La Seyne_sur-Mer (Var)   Histoire de La Seyne_sur-Mer (Var)
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de l'Histoire de La Seynoise
Marius AUTRAN
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Histoire de la Philharmonique La Seynoise (1984)
CHAPITRE SEPT :
Ferdinand Aubert, un Président éminent
(Texte intégral du chapitre)


 

 Ferdinand Aubert dirigea La Seynoise pendant sept années seulement. Le mal inexorable dont il souffrait l'emporta prématurément. Il mérite le qualificatif d'éminent parce qu'il fut d'abord un bon président qui aimait passionnément la Société dont il avait pris la charge, parce qu'il l'associait à son amour pour sa ville natale et qu'il voulut organiser pour elle des activités de toutes sortes.

Notons qu'il eut beaucoup de mérites à assumer sa fonction dans une période aussi difficile et dangereuse que celle de la guerre et de l'occupation ennemie. Et quand on prend la succession d'un homme tel que Marius Aillaud, il est forcément difficile d'atteindre les mêmes sommets et de s'y maintenir. Car rappelons une dernière fois que sous la Présidence de Monsieur Aillaud, la Philharmonique devint une des associations les plus fortes de la ville, soutenue par mille vingt-quatre membres honoraires en 1922-1927 et trente membres bienfaiteurs.

En temps normal, prendre la suite d'un président d'une telle envergure n'est pas chose aisée, mais en 1944, quand tout le pays connaît une épouvantable pagaille avec la débâcle des Allemands, la déroute des Vichystes, la fuite d'une population traumatisée par les bombardements, la dispersion des musiciens aux quatre coins de la Provence, cela relève de la gageure.

 

Un homme affable

Tous ceux qui ont approché le Président Aubert savent quel homme exquis c'était. De caractère doux et enjoué, il avait acquis une grande considération à La Seyne. De par son affabilité naturelle, il excellait dans son métier de représentant de commerce. Il jouissait d'une grande popularité comme en témoigne le surnom qu'on lui avait donné, à la fois diminutif de son prénom et marque de chaleureuse sympathie : on l'appelait Ninan.

De très bonne heure, dans sa jeunesse, il avait été attiré par le spectacle. Il chantait, il jouait la comédie et dans ses débuts, il affectionnait particulièrement le rôle de comique troupier. S'il ne fut pas lui-même musicien, il aima passionnément l'Art musical et, à la tête de La Seynoise, il se révéla comme un organisateur hors pair.

Ferdinand Aubert

Une nouvelle équipe dirigeante

Lors de la réunion du 9 avril 1943 où Monsieur Aillaud avait été porté à la Présidence d'Honneur, un remaniement de la direction fut effectué, nécessaire dans cette période de troubles et de dangers où l'on vit de nombreux membres de La Seynoise quitter la ville, les uns par manque de travail, les autres pour se mettre à l'abri.

Le Président Aubert était entouré maintenant de deux vice-présidents, J. Auffan et P. Bellone, le secrétariat général étant assuré par Marius Michel qui se révéla être un défenseur camouflé de la municipalité vichyste du Maire Galissard, avec, comme secrétaire adjoint, Anatole Vial. On vit accéder à la direction de la société, des éléments nouveaux, dévoués, comme Monsieur Guinchard qui prit, avec Monsieur Venel comme adjoint, la responsabilité de la Trésorerie.

Pour être plus précis, ajoutons qu'il avait fallu pourvoir au remplacement à la vice-présidence, d'André Garro, décédé, qui fut un exécutant dont on peut trouver le nom dans la liste des participants au concours de Cannes en 1904 auquel il participa avec son frère Pierre. Cette vieille figure seynoise a laissé des souvenirs très vivaces dans les milieux amateurs de traditions provençales : ne fut-il pas à l'origine du groupe Lei Cigaloun Seignen ?

Malgré la bonne volonté des anciens et des éléments nouveaux, le Conseil d'Administration qui sortit de cette réunion fut pratiquement inopérant avant la fin de la guerre et de l'occupation ennemie. Il s'efforça, sans résultats tangibles, de récupérer le matériel volé au siège de La Seynoise par des sapeurs-pompiers de la Défense passive. Il protesta mais en vain contre l'occupation illégale de ce même siège par l'Entraide française devenue ensuite le Secours national. Des discordes surgirent d'ailleurs au sein du Bureau au sujet de cette salle Gounod que l'on voulait réintégrer. Le seul opposant à ce projet était le Secrétaire, Monsieur Michel plutôt soucieux de ne pas contrarier, même légèrement, le Maire vichyste.

 

L'exode des Seynois

La confusion la plus grande s'installa dans la ville après la catastrophe du 29 avril 1944 qui fit cent vingt-deux victimes. Le 11 juillet de la même année, un autre bombardement fit périr quatre-vingt-quinze de nos concitoyens. L'exode de la population se précipita, bien que l'évacuation des enfants ait commencé depuis la fin de l'année 1943.

Le Président Aubert lui-même s'installa dans le Gard avec sa famille. La plupart des musiciens cherchèrent refuge dans les villages environnants, les moins menacés par les bombardements. On attendait alors le débarquement des forces alliées, mais où ? Notre côte se couvrait d'installations militaires, de blockhaus, de fortins, de barbelés et les Allemands exigèrent l'évacuation de la zone littorale.

 

Le patrimoine de La Seynoise est sauvé

À ce point de notre récit, il est plaisant de conter comment La Seynoise faillit perdre son capital le plus précieux, c'est-à-dire les prix et distinctions honorifiques concrétisés par des palmes et des médailles d'or qui prenaient, avec leur ancienneté grandissante, la valeur de pièces historiques.

Précisons que ces objets, véritables reliques, avaient été placés en lieu sûr. Fort heureusement, au moment de l'occupation du siège, rue Gounod, ils ne s'y trouvaient pas.

Monsieur Guinchard, Trésorier de l'association, n'avait pas quitté La Seyne. Il rejoignait sa famille réfugiée au Plan-du-Castellet, chaque soir en s'y rendant à bicyclette. Les anciens se souviennent qu'alors, la bicyclette était l'engin providentiel pour se déplacer. Il était à ce point précieux et les pièces de rechange étaient à ce point rares que chacun avait à coeur de ménager et d'entretenir sa monture avec la plus grande minutie.

Les bombes américaines qui avaient douloureusement atteint notre ville, si elles épargnèrent la salle Gounod, causèrent de grands dommages le 29 avril 1944 aux locaux de la Caisse d'Épargne dans les coffres desquels se trouvaient les reliques de La Seynoise.

Monsieur Guinchard nous a conté comment il avait réussi à les sauver. Il s'en faisait souvent une gloire, d'ailleurs à juste titre. Laissons-le parler :

« ... Au moment où se préparait le débarquement des troupes alliées en Provence, notre région fut soumise à de rudes épreuves du fait des bombardements. La Caisse d'Épargne fut touchée. La salle des coffres où étaient enfermés nos trophées en palmes et médailles dont nous sommes si fiers ne fut détruite qu'en partie.

... La vague de terreur du 29 avril passée, je n'hésitais pas au premier matin sans alerte à prendre contact avec le préposé à la garde des coffres. Cet homme très compréhensif me permit, malgré l'absence du Président, de retirer nos précieux objets.

... Le secrétaire Michel ne voulut pas se charger de les mettre en sécurité. Devant cette dérobade, que me restait-il à faire puisque les autres membres du Bureau étaient absents ?

… Je pris la résolution de les sauver et de les cacher.

... Avec le maximum de précautions, j'entassai nos trésors au fond d'un cageot et les dissimulai sous des paquets de légumes. Le chargement sur le porte-bagages de mon vélo fut complété par une petite bonbonne de vin.

... Ainsi, je pris la route du Plan-du-Castellet en passant par les Gorges d'Ollioules et Le Beausset.

... Des surprises désagréables m'attendaient. Un premier barrage de soldats allemands m'obligea à mettre pied à terre. Je vis avec beaucoup d'inquiétudes mon cageot fouillé jusqu'au fond et quand le Prussien découvrit les objets d'art, il esquissa un sourire de mépris dont je ne fus pas vexé pour autant.

... Je poursuivis ma route, le coeur battant. Avant l'entrée du Beausset, le même scénario se reproduisit. Mais là, mon inquiétude ne fut que mitigée car il s'agissait d'un barrage régulier auquel j'avais eu à rendre des comptes les jours précédents. Mon laissez-passer me permit enfin de prendre la route du Plan que j'atteignis rapidement. Ouf ! Que d'émotions ! Mais ce n'était pas terminé car il fallait redouter des perquisitions toujours possibles.

... Je cachai soigneusement mon trésor et le 5 septembre 1945, exactement, l'occupant ayant été chassé de nos rivages et refoulé vers le Nord, je repris le chemin du retour avec mon épouse, serrant précieusement dans nos bagages le colis qui m'avait causé tant d'émotions.

... Bien entendu, les moyens de locomotion faisant totalement défaut, il nous fallut rentrer à pied et parcourir quelque vingt-cinq kilomètres. Cela fut fait sans fatigue aucune, la joie au coeur, heureux de retrouver notre foyer, de nous sentir enfin libres et en sécurité. J'éprouvais surtout l'immense satisfaction d'avoir sauvé les trésors de La Seynoise.

... Il y eut cependant une ombre à ce tableau : la situation lamentable dans laquelle nous trouvâmes notre ville nous plongea dans la consternation. Des ruines partout ! Une population affamée qui reprenait difficilement sa vie normale.

... Les collaborateurs de l'Allemagne nazie avaient disparu. Sans doute préféraient-ils ne pas rencontrer les Résistants locaux qui avaient participé à la Libération de La Seyne.

… Quelques-uns, comme notre Secrétaire Michel avaient été arrêtés et conduits dans un camp à Bandol.

... Le retour de tous les évacués s'effectuait progressivement, avec une extrême lenteur. Ceux d'entre eux qui s'étaient réfugiés dans des campagnes lointaines mangeaient à leur faim alors qu'à la ville, on manquait de tout. Les tickets de rationnement furent encore en usage longtemps et les trafiquants du marché noir purent poursuivre leur sale besogne en toute quiétude ».

 

À la Libération, La Seynoise se reconstitue

Revenons à notre Seynoise qui essayait de se reconstituer. Au début de l'année 1946, elle ne pouvait pas encore disposer de son siège toujours réquisitionné au profit du Secours national et nous n'en finirions pas d'expliquer toutes les interventions du Conseil d'Administration pour obtenir l'indemnisation des biens détruits ou volés.

En attendant le règlement définitif de ces problèmes, La Seynoise s'installa à la Bourse du Travail, et il faudra quatorze mois de pourparlers avec la Défense passive, la Municipalité, la Préfecture, l'Entraide française et la Marine pour que finalement un chèque de quarante-neuf mille huit cent cinquante francs lui soit versé en compensation de son mobilier disparu. Les musiciens, quant à eux, ne reprirent possession de leur siège que le 5 avril 1946.

Le Président Aubert et la plupart des responsables avaient repris leurs fonctions. La société avait retrouvé une masse de quatre cent quarante membres (honoraires, exécutants et bienfaiteurs). Elle avait le soutien de la Municipalité du moment présidée par le Docteur Sauvet assisté de Pierre Fraysse qui fut aussi, rappelons-le, un animateur des festivités seynoises.

Le Bureau avait dû être remanié et aux côtés du Président Aubert et du vice-président Jean Auffan, fut nommé secrétaire général Henri Germoni que l'on fit seconder par Anatole Vial. La trésorerie resta entre les mains de Marius Guinchard tandis que Antoine Arèse recevait la charge de tenir les archives avec Roger Gabriel. Le conservateur était Michel Bruno, vieille figure de l'association qui participa en son temps à La Seynoisette et Maurice Blanc ainsi que G. Gallon furent nommés commissaires aux comptes.

L'un des problèmes parmi les plus urgents à résoudre fut celui de la direction d'orchestre. Alors les musiciens se tournèrent vers Taliani dont l'image de marque demeurait intacte malgré les quelques années d'absence. Félix Sauvaire qui avait accepté momentanément de succéder à Monsieur Vernet pour diriger quelques répétitions au début de la guerre accepta les fonctions de sous-chef de la musique en collaboration avec Taliani.

L'orchestre reconstitué fut convoqué à quelques répétitions qui furent jugées très positives. Encouragé, le Président Aubert demanda alors à la Municipalité de décorer le kiosque de la place Ledru-Rollin, inutilisé depuis de longues années, pour y donner le premier concert de la saison d'été.

Quelques jours plus tard, le premier magistrat de la ville était informé que serait célébré le Centenaire de La Seynoise, cérémonie qui aurait dû se dérouler normalement en 1940 et qui fut bien évidemment retardée du fait des dramatiques événements de la guerre.

 

Célébration du Centenaire de La Seynoise

Ce fut au mois de novembre 1946, à l'occasion de la Sainte-Cécile, fête traditionnelle des musiciens, que fut célébré le Centenaire de l'association.

Un programme copieux avait été prévu, mais dans cette période de pénurie, on vivait plutôt dans l'indigence et il fallut alléger le nombre des réjouissances d'abord programmées. Mais cette fête se déroula en deux temps.

Le 20 novembre, en prélude à la Sainte-Cécile, un apéritif d'honneur réunit dans la salle de la rue Gounod qui portait désormais le nom de Marius Édouard Aillaud depuis la disparition du Grand Président en 1944, le Conseil d'Administration de la Philharmonique et un grand nombre de personnalités locales.

Autour du Président Aubert toujours souriant, on pouvait remarquer le Chef Taliani, Monsieur Germony, de la Musique des Équipages de la Flotte, Pierre Fraysse représentant la Municipalité, Messieurs Auffan, Guinchard, Manassero, Silvy, Raynouard, vétérans de La Seynoise, des personnalités comme Monsieur Content, industriel local, MM. Condamine et Vérane, directeurs des salles de spectacle, le Vice-président de la Fédération Musicale du Var, le Président de l'Union Sportive Seynoise, Monsieur Créma, et de nombreux représentants des sociétés musicales de la région toulonnaise qui avaient tenu à s'associer à la célébration du centenaire, cérémonie, il faut le reconnaître, qui sortait vraiment d'un cadre habituel.

L'orchestre Fély-Roger retint l'attention de l'assemblée par l'exécution de quelques morceaux de son répertoire. Puis le Président ouvrit la série de discours par l'Historique de cent ans d'activités de la Philharmonique. La figure de Marius Gaudemard, fondateur de la société, dont on ne dira jamais assez le mérite, fut évoquée longuement. La foi persévérante des musiciens, soutenue par les membres honoraires et bienfaiteurs, fut également citée en hommage. Puis le Président souligna les succès prestigieux de notre belle formation dont le rayonnement et la réputation s'étendaient bien au-delà des limites de notre commune. Il laissa entendre dans sa conclusion que le deuxième centenaire commencé depuis six ans déjà, serait au moins aussi glorieux que le premier.

Après une distribution de diplômes à divers membres exécutants, les discours reprirent avec celui du Président de l'Union Sportive Seynoise, du Chef de la Musique des Équipages de la Flotte, du représentant de la Municipalité et des Cigaloun Seignen.

Et puis vint le moment ou les chansons des amateurs de talents régalèrent l'auditoire.

Ces fêtes du Centenaire se poursuivirent le dimanche suivant où un grand concert fut donné dans la salle du Rex-cinéma en présence d'une foule enthousiaste.

Au moment où nous écrivons ces lignes, le second centenaire auquel faisait allusion le Président Aubert dans son discours est bien entamé. À l'horizon pointe l'année 1990 qui clôturera cent cinquante ans d'activités.

Espérons que La Seynoise pourra fêter d'une manière grandiose son cent cinquantième anniversaire, dans le culte de l'Art musical, source de joies pures et dans le souvenir de tous ceux qui ont lutté pour faire sa réputation et, à travers elle, la réputation de notre bonne ville de La Seyne. Honneur sera alors rendu à tous ceux qui ont assuré la continuité à travers les obstacles et même les tempêtes et qui sont les artisans du bilan admirable dont notre Philharmonique peut faire état après tant d'années d'activités fécondes.

Puisse ce modeste ouvrage être les prémices d'un hommage plus brillant rendu par les Seynois à la plus ancienne de leurs associations locales.

Mais revenons-en au redressement de La Seynoise après les dures épreuves de la guerre.

 

La Seynoise reprend ses activités

Désireux de redonner à son association la vigueur et le rayonnement d'antan, Ninan Aubert s'attela à une tâche difficile, alors que l'art lyrique souffrait de la part du public, d'une désaffection dont nous analyserons plus loin les causes. Sans se décourager, il essaya, malgré une santé qui s'altérait progressivement, d'organiser comme par le passé des concerts, des festivités et des excursions.

Il voulait que La Seynoise, qui avait cicatrisé les plaies de la guerre et des discordes internes, poursuive son rôle bienfaisant. Il encouragea le Chef Taliani et demanda au Conseil d'Administration d'augmenter son indemnité qui fut portée à mille deux cent cinquante francs par mois. Elle était doublée par rapport à ce que percevait le chef avant la guerre.

Des excursions furent à nouveau organisées vers Cotignac, Besse-sur-Issole, Saint-Raphaël, et, durant l'année 1947, La Seynoise participa également aux fêtes d'Hyères. L'activité de nos Chantiers navals ayant repris, des lancements de bateaux furent organisés auxquels notre musique participait. Le Directeur des F.C.M. lui offrit une prime de dix mille francs pour avoir salué le lancement du paquebot Djoliba.

On pouvait espérer que notre Philharmonique reprenne un nouvel essor. L'enthousiasme renaissant de tous les membres laissait espérer un renouveau, mais il fallut bientôt déchanter.

 

Le climat s'alourdit à nouveau

Vers la fin de l'année 1947, on sentit qu'un malaise gagnait progressivement la société musicale. La guerre était certes terminée, mais la situation politique demeurait confuse en France comme dans le monde entier. D'autres conflits s'allumaient, comme la guerre coloniale d'Indochine.

En France, la bataille politique faisait rage et La Seyne n'en était pas épargnée. Notre pays relevait péniblement ses ruines, mais s'ouvrait une période dite de guerre froide avec, planant au-dessus de nos têtes depuis l'explosion nucléaire d'Hiroshima, la menace d'horreurs bien pires que celles dont nous sortions. Tout cela était savamment entretenu par les affairistes marchands de canon, de pétrole et de métaux lourds.

Les partis politiques un moment unis dans la dynamique de la Libération en vinrent à se diviser et les syndicats firent de même. Cela ne manqua pas d'avoir des incidences sur la vie associative.

À La Seyne, si notre Philharmonique avait des difficultés elle, au moins, existait ! L'Avenir Seynois pour sa part avait cessé toute activité. Ses musiciens dispersés ne parvenaient pas à se regrouper. Ils ne disposaient même pas d'une salle pour se réunir.

À la mi-décembre, le Conseil d'Administration de La Seynoise constata avec amertume que seulement douze membres exécutants assistaient régulièrement aux répétitions. Que faire ?

Le Maire de l'époque, Toussaint Merle, tenu au courant de l'affaiblissement progressif de nos deux philharmoniques, réunit leurs dirigeants pour les inciter à fusionner. Il leur tint à peu près ce langage : « Une seule formation unie, mieux encouragée par la Municipalité pourrait jouer un rôle bien plus efficace que deux groupuscules qui se jalousent. Il faut en finir avec les querelles mesquines d'autrefois ».

Cette tentative de conciliation se solda par un échec. Le Président de L'Avenir Seynois ne manifesta aucune opposition à la proposition du Maire, mais à n'en fut pas de même pour le Représentant de La Seynoise, Marius Guinchard. Il déclara d'un ton catégorique que son association ne voulait pas perdre son nom et rappelant le prestige de son passé maintenant lointain, il ne voulut à aucun prix accepter la fusion proposée par le Maire.

 

François Taliani disparaît

L'année suivante, en 1948, notre musique vivotait péniblement. Son effectif continua de se réduire et de nouveau, un deuil vint en frapper les membres.

C'est le 15 avril de la même année que le Chef François Taliani disparut, laissant un grand vide car il avait apporté beaucoup de son talent comme exécutant, d'abord, puis comme chef d'orchestre.

Le tandem Gilardi-Taliani qui exerça pendant longtemps une sorte de pouvoir occulte à la tête de La Seynoise et dont l'autorité reposait avant tout sur le charme qu'il exerçait sur la population mélomane, le tandem piston-baryton avait disparu pour toujours, laissant après lui beaucoup de regrets.

Deux générations de Seynois n'ont pas oublié les frères Taliani. On évoque toujours leur nom en remontant la rue Gounod vers le boulevard du Quatre-Septembre. Car sur la droite, avant d'arriver à la salle Marius Aillaud, siège de La Seynoise, s'élève une coquette villa, entourée d'un jardinet et qui ne manque pas d'attirer l'attention du promeneur.

La construction est édifiée sur un sous-sol assez élevé et présente une décoration originale. Sur les piliers soutenant le portail d'entrée des plaques rectangulaires portent des notes de musique de couleur noire, disposées sur une portée, le tout gravé dans le marbre. Ces notes sont une sorte de charade qui évoque l'attachement du propriétaire pour son logis : do - mi - si - la - do - ré.

En frontispice de la demeure décorée de fresques, une devise : Labor et vita. Un grand perron qui s'évase dans sa partie supérieure donne accès à une porte d'entrée vitrée, à deux battants rectangulaires enchâssés dans le fer forgé noir, au fronton de laquelle une lyre métallique dorée, est décorée de dessins symétriques, représentant des dièses, des bécarres et des bémols. Sur chaque vantail de la porte, de grandes harpes dorées elles aussi ont été peintes et se font face dans une parfaite symétrie.

Maison de François Taliani

L'ensemble de la décoration qui est du meilleur goût dénote le souci du propriétaire François Taliani de rendre publiquement hommage à la Musique, sa seule passion. Et cette passion, il put la satisfaire pleinement lorsqu'il fut nommé Chef d'orchestre.

Il n'avait alors que quelques mètres à franchir de son domicile à la salle Marius Aillaud où il exerçait.

Aujourd'hui, dans cette maison abondamment décorée de lyres, harpes, notes de musiques et altérations, l'ombre de Taliani rôde toujours. Elle a sa place dans l'Élysée de tous ceux qui ont oeuvré à perpétuer durablement l'oeuvre menée au sein de La Seynoise.

 

Un nouveau Chef de Musique

Pour le remplacer, on n'alla pas chercher une candidature exotique. Tous les musiciens se tournèrent vers Félix Sauvaire qui avait momentanément dirigé les répétitions au début de la guerre pour pallier les défaillances du Chef de Musique en titre, Monsieur Vernet.

Son expérience de la musique était déjà longue puisque depuis le mois d'avril 1921, il appartenait au pupitre des clarinettes.

Il s'y était révélé comme un excellent exécutant. Pendant trente-sept ans, il se dévoua pour sa société et il l'aurait servie encore bien davantage si la mort ne l'avait frappé prématurément dans sa cinquante-sixième année. Il était aimé des musiciens pour sa grande bonté, sa compréhension et sa simplicité.

Un fait marque que son dévouement à La Seynoise était parfaitement désintéressé : dès son accession au poste de Chef de Musique, il signifia au Conseil d'Administration qu'il refusait toute indemnité ou émolument.

 

La Seynoise vivote

Malgré la disparition du Chef Taliani, on maintint la sortie prévue à Villecroze qui avait été préparée de longue date et avec le sérieux habituel. Elle fut retardée d'un mois environ, mais connut un réel succès avec près de quatre cents participants.

Il fallait se pencher sérieusement sur la formation des musiciens si l'on ne voulait pas connaître le sort de L'Avenir Seynois. Les difficultés, on pouvait les vaincre seulement par la promotion de jeunes éléments. Les musiciens eux-mêmes se chargèrent des classes de solfège. Ces bénévoles travaillaient vraiment pour la défense de l'Art musical. Ils demandaient peu aux autorités et donnaient beaucoup d'eux-mêmes.

En fin d'année furent décidées des sorties sur Vidauban et sur Bras. La première obtint un succès relatif, mais la seconde ne put avoir lieu faute d'un nombre suffisant de participants.

Malgré des effectifs réduits, la Musique alla tout de même au Chantier naval saluer le lancement de La Ville de Marseille ainsi que celui de l'Oued Ziz.

Répétons-le, La Seynoise jouait son rôle de plus en plus péniblement. En 1949, aucune réalisation spectaculaire ne laisse de trace dans les archives. On participa au lancement du Maréchal Lyautey et quelques excursions furent organisées à Salernes, Fréjus, La Sainte-Baume, mais sans grand succès : les véhicules ne firent pas le plein des effectifs prévus.

Si la montée de jeunes musiciens était problématique, la disparition des anciens frappait inexorablement La Seynoise. Ainsi, la phalange des instrumentistes chevronnés fut-elle décimée en perdant dans cette période Joseph Bonaccorsi, Maurice Blanc, Baptistin Maro, chef adjoint honoraire, Paul Venel, le vice-président... Tous avaient bien mérité de notre Philharmonique à laquelle ils avaient consacré la majeure partie de leur existence.

Pour l'année 1950, notons qu'une douzaine d'élèves passèrent avec succès devant une commission d'examen. Le Président s'en déclara satisfait. Mais ce qui ternit sa joie fut de constater que le nombre d'exécutants n'assistant pas aux répétitions de façon régulière était impressionnant. Il lui fallut sévir, lancer des rappels à l'ordre, mais surtout s'acharner à convaincre chacun d'eux, afin que vive l'Art musical à La Seyne.

Lorsqu'il assistait aux cours de solfège, le bon Ninan Aubert se demandait avec anxiété combien de ces enfants resteraient dans les rangs de sa société, d'ici à ce qu'ils deviennent de véritables musiciens intégrés à l'orchestre. Bien sûr, arrivaient parfois des recrues de l'extérieur, des gens qui venaient se fixer à La Seyne pour des raisons professionnelles, mais, souvent retraités, ils avaient fait construire une maison et venaient finir leurs jours sous notre ciel clément. C'étaient de braves gens, souvent sur le déclin et dont les services à la Musique furent de courte durée. Mieux valait alors ne pas trop compter sur eux.

L'espoir, ce sont les jeunes. Mais seront-ils persévérants. ? Et parmi ceux qui voudraient rester dans les rangs de La Seynoise ? Combien devront quitter le pays pour trouver du travail ? D'autres, devenus de bons musiciens seront peut-être attirés par des formes d'Art musical moderne et s'en iront jouer du jazz dans les bals du samedi et du dimanche. Ils y gagneront sans doute quelque argent alors qu'à La Seynoise leurs prestations ne sont pas lucratives. L'époque actuelle, avec ses mutations incessantes a créé des besoins nouveaux. Pour meubler ses loisirs, il faut maintenant avoir de l'argent et le souci d'en gagner hante les jeunes hommes qui désertent les activités bénévoles. Mais, au nom de quoi condamner le désir de ces jeunes d'aller au cinéma, d'avoir une automobile, un bateau, de voyager, d'offrir à leur fiancée les menus plaisirs auxquels les jeunes filles prétendent désormais ? Comment ne pas admettre que l'on préfère les sorties au ski, la pratique de l'escalade ou de la spéléologie, le vol à voile ou le patinage aux sempiternelles sorties dans l'arrière-pays ? Les individus veulent vivre avec leur temps.

Nous ne sommes plus à l'époque des diligences. Si, au début du siècle, nous l'avons vu, les musiciens allaient à pied, chargés de leur instrument, donner des concerts à Saint-Mandrier, Bandol ou Six-Fours, les temps ne sont plus les mêmes.

Le temps n'avait pas alors le poids qu'il a pris aujourd'hui. On s'accommodait de ce que donnait la vie et l'on accomplissait ses devoirs quotidiens, calmement, posément. Chaque décision étant réfléchie, mesurée, analysée.

Aujourd'hui, certes, les efforts physiques ont été allégés. Des actes autrefois pénibles sont devenus très simples, comme se chauffer, s'éclairer, faire la lessive. Mais les soucis n'ont pas diminué pour autant. Tous les aspects de la vie, le travail comme les loisirs sont devenus en fait bien plus compliqués.

On recherche la nouveauté dans les voyages, dans les résidences secondaires qui se multiplient sur nos rivages. On se rue sur les routes, les autoroutes où s'accumulent les véhicules en d'interminables bouchons où se gaspillent le temps et la pureté de l'air. On s'entasse dans les endroits marqués comme lieux de loisirs et l'on ne prend plus le temps de regarder le paysage, d'écouter les gens. Tant pis ! Seul compte le souci de partir et de pouvoir, au retour, époustoufler son entourage par ses récits ou son bronzage.

Nous vivons un siècle de bougeotte. Mais ces manifestations d'activités fébriles, incessantes, n'apportent jamais tout à fait à l'être humain les satisfactions auxquelles il est en droit de prétendre. En corollaire, le fonctionnement de la vie communautaire, associative, en souffre de plus en plus.

Et nos responsables de syndicats ou de groupements à caractère philosophique, culturel, politique ou sportif, se plaignent amèrement. Et lors des cérémonies du 11 novembre, du 8 mai ou du 14 juillet, on entend toujours l'antienne devenue maintenant classique : « Ce sont toujours les mêmes qui viennent ».

Tout ceci nous fait mieux comprendre que La Seynoise, dans les années cinquante et dans la décennie qui suivit, ne put échapper à un marasme qui touchait toutes les autres sociétés similaires.

Son effectif ne lui permit plus guère de donner des spectacles importants. Pour célébrer dignement l'anniversaire de la Libération de La Seyne, le 25 août 1950, ce n'est que grâce à l'aide de musiciens de La Six-Fournaise que notre Philharmonique put se produire. Notre société musicale voisine était pour sa part dans le même cas.

 

Des incidents regrettables

C'est cette même année 1950 que des incidents bien regrettables se produisirent lors de la retraite aux flambeaux qui ouvrait les fêtes locales. L'Avenir Seynois avait fait totalement défaut, le nombre de ses exécutants s'étant réduit à quelques unités. La Seynoise, qui avait assisté à la petite fête, s'était abstenue de jouer.

Elle refusa même de participer au défilé du 14 juillet, le Président ayant fait observer au Maire de l'époque, Toussaint Merle, que La Seynoise, de par ses statuts, ne pouvait assister à une manifestation à caractère politique. Ce à quoi le Premier magistrat avait répliqué « Vous vous êtes bien dérangé à l'appel du Maire Vichyste ».

Il est certain qu'après les années exaltantes de la Libération, le 14 juillet n'était plus célébré comme avant la guerre où la manifestation se résumait en un dépôt de gerbes au Monument aux Morts et à l'observation d'une minute de silence. Dans ces années d'après guerre, la cérémonie du 14 juillet rassemblait d'anciens Résistants, des Patriotes, des Républicains convaincus qui savaient ce que défendre la Liberté voulait dire, d'anciens Déportés et Prisonniers de guerre, d'anciens combattants qui manifestaient là leur volonté de voir la liquidation définitive du nazisme dont ils avaient peu de temps auparavant souffert cruellement. Ils luttaient pour l'application d'un programme de réformes démocratiques proposé par le Conseil National de la Résistance et que le gouvernement en place avait abandonné, quoi qu'y ayant souscrit unanimement au moment de la Libération.

Alors, les manifestants se présentaient avec des banderoles portant des mots d'ordre et là, enfin, ils se plaçaient véritablement dans la tradition des Révolutionnaires de 1789.

Alors, à La Seynoise, on ergotait : le Président affirma qu'il n'avait pas reçu de convocation pour le 14 juillet, alors qu'il avait fait défiler sa formation le 13 au soir et que la circulaire municipale liait habituellement les deux manifestations.

Une ambiance déplorable se développait, reposant sur de tels faits parfaitement regrettables, surtout dans une ville de l'importance de La Seyne.

Et c'est là qu'une fois encore, notre Philharmonique allait perdre son Président.

 

La mort du Président Aubert

Le 4 février 1951, Ninan Aubert s'éteignait après bien des souffrances. Comme la plupart de ses prédécesseurs, il laissait beaucoup de regrets. On se lamentait à l'idée que son bon sourire, sa cordialité méridionale, ne présideraient plus aux réunions de La Seynoise ni aux festivités qu'il anima pendant sept ans. Son style était marqué d'une farouche volonté de progresser, arrondi par une grande courtoisie. Il aurait voulu porter le flambeau de l'association aussi haut que le firent ses prédécesseurs, mais la mort le cueillit et elle plongea les membres de La Seynoise et de la population de notre ville dans une grande tristesse.

S'ouvrait maintenant une ère nouvelle, comme chaque fois qu'un président succède à un autre président. Voyons de quoi elle sera faite.



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