La Seyne_sur-Mer (Var)   Histoire de La Seyne_sur-Mer (Var)
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de l'Histoire de La Seynoise
Marius AUTRAN
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Histoire de la Philharmonique La Seynoise (1984)
CHAPITRE TROIS :
Des années dramatiques
(Texte intégral du chapitre)

 

 Grave incident de parcours

Hélas ! ces jours heureux, cette période faste de succès accumulés n'allait pas durer plus longtemps. Un coup d'arrêt brutal allait être porté aux activités fécondes de La Seynoise grandement appréciées de la population.

En effet, sans que rien ne la laisse prévoir, sans que rien ne la justifie, une mesure d'interdiction vint frapper perfidement notre association.

Pour bien comprendre ces événements, il faut se rappeler qu'en 1887, Monsieur Saturnin Fabre, Maire de la ville, avait accordé une subvention de deux cents francs or à La Seynoise. C'était la première fois que la société recevait des subsides de la Municipalité. On se doute qu'à la suite de cela, les relations entre les élus et les membres de La Seynoise devinrent plus chaleureuses et se traduisirent par la présence de la musique à toutes les cérémonies commémoratives, inaugurations, réjouissances diverses, etc. Le Président répondait toujours favorablement aux invitations.

Cela ne fut pas du goût des adversaires de la Municipalité. En accordant une subvention, Saturnin Fabre savait qu'il se ferait des amis, mais il serait injuste de réduire ce geste à une seule démarche électoraliste. Le Maire pensait en effet que les pratiques culturelles ont de l'importance et qu'un maire compétent se doit de les encourager.

Saturnin Fabre, qui exerçait la profession d'ingénieur, doit être considéré comme un bon maire, même si ses options politiques peuvent être discutées.

Pendant son passage à la tête des affaires de la Ville, de 1886 à 1896, il eut de nombreuses initiatives très positives et dont les Seynois furent les bénéficiaires. Par exemple, il fit percer les plus grandes avenues, c'est lui aussi, qui fit cimenter les rues et c'est à lui que l'on doit la construction de l'abattoir, de la Poste, rue Hoche. C'est lui, encore, qui eut l'idée de l'assainissement de la ville continué avec l'acheminement de l'eau des Moulières vers le centre de notre cité. Il pensa même construire un grand hôtel pour les touristes à l'entrée de la forêt de Janas avec un téléphérique desservant le belvédère de Notre-Dame du Mai.

Mais à eut à affronter un grave problème qui sera à l'origine d'une vive agitation à La Seyne.

En ce temps-là, les égouts des villes de l'aire toulonnaise se jetaient dans la rade directement ou par le truchement de petits ruisseaux qui ne faisaient leur toilette que lors des grosses pluies. L'accroissement régulier de la population en vint à rendre cette situation intenable. Aussi, à la fin du XIXe siècle, la Municipalité toulonnaise proposa à la ville de La Seyne la construction d'un émissaire commun pour évacuer les eaux usées au large du Cap Sicié.

Saturnin Fabre donna son accord de principe, estimant qu'il n'était pas possible de tolérer plus longtemps la pollution de la rade avec ce qu'elle représentait de menaces pour l'hygiène publique.

Mais, direz-vous, quel rapport entre ces histoires d'effluents et notre association ? Le simple bon sens aurait voulu qu'il n'y en eût point. Mais nous allons voir comment La Seynoise fut victime d'une tragi-comédie aux multiples rebondissements et dont le dénouement se fera bien attendre.

Année 1896 - La Seynoise à Cavalaire
Année 1900 - La Seynoise en excursion à Besse-sur-Issole

Aux bords du lac

La Seynoise est dissoute

Nous sommes en 1896. Le Conseil Municipal est renouvelable et M. Saturnin Fabre est opposé à M. François Bernard, directeur de l'octroi et qui se présente sous l'étiquette du Parti progressiste socialiste.

Quand il apprend que Monsieur Fabre a accepté le principe d'un passage souterrain dans la commune de La Seyne pour déverser les eaux usées de Toulon vers la haute mer, il ameute ses amis et fait du problème de l'assainissement son cheval de bataille.

Une violente campagne est alors lancée par tracts, affiches, réunions publiques, chansons qui accusent Saturnin Fabre de mettre en danger la santé des Seynois en laissant les déjections des Toulonnais passer sur le territoire de la commune.

« Nous ne voulons pas de cette canalisation dont l'étanchéité sera problématique » diront les adversaires de Monsieur Fabre qui parleront même de s'opposer aux travaux par la force.

La polémique s'envenima alors et prit des proportions incroyables. Malgré toutes ses explications techniques, M. Fabre ne parvint pas à renverser le courant défavorable dont François Bernard et ses amis étaient les initiateurs.

Battu aux élections municipales, il quitta La Seyne, le coeur plein d'amertume, pour se retirer en Isère. Il ne revint jamais et laissa aux Seynois le soin de trouver eux-mêmes les solutions à leurs problèmes.

Aujourd'hui, le temps passé a montré, que ses conceptions sur la difficile question de l'assainissement étaient les seules qui soient conséquentes. Ce n'est que... SOIXANTE ANS PLUS TARD qu'après bien des discussions, on étudiera et réalisera ce projet que Saturnin Fabre avait retenu.

La Seynoise qui, comme nous l'avons dit, entretenait les meilleures relations avec Monsieur le Maire Saturnin Fabre, devait supporter les conséquences néfastes de la défaite électorale de ce dernier. En effet, François Bernard, le candidat victorieux, d'esprit vindicatif, allait avoir une attitude sectaire au grand dam des musiciens et de leur président. Sans doute, emporté par son désir de vengeance, il se comporta avec une telle maladresse qu'il récoltera quelques années plus tard les fruits amers d'une politique à courte vue.

 

Une mesure arbitraire

Il serait naïf de nier que nombreux furent les membres de La Seynoise qui soutinrent le Maire sortant.

Sans doute ne le firent-ils pas au sein de leur association qui s'interdisait toute action politique de par ses statuts, mais allez donc empêcher les gens de s'exprimer ! Si l'on ne discutait pas de la candidature de Saturnin Fabre à la rue des Aires, on en parlait ailleurs et tout se savait dans La Seyne qui était alors un gros bourg où chacun connaissait chacun.

Les faiseurs de cancans, les colporteurs de ragots et autres basarettes s'en donnèrent à coeur joie, passant de porte en porte pour semer la zizanie.

Dans le même temps, on distribuait des tracts, des chansons rédigées en Provençal, comme le montre le document ci-joint dont le texte fut chanté au siège de la jeunesse socialiste et qui annonçait la formation d'un comité de lutte contre le projet d'assainissement défendu par Saturnin Fabre.

C'est au mois de juillet 1896 que le conflit qui couvait éclata brusquement : à une lettre du président Gay qui avait sollicité de la Municipalité l'autorisation de donner un concert pour le 22 du même mois, à huit heures trente, le Maire François Bernard répondit par la négative. Sa lettre concluait en ces termes :

« ... attendu que la sortie de La Seynoise pourrait provoquer des troubles dans la ville, la permission demandée par ce corps musical est refusée ».

et plus loin :

« Monsieur le Commissaire de Police voudra bien veiller à la stricte exécution de l'ordre ci-dessus et dressera procès-verbal s'il y a lieu ».

À cette escarmouche devait succéder quelques jours plus tard une attaque foudroyante. Cela se passait le 8 août 1896, l'une des dates de plus triste mémoire qui soit pour La Seynoise. Ce jour-là, en effet, Monsieur le Maire prit un arrêté de dissolution de la société.

Absolument abasourdis, le Président Gay, les musiciens, les membres honoraires et une grande partie de la population ne pouvaient en croire leurs yeux lorsqu'ils purent prendre connaissance du texte de délibération affiché sur les murs.

La presse locale, (le Petit Marseillais, le Petit Var, la République du Var) annonça alors que La Seynoise n'existait plus. Les journalistes en quête de sensationnel allaient multiplier les enquêtes et la matière ne manquerait pas pour cette affaire dont les péripéties allaient se dérouler sur plusieurs années.

 

Premières démarches

Mais pourquoi donc La Seynoise fut-elle frappée seule ? De quoi s'était-elle rendue coupable ? « Nous sommes en République ! » disait-on autrefois, et les associations ont bien le droit de vivre !

Et puis, peu de temps auparavant, l'autorisation ne lui avait-elle pas été donnée d'organiser un troisième concours d'été sur le port... ?

Les autres sociétés, comme L'Avenir seynois, l'Orphéon Gaudemard, La Conciliation de Saint-Mandrier, hameau qui faisait alors partie intégrante de la commune de La Seyne, avaient bien la libre circulation sur la voie publique ? Pourquoi donc avait-on frappé La Seynoise seule ?

Dès la parution de l'arrêté municipal, une délégation composée de quatre membres honoraires de La Seynoise intervint auprès du Maire pour exprimer son indignation et lui demander d'annuler sa décision.

Le premier magistrat n'était pas un homme à se laisser fléchir malgré les arguments avancés par les vénérables intervenants empreints, au demeurant, du plus grand esprit de conciliation.

Il accepta cependant de recevoir la délégation, mais ses propos plutôt évasifs firent état d'injures proférées contre sa personne et d'une certaine agitation entretenue dans la ville par des meneurs. Mais tout cela énoncé sans grande conviction ni beaucoup de précisions.

Il déclara pour conclure que son arrêté du mois d'août serait maintenu et la délégation s'en retourna faire son compte rendu aux adhérents de La Seynoise et à son Conseil d'Administration. Mais personne ne put exposer des motifs vraiment sérieux justifiant une telle mesure.

Au sein de l'association, la protestation s'amplifia car on ne pouvait concevoir une telle sanction que seuls des manquements d'une extrême gravité pouvaient expliquer.

Un espoir demeurait encore : la décision du Maire devait recevoir l'assentiment du Préfet et, pour ce faire, il serait contraint d'être un peu plus explicite.

Les membres de La Seynoise, pour savoir la vérité et mettre le Maire François Bernard en difficulté, multiplièrent les interventions auprès des Pouvoirs publics. On espérait toujours que l'arrêté municipal n'aurait pas l'assentiment du Préfet.

Mais les événements tournèrent de plus en plus mal pour La Seynoise et le 7 décembre 1896, un arrêté d'interdiction émanant de la Préfecture fut signifié au Président Gay. Que disait cet arrêté ?

« ... Considérant qu'il n'a été tenu aucun compte des observations adressées et des avertissements donnés à plusieurs reprises aux représentants autorisés de ladite société par l'Administration préfectorale.

Considérant que des membres de cette société n'ont pas craint de s'insurger contre l'autorité municipale et de provoquer des troubles et des scandales sur la voie publique, que des contraventions ont dû être dressées contre les fauteurs de ces désordres et que ceux-ci, poursuivis devant le tribunal de simple police de La Seyne ont été condamnés par Jugement du 5 décembre 1896.

Considérant qu'il y a intérêt à ne pas laisser subsister une association qui paraît actuellement tout à fait détournée de son but, La Seynoise est et demeure dissoute ».

 

Démarche auprès du Préfet

Le lendemain de la publication de ce document, le Conseiller municipal Morice Ruff, solidaire de La Seynoise, donna sa démission.

Mais on peut noter que, curieusement, le Maire de La Seyne ne reçut accusé de réception de cette démission transmise à la Sous-Préfecture, que le 5 janvier 1897, soit un mois après qu'elle ait été envoyée. Dans l'intervalle et par deux fois, le Sous-Préfet essaya de faire revenir le Conseiller municipal sur sa décision, par crainte qu'elle n'influence d'autres élus municipaux. Le Président Gay, en effet, ne manquait pas d'amis dans tous les milieux seynois.

Nullement découragé par les premiers échecs de sa contre-offensive, il prépara avec ses amis une autre intervention, mais auprès du Préfet, cette fois.

Une délégation composée de quatre personnes particulièrement connues pour leur honorabilité sollicita une entrevue avec le Préfet lui-même. Il s'agissait de :

- Monsieur Arnaud, Capitaine au long cours, Directeur de la compagnie des bateaux à vapeur reliant La Seyne à Toulon.
- Monsieur Sauze, Docteur en médecine, Président de la Commission d'Hygiène de la Ville de La Seyne.
- Monsieur Tisot, premier maître de timonerie, Chevalier de la Légion d'Honneur.
- Monsieur Ollagnier, premier maître de mousqueterie en retraite, médaillé militaire.

La délégation avait pour mission de connaître les véritables motifs de la dissolution que le Maire François Bernard avait esquivés ostensiblement au cours de la première entrevue. Elle fut reçue courtoisement à la date convenue. Le Préfet avait sous les yeux le rapport justificatif de la dissolution et en donna lecture. Mais les membres de la délégation constataient avec désagrément que le Préfet sautait certains passages. Ils manifestaient en oeillades significatives une protestation qu'ils n'osaient extérioriser, de crainte d'irriter le représentant de l'État.

Le rapport était une longue suite de propos, souvent exprimés au conditionnel et qui rapportaient des réflexions désobligeantes à l'égard de l'autorité municipale et dont se seraient rendus coupables les membres de La Seynoise. Ainsi, par exemple, dans ce texte où le ridicule rivalisait avec la mauvaise foi, François Bernard rapportait qu'au retour d'une excursion à la Castille, La Seynoise n'ayant pu jouer en ville en raison d'une interdiction, ses membres s'étaient permis des sifflets et des quolibets en passant sous les fenêtres du Cercle artistique dont le Maire était Président. Une autre fois, rentrant d'une excursion au Beausset, la Musique avait outrepassé ses droits en jouant DEUX morceaux au lieu d'UN SEUL comme elle en avait reçu l'autorisation.

Mais ce qui sans doute avait le plus offensé le Maire, c'était une chanson satirique, intitulée Autour d'un urinoir dont nous publions le texte ci-dessous et où l'auteur anonyme relatait un plongeon bien involontaire dans le port de La Seyne qu'avait fait le Maire alors qu'il regagnait son domicile après son élection. Était-ce l'effet du champagne ?

Monsieur le Préfet sourit à la lecture de ce dernier passage et la délégation s'empressa de lui donner un complément d'information car on avait bien ri sur le port, ce soir là, en repêchant le nouveau magistrat. Comment ne pas être tenté d'écrire des quolibets ou de composer une chanson railleuse sur un tel sujet

Le Préfet dut bien avouer que c'était là une étrange façon, pour un nouveau maire, de commencer son mandat.

La délégation se permit alors de faire remarquer au représentant de l'État que Monsieur Bernard, de son côté, avait bien chanté avec ses amis une chanson désobligeante contre Monsieur Saturnin Fabre à propos de l'assainissement de la Seyne, chanson écrite en langue provençale et que nous reproduisions plus haut. Et l'on ne peut pas dire que ce texte ait été tendre pour les élus municipaux alors en place. Sans compter que même après sa défaite électorale, un auteur également anonyme, qui signait L'Anglais, avait composé une chanson intitulée Le plongeon de notre Maire mais il s'agissait cette fois du plongeon électoral.

Et la lecture de la longue lettre du Maire Bernard continuait, entrecoupée de quelques commentaires. Le chef de la délégation, Monsieur Arnaud, osa alors s'exprimer en ces termes : « Monsieur le Préfet, vous conviendrez avec nous qu'un Maire, quel qu'il soit, n'a pas à s'en prendre à une association si quelques-uns de ses membres l'ont offensé. Qu'il intente un procès, avec preuves à l'appui, il sera alors dans son droit. Mais il n'est pas en son pouvoir de s'attaquer à une association pour la dissoudre ».

Mais la lecture reprit, apportant des arguments de plus en plus grotesques. Ainsi, Monsieur Auffan, ancien conseiller municipal aurait dit qu'il fallait démolir la Municipalité et foutre le pied au cul du Maire. Le Président Gay aurait déclaré à qui voulait l'entendre que si on voulait interdire La Seynoise, il sortirait le drapeau rouge ! C'est Monsieur Gabriel, Chevalier de la Légion d'Honneur, qui l'a entendu...

La délégation fit observer à Monsieur le Préfet que La Seynoise n'avait qu'un emblème tricolore et que c'étaient les amis socialistes de Monsieur Bernard qui voulaient s'abriter sous les plis du drapeau rouge.

Et toujours de la même veine, la liste des récriminations s'allongeait. « Il a été dit au lavoir Saint-Roch que le Maire avait encaissé de l'argent de la dernière adjudication, que les musiciens de l'Avenir Seynois avaient été habillés avec les ressources du Bureau de Bienfaisance », etc., etc.

Les représentants de La Seynoise en profitèrent pour demander ce qu'était advenue la subvention de deux cents francs que Monsieur Fabre lui accordait depuis quelques années.

Mais après avoir discuté tous les points de ce rapport dont le contenu était loin de rehausser le prestige du Maire, la délégation quitta, plutôt déçue, la Préfecture.

Le Préfet, cependant, qui devait se sentir dans une situation inconfortable, leur laissa espérer que peut-être, l'organisation d'une pétition particulièrement fructueuse pourrait amener une révision de la question.

Sans perdre de temps, la délégation rendit compte scrupuleusement de sa mission au Conseil d'Administration de La Seynoise qui l'en avait chargée. Elle n'eut pas grande peine à convaincre l'ensemble des membres de la société de la nécessité d'une action de grande envergure.

 

La Seynoise passe à l'action

Le Président Gay réagit vigoureusement. Il dit à ses amis : « Non ! nous n'allons pas partir avec le drapeau rouge en tête, comme on nous en a prêté l'intention. Nous allons user des moyens légaux et nous gagnerons ! Notre arme la plus efficace, c'est le soutien de la population. Des amis, nous en avons partout, à La Seyne et ailleurs. Mobilisons toutes nos forces et la victoire sera au bout ».

Ainsi, comme l'avait conseillé le Préfet, une pétition fut rédigée pour être adressée au chef du gouvernement. L'exposé des motifs rejetait toutes les accusations à caractère politique car il ne s'agissait que de ragots de bas étage. Il précisait que La Seynoise est une association qui fait avant tout de la musique. N'avait-elle pas déjà donné les preuves concrètes de son savoir faire ? Le bilan était là, positif succès aux concours, récompenses, prix remportés et tous ces services immenses rendus à la population, par sa participation active à tous les événements heureux ou malheureux. Sa réputation dépassait largement les limites de notre commune. La Seynoise ne voulait pas faire du tapage politique. Elle oeuvrait au contraire pour la concorde entre les citoyens.

Dans sa conclusion, la pétition demandait le retrait de l'interdiction prise arbitrairement par le Maire François Bernard.

Ce sont DEUX MILLE signatures que recueillit en quelques jours cette pétition. Le succès fut éclatant et nous notons au passage que l'immense majorité des commerçants avait apporté sa caution à cette première forme de protestation. D'autres allaient suivre.

Les conseillers généraux de l'époque, Messieurs Coreil et Porre furent mis à contribution pour intervenir auprès du Conseil général et du Préfet afin qu'une solution de conciliation au conflit soit trouvée et que La Seynoise puisse reprendre ses activités.

Par ailleurs, il fut possible d'obtenir une attestation du commissaire de police de Tarascon, Georges Burtin qui affirma par écrit que La Seynoise n'avait jamais enfreint l'arrêté municipal du 8 août 1896, date à laquelle le Commissaire Burtin était en poste à La Seyne. Le commissaire de police qui avait précédé et qui était maintenant en poste à La Ciotat témoigna également que durant la période allant du ler avril 1891 au 25 août 1896, où il avait exercé ses fonctions à La Seyne, La Seynoise n'avait jamais troublé l'ordre public.

Et ces précieux documents vinrent grossir le dossier de défense que l'on acheminait vers le Conseil d'État.

Rien ne manquerait à ce volumineux dossier : pétition de la population, lettres de protestation, intervention des élus, textes de chansons et de tracts de la précédente campagne électorale, témoignages de solidarité des sociétés musicales du département, etc.

Le Président Gay, en outre, n'allait pas s'en tenir à des actions de caractère fragmentaire. Il comprit qu'une véritable lutte de masse était nécessaire, c'est pourquoi, après avoir obtenu un appui massif de la population seynoise, il s'adressa aux formations musicales du département.

Alors les témoignages de protestation affluèrent vers la rue des Aires pour être transmis aux Pouvoirs publics à commencer par la Municipalité, et furent répercutés dans la presse locale.

Ainsi des lettres de sympathie, des témoignages de soutien émanèrent de La Saint-Nazairienne, de La Six-Fournaise, des Tambourinaïres de Magali, de L'Union philharmonique de Saint-Jean-du-Var, de L'Harmonie Mourillonnaise, de La Renaissance de Bormes, de La Lyre de La Crau, de L'Harmonie Hyéroise et de bien d'autres encore.

À ce point de notre récit, il est bon de relever dans l'abondante correspondance échangée par le secrétariat de La Seynoise avec d'autres formations musicales de France, que des conflits analogues eurent lieu dans cette période, entre des associations et leur municipalité. Citons, près de nous, la Fanfare Mussou de La Garde et, plus éloigné de notre commune, L'Union musicale de Bracieux (Loir et Cher), l'harmonie Les Enfants d'Aigues-Mortes (Gard), La Lyre instrumentale de Saint-Martin-la-Plaine (Loire), L'Union musicale et orphéonique de Cravant par Beaugency (Loiret), L'Union libérale de Jaulnay (Vienne), L'Union des communes de Saint Nicolas d'Alermont, (Seine inférieure), pour ne citer que ces cas-là. Ces associations avaient été frappées d'interdiction par leur municipalité. Des recherches plus poussées nous permettraient sans doute d'aboutir aux mêmes conclusions quant aux causes de ces conflits. Les jalousies, les rancoeurs politiques, les ambitions, perçaient à travers la vie associative naissante. Dans les villages, les bourgs, des clans se formaient et des luttes sourdes, parfois haineuses, les opposaient, créant un climat de crainte et de suspicion.

Généralement, les maires essayaient d'aplanir les conflits, les querelles mesquines, mais ils se heurtaient souvent à des dirigeants intraitables ou obtus.

Les mêmes causes engendrant les mêmes effets, il n'est pas étonnant que certains d'entre eux aient eu des réactions semblables à celle de François Bernard.

Les associations victimes de telles sanctions, qu'elles émanent du Préfet ou du Maire, cherchèrent alors à nouer entre elles des relations afin d'organiser leur défense. Les présidents se documentaient les uns les autres sur les causes des mauvais coups qu'on leur avait portés, sur les moyens de lutte à employer et chacun déterminait sa tactique en fonction des conseils reçus par ses homologues.

Une sorte de solidarité agissante s'était créée entre toutes les victimes des mesures de répression.

Le Président Gay et son secrétaire Schivo avaient donc fort à faire pour tenir à jour leur abondante correspondance. Ils se renseignaient d'autre part auprès de toutes les instances susceptibles de faire la lumière sur les droits des uns et des autres.

Et le Conseil d'État ? Depuis qu'il avait été saisi, n'allait-il pas apporter enfin un avis décisif ?

En attendant, on épluchait les textes, on consultait les juristes à tous les niveaux car enfin ! un arrêté en date de 1896 faisait bien remarquer que :

« ... Les arrêtés municipaux dans leur nature peuvent exceptionnellement contenir des prohibitions particulières applicables seulement à certaines personnes déterminées lorsque l'objet à réglementer n'est susceptible que d'une mesure individuelle (...) ».

Or la réglementation de la circulation des sociétés musicales n'entrait pas dans ce cadre, d'où il s'ensuivait que l'arrêté du Maire François Bernard avait été illégalement rendu.

 

Une victoire incomplète

Les semaines, les mois passaient et le Préfet demeurait inébranlable malgré les interventions des conseillers généraux. Il tenait pour quantité négligeable les objurgations des dirigeants de La Seynoise et les sollicitations de nombreuses personnalités locales.

Certes, il lui était difficile de reconnaître ses torts. Le Maire avait pris un arrêté illégal et sa faute était condamnable. Que dire, alors, du Préfet qui l'avait reçu et accepté ? On comprend son embarras.

Le 21 septembre 1897, le Président de La Seynoise écrivit de nouveau au Maire pour demander la reconstitution de la société en insistant sur ses buts véritables : faire de la musique, procurer des agréments à la population, contribuer au retour de la concorde et apaiser les esprits. Extrayons un passage de cette lettre :

« Au moment où l'on s'apprête dans la France entière à célébrer le renforcement de l'alliance franco-russe, où une solennité se prépare à La Seyne en l'honneur des officiers et marins du Sissoï-Veliky sur le point de rejoindre leur base, où l'on prépare l'inauguration de la Bourse du Travail, il serait temps que des mesures soient prises pour ramener le calme et la bonne entente entre les citoyens ».

Cette lettre ne reçut pas de réponse, mais on savait par la bande que la lumière ne tarderait pas à se faire.

En effet, le 1er juillet 1898, le Conseil d'État annula l'arrêté que le Maire de La Seyne avait pris le 7 décembre 1896.

On se doute bien que le Président Gay n'attendit pas pour saisir le Préfet afin que La Seynoise soit purement et simplement reconstituée, ce qui réduirait à néant toutes les attaques, les vexations et les calomnies dont elle avait souffert pendant des années.

Aucune réponse n'étant parvenue à la rue des Aires, le Président Gay reprit sa plume pour exprimer une fois de plus son étonnement et son indignation.

Le silence de la Préfecture persista.

Six mois s'écoulèrent. Une nouvelle demande parvint au Préfet, courtoise mais ferme, signée par tout le Conseil d'Administration et qui précise dans ses conclusions qu'elle est l'émanation des SOIXANTE membres exécutants et des HUIT CENTS membres honoraires.

Ces chiffres ont-ils impressionné le Préfet ? On ne sait trop. En tout cas, la victoire est en vue.

Le 26 avril 1899, La Seynoise fut autorisée à se reconstituer, mais sous un autre nom. On l'appellera désormais La Lyre Seynoise.

Certes, le pouvoir préfectoral avait reculé, mais pourquoi infliger à l'association ce changement de nom ?

La lutte devait donc se poursuivre pour que la société soit intégralement rétablie dans ses droits et notamment dans son appellation d'origine.

Le texte de l'arrêté préfectoral autorisant La Lyre Seynoise était assorti de plusieurs conditions très précises, les unes relatives à son administration, aux lieux de réunions, au contenu des discussions, d'où les questions politiques et religieuses devaient être exclues, aux cotisations, etc. les autres relatives à la qualité d'adhérent, imposaient de « n'admettre ni étranger à la société, ni femme, ni mineur, ni failli ».

Interdire à des femmes et à des mineurs de vingt ans de participer aux réunions d'une société musicale, voilà qui ne manque pas de nous surprendre lorsque l'on sait que nous étions alors en République depuis déjà un quart de siècle.

On voit donc que la bataille à mener ne concernait pas seulement La Seynoise, mais aussi la conquête des droits élémentaires de l'individu.

Avec l'autorisation de créer La Lyre Seynoise, une étape importante venait d'être franchie, mais à la suite de la réponse préfectorale, le Président Gay donna sa démission, estimant qu'il ne pouvait représenter une association ne portant plus le même nom.

C'est Monsieur Dragon, membre exécutant qui le remplaça provisoirement, aidé dans sa tâche par Laurent Jaubert, un homme remarquable de dévouement, qui conserva le secrétariat pendant quarante-quatre ans.

À la baguette, Marius Silvy était toujours prêt à faire de grandes choses...

 

La Lyre Seynoise

La solution adoptée par la Préfecture ne donna en définitive satisfaction à personne.

Certes, pour La Seynoise, c'était une première étape qui allait lui permettre de se manifester publiquement, mais le Conseil d'Administration estimait que le changement d'appellation n'était pas justifié et qu'il fallait poursuivre l'action avec ténacité pour rétablir ce qui existait auparavant.

Du côté de la Municipalité, cette métamorphose de La Seynoise en Lyre Seynoise ne fut pas non plus du goût du Maire François Bernard qui mit encore certaines restrictions aux sorties de la formation musicale.

Enfin, du côté de la Préfecture, on comprend bien dans quel embarras se trouvait le Préfet qui devait revenir sur une décision qu'il avait d'abord avalisée, sans pour autant condamner un maire au demeurant imbu de lui-même.

Les dirigeants de La Seynoise, conscients de la reculade du Pouvoir, allaient maintenant poursuivre leur offensive d'autant que la virulence de l'adversaire ne faiblissait pas.

Si le Préfet avait tellement tardé à répondre aux sollicitations du Président Gay, c'est qu'il savait bien que reconstituée, même sous un autre nom, La Seynoise allait faire beaucoup de tapage autour d'elle. Ainsi, depuis le mois de février de l'année 1899, il avait admis le principe de la reconstitution de l'association, mais il tergiversait, sachant que les adversaires de La Seynoise ne manqueraient pas de déclencher une agitation violente.

Mais maintenant, une campagne de presse menée surtout par le Petit Marseillais s'élevait contre la mesure préfectorale. L'agitation dépassait largement le cadre de la commune et c'est bien cela que redoutait le pouvoir de tutelle qui fut vivement impressionné par l'irrésistible courant de solidarité qui se manifestait en faveur de La Seynoise.

En attendant, la résurrection de notre association - même sous un autre nom - fut saluée chaleureusement par une multitude de groupements et de personnalités dont nous pensons qu'il n'est pas inutile de reproduire une liste au demeurant incomplète :

Mairie d'Ollioules, Fanfare Mussou, La Provençale du Pont de Las, M. Coreil, Conseiller Général du Var, Société musicale La Toulonnaise, Musique Municipale d'Hyères, Société philharmonique de La Ciotat, Les Touristes de l'Esterel, La Lyre provençale d'Ollioules, Monsieur le Maire de Bormes, Le Cercle lyrique de la fusion chorale et musicale du Pont du Las, La Conciliation de Saint-Mandrier, La Jeune France de Saint-Jean-du-Var, l'Orphéon mourillonais, Monsieur Vivien, Maire de Bandol, Monsieur le Directeur de l'Hôpital civil de Cannes, Monsieur le Maire de Sanary, La Musique des Grottes de Marseille et bien d'autres encore...

Mais voilà que le journal Le Petit Marseillais mena une campagne nuisible à La Seynoise qu'il qualifiait de simple musique de chef-lieu de canton « qui avait l'air de se prendre pour la Garde Républicaine ».

Le président écrivit en ces termes au Directeur du journal : « Vous direz à votre correspondant que le Chef de la Garde républicaine, Monsieur Parès, a félicité publiquement La Seynoise au concours de Lyon ».

En somme, la bataille était loin d'être gagnée. Elle se poursuivait sous des formes pour le moins inattendues. Un fait saillant et qui défraya la chronique pendant plusieurs semaines fut la participation de La Seynoise camouflée à une grande bataille de fleurs à Toulon.

La Seynoise et La Jeune France de Saint-Jean-du-Var. Une amitié des bons et des mauvais jours

« La Lyre enchaînée »

Pendant plusieurs jours des membres de la société avaient confectionné clandestinement un superbe char fleuri portant une allégorie symbole de l'association dissoute. Ce travail difficile avait été fait nuitamment dans un local secret situé à l'extrémité de l'avenue Gambetta, près du rond-point de la gare (aujourd'hui rond-point du Huit Mai).

La veille du défilé, une équipe de jeunes fougueux et passionnés s'était enfermée dans le local pour assurer la garde du char que l'on se hâta d'amener à Lagoubran à une heure fort tardive, non sans avoir pris des mesures rigoureuses de discrétion. Les quelque deux kilomètres franchis allègrement en peu de temps mirent le char en sécurité sur le territoire de Toulon.

Ce bel exploit était le premier d'une série qui allait plonger le maire François Bernard dans sa plus noire colère.

Le char des Seynois était magnifique. Il avait été confectionné sous la direction de Joseph Bergonzo, avec du mimosa, des pensées, des soucis, des renoncules et l'on savait qu'il ferait sensation lors du défilé.

À l'heure fixée, les Seynois soufflant puissamment dans leurs instruments entouraient l'allégorie de La Seynoise. Une jeune fille du nom de Constance Vidal s'était prêtée de bonne grâce pour la symboliser dans sa persécution.

Quand les Toulonnais qui n'ignoraient rien des mesures prises à l'encontre de La Seynoise eurent sous les yeux la réalisation de nos concitoyens portant l'inscription « La Lyre enchaînée », ce fut un tonnerre d'applaudissements et de vivats.

Mais François Bernard qui fut rapidement informé du succès que certains de ses administrés se taillaient sur son dos, après avoir laissé libre cours à sa fureur, déclara que si le char n'avait pas été saisi à l'aller, il le serait au retour. La police reçut des ordres en conséquence. Elle devait à tout prix s'opposer au retour du char à La Seyne.

Mais pensez un peu si elle y parvint ! Sous les acclamations dont il fut l'objet à Toulon, le char fleuri prit le chemin du retour entouré par des centaines de supporters enthousiastes. En présence d'une telle multitude surexcitée, exaltée, délirante, que croyez-vous que firent les sbires de François Bernard ? Penauds, ils battirent en retraite.

Dans la soirée, le char fit une entrée triomphale à La Seyne, suivi d'un flot si important de manifestants réclamant justice, que la police refusa l'affrontement.

Le Maire devait ruminer quelque vengeance, mais il dut bien se rendre à l'évidence : la partie devenait de plus en plus difficile pour lui.

 

Vers des jours meilleurs

Quelques jours plus tard, la reconstitution de la société fut célébrée à Sanary par un banquet autour d'une copieuse bouillabaisse suivi d'un concert donné devant l'Hôtel de Ville en présence des Maires du canton, des Conseillers généraux Porre et Coreil, ainsi que des membres honoraires qui n'avaient pas ménagé leurs interventions auprès des pouvoirs publics.

L'exaltation de la victoire s'étant un peu calmée, la Municipalité vint sur des positions de conciliation. Elle demanda la participation de La Lyre Seynoise à la retraite aux flambeaux des fêtes locales. Au défilé, sur leur passage, les musiciens acclamés vivement retrouvaient l'ambiance d'autrefois.

Quelques jours plus tard, la société recevait un don de cent francs en remerciement pour sa participation.

Dans le courant du mois d'août 1899, d'importantes décisions furent prises par le Conseil d'Administration de La Lyre Seynoise pour redonner à la musique ses belles activités.

C'est dans cette période que notre association, quittant la salle du quartier des Aires devenue insuffisante, loua un beau local avenue Gambetta, dont on reparlera sous le nom de Salle Magnaud.

C'est donc pleins d'espoirs que nos musiciens et leurs amis vont aborder le siècle naissant avec l'accession au poste de Président d'un homme qui marquera durablement la société : Monsieur Joseph Guérin.



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