La Seyne_sur-Mer (Var)   Histoire de La Seyne_sur-Mer (Var)
Retour au Sommaire
de l'Histoire de La Seynoise
Marius AUTRAN
jcautran.free.fr
Retour à la page d'accueil
du site
Histoire de la Philharmonique La Seynoise (1984)
CHAPITRE HUIT :
Marius Guinchard, un Président obstiné
(Texte intégral du chapitre)


 

 Ce fut le 26 février 1951 que Marius Guinchard accéda à la Présidence de La Seynoise.

Membre exécutant de qualité, il exerça plusieurs fonctions successives dans la société musicale, tour à tour archiviste, trésorier, secrétaire, remplissant honorablement une longue carrière toute pleine de bénévolat.

Partout, il fut apprécié pour son dévouement sans limites et sa haute probité. Certes, il n'était pas un homme de grande culture, mais il était passionné de musique et son sens aigu des responsabilités lui conférait des qualités indiscutables de dirigeant.

 

Monsieur Guinchard, décoré des Palmes Académiques par G. Jouglas, Président de la Six-Fournaise, en présence de Monsieur Alex Peiré, Président de La Seynoise

Il fut toujours présent, quelles que fussent les circonstances et suppléa à toutes les défaillances ce qui l'amena à jouer le rôle polyvalent, à certaines époques, de Secrétaire et de Trésorier, tout en enseignant le solfège aux jeunes. Il ne se déroba jamais à ce qu'il estima être son devoir et cette qualité lui vaut ici notre sincère hommage.

Nous avons déjà longuement parlé de lui pour raconter comment il sauva le capital le plus précieux de La Seynoise aux heures dramatiques et incertaines de la guerre. On ne pouvait que lui pardonner certaines forfanteries, un goût prononcé pour les excès de langage et les positions tranchées, tant on savait qu'il était acharné à mener à terme et à réussir la mission dont il se sentait investi.

Il eut pour La Seynoise un attachement profond et vénéra celui qu'il avait surnommé Le Sevère, Marius Aillaud, que depuis longtemps il avait qualifié de Grand Président.

Mais voyons les changements apportés par cette Assemblée générale du 26 février 1951.

 

Une nouvelle équipe dirigeante

Car la réunion qui se tint ce jour-là ne se contenta pas de remplacer le Président défunt. Un remaniement sérieux du Bureau de l'association amena d'autres membres à assumer de nouvelles responsabilités. L'équipe dirigeante qui sortit des urnes fut ainsi composée :

Président d'Honneur : Jean Auffan
Président : Marius Guinchard
Vice-Président : Baptistin Manassero
Secrétaire général : Benjamin Garaudi
Secrétaire adjoint : Louis Guisto
Trésorier général : Jean Sicard
Trésorier adjoint : Anatole Vial
Archivistes : A. Arèse, A. Bronner et R. Bollany
Conservateurs : F. Sauvaire, M. Guieu et D. Gilardi
Commissaires : F. Taliani, V. Raynouard, F. Dini et R. Gabriel

La direction de l'orchestre fut confiée à Félix Sauvaire, le poste de sous-chef à Anatole Vial et celui de porte-drapeau à Thomas Bassissi.

La direction de La Seynoise était donc remaniée et renforcée de nouveaux éléments. Cette nouvelle structure autorisait tous les espoirs quant au devenir de la société. Elle mit au point un programme d'activités pour l'année en cours. Par exemple, le Président Guinchard organisa la participation de La Seynoise au Centenaire de la Fanfare Mussou à La Garde, le 19 avril, puis ce fut le festival de Musique de Fréjus qui eut lieu le 20 mai. Une grande excursion organisée à Rians le 10 juin eut un succès remarquable. L'imposante file de cars que l'on voit sur la photographie ci-jointe en est une preuve formelle.

La Seynoise en excursion

Des relations tendues entre la Municipalité et La Seynoise

Il fut question dans cette période de l'inauguration de la rue Ambroise-Croizat, du nom d'un grand dirigeant du mouvement ouvrier qui devint Ministre du Travail après la guerre de 1939-1945. À cette occasion de nouvelles lances furent brisées entre la Municipalité et le Président Guinchard.

En effet, ce dernier informa le Maire Toussaint Merle que sa musique ne participerait pas à cette manifestation. Néanmoins lors de la Sainte-Cécile, il invita le Premier magistrat au banquet traditionnel, ce qui lui valut de recevoir la réponse suivante :

« La Seyne s/mer, le 15 novembre 1951

Monsieur le Président,

J'ai bien reçu votre invitation au banquet officiel que vous organisez le 18 novembre à l'occasion de la fête de la Sainte-Cécile.

Votre société ayant refusé de participer aux cérémonies du 14 juillet organisées par la Municipalité, je ne me crois pas autorisé à assister à ce banquet.

La population comprendrait mal ma présence auprès de ceux qui, systématiquement, se refusent à une collaboration avec nous pour des faits aussi importants que le 14 juillet ou l'hommage rendu à un grand ministre n'ayant jamais renié son origine ouvrière ».

On devine comment le Président Guinchard dut accueillir le style piquant de Toussaint Merle.

Les rapports entre La Seynoise et la Municipalité ne s'étant pas détendus avant le 14 juillet, on comprend aisément que le nouveau Président ait refusé de participer à la manifestation traditionnelle. Pour expliquer son refus, il ne manquait pas d'arguments les uns plus discutables que les autres : « Nous n'avons pas d'invitation officielle » ou alors : « Le défilé aura un caractère politique évident ». Il argua même que les règlements de la Fédération musicale et orphéonique lui interdisaient de participer à des manifestations de caractère politique.

Cela lui valait de la part du Maire de fermes mises au point, comme celle en date du 19 juillet 1951 :

« ... Pour la deuxième fois, La Marseillaise n'a pas clôturé la manifestation du 14 juillet à La Seyne. L'an dernier, vous avez prétexté qu'il s'agissait d'une manifestation politique, et que les statuts de votre Fédération interdisaient la présence des Musiques à une telle manifestation.

Or, cette année, c'est la Municipalité qui a organisé le 14 juillet. D'autre part, je sais par exemple qu'à La Garde, la Fanfare Mussou a participé brillamment au défilé du 14 juillet. Les statuts de la Fédération seraient-ils différents à La Seyne et à La Garde ? (compte-rendu de presse joint) ».

Un soi-disant journaliste et homme politique professionnel de la zizanie utilisait les colonnes d'une certaine presse pour aggraver les motifs de discorde entre La Seynoise et la Municipalité. Il commit, au lendemain d'une autre manifestation des articles intitulés « Et la Musique n'était pas au rendez-vous ! » ou encore « Les Musiques n'ont pas suivi ». Ces articles étaient signés H.M. et les insultes les plus basses pleuvaient sur le Maire et la Municipalité.

Toussaint Merle dont les répliques étaient rapides et ne manquaient pas de mordant, s'adressa au Président de La Seynoise en ces termes :

« ... Vous avez obtenu des félicitations méritées dans un article intitulé : « Les musiciens n'ont pas suivi », félicitations ainsi conclues : « Bravo les musiciens qui ont laissé roucouler le merle sans lui faire le moindre plaisir ».

Que voulez-vous ? On a les félicitations que l'on mérite. De celles-là, venant de ce personnage - (il s'agit de H.M.) - je n'en voudrai jamais ! ».

Et le Maire concluait sa lettre en reprenant une formule de politesse du Président qu'il commentait ainsi :

« ... Je crois à votre grand respect... mais je ne crois pas à vos bons sentiments ».

Ceci pour vous donner un ordre d'idée de l'ambiance des relations entre La Seynoise et les Élus seynois. C'était proprement décevant, d'autant que les problèmes et les difficultés de la Musique restaient entiers. Ce n'étaient pas les rodomontades d'un charlatan boutefeu signant H.M. qui pouvaient les résoudre, au contraire !

Les années qui suivirent prolongèrent la désaffection de la Musique aux défilés patriotiques. Elle attendait au Monument aux Morts, le moment d'exécuter l'Hymne national. Il arriva même que, pour pallier l'absence de la formation musicale, on doive faire appel aux sons nasillards d'un tourne-disque diffusant le chant que l'on doit à Rouget de Lisle. Le Président persistait dans son refus, même s'il donnait un accord de principe rendu caduc par le prétexte d'un nombre insuffisant d'exécutants. Nous disons bien que c'était un faux prétexte car dans cette période, La Seynoise donna successivement plusieurs concerts publics : trois au kiosque de la place Ledru-Rollin et un autre à Saint-Elme. Elle se produisit également le 25 août 1951, pour l'anniversaire de la Libération et le 12 septembre. Pour ces manifestations, elle fit appel à la collaboration artistique des musiciens de Six-Fours, et de ceux de la Musique des Équipages de la Flotte. Cette pratique qui se maintient de nos jours, au-delà d'un simple palliatif, est aussi une bonne occasion de maintenir et d'entretenir la solidarité positive dans le monde musical.

Ces positions sectaires, le refus de regarder la réalité en face, d'y apporter les remèdes nécessaires, conduisaient irrémédiablement La Seynoise sur le déclin.

 

La Seynoise sur le déclin

Car cette même année 1951, le rythme des excursions s'essouffla avec deux déplacements seulement, un à Quinson et l'autre à Saint-Maximin.

Sous la direction bienveillante de Félix Sauvaire, les musiciens faisaient leur possible pour maintenir intact le train des activités de leur formation, mais le nombre des exécutants allait en s'amenuisant.

L'Assemblée générale du 24 juillet 1952 groupa seulement quatorze membres et celle du 20 octobre dix-huit exécutants et six membres actifs. Comment faire du bon travail dans ces conditions ? Comment figurer honorablement dans les manifestations publiques de La Seyne ou d'ailleurs ?

L'année suivante, le découragement fut tel que le Président parla de démissionner et le Chef d'orchestre également. Fort heureusement, leur décision fut différée. La commission artistique tenta de ranimer la flamme et fit observer que le programme arrêté en début d'année devait être respecté. Une excursion programmée qui se rendait à Vinon obtint un succès relatif. La grande place ombragée dont les platanes centenaires plongent leurs racines dans le Verdon accueillit notre Philharmonique et ses supporters. Une bonne ambiance régna ce jour-là dans le village, ce qui ne fut pas sans rappeler les grandes sorties d'antan. Une semblable démonstration eut lieu en Arles quelque temps après.

Il n'y avait pas lieu de désespérer. Les activités étaient certes réduites, mais La Seynoise comptait encore cinq cent soixante-douze membres honoraires dont la plupart allaient être mobilisés à l'occasion d'un grand festival, l'un des plus grands sans doute dans l'histoire des musiques varoises.

 

Le Festival de 1953 à La Seyne

La Fédération Musicale et Orphéonique du Var constatant un fléchissement général dans l'activité de ses formations adhérentes décida pour l'année 1953 la tenue à La Seyne du congrès et du festival.

Le congrès se tiendrait le 9 mai, à la salle Marius Aillaud, rue Gounod, le festival se déroulerait le lendemain. La préparation de cette démonstration fut confiée à La Seynoise.

Rappelons toutefois que les querelles entre les formations locales n'étant pas éteintes, des incidents se produisirent dans l'organisation qu'il fallut mettre au point dès le début de l'année 1953. En effet, réunir en un seul endroit des sociétés musicales de tout le département, c'est-à-dire des centaines de musiciens accompagnés de nombreux supporters, régler les problèmes d'accueil, de transport, de stationnement, de nourriture, organiser les déplacements des formations, l'exécution des programmes artistiques, tout cela demandait un énorme travail de plusieurs mois. Mais il était indispensable que cette tâche soit menée dans la bonne compréhension mutuelle et ce ne fut pas le cas en la circonstance.

La Seynoise et L'Avenir Seynois reprirent à cette occasion leur échange de correspondance mordante.

La Fédération voulut-elle s'appuyer davantage sur La Seynoise pour la préparation ? L'Avenir Seynois adressa à toutes les formations du Var une lettre circulaire expliquant à chacune les raisons de son absence au festival et accusant la Fédération de l'avoir éliminé de la préparation.

On fit alors appel au Maire de La Seyne, Toussaint Merle, pour aplanir les différends. Mais ce dernier déclina ce rôle de médiateur en avançant qu'il n'avait pas à endosser des responsabilités qui n'étaient pas les siennes. Et comme il fallait bien trouver une solution. La Seynoise fut chargée de l'entière responsabilité des préparatifs. Nous n'entrerons pas dans les détails du processus conduisant à une telle situation. Mais reconnaissons que nos deux formations musicales donnaient là un spectacle affligeant, d'autant que chacun espérait beaucoup de cette manifestation grandiose pour la renaissance de l'Art musical dans le département.

Une fois encore, La Seynoise sut trouver dans ses rangs toutes les bonnes volontés pour assurer, le succès de sa mission.

Le congrès se déroula normalement le 9 mai entre quatorze heures et vingt et une heures. Étaient présents seulement les délégués des sociétés varoises. Leurs travaux terminés, ils purent apprécier un grand concert donné par La Seynoise et qui attira beaucoup de monde autour du kiosque de la place Ledru-Rollin. Cette belle soirée printanière fut un excellent prélude au rassemblement du lendemain.

Le dimanche 10 mai, ce fut le grand jour ! Une telle animation dans la ville ne s'était pas vue depuis bien longtemps.

À partir de huit heures trente, les délégués de La Seynoise accueillirent les Musiques du Var. L'horaire des réceptions avait été prévu bien à l'avance et pendant deux heures on vit défiler des dizaines de formations : harmonies, fanfares, cliques,... qui s'en allaient à tour de rôle déposer des fleurs au pied du Monument aux Morts de la guerre - ou plutôt de ce qu'il en restait. Détruit par les Allemands à leur départ de La Seyne en 1944, ce monument qui ne sera reconstruit qu'en 1964 ne se présentait alors que sous la forme d'un socle qui portait les noms des trois cent soixante-treize morts et des huit disparus de la guerre de 1914-1918.

Après l'hommage aux Morts, les musiciens s'en allaient mettre leurs instruments en sûreté dans les locaux de l'École Martini et reconnaître les points de rassemblement pour les concerts qui seraient donnés l'après-midi à la population.

On dénombra trente-huit sociétés. Inutile de dire l'émotion fébrile qui régnait dans notre ville avant même que le festival ne débute.

Les Musiques furent réparties sur le cours Louis-Blanc, le quai Gabriel-Péri, la place Ledru-Rollin, la place Martel-Esprit, le quai François-Bernard et le môle de la Paix. Bien avant l'ouverture du spectacle, des milliers de nos concitoyens mélomanes ou attirés par l'ampleur du spectacle se rassemblèrent et leur curiosité bien naturelle les poussant à connaître le plus possible de formations, ils parcoururent la ville, courant d'un orchestre à l'autre et ne voulant rien perdre des réjouissances.

 

L'Étendard de La Seynoise (Photographie prise le 3 mai 1953 lors du Festival de la FMOV) - Ce glorieux étendard a été présenté lors du Festival du 3 mai 1953 qui se tint à La Seyne. Il porte les dates de 1878 et 1891. On devine les silhouettes de M. Thomas Bassissi porte-drapeau (à droite) et de Mlle Sylvette Gerbaud donatrice (à gauche). Il a été présent aux concours suivants : - Brignoles 1891, Saint-Raphaël 1892 - Aix-en-Provence 1892 - Concours international de Lyon de 1894 - Concours international de Carmes de 1904.

 

Certes, ils avaient eu l'occasion d'entendre L'Étoile du Faron, La Fanfare Mussou ou La Six-Fournaise, mais ils n'imaginaient pas qu'il puisse exister une Musique à Vidauban, à Aups, à Fayence... Ils déchiffraient des noms sur les étendards et les bannières qui portaient, pour certaines sociétés, les stigmates d'un âge vénérable.

Dès quinze heures, toute la ville se mit à retentir de l'appel claironnant, percutant des fanfares, des roulements de tambours, suivi, de-ci, de-là, par les ouvertures d'opéras, les fantaisies, les mazurkas et les valses qui figuraient au programme. La joie et l'émotion faisaient briller tous les regards. Ah ! la Musique, quel réconfort dans cette ville de La Seyne où les travailleurs connurent tant de luttes sévères ! Les modulations alertes des flûtes et des clarinettes, alternant avec les éclats brillants des cuivres, tenaient véritablement en haleine les spectateurs émerveillés. Quelle source d'émotions inépuisables ! Quelles belles mélodies que prodiguaient aussi bien les musiciens de Saint-Zacharie et de Saint-Maximin, paysans aux teints recuits, que les exécutants de Fréjus ou de Saint-Tropez, hommes de mer et artisans.

29 mai 1951 - La Seynoise au festival de Fréjus (Photo E. Conil - Toulon)

On pouvait sentir une fusion de tout le département pour que réussisse cette journée mémorable. De l'est à l'ouest, du Verdon à la mer, les trente-huit sociétés remarquablement réparties donnaient l'image d'un département où partout la musique exerçait ses bienfaits et, dans certains cas, depuis des lustres.

Si La Seynoise qui faisait figure de doyenne existait légalement depuis 1840 - en fait, nous l'avons vu, depuis bien plus longtemps - il y avait aussi des formations anciennes comme La Six-Fournaise et La Fanfare Mussou fondées en 1850, tandis que la Musique de Fréjus vit le jour en 1875, celle du Beausset en 1889, celle de Tourves en 1873, celle de Sanary en 1888, celle de Saint-Jean-du-Var en 1869, celle d'Ollioules en 1879, celle de Draguignan en 1900... C'est peu dire que la tradition était ancrée. Certaines ne furent fondées que la paix retrouvée en 1919, comme La Lyre Aupsoise, L'Harmonie Lorguaise, Les Tambourinaïres de Magali ou La Philharmonique de Vidauban.

Et force était de constater que les formations nées après la seconde guerre mondiale étaient très rares. Signalons toutefois La Farlédoise, Le Réveil de Belgentier, La Lyre de Cotignac, L'Avenir Musical Cuersois et quelques cliques comme L'Étoile du Faron, L'Avenir Lorguais et La Clique de L'Union Sportive Seynoise.

Cela était bien hélas la marque d'un certain vieillissement du mouvement musical à travers le département, du moins sous sa forme d'harmonies, orphéons et cliques.

Un rassemblement comme ce festival du 10 mai 1953 allait-il susciter des enthousiasmes nouveaux, éveiller des vocations insoupçonnées ? Les acclamations impressionnantes de la foule au moment du défilé final en fin d'après-midi permettaient de l'espérer.

L'ensemble des formations parties depuis l'avenue Gambetta devait se retrouver place Noël-Verlaque en passant par la rue Hoche, le quai Saturnin-Fabre et le quai Gabriel-Péri. Toute la population était là qui ne ménageait pas ses vivats et ses bravos. Chaque formation s'avançait, ses dirigeants en tête derrière leurs emblèmes. Le port avait été pavoisé pour la circonstance et dans cette ambiance de fête bonne enfant, les marches et les pas redoublés qui se succédaient à une cadence rapide soulevaient dans la foule grouillante des émotions très vives.

L'Étendard de La Seynoise (Photographie prise le 3 mai 1953 lors du Festival de la FMOV) - Ce glorieux étendard a été présenté lors du Festival du 3 mai 1953 qui se tint à La Seyne. Il porte les dates de 1878 et 1891. On devine les silhouettes de M. Thomas Bassissi porte-drapeau (à droite) et de Mlle Sylvette Gerbaud donatrice (à gauche). Il a été présent aux concours suivants : Brignoles 1891, Saint-Raphaël 1892 - Aix-en-Provence 1892 - Concours international de Lyon de 1894 - Concours international de Carmes de 1904.

Mais le paroxysme de l'exaltation fut atteint quand tous les musiciens rassemblés sur la place Noël-Verlaque exécutèrent un morceau d'ensemble sous la direction du chef de La Seynoise, Félix Sauvaire. Le brave homme n'avait jamais eu l'occasion de se faire obéir par tant de musiciens à la fois.

Quoique difficile, l'exécution fut de bonne qualité. Félix Sauvaire, que l'inquiétude et le trac avaient tenaillé depuis plusieurs jours à la pensée de cette épreuve, avait retrouvé son sourire.

Puis, devant les étendards de toutes les sociétés rassemblées, eut lieu un salut au drapeau puissant qu'exécutèrent toutes les cliques présentes au festival. Et là, comme l'exigeait une coutume établie depuis plus d'un siècle, les sociétés participantes reçurent les médailles commémoratives et les diplômes d'Honneur. Le vieil étendard de La Seynoise fut décoré pour la dernière fois.

Enfin, sous la direction de Félix Sauvaire, une gigantesque formation regroupant toutes les musiques participantes exécuta La Marseillaise qui retentit dans tous les quartiers est de la ville. Les dernières mesures donnèrent lieu à une immense acclamation de la foule impressionnante qui s'était massée pour cette cérémonie d'adieu.

En effet, l'heure tardive, des impératifs d'horaires, contraignirent les participants à se séparer et ce ne fut pas sans regrets. Félicitations, remerciements, embrassades et promesses de retrouvailles, tout cela exprimait le plaisir que chacun avait eu à participer à cette journée qui resterait mémorable.

Dans les bistrots de la Place de la Lune, tout cela s'exprimait en effusions, poignées de mains interminables et toasts que l'on portait mutuellement avec une amitié non feinte.

Les plus anciens se rappelaient les rencontres déjà lointaines dans les coins les plus reculés du département, les autres faisaient des projets de retrouvailles. Tout cela donnait lieu à des dialogues en langue provençale qui était, surtout dans l'arrière-pays, alors en usage courant. Naturellement, le souvenir des grands présidents Guérin, Gay, Pons, Aillaud, fut évoqué avec celui du chef Silvy, de Gilardi, de Taliani et chacun de déplorer qu'ils n'aient pu assister à une si belle journée.

Les festivaliers partis, il restait du pain sur la planche pour les musiciens de La Seynoise qui, de vingt et une heure à minuit, animèrent un grand bal populaire clôturé par le tirage d'une tombola qui mit un terme à ces festivités.

La solidarité des musiciens, des mélomanes, des défenseurs de l'Art musical venait de s'affirmer de façon péremptoire. La Seynoise avait fait la démonstration de sa capacité d'organisation, toujours intacte. Son rayonnement s'avérait non négligeable, dans le département. Il lui fallait à tout prix surmonter la lassitude et exploiter ses réserves d'énergie, de courage et d'initiative.

Il semblait alors que l'hémorragie des membres avait été stoppée : le nombre des adhérents de La Seynoise, s'il n'augmentait pas, ne régressait pas non plus. Il importait maintenant de repartir sur d'autres bases sans abandonner pour autant les activités d'autrefois.

 

Un nouvel essor ?

On se remit donc au travail, organisant des excursions à Gréoux, Cotignac, en projetant des sorties à Bras, à Riez, même, poussant une pointe dans les Basses-Alpes. Tout cela ne rencontra qu'un médiocre succès. Nous étions loin des années trente où musiciens et amis de La Seynoise investissaient par centaines les villages varois, apportant la joie, les plaisirs de la musique et le bonheur de passer une journée agréable en rencontrant des gens nouveaux.

Les mois passaient et il fallait se rendre à l'évidence : la crise s'accentuait.

Il est vrai que, outre une certaine désaffection du public pour les sociétés musicales et leur répertoire, le fait que les automobiles étaient de plus en plus répandues enlevait des participants à ces randonnées qui étaient autrefois, la seule occasion offerte aux Seynois de découvrir leur département.

On constatait dans le même temps une tendance à la désaffection de la vie associative. Rares sont alors les dirigeants d'associations qui ne se plaignent pas - comme ils se plaignent aujourd'hui encore - des absences importantes de leurs membres aux réunions.

Les Présidents convoquent bien les gens aux jours et heures choisis par eux-mêmes, mais beaucoup ont mille raisons de ne pas répondre présent. C'est la vie familiale, la retransmission d'un match ou d'une émission intéressante à la télévision ; c'est, en fait, le manque de motivation et le pas pris par l'individualisme le plus bassement égoïste sur le souci d'avoir des responsabilités sociales.

Déjà à cette époque, le choix d'activités offert aux Seynois s'élargissait et les plus boulimiques, impliqués dans plusieurs associations, avaient tendance à se disperser. N'a-t-il pas raison, le proverbe qui dit : Qui trop embrasse mal étreint ?

À l'époque du Président Gaudemard les sollicitations étaient moins nombreuses et d'autre part, pour un individu, s'engager dans la vie associative donnait lieu à une réflexion sérieuse : c'était un acte perçu comme grave. Témoins la durée des mandats de certains dirigeants, secrétaires ou trésoriers qui sont restés à leur poste plusieurs dizaines d'années. En outre, un homme qui entrait dans une association se mettait au service d'un idéal qui transcendait la seule pratique de ce qui l'y attirait.

Mais nous sommes en 1983 et tout a bien changé...

Pour en revenir à cette période qui suivit l'année 1953, La Seynoise vivotait. Quelques bonnes volontés s'efforçaient bien de faire fonctionner les cours de solfège. L'Avenir Seynois pour sa part avait cessé de fonctionner et La Clique de l'Union Sportive Seynoise, qui se réunissait encore dans le sous-sol de l'École Martini pour répéter, ne trouvait plus les éléments pour jouer décemment lors des défilés populaires. Si une cérémonie avait lieu au Monument aux Morts, on attendait, tendu, l'inévitable canard qui briserait la solennité de la sonnerie Aux Morts.

Cet essor nouveau que l'on pouvait escompter après le festival du 10 mai 1953 fut loin de se confirmer. On sentait plutôt une lente décadence de la pratique, à La Seyne, de l'Art musical.

 

Tentatives infructueuses et escarmouches

Devant cette situation préoccupante, le Maire Toussaint Merle, sachant les difficultés des uns et des autres, prit l'initiative d'une rencontre entre la Municipalité et les trois formations musicales existantes, à savoir La Seynoise, L'Avenir Seynois et La Clique de l'U.S.S. Dans la lettre qu'il adressa à chacune d'elle, il exposa la perspective d'un accord en vue de constituer une seule formation musicale.

L'Avenir Seynois n'avait rien à perdre et La Clique, très affaiblie, fit preuve de compréhension. Marius Guinchard, Président de La Seynoise fut intraitable. Il ne voulut pas entendre parler de dissoudre sa société estimant que, propriétaire de ses locaux, elle devait garder son indépendance.

Le Maire s'étant plaint de n'avoir reçu aucune réponse écrite de La Seynoise une vive polémique reprit de plus belle entre le Président Guinchard et la Municipalité.

En signe de représailles aux reproches formulés par le Maire, il fut décidé que la Société musicale ne participerait plus aux défilés officiels, sauf pour la retraite aux flambeaux des fêtes locales et pour les cérémonies du 14 juillet. Lors des cérémonies du 8 mai et du 11 novembre, La Seynoise se contenterait d'attendre les autorités au Monument aux Morts pour y exécuter La Marseillaise.

Le Maire, de son côté renonça à réorganiser les sociétés musicales en les unifiant. Mais alors, allait-il abandonner l'Art musical dans une si triste situation ?

 

La Municipalité à la recherche d'une solution

Le Conseil Municipal eut plusieurs fois l'occasion de débattre longuement de ces problèmes. Il n'était tout de même pas admissible qu'une ville qui, à l'époque, atteignait déjà quarante mille habitants demeurât sans formation musicale, officielle ou non. Il était impensable de se contenter des embryons existants qui ne pouvaient plus ou ne voulaient plus donner aux cérémonies et aux festivités leur éclat habituel.

Il fallait donc trouver une solution. Qui, sinon la Municipalité, pouvait prendre des initiatives dans ce sens ? C'était bien en effet son devoir que d'œuvrer au service de toute la population.

Il y avait à cette époque environ quatre mille enfants dans nos écoles de garçons et de filles. Ces enfants recevaient bien une formation musicale, mais cet enseignement n'occupait dans leur emploi du temps qu'une heure par semaine. Ce ne pouvait être qu'une initiation et encore, bien abstraite faute de moyens pour acquérir des instruments de musique.

Pour former des musiciens, des moyens bien plus efficaces devaient être mis en œuvre. Il fallait aussi avoir la conviction que, parmi ces milliers d'enfants, il s'en trouverait bien plusieurs centaines pour être sensibilisés à la pratique de l'Art musical.

Restait alors à susciter des enthousiasmes, à trouver des professeurs qualifiés et, bien sûr, à les rétribuer décemment.

Hélas ! dans cette période, les crédits faisaient cruellement défaut aux Municipalités décidées à régler au mieux les problèmes de l'Enseignement. Les effectifs croissaient à une cadence rapide et chaque rentrée scolaire posait des problèmes quasiment insolubles aux administrateurs locaux.

Les créations de postes pour des matières comme le Français, les Mathématiques - sans parler de l'Enseignement technique ! - étaient réduites à la portion congrue, alors que dans le même temps le gouvernement de l'époque faisait la part belle à l'Enseignement privé confessionnel et qu'il gaspillait des milliards dans des expéditions militaires au nom d'une politique coloniale d'avance condamnée à l'échec.

Alors, vous voyez, songer à obtenir des crédits supplémentaires pour l'Enseignement du Dessin ou de la Musique semblait relever d'une conception politique tarée, irréaliste.

D'ailleurs reconnaissons que la tendance générale chez la plupart des enseignants était de considérer les matières artistiques ou les travaux manuels comme des disciplines secondaires.

Quelle monumentale erreur !

Mais pour développer un enseignement approfondi de la Musique, il était nécessaire de créer des structures nouvelles. L'idée faisait son chemin, mais en attendant, il fallait lutter, toujours lutter contre un pouvoir rétrograde qui distribuait de parcimonieuses oboles.

Ainsi, plusieurs années seront nécessaires pour atteindre au but. Nous y reviendrons.

En 1956, le Président de La Seynoise fit savoir au Comité des Fêtes l'impossibilité dans laquelle était la Musique de participer au défilé traditionnel et à la fête nationale du 14 juillet en raison, dit-il, de la défection massive des musiciens. Il semble bien que ce refus n'était que l'application des décisions que nous avons évoquées.

Jusqu'où allaient se développer ces blocages qu'accompagnait - et c'est surtout cela le point important - une lente désagrégation des structures de défense de l'Art musical ?

 

Les relations s'améliorent entre la Municipalité et La Seynoise

L'année suivante, en 1957, il semble que l'atmosphère se soit quelque peu rassérénée. Pourtant les interlocuteurs restent les mêmes. Comment expliquer ce phénomène ?

Il semble bien que le fait électoral ait été déterminant. Toussaint Merle, élu en 1947, eut à gagner à ses vues une opposition farouche, partisane, qui, sans voir les acquis de la Municipalité qu'il dirigeait, attaquaient violemment ses réalisations ou ses projets au nom d'un anti-communisme aveugle.

Puis, faisant la preuve de sa compétence, de sa capacité à donner à La Seyne, les équipements dont elle avait besoin, en dotant notre cité de réalisations d'avant-garde, il gagna de plus en plus de Seynois et, lors des élections législatives qui venaient d'avoir lieu en 1956, Toussaint Merle fut élu député avec une majorité appréciable de 56 % des suffrages.

Ce succès eut-il une heureuse influence sur l'image de marque du Maire auprès de ses concitoyens ? Ici n'est pas le lieu d'approfondir la question, mais on peut faire la constatation que l'année 1957 vit les rapports entre la Municipalité et La Seynoise s'améliorer. En même temps, les activités de la Philharmonique reprirent une vigueur nouvelle.

Dans un rapport transmis par le Président Guinchard à la Fédération Musicale et Orphéonique du Var (F.M.O.V.), le bilan suivant est détaillé : La Musique s'est manifestée seize fois et a été présente à toutes les célébrations d'anniversaires. Pour les cérémonies du 8 mai, du 25 août et du 11 novembre, elle a répondu aux invitations du comité de coordination des Anciens combattants. Pour le 12 juillet, - lancement des fêtes locales - et le 14 juillet, ainsi que pour le 1er novembre, elle a satisfait aux demandes de la Municipalité. En outre, elle a salué le 18 mai le lancement d'un bateau aux Forges et Chantiers. Le 9 juin, elle participait à un festival organisé à Toulon et le 29 juin, elle donnait un concert à Bras.

16 octobre 1954 aux Forges et Chantiers de La Seyne
La Seynoise et la Clique de l'Union Sportive Seynois au lancement du cargo Euphrate




5 juin 1956 - La Seynoise au Festival de Saint-Maximin (photo D. Nonnon - Saint-Maximum)

De plus, trois concerts ont été donnés au kiosque de la place Ledru-Rollin pendant la saison d'été et deux autres concerts se sont déroulés : l'un aux Sablettes, l'autre en ville à l'occasion de la Libération.

Si l'on ajoute les manifestations privées - lors du décès d'un membre de l'association - au cimetière et le concert de la Sainte-Cécile en novembre, on peut affirmer que le bilan d'activité est largement positif.

À la lecture de ces lignes, on pouvait légitimement espérer en un regain. Alors que L'Avenir Seynois ne faisait plus parler de lui, La Seynoise donnait la preuve tangible que ses ressources n'étaient pas épuisées.

Ce rapport mentionne un fait que nous ne saurions passer sous silence : Félix Sauvaire, Chef estimé de la Musique, ne put participer aux fêtes de la Sainte-Cécile car il dut s'aliter. La maladie, en effet, le condamna à quitter prématurément ce poste dont il assumait bénévolement les charges. Les musiciens, comme tous les membres de la société en furent profondément affectés.

On fit alors appel à Désiré Gilardi, fils du célèbre baryton André Gilardi, pour assurer l'intérim en souhaitant trouver un chef plus jeune et plus dynamique. Tous ceux qui connaissent Désiré savent que prendre une telle responsabilité n'était pas dans ses ambitions. Mais, par esprit de dévouement à sa société, il accepta d'exercer ses fonctions durant l'année 1957-1958.

Désiré Gilardi - 1959

Le Président et le Conseil d'Administration tentèrent alors non sans mal, de maintenir les activités. Trois concerts furent donnés au kiosque dont l'un pour l'anniversaire de la Libération et un autre concert fut donné aux Sablettes. Une seule sortie eut lieu, si l'on en croit les archives et elle conduisit nos musiciens et leurs supporters à Riez.

Par crainte de se voir retirer la subvention communale, La Seynoise participa aux fêtes locales et donna comme chaque année le concert de la Sainte-Cécile. Les programmes de ces concerts n'étaient pas d'une grande variété. Il faut dire que l'effectif de la musique se réduisait à une trentaine d'exécutants. Nous étions loin des années fastes du début du siècle ou même des années trente où l'on compta plus du double de musiciens actifs.

Mais l'année 1958 allait être marquée par un événement décisif.

 

Une révélation avec Jean Arèse

En effet, cette année-là, La Seynoise trouva dans ses rangs un jeune musicien plein de talent, dévoué, fougueux, exécutant du hautbois depuis l'âge de douze ans et qui avait reçu l'Enseignement de la Musique de son père Antoine qui jouait de la basse et de Félix Sauvaire, le chef de musique. Il perfectionna ensuite son savoir au Conservatoire de Toulon où il bénéficia de l'Enseignement de César Castel dont nous avons évoqué le passage à La Seynoise. Ce dernier avait bien auguré pour lui un avenir brillant.

Jean Arèse, dont on lira une biographie complète à la fin de l'ouvrage, fait toujours fonction de Chef de Musique. Quand ces lignes seront publiées, il aura, comme disent les musiciens, vingt-cinq ans de baguette. Il sera alors dans la pleine force de l'âge. Mais revenons à l'année 1958.

C'est pour le concert de la Sainte-Cécile que pour la première fois, il dirigea publiquement La Seynoise. Bien sûr, le jeune Arèse n'allait pas, par un coup de baguette - magique - relever une situation gravement compromise. Agé de 22 ans, il devait être admis par les musiciens et conquérir leur confiance grâce à son talent. Durant les années qui suivirent son accession au poste de chef de musique, on vit le train-train de La Seynoise suivre le même rythme routinier. On organisa une excursion annuelle, trois ou quatre concerts et, en fin d'année, on célébra la Sainte-Cécile.

Sainte-Cécile 1958 - Jean Arèse dirigeant son premier concert

12 avril 1959 - Concert de La Seynoise à l'Hôtel de Ville de La Seyne sous la baguette de Jean Arèse

Rien de bien saillant non plus n'est à signaler pour les années 1960-1965. Les activités de La Seynoise étaient au plus bas et il fallait réagir car de nouveau, la menace de disparition de la Philharmonique se profilait à l'horizon.

 

Un cri d'alarme

Puis vint le temps où La Seynoise ne put plus se suffire à elle-même et éprouva de grandes difficultés dans l'accomplissement de sa mission. À chaque concert, elle fut dans l'obligation de demander le concours de ses voisines qui, pour leur part, éprouvaient les mêmes difficultés. Fort heureusement, une solidarité agissante unissait les petites musiques, en général des philharmoniques, qui avaient su conserver, à travers les âges, leur recrutement populaire. Ces musiciens, pour la plupart hommes de condition modeste, ne refusèrent jamais, pour défendre la cause de l'Art musical, d'aller étoffer d'autres formations que la leur. Ce phénomène existe depuis bien longtemps et notons qu'à l'époque actuelle, il tend à se renforcer surtout dans notre région où les sociétés musicales se produisent dans un périmètre assez réduit.

Déjà de longue date existait une collaboration entre la Musique des Équipages de La Flotte et les sociétés musicales varoises. Combien de musiciens issus de petites formations locales, parce qu'ils étaient particulièrement doués, se sont révélés des exécutants de haut niveau et ont pu entrer dans les musiques militaires où ils ont fait une carrière honorable ?

Les Chefs de musique qui se sont succédé à la tête de la formation militaire de La Flotte ont su reconnaître cet atout et n'ont jamais boudé chaque fois que leur concours fut sollicité. Il en est toujours ainsi aujourd'hui avec le Commandant Jansen.

Mais ceci mis à part, dès la fin de la seconde guerre mondiale, des difficultés importantes furent remarquées dans nos philharmoniques.

Nous l'avons évoqué, cela était lié à une crise générale de la vie associative, tributaire de l'évolution des mœurs. En même temps certaines valeurs morales traditionnelles furent délaissées et parmi celles-ci, le souci d'enseigner cette langue universelle qu'est la Musique.

Dans les années soixante, une désaffection très nette se fait toujours sentir vis-à-vis de l'Art musical. Alors des hommes de bon sens, des passionnés, s'élèvent contre le risque de voir la Musique tomber au rang des arts mineurs.

Les dirigeants locaux qui se concertèrent au cours de congrès, de réunions, s'inquiétèrent et, dans les fédérations régionales et nationales, on poussa un cri d'alarme : La Musique se meurt faute d'exécutants.

Le Président de la Fédération musicale et orphéonique du Var, Monsieur Berthé, ne cachait pas son amertume devant une telle situation. Il déployait tous ses efforts pour impulser un dynamisme nouveau dans l'ensemble des formations dont il avait la charge, mais en vain. Il apprenait parfois que telle ou telle formation musicale de tel ou tel village varois avait cessé toute activité. Les instruments, les étendards, les diplômes et les médailles demeuraient alors enfermés dans un quelconque placard d'une salle des fêtes. Les défilés, les cérémonies patriotiques eurent alors lieu dans le silence et les bals populaires ne furent animés que par les nasillements d'un tourne disque. Bien sûr, les sons, les mélodies étaient parfaitement reproduites par les microsillons, mais il manquait l'ambiance d'autrefois, l'éclat des instruments, les pauses pendant lesquelles les musiciens se désaltèrent en plaisantant.

Monsieur Berthé, vieille figure varoise qui apporta aux sociétés locales tout son dévouement et sa compétence, voulut attirer l'attention populaire d'abord, puis celle des hommes du Pouvoir ensuite. Interrogé par des journalistes, il analysa longuement les causes du marasme. Laissons-le en parler :

« ... Les raisons du désintéressement des jeunes gens pour la Musique sont nombreuses. D'abord et avant tout, l'abandon dans lequel sont laissées nos sociétés musicales par les Pouvoirs publics. Puis la disparition des musiques militaires qui procuraient un excellent débouché à nos jeunes musiciens.

... Ajoutons à cela le prix élevé de certains instruments de musique et enfin le modernisme (micros, stéréophonie, etc.) ».

Il poursuit, plus loin en précisant :

« ... Cette situation a eu des répercussions sur nos musiques et harmonies civiles ou les éléments jeunes se font de plus en plus rares. Dans le Var, tout au plus, l'on peut dénombrer une cinquantaine de sociétés valables, tandis qu'à Toulon, on en compte cinq à peine dont une symphonie en sommeil, faute d'une salle pour les répétitions et une autre composée essentiellement d'accordéons.

... Cette désaffection est la conséquence de l'absence de tout encouragement officiel. En effet, les subventions sont rares et nettement insuffisantes, et l'on continue à vouloir nous ignorer au ministère des Affaires culturelles. En haut lieu, on semble ignorer que les sociétés musicales ont pour mission de former des musiciens. En nous donnant des subventions et des récompenses au compte-goutte, le Ministère des Affaires culturelles freine tous les élans et décourage les meilleures bonnes volontés. Si nous avons pu tenir jusqu'ici tant bien que mal, c'est, il faut le dire, grâce à la Fédération du Var et à la Confédération Musicale de France qui sont parvenues à maintenir le feu sacré en affectant aux élèves des cours de solfège et d'instruments, des diplômes et des médailles pour récompenser leurs mérites. Mais cela au prix de quels sacrifices ! ».

Et Monsieur Berthé avait bien raison. Ce ne sont pas avec les seules cotisations des adhérents et des exécutants qu'une société peut se procurer un local qu'il faut louer, entretenir, chauffer, ni que l'on peut acheter du matériel de bureau, des partitions et aussi parfois des instruments. Il ajoutait :

« Nous sommes loin très loin même de certains pays où l'Art musical est poussé au plus haut degré...

... Je ne veux mettre personne en cause, mais je pense que certaines subventions sont allouées sans beaucoup de discernement. Il est par exemple des groupements artistiques qui touchent annuellement plusieurs dizaines de millions pour organiser des concerts à travers la France en présentant des artistes qu'ils ne forment pas.

Or, ce qui importe avant tout, c'est de former des musiciens et des artistes pour les présenter ensuite. Il y a là une lacune importante à combler ».

Enfin, Monsieur Berthé faisait allusion aux difficultés matérielles et expliquait que le choix de l'instrument, pour un débutant, se faisait aussi en fonction de son prix :

« Savez-vous qu'un cor anglais coûte deux cent mille anciens francs et qu'un hautbois vaut environ cent cinquante mille anciens francs ? Ne vous étonnez pas si ces instruments sont quelque peu délaissés ».

Plus de vingt ans se sont écoulés depuis cette interview. La baisse des prix n'étant jamais intervenue en ce domaine comme dans d'autres, ces mêmes instruments coûtent aujourd'hui quatre ou cinq fois plus. Nous ne pensons pas toutefois que le montant de la dépense soit un obstacle majeur au choix d'un instrument. Généralement, les jeunes musiciens savent trouver les moyens financiers pour satisfaire leur passion. Pour ceux d'entre eux qui seraient dans le plus grand dénuement, la société peut toujours leur venir en aide.

Monsieur Berthé eut l'occasion d'évoquer dans les congrès nationaux des Philharmoniques, toutes les difficultés dont souffrait l'exercice de l'Art Musical. Et à La Seyne comme ailleurs la situation allait en s'aggravant.

C'est alors que la Municipalité que dirigeait Toussaint Merle prit une décision très importante.

 

Une initiative décisive

Cette initiative fut la création d'une École Municipale de Musique.

On se souvient que des efforts infructueux avaient été faits pour regrouper les formations musicales existantes. Puisque l'on ne pouvait convaincre les anciens de se regrouper, il fallait faire du neuf. Il était impensable qu'une ville qui atteignait quarante-cinq mille habitants laisse d'une part ses formations musicales tomber en désuétude et prive sa jeunesse de l'Enseignement musical auquel elle avait droit.

Depuis quelques années, la Municipalité avait bien avancé dans la réparation de ses infrastructures et des immeubles détruits à soixante-cinq pour cent par la guerre. Puis, elle avait entamé un programme d'urbanisation et d'équipements qui plaçait La Seyne à l'avant-garde dans le département. Un grand retard était à rattraper, seuls les anciens savent encore le mesurer. Lorsque le processus irréversible fut engagé, les Elus purent alors jeter leurs forces dans la résolution des problèmes culturels.

En 1959 avait été créé l'Office Municipal de la Culture et des Arts (O.M.C.A.) auquel avaient adhéré vingt-cinq associations représentatives de différents aspects de la vie culturelle et artistique. Sous l'impulsion de la Commission municipale de la Culture présidée par Jean Passaglia, Adjoint au Maire, ces associations allaient connaître un nouvel essor, qu'il s'agisse du Club Antarès, pour l'astronomie, des troupes de théâtre, des groupes pratiquant la peinture, la sculpture, la danse, la musique, etc. En effet, c'est en 1960 que fut ouverte la première école municipale, celle des Beaux-Arts.

La Municipalité aurait souhaité ouvrir simultanément l'École de Musique et l'École des Beaux-Arts, mais les crédits nécessaires faisant cruellement défaut, il fallut faire un choix douloureux.

Finalement, ce n'est que par la délibération en date du 15 décembre 1963 que fut ouverte - enfin ! &endash; l'École Municipale de Musique de La Seyne-sur-Mer. Le dossier fut instruit et présenté par Jean Passaglia qui rappela que dans la décision que prit le Conseil municipal le 21 novembre 1960 d'ouvrir une école de dessin, il était dit en préambule :

« afin de promouvoir la jeunesse, de lui ouvrir un éventail plus grand, tant dans les activités professionnelles que dans celles des loisirs, la Municipalité a décidé du principe de la création d'une école municipale de dessin ».

Rapidement, d'ailleurs cette école de dessin qui compta à son ouverture plus d'une centaine d'élèves, devint une école de Beaux-Arts. Elle permit à ceux qui avaient une vocation artistique de préparer le Certificat d'aptitude à une formation artistique supérieure (C.A.F.A.S.).

C'est dans le même esprit que Jean Passaglia proposa à l'assemblée la création de l'École Municipale de Musique, précisant qu'à ses débuts, l'enseignement dispensé se limiterait à celui du solfège. Le professeur chargé de ces cours aurait un horaire de huit heures hebdomadaires.

Après avoir entendu le rapporteur, le Conseil municipal délibéra et autorisa la création de cette école de musique à compter du 1er janvier 1966. Ce fut le 28 mars de cette même année que la délibération reçut l'approbation de la Préfecture, procédure normale en ces temps où les élus locaux étaient sous tutelle préfectorale.

Cette création de l'École de Musique était dans le programme électoral de Toussaint Merle. On peut dire qu'il se battit d'arrache-pied pour qu'elle voit le jour. Mais les lenteurs administratives furent telles que l'autorisation de fonctionner ne fut donnée qu'à deux mois des grandes vacances. Malgré cela, dès le mois de mai 1966, la Municipalité désigna Jean Arèse comme premier responsable qui aurait à assumer conjointement les responsabilités de Directeur et de Professeur.

Immédiatement, cent cinquante inscriptions furent enregistrées et, malgré l'approche des vacances, cent vingt élèves suivirent régulièrement les cours. C'est dire combien était grande l'impatience des jeunes et des familles de voir se réaliser le projet municipal.

Ainsi donc naquit un embryon de Conservatoire seynois de Musique. Notre jeunesse n'aurait plus à faire des déplacements pénibles et coûteux pour apprendre le solfège et pratiquer les instruments de son choix. Ainsi étaient jetées les bases d'un enseignement véritable de la Musique qui prolongerait la simple initiation dispensée par l'École publique.

Que d'espoirs sur le berceau de cette nouvelle structure !

On se plaisait à penser que sous l'impulsion d'un directeur dynamique et de professeurs qualifiés que l'on ne tarderait pas à recruter dans la perspective d'extension de l'école, des jeunes instrumentistes viendraient apporter un sang nouveau aux formations musicales locales et notamment à La Seynoise. Il n'était pas non plus impensable que les plus doués, embrassant la carrière musicale, trouveraient par cette école le chemin pour satisfaire leur vocation. Et les problèmes de chômage et de débouchés pour la jeunesse étant déjà à l'ordre du jour, cela n'était pas négligeable.

Si, à la rentrée d'octobre 1967, l'école de musique débuta avec un seul professeur et un effectif moyen de cent trois élèves, il fallut dans les trois années qui suivirent créer six postes de professeurs enseignant trois cents élèves en solfège dont cent vingt-cinq en cours d'instruments. Ces classes d'instruments concernaient l'apprentissage du piano, du violon, de la clarinette, du saxophone, du hautbois, de la flûte, de la trompette et du basson. Les professeurs étaient les suivants :

- M. Arèse enseignait le hautbois
- Mlle Michel enseignait le piano
- M. Clément enseignait la clarinette et le saxophone
- Mlle Bojaruniec enseignait le violon
- M. Destremau enseignait la flûte
- M. Arnaud enseignait la trompette
- M. Rives enseignait le basson.

Nous reviendrons vers la fin de l'ouvrage sur cette École de Musique et le lecteur pourra apprécier le chemin parcouru dans son évolution rapide jalonnée de succès encourageants.

Pour revenir à La Seynoise, un peu éclipsée depuis quelques pages par la nouvelle structure, nous serions coupable d'un oubli inexcusable si, avant de quitter cette année 1967, nous n'évoquions pas avec émotion la disparition de trois parmi les meilleurs membres de La Seynoise et dont le souvenir est resté cher au cœur de nos musiciens. Il s'agit de Ferdinand Taliani frère du regretté chef de musique François Taliani, disparu quelques années plus tôt, d'Auguste Tinteri, membre honoraire et de Jean Auffan, gendre de Bergonzo qui fut sous-chef de Musique, doyen des membres honoraires et Président d'honneur. Ce brave homme était sociétaire depuis 1899. Soixante-huit ans de fidélité à la cause pour laquelle il se dévoua, avec tous ses camarades de La Seynoise, sans compter.

 

Le renouveau

Comme prévu, comme espéré, les effets bénéfiques de l'école municipale ne se firent guère attendre. Trois ans après sa création, nous vîmes figurer honorablement de jeunes musiciens instrumentistes avec leur cornet à piston, leur clarinette, leur hautbois, dans les rangs de notre musique. Comme ce spectacle faisait chaud au cœur. Le blé vert levait et la moisson s'annonçait de qualité. La relève arrivait pour épauler les anciens qui luttaient contre l'adversité et ne cachaient pas leur satisfaction de savoir que lorsque viendrait le temps de raccrocher, ils n'auraient pas le remords de laisser un vide affreux. La continuité était assurée.

Jean Arèse dont on sait le grand mérite, car il fut un des principaux artisans de ce renouveau, commençait à cueillir le fruit de ses efforts et l'on devine sa légitime fierté lorsque, dirigeant La Seynoise, son regard parcourait au fil des pupitres l'alternance des visages connus de nos vieux musiciens et des minois attentifs et un peu crispés des nouveaux venus, tous unis dans la grande communion de la Musique.

Il eut alors l'idée de constituer un orchestre philharmonique d'enfants. Ce ne serait pas un concurrent pour La Seynoise, car son répertoire, différent, serait au contraire parfaitement complémentaire.

Cet ensemble qui débuta avec seulement quinze ou vingt musiciens en culottes courtes ou rubans de velours n'allait pas tarder à devenir une formation dont la réputation dépasserait bientôt le cadre de la commune. C'est encore la Musique qui porterait brillamment les couleurs de La Seyne dans les villes voisines et même hors du département.

La grande nouveauté, par rapport à la vieille philharmonique, fut l'apparition des instruments à cordes, violons, violoncelles et contrebasses, qui allaient permettre d'aborder des œuvres musicales que La Seynoise ne pouvait avoir à son répertoire. Une place importante est réservée en fin d'ouvrage à cet orchestre des jeunes issu des cours municipaux.

C'est avec une grande satisfaction que nos concitoyens virent ce sang neuf relever le flambeau de l'Art musical dans nos murs. Chez les plus anciens, le souvenir des aînés qui avaient lutté donnant de leur temps et le meilleur d'eux-mêmes pour qu'à La Seyne, on puisse continuer à faire de la musique, ne se teintait plus de regrets, mais s'illuminait d'un nouvel espoir. La Seynoise atteignait alors l'âge vénérable de cent vingt-cinq ans. Elle avait connu des fortunes diverses, affronté les pires difficultés dans les périodes troubles de l'Histoire de notre pays, mais jamais, elle n'avait sombré et c'est de cette persévérance courageuse qu'était né le ferment du renouveau. La foi ardente, obstinée de ses dirigeants, de ses musiciens, de ses membres, avait triomphé des obstacles les plus abrupts inhérents aux caprices de la vie politique, aux événements historiques ou locaux et aux jalousies et autres malveillances. En participant au renforcement de notre vieille Philharmonique, les jeunes issus des milieux les plus divers obéissaient à un sentiment de tacite reconnaissance envers Marius Gaudemard, le vénérable fondateur et envers ses successeurs. Ils s'inscrivaient, obscur maillon, dans une longue chaîne composée de tous les dirigeants, de tous les chefs de musique, de tous les musiciens, membres honoraires, mécènes ou mélomanes qui avaient soutenu ou contribué au développement de la société. Par leur présence, par leur foi encore intacte, ils œuvraient déjà pour que tout ce que ce modeste ouvrage a rappelé ne sombre pas dans l'oubli.

Et voilà qu'au moment où se levait une aube nouvelle, le Président Guinchard, très affaibli par la maladie, ne fut plus en mesure d'assumer la Présidence.



Retour au Sommaire de l'Histoire de La Seynoise

Retour à la page d'accueil du site de Marius et Jean-Claude Autran

Accès au Site Officiel de la Philharmonique La Seynoise

Histoire de La Seyne-sur-Mer (Var)
Récits, portraits, souvenirs

jcautran.free.fr
Accès aux œuvres complètes
de Marius AUTRAN
Biographie
de Marius AUTRAN
Biographies familiales
et autobiographie de Marius AUTRAN
Pages généalogiques
Forum du site
Encyclopédie des
rues de La Seyne
Lexique des termes
provençaux
Dictionnaire du
Mouvement ouvrier et social seynois
Documents divers sur l'histoire
de La Seyne
Les élections à La Seyne depuis 1945
Chronologie de
l'histoire de La Seyne
La Seyne de A à Z
Archives, souvenirs et écrits divers
de Marius AUTRAN
Archives, souvenirs et écrits divers
de Jean-Claude AUTRAN
Avis de recherches
Informations
légales sur le site

© Jean-Claude Autran 2016