La Seyne_sur-Mer (Var)  La Seyne_sur-Mer (Var )
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du Tome I
Marius AUTRAN
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Images de la vie seynoise d'antan - Tome I (1987)
Les Moulières, au temps jadis

(Version réactualisée et annotée par Jean-Claude AUTRAN en 2010)
 

Comme toutes les autres, notre commune de La Seyne est un conglomérat de quartiers, c'est-à-dire de portions de son territoire dont les limites sont souvent mal définies.

Il ne s'agit pas de divisions administratives, car les contours de ces quartiers sont généralement mal connus par les habitants eux-mêmes, sinon par les édiles qui les administrent. Cela donne parfois lieu à de vives discussions auxquelles participent avec force arguments les chauffeurs-livreurs et les préposés aux P.T.T.

Les appellations des quartiers remontent souvent à des époques lointaines. Au fil des temps, l'usage s'établit d'appeler certains lieux de la commune (quartiers, hameaux ou champs) du nom des familles notables qui en furent les propriétaires marquants : Tortel, Beaussier, Brémond, Daniel ou Grune. De nombreux quartiers tiennent leur nom du sanctuaire qui s'y trouvait et s'y trouve parfois encore : Saint-Jean, Saint-Elme, Saint-Roch, Saint-Joseph de Gavarry, etc.

Les caractères géographiques dominants sont également source d'inspiration. On trouve ainsi : Coste Chaude (le versant chaud), Les Sablettes, Les Plaines, Mar-Vivo (mer vive). Ailleurs, c'est la végétation dominante qui est à l'origine du nom du lieu : Tamaris ou... La Seyne.

Durant ces dernières décennies, tous les quartiers de la commune ont connu des mutations spectaculaires, des transformations aussi surprenantes qu'inattendues et souvent, même les Seynois de souche avouent ne plus reconnaître les lieux où ils ont grandi.

Il est vrai que les impératifs de l'urbanisation, l'implantation d'activités nouvelles, les changements dans les mœurs, dans les modes de vie, ont entraîné une autre utilisation de l'espace, et ont transfiguré les choses et les lieux.

Le cas le plus typique est sans doute le développement fulgurant de la zone urbaine qui s'étend au nord de la commune, avec ses grands ensembles et ses structures commerciales, ses bâtiments à vocation d'actions culturelles et sociales, ses grandes artères, ses parkings et la perpétuelle agitation qui y règne.

Les nouveaux occupants de ces immeubles peuvent-ils imaginer ce que fut la paisible zone agricole peuplée auparavant de quelques dizaines de familles occupées à l'élevage, à la culture d'arbres fruitiers et de légumes ? Aujourd'hui ce sont près de vingt mille âmes qui cohabitent là où s'étendaient jadis les jardins.

Mais le nord de La Seyne n'est pas le seul à avoir connu la main des urbanistes ou des promoteurs immobiliers. Chaque Seynois a dans sa mémoire le souvenir d'un coin de bois, d'un campas, d'un vallat où il aimait se rendre pour la détente, pour la cueillette des asperges ou des champignons, et qui est aujourd'hui un de ces jardins modèles avec arbres d'ornementation et pelouse, entourant une villa « néo-provençale ». Tous ces chemins de notre enfance, ceux qu'avaient tracés les pas innombrables de nos anciens ont disparu et c'est un peu de notre âme qui a été ainsi effacée.

On pourrait aussi parler des quartiers de Manteau, de Valmer, de Tamaris et des Sablettes, où l'action de Marius Michel, dit Michel-Pacha en fit une station touristique de grande renommée. Des villas magnifiques, perdues dans des bosquets de végétation où se mélangent les essences locales et les espèces exotiques, ont accueilli des gens illustres, comme George Sand ou les Frères Lumière. Et puis, après la mort du pacha et surtout après les bombardements de 1944, ce superbe domaine perdit de son lustre pour connaître aujourd'hui un nouvel essor.

De tous les quartiers de notre commune, et La Seyne en compte une cinquantaine, celui dont l'histoire nous a paru la plus intéressante à retracer est le quartier des Moulières.

C'est là, en effet que depuis fort longtemps, nos ancêtres venaient y exercer des activités vitales pour la communauté. N'y avaient-ils pas trouvé en abondance une des premières richesses de la nature indispensables à la vie : l'eau ? Elle y coulait abondante et pure, depuis Janas jusqu'aux rivages de La Verne par le vallon de l'Oïde (*).

(*) L'oïde (en provençal ouide, ou óuvede) est un conduit pour recueillir les eaux, un petit canal couvert. À La Seyne, le quartier de l'Oïde doit son nom au ruisseau de l'Oïde qui charriait autrefois les eaux résiduaires noires et malodorantes du moulin à huile, et les eaux savonneuses des lavoirs des Moulières. Quand les vieux Seynois parlaient de l'Oïde, c'était pour désigner un endroit malsain, un égout.

De nos jours, il ne s'agit plus que d'un ruisseau intermittent qui serpente silencieusement et parvient non sans mal jusqu'au bord de mer. Autrefois, les eaux de ruissellement dont la force fut exploitée par les premiers habitants de la communauté de Six-Fours pour actionner des moulins à aube, recevaient les effluents des sources jaillissant au bas des talus opposés à l’ancienne propriété Mélani. Pendant des siècles, ces eaux alimentèrent les lavoirs publics dont il sera question plus loin.

Situation des lavoirs des Moulières (carte au 20 000e)

Le flux utilisé comme force motrice, capté et canalisé à la sortie du moulin, servait ensuite pour l'irrigation des terres cultivables. Mais au fil des ans, il fallut assister, impuissant, au tarissement progressif des ruisseaux et des sources qui s'expliqua par plusieurs causes conjointes.

L'appauvrissement du sous-bois et du couvert eut pour conséquence une mauvaise retenue des eaux de pluie. Elles ne furent plus conservées dans le sol par les racines qui les filtraient et ne les restituaient que graduellement. Elles ruissellent aujourd'hui avec force, à peine tombées, causant de profonds ravinements et des inondations dramatiques pour l'équilibre de la végétation car ce sont des tonnes de bon humus que ces torrents subits emportent jusqu'à la mer.

S'il est vrai que les incendies de forêt ont été les manifestations les plus spectaculaires de la dégradation de notre patrimoine forestier, ils ne sont pas seuls responsables. Les causes du déboisement remontent aux XVIIe et XVIIIe siècles où l'on fit une exploitation abusive des forêts.

Il faut aussi incriminer les nombreux troupeaux d'ovins et de caprins qui, mal gardés, ravageaient le sous-bois, détruisaient les jeunes pousses et compromettaient les futures générations d'arbres. Enfin, des maladies affectèrent certaines espèces jusqu'à les menacer de disparaître.

Les sources, pour leur part, ont vu leur régime considérablement modifié après le percement du tunnel à travers le massif de Sicié pour acheminer les effluents de l'Émissaire commun. Il est quasiment certain que ces travaux gigantesques ont eu des conséquences sur le débit des ruisseaux et le niveau des nappes phréatiques.

Ces circonstances conjuguées concoururent au dépérissement des activités qui marquèrent, à son origine, le quartier des Moulières, alors que La Sagno se dégageait péniblement des marécages qui la cernaient pour s'orienter vers le développement d'activités maritimes (commerce et construction navale).

Un peu d'étymologie

On croit généralement que le nom de Moulières vient des meules ou des moulins qui permirent à nos ancêtres de tirer leur nourriture de base.

Cette interprétation est discutable et nos recherches nous ont conduit à avancer d'autres hypothèses.

Une moulière est d'abord un établissement où l'on pratique la mytiliculture. Le quartier qui nous intéresse est trop loin du rivage pour tirer son nom de l'élevage des moules.

L'hypothèse du lien entre Moulières et moulin serait plausible. En effet, le latin mola a donné meule dont on a en ancien français des traces de la forme archaïque moule d'où vient le mot moulin.

C'est pourtant dans Lou Tresor dóu Felibrige, dictionnaire Provençal-Francais écrit par Frédéric Mistral, que l'on trouve l'origine étymologique de Moulières. On y découvre en effet qu'une moulièro est un champ cultivé d'où l'on voit sourdre des points d'eau. Un moulen est un pré naturel, un terrain mou, un lieu bas où stagnent les eaux et où l'on peut s'embourber. Enfin, l'adjectif mouliérous qualifie un terrain humide, marécageux, où les eaux croupissent.

Voilà qui s'applique fort bien à la zone comprise entre les Manettes, les Hautes Barelles, Cachou à l'Ouest et le quartier de l'Oïde vers l'Est, terrains dont le sous-sol est imperméable.

Les plus anciens de nos concitoyens se souviennent que l'on exploitait la glaise jaune pour la fabrication des tuiles et des briques, dans les environs de la propriété de la famille Arnaud, où se trouvent aujourd'hui les lotissements du Cap Sicié.

Nous avons d'ailleurs vu au chapitre précédent que le massif présente de larges couches d'argile, notamment sur le territoire de Six-Fours en allant vers Sanary. Entre la Font-de-Fillol et la Coudoulière, les anciens extrayaient aussi de la glaise et construisirent la tuilerie-briqueterie Romain Boyer qui connut une intense activité de 1901 à 1967, à l’emplacement de l’actuel du Domaine de la Coudoulière.

Ces sous-sols argileux ont influencé aussi la faune et les chasseurs du début du siècle le savaient bien. Les Six-Fournais n'avaient qu'à sortir de leur village de Reynier pour chasser la bécassine et le canard sauvage dans de vastes prés entrecoupés de bouquets de joncs et de roseaux. C'est là que se trouvait le quartier de la Croix de Palun, et si l'on sait qu'en Provençal, un palun est un marécage, on est conforté dans l'hypothèse du lien entre Moulières et mouliérous.

Les chasseurs Seynois, de leur côté, étaient fidèles à la mare du quartier de l'Oïde, en bordure de la route de Fabrégas, que hantaient les premières bécasses de l'automne.

Tous ces points d'eau et ces prés humides ont été assainis et portent des constructions récentes. Le passé serait effacé si, à l'occasion de périodes très pluvieuses, le terroir ne se rappelait à notre bon souvenir par la remontée des eaux souterraines qui transforment les jardins en bourbiers et noient caves et garages en sous-sol. En outre, ici et là, on voit réapparaître des plantes grenouillères qui témoignent de la présence d'une humidité persistante qui ne demande qu'à affleurer comme au temps jadis.

Mais pour en finir avec notre propos étymologique, il faut noter que des lieux-dits les Moulières, on en trouve ailleurs qu'à La Seyne, dans des endroits où il n'y a pas trace de moulins, mais où les terrains furent effectivement mouliérous. C'est le cas à La Valette, au pied du Mont Coudon et dans bien d'autres terroirs du sud de la Loire.

Tenons donc pour acquis que ce quartier dont nous allons tracer un bref historique doit son nom à l'humidité des terrains plutôt qu'à la présence ancienne d'établissements de meunerie et de broyage d'olives.

Dès le Moyen Âge

L'existence de moulins nous est cependant révélée par des documents datant du XVe siècle. Cela signifie donc qu'ils fonctionnaient déjà à la fin du Moyen Âge.

En ce temps-là, les hommes savaient construire de grandes roues à aube qu'impulsait la force d'un courant d'eau généré par des chutes artificielles.

Les axes de ces roues entraînaient la rotation de lourdes meules en grès, capables de broyer aussi bien les céréales que les fruits charnus de l'olivier.

L'avantage du moulin à eau par rapport au moulin-à-vent dont l'invention est généralement attribuée aux Arabes, c'est que le courant d'eau représentait une force motrice continue, alors que le vent est plus irrégulier.

On utilisa pourtant des moulins à vent sur notre terroir seynois, mais il fallut attendre que soit prononcée la séparation de notre commune d'avec Six-Fours pour que ce soit possible. Jusque-là, il aurait fallu pour en lancer l'exploitation, payer de lourdes redevances aux Six-Fournais.

Il faut situer ces moulins dans le contexte économique de l'époque, si différent de ce que nous connaissons aujourd'hui où le maître mot du commerce est la distribution.

Pendant des siècles, les échanges économiques furent très faibles, même entre provinces voisines. Les voies de communication rares et mal entretenues ne facilitaient pas le passage des lourds chariots dont les conducteurs redoutaient toujours de s'embourber dans la fange épaisse des chemins. En outre, ces routes étaient peu sûres et bien des voyageurs ont laissé tout leur avoir entre les mains de malandrins détrousseurs de convois.

Enfin, la lenteur des moyens de transport, l'absence de véhicules isothermes, ne facilitaient pas les échanges lointains de denrées périssables.
Alors, chaque cité comptait avant tout sur elle-même pour son approvisionnement et nos ancêtres vivaient quasiment en autarcie.

Le quartier des Moulières s'étendait entre l’ancienne route des Plaines (l’actuelle Avenue Pierre-Auguste Renoir) et la forêt de Janas. La nature de ses terrains favorisait la polyculture : vignes, arbres fruitiers, légumes, céréales, oliviers. Avec le blé et les olives, nos ancêtres détenaient donc la base de leur alimentation : les féculents et les corps gras.

Les seigneurs de Six-Fours étaient intéressés par ce courant d'eau puissant et régulier se déversant dans le ruisseau de l'Oïde et par ces sources d'eau claire qui jaillissaient à quelques pas de la route de Janas (voir croquis ci-joint).

Aux Moulières existaient deux moulins. On apportait le blé à moudre au premier, le plus rapproché de la route de Janas, au lieu-dit La Ferme. Le second, plus proche de Fabrégas, au lieu-dit La Bergerie, broyait les olives.

On ne pouvait y accéder que par des sentiers tortueux sur lesquels on imagine sans peine le va-et-vient des charrettes tirées par une mule et des petits ânes gris ou bruns ployant sous le fardeau des lourdes charges d'olives et de blé.

Les paysans qui accompagnaient de pareils équipages lançaient à tous les vents de rudes imprécations. Ils pestaient, ils juraient, ils blasphémaient tantôt à cause de la chaleur, tantôt à cause de la pluie, souvent en vitupérant les autorités locales. En tout cas, leurs paisibles animaux au pas lent et mesuré finissaient toujours par faire les frais de ces coups de colère. Mais d'où venaient ces hommes ?

Ces paysans étaient des quatre coins de la grande communauté six-fournaise qui, rappelons-le, s'étendait alors des rives de la Reppe, frontière avec Saint-Nazaire (Sanary), jusqu'au Cap Cépet, à Saint-Mandrier.

Les moulins, quant à eux, ont eu plusieurs propriétaires successifs et le passage de l'un à l'autre s'accompagna parfois de nombreux et longs litiges.
Au XVe siècle, en tout cas, ils appartiennent à l'abbé de Saint-Victor-lès-Marseille, Seigneur de Six-Fours.

La communauté six-fournaise en fera l'acquisition et l'on peut retrouver la trace de ces transactions dans des actes notariés datant de 1552, 1571 et 1583.

Histoire des moulins - Des litiges

Ces documents attestent donc de l'existence des moulins au XVIe siècle. Leur construction remonte à une époque beaucoup plus ancienne. En effet, les moulins à eau se substituèrent au mortier et au cylindre aplati qui servaient à moudre les céréales, dès l'Antiquité grecque et romaine. Les moulins à vent se généralisèrent plus tard, vers le XIIe siècle.

Nous ne savons pas grand-chose sur les Moulières dans les premiers siècles de notre ère. Les documents sont rares et nous n'avons trouvé aucun signe, aucune date, aucun indice sur les vestiges encore visibles sous la végétation envahissante.

Malgré ces lacunes, l'histoire des moulins des Moulières mérite d'être racontée, même si nous ne pouvons le faire qu'à partir du XVIe siècle.

Cette histoire toute simple est révélatrice des modes de vie de nos anciens, de leurs difficultés quotidiennes qu'aggravaient parfois de sordides conflits d'intérêts.

L'activité de ces moulins a en effet connu bien des vicissitudes.

Pendant une longue période, ils furent loués à des particuliers. Il est probable que la communauté éprouvait déjà des difficultés dans sa gestion du bien public. Grâce aux recherches méticuleuses de M. Louis Baudoin, nous savons que l'arrentement des moulins à eau fut mis aux enchères et que l'adjudicataire fut un certain Guilhem Reborg, moyennant 36 charges (*) de blé et que l'acte fut passé devant Maître Joseph Lieutaud, notaire à Six-Fours.

(*) Charge : Ancienne mesure de poids en usage dans certaines régions de France. La Charge de Marseille valait 150 kg. Il existait aussi une mesure de capacité de même nom pour les grains, les huiles et les autres denrées agricoles, calculées sur le poids de ces matières qu'un homme pouvait porter.

Pour passer cette vente, les sieurs Sauveur Vidal, Louis Gautier et Pierre Christin, Consuls de Six-Fours, convoquèrent le 14 juin 1571 en assemblée, cent soixante-quatre chefs de famille.

L'assemblée décida la vente des moulins au sieur Lombard et l'acte fut enregistré devant Maître Aycard, notaire à Six-Fours et porte la date du 29 juin 1571. On peut y lire que « les délibérations en date des 8 et 15 juillet 1571 confirment la décision du 14 juin, d'aliénation des biens de la communauté ».

Le sieur Armand Lombard, bourgeois, devint donc propriétaire des moulins à eau des Moulières avec les jardins attenants, pour le prix de mille sept cent-un florins. Personne ne pouvait alors imaginer l'importance et la durée des litiges qui suivirent pendant plus de deux siècles.

Malgré des difficultés périodiques, les moulins assuraient leur office. Les mules et les bourriquets, quand venait la saison de porter le grain ou les olives à moudre, continuaient leur va-et-vient dans les sentiers étroits. Ils venaient des collines de Coste Chaude, de Mauvéou ou de Domergue, aux flancs desquelles s'accrochaient d'antiques oliviers plantés sur de solides restanques. Il en fut ainsi jusqu'au XVIIe siècle.

À cette époque, la population Seynoise se développait sur ces rivages peu à peu assainis de la rade de Toulon. Nous avons rappelé par ailleurs comment les Seynois réussirent à s'émanciper de la commune mère de Six-Fours et se virent accorder par lettres patentes datées de juillet 1657, l'érection de La Seyne en commune indépendante.

On procéda donc au partage des terres entre les deux communautés. La moitié ouest du massif de Sicié resta à Six-Fours, la moitié est revint aux Seynois.

L'axe séparant les deux communes suit à peu près le chemin actuel de Notre-Dame du Mai. Les sources et les moulins des Moulières tombèrent donc dans le domaine seynois.

L'exploitation de ces moulins connut des fortunes diverses d'autant que les propriétaires successifs n'eurent pas tous les mêmes aptitudes à bien mener leurs affaires. Au début du XVIIIe siècle, c'est le sieur Pierre Guigou, Commissaire de la Marine, qui en fit l'acquisition. Les archives nous apprennent que cet acte déclencha des procès sans fin.

Les plaignants étaient les consuls de Six-Fours qui introduisirent une requête auprès de l'intendant de Provence, tendant à destituer Pierre Guigou de sa propriété. Ils arguaient d'un droit féodal, le droit de retrait, qui permettait le rachat par une communauté d'un héritage féodal tombé dans les mains d'un étranger à cette communauté.

Les procédures furent longues et complexes, mais des transactions intervinrent entre le 19 novembre 1711 et le 8 juin 1712.

Les notaires royaux, Maîtres Jean Denans, de Six-Fours, et Joseph Bertrand, du Val, entérinèrent l'acte d'acquisition par la ville de La Seyne des deux moulins des Moulières au prix de neuf mille cinq cents livres, à quoi s'ajoutaient deux cent vingt-six livres pour des travaux effectués par Pierre Guigou, et déduction faite d'un lopin de terre que le vendeur voulut réserver à son usage personnel.

La ville de La Seyne prit donc en main la gestion des moulins, escomptant tirer des ressources importantes de leur exploitation concédée à des particuliers.

Tout au long des XVIIIe et XIXe siècles, les procès-verbaux des délibérations municipales font état de litiges incessants portant sur des droits d'usage ou de banalité opposant la commune aux exploitants.

La prospérité des moulins souffrit de cet état de choses.

Pendant ce temps, la communauté de La Seyne se développait à un rythme rapide. Ses terres produisaient de riches récoltes en fruits, en légumes, en céréales, ses coteaux surtout dans les adrets s'étaient couverts d'oliveraies, de vignobles. Cette prospérité naissante avait d'ailleurs été un élément déterminant pour décider les Seynois à obtenir leur séparation d'avec Six-Fours, vieux bourg engoncé dans ses vieux remparts, aux pieds desquels s'étendait une plaine marécageuse.

À La Seyne, on s'organisait autour de cette autonomie administrative et économique toute neuve.

Dans les fermes, on construisit des cuves à vin ou tino, vaste réservoir en maçonnerie, dont l'intérieur carrelé, recevait le raisin foulé qui bouillait pour que naisse le vin nouveau. Le foulage du raisin se fit d'ailleurs longtemps avec les pieds nus, sur les planches mêmes qui coiffaient la tino.

Sur les collines les mieux exposées aux vents dominants, on fit construire des moulins à vent. Les plus célèbres, en activité au XVIIIe siècle, furent ceux du groupe Domergue, au quartier qui s'appellera alors les Quatre-Moulins. Il s'agit des moulins de Laffran, de Tortel, de Saint-Honorat et de Peyron (à ne pas confondre avec le quartier Peyron qui se trouve à côté de l'Hôpital).

Dans l'agglomération de La Seyne, on comptait plusieurs moulins à huile : rue Berny, rue Clément Daniel, rue Cauquière, rue Marius Giran.

Alors les moulins des Moulières connurent une certaine désaffection aggravée par la baisse du régime des eaux qui s'accentuait chaque année. Il arriva que, pendant des périodes de sécheresse, le ruisseau à l'étiage laisse les moulins inertes pendant de longs mois.

Vers la fin du XIXe siècle, les progrès considérables accomplis par les moyens de transport et notamment le développement du chemin de fer, facilitèrent les échanges entre régions. C'est alors que nos pauvres exploitations provençales furent rudement concurrencées, pour la production de céréales, par les riches plaines de la Beauce, de la Brie et du Forez.

Déjà l'agriculture allait vers la concentration des moyens dans de grands domaines à culture intensive.
Il faut ajouter à cela une autre incidence de la vie politique sur notre économie locale : l'expansion coloniale. On vit apparaître sur le marché des produits nouveaux et notamment des huiles plus légères que notre huile d'olive, comme celle que l'on extrait de l'arachide.

La commune ne fut plus alors en mesure d'assurer la rentabilité des moulins. D'autres propriétaires, comme Vincent Michel, tentèrent désespérément une reprise d'activité. Ils en vinrent même à attaquer en justice les boulangers de La Seyne qui allaient moudre leur blé ailleurs qu'aux Moulières...

Et puis, comme Alphonse Daudet le raconte bien dans sa nouvelle Le Secret de Maître Cornille, la modernisation de l'industrie par l'utilisation de la vapeur porta un coup fatal aux meuniers. Les moulins à eau cessèrent leurs activités dans les années 1880-l885, suivis de peu par les moulins à vent. On pourrait aussi écrire à leur sujet une longue histoire qui ne manquerait pas d'intérêt.

Pendant longtemps les curieux, les amoureux des choses du passé, les promeneurs, se rendirent aux Moulières pour visiter les moulins devenus muets. Ils constataient avec une certaine amertume l'impuissance des filets d'eau à actionner les pales des grandes roues envahies peu à peu par les mousses.

Si l'aqueduc demeura en bon état pendant des années, à l'intérieur des bâtiments, la lourde mécanique était fixée. Il y régnait une vague odeur de rance qui flottait autour des meules, ces pierres vénérables qui, pendant des siècles, avaient pourvu nos ancêtres en denrées essentielles : la farine blanche et l'huile dorée.


Que reste-t-il aujourd'hui de ces ouvrages de grande valeur patrimoniale ? Des ruines, des amas de pierres, des fragments de ciment envahis par les ronces et le lierre, où l'on distingue à peine l'abée qui canalisait l'eau, énergie motrice de la roue à aube, ainsi que la trémie qui recevait la matière à broyer. Le tout est difficilement visible sous les halliers enserrés entre les troncs d'une végétation puissante et très variée.

Les cartes anciennes indiquent le tracé du canal de dérivation qui, partant approximativement du point de jonction des deux affluents qui forment l'Oïde, alimentait les deux moulins, puis suivait un tracé régulier au flanc nord du plan d'Aub, selon approximativement la courbe de niveau 40, pour aboutir au grand réservoir circulaire d’irrigation du « domaine de Fabrégas » (près de la grande allée de palmiers). Bien qu’en grande partie obstrué, ce canal, avec les bassins de rétention qui régulaient son débit, est encore reconnaissable sous la végétation sur près d’un kilomètre.

Les lourdes meules en grès ont disparu. Elles n'avaient rien de comparable avec les métopes du Parthénon, mais il est bien évident que des gens sans scrupule se les sont appropriées. De vieux habitants du quartier nous ont affirmé connaître leur cachette, sans donner plus de précision. Leurs receleurs auraient-ils l'intention de les monnayer un jour comme pièces de musée ? Sait-on jamais jusqu'où peut conduire l'esprit de lucre...

Ainsi s'est terminée l'histoire des moulins à eau des Moulières qui donnèrent à ce quartier, l'un des plus éloignés du centre-ville, une grande activité des siècles durant. Hélas ! toutes les générations qui auraient pu porter témoignage de cette prospérité passée ne nous ont transmis que des textes plutôt rébarbatifs, documents administratifs auxquels nous avons fait référence.

Des témoins hélas muets

Ah ! si la nature de ces lieux pouvait avoir la parole et relater ce qu'elle vit !

De toute la presqu'île de Sicié, les Moulières et son vallon furent le point d'eau le plus important grâce auquel une végétation exubérante et variée put pousser en abondance et persister jusqu'à nos jours. Cette luxuriance contraste d'ailleurs avec les espèces rabougries qui s'accrochent sur les crêtes et qui sont adaptées à ces terrains arides.

Des chênes et des pins énormes dominent le talus où furent captées les eaux de ruissellement, alors que du vallon surgissent les frondaisons majestueuses des platanes et des frênes au feuillage élégant, arbres vénérables plusieurs fois centenaires.

La plupart des variétés de chênes croissent dans ce vallon : chênes verts (yeuses) dont les feuilles dentelées, épineuses, vertes dessus et blanches dessous, demeurent persistantes ; chênes blancs aux feuillages vert clair entièrement glabres, dont les feuilles au contour sinueux jonchent le sol dès les premiers frimas ; chênes-liège au feuillage persistant... Tout ce qui chez les chênes buissonne ou s'élance, jaunit et se dégarnit, ou offre aux pires froids le vert de leur toison, est concentré dans cet environnement.

Sous ces ramures puissantes, d'autres espèces tentent de pousser leur tête vers la lumière et fleurissent aux beaux jours, embaumant ces lieux idylliques : genêts épineux à fleurs d'or, cistes cotonneux aux corolles d'un rose profond, cistes de Montpellier au feuillage poisseux et luisant, bruyères aux clochettes blanches ou roses...

À l'ombre des platanes et des frênes, les pieds dans l'eau, les sureaux aux grappes de fleurs blanches et odorantes offrent à l'automne leurs baies noires succulentes aux grives gourmandes.

Et cette végétation moyenne d'arbrisseaux cache encore une végétation plus discrète dont on ne finirait pas d'énumérer les espèces : fragon aux baies rouges (petit houx), plantes aromatiques comme le thym, la lavande, le romarin, assaillies insectes butineurs, les orchidées, les euphorbes, et toutes les plantes herbacées aux variétés innombrables... Que de splendeurs dans le détail, offre à nos yeux cette nature éternelle !

Mais combien de nos contemporains savent en apprécier les charmes ? Certains diront que l'accès à cette jungle est difficile, mais la beauté sauvage de ces lieux abandonnés ne vaut-elle pas le risque de quelques égratignures ?

Ils ont tout vu, ces chênes, ces platanes et ces frênes, des activités bruissantes qui peuplèrent les Moulières. Ils ont peut-être le souvenir de ces paysans recrus de fatigue, poussant ou tirant leurs bêtes lourdement chargées dans les sentiers scabreux. Témoins impavides, au front de toutes les intempéries, ils voyaient la procession des bourriquets et des vieilles mules aux jambes grêles, ployant sous le faix souvent excessif des sacs d'olives ou de froment.

Le paysan dont la silhouette trapue était encore épaissie par les lourds pantalons de toile ou de velours, la taillole rouge ou noire ceignant ses reins, réagissait avec colère aux lenteurs de la bête « Arriban plus capoun de Bouan Diou ! » et pour donner du zèle à l'animal, il appliquait sur son échine osseuse quelques coups d'une tige flexible de bruyère.

Chemin faisant, le travailleur de la terre savourait l'idée du plaisir qui serait le sien quand il ramènerait à sa ferme la belle farine blanche ou l'huile dorée à la pureté sans pareille restituée par le moulin.

Il aurait certes le désagrément de devoir s'acquitter de droits parfois exorbitants : l'octroi, s'il passait d'une commune à l'autre, le dixième de la récolte ou dîme, qu'il irait porter à l'Hôtel de la Dîme - qui est devenu l'École Martini, rasée en 1976 et remplacée par le Parking Martini et la nouvelle École Martini - et qui représentait une imposition au bénéfice de l'Église. En tout cas, une fois ces différentes taxes payées, il consommerait des denrées de bonne qualité produites par son propre labeur.

Le blé et l'olive, la farine et l'huile, étaient vraiment les produits de base de l'alimentation de nos grands-parents. Nos grands-mères n'auraient jamais pu faire la cuisine avec les huiles de graines : colza, tournesol, arachide. Il fut un temps où l'on ne donnait aux enfants pour leur goûter, qu'une tranche de pain arrosée d'huile d'olive et saupoudrée de sel ; quand ce n'était pas un simple quignon frotté d'ail. Les adultes se contentaient parfois pour déjeuner de quatre cèbes (oignons), d'un peu de lard et de pain arrosé d'un raï (filet) d'huile d'olive.

Mais il faut dire aussi que l'huile de nos moulins avait une couleur, un arôme que l'on retrouve difficilement avec les huiles industrielles.

Quant au pain fait avec la farine des Lombard, des Audibert, des Guigou ou des Martinenq, cuit dans des fours chauffés avec les fascines de pin de la forêt de Janas, son parfum embaumait nos rues du petit matin, comme une promesse de journée faste.

La vie aux Moulières

Si les vieux arbres du vallon des Moulières pouvaient parler, ils conteraient la quiétude de leur vie d'autrefois quand le quartier s'éveillait au ramage disert des fauvettes, entrecoupé des appels claironnants de coqs.

Puis, à mesure que le jour se levait sur la campagne, montaient crescendo les rumeurs familières : aboiements des chiens de chasse répondant aux chiens de garde, bêlements doux et endormis des fèdes (brebis) de Simian, qui souvent paissaient dans les parages, grognements des cochons affamés, sortant des nombreuses porcheries installées un peu partout, concerts de poulaillers, à mesure que s'éveillaient les poules, les oies, les canards, les pintades qui couraient librement dans les fermes.

Au-dessus des toits moussus, les cheminées laissaient échapper d'épaisses volutes de fumée : on activait le feu avec quelques morceaux de pin ou de genêt bien secs et l'on poussait sur le fourneau le café à chauffer dans une casserole culottée que l'on ne nettoyait que de loin en loin.
Le matin n'était pas alors synonyme de bruits de moteurs, d'odeurs d'échappement. Le travail des cultivateurs s'accomplissait avec des outils traditionnels : bêche, pioche, houe, araire d'acier qui remplaça peu à peu les socs en bois.

Les terres fertiles du vallon des Moulières, abritées des vents violents et froids, produisaient des primeurs de bonne qualité. On y faisait toujours deux récoltes de pommes de terre dans l'année. Les vignobles et les vergers étaient prospères. Nous l'avons dit, les paysans cherchaient à satisfaire eux-mêmes leurs besoins alimentaires en légumes frais ou légumes secs, fruits de saison ou en conserve, viande d'élevage ou viande mise en salaison, volailles, lapins, agneaux, etc.

Bien sûr, comme nul ne peut se vanter de se passer des hommes, il leur fallait bien de temps à autre, se rendre à la ville pour des achats.

Les fermes, même les plus éloignées, recevaient aussi la visite des marchands ambulants, des colporteurs en tournée et des « gagne petit ».

Entre autres apparaissait régulièrement le Planteur de Caïffa poussant devant lui, dans les chemins poudreux, une sorte de coffre presque cubique monté sur quatre roues de faible diamètre, cahotant dans les ornières par temps sec et s'embourbant copieusement les jours de pluie.

Ce brave homme sillonnait les campagnes, parcourant plusieurs kilomètres par jour en poussant sa carriole, et proposait les articles les plus variés : bobines de fil chinois, aiguilles, épices, café, sucre, chocolat... Il prenait généralement les commandes pour sa tournée suivante.

Une ou deux fois l'an, un marchand d'étoffes venait proposer ses produits. Il vendait surtout les gros bleus de travail. Il n'était pas rare de voir aussi le tondeur de chiens basané, au pantalon bouffant, agitant d'un mouvement perpétuel de gros ciseaux dont le son métallique se répercutait au loin. On le surveillait de près, celui-là. Son regard observateur et matois n'inspirait pas confiance et les ménagères, à son approche, s'empressaient d'inventorier les objets utiles abandonnés autour de la maison et sur lesquels il pourrait faire main basse.

On se méfiait aussi du marque mal qui, en criant « Pèou de lèbré, pèou de lapin ! » venait acheter les peaux de lapin voire de renard que les paysans tannaient et lui réservaient.

Passait aussi l'estama, l'étameur, qui redonnait du brillant aux ustensiles de cuisine et bouchait les trous des arrosoirs. On l'aimait bien, celui-là et quand on le voyait préparer son bain d'étain sur le feu de bois, on savait qu'il ferait du neuf avec du vieux.

On appréciait bien le rémouleur qui installait sa meulière actionnée par une pédale dans un coin de la cour. Les ciseaux, les faucilles, les faux, les hachoirs, les couteaux, ne tardaient pas à retrouver leur mordant après être passés dans ses mains.

Après les vendanges s'installait au carrefour des Plaines et de Janas le bouilleur de cru, le faï bouilli et son gros alambic, qui distillait l'eau-de-vie que les Provençaux appellent l'aïgue-ardènt (l'eau ardente). On voyait même, de loin en loin, passer un homme qui curait les gros foudres où vieillissait le vin. Armé d'un petit marteau, il piquetait le dépôt de tanin qui recouvrait les douves, poudre qu'il récupérait et revendait ensuite pour un usage mystérieux.

Tous ces petits métiers, ces « gagne petit » qui hantaient nos chemins poudreux, rendaient des services appréciables et participaient d'une petite économie locale d'avant la société de consommation.

Les Moulières, dont on a évoqué l'activité dynamique avec ses moulins, risquaient de redevenir un quartier retiré habité seulement par quelques cultivateurs quand le débit du ruisseau ne permit plus d'animer les grosses roues à aube. Il n'en fut rien.

Il faut vous dire qu'au XIXe siècle, le va et vient des producteurs de blé et d'olives, quand arrivait la saison d'aller au moulin, croisait celui des lavandières, groupées en amont des moulins, à la naissance de la source, où la communauté six-fournaise avait créé un lavoir public.

Cette corporation devint si active que l'on dut, dans un second temps, agrandir le bâtiment.

Nous reviendrons plus loin sur cet aspect de la vie seynoise d'autrefois.

D'année en année, le quartier des Moulières s'animait et devenait un véritable pôle d'attraction pour une population qui y trouvait de multiples raisons de s'y rendre.

Il faut noter que les Moulières étaient le point de passage principal pour accéder à la forêt de Janas dont nos anciens exploitaient autant que possible les multiples ressources.

Y passaient ainsi des artisans qui puisaient dans le massif de Sicié, la matière première pour leurs activités. C'étaient les fabricants de tuiles, qui venaient chercher l'argile à la carrière des Gabrielles, ou les maçons qui s'approvisionnaient en sable fin dans une petite carrière communale devenue aujourd'hui retenue collinaire. Les lourds équipages de la famille Prat, de Valentin Cadière, du voiturier David ou des frères Pellegrin, tirant des trinqueballes ou des fardiers, assuraient le transport des troncs d'arbres de la forêt. Ils les acheminaient jusqu'aux petits chantiers de construction navale en bois qui fleurissaient sur nos rivages, où les scieurs de long les attendaient pour en faire des planches.

Outre cette population laborieuse, passaient aussi les promeneurs cossus, confortablement installés dans leur calèche, s'en allant prendre le bon air d'une forêt déjà considérée comme un haut lieu touristique. À tel point, d'ailleurs, que M. Saturnin Fabre, Maire de La Seyne de 1886 à 1895, lança l'idée de la construction d'un téléphérique donnant accès à la chapelle Notre-Dame-du-Mai.

La population Seynoise prenait de l'importance. Les quartiers, peu à peu, se peuplaient. Les activités champêtres, comme toutes les activités de loisirs, étaient de plus en plus pratiquées au fur et à mesure que par leurs luttes, les salariés obtenaient des réductions de la durée hebdomadaire du temps de travail.

Alors, nos anciens des chantiers navals, des ateliers, des boutiques, reprirent l'habitude de diriger leurs pas vers le massif de Sicié et ainsi, ils retrouvèrent l'usage du chemin des Moulières.

C'est d'ailleurs pour cela que ce même chemin est signalé en plein centre-ville, au début de la rue Jacques Laurent, et il figure sur les plus anciens cadastres de notre commune. Pendant des siècles, ce chemin vit donc des Seynois le parcourir à pied, les autres moyens de locomotion étant rares et coûteux.

Dans notre évocation des usagers de ces drailles (chemins) un temps jadis, il ne faudrait pas oublier les petites gens, les indigents, ceux que l'on baptise aujourd'hui nouveaux pauvres, et qui sont les laissés-pour-compte d'un système social inhumain.

On les voyait, autrefois, d'un bout à l'autre de l'an, poussant une brouette ou une carriole faite de briques et de broques (souvent, une voiture d'enfant rafistolée), se rendre dans les bois pour ramasser brindilles, pommes de pin et bois mort. Ils n'oubliaient pas de demander pour cela une autorisation du garde champêtre, car en ces temps, la collecte du bois était réglementée et surveillée. Nombreux étaient les foyers qui utilisaient alors les ressources de la forêt pour alimenter le poêle ou la cuisinière. L'anthracite ou le charbon de bois n'étaient pas à la portée de toutes les bourses.

Tout en la réglementant, l'administration municipale favorisait cette exploitation du bois mort. Le travail de fourmis de ceux qui, fagot par fagot, ramenaient chez eux leur combustible, entretenait propres les sous-bois et représentait un système de prévention des feux de forêt très efficace.

D'ailleurs, c'était de ses forêts que la commune tirait le bois de chauffage pour les écoles et les bâtiments publics. Elle vendait aussi aux boulangers les fascines pour chauffer leur four dans lequel cuisait le pain croustillant qui gardait de ce contact un arôme délicieux. Chaque jour, les rues de la ville résonnaient au trafic de ces longues charrettes lourdement chargées de ramures sèches, tirées par de forts chevaux dont les fers martelaient rudement le pavé.

Bientôt, les quartiers périphériques du centre-ville reçurent des maisons neuves qui firent disparaître les campas où l'on cueillait l'herbe pour les lapins et les salades fèrres (sauvages). Les papets et les mamés durent donc pousser plus loin leurs pas mal assurés sur le chemin des Moulières, pour aller cueillir pissenlits, cardelles (laiteron), plantain des oiseaux, etc. Ils étaient armés d'un sadounet (petit piochon) et tiraient derrière eux un gros sac en chanvre qu'ils emplissaient peu à peu.

À partir du 15 août, le quartier des Moulières voyait passer les Nemrod seynois qui, accompagnés de leurs chiens, débusquaient le lièvre et le lapin dans les terres des domaines de Suquet et de Cachou. En lisière de la forêt, près de la maison forestière, ils savaient trouver les remises des premières bécasses. Dès l'automne, c'étaient les oiseaux de passage qui leur donnaient l'occasion de patients affûts. Mais là, ils devaient partager leur domaine avec les ramasseurs de champignons.

Le 14 septembre, les pèlerins qui allaient faire leurs dévotions à Notre-Dame-du-Mai passaient aussi en groupes par les Moulières.

Dans les années 1925, après son accession aux affaires municipales, l'équipe présidée par le Docteur Mazen tenta une expérience en faveur de l'enfance. Elle créa pour les mois d'été, une colonie de vacances au quartier des Moulières, tout près des lavoirs, avant la traversée du ruisseau de Capus. Cette institution modeste rassemblait quelques dizaines d'enfants et, pendant la saison chaude, sous les immenses pins parasols, retentissaient les appels et les chansons d'enfants joyeux.

Toute initiative expose à la critique et les promoteurs de ces premiers centres aérés ne furent pas épargnés.

On contestait le fait que le déplacement de quelques kilomètres au sud du centre-ville puisse être bénéfique à la santé des enfants. Pourtant, quand le tripier de la rue Carvin lavait sa marchandise en provenance directe de l'abattoir et qu'il jetait l'eau de rinçage dans un ruisseau sans écoulement, aux pavés mal jointés, une odeur pestilentielle s'en dégageait pendant plusieurs jours et des nuées de mouches noires et vertes infestaient tout le voisinage. Et ce cas n'était pas isolé.

Alors il est certain que l'air n'était pas autrefois chargé de fumées nocives et autres émanations cancérigènes, mais il n'était pas des plus sains pour autant dans un pays qui, ne l'oublions pas, fut bâti sur d'anciens marécages.

Dans ces conditions, pour les petits comme pour les grands, l'air des Moulières était certainement bien meilleur que celui de nos rues.
Tenant sans doute compte des critiques émises, la Municipalité décida le transfert de ses colonies de vacances à Aups, dans le Haut Var. Si l'on se réfère aux conditions dans lesquelles s'effectuaient alors les transports à travers notre département, cette initiative ne manquait pas d'audace. En tout cas, l'activité à caractère social des colonies de vacances ne fut qu'épisodique aux
Moulières.

À ce point de notre récit, après avoir proposé un large panorama de ce que fut la vie quotidienne aux Moulières, quartier qui exerça de nombreux attraits sur la population de notre terroir, il est temps d'aborder un dernier aspect qui a laissé à nombre de nos concitoyens des souvenirs heureux.

Lavoirs et bugadières

Notre quartier des Moulières fut en effet pendant des siècles, le point de rendez-vous des bugadières (lavandières) de La Seyne et de Six-Fours.

Dans la période florissante des moulins, les lavoirs étaient déjà en pleine activité.

Nos ancêtres avaient observé depuis longtemps que l'eau des sources avait un pouvoir dissolvant efficace sur le savon et autres produits de lavage et qu'à ce titre, elle donnait au linge une remarquable propreté.

On était alors loin de s'imaginer qu'un jour des machines accompliraient dans le silence d'une buanderie ce travail pénible, et encore moins que les spots publicitaires vanteraient à longueur de jour les mérites incomparables de telle ou telle lessive.

Nos blanchisseuses, depuis l'Antiquité, ne connaissaient que le savon, produit qui, à l'époque gallo-romaine, était à base d'un mélange de suif et de cendre de bois.

Les sources des Moulières jaillissaient donc au pied du talus surplombant le vallon. Elles étaient généreuses, abondantes, éclaboussaient les mousses de colliers d'argent vif, avant de se répandre dans le creux du ruisseau. On les canalisa, on les domestiqua, afin d'en tirer le meilleur parti.

Des lavoirs, il en existait partout dans les campagnes. Attenants au puits, ils se présentaient sous la forme d'un réservoir parallélépipédique, divisé en deux compartiments cubiques et bordé d'un pan incliné carrelé de grès ou de briques.

Une ou deux personnes pouvaient y faire la bugade (lessive). Quelques seaux d'eau suffisaient à remplir les deux parties du lavoir, la première servant au lavage et la seconde au rinçage.

À la ville aussi, certaines cours intérieures étaient dotées de lavoirs de même type pour peu que s'y trouve un bon puits. L'eau de la ville, distribuée d'abord par des fontaines publiques, n'entra que tardivement dans les maisons.

Alors, on voyait régulièrement les ménagères du temps jadis charger leur linge sale sur une brouette et s'en aller vers les sources où des lavoirs avaient été aménagés. Malgré la fatigue de longues marches en poussant une charge pesante, malgré la dureté de ce travail par tous les temps, elles n'hésitaient pas à accomplir ces efforts pour ramener au logis un linge propre et sentant bon le savon, l'herbe et le soleil.

Lavandières d'autrefois


Grand-mère Mathieu, dont nous reparlerons plus loin, ne supportait pas d'avoir à faire sa bugade dans les petits bassins où l'eau de rinçage n'était utilisée que parcimonieusement. Si elle ne pouvait aller jusqu'aux sources, à cause du mauvais temps, elle se résignait à ce mode de lavage, mais disait après la lessive « ce linge, il a l'odeur des anguilles ! ».

De tous les lavoirs, celui des Moulières était le plus fréquenté.

D'autres, comme celui du Crotton, à proximité du Château Verlaque, aux Sablettes, celui de la Belle Pierre, en pleine forêt de Janas ou celui du Rayolet, sur le versant ouest de Sicié, accueillaient les ménagères, mais il s'agissait plutôt des plus discrètes qui fuyaient l'ambiance de commérages du grand lavoir.

Ces édifices étaient tous conçus sur le même modèle. Placés au ras du sol, ils obligeaient les bugadières à travailler à genoux. Elles savonnaient, frottaient et battaient sur la bordure de dalles rouges.

Vestiges du lavoir des Moulières encore visibles dans les années 1950

Vers la fin du XIXe siècle, la plupart de ces petits lavoirs furent délaissés. Les canalisations d'eau de la ville se multipliaient, favorisant la construction de grands lavoirs couverts aux Mouissèques, à Saint-Roch, près de la Bourse du Travail, à Saint-Elme, ou aux Sablettes. Ils avaient l'avantage de permettre d'y laver debout. Celui des Moulières resta pourtant en activité de longues années encore.

Construit en longueur suivant l'axe est-ouest du vallon qui prolonge le ruisseau de Capus, le lavoir des Moulières, tel que nos ancêtres l'ont connu, avait la forme d'un rectangle. Il recevait l'eau d'une sorte de conque aménagée à la naissance de la source, par la surverse d'une cloison qui évitait que se mélangent l'eau de la source et celle du lavage.

Difficilement accessible, cette conque faisait l'objet d'une surveillance vigilante des lavandières, à tel point que le promeneur désireux de se désaltérer n'approchait que précautionneusement. « N'allez pas nous salir notre eau ! » criait Hortense Barbieri sur un ton qui n'admettait pas de réplique.

Il n'avait pas plus de cinquante centimètres de profondeur, ce lavoir cimenté, bordé tout autour d'une rangée de larges carreaux rouges, soigneusement bâtis et légèrement inclinés vers l'eau. Cette bordure étant parfois jugée d'une largeur insuffisante, certaines ménagères y installaient une planche à laver qui la rallongeait.

L'ensemble était couvert par une toiture faite de tuiles provençales qui débordait largement du lavoir et que soutenaient de beaux piliers à section carrée, construits avec des petites briques rouges presque cubiques. Ainsi, les jours de pluie, les bugadières professionnelles pouvaient satisfaire leur clientèle sans s'exposer aux intempéries.

La patine du temps avait d'abord noirci les tuiles puis les recouvrit d'une mousse veloutée. La nature environnante, nourrie par l'abondance de l'eau, devenait luxuriante aux beaux jours et le petit édifice était plein d'un charme agreste qui nous en fait regretter la disparition.

Par délibération en date du 18 septembre 1890, la Municipalité de M. Saturnin Fabre décida d'augmenter la capacité de ce lavoir. Un second édifice fut alors construit. On put accueillir désormais une trentaine de lavandières. C'est une source de moindre importance jaillissant en aval de la première, qui permit d'alimenter le second lavoir, plus petit que le premier, mais construit dans un style semblable.

Localisation des deux lavoirs (flèche) des Moulières et vue d'ensemble du réseau hydrographique du Capus, du ruisseau de Janas, du valat de l'Oïde, des aqueducs et des bassins de rétention prévus pour l'alimentation des moulins à eaua ferme et de son petit lavoir (d'après le cadastre napoléonien)

Les deux édifices se rejoignaient par leur extrémité opposée aux sources et formaient un angle aigu à la pointe duquel les eaux se mêlaient et perdaient peu à peu leur écume savonneuse en coulant vers l'Oïde et Fabrégas. Elles serpentaient sous une épaisse végétation de ronces, d'aubépines, de sureaux et de clématites, refuge sûr des merles à bottes jaunes lançant leur tcha-tcha ! régulier.

Si la Municipalité décida à l'époque une extension du lavoir, c'est que cela correspondait à un besoin de la population. Mais elle ne résolvait pas un problème crucial que connaissait La Seyne alors en pleine expansion, celui de l'approvisionnement en eau potable. Pendant les longues périodes de sécheresse, on voyait s'allonger aux fontaines des queues interminables de femmes et d'enfants. Cette situation, les Seynois la connaîtront jusqu'à la moitié de notre siècle.

L'extension du lavoir des Moulières, toujours selon la délibération de septembre 1890, coûta 1 200 Fr. Le rapporteur demanda que la dépense soit portée à 2 500 Fr. pour recimenter le premier bassin.

Mais, ajouta-t-il, il sera nécessaire de prendre attache avec M. Reynaud, Maire de Six-Fours, pour que cette dépense soit partagée entre les deux communautés. Le lavoir, en effet, accueillait bon nombre de lavandières six-fournaises.

L'usage voulut ensuite que le premier bassin soit réservé en priorité aux bugadières professionnelles.

Voici donc ce que furent les lavoirs des Moulières dont l'histoire, à l'instar de celle des moulins hydrauliques, est longue, compliquée, d'autant que, si les moulins cessèrent leurs activités vers la fin du XIXe siècle, les lavandières utilisèrent les lavoirs jusqu'à la seconde guerre mondiale.

De nouveaux litiges

On pourrait croire que le quartier des Moulières fut prédestiné à alimenter la chronique judiciaire, puisqu'après les longs litiges dont furent l'objet les moulins, comme nous l'avons vu plus haut, nous allons examiner sommairement, les interminables procédures concernant ces lavoirs.

La raison de ces péripéties est que le quartier, après avoir été propriété des Comtes de Provence, puis des Abbés de Saint-Victor, après avoir appartenu à la communauté de Six-Fours, devint territoire seynois.

Ainsi, quand les bergers six-fournais, au nom d'habitudes très anciennes, conduisaient leur troupeau dans les prés des Moulières, les lavandières poussaient de hauts cris. Cet incident souvent renouvelé, alimentait pendant plusieurs jours les propos de lavoir :

- La semaine dernière, la fille de M. Lagane m'a dit que ses chemises et ses jupons sentaient le fumier. J'ai fait l'ignorante, mais elle avait raison.
- Ate sûr ! Vous le séchez, vous, le linge, dans l'herbe clafide de crottes de moutons et de biques ? Ça prend l'odeur, tè !
- Marrit pastre ! Vous vous en foutez, vous, de l'odeur de la bique, vous la sentez de longue !

Le berger répliquait alors en ricanant :


- Amouassez un peu, les femmes ! Quelle idée de mettre son linge par terre ! Et les fils de fer, à quoi ça sert ?
- Bougre de grand couillon, tu vois pas qu'y en a pas pour tout le monde !
- Et de l'herbe, y en a pour tout le monde ? Si ça vous convient pas, allez voir le Maire, moi, mes moutons, je les fais pas manger sur vos fils de fer, alors mettez pas votre linge sur mon herbe.
- Voir le Maire ! ségu qu'on y va, et de suite ! Et on va exiger qu'il t'interdise les prés, espèce de Six-Fournais qui vient faire caguer ses bêtes sur l'herbe des Seynois. Mais dis, caramentran, on va pas perdre notre travail pour tes beaux yeux, non !

Une autre bugadière se lamentait alors de perdre un temps fou, au moment du repassage, à cause de tous ces poils de chèvres et ces fils de laine, accrochés aux buissons, et qu'elle devait enlever un à un de son linge.

Ainsi, un jour où la colère était à son comble, une délégation de lavandières était reçue par le Maire. Le discours ne variait pas d'une visite à l'autre : « Dites aux Six-Fournais de rester chez eux, ou alors plantez des grillages autour des lavoirs ». S'il était soucieux d'écouter les récriminations de ses administrés, le premier magistrat soumettait le problème à son conseil municipal et l'on palabrait des heures pour trouver en vain, une solution équitable.

Parmi les sujets de discorde, qui firent l'objet de longues discussions entre les élus Seynois, il en est une, concernant toujours les Moulières, qui mérite qu'on s'y arrête.

À l'origine de ce nouveau litige, il y a une idée de M. Saturnin Fabre qui n'était pas encore le brillant maire qui marquera La Seyne par ses réalisations remarquables.

M. Fabre eut en effet l'idée d'utiliser l'eau des Moulières pour construire une usine qui serait génératrice d'emplois. C'était déjà une préoccupation importante des élus locaux voilà un siècle. Il proposait également de canaliser ces sources jusqu'à La Seyne même où l'on subissait en période de sécheresse, une carence dramatique de l'alimentation en eau potable.

Ce Seynois roulait de nombreuses idées dans sa tête. Il mènera à terme quelques projets novateurs au cours de ses mandats de Maire (1886-1895) et de Conseiller général (1892-1898).

Cette grande capacité à innover ne lui valut pas que des manifestations de sympathie et ses adversaires politiques faisaient flèches de tout bois pour le contrecarrer, quitte à utiliser les arguments les moins honorables.

C'est ainsi que, lorsqu'il s'intéressa aux Moulières, on rappela qu'il avait acquis une propriété au voisinage des lavoirs (domaine de Cachou). Il y creusa un puits pour arroser ses plantations. Coïncidence fâcheuse, il se trouva que la même année, les sources des Moulières connurent une baisse sensible de leur débit. De là à conclure que le puits de M. Fabre en était responsable, il n'y eut qu'un pas allègrement franchi par la rumeur publique alimentée par ses adversaires politiques qui portèrent le débat jusqu'en conseil municipal. Voici ce qui fut dit lors de la séance du 28 septembre 1885 :

« Le Conseiller Fabre réfute les accusations portées contre lui. L'article 643 visé par ses accusateurs ne peut en aucun cas être appliqué aux travaux qu'il a fait exécuter. Ce qui a été fait, il était en droit de le faire. Son intention n'a pas été de porter préjudice à ses voisins ni à la Commune. Il veut utiliser une eau que les précédents administrateurs ont laissé de côté préférant dépenser des sommes colossales pour l'installation à Saint-Jean d'une machine à vapeur dont le fonctionnement a sali toutes les eaux de la Commune. M. Fabre s'engage publiquement à donner à La Seyne l'eau qui lui manque /.../ et qui est une véritable richesse. /.../ Les blanchisseuses n'ont pas à se plaindre des travaux effectués par M. Fabre, quand la source a tari, il a donné l'eau qui manquait, alors qu'on l'accusait d'avoir dit aux lavandières : Si l'eau vous manque, allez voir Monsieur Clemenceau ! ».

Il faut préciser, à propos de cette dernière phrase, qu'à cette époque, Georges Clemenceau, Sénateur du Var, avait inscrit dans son programme électoral la distribution dans le département, et jusqu'à la côte, des eaux de Fontaine-l'Évêque qui se perdaient dans le Verdon. Elles y sont parvenues, à La Seyne, et même jusqu'aux Moulières, ces eaux pures du Haut Var... Quatre-vingt-quinze ans plus tard !

Ainsi M. Fabre niait avoir tenu aux lavandières de tels propos au demeurant fort désinvoltes. Les lavandières, d'ailleurs, témoignèrent que jamais une telle invitation ne leur avait été formulée par M. Fabre. Ultérieurement, ce dernier s'engagea à alimenter gratuitement la source des Moulières au cas où elle serait tarie. Il ira même plus loin puisqu'en 1886 il sera élu Maire de La Seyne et proposera d'alimenter la ville gratuitement avec les eaux de sa propriété.

Nous aurons l'occasion de parler plus longuement de cet homme remarquable qui, dans les dernières années du XIXe siècle, donna une impulsion déterminante à la vie de notre cité. Vous qui chaque jour passez sur le quai qui porte son nom, vous aurez à cœur de connaître combien furent grandes ses compétences, combien fut admirable son dévouement à notre Commune. Les réalisations dont La Seyne aujourd'hui encore porte les traces et qu'il initia, témoignent qu'il fut un grand administrateur hélas méconnu par les Seynois eux-mêmes, dont les mieux informés font une confusion entre l'ancien maire de La Seyne et le comédien Saturnin Fabre qui, d'ailleurs, en était le neveu.

Les bugadières au travail

Revenons à ces lavoirs du quartier des Moulières.

Près de trois siècles durant, des générations de femmes, épouses, mères, grand-mères ou jeunes filles, sont venues là effectuer un travail dont nous allons évoquer tout le caractère pénible que la génération des lave-linge ou machines à laver a du mal à imaginer.

Les lavandières professionnelles arrivaient toujours de bonne heure, quelle que soit la saison. Elles venaient des quartiers les plus éloignés, mais surtout du centre-ville, après avoir pris dans les maisons bourgeoises le linge sale de la semaine ou de la quinzaine.

Certaines d'entre elles, qui s'étaient fait une clientèle importante, devenaient des maîtresses blanchisseuses qui distribuaient du travail à deux ou trois ouvrières. Ce fut le cas, au début du siècle, de Marie Pons, d'Hortense Barbieri ou de Madame Francone.

Toutes avaient des clients attitrés, en général des notables de la commune : encadrement des Forges et Chantiers de la Méditerranée, notaires, officiers des équipages, commerçants et propriétaires fonciers, industriels, artisans, négociants, etc.

À cette époque où les textiles synthétiques n'existaient pas, les étoffes manquaient plutôt de souplesse. Les draps, le linge de corps, le linge de table ou de toilette, étaient bien lourds à manipuler. La longueur et l'épaisseur des jupons, des chemises de nuit, des caleçons s'expliquaient par le besoin de se prémunir contre le froid car le chauffage des maisons était souvent rudimentaire.

Les lavandières avaient d'abord pour tâche de transporter tout ce linge sale à pied d'œuvre. Elles utilisaient pour cela des charretons, des brouettes, voire même des carrioles faites avec des voitures d'enfants.

Parties du centre-ville par le quartier Saint-Honorat, elles faisaient souvent une pause pour reprendre leur souffle au sommet de la montée de Gavet. Leur itinéraire ne variait pas : après Gavet, elles descendaient vers ce que l'on appelait les Quatre Chemins du Mai. Il fallait passer, non sans crainte, à côté du cabanon dit des Revenants. Enfin, on arrivait au baou des Moulières d'où un chemin de terre bordé de chênes verts touffus vous amenait aux lavoirs dont la toiture se perdait dans l'épaisseur des frondaisons.

Dès qu'elles arrivaient, les blanchisseuses mettaient le linge à tremper, puis elles installaient leurs outils de travail : d'abord, une grosse caisse de forme parallélépipédique comportant un fond, deux planches latérales et une seule planche les reliant du côté où se tenait la lavandière afin de protéger celle-ci des éclaboussures et de lui permettre d'appuyer ses bras pendant qu'elle travaillait ; ensuite le savon, le battoir, la brosse et des épingles.

Une blanchisseuse

Les bugadières entreposaient leur caisse sur le talus surplombant les sources, dans la propriété des Bellon où logeait une famille dont l'hospitalité notoire s'exerça longtemps.

Ces outils de travail étaient rarement la propriété des lavandières. Elles les louaient pour un prix qui suffisait à peine à couvrir les frais d'entretien des planches qui se détérioraient très vite, imprégnées d'une humidité persistante.

Contre la maison de la propriété des Bellon, existait un local à usage de buanderie où les bugadières réchauffaient leur fricot sur un feu de bois, faisaient chauffer leur café, mais surtout allumaient de gros feux sous le chaudron utilisé les jours de grande lessive.

Installées à genoux dans leur caisse, non sans avoir disposé sous leurs rotules une épaisseur de paille, d'herbe ou de linge sale pour atténuer l'inconfort d'une telle position, les travailleuses commençaient leur rude journée de labeur. Ce n'est qu'au prix de gros efforts qu'elles tiraient de l'eau le linge ruisselant. C'étaient des vêtements surchargés d'étoffes épaisses, alourdis de festons, de volants et de dentelles, sans parler des habits de travail, blouses, ou bleus de chauffe, maculés de tâches tenaces sur lesquelles il fallait redoubler d'efforts pour leur rendre le lustre initial. Les doigts crispés sur le linge savonné, les poignets s'activaient à frotter énergiquement et à essorer vigoureusement pour exprimer peu à peu la saleté. Et puis c'était le travail du battoir tout luisant d'eau savonneuse qui parachevait à grands coups ce que les doigts n'avaient pu faire. Enfin venait le premier rinçage.

Si le résultat n'était pas satisfaisant, il fallait recommencer toutes ces opérations.

Peut-on imaginer la somme de patience et d'efforts nécessaires à laver un seul drap de lit ? Pas un seul centimètre carré de tissu ne devait échapper aux mains de ces vaillantes travailleuses dont les plus âgées présentaient des doigts secs, boursouflés aux jointures par des rhumatismes précoces, et que gerçaient parfois les terribles morsures du froid.

Le jour de grande lessive ne ressemblait pas aux autres jours. La tâche était différente par sa complexité et l'extrême fatigue qu'elle engendrait. Jugez plutôt :

Après avoir été lavé, le gros linge composé surtout de draps lourds, était transporté en escaladant le talus abrupt au-dessus du lavoir, dans la grosse cuve de bois qu'on appelait La Républicaine.

Étonnante appellation, me direz-vous. Pourtant, on sait par définition que la république, du latin res publica, c'est, mot à mot, la chose publique. La cuve, qui ce jour-là était à usage collectif, portait donc bien son nom.

On y entassait donc la lessive de plusieurs bugadières, non sans avoir disposé au fond une grande toile appelée porte-paquet. Lorsque la cuve était remplie, on recouvrait le linge d'une autre tenture sur laquelle on déposait une importante épaisseur de cendre de bois. Pendant ce temps, on faisait chauffer de l'eau jusqu'à ébullition dans un chaudron de cuivre posé sur un foyer voisin de la grande cuve.

Quand tout était prêt, on versait peu à peu l'eau du chaudron sur les cendres riches en potasse. Cette eau descendait lentement à travers la masse du linge et ressortait à la base de la cuve par un trou que l'on avait partiellement obstrué de l'intérieur avec un bouquet de roumaniou (romarin).

L'eau d'écoulement, qui n'était pas encore assez riche en potasse, les lavandières la récupéraient et la versaient à nouveau sur le linge. Cette opération était reprise plusieurs fois.

Ainsi, c'était un travail de plusieurs heures que nos vaillantes lavandières accomplissaient patiemment, méthodiquement.

L'eau de lessive devenue jaunâtre, avait détaché toutes les impuretés en passant plusieurs fois à travers l'épaisseur du linge. Elle était alors jetée. Mais outre son rôle de blanchiment, elle donnait au linge, dans ses passages successifs, la bonne odeur du romarin qui la filtrait en fin de course.

Enfin, le tout était redescendu au lavoir, savonné et rincé une dernière fois, puis étendu sur les prés et les buissons environnants. À la mauvaise saison, si l'état du ciel ne permettait pas cet étendage, la pesante lessive était transportée alourdie par l'eau, jusqu'à la maison des lavandières en attendant que le temps permette de l'étendre en plein air. À la fatigue du trajet, des longues manutentions, des positions inconfortables, s'ajoutaient les souffrances dues à l'inclémence du temps.

Pour se prémunir contre le froid, les lavandières portaient de gros bas, des chaussons, des galoches. Par-dessus leur veste ou leur épais casaquin, tombait une grande pointe de laine dont les extrémités se croisaient sur la poitrine pour être nouées ensuite dans le dos.

Mais dans la position à genou qu'adoptaient les bugadières, le froid gagnait peu à peu les pieds. Les engelures, conséquences des basses températures, mais aussi de la malnutrition, apparaissaient souvent.

Malgré tous ces désagréments, nos lavandières trouvaient autour de ces lavoirs, quelques compensations à leur peine.

Des langues bien affilées

On venait aussi dans l'espoir d'apprendre des nouvelles. Quelles nouvelles ? Tout les intéressait. Aux Moulières, outre les sources d'eau pure, il y avait des sources d'information.

Aucune agence de presse n'aurait pu fournir autant de renseignements que les potins des lavoirs : la marche de l'administration municipale, le contenu du sermon prononcé par Monsieur le Curé à la dernière messe, les difficultés des Forges et Chantiers qui ne trouvaient pas de commandes, les épidémies de grippe ou de coqueluche, le succès de tel ou tel au Certificat d'études primaires, l'importance des récoltes, les mariages, les baptêmes, les deuils,... il y avait tant et tant de choses à apprendre et à répéter.

Au début du travail, on parlait peu. On faisait seulement état du temps, des prévisions pour la journée, on supputait les chances que l'on avait de terminer le travail plus tôt dans l'après-midi, en espérant que le mistral prendrait pour sécher plus vite le linge.

Les travailleuses arrivaient une à une.

- Bonjour, la compagnie ! Entendait-on régulièrement. Celles qui usaient encore du Provençal lançaient en apparaissant :
- Bouan-jou en tòuti !

Peu à peu, les langues se déliaient et le flot des conversations commençait à déferler, de plus en plus riche en ragots, en rumeurs colportées qui tournaient parfois à la pure calomnie. « On m'a dit que... », « À ce qu'il paraît... », « Et vous savez, celui qui m'a dit ça, c'est pas n'importe qui... ». On sautait ainsi d'un sujet à l'autre, sans transition. On se soûlait de paroles en se donnant bruyamment la réplique. Des rires fusaient accompagnés de boutades percutantes, de jurons salaces et de sarcasmes.

Certaines manifestaient de véritables talents oratoires et les mots arrivaient sans trébucher. D'autres, véritables conteuses, savaient donner à l'anecdote la couleur du réel. Ah ! elles avaient la langue bien pendue, nos bugadières, et bien affilée !

Cette compagnie avait été parfois qualifiée de « parlement des culs en l'air ».

Il arrivait même que leurs propos dépassent leur pensée, et qu'emportées par le désir de captiver leur auditoire, elles enrichissent la rumeur de détails de leur cru. Ainsi se construisaient les réputations, sans possibilité d'appel.

Ayant la charge de laver le linge sale des familles, les lavandières connaissaient leurs clients sous un jour très particulier. Parfois, l'une d'elles, brandissant bien haut un pantalon de femme ou un caleçon d'homme maculé d'une certaine façon, s'exclamait :

- Tenez ! regardez un peu ce qu'ils font de leur linge, les enfants du patron !
- C'est pas les filles de Monsieur le Maire qui donneraient des dessous dans cet état, vaï !
- Possible, mais empêche pas qu'elles font leurs besoins comme tout le monde. Alors ça peut leur arriver, à elles aussi.

Les propos, bien sûr, avaient un pittoresque impossible à reproduire ici. Cela ne manquait pas de provoquer des fous rires dans les rangs des blanchisseuses.

L'une se tenait le ventre, l'autre avait les épaules qui tressaillaient, Tante Marie pinçait les lèvres pour ne pas expulser son dentier, ce qui ne risquait pas d'arriver à Madame Passeron dont la bouche était complètement édentée au point que ses lèvres s'enfonçaient complètement entre ses mâchoires et que son nez aquilin effleurait presque son menton en galoche.

Une fois passé l'intermède, on abordait des sujets plus graves. Fine, une célébrité du quartier, lançait :

- Vous savez pas la dernière ?
- Ma foi non !
- Chez les Taurel, y a du nouveau.
- Qu'est-ce que vous voulez dire ?
- Ils ont bien marié leur fille au fils de Bernard ?
- Bernard ? Pas Bernard le salaud, au moins !

Il faut préciser que celui qui portait ce sobriquet peu honorable, a existé au début de ce siècle et nos concitoyens parmi les plus anciens s'en souviennent peut-être. Ce personnage était redouté des jeunes filles car il se vantait avec une faconde intarissable d'aptitudes sexuelles hors du commun. Cela l'autorisait croyait-il à se répandre en obscénités incessantes.

- Non ! Bernard qui travaille à la corderie.
- Et alors ?
- Eh bè alors, elle a fait Pâques avant Rameaux.
- Comme vous savez ça, vous, mauvaise langue ?
- Ah vaï, pour qui lave le linge...
- Alors ce Bernard-là, il est autant salaud que l'autre.

On parlait aussi politique. Par exemple, il se disait qu'à l'approche des élections législatives, le Directeur du Chantier, Monsieur Rimbaud, qui a laissé le souvenir d'un homme férocement hostile à toute expression syndicale, appelait un à un ses ouvriers et les incitait fermement à voter pour le candidat de son choix, un partisan du maintien de la journée de dix heures.

- De quoi il se mêle, çui-là ! En quoi ça le regarde, que mon mari il soit Républicain ? Il ferait mieux de trouver des commandes pour le Chantier... et d'augmenter un peu les salaires, au lieu de s'occuper de politique !
- Oh il a fait mieux ! Il a dit à mon petit d'aller à la messe le dimanche et que le seul journal à lire, c'est le « Petit Marseillais ». On a pas de leçons à recevoir de ce cul-bénit. Ah çà, par exemple, manquerait plus qu'on nous dise ce qu'on a à faire, maintenant !

D'ailleurs, ce Monsieur Rimbaud qu'agressèrent un jour les femmes de ses ouvriers, fut l'objet de tant de haine dans la population que la Municipalité dut intervenir auprès de la Préfecture pour qu'il cesse ses agissements dans son entreprise. Elle craignait en effet pour l'ordre public.

On ne finirait pas d'évoquer tous les sujets qui nourrissaient les conversations passionnées de nos bugadières. Y mêlaient leurs voix : Madame Francone, Angèle Picardo, Madame Garnier, de Six-Fours, Madame Barnel, du quartier Mauvéou, Hortense Barbieri, Marie Pons, dite Pipodoun, Madame Decugis, Biquette, ou encore Rose, dite La Giboua, et bien d'autres encore.

Cette dernière était sans doute la plus remarquable à la fois par son physique ingrat, qu'avait passablement détérioré l'outrage des ans, et par sa hargne permanente. Nez crochu, menton en galoche, regard froid, lèvres minces, elle passait son temps à médire.

On disait d'elle qu'elle ne taillait pas seulement des bavettes, mais aussi des « costumes sur mesure » à chacun ou, en d'autres termes, qu'elle était passée maîtresse dans l'art de dénigrer son prochain. En raison d'une lordose si prononcée que, l'apercevant, on ne distinguait d'abord qu'une bosse, elle avait été aussi surnommée la Fée Carabosse, sobriquet qui englobait sa silhouette, ses traits et sa médisance.

Bosse de bison ou bosse de dromadaire ? demandaient méchamment les lavandières dont elle était la risée. La question restait posée à propos de celle qu'unanimement on désignait par le sobriquet de La Giboua (la bossue).

Elle ne savait commencer une phrase sans lancer son juron préféré « Pute de tité ». Une tité, en Provençal, c'est une poupée. On désigne aussi par ce nom les filles aux mœurs légères. On n'a jamais su à qui ce qualificatif s'adressait particulièrement. À tout le monde, sans doute, tant la médisance était pour elle un besoin viscéral.

Elle la cultivait d'ailleurs avec un art consommé et passait un temps fou à collecter les renseignements.

Par exemple, sous prétexte d'avoir perdu un objet quelconque, elle fouillait les poubelles de ses voisins, le lendemain d'une noce ou d'un repas de fête. Son enquête visait à savoir ce qu'ils avaient mangé la veille pour dauber ensuite leur gourmandise, leur prodigalité ou leur avarice.

Si une fille de notable se mariait (en blanc comme il se doit) elle n'avait de cesse qu'elle ne sût si, par hasard, elle n'aurait pas fait « Pâques à la mi-carême ». Aussi, notait-elle avec grand soin la date des noces pour la comparer à la date de la première naissance, ce qui lui permettait de savoir si neuf mois s'étaient bien écoulés entre ces deux événements. Malheur à celle qui avait fauté ! Rose se chargeait de le faire savoir dans toute la ville.

Il faut croire que cet acharnement à voir le mal partout indisposait ses compagnes, car un jour, l'une d'elles lui lança :

- Ah çà te va bien de faire la vertueuse ! Tu te rappelles pas ce qui t'est arrivé à toi, avec Titin le Bringueur ?

Profondément ulcérée par ce rappel intempestif d'un passé qu'elle voulait effacer, Rose leva le parler à son amie, et pour longtemps.

Autour des lavoirs, dans ces débordements d'histoires paillardes, de bavardages débridés, d'allusions perfides, il arrivait fréquemment que l'on se fâche. Les brouilles duraient alors des mois, mais à la faveur d'un événement quelconque, heureux ou malheureux, on se raccommodait et dans la chaleur des réconciliations bruyantes, les persiflages bouffons reprenaient de plus belle.

À ce groupe de lavandières qui animèrent pendant longtemps le lavoir des Moulières, venait se joindre, moins assidu, le bataillon des ménagères de la ville qui faisaient elles-mêmes leur lessive.

Leur jour de lavage était le jeudi, ce qui leur permettait d'amener leurs enfants passer une journée au bon air de la campagne. Des enfants qui, d'ailleurs, se rendaient utiles en aidant leur mère ou leur grand-mère.

Les dernières décennies où les lavoirs furent en service virent défiler ainsi des familles bien connues : les Mathieu, les Gautier, les Martinenq, les Pisany, les Augias, les Cauvière, les Autran, les Legier, les Borel, les Vairolatto ou les Bacino, pour n'en citer que quelques-unes.

Les jours de lavage, on partait donc de grand matin en se donnant des rendez-vous à des carrefours précis. On n'oubliait surtout pas de prendre le pain tout chaud de la dernière fournée, de garnir le cabas d'un fait-tout avec des restes de ragoût, ou d'une assiette contenant une omelette froide, un peu de saucisson et des morceaux de fromage. Et puis, bien entendu, on remplissait la brouette ou la carriole de linge à laver. Grand-mère Mathieu, notoirement serviable, emportait même le linge de ses amies.

Quelquefois, les ménagères qui avaient entre elles des affinités préparaient ensemble chez la mère Bellon un bon repas chaud. Sur une braise hâtive, on grillait des saucisses et des boudins et l'on arrosait le tout d'un bon petit vin qui venait de Suquet ou de Barbaroux. Un vrai régal ! Après quoi, on sirotait un café qui coûtait un sou.

Le repas était certes frugal, mais il suffisait pour redonner à chacune du cœur à l'ouvrage. Le plus souvent, les lavandières occasionnelles terminaient leur bugade le matin. L'après-midi, si le temps le permettait, on séchait le linge sur les buissons environnants au bon soleil.

Pendant que les mamans et les mamés papotaient, les enfants jouaient en toute sécurité dans les bosquets voisins. Ils allaient patauger dans la mousse de savon qui courait à l'autre extrémité des lavoirs en essayant de faire des bulles avec la paille des avoines sèches.

Le plus souvent, ils participaient à la collecte de l'herbe pour les lapins, à la cueillette de la chicorée (cicoria), des plantes aromatiques, des champignons à l'automne, des poireaux sauvages ou des glands pour les bêtes. Ils s'occupaient aussi à confectionner des fagots de bois mort. En ce temps-là, on ne négligeait aucune ressource que la nature offrait généreusement.

Les provisions rassemblées, le linge sec rangé dans les carrés bleus ou noirs, on reprenait les carrioles ou les brouettes, chargées hautes, et en avant pour le retour. Le chemin suivi était le même que le matin : le Baou, les Quatre Chemins du Mai, la montée vers Gavet. On marquait généralement la pause à hauteur de la propriété Lubonis. Il y avait là, à main gauche, une maison d'habitation bien tenue que les passants observaient toujours avec curiosité, en faisant des réflexions malicieuses.

Rose La Giboua n'était pas la seule à s'exclamer, devant cette demeure : « Tiens, voilà la villa brioche ! Il s'en passe de drôles, là-dedans... ». Selon la rumeur du quartier, la belle qui habitait ce logis recevait de nombreux galants. Hortense disait « On se demande si elle a le temps de faire son lit ». À quoi Rose répliquait, vipérine : « Ah vaï, tout le monde le sait : son lit n'a pas le temps de refroidir ». Et l'on avançait le nom de personnages assidus qui venaient prendre du bon temps dès la nuit tombée.

Sur le chemin du Baou, on croisait parfois Louis Daumas, dit Le Manchot, autre figure du quartier des Moulières.

Il n'était pas sans défauts, mais les gens du coin, le voyant handicapé, lui pardonnaient volontiers les larcins dont il se rendait coupable. Il disait avoir perdu son bras droit dans un accident, mais les mauvaises langues affirmaient qu'on l'avait amputé à la suite d'un coup de fusil reçu au moment où il franchissait la limite d'une melonnière.

Comme à son époque les pensions d'invalidité n'existaient guère, il vivait misérablement, vêtu de hardes qu'on lui donnait. Incapable de rendre même des petits services, il rapinait comme il pouvait, mais surtout, se consacrait au braconnage, son activité principale.

Il vivait dans un cabanon en ruine où il cuisait sa soupe sur un feu de bois et couchait dans une paille infecte. Néanmoins, il était insouciant, jouissait du présent sans s'inquiéter de ce que serait demain.

On l'admirait un peu, le sachant capable de rouler et d'allumer une cigarette avec la seule main qui lui restait. Et puis, malgré son handicap, il vivait une existence paisible à laquelle il semblait prendre plaisir.

On se demandait comment il pouvait fixer les alludes vivantes (fourmis ailées) à ses pièges. Quand on lui posait la question, il souriait et gardait pour lui son secret.

Pourchassé sans cesse par les gendarmes qu'aidait le garde champêtre, il se faisait souvent prendre. Notre Raboliot se laissait emmener sans protester. (Il n'avait rien à voir avec l'autre, le vrai). « Ma foi, disait-il, philosophe, quand ça m'arrive après le passage des tourdres et des rigaous, je suis à l'abri et nourri gratuitement pour l'hiver ».

Quand il était relâché, ses amis lui conseillaient la prudence, mais il n'en avait cure et recommençait à braconner en variant les procédés.

Quand passaient les gros-becs ou les bétouars (becs croisés) qui s'abattaient comme des nuées sur le moindre filet d'eau, il posait des brins de jonc englués simulant des perchoirs. Les prises généralement nombreuses devaient être relevées dans un temps record pour limiter les risques de se faire surprendre. Si Le Manchot se moquait d'être envoyé à la prison Saint-Roch pendant l'hiver, il préférait rester libre de ses mouvements au début du printemps et pendant l'été.

Ne pouvant détacher ses victimes avec sa seule main, il les engouffrait avec les joncs gluants et les emprisonnait dans un sac de chanvre. On imagine alors le sort de ces pauvres oiseaux aux pattes figées dans la glu, qui s'emmêlaient au fond du sac, collaient leurs plumes, leurs ailes, leurs becs dans un enchevêtrement visqueux. Pendant leur agonie atroce, ils poussaient des cris désespérés.

Doué d'un esprit simple, le braconnier ne s'en émouvait guère. Il rentrait précipitamment dans sa tanière, de peur que les cris des oiseaux ne le trahissent, puis s'occupait à délivrer les corps de ses victimes. On imagine ce que cela devait représenter pour un manchot de dégager un à un les oiseaux de ce magma qui lui poissait les doigts.

Il savait aussi tous les halliers du vallon des Moulières. De la forêt de Janas au Jonquet, de Roumagnan au Peyras et à Fabrégas, il connaissait tous les gîtes de lièvres, tous les passages de lapins. Il lui arrivait parfois de pousser ses explorations jusqu'au bord de mer, à Tamaris, en quête de poissons et de coquillages.

Parmi ses multiples talents, il avait ceux du ravageur, encore que son handicap le limitait dans ses entreprises. Alors, les pêcheurs et les parqueurs qu'attendrissaient ses difficultés à vivre lui offraient toujours quelque chose de comestible.

Louis Daumas, dit Le Manchot, demeura longtemps une célébrité du quartier des Moulières. Pour avoir entendu maintes fois le récit de tant d'exploits, l'enfant que j'étais le considérait comme un héros légendaire.

Ainsi, sur le chemin du retour, nos lavandières terminaient leurs papotages en exprimant, malgré leur fatigue, la satisfaction d'une bonne journée.

Nous nous sommes régalées ! disait grand-mère Mathieu quand elle rentrait avec ses filles qui se relayaient pour pousser la brouette chargée de linge propre. Pourtant, elles n'avaient pas ménagé leur peine pour accomplir les tâches ingrates que nous avons décrites. Leur satisfaction était grande, après de telles journées et pourtant, il faudrait encore repasser tout ce linge, Parfois le raccommoder, puis le ranger dans l'armoire non sans l'avoir parfumé de quelques brins de lavande.

Mais nos ancêtres n'allaient pas très loin chercher leur bonheur. Grand-mère Aubert qui n'avait pas tant d'engouement pour ces tâches ingrates, retournait des Moulières la tête pleine de ragots qu'elle pourrait commenter chez ses voisines. « Nous avons bien bavardé, disait-elle ingénument, et nous n'avons dit de mal de personne ». Balivernes, car, elle n'avait pas cessé, avec ses compagnes, de dauber sur les voisins, les amis, les adversaires politiques, les dévotes que Monsieur le Curé traitait de pécores, les patrons qui exploitaient le travailleur...

Mais quand elle voulait raconter à son mari les cancans de la journée, celui-ci, indifférent au babillage de son épouse, finissait par dire, pour couper court aux commérages « Aco, ès tous de couiounado ! ».

Les Moulières aujourd'hui

Les années ont passé, apportant des progrès techniques considérables. La plupart des ménagères sont entrées dans la production et elles ne trouveraient plus le temps d'accomplir ces durs travaux de nos lavandières d'antan. D'ailleurs, les machines à laver ont remplacé les lavoirs, les poudres qui toutes lavent mieux les unes que les autres, ont détrôné le savon et la cendre de bois. Dans tous les foyers, l'eau courante arrive à l'évier.

Ainsi le modernisme a bousculé les vieilles méthodes et, au fond, c'est heureux.

On peut se demander, tout de même, si les anciens, confrontés à notre actualité, seraient bien convaincus que tous les progrès ont été nécessaires.

On se souvient de leur méfiance quand apparurent les premières cuisinières à gaz. Ils considéraient qu'elles gâtaient les aliments à la cuisson, sans parler des risques d'explosion. Ils regardaient avec la même défiance les machines à laver le linge. Les vieilles lavandières, ancrées dans leurs habitudes, raillaient : « Le linge de la machine n'est même pas frotté ! Il ne peut pas avoir la même blancheur, voyons ! Et puis rien ne remplacera l'eau des Moulières. D'ailleurs, tout sera vite usé, avec toutes vos poudres ».

Mais nos vaillantes aïeules n'ont pu détourner leurs filles, belles-filles, petites filles qui font aujourd'hui confiance aux inventions modernes. Et les lavoirs délaissés peu à peu, n'ont plus été fréquentés dans les années de la dernière guerre, que par de rares ménagères attachées à la tradition de la bugade.

La corporation des lavandières s'est alors éteinte. Surtout quand l'occupant allemand, raflant les matières grasses, ne permit plus que soit fait du savon de qualité.

Les autorités donnèrent bien quelques recettes pour en fabriquer, mais il en résultait des produits hybrides incapables de mousser et de nettoyer convenablement quoi que ce soit.

Dans la décennie qui suivit la Libération, on aurait dit que tout se liguait contre les lavoirs des Moulières. La diminution du débit des sources, amorcée depuis la disparition des moulins, s'accentua fortement. Les ruisseaux permanents devinrent intermittents. Les Municipalités, constatant ce fait, ne purent y apporter aucun remède.

Le creusement de l'Émissaire commun modifia sans doute le réseau hydrographique du massif portant un coup décisif aux sources. En tout cas, les lavoirs abandonnés ne furent plus entretenus par la ville. Ils se remplirent d'algues et de vase. Peu à peu, une puissante végétation de ronces, de clématites, de pariétaires envahit les piliers, la toiture, jusqu'à ce que les édifices disparaissent tout à fait sous les lianes et les frondaisons.

Puis ce fut le temps des chapardeurs qui enlevèrent les vieilles tuiles provençales pour leur profit. Alors les charpentes exposées aux intempéries s'effondrèrent, entraînant dans leur chute les jolis piliers de briquettes rouges. Ainsi disparurent les lavoirs qui égayèrent pendant tant d'années ce quartier retiré. Les pierres plates qui restent, où nos lavandières ont frotté, brossé, battu le linge, sont à peine visibles aujourd'hui sous une végétation sauvage et presque impénétrable.

Les sources et les conques, que l'on a du mal à deviner dans la broussaille, ne murmurent qu'à peine, après de fortes pluies. Quelques feuilles de cresson s'étalent à la surface de l'eau où viennent se désaltérer les fauvettes qui lancent parfois de timides roulades, rappelant au visiteur que toute vie n'a pas totalement disparu.

Pour ceux qui connurent la beauté de ce vallon enchanteur, pour ceux qui côtoyèrent ces personnages pittoresques dont nous évoquions plus haut la mémoire, le quartier des Moulières est marqué par des souvenirs attendrissants, mélancoliques.

Ce qui reste aujourd’hui du site des Moulières

Les amis de la Nature regrettent avec nous la disparition quasi totale de certains végétaux comme le miougranié (grenadier sauvage), le tapenié (câprier), le sorbier, qui jalonnaient le chemin de la Croix-de-Palun. Comment oublier aussi le chichourlié (jujubier) très commun autrefois, ou le carroubié (caroubier) aux grandes gousses noires et douces dont se régalaient les équidés ?

De nos jours, malgré la fuite vertigineuse des ans, nous évoquons, au hasard de nos promenades dans le quartier, les images familières de notre enfance qui nous reviennent irrésistiblement : les petits ânes attelés au long bras des norias dont la chaîne de godets zingués puisait l'eau qui irriguait lentement, profondément, les potagers. Nous revoyons encore les forts chevaux tirant le lourd barrulaire (rouleau de pierre cannelée) sur les aires circulaires, pour écraser les gerbes de blé mûr alors que le soleil, a son zénith, favorisait au mieux la séparation des grains.

Tout cela appartient irrémédiablement à un passé dont nous sommes la mémoire. Nous voilà maintenant confrontés à une autre réalité dont témoigneront plus tard ceux qui, aujourd'hui, entrent à leur tour dans leur âge d'homme.

Ce quartier de notre terroir seynois a subi des modifications considérables.

Les familles de cultivateurs qui l'occupaient et exploitaient ses ressources ont laissé la place à des centaines de foyers d'ouvriers, de techniciens, d'employés, d'artisans ou de retraités de toutes professions.

Là où les potagers alignaient autrefois la régularité des raies tracées au cordeau, de coquettes villas sont sorties de terre, entourées de jardins d'agrément où une flore ornementale recherchée rivalise de belles couleurs. Pour approvisionner tous ces nouveaux résidents, des structures commerciales aux couleurs bariolées ont chassé les vastes vignobles que l'automne marquait de roux. Les rares bastides perdues au milieu des champs, les cabanons, les granges, les écuries, les porcheries, les poulaillers, ont été rayés du paysage. Les chemins charretiers aux ornières sournoises ont laissé leur place à de larges voies goudronnées, à des allées spacieuses quadrillant des lotissements pimpants.

Du haut de Cachou, le regard n'embrasse plus qu'un alignement de toitures hérissées par une multitude d'antennes de télévision dressées vers le ciel comme autant de grands râteaux.

Nuit et jour, la paix de ces campagnes évanouies est troublée par un charroi incessant. Partout se croisent à grands bruits les automobiles, les camions et les motocyclettes. Tout cela pétarade et pollue, de l'Oïde aux Gabrielles, des Hautes Barelles à Mauvéou, jusqu'au cœur des forêts où se déchaînent les pratiquants de ce que l'on nomme, peut-être par dérision, la moto verte.

Le babillage des fauvettes est couvert par les radios qui nasillent du matin au soir les mêmes rengaines, les mêmes discours, les mêmes spots publicitaires...

C'est cela qui, aujourd'hui, constitue l'environnement ordinaire de nos contemporains. C'est le nouveau langage des Moulières, le langage des temps présents qui fait certainement des heureux.

Nous ne doutons pas que le développement fulgurant des sciences et des techniques qui a si profondément modifié les comportements humains, procure à la population des joies certaines.

Mais le murmure des sources, mais le ramage des passereaux, mais les soupirs du mistral dans les grands pins pignet ou les chênes centenaires ? C'étaient aussi des joies profondes qu'appréciaient nos ancêtres et qui savent encore nous toucher.

Nos têtes devenues chenues restent habitées du souvenir tenace des longues veillées devant les bûches flamboyantes de la cheminée basse dont les pétillements soudains tiraient de sa vague somnolence le chien qui rêvait de chasses futures.

Elles sont pour nous inoubliables, ces soirées d'hiver où l'on se régalait des castagnades arrosées d'un vin blanc sec en écoutant avec émotion le grand-père ou le grand-oncle, raconter pour la énième fois ses campagnes coloniales du Tonkin ou du Sénégal. Quand approchait Noël, on faisait les comptes des récoltes et l'on était heureux de savoir le foin engrangé, le grain ensaché qui assureraient aux bêtes leur subsistance pour la mauvaise saison, et le vin, vieillissant dans les gros fûts de chêne, qui arroserait encore bien des repas.

Les ménagères vérifiaient les conserves de fruits et de légumes, enfermées dans les bocaux alignés sur une étagère, les figues séchées au soleil, les amandes, les melons et les poires d'hiver. Elles surveillaient les grappes de raisin mises à sécher dans le grenier et dont le goût sucré ferait de bons desserts aux creux de l'hiver.

L'une des veillées de la semaine était consacrée aux jeux de société :jeux de cartes, jeux de loto. On s'interrompait de temps en temps pour picorer dans une marmite les graines cuites de haricots ou de pois chiches, tandis que le toupin de tisane attendait sagement près de la cendre chaude, que l'on se désaltère de son contenu odorant, quand finirait la soirée.

Quand revenaient les beaux jours, les familles paysannes des Moulières se réunissaient pour préparer des réjouissances de plus grande envergure.

Dans la quiétude des crépuscules seulement troublés par l'angélus du clocher de Reynier ou les bêlements du troupeau de Simian qui regagnait ses crèches, on arrêtait dans le détail les prochaines sorties au bord de mer. Les plus nantis équipaient leur char à bancs ou leur charrette de sièges de fortune pour emmener leurs amis à la fête traditionnelle du Brusc. On emportait des repas froids que l'on dévorait sur les rivages paisibles en attendant l'heure du bal.

Ou alors on allait assister aux batailles de fleurs à Ollioules, au Corso carnavalesque de Sanary, manifestations qu'animaient souvent les formations musicales du cru, La Seynoise et l'Avenir Seynois. On s'y retrouvait entre parents, entre amis.

Ces rencontres chaleureuses renforçaient les liens d'une convivialité solide à une époque où l'entraide et la solidarité étaient une obligation de survie et un devoir sacré.

Au début de l'automne, le quartier des Moulières et celui des Plaines où abondaient les vignobles connaissaient une animation fébrile.

Pendant une quinzaine de jours, chaque lopin de terre était vendangé. Le raisin foulé aux pieds sur la planche de la tine, bouillait ensuite pour produire le vin nouveau, tandis que le marc passait à l'alambic, donnant l'aigo-ardènt qui raclerait le gosier des hommes.

Après les dures journées de labeur où les familles se donnaient la main, on préparait la fête des vendanges qui verrait les poulaillers et les clapiers payer un lourd tribut à la satisfaction des solides appétits.

Les femmes préparaient les raviolis et, pour la pâtisserie, leur grand savoir-faire les dispensait de se rendre en ville chercher les gâteaux. Et puis, quand le festin était terminé, quand les plats et les toupins étaient curés jusqu'à la dernière miette, on dansait au son d'un phonographe nasillard, ou l'on chantait des chansons et le répertoire paillard qui n'était pas ignoré, soulevait les véhémentes protestations de quelque grand-mère un peu pudibonde.

Tous ces aspects de la vie aux Moulières que nous avons évoqués montrent que l'existence autrefois n'était pas exempte de difficultés et de peines pour les hommes et les femmes courbés sur leur labeur. Mais les moments de plaisir étaient intenses et marqués de plénitude. Nos ancêtres savaient trouver dans la simplicité et la quiétude, dans le travail bien fait, dans les économies réalisées sou à sou, permettant d'envisager sereinement l'avenir, dans la sagesse de chaque jour, les raisons de leur bonheur paisible.

Le fabuliste de Philémon et Baucis ne leur avait-il pas appris depuis leur enfance que « Ni l'or, ni la grandeur ne peuvent rendre l'homme heureux » ?

Malgré ses atouts exceptionnels, sa fabuleuse histoire et la richesse de son patrimoine végétal, le vallat de l’Oïde se trouve aujourd’hui abandonné à son triste sort. Depuis plusieurs années, la fédération MART (Mouvement d’Actions pour la Rade de Toulon et le littoral varois), avec MM. Paul Pignon, Francis Creus, Jean Guinamant et Jean-Claude Bardelli, travaille donc à constituer un dossier sur le quartier des Moulières, l’histoire de l’Oïde, des lavoirs, des sources et des moulins qui ont existé tout le long de cette rivière. Ce travail, mené en accord avec les villes de La Seyne et de Six-Fours, sera ensuite remis aux deux municipalités pour qu’elles puissent engager des procédures de classement ou de restauration du lavoir des Moulières et des autres ouvrages. Par exemple : (1) la remise dans son lit d’origine du vallat de l’Oïde ; (2) la remise en valeur des moulins [qui sont à l’origine de l’urbanisation dans ce quartier] ; (3) la remise dans son état d’origine de la source des Moulières ; (4) la création d’un parcours touristique reliant Fabrégas à Janas. L’Association des Amis de Janas et du Cap Sicié s’est également engagée pour la réalisation de ce projet, ainsi que pour l’obtention du label Natura 2000. En mars 2005, Mme Michèle Durand, adjointe chargée du développement durable, avait indiqué que la municipalité « allait réaliser la restauration du bassin des Moulières », amorce de cette « coulée verte aux sources de l’Oïde ». En septembre 2008, malgré la difficulté tenant au fait qu’une partie de ce patrimoine est située sur des terrains privés, Mme Florence Cyrulnik, adjointe à la culture et au patrimoine, confirmait que la ville de La Seyne « s’apprêtait à mener ce travail de fourmi sur 3 à 4 km dans la colline » pour entretenir « les berges du vallat, en retrouver la trace et les lieux ».


Repérage au GPS des vestiges des lavoirs par M. Henri Ribot et son équipe du Centre Archéologique du Var (novembre 2009)
M. Paul Pignon indique l'emplacement de l'un des piliers de l'ancien lavoir (novembre 2009)


Sources :

AUTRAN Marius. La vie aux Moulières au temps jadis. Conférence du 14 octobre 1985 à l’Association des Amis de La Seyne Ancienne et Moderne.
AUTRAN Marius. 1988. Saturnin Fabre. In : Images de la vie seynoise d’antan, Tome II.
BAUDOIN Louis. 1965. Histoire générale de La Seyne-sur-Mer, 908 p.
CHICHARRO Céline. Le Domaine de Fabrégas. Présentation synthétique de l'historique de cette propriété. Rapport remis à la ville de La Seyne-sur-Mer - Pôle Aménagement du Territoire - Service Architecture et Paysage, février 2010, 29 p.
Délibérations municipales de 1885 et de 1890.
DENANS Jean. 1713. Histoire de Six-Fours - Histoire de La Seyne. Manuscrit. Archives municipales de La Seyne.
PIGNON Paul et GUINAMANT Jean. 2001. Projet pour des actions sur les bassins versants de l’Oïde, du Vallat du Loup et de Vigne Longue dans le cadre du Contrat de Baie des Rades de Toulon. Fédération MART, Les Amis de Janas et les CIL de La Seyne-sur-Mer. Rapport, 32 p.
Souvenirs d’enfance et souvenirs de famille de Marius AUTRAN.
Var-Matin : Articles sur les Moulières et le vallon de l’Oïde dans la rubrique La Seyne-sur-Mer des journaux des 27 mai et 20 octobre 2005, du 20 septembre 2008 et du 7 novembre 2009.



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