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L'ouvrage de Marius Autran n'est pas du type Si la Seyne m'était contée, remplissage plus ou moins érudit d'une vie vide de sens : Marius nous est cher, parce que sa vie a été faite d'enthousiasmes et de peines, dans et pour cette ville où il a pris parti, et toutes ses responsabilités.
Il en va de l'identité comme de la santé, chacun le sait : on ne l'apprécie jamais autant que quand on la perd. Or, de ce kaléidoscope d'images du passé et de souvenirs plus proches, et plus personnels, que nous propose Marius Autran, au-delà des contradictions historiques et sociales, dans les affrontements et par ces affrontements parfois, s'affirme l'identité forte et renouvelée d'une ville façonnée par les hommes qui y vivent, une ville qui, sans grâces particulières et pourtant prodigieusement favorisée par la nature et par le fécond brassage humain qui l'a constituée, est à la mesure des hommes.
Le propos de Marius Autran n'est pas celui d'un passéiste qui refuse les temps présents, et à venir. Il n'a guère à voir avec la fermeture des racines, de la souche qui sépare des autres. Tout au contraire : Marius Autran est dans la lignée de ceux qui ont agi, et non pas parlé seulement, pour que notre ville s'inscrive dans les temps nouveaux, et que le creuset humain que l'histoire proposait, particulièrement depuis la révolution industrielle du siècle dernier, soit un véritable creuset d'intégration, un creuset identitaire positif.
Comment, la dernière page du livre retombée, ne pas s'interroger sur ce qui attend cette identité au service de laquelle le G.R.A.I.C.H.S. inscrit son entreprise ? Est-il juste, est-il souhaitable que la Seyne ne soit plus que la morne juxtaposition de cités sans âmes et de banlieues résidentielles de la Côte ? Annexe vaguement méprisée d'une agglomération de type post-industriel, oublieuse de son passé laborieux et combatif ? Nous ne pouvons que penser le contraire.
Un enseignant retraité demande à deux de ses anciens élèves d'écrire une préface à ses Images de la Vie Seynoise d'Antan. Situation bien insolite ! Ces deux jeunes en culottes courtes connurent la classe de Sixième au Collège Martini dans cette salle qui devait se trouver au-dessus des ateliers pendant les années scolaires 1948-1949 et 1949-1950. Marius Autran leur enseigna le Français, l'Histoire, la Géographie, les Sciences naturelles, les Mathématiques et bien d'autres matières. Ils bénéficièrent aussi de son enseignement, en Histoire et Géographie en classes de Cinquième et de Quatrième. L'un et l'autre, par la suite, eurent en commun d'entrer à l'École Normale Supérieure de l'Enseignement Technique et d'enseigner, depuis, l'Histoire, l'un à La Seyne, l'autre à Paris. Tous deux ont entrepris depuis longtemps des recherches historiques sur cette France du Sud-Est, tous deux ont publié ouvrages et articles dans des revues savantes. Bref, on les appelle des Historiens professionnels. Amis de Marius Autran de surcroît, depuis près de quarante ans, partageant ses luttes, ses espoirs, sont-ils vraiment bien placés pour écrire les mots justes le concernant, tant sa personnalité perce constamment à travers les pages qui suivent ? Ils le reconnaissent presque à chaque phrase. Ils ont parfois même entendu certains récits sur les bancs de l'école quand, désertant l'aride Grèce antique, l'enseignant faisait des rapprochements avec certains aspects des quartiers seynois d'alors, du Cap Sicié ou de tel mode de vie. D'autres descriptions que l'on retrouvera reprennent ce que souvent, au hasard d'une conversation, il a pu leur raconter à partir de ses lectures ou de ses souvenirs. Bref, nous baignons dans ce que Marius Autran écrit, et pourtant ces pages ne nous apparaissent pas comme des redites. Au contraire…
Ce livre vaut avant tout par son sous-titre, Récits - Portraits - Souvenirs. Marius Autran se promène sur le territoire communal, s'arrête dans quelques quartiers et nous indique ce qu'il sait, nous montre les roches, nous fait sentir la végétation, nous rappelle l'emplacement de tel moulin ou la signification de tel lieu-dit. La balade allègre parcourt les siècles, de la Préhistoire à la constitution du S.I.T.C.A.T. et le guide dépeint quelques activités humaines qu'il a bien connues : l'escavenier, ce gagne-petit de la mer, les bugadières du quartier des Moulières, Louis Daumas, le braconnier, la bouillabaisse des anciens, plages du Bœuf ou du Jonquet, le lancement d'un navire. Marius Autran, enfin, s'empare des événements les plus tragiques : l'explosion du Liberté en 1911 et la mort du seul Seynois, marin du Port, le tragique bombardement du 29 avril 1944 et la catastrophe de l'émissaire où 93 Seynois périrent, étouffés, piétinés, asphyxiés, victimes des inconséquences du maire d'alors qui avait autorisé l'utilisation de ce souterrain comme abri en ne rétablissant pas le seul moyen d'assurer une ventilation.
Marius Autran s'arrête sur ces terrains les plus primitifs de notre pays pour montrer que le territoire communal a traversé les siècles, progressivement conquis par les hommes, aménagé, transformé. Les roches permiennes au pied desquelles les humains se sont organisés jouent le rôle d'un môle d'ancrage. L'ancienneté garantit l'avenir. À travers les siècles, des modes de vie se mettent en place et au fur et à mesure que le bourriquet laisse d'autres moyens de locomotion occuper le terrain, le récit, par touches plus ou moins rapides, évolue du reportage ethnologique à la passion un peu nostalgique pour un terroir intime. Le bonheur des anciens était-il comme le décrit Marius Autran ? Peu importe, après tout, puisque cette évocation fournit de précieux renseignements sur la fin du XIX° siècle et les débuts du XX°. Autour d'événements notables renaissent, au hasard d'une description, certains gestes de métiers, certaines habitudes locales ou des faits, des personnages hauts en couleur.
En fait, cet ouvrage n'appartient pas à un genre particulier : souvenirs, travail historique, enquête sociologique ou ethnologique. Il s'inspire de ces diverses méthodes pour en faire un ensemble un peu hétéroclite de matériaux unis par un auteur qui ne s'enferme pas dans un style particulier. Il ne se prétend pas mémorialiste, historien, sociologue ou ethnologue, Marius Autran. Il ne se présente pas comme homme de science. Sa démarche peut varier. Il s'appuie ici sur des documents de première main, ainsi pour la très importante contribution sur l'assainissement, un rapport de la délégation cantonale de 1936, un texte de chanson visant le maire sortant Saturnin Fabre, là sur les apports des érudits ayant publié des morceaux d'histoire locale. Il fait appel à ses propres souvenirs, ainsi sur le quartier des Moulières, sur la rade au large de Balaguier, sur les bombardements ou rassemble des souvenirs d'anciens, ainsi sur le lancement du cuirassé Paris ou l'explosion du Liberté.
Cet ouvrage appartient à un genre indéfinissable, à la fois histoire, mémoire, compilation, riche en aventures, ouvertures d'un modernisme qui le situent aux confins de l'Histoire des mentalités, pour mettre une étiquette bien réductrice.
Car ce livre appartient entièrement à son auteur, conteur-né, responsable d'une partie de l'aménagement urbain décidé par les municipalités de l'après-guerre, et avant tout enseignant, pédagogue, sachant faire comprendre, sans oublier de tirer les leçons de ce qu'il vient de décrire. À la veille du troisième millénaire, il entend bien donner des repères à ceux - et nous souhaitons qu'ils soient nombreux ! - qui liront ce livre. Il conçoit le territoire seynois comme un puzzle où s'enchevêtrent des quartiers possédant en eux des éléments pour une histoire globale. Cet exercice de plongée dans les racines seynoises permet à Marius Autran d'apparaître sous son véritable jour. Après avoir accumulé une expérience et des connaissances irremplaçables, il en livre une petite partie, quelques bribes. Il avait déjà évoqué les grandes heures d'une école - son école, notre école - et d'une société musicale. Le voilà qui élargit son cadre de référence pour notre plaisir. Il traite avec le même sérieux le banquet qui suit un lancement de navire, l'évocation des souvenirs d'une ancienne sur le premier vélocipède, le bombardement du 29 avril 1944 ou la décision sans cesse repoussée d'entreprendre le percement d'un émissaire. Voilà des exemples qui illustrent bien le contenu du livre : des matériaux rassemblés, décrits, commentés qui seront indispensables pour tout chercheur d'une discipline exigeant des méthodes codifiées d'investigation. Et l'œuvre devient insensiblement, à la réflexion, une source en soi. Il faudra la connaître absolument pour analyser et comprendre le passé.
Tout lecteur trouvera ce qui l'intéresse dans cet ouvrage. Outre le ton, les envolées que nous apprécions depuis des décennies, nous y avons décelé une volonté de servir de relais, à mi-chemin entre l'analyse et le témoignage. Ni ballon d'essai, ni coup de maître, simplement un livre à l'image de ce qu'est Marius Autran : un Seynois lucide cherchant toujours à comprendre et à faire comprendre le passé. Il le restitue et l'explique avec une fougue et une chaleur communicatives. Quarante ans après, notre maître nous apprend toujours, nous rappelle et nous transmet des images prêtes à s'animer. Nous ne nous sommes jamais lassé à l'écouter : nous l'avons redécouvert une nouvelle fois.
Jacques GIRAULT
Professeur agrégé
Docteur en Histoire
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© Jean-Claude Autran 2016