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Comme toutes les autres,
notre commune de La Seyne est un conglomérat de quartiers, c'est-à-dire
de portions de son territoire dont les limites sont souvent mal
définies.
Il ne s'agit pas de
divisions administratives, car les contours de ces quartiers sont
généralement mal connus par les habitants eux-mêmes, sinon par les
édiles qui les administrent. Cela donne parfois lieu à de vives
discussions auxquelles participent avec force arguments les
chauffeurs-livreurs et les préposés aux P.T.T.
Les appellations des
quartiers remontent souvent à des époques lointaines. Au fil des temps,
l'usage s'établit d'appeler certains lieux de la commune (quartiers,
hameaux ou champs) du nom des familles notables qui en furent les
propriétaires marquants : Tortel, Beaussier, Brémond, Daniel ou Grune.
De nombreux quartiers tiennent leur nom du sanctuaire qui s'y trouvait
et s'y trouve parfois encore : Saint-Jean, Saint-Elme, Saint-Roch,
Saint-Joseph de Gavarry, etc.
Les caractères géographiques dominants sont également source d'inspiration. On trouve ainsi : Coste Chaude (le versant chaud), Les Sablettes, Les Plaines, Mar-Vivo (mer vive). Ailleurs, c'est la végétation dominante qui est à l'origine du nom du lieu : Tamaris ou... La Seyne.
Durant ces dernières
décennies, tous les quartiers de la commune ont connu des mutations
spectaculaires, des transformations aussi surprenantes qu'inattendues
et souvent, même les Seynois de souche avouent ne plus reconnaître les
lieux où ils ont grandi.
Il est vrai que les
impératifs de l'urbanisation, l'implantation d'activités nouvelles, les
changements dans les mœurs, dans les modes de vie, ont entraîné une
autre utilisation de l'espace, et ont transfiguré les choses et les
lieux.
Le cas le plus typique
est sans doute le développement fulgurant de la zone urbaine qui
s'étend au nord de la commune, avec ses grands ensembles et ses
structures commerciales, ses bâtiments à vocation d'actions culturelles
et sociales, ses grandes artères, ses parkings et la perpétuelle
agitation qui y règne.
Les nouveaux occupants
de ces immeubles peuvent-ils imaginer ce que fut la paisible zone
agricole peuplée auparavant de quelques dizaines de familles occupées à
l'élevage, à la culture d'arbres fruitiers et de légumes ? Aujourd'hui
ce sont près de vingt mille âmes qui cohabitent là où s'étendaient
jadis les jardins.
Mais le nord de La Seyne
n'est pas le seul à avoir connu la main des urbanistes ou des
promoteurs immobiliers. Chaque Seynois a dans sa mémoire le souvenir
d'un coin de bois, d'un campas, d'un vallat où il aimait se rendre pour
la détente, pour la cueillette des asperges ou des champignons, et qui
est aujourd'hui un de ces jardins modèles avec arbres d'ornementation
et pelouse, entourant une villa « néo-provençale ». Tous ces chemins de
notre enfance, ceux qu'avaient tracés les pas innombrables de nos
anciens ont disparu et c'est un peu de notre âme qui a été ainsi
effacée.
On pourrait aussi parler des quartiers de Manteau, de Valmer, de Tamaris et des Sablettes, où l'action de Marius Michel, dit Michel-Pacha
en fit une station touristique de grande renommée. Des villas
magnifiques, perdues dans des bosquets de végétation où se mélangent
les essences locales et les espèces exotiques, ont accueilli des gens
illustres, comme George Sand ou les Frères Lumière. Et puis, après la
mort du pacha et surtout après les bombardements de 1944, ce superbe
domaine perdit de son lustre pour connaître aujourd'hui un nouvel essor.
De tous les quartiers de
notre commune, et La Seyne en compte une cinquantaine, celui dont
l'histoire nous a paru la plus intéressante à retracer est le quartier
des Moulières.
C'est là, en effet que depuis fort longtemps, nos ancêtres venaient y exercer des activités vitales pour la communauté. N'y avaient-ils pas trouvé en abondance une des premières richesses de la nature indispensables à la vie : l'eau ? Elle y coulait abondante et pure, depuis Janas jusqu'aux rivages de La Verne par le vallon de l'Oïde (*).
(*) L'oïde (en provençal ouide, ou óuvede) est un conduit pour recueillir les eaux, un petit canal couvert. À La Seyne, le quartier de l'Oïde doit son nom au ruisseau de l'Oïde
qui charriait autrefois les eaux résiduaires noires et malodorantes du
moulin à huile, et les eaux savonneuses des lavoirs des Moulières.
Quand les vieux Seynois parlaient de l'Oïde, c'était pour désigner un endroit malsain, un égout.
De nos jours, il ne
s'agit plus que d'un ruisseau intermittent qui serpente silencieusement
et parvient non sans mal jusqu'au bord de mer. Autrefois, les eaux de
ruissellement dont la force fut exploitée par les premiers habitants de
la communauté de Six-Fours pour actionner des moulins à aube,
recevaient les effluents des sources jaillissant au bas des talus
opposés à l’ancienne propriété Mélani. Pendant des siècles, ces eaux
alimentèrent les lavoirs publics dont il sera question plus loin.
Situation des lavoirs des Moulières (carte au 20 000e) |
Le flux utilisé comme
force motrice, capté et canalisé à la sortie du moulin, servait ensuite
pour l'irrigation des terres cultivables. Mais au fil des ans, il
fallut assister, impuissant, au tarissement progressif des ruisseaux et
des sources qui s'expliqua par plusieurs causes conjointes.
L'appauvrissement du
sous-bois et du couvert eut pour conséquence une mauvaise retenue des
eaux de pluie. Elles ne furent plus conservées dans le sol par les
racines qui les filtraient et ne les restituaient que graduellement.
Elles ruissellent aujourd'hui avec force, à peine tombées, causant de
profonds ravinements et des inondations dramatiques pour l'équilibre de
la végétation car ce sont des tonnes de bon humus que ces torrents
subits emportent jusqu'à la mer.
S'il est vrai que les
incendies de forêt ont été les manifestations les plus spectaculaires
de la dégradation de notre patrimoine forestier, ils ne sont pas seuls
responsables. Les causes du déboisement remontent aux XVIIe et XVIIIe
siècles où l'on fit une exploitation abusive des forêts.
Il faut aussi incriminer
les nombreux troupeaux d'ovins et de caprins qui, mal gardés,
ravageaient le sous-bois, détruisaient les jeunes pousses et
compromettaient les futures générations d'arbres. Enfin, des maladies
affectèrent certaines espèces jusqu'à les menacer de disparaître.
Les sources, pour leur
part, ont vu leur régime considérablement modifié après le percement du
tunnel à travers le massif de Sicié pour acheminer les effluents de
l'Émissaire commun. Il est quasiment certain que ces travaux
gigantesques ont eu des conséquences sur le débit des ruisseaux et le
niveau des nappes phréatiques.
Ces circonstances
conjuguées concoururent au dépérissement des activités qui marquèrent,
à son origine, le quartier des Moulières, alors que La Sagno se
dégageait péniblement des marécages qui la cernaient pour s'orienter
vers le développement d'activités maritimes (commerce et construction
navale).
Un peu d'étymologie
On croit généralement que le nom de Moulières vient des meules ou des moulins qui permirent à nos ancêtres de tirer leur nourriture de base.
Cette interprétation est discutable et nos recherches nous ont conduit à avancer d'autres hypothèses.
Une moulière est d'abord
un établissement où l'on pratique la mytiliculture. Le quartier qui
nous intéresse est trop loin du rivage pour tirer son nom de l'élevage
des moules.
L'hypothèse du lien entre Moulières et moulin serait plausible. En effet, le latin mola a donné meule dont on a en ancien français des traces de la forme archaïque moule d'où vient le mot moulin.
C'est pourtant dans Lou Tresor dóu Felibrige, dictionnaire Provençal-Francais écrit par Frédéric Mistral, que l'on trouve l'origine étymologique de Moulières. On y découvre en effet qu'une moulièro est un champ cultivé d'où l'on voit sourdre des points d'eau. Un moulen est un pré naturel, un terrain mou, un lieu bas où stagnent les eaux et où l'on peut s'embourber. Enfin, l'adjectif mouliérous qualifie un terrain humide, marécageux, où les eaux croupissent.
Voilà qui s'applique
fort bien à la zone comprise entre les Manettes, les Hautes Barelles,
Cachou à l'Ouest et le quartier de l'Oïde vers l'Est, terrains dont le
sous-sol est imperméable.
Les plus anciens de nos
concitoyens se souviennent que l'on exploitait la glaise jaune pour la
fabrication des tuiles et des briques, dans les environs de la
propriété de la famille Arnaud, où se trouvent aujourd'hui les lotissements du Cap Sicié.
Nous avons d'ailleurs vu au chapitre précédent que le massif présente de larges couches d'argile, notamment sur le territoire de Six-Fours en allant vers Sanary. Entre la Font-de-Fillol et la Coudoulière, les anciens extrayaient aussi de la glaise et construisirent la tuilerie-briqueterie Romain Boyer qui connut une intense activité de 1901 à 1967, à l’emplacement de l’actuel du Domaine de la Coudoulière.
Ces sous-sols argileux
ont influencé aussi la faune et les chasseurs du début du siècle le
savaient bien. Les Six-Fournais n'avaient qu'à sortir de leur village
de Reynier pour chasser la bécassine et le canard sauvage dans de
vastes prés entrecoupés de bouquets de joncs et de roseaux. C'est là
que se trouvait le quartier de la Croix de Palun, et si l'on sait qu'en
Provençal, un palun est un marécage, on est conforté dans l'hypothèse du lien entre Moulières et mouliérous.
Les chasseurs Seynois,
de leur côté, étaient fidèles à la mare du quartier de l'Oïde, en
bordure de la route de Fabrégas, que hantaient les premières bécasses
de l'automne.
Tous ces points d'eau et
ces prés humides ont été assainis et portent des constructions
récentes. Le passé serait effacé si, à l'occasion de périodes très
pluvieuses, le terroir ne se rappelait à notre bon souvenir par la
remontée des eaux souterraines qui transforment les jardins en
bourbiers et noient caves et garages en sous-sol. En outre, ici et là,
on voit réapparaître des plantes grenouillères qui témoignent de la
présence d'une humidité persistante qui ne demande qu'à affleurer comme
au temps jadis.
Mais pour en finir avec notre propos étymologique, il faut noter que des lieux-dits les Moulières,
on en trouve ailleurs qu'à La Seyne, dans des endroits où il n'y a pas
trace de moulins, mais où les terrains furent effectivement mouliérous. C'est le cas à La Valette, au pied du Mont Coudon et dans bien d'autres terroirs du sud de la Loire.
Tenons donc pour acquis
que ce quartier dont nous allons tracer un bref historique doit son nom
à l'humidité des terrains plutôt qu'à la présence ancienne
d'établissements de meunerie et de broyage d'olives.
Dès le Moyen Âge
L'existence de moulins
nous est cependant révélée par des documents datant du XVe siècle. Cela
signifie donc qu'ils fonctionnaient déjà à la fin du Moyen Âge.
En ce temps-là, les
hommes savaient construire de grandes roues à aube qu'impulsait la
force d'un courant d'eau généré par des chutes artificielles.
Les axes de ces roues
entraînaient la rotation de lourdes meules en grès, capables de broyer
aussi bien les céréales que les fruits charnus de l'olivier.
L'avantage du moulin à
eau par rapport au moulin-à-vent dont l'invention est généralement
attribuée aux Arabes, c'est que le courant d'eau représentait une force
motrice continue, alors que le vent est plus irrégulier.
On utilisa pourtant des
moulins à vent sur notre terroir seynois, mais il fallut attendre que
soit prononcée la séparation de notre commune d'avec Six-Fours pour que
ce soit possible. Jusque-là, il aurait fallu pour en lancer
l'exploitation, payer de lourdes redevances aux Six-Fournais.
Il faut situer ces
moulins dans le contexte économique de l'époque, si différent de ce que
nous connaissons aujourd'hui où le maître mot du commerce est la
distribution.
Pendant des siècles, les
échanges économiques furent très faibles, même entre provinces
voisines. Les voies de communication rares et mal entretenues ne
facilitaient pas le passage des lourds chariots dont les conducteurs
redoutaient toujours de s'embourber dans la fange épaisse des chemins.
En outre, ces routes étaient peu sûres et bien des voyageurs ont laissé
tout leur avoir entre les mains de malandrins détrousseurs de convois.
Enfin, la lenteur des
moyens de transport, l'absence de véhicules isothermes, ne facilitaient
pas les échanges lointains de denrées périssables.
Alors, chaque cité comptait avant tout sur elle-même pour son approvisionnement et nos ancêtres vivaient quasiment en autarcie.
Le quartier des
Moulières s'étendait entre l’ancienne route des Plaines (l’actuelle
Avenue Pierre-Auguste Renoir) et la forêt de Janas. La nature de ses
terrains favorisait la polyculture : vignes, arbres fruitiers, légumes,
céréales, oliviers. Avec le blé et les olives, nos ancêtres détenaient
donc la base de leur alimentation : les féculents et les corps gras.
Les seigneurs de
Six-Fours étaient intéressés par ce courant d'eau puissant et régulier
se déversant dans le ruisseau de l'Oïde et par ces sources d'eau claire
qui jaillissaient à quelques pas de la route de Janas (voir croquis
ci-joint).
Aux Moulières existaient
deux moulins. On apportait le blé à moudre au premier, le plus
rapproché de la route de Janas, au lieu-dit La Ferme. Le second, plus
proche de Fabrégas, au lieu-dit La Bergerie, broyait les olives.
On ne pouvait y accéder
que par des sentiers tortueux sur lesquels on imagine sans peine le
va-et-vient des charrettes tirées par une mule et des petits ânes gris
ou bruns ployant sous le fardeau des lourdes charges d'olives et de blé.
Les paysans qui
accompagnaient de pareils équipages lançaient à tous les vents de rudes
imprécations. Ils pestaient, ils juraient, ils blasphémaient tantôt à
cause de la chaleur, tantôt à cause de la pluie, souvent en vitupérant
les autorités locales. En tout cas, leurs paisibles animaux au pas lent
et mesuré finissaient toujours par faire les frais de ces coups de
colère. Mais d'où venaient ces hommes ?
Ces paysans étaient des
quatre coins de la grande communauté six-fournaise qui, rappelons-le,
s'étendait alors des rives de la Reppe, frontière avec Saint-Nazaire
(Sanary), jusqu'au Cap Cépet, à Saint-Mandrier.
Les moulins, quant à
eux, ont eu plusieurs propriétaires successifs et le passage de l'un à
l'autre s'accompagna parfois de nombreux et longs litiges.
Au XVe siècle, en tout cas, ils appartiennent à l'abbé de Saint-Victor-lès-Marseille, Seigneur de Six-Fours.
La communauté
six-fournaise en fera l'acquisition et l'on peut retrouver la trace de
ces transactions dans des actes notariés datant de 1552, 1571 et 1583.
Histoire des moulins - Des litiges
Ces documents attestent
donc de l'existence des moulins au XVIe siècle. Leur construction
remonte à une époque beaucoup plus ancienne. En effet, les moulins à
eau se substituèrent au mortier et au cylindre aplati qui servaient à
moudre les céréales, dès l'Antiquité grecque et romaine. Les moulins à
vent se généralisèrent plus tard, vers le XIIe siècle.
Nous ne savons pas
grand-chose sur les Moulières dans les premiers siècles de notre ère.
Les documents sont rares et nous n'avons trouvé aucun signe, aucune
date, aucun indice sur les vestiges encore visibles sous la végétation
envahissante.
Malgré ces lacunes,
l'histoire des moulins des Moulières mérite d'être racontée, même si
nous ne pouvons le faire qu'à partir du XVIe siècle.
Cette histoire toute
simple est révélatrice des modes de vie de nos anciens, de leurs
difficultés quotidiennes qu'aggravaient parfois de sordides conflits
d'intérêts.
L'activité de ces moulins a en effet connu bien des vicissitudes.
Pendant une longue période, ils furent loués à des particuliers. Il est probable que la communauté éprouvait déjà des difficultés dans sa gestion du bien public. Grâce aux recherches méticuleuses de M. Louis Baudoin, nous savons que l'arrentement des moulins à eau fut mis aux enchères et que l'adjudicataire fut un certain Guilhem Reborg, moyennant 36 charges (*) de blé et que l'acte fut passé devant Maître Joseph Lieutaud, notaire à Six-Fours.
(*) Charge : Ancienne mesure de poids en usage dans certaines régions de France. La Charge de Marseille valait 150 kg. Il existait aussi une mesure de capacité de même nom pour les grains, les huiles et les autres denrées agricoles, calculées sur le poids de ces matières qu'un homme pouvait porter.
Pour passer cette vente,
les sieurs Sauveur Vidal, Louis Gautier et Pierre Christin, Consuls de
Six-Fours, convoquèrent le 14 juin 1571 en assemblée, cent
soixante-quatre chefs de famille.
L'assemblée décida la
vente des moulins au sieur Lombard et l'acte fut enregistré devant
Maître Aycard, notaire à Six-Fours et porte la date du 29 juin 1571. On
peut y lire que « les délibérations en date des 8 et 15 juillet 1571
confirment la décision du 14 juin, d'aliénation des biens de la
communauté ».
Le sieur Armand Lombard,
bourgeois, devint donc propriétaire des moulins à eau des Moulières
avec les jardins attenants, pour le prix de mille sept cent-un florins.
Personne ne pouvait alors imaginer l'importance et la durée des litiges
qui suivirent pendant plus de deux siècles.
Malgré des difficultés périodiques, les moulins assuraient leur office.
Les mules et les bourriquets, quand venait la saison de porter le grain
ou les olives à moudre, continuaient leur va-et-vient dans les sentiers
étroits. Ils venaient des collines de Coste Chaude, de Mauvéou ou de
Domergue, aux flancs desquelles s'accrochaient d'antiques oliviers
plantés sur de solides restanques. Il en fut ainsi jusqu'au XVIIe
siècle.
À cette époque, la population Seynoise se développait sur ces rivages
peu à peu assainis de la rade de Toulon. Nous avons rappelé par
ailleurs comment les Seynois réussirent à s'émanciper de la commune
mère de Six-Fours et se virent accorder par lettres patentes datées de
juillet 1657, l'érection de La Seyne en commune indépendante.
On procéda donc au
partage des terres entre les deux communautés. La moitié ouest du
massif de Sicié resta à Six-Fours, la moitié est revint aux Seynois.
L'axe séparant les deux
communes suit à peu près le chemin actuel de Notre-Dame du Mai. Les
sources et les moulins des Moulières tombèrent donc dans le domaine
seynois.
L'exploitation de ces
moulins connut des fortunes diverses d'autant que les propriétaires
successifs n'eurent pas tous les mêmes aptitudes à bien mener leurs
affaires. Au début du XVIIIe siècle, c'est le sieur Pierre Guigou,
Commissaire de la Marine, qui en fit l'acquisition. Les archives nous
apprennent que cet acte déclencha des procès sans fin.
Les plaignants étaient
les consuls de Six-Fours qui introduisirent une requête auprès de
l'intendant de Provence, tendant à destituer Pierre Guigou de sa
propriété. Ils arguaient d'un droit féodal, le droit de retrait, qui
permettait le rachat par une communauté d'un héritage féodal tombé dans
les mains d'un étranger à cette communauté.
Les procédures furent longues et complexes, mais des transactions intervinrent entre le 19 novembre 1711 et le 8 juin 1712.
Les notaires royaux,
Maîtres Jean Denans, de Six-Fours, et Joseph Bertrand, du Val,
entérinèrent l'acte d'acquisition par la ville de La Seyne des deux
moulins des Moulières au prix de neuf mille cinq cents livres, à quoi
s'ajoutaient deux cent vingt-six livres pour des travaux effectués par
Pierre Guigou, et déduction faite d'un lopin de terre que le vendeur
voulut réserver à son usage personnel.
La ville de La Seyne
prit donc en main la gestion des moulins, escomptant tirer des
ressources importantes de leur exploitation concédée à des particuliers.
Tout au long des XVIIIe
et XIXe siècles, les procès-verbaux des délibérations municipales font
état de litiges incessants portant sur des droits d'usage ou de
banalité opposant la commune aux exploitants.
La prospérité des moulins souffrit de cet état de choses.
Pendant ce temps, la
communauté de La Seyne se développait à un rythme rapide. Ses terres
produisaient de riches récoltes en fruits, en légumes, en céréales, ses
coteaux surtout dans les adrets s'étaient couverts d'oliveraies, de
vignobles. Cette prospérité naissante avait d'ailleurs été un élément
déterminant pour décider les Seynois à obtenir leur séparation d'avec
Six-Fours, vieux bourg engoncé dans ses vieux remparts, aux pieds
desquels s'étendait une plaine marécageuse.
À La Seyne, on s'organisait autour de cette autonomie administrative et économique toute neuve.
Dans les fermes, on
construisit des cuves à vin ou tino, vaste réservoir en maçonnerie,
dont l'intérieur carrelé, recevait le raisin foulé qui bouillait pour
que naisse le vin nouveau. Le foulage du raisin se fit d'ailleurs
longtemps avec les pieds nus, sur les planches mêmes qui coiffaient la
tino.
Sur les collines les
mieux exposées aux vents dominants, on fit construire des moulins à
vent. Les plus célèbres, en activité au XVIIIe siècle, furent ceux du
groupe Domergue, au quartier qui s'appellera alors les Quatre-Moulins.
Il s'agit des moulins de Laffran, de Tortel, de Saint-Honorat et de
Peyron (à ne pas confondre avec le quartier Peyron qui se trouve à côté
de l'Hôpital).
Dans l'agglomération de
La Seyne, on comptait plusieurs moulins à huile : rue Berny, rue
Clément Daniel, rue Cauquière, rue Marius Giran.
Alors les moulins des
Moulières connurent une certaine désaffection aggravée par la baisse du
régime des eaux qui s'accentuait chaque année. Il arriva que, pendant
des périodes de sécheresse, le ruisseau à l'étiage laisse les moulins
inertes pendant de longs mois.
Vers la fin du XIXe
siècle, les progrès considérables accomplis par les moyens de transport
et notamment le développement du chemin de fer, facilitèrent les
échanges entre régions. C'est alors que nos pauvres exploitations
provençales furent rudement concurrencées, pour la production de
céréales, par les riches plaines de la Beauce, de la Brie et du Forez.
Déjà l'agriculture allait vers la concentration des moyens dans de grands domaines à culture intensive.
Il faut ajouter à cela une autre incidence de la vie politique sur
notre économie locale : l'expansion coloniale. On vit apparaître sur le
marché des produits nouveaux et notamment des huiles plus légères que
notre huile d'olive, comme celle que l'on extrait de l'arachide.
La commune ne fut plus
alors en mesure d'assurer la rentabilité des moulins. D'autres
propriétaires, comme Vincent Michel, tentèrent désespérément une
reprise d'activité. Ils en vinrent même à attaquer en justice les
boulangers de La Seyne qui allaient moudre leur blé ailleurs qu'aux
Moulières...
Et puis, comme Alphonse
Daudet le raconte bien dans sa nouvelle Le Secret de Maître Cornille,
la modernisation de l'industrie par l'utilisation de la vapeur porta un
coup fatal aux meuniers. Les moulins à eau cessèrent leurs activités
dans les années 1880-l885, suivis de peu par les moulins à vent. On
pourrait aussi écrire à leur sujet une longue histoire qui ne
manquerait pas d'intérêt.
Pendant longtemps les
curieux, les amoureux des choses du passé, les promeneurs, se rendirent
aux Moulières pour visiter les moulins devenus muets. Ils constataient
avec une certaine amertume l'impuissance des filets d'eau à actionner
les pales des grandes roues envahies peu à peu par les mousses.
Si l'aqueduc demeura en
bon état pendant des années, à l'intérieur des bâtiments, la lourde
mécanique était fixée. Il y régnait une vague odeur de rance qui
flottait autour des meules, ces pierres vénérables qui, pendant des
siècles, avaient pourvu nos ancêtres en denrées essentielles : la
farine blanche et l'huile dorée.
Que reste-t-il
aujourd'hui de ces ouvrages de grande valeur patrimoniale ? Des ruines,
des amas de pierres, des fragments de ciment envahis par les ronces et
le lierre, où l'on distingue à peine l'abée qui canalisait l'eau,
énergie motrice de la roue à aube, ainsi que la trémie qui recevait la
matière à broyer. Le tout est difficilement visible sous les halliers
enserrés entre les troncs d'une végétation puissante et très variée.
Les cartes anciennes
indiquent le tracé du canal de dérivation qui, partant
approximativement du point de jonction des deux affluents qui forment
l'Oïde, alimentait les deux moulins, puis suivait un tracé régulier au
flanc nord du plan d'Aub, selon approximativement la courbe de niveau
40, pour aboutir au grand réservoir circulaire d’irrigation du «
domaine de Fabrégas » (près de la grande allée de palmiers). Bien qu’en
grande partie obstrué, ce canal, avec les bassins de rétention qui
régulaient son débit, est encore reconnaissable sous la végétation sur
près d’un kilomètre.
Les lourdes meules en
grès ont disparu. Elles n'avaient rien de comparable avec les métopes
du Parthénon, mais il est bien évident que des gens sans scrupule se
les sont appropriées. De vieux habitants du quartier nous ont affirmé
connaître leur cachette, sans donner plus de précision. Leurs receleurs
auraient-ils l'intention de les monnayer un jour comme pièces de musée
? Sait-on jamais jusqu'où peut conduire l'esprit de lucre...
Ainsi s'est terminée
l'histoire des moulins à eau des Moulières qui donnèrent à ce quartier,
l'un des plus éloignés du centre-ville, une grande activité des siècles
durant. Hélas ! toutes les générations qui auraient pu porter
témoignage de cette prospérité passée ne nous ont transmis que des
textes plutôt rébarbatifs, documents administratifs auxquels nous avons
fait référence.
Des témoins hélas muets
Ah ! si la nature de ces lieux pouvait avoir la parole et relater ce qu'elle vit !
De toute la presqu'île
de Sicié, les Moulières et son vallon furent le point d'eau le plus
important grâce auquel une végétation exubérante et variée put pousser
en abondance et persister jusqu'à nos jours. Cette luxuriance contraste
d'ailleurs avec les espèces rabougries qui s'accrochent sur les crêtes
et qui sont adaptées à ces terrains arides.
Des chênes et des pins
énormes dominent le talus où furent captées les eaux de ruissellement,
alors que du vallon surgissent les frondaisons majestueuses des
platanes et des frênes au feuillage élégant, arbres vénérables
plusieurs fois centenaires.
La plupart des variétés
de chênes croissent dans ce vallon : chênes verts (yeuses) dont les feuilles
dentelées, épineuses, vertes dessus et blanches dessous, demeurent
persistantes ; chênes blancs aux feuillages vert clair entièrement
glabres, dont les feuilles au contour sinueux jonchent le sol dès les
premiers frimas ; chênes-liège au feuillage
persistant... Tout ce qui chez les chênes buissonne ou s'élance, jaunit
et se dégarnit, ou offre aux pires froids le vert de leur toison, est
concentré dans cet environnement.
Sous ces ramures
puissantes, d'autres espèces tentent de pousser leur tête vers la
lumière et fleurissent aux beaux jours, embaumant ces lieux idylliques
: genêts épineux à fleurs d'or, cistes cotonneux aux corolles d'un rose
profond, cistes de Montpellier au feuillage poisseux et luisant,
bruyères aux clochettes blanches ou roses...
À l'ombre des platanes
et des frênes, les pieds dans l'eau, les sureaux aux grappes de fleurs
blanches et odorantes offrent à l'automne leurs baies noires
succulentes aux grives gourmandes.
Et cette végétation
moyenne d'arbrisseaux cache encore une végétation plus discrète dont on
ne finirait pas d'énumérer les espèces : fragon aux baies rouges (petit
houx), plantes aromatiques comme le thym, la lavande, le romarin,
assaillies insectes butineurs, les orchidées, les euphorbes, et toutes
les plantes herbacées aux variétés innombrables... Que de splendeurs
dans le détail, offre à nos yeux cette nature éternelle !
Mais combien de nos
contemporains savent en apprécier les charmes ? Certains diront que
l'accès à cette jungle est difficile, mais la beauté sauvage de ces
lieux abandonnés ne vaut-elle pas le risque de quelques égratignures ?
Ils ont tout vu, ces
chênes, ces platanes et ces frênes, des activités bruissantes qui
peuplèrent les Moulières. Ils ont peut-être le souvenir de ces paysans
recrus de fatigue, poussant ou tirant leurs bêtes lourdement chargées
dans les sentiers scabreux. Témoins impavides, au front de toutes les
intempéries, ils voyaient la procession des bourriquets et des vieilles
mules aux jambes grêles, ployant sous le faix souvent excessif des sacs
d'olives ou de froment.
Le paysan dont la
silhouette trapue était encore épaissie par les lourds pantalons de
toile ou de velours, la taillole rouge ou noire ceignant ses reins,
réagissait avec colère aux lenteurs de la bête « Arriban plus capoun de
Bouan Diou ! » et pour donner du zèle à l'animal, il appliquait sur son
échine osseuse quelques coups d'une tige flexible de bruyère.
Chemin faisant, le
travailleur de la terre savourait l'idée du plaisir qui serait le sien
quand il ramènerait à sa ferme la belle farine blanche ou l'huile dorée
à la pureté sans pareille restituée par le moulin.
Il aurait certes le
désagrément de devoir s'acquitter de droits parfois exorbitants :
l'octroi, s'il passait d'une commune à l'autre, le dixième de la
récolte ou dîme, qu'il irait porter à l'Hôtel de la Dîme - qui est
devenu l'École Martini, rasée en 1976 et remplacée par le Parking
Martini et la nouvelle École Martini - et qui représentait une
imposition au bénéfice de l'Église. En tout cas, une fois ces
différentes taxes payées, il consommerait des denrées de bonne qualité
produites par son propre labeur.
Le blé et l'olive, la
farine et l'huile, étaient vraiment les produits de base de
l'alimentation de nos grands-parents. Nos grands-mères n'auraient
jamais pu faire la cuisine avec les huiles de graines : colza,
tournesol, arachide. Il fut un temps où l'on ne donnait aux enfants
pour leur goûter, qu'une tranche de pain arrosée d'huile d'olive et
saupoudrée de sel ; quand ce n'était pas un simple quignon frotté
d'ail. Les adultes se contentaient parfois pour déjeuner de quatre
cèbes (oignons), d'un peu de lard et de pain arrosé d'un raï (filet)
d'huile d'olive.
Mais il faut dire aussi
que l'huile de nos moulins avait une couleur, un arôme que l'on
retrouve difficilement avec les huiles industrielles.
Quant au pain fait avec
la farine des Lombard, des Audibert, des Guigou ou des Martinenq, cuit
dans des fours chauffés avec les fascines de pin de la forêt de Janas,
son parfum embaumait nos rues du petit matin, comme une promesse de
journée faste.
La vie aux Moulières
Si les vieux arbres du
vallon des Moulières pouvaient parler, ils conteraient la quiétude de
leur vie d'autrefois quand le quartier s'éveillait au ramage disert des
fauvettes, entrecoupé des appels claironnants de coqs.
Puis, à mesure que le
jour se levait sur la campagne, montaient crescendo les rumeurs
familières : aboiements des chiens de chasse répondant aux chiens de
garde, bêlements doux et endormis des fèdes (brebis) de Simian, qui
souvent paissaient dans les parages, grognements des cochons affamés,
sortant des nombreuses porcheries installées un peu partout, concerts
de poulaillers, à mesure que s'éveillaient les poules, les oies, les
canards, les pintades qui couraient librement dans les fermes.
Au-dessus des toits
moussus, les cheminées laissaient échapper d'épaisses volutes de fumée
: on activait le feu avec quelques morceaux de pin ou de genêt bien
secs et l'on poussait sur le fourneau le café à chauffer dans une
casserole culottée que l'on ne nettoyait que de loin en loin.
Le matin n'était pas alors synonyme de bruits de moteurs, d'odeurs
d'échappement. Le travail des cultivateurs s'accomplissait avec des
outils traditionnels : bêche, pioche, houe, araire d'acier qui remplaça
peu à peu les socs en bois.
Les terres fertiles du
vallon des Moulières, abritées des vents violents et froids,
produisaient des primeurs de bonne qualité. On y faisait toujours deux
récoltes de pommes de terre dans l'année. Les vignobles et les vergers
étaient prospères. Nous l'avons dit, les paysans cherchaient à
satisfaire eux-mêmes leurs besoins alimentaires en légumes frais ou
légumes secs, fruits de saison ou en conserve, viande d'élevage ou
viande mise en salaison, volailles, lapins, agneaux, etc.
Bien sûr, comme nul ne
peut se vanter de se passer des hommes, il leur fallait bien de temps à
autre, se rendre à la ville pour des achats.
Les fermes, même les
plus éloignées, recevaient aussi la visite des marchands ambulants, des
colporteurs en tournée et des « gagne petit ».
Entre autres
apparaissait régulièrement le Planteur de Caïffa poussant devant lui,
dans les chemins poudreux, une sorte de coffre presque cubique monté
sur quatre roues de faible diamètre, cahotant dans les ornières par
temps sec et s'embourbant copieusement les jours de pluie.
Ce brave homme
sillonnait les campagnes, parcourant plusieurs kilomètres par jour en
poussant sa carriole, et proposait les articles les plus variés :
bobines de fil chinois, aiguilles, épices, café, sucre, chocolat... Il
prenait généralement les commandes pour sa tournée suivante.
Une ou deux fois l'an,
un marchand d'étoffes venait proposer ses produits. Il vendait surtout
les gros bleus de travail. Il n'était pas rare de voir aussi le tondeur
de chiens basané, au pantalon bouffant, agitant d'un mouvement
perpétuel de gros ciseaux dont le son métallique se répercutait au
loin. On le surveillait de près, celui-là. Son regard observateur et
matois n'inspirait pas confiance et les ménagères, à son approche,
s'empressaient d'inventorier les objets utiles abandonnés autour de la
maison et sur lesquels il pourrait faire main basse.
On se méfiait aussi du marque mal qui, en criant « Pèou de lèbré, pèou de lapin ! » venait acheter les peaux de lapin voire de renard que les paysans tannaient et lui réservaient.
Passait aussi l'estama,
l'étameur, qui redonnait du brillant aux ustensiles de cuisine et
bouchait les trous des arrosoirs. On l'aimait bien, celui-là et quand
on le voyait préparer son bain d'étain sur le feu de bois, on savait
qu'il ferait du neuf avec du vieux.
On appréciait bien le
rémouleur qui installait sa meulière actionnée par une pédale dans un
coin de la cour. Les ciseaux, les faucilles, les faux, les hachoirs,
les couteaux, ne tardaient pas à retrouver leur mordant après être
passés dans ses mains.
Après les vendanges
s'installait au carrefour des Plaines et de Janas le bouilleur de cru,
le faï bouilli et son gros alambic, qui distillait l'eau-de-vie que les
Provençaux appellent l'aïgue-ardènt (l'eau ardente). On voyait même, de
loin en loin, passer un homme qui curait les gros foudres où
vieillissait le vin. Armé d'un petit marteau, il piquetait le dépôt de
tanin qui recouvrait les douves, poudre qu'il récupérait et revendait
ensuite pour un usage mystérieux.
Tous ces petits métiers,
ces « gagne petit » qui hantaient nos chemins poudreux, rendaient des
services appréciables et participaient d'une petite économie locale
d'avant la société de consommation.
Les Moulières, dont on a
évoqué l'activité dynamique avec ses moulins, risquaient de redevenir
un quartier retiré habité seulement par quelques cultivateurs quand le
débit du ruisseau ne permit plus d'animer les grosses roues à aube. Il
n'en fut rien.
Il faut vous dire qu'au
XIXe siècle, le va et vient des producteurs de blé et d'olives, quand
arrivait la saison d'aller au moulin, croisait celui des lavandières,
groupées en amont des moulins, à la naissance de la source, où la
communauté six-fournaise avait créé un lavoir public.
Cette corporation devint si active que l'on dut, dans un second temps, agrandir le bâtiment.
Nous reviendrons plus loin sur cet aspect de la vie seynoise d'autrefois.
D'année en année, le
quartier des Moulières s'animait et devenait un véritable pôle
d'attraction pour une population qui y trouvait de multiples raisons de
s'y rendre.
Il faut noter que les
Moulières étaient le point de passage principal pour accéder à la forêt
de Janas dont nos anciens exploitaient autant que possible les
multiples ressources.
Y passaient ainsi des
artisans qui puisaient dans le massif de Sicié, la matière première
pour leurs activités. C'étaient les fabricants de tuiles, qui venaient
chercher l'argile à la carrière des Gabrielles, ou les maçons qui
s'approvisionnaient en sable fin dans une petite carrière communale
devenue aujourd'hui retenue collinaire. Les lourds équipages de la
famille Prat, de Valentin Cadière, du voiturier David ou des frères
Pellegrin, tirant des trinqueballes ou des fardiers, assuraient le
transport des troncs d'arbres de la forêt. Ils les acheminaient
jusqu'aux petits chantiers de construction navale en bois qui
fleurissaient sur nos rivages, où les scieurs de long les attendaient
pour en faire des planches.
Outre cette population
laborieuse, passaient aussi les promeneurs cossus, confortablement
installés dans leur calèche, s'en allant prendre le bon air d'une forêt
déjà considérée comme un haut lieu touristique. À tel point,
d'ailleurs, que M. Saturnin Fabre, Maire de La Seyne de 1886 à 1895,
lança l'idée de la construction d'un téléphérique donnant accès à la
chapelle Notre-Dame-du-Mai.
La population Seynoise
prenait de l'importance. Les quartiers, peu à peu, se peuplaient. Les
activités champêtres, comme toutes les activités de loisirs, étaient de
plus en plus pratiquées au fur et à mesure que par leurs luttes, les
salariés obtenaient des réductions de la durée hebdomadaire du temps de
travail.
Alors, nos anciens des
chantiers navals, des ateliers, des boutiques, reprirent l'habitude de
diriger leurs pas vers le massif de Sicié et ainsi, ils retrouvèrent
l'usage du chemin des Moulières.
C'est d'ailleurs pour
cela que ce même chemin est signalé en plein centre-ville, au début de
la rue Jacques Laurent, et il figure sur les plus anciens cadastres de
notre commune. Pendant des siècles, ce chemin vit donc des Seynois le
parcourir à pied, les autres moyens de locomotion étant rares et
coûteux.
Dans notre évocation des
usagers de ces drailles (chemins) un temps jadis, il ne faudrait pas
oublier les petites gens, les indigents, ceux que l'on baptise
aujourd'hui nouveaux pauvres, et qui sont les laissés-pour-compte d'un
système social inhumain.
On les voyait,
autrefois, d'un bout à l'autre de l'an, poussant une brouette ou une
carriole faite de briques et de broques (souvent, une voiture d'enfant
rafistolée), se rendre dans les bois pour ramasser brindilles, pommes
de pin et bois mort. Ils n'oubliaient pas de demander pour cela une
autorisation du garde champêtre, car en ces temps, la collecte du bois
était réglementée et surveillée. Nombreux étaient les foyers qui
utilisaient alors les ressources de la forêt pour alimenter le poêle ou
la cuisinière. L'anthracite ou le charbon de bois n'étaient pas à la
portée de toutes les bourses.
Tout en la réglementant,
l'administration municipale favorisait cette exploitation du bois mort.
Le travail de fourmis de ceux qui, fagot par fagot, ramenaient chez eux
leur combustible, entretenait propres les sous-bois et représentait un
système de prévention des feux de forêt très efficace.
D'ailleurs, c'était de
ses forêts que la commune tirait le bois de chauffage pour les écoles
et les bâtiments publics. Elle vendait aussi aux boulangers les
fascines pour chauffer leur four dans lequel cuisait le pain
croustillant qui gardait de ce contact un arôme délicieux. Chaque jour,
les rues de la ville résonnaient au trafic de ces longues charrettes
lourdement chargées de ramures sèches, tirées par de forts chevaux dont
les fers martelaient rudement le pavé.
Bientôt, les quartiers
périphériques du centre-ville reçurent des maisons neuves qui firent
disparaître les campas où l'on cueillait l'herbe pour les lapins et les
salades fèrres (sauvages). Les papets et les mamés durent donc pousser
plus loin leurs pas mal assurés sur le chemin des Moulières, pour aller
cueillir pissenlits, cardelles (laiteron), plantain des oiseaux, etc.
Ils étaient armés d'un sadounet (petit piochon) et tiraient derrière
eux un gros sac en chanvre qu'ils emplissaient peu à peu.
À partir du 15 août, le
quartier des Moulières voyait passer les Nemrod seynois qui,
accompagnés de leurs chiens, débusquaient le lièvre et le lapin dans
les terres des domaines de Suquet et de Cachou. En lisière de la forêt,
près de la maison forestière, ils savaient trouver les remises des
premières bécasses. Dès l'automne, c'étaient les oiseaux de passage qui
leur donnaient l'occasion de patients affûts. Mais là, ils devaient
partager leur domaine avec les ramasseurs de champignons.
Le 14 septembre, les
pèlerins qui allaient faire leurs dévotions à Notre-Dame-du-Mai
passaient aussi en groupes par les Moulières.
Dans les années 1925,
après son accession aux affaires municipales, l'équipe présidée par le
Docteur Mazen tenta une expérience en faveur de l'enfance. Elle créa
pour les mois d'été, une colonie de vacances au quartier des Moulières,
tout près des lavoirs, avant la traversée du ruisseau de Capus. Cette
institution modeste rassemblait quelques dizaines d'enfants et, pendant
la saison chaude, sous les immenses pins parasols, retentissaient les
appels et les chansons d'enfants joyeux.
Toute initiative expose à la critique et les promoteurs de ces premiers centres aérés ne furent pas épargnés.
On contestait le fait
que le déplacement de quelques kilomètres au sud du centre-ville puisse
être bénéfique à la santé des enfants. Pourtant, quand le tripier de la
rue Carvin lavait sa marchandise en provenance directe de l'abattoir et
qu'il jetait l'eau de rinçage dans un ruisseau sans écoulement, aux
pavés mal jointés, une odeur pestilentielle s'en dégageait pendant
plusieurs jours et des nuées de mouches noires et vertes infestaient
tout le voisinage. Et ce cas n'était pas isolé.
Alors il est certain que
l'air n'était pas autrefois chargé de fumées nocives et autres
émanations cancérigènes, mais il n'était pas des plus sains pour autant
dans un pays qui, ne l'oublions pas, fut bâti sur d'anciens marécages.
Dans ces conditions,
pour les petits comme pour les grands, l'air des Moulières était
certainement bien meilleur que celui de nos rues.
Tenant sans doute compte des critiques émises, la Municipalité décida
le transfert de ses colonies de vacances à Aups, dans le Haut Var. Si
l'on se réfère aux conditions dans lesquelles s'effectuaient alors les
transports à travers notre département, cette initiative ne manquait
pas d'audace. En tout cas, l'activité à caractère social des colonies
de vacances ne fut qu'épisodique aux Moulières.
À ce point de notre
récit, après avoir proposé un large panorama de ce que fut la vie
quotidienne aux Moulières, quartier qui exerça de nombreux attraits sur
la population de notre terroir, il est temps d'aborder un dernier
aspect qui a laissé à nombre de nos concitoyens des souvenirs heureux.
Lavoirs et bugadières
Notre quartier des Moulières fut en effet pendant des siècles, le point de rendez-vous des
bugadières (lavandières) de La Seyne et de Six-Fours.
Dans la période florissante des moulins, les lavoirs étaient déjà en pleine activité.
Nos ancêtres avaient
observé depuis longtemps que l'eau des sources avait un pouvoir
dissolvant efficace sur le savon et autres produits de lavage et qu'à
ce titre, elle donnait au linge une remarquable propreté.
On était alors loin de
s'imaginer qu'un jour des machines accompliraient dans le silence d'une
buanderie ce travail pénible, et encore moins que les spots
publicitaires vanteraient à longueur de jour les mérites incomparables
de telle ou telle lessive.
Nos blanchisseuses,
depuis l'Antiquité, ne connaissaient que le savon, produit qui, à
l'époque gallo-romaine, était à base d'un mélange de suif et de cendre
de bois.
Les sources des Moulières jaillissaient donc au pied du talus surplombant le vallon.
Elles étaient généreuses, abondantes, éclaboussaient les mousses de
colliers d'argent vif, avant de se répandre dans le creux du ruisseau.
On les canalisa, on les domestiqua, afin d'en tirer le meilleur parti.
Des lavoirs, il en
existait partout dans les campagnes. Attenants au puits, ils se
présentaient sous la forme d'un réservoir parallélépipédique, divisé en
deux compartiments cubiques et bordé d'un pan incliné carrelé de grès
ou de briques.
Une ou deux personnes
pouvaient y faire la bugade (lessive). Quelques seaux d'eau suffisaient
à remplir les deux parties du lavoir, la première servant au lavage et
la seconde au rinçage.
À la ville aussi,
certaines cours intérieures étaient dotées de lavoirs de même type pour
peu que s'y trouve un bon puits. L'eau de la ville, distribuée d'abord
par des fontaines publiques, n'entra que tardivement dans les maisons.
Alors, on voyait
régulièrement les ménagères du temps jadis charger leur linge sale sur
une brouette et s'en aller vers les sources où des lavoirs avaient été
aménagés. Malgré la fatigue de longues marches en poussant une charge
pesante, malgré la dureté de ce travail par tous les temps, elles
n'hésitaient pas à accomplir ces efforts pour ramener au logis un linge
propre et sentant bon le savon, l'herbe et le soleil.
Lavandières d'autrefois |
Grand-mère Mathieu, dont
nous reparlerons plus loin, ne supportait pas d'avoir à faire sa bugade
dans les petits bassins où l'eau de rinçage n'était utilisée que
parcimonieusement. Si elle ne pouvait aller jusqu'aux sources, à cause
du mauvais temps, elle se résignait à ce mode de lavage, mais disait
après la lessive « ce linge, il a l'odeur des anguilles ! ».
De tous les lavoirs, celui des Moulières était le plus fréquenté.
D'autres, comme celui du
Crotton, à proximité du Château Verlaque, aux Sablettes, celui de la
Belle Pierre, en pleine forêt de Janas ou celui du Rayolet, sur le
versant ouest de Sicié, accueillaient les ménagères, mais il s'agissait
plutôt des plus discrètes qui fuyaient l'ambiance de commérages du
grand lavoir.
Ces édifices étaient
tous conçus sur le même modèle. Placés au ras du sol, ils obligeaient
les bugadières à travailler à genoux. Elles savonnaient, frottaient et
battaient sur la bordure de dalles rouges.
Vestiges du lavoir des Moulières encore visibles dans les années 1950 |
Vers la fin du XIXe
siècle, la plupart de ces petits lavoirs furent délaissés. Les
canalisations d'eau de la ville se multipliaient, favorisant la
construction de grands lavoirs couverts aux Mouissèques, à Saint-Roch,
près de la Bourse du Travail, à Saint-Elme, ou aux Sablettes. Ils
avaient l'avantage de permettre d'y laver debout. Celui des Moulières
resta pourtant en activité de longues années encore.
Construit en longueur
suivant l'axe est-ouest du vallon qui prolonge le ruisseau de Capus, le
lavoir des Moulières, tel que nos ancêtres l'ont connu, avait la forme
d'un rectangle. Il recevait l'eau d'une sorte de conque aménagée à la
naissance de la source, par la surverse d'une cloison qui évitait que
se mélangent l'eau de la source et celle du lavage.
Difficilement
accessible, cette conque faisait l'objet d'une surveillance vigilante
des lavandières, à tel point que le promeneur désireux de se désaltérer
n'approchait que précautionneusement. « N'allez pas nous salir notre
eau ! » criait Hortense Barbieri sur un ton qui n'admettait pas de
réplique.
Il n'avait pas plus de
cinquante centimètres de profondeur, ce lavoir cimenté, bordé tout
autour d'une rangée de larges carreaux rouges, soigneusement bâtis et
légèrement inclinés vers l'eau. Cette bordure étant parfois jugée d'une
largeur insuffisante, certaines ménagères y installaient une planche à
laver qui la rallongeait.
L'ensemble était couvert
par une toiture faite de tuiles provençales qui débordait largement du
lavoir et que soutenaient de beaux piliers à section carrée, construits
avec des petites briques rouges presque cubiques. Ainsi, les jours de
pluie, les bugadières professionnelles pouvaient satisfaire leur
clientèle sans s'exposer aux intempéries.
La patine du temps avait
d'abord noirci les tuiles puis les recouvrit d'une mousse veloutée. La
nature environnante, nourrie par l'abondance de l'eau, devenait
luxuriante aux beaux jours et le petit édifice était plein d'un charme
agreste qui nous en fait regretter la disparition.
Par délibération en date du 18 septembre 1890, la Municipalité de M.
Saturnin Fabre décida d'augmenter la capacité de ce lavoir. Un second
édifice fut alors construit. On put accueillir désormais une trentaine
de lavandières. C'est une source de moindre importance jaillissant en
aval de la première, qui permit d'alimenter le second lavoir, plus
petit que le premier, mais construit dans un style semblable.
Localisation des deux lavoirs (flèche) des Moulières et vue d'ensemble du réseau hydrographique du Capus, du ruisseau de Janas, du valat de l'Oïde, des aqueducs et des bassins de rétention prévus pour l'alimentation des moulins à eaua ferme et de son petit lavoir (d'après le cadastre napoléonien) |
Les deux édifices se
rejoignaient par leur extrémité opposée aux sources et formaient un
angle aigu à la pointe duquel les eaux se mêlaient et perdaient peu à
peu leur écume savonneuse en coulant vers l'Oïde et Fabrégas. Elles
serpentaient sous une épaisse végétation de ronces, d'aubépines, de
sureaux et de clématites, refuge sûr des merles à bottes jaunes lançant
leur tcha-tcha ! régulier.
Si la Municipalité
décida à l'époque une extension du lavoir, c'est que cela correspondait
à un besoin de la population. Mais elle ne résolvait pas un problème
crucial que connaissait La Seyne alors en pleine expansion, celui de
l'approvisionnement en eau potable. Pendant les longues périodes de
sécheresse, on voyait s'allonger aux fontaines des queues interminables
de femmes et d'enfants. Cette situation, les Seynois la connaîtront
jusqu'à la moitié de notre siècle.
L'extension du lavoir
des Moulières, toujours selon la délibération de septembre 1890, coûta
1 200 Fr. Le rapporteur demanda que la dépense soit portée à 2 500 Fr.
pour recimenter le premier bassin.
Mais, ajouta-t-il, il
sera nécessaire de prendre attache avec M. Reynaud, Maire de Six-Fours,
pour que cette dépense soit partagée entre les deux communautés. Le
lavoir, en effet, accueillait bon nombre de lavandières six-fournaises.
L'usage voulut ensuite que le premier bassin soit réservé en priorité aux bugadières professionnelles.
Voici donc ce que furent
les lavoirs des Moulières dont l'histoire, à l'instar de celle des
moulins hydrauliques, est longue, compliquée, d'autant que, si les
moulins cessèrent leurs activités vers la fin du XIXe siècle, les
lavandières utilisèrent les lavoirs jusqu'à la seconde guerre mondiale.
De nouveaux litiges
On pourrait croire que
le quartier des Moulières fut prédestiné à alimenter la chronique
judiciaire, puisqu'après les longs litiges dont furent l'objet les
moulins, comme nous l'avons vu plus haut, nous allons examiner
sommairement, les interminables procédures concernant ces lavoirs.
La raison de ces
péripéties est que le quartier, après avoir été propriété des Comtes de
Provence, puis des Abbés de Saint-Victor, après avoir appartenu à la
communauté de Six-Fours, devint territoire seynois.
Ainsi, quand les bergers
six-fournais, au nom d'habitudes très anciennes, conduisaient leur
troupeau dans les prés des Moulières, les lavandières poussaient de
hauts cris. Cet incident souvent renouvelé, alimentait pendant
plusieurs jours les propos de lavoir :
Une autre bugadière se
lamentait alors de perdre un temps fou, au moment du repassage, à cause
de tous ces poils de chèvres et ces fils de laine, accrochés aux
buissons, et qu'elle devait enlever un à un de son linge.
Ainsi, un jour où la
colère était à son comble, une délégation de lavandières était reçue
par le Maire. Le discours ne variait pas d'une visite à l'autre : «
Dites aux Six-Fournais de rester chez eux, ou alors plantez des
grillages autour des lavoirs ». S'il était soucieux d'écouter les
récriminations de ses administrés, le premier magistrat soumettait le
problème à son conseil municipal et l'on palabrait des heures pour
trouver en vain, une solution équitable.
Parmi les sujets de
discorde, qui firent l'objet de longues discussions entre les élus
Seynois, il en est une, concernant toujours les Moulières, qui mérite
qu'on s'y arrête.
À l'origine de ce
nouveau litige, il y a une idée de M. Saturnin Fabre qui n'était pas
encore le brillant maire qui marquera La Seyne par ses réalisations
remarquables.
M. Fabre eut en effet
l'idée d'utiliser l'eau des Moulières pour construire une usine qui
serait génératrice d'emplois. C'était déjà une préoccupation importante
des élus locaux voilà un siècle. Il proposait également de canaliser
ces sources jusqu'à La Seyne même où l'on subissait en période de
sécheresse, une carence dramatique de l'alimentation en eau potable.
Ce Seynois roulait de
nombreuses idées dans sa tête. Il mènera à terme quelques projets
novateurs au cours de ses mandats de Maire (1886-1895) et de Conseiller
général (1892-1898).
Cette grande capacité à
innover ne lui valut pas que des manifestations de sympathie et ses
adversaires politiques faisaient flèches de tout bois pour le
contrecarrer, quitte à utiliser les arguments les moins honorables.
C'est ainsi que,
lorsqu'il s'intéressa aux Moulières, on rappela qu'il avait acquis une
propriété au voisinage des lavoirs (domaine de Cachou). Il y creusa un
puits pour arroser ses plantations. Coïncidence fâcheuse, il se trouva
que la même année, les sources des Moulières connurent une baisse
sensible de leur débit. De là à conclure que le puits de M. Fabre en
était responsable, il n'y eut qu'un pas allègrement franchi par la
rumeur publique alimentée par ses adversaires politiques qui portèrent
le débat jusqu'en conseil municipal. Voici ce qui fut dit lors de la
séance du 28 septembre 1885 :
«
Le Conseiller Fabre réfute les accusations portées contre lui.
L'article 643 visé par ses accusateurs ne peut en aucun cas être
appliqué aux travaux qu'il a fait exécuter. Ce qui a été fait, il était
en droit de le faire. Son intention n'a pas été de porter préjudice à
ses voisins ni à la Commune. Il veut utiliser une eau que les
précédents administrateurs ont laissé de côté préférant dépenser des
sommes colossales pour l'installation à Saint-Jean d'une machine à
vapeur dont le fonctionnement a sali toutes les eaux de la Commune. M.
Fabre s'engage publiquement à donner à La Seyne l'eau qui lui manque
/.../ et qui est une véritable richesse. /.../ Les blanchisseuses n'ont
pas à se plaindre des travaux effectués par M. Fabre, quand la source a
tari, il a donné l'eau qui manquait, alors qu'on l'accusait d'avoir dit
aux lavandières : Si l'eau vous manque, allez voir Monsieur Clemenceau
! ».
Il faut préciser, à
propos de cette dernière phrase, qu'à cette époque, Georges Clemenceau,
Sénateur du Var, avait inscrit dans son programme électoral la
distribution dans le département, et jusqu'à la côte, des eaux de
Fontaine-l'Évêque qui se perdaient dans le Verdon. Elles y sont
parvenues, à La Seyne, et même jusqu'aux Moulières, ces eaux pures du
Haut Var... Quatre-vingt-quinze ans plus tard !
Ainsi M. Fabre niait
avoir tenu aux lavandières de tels propos au demeurant fort
désinvoltes. Les lavandières, d'ailleurs, témoignèrent que jamais une
telle invitation ne leur avait été formulée par M. Fabre.
Ultérieurement, ce dernier s'engagea à alimenter gratuitement la source
des Moulières au cas où elle serait tarie. Il ira même plus loin
puisqu'en 1886 il sera élu Maire de La Seyne et proposera d'alimenter
la ville gratuitement avec les eaux de sa propriété.
Nous aurons l'occasion
de parler plus longuement de cet homme remarquable qui, dans les
dernières années du XIXe siècle, donna une impulsion déterminante à la
vie de notre cité. Vous qui chaque jour passez sur le quai qui porte
son nom, vous aurez à cœur de connaître combien furent grandes ses
compétences, combien fut admirable son dévouement à notre Commune. Les
réalisations dont La Seyne aujourd'hui encore porte les traces et qu'il
initia, témoignent qu'il fut un grand administrateur hélas méconnu par
les Seynois eux-mêmes, dont les mieux informés font une confusion entre
l'ancien maire de La Seyne et le comédien Saturnin Fabre qui,
d'ailleurs, en était le neveu.
Les bugadières au travail
Revenons à ces lavoirs du quartier des Moulières.
Près de trois siècles
durant, des générations de femmes, épouses, mères, grand-mères ou
jeunes filles, sont venues là effectuer un travail dont nous allons
évoquer tout le caractère pénible que la génération des lave-linge ou
machines à laver a du mal à imaginer.
Les lavandières
professionnelles arrivaient toujours de bonne heure, quelle que soit la
saison. Elles venaient des quartiers les plus éloignés, mais surtout du
centre-ville, après avoir pris dans les maisons bourgeoises le linge
sale de la semaine ou de la quinzaine.
Certaines d'entre elles,
qui s'étaient fait une clientèle importante, devenaient des maîtresses
blanchisseuses qui distribuaient du travail à deux ou trois ouvrières.
Ce fut le cas, au début du siècle, de Marie Pons, d'Hortense Barbieri
ou de Madame Francone.
Toutes avaient des
clients attitrés, en général des notables de la commune : encadrement
des Forges et Chantiers de la Méditerranée, notaires, officiers des
équipages, commerçants et propriétaires fonciers, industriels,
artisans, négociants, etc.
À cette époque où les
textiles synthétiques n'existaient pas, les étoffes manquaient plutôt
de souplesse. Les draps, le linge de corps, le linge de table ou de
toilette, étaient bien lourds à manipuler. La longueur et l'épaisseur
des jupons, des chemises de nuit, des caleçons s'expliquaient par le
besoin de se prémunir contre le froid car le chauffage des maisons
était souvent rudimentaire.
Les lavandières avaient
d'abord pour tâche de transporter tout ce linge sale à pied d'œuvre.
Elles utilisaient pour cela des charretons, des brouettes, voire même
des carrioles faites avec des voitures d'enfants.
Parties du centre-ville
par le quartier Saint-Honorat, elles faisaient souvent une pause pour
reprendre leur souffle au sommet de la montée de Gavet. Leur itinéraire
ne variait pas : après Gavet, elles descendaient vers ce que l'on
appelait les Quatre Chemins du Mai. Il fallait passer, non sans
crainte, à côté du cabanon dit des Revenants. Enfin, on arrivait au
baou des Moulières d'où un chemin de terre bordé de chênes verts
touffus vous amenait aux lavoirs dont la toiture se perdait dans
l'épaisseur des frondaisons.
Dès qu'elles arrivaient,
les blanchisseuses mettaient le linge à tremper, puis elles
installaient leurs outils de travail : d'abord, une grosse caisse de
forme parallélépipédique comportant un fond, deux planches latérales et
une seule planche les reliant du côté où se tenait la lavandière afin
de protéger celle-ci des éclaboussures et de lui permettre d'appuyer
ses bras pendant qu'elle travaillait ; ensuite le savon, le battoir, la
brosse et des épingles.
Une blanchisseuse |
Les bugadières
entreposaient leur caisse sur le talus surplombant les sources, dans la
propriété des Bellon où logeait une famille dont l'hospitalité notoire
s'exerça longtemps.
Ces outils de travail
étaient rarement la propriété des lavandières. Elles les louaient pour
un prix qui suffisait à peine à couvrir les frais d'entretien des
planches qui se détérioraient très vite, imprégnées d'une humidité
persistante.
Contre la maison de la
propriété des Bellon, existait un local à usage de buanderie où les
bugadières réchauffaient leur fricot sur un feu de bois, faisaient
chauffer leur café, mais surtout allumaient de gros feux sous le
chaudron utilisé les jours de grande lessive.
Installées à genoux dans
leur caisse, non sans avoir disposé sous leurs rotules une épaisseur de
paille, d'herbe ou de linge sale pour atténuer l'inconfort d'une telle
position, les travailleuses commençaient leur rude journée de labeur.
Ce n'est qu'au prix de gros efforts qu'elles tiraient de l'eau le linge
ruisselant. C'étaient des vêtements surchargés d'étoffes épaisses,
alourdis de festons, de volants et de dentelles, sans parler des habits
de travail, blouses, ou bleus de chauffe, maculés de tâches tenaces sur
lesquelles il fallait redoubler d'efforts pour leur rendre le lustre
initial. Les doigts crispés sur le linge savonné, les poignets
s'activaient à frotter énergiquement et à essorer vigoureusement pour
exprimer peu à peu la saleté. Et puis c'était le travail du battoir
tout luisant d'eau savonneuse qui parachevait à grands coups ce que les
doigts n'avaient pu faire. Enfin venait le premier rinçage.
Si le résultat n'était pas satisfaisant, il fallait recommencer toutes ces opérations.
Peut-on imaginer la
somme de patience et d'efforts nécessaires à laver un seul drap de lit
? Pas un seul centimètre carré de tissu ne devait échapper aux mains de
ces vaillantes travailleuses dont les plus âgées présentaient des
doigts secs, boursouflés aux jointures par des rhumatismes précoces, et
que gerçaient parfois les terribles morsures du froid.
Le jour de grande
lessive ne ressemblait pas aux autres jours. La tâche était différente
par sa complexité et l'extrême fatigue qu'elle engendrait. Jugez plutôt
:
Après avoir été lavé, le
gros linge composé surtout de draps lourds, était transporté en
escaladant le talus abrupt au-dessus du lavoir, dans la grosse cuve de
bois qu'on appelait La Républicaine.
Étonnante appellation,
me direz-vous. Pourtant, on sait par définition que la république, du
latin res publica, c'est, mot à mot, la chose publique. La cuve, qui ce
jour-là était à usage collectif, portait donc bien son nom.
On y entassait donc la
lessive de plusieurs bugadières, non sans avoir disposé au fond une
grande toile appelée porte-paquet. Lorsque la cuve était remplie, on
recouvrait le linge d'une autre tenture sur laquelle on déposait une
importante épaisseur de cendre de bois. Pendant ce temps, on faisait
chauffer de l'eau jusqu'à ébullition dans un chaudron de cuivre posé
sur un foyer voisin de la grande cuve.
Quand tout était prêt,
on versait peu à peu l'eau du chaudron sur les cendres riches en
potasse. Cette eau descendait lentement à travers la masse du linge et
ressortait à la base de la cuve par un trou que l'on avait
partiellement obstrué de l'intérieur avec un bouquet de roumaniou
(romarin).
L'eau d'écoulement, qui
n'était pas encore assez riche en potasse, les lavandières la
récupéraient et la versaient à nouveau sur le linge. Cette opération
était reprise plusieurs fois.
Ainsi, c'était un travail de plusieurs heures que nos vaillantes lavandières accomplissaient patiemment, méthodiquement.
L'eau de lessive devenue
jaunâtre, avait détaché toutes les impuretés en passant plusieurs fois
à travers l'épaisseur du linge. Elle était alors jetée. Mais outre son
rôle de blanchiment, elle donnait au linge, dans ses passages
successifs, la bonne odeur du romarin qui la filtrait en fin de course.
Enfin, le tout était
redescendu au lavoir, savonné et rincé une dernière fois, puis étendu
sur les prés et les buissons environnants. À la mauvaise saison, si
l'état du ciel ne permettait pas cet étendage, la pesante lessive était
transportée alourdie par l'eau, jusqu'à la maison des lavandières en
attendant que le temps permette de l'étendre en plein air. À la fatigue
du trajet, des longues manutentions, des positions inconfortables,
s'ajoutaient les souffrances dues à l'inclémence du temps.
Pour se prémunir contre
le froid, les lavandières portaient de gros bas, des chaussons, des
galoches. Par-dessus leur veste ou leur épais casaquin, tombait une
grande pointe de laine dont les extrémités se croisaient sur la
poitrine pour être nouées ensuite dans le dos.
Mais dans la position à
genou qu'adoptaient les bugadières, le froid gagnait peu à peu les
pieds. Les engelures, conséquences des basses températures, mais aussi
de la malnutrition, apparaissaient souvent.
Malgré tous ces désagréments, nos lavandières trouvaient autour de ces lavoirs, quelques compensations à leur peine.
Des langues bien affilées
On venait aussi dans
l'espoir d'apprendre des nouvelles. Quelles nouvelles ? Tout les
intéressait. Aux Moulières, outre les sources d'eau pure, il y avait
des sources d'information.
Aucune agence de presse
n'aurait pu fournir autant de renseignements que les potins des lavoirs
: la marche de l'administration municipale, le contenu du sermon
prononcé par Monsieur le Curé à la dernière messe, les difficultés des
Forges et Chantiers qui ne trouvaient pas de commandes, les épidémies
de grippe ou de coqueluche, le succès de tel ou tel au Certificat
d'études primaires, l'importance des récoltes, les mariages, les
baptêmes, les deuils,... il y avait tant et tant de choses à apprendre
et à répéter.
Au début du travail, on
parlait peu. On faisait seulement état du temps, des prévisions pour la
journée, on supputait les chances que l'on avait de terminer le travail
plus tôt dans l'après-midi, en espérant que le mistral prendrait pour
sécher plus vite le linge.
Les travailleuses arrivaient une à une.
Peu à peu, les langues
se déliaient et le flot des conversations commençait à déferler, de
plus en plus riche en ragots, en rumeurs colportées qui tournaient
parfois à la pure calomnie. « On m'a dit que... », « À ce qu'il
paraît... », « Et vous savez, celui qui m'a dit ça, c'est pas n'importe
qui... ». On sautait ainsi d'un sujet à l'autre, sans transition. On se
soûlait de paroles en se donnant bruyamment la réplique. Des rires
fusaient accompagnés de boutades percutantes, de jurons salaces et de
sarcasmes.
Certaines manifestaient
de véritables talents oratoires et les mots arrivaient sans trébucher.
D'autres, véritables conteuses, savaient donner à l'anecdote la couleur
du réel. Ah ! elles avaient la langue bien pendue, nos bugadières, et
bien affilée !
Cette compagnie avait été parfois qualifiée de « parlement des culs en l'air ».
Il arrivait même que
leurs propos dépassent leur pensée, et qu'emportées par le désir de
captiver leur auditoire, elles enrichissent la rumeur de détails de
leur cru. Ainsi se construisaient les réputations, sans possibilité
d'appel.
Ayant la charge de laver
le linge sale des familles, les lavandières connaissaient leurs clients
sous un jour très particulier. Parfois, l'une d'elles, brandissant bien
haut un pantalon de femme ou un caleçon d'homme maculé d'une certaine
façon, s'exclamait :
Les propos, bien sûr,
avaient un pittoresque impossible à reproduire ici. Cela ne manquait
pas de provoquer des fous rires dans les rangs des blanchisseuses.
L'une se tenait le
ventre, l'autre avait les épaules qui tressaillaient, Tante Marie
pinçait les lèvres pour ne pas expulser son dentier, ce qui ne risquait
pas d'arriver à Madame Passeron dont la bouche était complètement
édentée au point que ses lèvres s'enfonçaient complètement entre ses
mâchoires et que son nez aquilin effleurait presque son menton en
galoche.
Une fois passé l'intermède, on abordait des sujets plus graves. Fine, une célébrité du quartier, lançait :
Il faut préciser que
celui qui portait ce sobriquet peu honorable, a existé au début de ce
siècle et nos concitoyens parmi les plus anciens s'en souviennent
peut-être. Ce personnage était redouté des jeunes filles car il se
vantait avec une faconde intarissable d'aptitudes sexuelles hors du
commun. Cela l'autorisait croyait-il à se répandre en obscénités
incessantes.
On parlait aussi
politique. Par exemple, il se disait qu'à l'approche des élections
législatives, le Directeur du Chantier, Monsieur Rimbaud, qui a laissé
le souvenir d'un homme férocement hostile à toute expression syndicale,
appelait un à un ses ouvriers et les incitait fermement à voter pour le
candidat de son choix, un partisan du maintien de la journée de dix
heures.
D'ailleurs, ce Monsieur
Rimbaud qu'agressèrent un jour les femmes de ses ouvriers, fut l'objet
de tant de haine dans la population que la Municipalité dut intervenir
auprès de la Préfecture pour qu'il cesse ses agissements dans son
entreprise. Elle craignait en effet pour l'ordre public.
On ne finirait pas
d'évoquer tous les sujets qui nourrissaient les conversations
passionnées de nos bugadières. Y mêlaient leurs voix : Madame Francone,
Angèle Picardo, Madame Garnier, de Six-Fours, Madame Barnel, du
quartier Mauvéou, Hortense Barbieri, Marie Pons, dite Pipodoun, Madame
Decugis, Biquette, ou encore Rose, dite La Giboua, et bien d'autres
encore.
Cette dernière était
sans doute la plus remarquable à la fois par son physique ingrat,
qu'avait passablement détérioré l'outrage des ans, et par sa hargne
permanente. Nez crochu, menton en galoche, regard froid, lèvres minces,
elle passait son temps à médire.
On disait d'elle qu'elle
ne taillait pas seulement des bavettes, mais aussi des « costumes sur
mesure » à chacun ou, en d'autres termes, qu'elle était passée
maîtresse dans l'art de dénigrer son prochain. En raison d'une lordose
si prononcée que, l'apercevant, on ne distinguait d'abord qu'une bosse,
elle avait été aussi surnommée la Fée Carabosse, sobriquet qui
englobait sa silhouette, ses traits et sa médisance.
Bosse de bison ou bosse
de dromadaire ? demandaient méchamment les lavandières dont elle était
la risée. La question restait posée à propos de celle qu'unanimement on
désignait par le sobriquet de La Giboua (la bossue).
Elle ne savait commencer
une phrase sans lancer son juron préféré « Pute de tité ». Une tité, en
Provençal, c'est une poupée. On désigne aussi par ce nom les filles aux
mœurs légères. On n'a jamais su à qui ce qualificatif s'adressait
particulièrement. À tout le monde, sans doute, tant la médisance était
pour elle un besoin viscéral.
Elle la cultivait d'ailleurs avec un art consommé et passait un temps fou à collecter les renseignements.
Par exemple, sous
prétexte d'avoir perdu un objet quelconque, elle fouillait les
poubelles de ses voisins, le lendemain d'une noce ou d'un repas de
fête. Son enquête visait à savoir ce qu'ils avaient mangé la veille
pour dauber ensuite leur gourmandise, leur prodigalité ou leur avarice.
Si une fille de notable
se mariait (en blanc comme il se doit) elle n'avait de cesse qu'elle ne
sût si, par hasard, elle n'aurait pas fait « Pâques à la mi-carême ».
Aussi, notait-elle avec grand soin la date des noces pour la comparer à
la date de la première naissance, ce qui lui permettait de savoir si
neuf mois s'étaient bien écoulés entre ces deux événements. Malheur à
celle qui avait fauté ! Rose se chargeait de le faire savoir dans toute
la ville.
Il faut croire que cet acharnement à voir le mal partout indisposait ses compagnes, car un jour, l'une d'elles lui lança :
Profondément ulcérée par
ce rappel intempestif d'un passé qu'elle voulait effacer, Rose leva le
parler à son amie, et pour longtemps.
Autour des lavoirs, dans
ces débordements d'histoires paillardes, de bavardages débridés,
d'allusions perfides, il arrivait fréquemment que l'on se fâche. Les
brouilles duraient alors des mois, mais à la faveur d'un événement
quelconque, heureux ou malheureux, on se raccommodait et dans la
chaleur des réconciliations bruyantes, les persiflages bouffons
reprenaient de plus belle.
À ce groupe de
lavandières qui animèrent pendant longtemps le lavoir des Moulières,
venait se joindre, moins assidu, le bataillon des ménagères de la ville
qui faisaient elles-mêmes leur lessive.
Leur jour de lavage
était le jeudi, ce qui leur permettait d'amener leurs enfants passer
une journée au bon air de la campagne. Des enfants qui, d'ailleurs, se
rendaient utiles en aidant leur mère ou leur grand-mère.
Les dernières décennies
où les lavoirs furent en service virent défiler ainsi des familles bien
connues : les Mathieu, les Gautier, les Martinenq, les Pisany, les
Augias, les Cauvière, les Autran, les Legier, les Borel, les Vairolatto
ou les Bacino, pour n'en citer que quelques-unes.
Les jours de lavage, on
partait donc de grand matin en se donnant des rendez-vous à des
carrefours précis. On n'oubliait surtout pas de prendre le pain tout
chaud de la dernière fournée, de garnir le cabas d'un fait-tout avec
des restes de ragoût, ou d'une assiette contenant une omelette froide,
un peu de saucisson et des morceaux de fromage. Et puis, bien entendu,
on remplissait la brouette ou la carriole de linge à laver. Grand-mère
Mathieu, notoirement serviable, emportait même le linge de ses amies.
Quelquefois, les
ménagères qui avaient entre elles des affinités préparaient ensemble
chez la mère Bellon un bon repas chaud. Sur une braise hâtive, on
grillait des saucisses et des boudins et l'on arrosait le tout d'un bon
petit vin qui venait de Suquet ou de Barbaroux. Un vrai régal ! Après
quoi, on sirotait un café qui coûtait un sou.
Le repas était certes
frugal, mais il suffisait pour redonner à chacune du cœur à l'ouvrage.
Le plus souvent, les lavandières occasionnelles terminaient leur bugade
le matin. L'après-midi, si le temps le permettait, on séchait le linge
sur les buissons environnants au bon soleil.
Pendant que les mamans
et les mamés papotaient, les enfants jouaient en toute sécurité dans
les bosquets voisins. Ils allaient patauger dans la mousse de savon qui
courait à l'autre extrémité des lavoirs en essayant de faire des bulles
avec la paille des avoines sèches.
Le plus souvent, ils
participaient à la collecte de l'herbe pour les lapins, à la cueillette
de la chicorée (cicoria), des plantes aromatiques, des champignons à
l'automne, des poireaux sauvages ou des glands pour les bêtes. Ils
s'occupaient aussi à confectionner des fagots de bois mort. En ce
temps-là, on ne négligeait aucune ressource que la nature offrait
généreusement.
Les provisions
rassemblées, le linge sec rangé dans les carrés bleus ou noirs, on
reprenait les carrioles ou les brouettes, chargées hautes, et en avant
pour le retour. Le chemin suivi était le même que le matin : le Baou,
les Quatre Chemins du Mai, la montée vers Gavet. On marquait
généralement la pause à hauteur de la propriété Lubonis. Il y avait là,
à main gauche, une maison d'habitation bien tenue que les passants
observaient toujours avec curiosité, en faisant des réflexions
malicieuses.
Rose La Giboua n'était
pas la seule à s'exclamer, devant cette demeure : « Tiens, voilà la
villa brioche ! Il s'en passe de drôles, là-dedans... ». Selon la
rumeur du quartier, la belle qui habitait ce logis recevait de nombreux
galants. Hortense disait « On se demande si elle a le temps de faire
son lit ». À quoi Rose répliquait, vipérine : « Ah vaï, tout le monde
le sait : son lit n'a pas le temps de refroidir ». Et l'on avançait le
nom de personnages assidus qui venaient prendre du bon temps dès la
nuit tombée.
Sur le chemin du Baou, on croisait parfois Louis Daumas, dit Le Manchot, autre figure du quartier des Moulières.
Il n'était pas sans
défauts, mais les gens du coin, le voyant handicapé, lui pardonnaient
volontiers les larcins dont il se rendait coupable. Il disait avoir
perdu son bras droit dans un accident, mais les mauvaises langues
affirmaient qu'on l'avait amputé à la suite d'un coup de fusil reçu au
moment où il franchissait la limite d'une melonnière.
Comme à son époque les
pensions d'invalidité n'existaient guère, il vivait misérablement, vêtu
de hardes qu'on lui donnait. Incapable de rendre même des petits
services, il rapinait comme il pouvait, mais surtout, se consacrait au
braconnage, son activité principale.
Il vivait dans un
cabanon en ruine où il cuisait sa soupe sur un feu de bois et couchait
dans une paille infecte. Néanmoins, il était insouciant, jouissait du
présent sans s'inquiéter de ce que serait demain.
On l'admirait un peu, le
sachant capable de rouler et d'allumer une cigarette avec la seule main
qui lui restait. Et puis, malgré son handicap, il vivait une existence
paisible à laquelle il semblait prendre plaisir.
On se demandait comment
il pouvait fixer les alludes vivantes (fourmis ailées) à ses pièges.
Quand on lui posait la question, il souriait et gardait pour lui son
secret.
Pourchassé sans cesse
par les gendarmes qu'aidait le garde champêtre, il se faisait souvent
prendre. Notre Raboliot se laissait emmener sans protester. (Il n'avait
rien à voir avec l'autre, le vrai). « Ma foi, disait-il, philosophe,
quand ça m'arrive après le passage des tourdres et des rigaous, je suis
à l'abri et nourri gratuitement pour l'hiver ».
Quand il était relâché,
ses amis lui conseillaient la prudence, mais il n'en avait cure et
recommençait à braconner en variant les procédés.
Quand passaient les
gros-becs ou les bétouars (becs croisés) qui s'abattaient comme des
nuées sur le moindre filet d'eau, il posait des brins de jonc englués
simulant des perchoirs. Les prises généralement nombreuses devaient
être relevées dans un temps record pour limiter les risques de se faire
surprendre. Si Le Manchot se moquait d'être envoyé à la prison
Saint-Roch pendant l'hiver, il préférait rester libre de ses mouvements
au début du printemps et pendant l'été.
Ne pouvant détacher ses
victimes avec sa seule main, il les engouffrait avec les joncs gluants
et les emprisonnait dans un sac de chanvre. On imagine alors le sort de
ces pauvres oiseaux aux pattes figées dans la glu, qui s'emmêlaient au
fond du sac, collaient leurs plumes, leurs ailes, leurs becs dans un
enchevêtrement visqueux. Pendant leur agonie atroce, ils poussaient des
cris désespérés.
Doué d'un esprit simple,
le braconnier ne s'en émouvait guère. Il rentrait précipitamment dans
sa tanière, de peur que les cris des oiseaux ne le trahissent, puis
s'occupait à délivrer les corps de ses victimes. On imagine ce que cela
devait représenter pour un manchot de dégager un à un les oiseaux de ce
magma qui lui poissait les doigts.
Il savait aussi tous les
halliers du vallon des Moulières. De la forêt de Janas au Jonquet, de
Roumagnan au Peyras et à Fabrégas, il connaissait tous les gîtes de
lièvres, tous les passages de lapins. Il lui arrivait parfois de
pousser ses explorations jusqu'au bord de mer, à Tamaris, en quête de
poissons et de coquillages.
Parmi ses multiples
talents, il avait ceux du ravageur, encore que son handicap le limitait
dans ses entreprises. Alors, les pêcheurs et les parqueurs
qu'attendrissaient ses difficultés à vivre lui offraient toujours
quelque chose de comestible.
Louis Daumas, dit Le
Manchot, demeura longtemps une célébrité du quartier des Moulières.
Pour avoir entendu maintes fois le récit de tant d'exploits, l'enfant
que j'étais le considérait comme un héros légendaire.
Ainsi, sur le chemin du
retour, nos lavandières terminaient leurs papotages en exprimant,
malgré leur fatigue, la satisfaction d'une bonne journée.
Nous nous sommes
régalées ! disait grand-mère Mathieu quand elle rentrait avec ses
filles qui se relayaient pour pousser la brouette chargée de linge
propre. Pourtant, elles n'avaient pas ménagé leur peine pour accomplir
les tâches ingrates que nous avons décrites. Leur satisfaction était
grande, après de telles journées et pourtant, il faudrait encore
repasser tout ce linge, Parfois le raccommoder, puis le ranger dans
l'armoire non sans l'avoir parfumé de quelques brins de lavande.
Mais nos ancêtres
n'allaient pas très loin chercher leur bonheur. Grand-mère Aubert qui
n'avait pas tant d'engouement pour ces tâches ingrates, retournait des Moulières la tête pleine de ragots qu'elle pourrait commenter chez ses
voisines. « Nous avons bien bavardé, disait-elle ingénument, et nous
n'avons dit de mal de personne ». Balivernes, car, elle n'avait pas
cessé, avec ses compagnes, de dauber sur les voisins, les amis, les
adversaires politiques, les dévotes que Monsieur le Curé traitait de
pécores, les patrons qui exploitaient le travailleur...
Mais quand elle voulait
raconter à son mari les cancans de la journée, celui-ci, indifférent au
babillage de son épouse, finissait par dire, pour couper court aux
commérages « Aco, ès tous de couiounado ! ».
Les Moulières aujourd'hui
Les années ont passé,
apportant des progrès techniques considérables. La plupart des
ménagères sont entrées dans la production et elles ne trouveraient plus
le temps d'accomplir ces durs travaux de nos lavandières d'antan.
D'ailleurs, les machines à laver ont remplacé les lavoirs, les poudres
qui toutes lavent mieux les unes que les autres, ont détrôné le savon
et la cendre de bois. Dans tous les foyers, l'eau courante arrive à
l'évier.
Ainsi le modernisme a bousculé les vieilles méthodes et, au fond, c'est heureux.
On peut se demander,
tout de même, si les anciens, confrontés à notre actualité, seraient
bien convaincus que tous les progrès ont été nécessaires.
On se souvient de leur
méfiance quand apparurent les premières cuisinières à gaz. Ils
considéraient qu'elles gâtaient les aliments à la cuisson, sans parler
des risques d'explosion. Ils regardaient avec la même défiance les
machines à laver le linge. Les vieilles lavandières, ancrées dans leurs
habitudes, raillaient : « Le linge de la machine n'est même pas frotté !
Il ne peut pas avoir la même blancheur, voyons ! Et puis rien ne
remplacera l'eau des Moulières. D'ailleurs, tout sera vite usé, avec
toutes vos poudres ».
Mais nos vaillantes
aïeules n'ont pu détourner leurs filles, belles-filles, petites filles
qui font aujourd'hui confiance aux inventions modernes. Et les lavoirs
délaissés peu à peu, n'ont plus été fréquentés dans les années de la
dernière guerre, que par de rares ménagères attachées à la tradition de
la bugade.
La corporation des
lavandières s'est alors éteinte. Surtout quand l'occupant allemand,
raflant les matières grasses, ne permit plus que soit fait du savon de
qualité.
Les autorités donnèrent
bien quelques recettes pour en fabriquer, mais il en résultait des
produits hybrides incapables de mousser et de nettoyer convenablement
quoi que ce soit.
Dans la décennie qui
suivit la Libération, on aurait dit que tout se liguait contre les
lavoirs des Moulières. La diminution du débit des sources, amorcée
depuis la disparition des moulins, s'accentua fortement. Les ruisseaux
permanents devinrent intermittents. Les Municipalités, constatant ce
fait, ne purent y apporter aucun remède.
Le creusement de
l'Émissaire commun modifia sans doute le réseau hydrographique du
massif portant un coup décisif aux sources. En tout cas, les lavoirs
abandonnés ne furent plus entretenus par la ville. Ils se remplirent
d'algues et de vase. Peu à peu, une puissante végétation de ronces, de
clématites, de pariétaires envahit les piliers, la toiture, jusqu'à ce
que les édifices disparaissent tout à fait sous les lianes et les
frondaisons.
Puis ce fut le temps des
chapardeurs qui enlevèrent les vieilles tuiles provençales pour leur
profit. Alors les charpentes exposées aux intempéries s'effondrèrent,
entraînant dans leur chute les jolis piliers de briquettes rouges.
Ainsi disparurent les lavoirs qui égayèrent pendant tant d'années ce
quartier retiré. Les pierres plates qui restent, où nos lavandières ont
frotté, brossé, battu le linge, sont à peine visibles aujourd'hui sous
une végétation sauvage et presque impénétrable.
Les sources et les
conques, que l'on a du mal à deviner dans la broussaille, ne murmurent
qu'à peine, après de fortes pluies. Quelques feuilles de cresson
s'étalent à la surface de l'eau où viennent se désaltérer les fauvettes
qui lancent parfois de timides roulades, rappelant au visiteur que
toute vie n'a pas totalement disparu.
Pour ceux qui connurent
la beauté de ce vallon enchanteur, pour ceux qui côtoyèrent ces
personnages pittoresques dont nous évoquions plus haut la mémoire, le
quartier des Moulières est marqué par des souvenirs attendrissants,
mélancoliques.
Ce qui reste aujourd’hui du site des Moulières |
Les amis de la Nature
regrettent avec nous la disparition quasi totale de certains végétaux
comme le miougranié (grenadier sauvage), le tapenié (câprier), le
sorbier, qui jalonnaient le chemin de la Croix-de-Palun. Comment
oublier aussi le chichourlié (jujubier) très commun autrefois, ou le carroubié (caroubier) aux grandes gousses noires et douces dont se
régalaient les équidés ?
De nos jours, malgré la
fuite vertigineuse des ans, nous évoquons, au hasard de nos promenades
dans le quartier, les images familières de notre enfance qui nous
reviennent irrésistiblement : les petits ânes attelés au long bras des
norias dont la chaîne de godets zingués puisait l'eau qui irriguait
lentement, profondément, les potagers. Nous revoyons encore les forts
chevaux tirant le lourd barrulaire (rouleau de pierre cannelée) sur les
aires circulaires, pour écraser les gerbes de blé mûr alors que le
soleil, a son zénith, favorisait au mieux la séparation des grains.
Tout cela appartient
irrémédiablement à un passé dont nous sommes la mémoire. Nous voilà
maintenant confrontés à une autre réalité dont témoigneront plus tard
ceux qui, aujourd'hui, entrent à leur tour dans leur âge d'homme.
Ce quartier de notre terroir seynois a subi des modifications considérables.
Les familles de
cultivateurs qui l'occupaient et exploitaient ses ressources ont laissé
la place à des centaines de foyers d'ouvriers, de techniciens,
d'employés, d'artisans ou de retraités de toutes professions.
Là où les potagers
alignaient autrefois la régularité des raies tracées au cordeau, de
coquettes villas sont sorties de terre, entourées de jardins d'agrément
où une flore ornementale recherchée rivalise de belles couleurs. Pour
approvisionner tous ces nouveaux résidents, des structures commerciales
aux couleurs bariolées ont chassé les vastes vignobles que l'automne
marquait de roux. Les rares bastides perdues au milieu des champs, les
cabanons, les granges, les écuries, les porcheries, les poulaillers,
ont été rayés du paysage. Les chemins charretiers aux ornières
sournoises ont laissé leur place à de larges voies goudronnées, à des
allées spacieuses quadrillant des lotissements pimpants.
Du haut de Cachou, le
regard n'embrasse plus qu'un alignement de toitures hérissées par une
multitude d'antennes de télévision dressées vers le ciel comme autant
de grands râteaux.
Nuit et jour, la paix de
ces campagnes évanouies est troublée par un charroi incessant. Partout
se croisent à grands bruits les automobiles, les camions et les
motocyclettes. Tout cela pétarade et pollue, de l'Oïde aux Gabrielles,
des Hautes Barelles à Mauvéou, jusqu'au cœur des forêts où se
déchaînent les pratiquants de ce que l'on nomme, peut-être par
dérision, la moto verte.
Le babillage des
fauvettes est couvert par les radios qui nasillent du matin au soir les
mêmes rengaines, les mêmes discours, les mêmes spots publicitaires...
C'est cela qui,
aujourd'hui, constitue l'environnement ordinaire de nos contemporains.
C'est le nouveau langage des Moulières, le langage des temps présents
qui fait certainement des heureux.
Nous ne doutons pas que
le développement fulgurant des sciences et des techniques qui a si
profondément modifié les comportements humains, procure à la population
des joies certaines.
Mais le murmure des
sources, mais le ramage des passereaux, mais les soupirs du mistral
dans les grands pins pignet ou les chênes centenaires ? C'étaient aussi
des joies profondes qu'appréciaient nos ancêtres et qui savent encore
nous toucher.
Nos têtes devenues
chenues restent habitées du souvenir tenace des longues veillées devant
les bûches flamboyantes de la cheminée basse dont les pétillements
soudains tiraient de sa vague somnolence le chien qui rêvait de chasses
futures.
Elles sont pour nous
inoubliables, ces soirées d'hiver où l'on se régalait des castagnades
arrosées d'un vin blanc sec en écoutant avec émotion le grand-père ou
le grand-oncle, raconter pour la énième fois ses campagnes coloniales
du Tonkin ou du Sénégal. Quand approchait Noël, on faisait les comptes
des récoltes et l'on était heureux de savoir le foin engrangé, le grain
ensaché qui assureraient aux bêtes leur subsistance pour la mauvaise
saison, et le vin, vieillissant dans les gros fûts de chêne, qui
arroserait encore bien des repas.
Les ménagères
vérifiaient les conserves de fruits et de légumes, enfermées dans les
bocaux alignés sur une étagère, les figues séchées au soleil, les
amandes, les melons et les poires d'hiver. Elles surveillaient les
grappes de raisin mises à sécher dans le grenier et dont le goût sucré
ferait de bons desserts aux creux de l'hiver.
L'une des veillées de la
semaine était consacrée aux jeux de société :jeux de cartes, jeux de
loto. On s'interrompait de temps en temps pour picorer dans une marmite
les graines cuites de haricots ou de pois chiches, tandis que le toupin
de tisane attendait sagement près de la cendre chaude, que l'on se
désaltère de son contenu odorant, quand finirait la soirée.
Quand revenaient les
beaux jours, les familles paysannes des Moulières se réunissaient pour
préparer des réjouissances de plus grande envergure.
Dans la quiétude des
crépuscules seulement troublés par l'angélus du clocher de Reynier ou
les bêlements du troupeau de Simian qui regagnait ses crèches, on
arrêtait dans le détail les prochaines sorties au bord de mer. Les plus
nantis équipaient leur char à bancs ou leur charrette de sièges de
fortune pour emmener leurs amis à la fête traditionnelle du Brusc. On
emportait des repas froids que l'on dévorait sur les rivages paisibles
en attendant l'heure du bal.
Ou alors on allait
assister aux batailles de fleurs à Ollioules, au Corso carnavalesque de
Sanary, manifestations qu'animaient souvent les formations musicales du
cru, La Seynoise et l'Avenir Seynois. On s'y retrouvait entre parents,
entre amis.
Ces rencontres
chaleureuses renforçaient les liens d'une convivialité solide à une
époque où l'entraide et la solidarité étaient une obligation de survie
et un devoir sacré.
Au début de l'automne,
le quartier des Moulières et celui des Plaines où abondaient les
vignobles connaissaient une animation fébrile.
Pendant une quinzaine de
jours, chaque lopin de terre était vendangé. Le raisin foulé aux pieds
sur la planche de la tine, bouillait ensuite pour produire le vin
nouveau, tandis que le marc passait à l'alambic, donnant l'aigo-ardènt
qui raclerait le gosier des hommes.
Après les dures journées
de labeur où les familles se donnaient la main, on préparait la fête
des vendanges qui verrait les poulaillers et les clapiers payer un
lourd tribut à la satisfaction des solides appétits.
Les femmes préparaient
les raviolis et, pour la pâtisserie, leur grand savoir-faire les
dispensait de se rendre en ville chercher les gâteaux. Et puis, quand
le festin était terminé, quand les plats et les toupins étaient curés
jusqu'à la dernière miette, on dansait au son d'un phonographe
nasillard, ou l'on chantait des chansons et le répertoire paillard qui
n'était pas ignoré, soulevait les véhémentes protestations de quelque
grand-mère un peu pudibonde.
Tous ces aspects de la
vie aux Moulières que nous avons évoqués montrent que l'existence
autrefois n'était pas exempte de difficultés et de peines pour les
hommes et les femmes courbés sur leur labeur. Mais les moments de
plaisir étaient intenses et marqués de plénitude. Nos ancêtres savaient
trouver dans la simplicité et la quiétude, dans le travail bien fait,
dans les économies réalisées sou à sou, permettant d'envisager
sereinement l'avenir, dans la sagesse de chaque jour, les raisons de
leur bonheur paisible.
Le fabuliste de Philémon et Baucis ne leur avait-il pas appris depuis leur enfance que « Ni l'or, ni la grandeur ne peuvent rendre l'homme heureux » ?
Malgré ses atouts exceptionnels, sa fabuleuse histoire et la richesse de son patrimoine végétal, le vallat de l’Oïde se trouve aujourd’hui abandonné à son triste sort. Depuis plusieurs années, la fédération MART (Mouvement d’Actions pour la Rade de Toulon et le littoral varois), avec MM. Paul Pignon, Francis Creus, Jean Guinamant et Jean-Claude Bardelli, travaille donc à constituer un dossier sur le quartier des Moulières, l’histoire de l’Oïde, des lavoirs, des sources et des moulins qui ont existé tout le long de cette rivière. Ce travail, mené en accord avec les villes de La Seyne et de Six-Fours, sera ensuite remis aux deux municipalités pour qu’elles puissent engager des procédures de classement ou de restauration du lavoir des Moulières et des autres ouvrages. Par exemple : (1) la remise dans son lit d’origine du vallat de l’Oïde ; (2) la remise en valeur des moulins [qui sont à l’origine de l’urbanisation dans ce quartier] ; (3) la remise dans son état d’origine de la source des Moulières ; (4) la création d’un parcours touristique reliant Fabrégas à Janas. L’Association des Amis de Janas et du Cap Sicié s’est également engagée pour la réalisation de ce projet, ainsi que pour l’obtention du label Natura 2000. En mars 2005, Mme Michèle Durand, adjointe chargée du développement durable, avait indiqué que la municipalité « allait réaliser la restauration du bassin des Moulières », amorce de cette « coulée verte aux sources de l’Oïde ». En septembre 2008, malgré la difficulté tenant au fait qu’une partie de ce patrimoine est située sur des terrains privés, Mme Florence Cyrulnik, adjointe à la culture et au patrimoine, confirmait que la ville de La Seyne « s’apprêtait à mener ce travail de fourmi sur 3 à 4 km dans la colline » pour entretenir « les berges du vallat, en retrouver la trace et les lieux ». |
Repérage au GPS des vestiges des lavoirs par M. Henri Ribot et son équipe du Centre Archéologique du Var (novembre 2009) |
M. Paul Pignon indique l'emplacement de l'un des piliers de l'ancien lavoir (novembre 2009) |
Sources :
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© Jean-Claude Autran 2022