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Ceux de nos concitoyens fixés depuis peu à La Seyne, et qui sont désireux de mieux connaître leur terre d'accueil, se plaignent parfois auprès de gens du cru de manquer d'ouvrager d'histoire locale retraçant les origines et le développement de leur ville d'adoption.
Leur remarque n'est que partiellement justifiée et ils auraient tort d'accuser de négligence, d'indifférence, voire d'ignorance les Seynois eux-mêmes.
Il y a certes, ici comme ailleurs, des lacunes dans le domaine de la culture historique. Mais peut-on en incriminer nos seuls concitoyens ?
La liste des documents connus d'histoire locale atteste de la compétence et de la bonne volonté de gens qui ont tenté de remettre en lumière les obscurités du passé.
JEAN DENANS, LE PRÉCURSEUR
Le premier de ces ouvrages date de 1713. Il est manuscrit et difficile à lire. Ce n'est qu'en 1892 qu'il fut reproduit sous forme d'articles de presse dont on peut trouver les textes dans les archives départementales.
Il n'était pas paru vraiment nécessaire à son auteur, Jean Denans, notaire et viguier à La Seyne, d'en faire une diffusion importante. Il faut dire que la population dans sa très grande majorité était alors parfaitement illettrée.
Par la suite, même avec le recul de l'analphabétisme, les difficultés d'édition furent telles que les érudits en histoire locale limitèrent souvent leurs ambitions à de modestes tirages, souvent à compte d'auteur, de plaquettes ou de petites brochures.
LES TRAVAUX DE MM. SCHIVO ET MERENDA
Il n'est pas inutile, ici de rappeler le nom de quelques-uns de nos concitoyens attachés à perpétuer les souvenirs de notre passé.
Parmi ceux-là, Messieurs Schivo et Merenda rédigèrent des textes, sur des registres cartonnés, qui retraçaient les origines de La Seyne, les modes de vie d'autrefois, les coutumes des habitants, l'extension progressive de la ville, le développement de la construction navale, etc.
Ils faisaient état de témoignages de leur temps. Et leur intention manifeste était la transmission de ce patrimoine hérité des anciens, de leurs parents et de leurs grands-parents, de sorte que la mémoire de la ville se reconstituait depuis le début du XIX° siècle.
Tout ce qu'ils ont écrit est d'un grand intérêt et j'eus moi-même le bonheur, dans les années de l'après-guerre, d'en prendre connaissance grâce à l'obligeance de leurs héritiers qui conservaient ces documents comme des reliques.
Rien de ces manuscrits laissés après leur mort n'a été perdu car M. Baudoin, ami des vieux Seynois Schivo et Merenda, sut tirer admirablement parti des fruits de leurs travaux qui présentaient, disons-le, un caractère assez rudimentaire.
DES INÉDITS
D'autres personnalités locales ont écrit sur La Seyne. Alex Peiré fut l'auteur, dans sa jeunesse, d'un roman intitulé Le Pardon dont les intrigues amoureuses avaient pour théâtre la propriété de Michel Pacha et ses environs. Cet ouvrage ne fut jamais édité.
Il y eut par ailleurs, dans le passé, quelques honorables citoyens qui éprouvèrent l'ardent désir de fixer sur le papier des souvenirs afin que le voile de l'oubli ne recouvre pas pour l'éternité des faits, des personnalités, des exemples notoires de valeur morale et civique.
Hélas, ils renoncèrent à leurs projets devant les innombrables difficultés qu'ils rencontrèrent : problèmes financiers, problèmes de publicité, absence d'organismes encourageant l'édition et la diffusion d'ouvrages d'histoire locale…
Voilà donc pourquoi rares sont ces ouvrages, ce qu'il serait malvenu de reprocher à ceux qui auraient bien voulu exercer un talent littéraire, satisfaire une curiosité d'érudit ou répondre au souci de pérenniser les traces de notre passé historique.
LA CONTRIBUTION DE NOËL VERLAQUE
Il nous a été donné de découvrir, tout à fait par hasard, une plaquette écrite par Noël Verlaque Conseiller municipal, Conseiller général et Directeur des Forges et Chantiers de la Méditerranée. Elle s'intitule Situation des Affaires municipales de La Seyne en 1865.
Le propos de l'auteur a été d'informer les électeurs des difficultés à surmonter dans l'administration communale. Un certain nombre de problèmes locaux sont passés en revue : finances, voirie, enseignement, etc. Ce document, écrit en période préélectorale, montre bien, toutes proportions gardées, quels étaient les sujets de préoccupation des élus d'alors.
Dans les décennies qui suivirent, il n'y eut aucune publication à l'exception de l'édition de tracts à l'occasion des campagnes électorales.
Signalons toutefois des plaquettes historiques éditées par la Société des Forges et Chantiers de la Méditerranée.
LES F.C.M. PUBLIENT
En 1911, la société des Forges et Chantiers de la Méditerranée fit paraître une biographie de M. Amable Lagane, qui fut ingénieur avant d'assumer la direction de l'entreprise.
Le Conseil d'Administration voulut lui rendre un hommage émouvant après les services incomparables que ce grand chef d'entreprise rendit à la construction navale seynoise Nous reviendrons longuement sur la vie et l'œuvre de cette personnalité remarquable.
En 1913, une brochure illustrée retraçait l'histoire des F.C.M. et présentait ses réalisations les plus spectaculaires, connues dans le monde entier.
UN LONG SILENCE
L'année suivante, la première guerre mondiale éclata. Rien ne parut sur cette période dramatique.
L'entre-deux guerres ne fut pas plus prolifique. Puis un second conflit embrasa la planète, avec son cortège de malheurs et de deuils, période dramatique qui nous vit endurer une occupation ennemie, des bombardements, des massacres, des destructions et des sévices.
Aucune personnalité locale, aucun édile n'entreprit de fixer ses souvenirs dans un ouvrage écrit. C'est bien regrettable, car il ne reste de cette période que quelques traces dans les archives locales : délibérations du conseil municipal, textes administratifs, tous documents qui ne parlent guère à la sensibilité et ne portent pas en eux l'évocation de souvenirs heureux ou douloureux. Rien, en un mot, qui soit susceptible d'éveiller les consciences et de resserrer les liens de convivialité entre les enfants de La Seyne.
LE TÉMOIGNAGE DU PROFESSEUR GAIGNEBET
Il faudra, la guerre terminée, que le Professeur Gaignebet prenne l'initiative d'écrire sur les désastres qu'engendra ce terrible conflit.
C'était en 1947, La Seyne était détruite à 65 % et des chantiers navals, il ne restait quasiment rien. Dans une brochure très documentée de quelque cinquante pages, l'auteur retrace un historique succinct de la : construction navale à La Seyne et fait le point de cette activité centrale de notre économie locale, après les destructions subies.
IL EST ENCORE QUESTION DES F.C.M.
En 1956, la société des Forges et Chantiers de la Méditerranée fêtait son centenaire. À cette occasion, la Direction prit l'initiative d'écrire un nouvel historique qui devait être complété, en 1964, par un autre document.
L'inventaire de ce qui a été publié, concernant notre histoire, laisse apparaître une forte représentation d'ouvrages traitant de la construction navale. Cela n'est pas surprenant : les actionnaires de cette société avaient déjà le souci d'assurer à leurs activités une large publicité, d'autant que les F.C.M. jouissaient d'une excellente réputation dans le monde entier. En outre, là se trouvaient les moyens nécessaires à la réalisation de belles éditions.
Pourtant, personne n'avait jusque-là envisagé de se plonger dans une histoire générale de notre commune qui accusait alors plus de trois siècles d'existence.
LOUIS BAUDOIN
Cette lacune fut comblée en 1965 quand parut l'Histoire générale de La Seyne et de son port, véritable somme que nous devons au travail monumental de M. Louis Baudoin, personnalité locale tenue en haute estime dans toute la région provençale, membre de l'Académie du Var.
Son œuvre répondait à une attente qui se manifestait depuis longtemps dans la population. Il y consacra plusieurs années de sa vie. L'ouvrage de huit cents pages apporta une documentation abondante et variée, traitant de tous les aspects de la vie locale au cours des siècles passés.
Malheureusement, cette édition ne bénéficia que d'un faible tirage car il faut se souvenir des grandes difficultés que rencontra M. Baudoin pour que paraisse son livre. C'est sans doute ce qui le découragea d'entamer une réédition.
C'est ainsi que cet ouvrage de référence ne se trouve que chez ceux qui souscriront pour sa parution et chez les rares Seynois qui en firent l'acquisition. Ceux-ci, conscients de la valeur de ce document, ne le prêtent qu'avec beaucoup de réticences.
D'AUTRES OUVRAGES D'HISTOIRE LOCALE
Plus prés de nous, je prendrai garde de ne pas oublier le modeste mais fort intéressant ouvrage d'Alex Peiré, ingénieur géomètre, intitulé L'Émissaire Commun (1967).
En 1983, notre jeune concitoyen Patrick Martinenq tirait de sa thèse de doctorat un ouvrage intitulé Place de la Lune, présentation de nos chantiers navals sur une période allant de 1830 à 1936. Cet ouvrage, après des rappels historiques sur les origines de la construction navale, présente une étude approfondie du développement de l'industrie, des techniques, de l'évolution des mœurs, des changements incessants de la composition sociale, et des modes de vie. Il constitue une précieuse contribution à l'enrichissement de notre histoire locale et va bien dans le sens souhaité par ceux de nos concitoyens à la recherche de leur identité culturelle et notamment les travailleurs du chantier naval.
AVEC LE G.R.A.I.C.H.S.
En 1981, je souhaitais publier une étude sur l'École Martini. Avec mes amis Bonaccorsi et Brémondy, nous avons alors décidé de fonder le G.R.A.I.C.H.S. (Groupe de Recherche-Action sur l'Identité Culturelle des Habitants de La Seyne). C'est ainsi qu'a vu le jour l'Histoire de l'École Martini - L'Enseignement à La Seyne de 1789 à 1980. Puis, en 1984, nous avons publié Cent Cinquante ans d'Art Musical - Histoire de la Philharmonique La Seynoise. Mon ambition ne visait qu'à apporter des compléments à l'œuvre de Monsieur Baudoin.
À travers l'histoire d'une école, qui s'étend sur presque un siècle et demi, à travers celle d'une société musicale au passé glorieux (et parfois mouvementé) d'une égale durée, j'ai cru bon de présenter certains aspects de la vie seynoise d'autrefois, pensant qu'ils sauraient intéresser nos concitoyens. Leurs encouragements ont été tels qu'ils m'ont incité à poursuivre dans la même voie.
Ils ont également stimulé mes amis du G.R.A.I.C.H.S. qui ont multiplié les initiatives pour mener à bien d'autres publications.
Ainsi, en 1984, paraissait Michel Pacha, enfant de Sanary, créateur de Tamaris, de Monsieur Georges Ortolan, texte d'une conférence donnée par l'auteur à l'Académie du Var, puis à la Maison de la Culture de Sanary. Cet ouvrage remarquable, superbement illustré, fait revivre une grande figure de notre commune qui créa à La Seyne une des stations estivales les plus appréciées, en son temps, de la Côte d'Azur. Cette étude, qui nous reporte un siècle en arrière, fut le fruit de deux années de patientes recherches dans les archives familiales de la famille de Pierredon et dans les archives administratives et commerciales des sociétés créées par le Pacha. Elles ont demandé la collaboration des ambassades des pays qui naquirent en 1920 du démembrement de l'Empire Ottoman.
À son tour, cette publication a connu un beau succès, puisque le tirage de mille exemplaires est quasiment épuisé. Elle fut suivie, en 1985, par celle d'un recueil Les Mots d'ici, par Henry-Paul Brémondy. Il s'agit d'un travail original publié chaque semaine dans le quotidien Var-Matin République, sur les termes et les expressions d'origine provençale qui constituent le fonds de notre parler ordinaire. L'auteur nous en dévoile les racines, les définitions et les interprétations souvent pittoresques. Sur la centaine de termes publiés par le quotidien, il en a choisi une trentaine pour un premier recueil, Il y en aura sans doute d'autres.
Cette étude se lit avec ferveur, tant elle est savante, pleine d'humour, et qu'elle fait vibrer chez les gens du pays, la fibre du terroir par les accents incomparables de cette langue mère que nous avons le devoir de ne pas laisser s'éteindre
Enfin, René Merle, professeur agrégé d'Histoire, enseignant de provençal, nous a offert, ces derniers mois, un Inventaire du texte provençal de la région toulonnaise, qui rassemble des documents devenus rares et parfois inédits, écrits entre 1789 et 1850, dans leur graphie originale et qui n'intéressent pas que les amoureux du provençal.
Depuis la fondation du G.R.A.I.C.H.S., le patrimoine seynois s'est donc considérablement enrichi.
IMAGES DE LA VIE SEYNOISE D'ANTAN
Mais il reste beaucoup à faire, car l'histoire de notre commune est suffisamment riche pour supporter d'être abordée sous plusieurs angles : histoire économique, politique, culturelle, religieuse, sportive, urbanistique, etc.
Le nombre des sujets possibles est illimité.
Le présent ouvrage se présente sous la forme d'un recueil où le lecteur découvrira, chapitre après chapitre, des aspects de la vie d'antan livrés en vrac. Il reconnaîtra des personnalités dont est tracé le portrait et qui ont durablement marqué la vie locale, il retrouvera le récit de faits mémorables, heureux ou douloureux, et des souvenirs évocateurs des activités d'autrefois.
Nous nous proposons de léguer à la jeunesse d'aujourd'hui et à celle de demain, un héritage digne d'intérêt, en espérant qu'elle accepte de l'accueillir comme on écoute le récit de l'ancien, comme on s'en imprègne pour, un jour, le transmettre à son tour.
Mon souhait est aussi de distraire nos concitoyens qui auront vécu, dans leur jeunesse, tel aspect de notre vie communautaire.
Mais que cette lecture que je souhaite agréable n'empêche pas nos fidèles lecteurs de rendre un sincère hommage à l'ingéniosité de ces hommes qui ont travaillé durement sur notre terre. Qu'elle leur donne la conviction que, pour nous permettre un certain confort, le peuple Seynois des temps passés a dû faire preuve de pugnacité, d'inventivité, d'imagination et que leurs édiles ont eu à mener de rudes combats pour imposer des solutions de progrès.
La jeunesse, de tout temps, dans son désir légitime de faire toujours plus et mieux, a tendance à porter un regard un peu condescendant sur les tentatives de ceux qui ont vécu autrefois.
On est en droit de s'extasier devant le génie des constructeurs d'Airbus, de Concorde ou d'Hermès, mais faut-il pour autant oublier Ader, Blériot ou même Léonard de Vinci ?
Nous sommes également héritiers d'idées reçues, de principes moraux dont on dit un peu vite qu'ils sont dépassés. Laissez au vieil instituteur le désir d'apporter sa contribution à une meilleure connaissance de tout ce qui anima ceux qui firent La Seyne d'autrefois.
La vie d'une communauté d'êtres humains, c'est tout à la fois le travail, les embûches qui ont jalonné leur chemin, les usages et les croyances qui ont éclairé leurs doutes, leurs interrogations, l'éducation qu'ils ont reçue, les luttes d'intérêts divergents qui les ont opposés, mais aussi la solidarité qui les anima dans les heures pénibles. Et malgré ces conflits idéologiques, politiques, économiques, malgré les affrontements et les contradictions, notre histoire est celle d'une longue marche vers le progrès général, bénéfique à tous.
Pour rendre vie, le temps de quelques pages, à ce passé seynois, nous avons comme à chaque fois, eu recours aux documents écrits, mais dans la plupart des cas, nous avons recueilli les récits de témoins oculaires qui nous ont apporté une précieuse contribution. Qu'ils en soient ici vivement remerciés. Nous avons aussi transcrit nos observations personnelles, car les événements de ce XX° siècle finissant, nous les avons vécus intensément.
Tout cela nous a permis de faire défiler devant vos yeux des images vivantes du passé seynois. Images paisibles et porteuses d'un véritable bonheur, images tumultueuses, expressions des bouleversements qui ont secoué notre époque. Quant aux heures fastes ont succédé les malheurs, nos anciens, sans se laisser abattre, ont toujours su trouver l'énergie pour surmonter la tempête.
Croyons que les générations présentes et à venir resteront dignes de cet exemple.
Marius AUTRAN
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© Jean-Claude Autran 2016