.
D'autant que les concerts qui étaient donnés de nuit posaient aux musiciens des problèmes particuliers. En effet, avant l'époque des girandoles, les larges pupitres conçus pour trois musiciens n'étaient éclairés qu'aux extrémités par une lanterne, souvent ballante pour peu que souffle le vent, et la lueur vacillante des bougies ne permettait souvent qu'une lecture approximative de la partition.
Nos braves musiciens écarquillaient donc leurs yeux pour jouer sans faute et dans ces conditions, les concerts nocturnes devenaient de véritables prouesses qu'accomplissaient très honorablement nos concitoyens.
C'était là la rançon de la gloire !
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© Jean-Claude Autran 2016