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L'homme de la préhistoire, comme tout être vivant, eut des besoins à satisfaire qu'on peut ainsi résumer succinctement : la nourriture en priorité, la protection de son corps contre le danger des intempéries, la sauvegarde de sa vie et de ses biens contre les agressions possibles de ses semblables ou d'autres espèces animales.
Dès l'origine, l'homme primitif connut la vie arboricole, ne disposant que de ses mains comme outils. Le passage à la vie terrestre avec l'agriculture, l'élevage, la chasse, la pêche, la lutte pour la nourriture impliqua pour lui la confection d'instruments aratoires, d'engins de capture, d'objets de conservations. Il devint bûcheron, potier, tonnelier, car il lui fallait bien recueillir les boissons et préserver les récoltes de fruits desséchés et de grains.
La protection physique de son corps supposa le travail des textiles d'origine végétale ou animale, des peaux d'animaux pour la confection de vêtements et de chaussures.
Après l'âge des cavernes, il eut l'idée de construire des abris sûrs et confortables. Il découvrit des richesses naturelles plus rares que le bois et la pierre. Des minéraux, il sut tirer les premiers métaux et confectionna des outils et des armes. Il se mit donc à tailler des pierres, à pétrir de l'argile, à abattre des arbres, à décortiquer, à scier, assembler.
Et chaque opération nécessita des outils spéciaux de conception très diverse, obligeant les individus à des efforts cérébraux ininterrompus. Le travail de la matière développa progressivement leur intelligence : l'homo faber précéda l'homo sapiens.
Grâce à son génie inventif, à sa passion de la recherche, à son besoin d'imagination, l'homme s'est donné de multiples activités. Ce fut la naissance des métiers. Observons qu'à l'origine un métier impliquait l'exercice d'un art manuel, puis sa signification s'étendit à une profession quelconque (on dit le métier d'avocat, le métier d'instituteur) que l'on accomplit généralement en échange d'un salaire.
Il existe une variété infinie de métiers et, avec la division du travail, leur nombre augmente sans cesse. Des centaines de corps de métiers entrent aujourd'hui dans la construction d'un paquebot alors qu'une dizaine devaient suffire pour celle d'une nef du Moyen Age.
Les progrès incessants de la science entraînent des créations nouvelles dans tous les domaines de l'activité humaine. Par contre des professions végètent, tombent en désuétude et disparaissent. Les appellations anciennes demeurent pour la plupart. Ceux des manuels qui fabriquent la farine et le pain se nomment toujours meuniers et boulangers, comme au Moyen Age.
Les servants des canons de la bataille d'Azincourt en 1415 s'appelaient déjà des artilleurs comme ceux des pièces les plus perfectionnées d'aujourd'hui. Cependant, nous le verrons, certains métiers ont changé de nom à travers les siècles.
Ces quelques remarques d'ordre général énoncées, quels buts avons-nous recherchés dans cette relation ?
Nous allons montrer comment sont nés les premiers métiers dans notre communauté seynoise, leur évolution à travers les siècles, leur adaptation au monde moderne. Nous montrerons l'apparition de professions nouvelles nées de la montée irrésistible des progrès de la science et des techniques, sans négliger l'aspect folklorique des métiers les plus anciens, dont l'exercice nous fait parfois sourire, mais que nous avons le devoir de respecter compte tenu des difficultés d'existence de nos anciens.
La nature des métiers s'explique tout d'abord par le milieu naturel à exploiter. Quand les premiers hameaux se formèrent sur la communauté de Six-Fours, de quelles ressources disposaient ses habitants ? De la terre des vallons fertiles, des coteaux bien exposés, de la forêt, de la mer.
Des ressources du sous-sol, il est à peine possible d'en parler grâce aux couches argileuses de la Coudoulière et des terrains du domaine de Cachou, exploités pendant très longtemps et qui donnèrent naissance, à La Seyne, à quelques petites fabriques de tuiles et de briques. Par contre, ce sont la terre et la mer qui donnèrent aux habitants les moyens de leur existence.
Quand La Seyne se sépara du territoire de Six-Fours en 1657, quand le 15 Juillet 1700, ses armoiries furent enregistrées par le brevet d'inscription de Charles d'Hozier, Conseiller du Roi et garde de l'Armorial général de la France, son écusson portant cinq pains et deux poissons attesta que les cultivateurs et les pêcheurs étaient bien les professions les plus représentatives du terroir seynois.
C'est donc aux métiers de la terre que nous allons consacrer nos premiers développements.
Ils sont sans aucun doute les plus anciens, l'origine de l'agriculture, se confondant avec celle de l'humanité.
Qui possédait la terre ? Qui la travaillait ? Qui en tirait les meilleurs profits ?
Elle fut longtemps la propriété du Clergé de l'Abbaye de Saint-Victor-lès-Marseille. Au sortir du Moyen Age, les familles aisées comme les Beaussier, les Tortel en firent peu à peu l'acquisition. Le morcellement s'accentua après la constitution de La Seyne en commune et l'on vit les Jouglas, les Martinenq, les Daniel, les Curet à la tête d'exploitations moyennes de quelques hectares. Ces familles, au sein desquelles on compta de nombreux notables, laissèrent le soin aux fermiers, aux métayers, aux ouvriers agricoles de cultiver, de récolter, d'engranger, d'entretenir, pour prélever ensuite à leur profit la meilleure part des productions de fruits, de légumes, de grains, de boissons, d'animaux d'élevage...
Les paysans n'apportaient plus comme autrefois leurs redevances en nature à l'Hôtel de la Dîme (origine de l'ancienne école Martini). Ils étaient légalement libérés du servage, mais ne pouvaient disposer ad libitum des richesses accumulées par leur travail.
L'absence de voies de communication limitait les échanges avec les bourgades voisines. Aussi le cultivateur dans les premières années de l'exploitation des terres devait-il compter avant tout sur lui-même pour ses multiples tâches. La polyculture pratiquée dans les vallons et sur les coteaux fit de lui un horticulteur, un vigneron, un meunier, un boulanger, un apiculteur. Ses auxiliaires, le cheval, le mulet, l'âne lui imposèrent de devenir bourrelier, charretier, charron. On vit même dans les fermes importantes le propriétaire installer une forge et une enclume et le paysan se mua parfois en taillandier.
L'extension des cultures maraîchères imposa des arrosages fréquents. Alors, le cultivateur devint puisatier pour trouver l'eau nécessaire. Avec le développement économique, la multiplicité des tâches nouvelles, la spécialisation, la vie des campagnes allait connaître une évolution bénéfique.
À la ville, l'artisanat apparut et put offrir aux gens des campagnes des objets fabriqués, des outils, des vêtements de travail, des chaussures. Les échanges économiques entre régions prirent une dimension nouvelle, la circulation des matières premières, textiles, métaux, combustibles, favorisa les relations entre les classes sociales.
L'artisanat et le petit commerce offrirent à la paysannerie nombre d'objets qu'elle n'avait pas les moyens de se fabriquer.
Après la révolution de 1789, la France va connaître un essor industriel appréciable. Notre région n'est guère favorisée par les ressources du sous-sol et cependant l'utilisation des bois de nos forêts va permettre la naissance de la construction navale génératrice d'emplois comme les charpentiers de marine, les calfats, les cordiers, les voiliers, les peintres, etc...
Quelques petits ateliers artisanaux sont à signaler.
Ainsi, à la rue Taylor, qu'on appelait autrefois la rue Savonnière, la fabrication des savons se développa depuis qu'un arrêt du conseil du roi en 1757 avait encouragé la culture de l'olivier. La production accrue des huiles entraîna un commerce d'exportation de savons de bonne qualité.
Parallèlement à la construction navale en bois, il fallut créer des fabriques de cordages, de filins et agrès. La corderie Abran installée place de la Lune et celle installée rue Charles Gide (*) (à l'emplacement de ce qui deviendra le dépôt des Coopérateurs du Midi, puis l'actuel Centre des Impôts) répondaient aux besoins. Il existait d'ailleurs depuis le 1er Janvier 1446 un statut des Cordiers de Provence.
(*) On y trouve encore le Bistrot de la Corderie.
À noter également de petites fabriques de tonneaux, à la rue de l'Hôtel de Ville, appelée jadis rue Tonnellerie, à la rue Marceau, autrefois rue des Tonneliers.
Sur la place des Capucins (face au collège des Maristes) fonctionnèrent jusqu'au début du XIXe siècle une verrerie et un moulin à ciment.
En divers points de la ville, on pouvait noter dans la même période des briqueteries, des tuileries qui pouvaient satisfaire les besoins locaux.
Un atelier de passementiers-boutonniers exista à la rue Marius Giran (anciennement rue du Petit Filadou), à proximité de la poissonnerie. Il employait une quinzaine d'ouvrières.
Ce résumé des petits métiers de l'artisanat doit être complété par l'exploitation des moulins à blé (Quatre-Moulins, Tortel, Laffran, Brégaillon), des moulins à huile (Les Moulières, rue de l'Hôpital, devenue Clément Daniel, rue du Palais, devenue rue Berny, quartier Peyron).
La prolifération des petits métiers de l'artisanat fut d'un grand secours pour la paysannerie locale et l'on vit peu à peu le progrès des techniques pénétrer dans nos campagnes. L'araire en bois fut remplacé par le soc en acier.
Le jardinier appela les ferronniers et les ferblantiers pour installer des norias au-dessus des puits d'arrosage. La population seynoise devenant plus dense à la ville, elle fit appel davantage aux cultivateurs pour son alimentation. Le marché urbain exerça une vive attraction sur les producteurs de Saint-Jean, des Plaines, de Tamaris, des Sablettes. On vit alors s'installer chaque jour sur le cours, agrémenté depuis 1774 par les plantations de platanes, les petits marchands de légumes, de fruits, de volailles, de plantes aromatiques, de champignons. Quand ils le pouvaient, les paysans eux-mêmes vendaient les produits de leur exploitation, évitant ainsi les intermédiaires, comme les courtiers, dont les prélèvements étaient respectables.
Au début du XIXe siècle, la construction navale prit son véritable essor avec les constructions métalliques. Cette forme nouvelle d'activités devenant prédominante, elle devait engendrer une multitude de professions nouvelles dont le plus grand nombre demeure aujourd'hui.
Depuis que notre ville existe, on peut estimer le nombre des métiers organisés ou non en corporations, à deux cents environ. Nous en avons établi une classification en cinq groupes ainsi définis :
- - Métiers de la terre et de la forêt
- - Métiers de l'artisanat et du petit commerce - métiers de la rue
- - Métiers de la mer (exploitation des ressources - construction navale)
- - Métiers à caractère intellectuel - fonctionnaires - professions libérales
- - Métiers strictement féminins à l'origine, empiétant peu à peu sur les fonctions masculines.
Métiers et de la terre et de la forêt
Sur le terroir seynois, le métier d'agriculteur s'exerça longtemps sous des formes extrêmement variées. Nous avons déjà parlé de polyculture. Nos anciens produisaient tout ce qu'ils pouvaient : les céréales, les fruits, le fourrage, le vin, l'alcool, l'huile, le lait, les animaux de basse-cour, la charcuterie,...
Tous ne disposaient pas des mêmes moyens. Les petits propriétaires ne pouvaient subsister qu'en se livrant à d'autres activités que celles de la terre. Les moyens possédants, avec plusieurs hectares, faisaient face à la triple condition d'utiliser toute la main d'oeuvre de l'exploitation familiale, de cultiver toutes les parcelles de terrain et surtout de ne rien gaspiller.
On recherchait, suivant la saison, le concours d'ouvriers agricoles, ou de journalières payées nettement moins cher, la condition féminine n'ayant pas su encore faire valoir ses droits légitimes.
Avant le siècle de l'industrialisation, la paysannerie ne connut que le travail à la main. Elle eut comme auxiliaire précieux le cheval, l'âne, le mulet, le bardot, ces trois derniers réputés pour leur sobriété. Elle ignorait les engrais chimiques, les rendements restaient faibles, et ce fut parfois la disette dans les périodes d'épidémies ou d'intempéries meurtrières.
Pendant longtemps nos paysans travaillèrent sans trêve ni repos pour réaliser quelques économies. Leur situation s'améliora dans les années 1920 avec le progrès des techniques : les pompes remplacèrent les norias, les motoculteurs et les tracteurs se substituèrent aux animaux de trait. Puis la guerre revint, avec ses conséquences néfastes, puis la concurrence étrangère créa d'énormes difficultés à nos cultivateurs. Une situation nouvelle apparut avec une jeunesse que le travail de la terre n'enthousiasmait guère.
Alors on vit disparaître la majeure partie des exploitations paysannes. Sur les terres vendues s'élèveront des villas, des ensembles d'habitation en co-propriétés, et voilà qui explique la disparition de nombreux métiers de la campagne sur notre terroir seynois.
Les moyens de communication et de transport ayant pris une grande extension sur la fin du XIXe siècle, quelques régions de France spécialisées dans la production intensive du blé desservant toute la population, les petites exploitations céréalières locales disparurent peu à peu. Et la profession de meunier fut abandonnée.
Autrefois, ces braves gens à la blouse flottante, au bonnet poudré de blanc, passaient dans les campagnes prendre le blé à moudre ou alors attendaient la visite du paysan au moulin et le plus souvent nos ancêtres paysans faisaient le pain de ménage pétri et cuit à la main, conservé ensuite dans la huche. Chaque ferme gardait un reste de pâte aigrie. C'était souvent la ménagère qui mélangeait l'eau, le sel, la farine et le levain, brassait la pâte et cuisait les miches. On trouvait dans ces fermes un four chauffé par des fagots de brindilles qui donnaient au pain craquant un arôme particulièrement appétissant surtout si elles venaient des conifères de Janas.
La culture des céréales abandonnée progressivement, les faucheurs devinrent inutiles. Quelques-uns subsistèrent pour la récolte des foins, mais à leur tour nous les verrons disparaître avec les animaux de la campagne.
C'était un plaisir que d'observer le travail de la faux qui glissait au ras du sol, de voir tomber les tiges et s'aligner les andains sous les mouvements réguliers de l'outil empoigné par les mancherons et animé par le buste du faucheur qui tournait sur ses reins tandis qu'à sa ceinture se balançait le coffin de bois ou de corne, où trempait la pierre à aiguiser.
Avec le faucheur a disparu aussi le batteur de blé, quand nous allons de nos jours chez les Audibert, chez les Lubonis, nous trouvons encore trace de ces aires de briques rouges, parfaitement circulaires où les fléaux s'abattaient sur les épis craquants aux heures les plus torrides d'août, où les rouleaux de pierres cylindriques cannelées tirés par un fort cheval, séparaient les grains de blé des glumes et de la paille.
Dans les mêmes exploitations familiales, on retrouve les porcheries en ruine et leurs auges où grognèrent pendant plusieurs générations des truies et des gorets voraces, et dont la présence était signalée de loin par des odeurs très éloignées de celles de la rose.
Nos paysans élevaient des porcs pour leurs provisions personnelles mais aussi pour en faire commerce. Ce fut le cas pour la famille Gamel pendant très longtemps.
Si cette profession d'éleveur a quasiment disparu dans nos campagnes, elle a entraîné ipso facto celle de charcutier ambulant. Les familles paysannes modestes qui désiraient faire leur provision d'hiver en appelaient à ce spécialiste qui chaque jour faisait le tour des campagnes pour égorger un, deux ou trois porcs. Il passait au moins une journée à fabriquer la charcuterie, à préparer les salaisons, à confectionner des boudins, des saucisses, des cervelas, des crépinettes.
Sa journée était bien remplie et il lui fallait un bon moment avant de rentrer chez lui, pour nettoyer ses coutelas, sa boudinière, sa machine à hacher et tous les accessoires de sa profession.
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la population seynoise avait doublé par rapport à la période d'industrialisation des constructions navales en fer. Elle avoisinait 20 000 âmes. La paysannerie locale favorisée par la poussée démographique s'efforça d'accroître ses productions. Les horticulteurs édifièrent des serres pour avoir des primeurs, protégèrent les couches et les espaliers de paillassons. Ils voulurent arroser davantage et, pour ce faire, multiplièrent les puits et les norias, mécanismes composés d'une chaîne métallique porteuse de godets en zinc, actionnée par un long bras horizontal en mouvement vertical par un jeu de grosses roues dentées, alors la chaîne entraînait les godets vides vers le fond du puits et les remontait pleins pour se déverser dans une rigole d'arrosage.
Pour creuser de nouveaux puits ou approfondir les anciens, on avait recours aux puisatiers et aux sourciers. De nos jours, ces spécialistes ne se manifestent plus guère, les nappes d'eau ayant été décelées depuis bien longtemps.
Le travail du puisatier était tout simple. Il creusait, le plus souvent dans la boue, des puits préalablement asséchés. Le sourcier, lui, nanti d'une baguette de bois ou d'un pendule, décelait la présence d'une nappe d'eau aux vibrations de la baguette tenue entre l'extrémité de ses index ou mouvements du pendule. Mais, disaient-ils, pour exercer ce métier il faut avoir le fluide. Sa science évoquait presque une sorte de magie.
Les godets en zinc des norias avaient besoin de loin en loin de quelques réparations. La chaîne prenait du jeu, alors on appelait le ferblantier de la ville pour les soudures.
Il n'était pas rare que celui-ci sache remplir les fonctions d'étameur ou de rétameur.
Dans une bassine métallique, il faisait fondre quelques barres d'étain pour y tremper ensuite cuillères et fourchettes défraîchies. Dans nos campagnes, on l'appelait l'estamaïre ou encore l'estama. Cette profession a totalement disparu depuis plus d'un demi-siècle.
Vers la fin de Septembre, quand les vendanges tiraient sur leur fin, on voyait s'installer sur divers carrefours : au Pas du Loup, aux Plaines, à Saint-Jean,... les bouilleurs de cru pour la distillation des moûts de raisin. Même les plus petits producteurs étaient alors admis à bénéficier de quelques litres d'eau-de-vie (aigardènt) à un prix modique.
Autour du gros alambic à la cucurbite de cuivre, s'entassaient les cornues pleines de rafles rouges à distiller. Au bout du serpentin, goutte-à-goutte, était recueilli l'alcool que des amateurs venaient taster en donnant leur avis sur le degré.
Effectivement on assista dans la période de l'entre-deux-guerres, celles du XXe siècle, à la disparition de petits bergers seynois et six-fournais, une profession qui rendit bien des services à une époque où la fabrication des laitages n'avait pas pris encore un caractère industriel.
En 1848, on comptait à La Seyne une quinzaine de bergers et qui pour la plupart étaient aussi des laitiers. Certains d'entre eux fabriquaient des brousses, fromages blancs que le marchand vendait dans les rues en annonçant son passage par le son aigu d'une corne ou d'une trompette. L'intensification des échanges commerciaux, la difficulté croissante d'assurer la circulation des troupeaux sur les chemins et les routes, furent les causes de la disparition progressive des bergers et des laitiers. Pendant plusieurs décennies, on parla à La Seyne des Arnaud de Saint-Jean, des Talone de Tamaris, des Tosello du Pont de Fabre, des Simian de Janas, des Melouga de Sainte-Anne,...
Georgette Baroni fut, semble-t-il, la dernière marchande à livrer du lait à domicile, grâce à son paisible cheval que la circulation automobile intense chassa des rues vers 1960. Son souvenir reste bien vivace dans les générations du XXe siècle. Elle vendait le lait pour l'entreprise Arnaud. Son cheval connaissait toutes les adresses des clients et n'attendait pas les ordres de sa patronne pour s'arrêter où il fallait.
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Les vieux Seynois se souviennent avec attendrissement du passage dans les rues, même les plus étroites, du chevrier Melouga à la tête de son petit troupeau bêlant. La rue s'animait alors des clarines joyeuses des chevrettes et des accents plus sévères du cascavéou (grelot) au plus haut encorné de la bande, redouté surtout par la puanteur de sa robe velue. Les enfants se pressaient sur leur passage, taquinant les barbiches quand ils le pouvaient, pinçant leur nez en étouffant des cris d'horreur.
L'un s'écriait : " On peut bien dire que ça emboucane ! ". Un autre désirait acheter du lait.
- Deux sous ! M. Melouga. Alors le brave homme arrêtait sa troupe et triturant la mamelle gonflée d'une chèvre, remplissait un toupin de terre cuite vernie au-dehors.
- Moi ! je veux beaucoup de mousse ! disait la petite Jane Muratore.
Il ne disait pas non, le marchand : plus la mousse montait, moins apparaissait le niveau du lait dans le récipient.
Finies, ces scènes pittoresques de nos rues d'autrefois ! On imagine comment réagiraient les ruminants en présence des moteurs pétaradants et des gaz toxiques de l'échappement. Qu'on se rappelle les bousculades des garnements pour s'obliger mutuellement à marcher dans les crottins semés sur la route des animaux, la précipitation de certaines ménagères, pelle et escoubette en main pour récupérer l'engrais que les pots de géraniums attendaient sur les fenêtres.
Les profondes mutations de l'urbanisation ont bouleversé bien des choses. Les Seynois peuvent-ils encore parler de la vie champêtre alors que les pâtures, les vignobles et les bosquets ont fait place à des habitations coquettes, avec leur jardin d'agrément. Les géraniums et les rosiers ont remplacé les genêts épineux et les lentisques.
Les vignobles, les jardins potagers, les prairies ayant disparu pour la plupart, tous ces petits travailleurs de la campagne : bouilleurs de cru, bergers, laitiers, ouvriers et ouvrières agricoles, ramasseurs de sarments, vendangeurs ont quasiment disparu.
Regardons du côté de la forêt. On assiste aujourd'hui à une tentative de sa reconstitution après les dures épreuves subies à Janas par les incendies et la maladie des pins.
Quelques opérations d'essartage nous rappellent de loin le travail des bûcherons d'autrefois et des scieurs de long.
Les boscatiers ne connaissaient guère que la hache, la scie à main et l'herminette. Aujourd'hui, les brindilles sont brûlées sur place l'hiver, alors qu'autrefois les livreurs de fascines obstruaient les rues Carvin, Louis Blanqui, Baptistin Paul, et bien d'autres avec leurs lourdes charrettes arrêtées devant les fours des boulangers.
La résine n'étant plus exploitée, l'industrie chimique ayant pourvu à son remplacement, on ne voit plus depuis un demi-siècle déjà, le gemmeur s'affairer autour des tonneaux de bois gluant, qu'il remplissait par le contenu des petits pots fixés au pied des entailles. Le garde-forestier surveille maintenant son domaine, transformé de plus en plus en parc de loisirs.
Ne quittons pas Janas et surtout les éminences de Sicié sans rappeler les guetteurs qui scrutèrent le grand large pendant des siècles. Les premiers, abrités sommairement au point culminant de la commune (360 mètres), eurent pour mission de signaler l'approche des voiles des redoutables felouques sarrasines avant même la construction de la Tour qui fait face à la chapelle de Notre-Dame de Bonne-Garde et qui date de 1589. L'alerte était donnée par des flammes fuligineuses et transmise à d'autres guetteurs de l'intérieur, ceux de Six-Fours en particulier. À partir de là, toutes les dispositions étaient prises pour assurer la défense du territoire en cas d'une éventuelle agression.
Vers le début du XIXe siècle, après la découverte du télégraphe aérien de Claude Chappe, un poste d'observation fut établi en 1821 au surplomb du Cap Sicié à 330 mètres d'altitude qui devint le Sémaphore, nanti d'un puissant télescope chargé de signaler tous les passages de navires, les accidents de la navigation, l'approche de navires ennemis en cas de guerre, etc...
Cette construction détruite par les bombardements de la Libération en 1944, n'a pas été remplacée. Les postes de guetteurs ont disparu. Ceux de nos concitoyens chargés de cette fonction ont passé une grande partie de leur vie au sommet du promontoire sauvage de Sicié dans des conditions quasiment monacales. En ce temps-là, les congés étaient rares et les distractions monotones. Pendant la mauvaise saison, les intempéries obligeaient notre guetteur à se claquemurer, le regard toujours rivé vers l'horizon infini.
Il attendait deux personnages au moins chaque semaine. Le préposé au ravitaillement qui gravissait les pentes de Sicié en passant par le chemin sinueux de Bramas. Le dimanche, généralement, sa femme et ses enfants lui rendaient visite et passaient la journée avec lui. Ils lui apportaient des nouvelles de la ville, quelques journaux et aussi des gâteries.
À la belle saison, beaucoup plus supportable, notre guetteur quittait par moments le télescope, observait le chemin de Bramas où aurait pu se profiler une sinistre silhouette de gendarme ou d'un inspecteur de l'administration. Il se hâtait ensuite de poser des pièges et des lacets pour améliorer son ordinaire. Toutes les petites ressources naturelles ne lui échappaient pas : salade sauvage, champignons, asperges... Dans une certaine période, les guetteurs furent autorisés à élever quelques animaux de base cour... Et le temps passait plus agréablement. La saison touristique lui procurait quelques attraits supplémentaires et les visites de promeneurs d'origines lointaines lui apportaient des nouvelles extraordinaires qui retenaient toute son attention.
Métiers de l'artisanat et du petit commerce
De tout temps ces métiers ont été les plus nombreux. La ville avec ses ateliers, ses administrations, ses transports, ses entrepôts présente des sources d'activités infiniment variées. Depuis le Moyen Age existent des bouchers, des boulangers, des épiciers, des négociants, des libraires, des maçons,...
Chaque découverte de la science est suivie d'applications pratiques, d'entreprises et de spécialisations nouvelles d'où il découle nécessairement de nouveaux métiers.
L'utilisation de la vapeur n'a-t-elle pas permis à des milliers de travailleurs de devenir mécaniciens ?
L'énergie électrique exploitée seulement vers la fin du XIXe siècle n'a-t-elle pas donné naissance à de nouveaux métiers : monteur électricien, conducteur d'engin, soudeur électrique, etc...
Par contre le développement considérable de la grande industrie et des fabrications en série a conduit à la disparition des petits métiers artisanaux, surtout dans les grandes villes.
Il y avait dans notre enfance beaucoup de chevaux dans les rues parce qu'ils étaient encore la plus grande force énergétique au service de l'homme. Sur les grandes voies de communication, le chemin de fer avait supplanté les diligences vers la fin du XIXe siècle.
Mais, dans les villes, pendant un demi-siècle, le cheval continua de transporter des voyageurs et des matériaux en tout genre. C'est bien pourquoi il existait des bourreliers, des charrons des carrossiers, des maréchaux-ferrants.
L'un des spécialistes bourrelier bien connu à La Seyne fut M. Martin, de l'avenue Gambetta. Il avait fort à faire pour fournir aux cultivateurs, aux transporteurs tous les harnachements compliqués des attelages : colliers de trait ornementés de gros clous cuivrés luisants, licols, brides, sous-ventrières, que l'on cirait de temps à autre surtout pour les chevaux d'agrément et de cérémonie.
Des charrons (rodier), il en exista en différents points de la ville à l'avenue Gambetta, à la place des Esplageoles, au Pont de Fabre. Les plus anciens confectionnèrent des charrues, des herses, des petits véhicules, même. Par la suite, leur travail ordinaire devint l'entretien des roues et le cerclage : travail particulièrement délicat imposé par l'allongement des cercles de fer roulant sur les pavés, tandis que les jantes en chêne ou en frêne s'étaient rétrécies par dessèchement. Pour supprimer le jeu des cercles, il fallait leur redonner un diamètre inférieur puis les chauffer pour les dilater, enserrer la roue en bois, refroidir brusquement par des projections d'eau.
L'attention des badauds étaient toujours attirée par le travail des charrons que l'on pouvait confondre avec les forgerons, qui n'arrêtaient pas de battre du fer rougi sur l'enclume.
Quand le père Cheylan, établi à La Seyne depuis 1909, place Baptistin Paul, frappait à grands coups de marteaux et façonnait des fers à cheval, des curieux s'arrêtaient toujours devant son atelier. Du métier de forgeron qu'il pratiqua dans sa jeunesse il n'y avait qu'un pas pour devenir maréchal-ferrant qu'on appelait autrefois manescau. Sa présence était signalée de fort loin par les tintements répétés de l'enclume et l'âcre odeur de la forge. Quand les paysans des environs venaient chausser de neuf leurs bêtes, alors l'odeur de la corne brûlée des sabots se répandait dans tout le quartier.
Les enfants s'attardaient toujours à regarder fonctionner le gros soufflet de forge actionné par une lanière et grâce auquel le fer rougissait sur le charbon de pierre ou le coke. Ils admiraient les coups de marteaux puissants et précis qui obtenaient du métal la plus grande obéissance.
Ils s'extasiaient devant la patience du cheval à qui l'on coupait les cornes des sabots à coup de tranchets et on s'étonnait de ne pas le voir souffrir quand l'artisan enfonçait des clous dans ses pieds et limait ensuite les bavures.
Aujourd'hui, avec la pratique du sport équestre, les maréchaux-ferrants n'ont pas tout à fait disparu, mais ils sont devenus rarissimes, à La Seyne comme ailleurs.
La disparition quasi totale des chevaux eut donc pour conséquence la cessation de plusieurs activités pratiquées depuis des siècles par nos ancêtres. Avec les charrons et les maréchaux-ferrants disparurent aussi les maquignons qui s'affairaient autour des bêtes les jours de foire, observant attentivement la dentition, la finesse et la souplesse des musculatures avant de conclure une affaire.
Rappelons-nous aussi la silhouette altière de nos cochers de fiacres et de calèches soucieux de la bonne tenue de leur attelage attendant la clientèle des gens d'affaires et des promeneurs, au coin même de la rue Hoche où se trouvent aujourd'hui les taxis. Les anciens évoquent toujours les jurons de Gigi, de Pierre Canals, et bien d'autres qui travaillèrent pour les entreprises de transport hippomobiles Pellegrin, Prat, David... Ils exerçaient la profession de livreur accompagné souvent d'un homme de peine suivant la nature des matériaux ou des marchandises. Ces travailleurs, avec l'usage, avaient pris des spécialités.
Gérome distribuait au boulanger de la ville les balles de farine de cent kilos, Jourdan leur apportait les fascines bien sèches en provenance de la forêt de Janas, Gigi retirait les colis de la gare et les acheminait vers leur destinataire, ce qui ne manquait pas avec l'accroissement des activités citadines, de provoquer des embarras dans les rues étroites.
Les livreurs de cette génération disparurent avec les chevaux. Quelques-uns, parmi les moins âgés, réussirent à se recycler en prenant un permis de conduite automobile.
Longtemps après l'apparition des premières camionnettes, les livraisons se firent avec des charretons tirés par des hommes, ou des chariots et des carrioles tractées par des mules ou des bourricots et même par le moyen de brouettes.
Gérome était le type même du débardeur (à ne pas confondre avec le portefaix), profession très en vogue avant l'invention des petits véhicules motorisés.
Les engins de levage évitent bien des fatigues aux hommes d'aujourd'hui. Mais, au temps de Djéromé, c'est ainsi qu'on appelait cet homme devenu populaire par ses performances de travail, mais aussi par la quantité de vin qu'il lampait chaque jour, au temps de notre célèbre débardeur, il en allait autrement.
Il faisait toujours l'admiration des passants à la fois par sa carrure colossale, ses larges épaules, ses mains énormes et velues et surtout par son style de travail.
La tête protégée par un coin de sac retourné, tournant le dos à l'arrière du char à plateau, légèrement courbé, notre homme attendait ses charges de farine, des sacs de cent kilos qu'un aide tirait comme il pouvait par des oreilles de chanvre et faisait basculer prudemment. Dans un premier temps, les jambes du débardeur fléchissaient puis par des mouvements combinés du tronc, des épaules et des membres, l'équilibre étant obtenu, Gérome posait ses mains sur les hanches et de son pas lourd, il franchissait le trottoir, puis le couloir puis l'escalier conduisant à l'étage où se trouvaient le pétrin et la farinière.
Dans les maisons de la basse ville, les entrepôts de farine ne se trouvaient jamais au rez-de-chaussée par crainte de l'humidité. Et notre colosse recommençait cette opération jusqu'à dix fois de suite. À la dernière descente, il secouait son blouson et son pantalon de velours et du nuage blanc de cette belle farine de froment, les sourcils et la moustache s'imprégnaient encore.
La corvée terminée, le patron boulanger l'invitait dans l'arrière-boutique :
Et si les impatiences du cheval piaffant sur les pavés, n'avaient pas rappelé à l'ordre les buveurs, une bouteille n'aurait pas suffi à les satisfaire.
Les vieillards d'autrefois, quasiment impotents, se tenaient devant leur porte, assis sur un banc de bois ou une chaise empaillée et passaient la majeure partie de leur temps à observer les passants et les gagne-petits de la rue.
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Ceux demeurant au bas du marché étaient les plus favorisés. La place du Marché, place Laïk aujourd'hui, était le coeur même de l'activité seynoise. On y trouvait chaque jour le rémouleur et sa machine à pédale actionnée pour entraîner une grande roue reliée à la meule par une courroie de transmission. L'énorme disproportion entre la grande roue motrice et la petite meule explique la vitesse considérable de cette dernière sur laquelle défilaient ciseaux, couteaux, coutelas de boucherie et autres instruments tranchants.
L'aiguiseur, généralement, ne travaillait pas en ville les après-midi. Il allait à la rencontre de sa clientèle dans les campagnes où l'on appréciait grandement ses services. De fort loin, il vociférait un appel à peine intelligible " Es aqui lou remoulaire " (Il est là le rémouleur). Les paysans, même les plus pauvres, n'osaient pas le laisser passer sans lui donner un travail à faire.
Par contre ils étaient moins empressés quand ils entendaient les énormes ciseaux de tondeurs de chiens agités d'un mouvement perpétuel par la main de l'homme basané à la moustache noire tombante, coiffé d'un grand chapeau de feutre à larges bords dissimulant un regard scrutateur qui incitait les paysans à ne rien laisser d'utile traîner aux environs de la ferme.
Il n'était pas rare dans ce temps-là de voir déambuler sur les chemins poudreux la silhouette du chiffonnier sur le dos duquel balançait un grand sac de chanvre où il entassait lambeaux d'étoffes, guenilles en tout genre pour les revendre à des fabricants de pâte à papier. La collecte n'était pas tellement fructueuse à la campagne car nos braves paysans reprisaient leurs hardes autant qu'ils le pouvaient. Aussi le chiffonnier annonçait-il son passage de fort loin en chantant à tue tête : "Pèu de lebre, pèu de lapin !" sur l'air d'une ritournelle répétée cent fois par jour.
Les peaux de lapin d'élevage, les peaux de lièvre du braconnage, se vendaient à un prix intéressant, c'est-à-dire quelques sous à l'époque.
Le chiffonnier croisait quelquefois les colporteurs à la recherche d'une clientèle isolée stable.
Il existait celui qui se faufilait à pied par des sentiers tortueux poussant devant lui une espèce de coffre en bois vernis, monté sur quatre petites roues et dont la contenance pouvait satisfaire tout un quartier en café, épices, chocolat, sucre et autres denrées non périssables..., des articles de mercerie par exemple : bobines de fil, aiguilles, boutons.
Un autre colporteur se chargeait de distribuer des denrées de manipulation plus délicate : le pétrole, combustible en usage pour les lampes et les réchauds, l'huile d'olive vendue au détail, le savon de Marseille, le charbon de bois. Celui-ci en provenance des forêts du haut Var se vendait en sacs de deux ou cinq kilos.
On l'utilisait beaucoup pour la cuisine. On l'enflammait au moyen de quelques bûchettes de bois gras sur un fourneau avec grille de fonte, surmonté d'une espèce de petite cheminée en tôle appelée vulgairement le diable pour accélérer la combustion. Quand le charbon rougissait, le fourneau était prêt à recevoir poêlons et marmites en terre pour la préparation des repas.
Au début du siècle, l'utilisation du gaz de ville n'était réservée qu'à des privilégiés.
Le vendeur de combustibles eut pendant longtemps l'autorisation d'écouler des boîtes d'allumettes. Le monopole d'État n'intervint qu'en 1872.
Ce colporteur se déplaçait au moyen d'une charrette à deux roues tirée par un coursier léger. Sa clientèle était assurée dans les campagnes : chaque semaine on attendait le pétrole, l'huile, le charbon, le bois gras, le savon, les allumettes.
Mais c'est à la ville que l'on trouvait le plus grand nombre de petits métiers. Il nous faut rappeler le rempailleur de chaises, métier qui n'a pas totalement disparu (mais en régression) s'exerçant lui aussi sur la chaussée ou les trottoirs, celui du porteur d'eau qui amenait dans les maisons bourgeoises jusqu'à 50 litres d'une eau pure contenue dans une outre en peau de bouc solidement cousue, portée en bandoulière, cela dans les périodes d'une extrême sécheresse.
Du brouhaha de la rue, on entendait parfois se détacher un cri puissant et bref : Vitrier ! Alors on repérait un bonhomme en veston de coutil bleu et casquette grise dont le harnachement supportait un grand cadre de bois où s'enchâssaient des vitres de dimensions diverses. En lançant son cri, il levait la tête et observait les fenêtres, dans l'espérance de les voir s'ouvrir et d'entendre une ménagère appeler : " par ici, Monsieur ! ".
Aux appels du vitrier se mêlaient fréquemment ceux du raccommodeur de faïence et de porcelaine. Ce modeste artisan de la rue, généralement méticuleux, se chargeait aussi de la réparation des parapluies. On lui apportait des vases, des plats, des marmites, des objets d'art ébréchés qu'il recollait, agrafait en dissimulant du mieux possible les rafistolages, afin que l'esthétique n'en souffrit pas trop.
En ce temps-là, les gens du peuple possédaient infiniment moins qu'aujourd'hui. Ils attachaient beaucoup plus de prix à leurs petits objets personnels, ce qui explique leur souci d'en faire durer l'usage. Les ménagères prenaient beaucoup de leur temps au raccommodage, au rapiéçage. Elles ravaudaient le linge de corps, les vêtements, les coiffures, pendant que les papas équipés du matériel sommaire du cordonnier découpaient des semelles ou remplaçaient des talonnettes. On savait tirer parti de tout, on épargnait et l'on connaissait bien le prix de l'argent.
Un autre type curieux de profession se manifesta pendant longtemps dans les rues de la ville surtout à partir de la vulgarisation du cinéma muet. Pour la diffusion des programmes et des titres sensationnels on apposait bien des affiches sur les murs. Ce moyen était coûteux et d'une efficacité douteuse. Alors les directeurs de spectacles avaient imaginé la confection de panneaux en cartons ou en bois légers suspendus sur la poitrine et le dos d'un porteur. Les affiches collées des deux côtés ne pouvaient échapper à la vue des gens, le porteur les amenant sous leur nez.
Ce métier n'exigeait pas de qualification très élevée, et l'on appelait homme-sandwich ou homme-réclame celui qui le pratiquaient en échange d'une rétribution minime.
S'il s'agissait de publicités plus importantes, l'homme réclame tirait alors sur les bras d'un charreton sur le plateau duquel on avait fixé deux grands panneaux rectangulaires écartés à la base, se rejoignant au sommet par une arête commune.
Cet employé de la publicité circulait dans toutes les rues de la ville en marquant des arrêts aux carrefours les plus vivants. Alors, d'une voix glapissante, il incitait les passants à venir assister au spectacle annoncé par les affiches.
L'arrêt le plus long, celui de la place du marché (Place Laïk aujourd'hui) faisait accourir les curieux. On commentait déjà le spectacle qui se déroulerait à l'Eden-Théâtre, au Kursal, aux Variétés, à L'Odéon ou peut-être encore sur la Place de la Lune.
On parlait de la pantomime, du théâtre Chichois, des frères Fortune, de Georgel, de Bertin,... et bien d'autres. Sur cette place du Marché, des saltimbanques se produisirent pendant plus d'un siècle. Nos plus anciens témoignent du passage du montreur d'ours, des faiseurs de tours, des acrobates et surtout de ces jeunes bohémiennes haut perchées sur des échasses et qui valsaient éperdument aux rengaines d'une viole ou d'un orgue de barbarie devant des nuées de marmots cloués d'admiration.
Pendant ce temps, les patrons de la troupe, des tziganes cuivrés, installés devant leur roulotte, place des Esplageoles attendaient la recette. Les passants regardaient de loin le véhicule vert poireau aux vasistas fermés par des étoffes rouge sale.
Une vieille femme au visage desséché, évoquant une sorcière, s'affairait autour d'un feu de bois et d'un chaudron où cuisait, pour toute la troupe, un brouet clair, agrémenté de quelques abats quémandés chez le tripier de la rue Carvin. Au moment où les spectacles de la place prenaient fin, quand les bohémiennes agiles avaient terminé la collecte de menues pièces de bronze, il n'était pas rare de voir surgir, au milieu du rassemblement, un grand napolitain aux larges pantalons bouffants de charpentier, tendant à bout de bras son grand chapeau de feutre noir. Il s'écriait en essayant d'apitoyer les badauds : " Morte di fame ! ".
À ce monde du spectacle de la rue se rattachaient aussi les chanteurs ambulants accompagnés d'une viole ou d'un violoneux qui vendaient les textes et la musique des chansons populaires du moment et il nous revient en mémoire : Ramona, Nuit de Chine, Valencia, C'est mon homme, Mes parents sont venus me chercher et la liste serait bien longue à écrire...
Vers le début de notre siècle, La Seyne connut des périodes de chômage prolongé et les italiens immigrés en souffrirent cruellement. On en vit beaucoup parcourir les campagnes, contraints à la rapine ou à la mendicité.
Certains se convertirent en petits marchands ambulants, les uns écoulant la camomille du Piémont ou le Pipermin des montagnes, d'autres organisèrent des lotos clandestins ayant pour enjeux des coquillages, de beaux poissons ou du gibier de contrebande.
On en vit s'établir comme décrotteurs publics. C'était toujours amusant de voir s'installer un monsieur huppé sur un siège surélevé étendant ses deux pieds en avant sur des appuis fixes. Il déployait généralement son journal pendant que le cireur de chaussures retroussait soigneusement le bas de ses pantalons avant d'opérer le grattage des souillures et le lustrage des cuirs. Cette profession a totalement disparu chez nous. Elle nous conduit à penser à la corporation des cordonniers. Cette dernière n'a pas disparu tout à fait, mais les exemples sont devenus rares. L'image traditionnelle du pégot assis sur sa chaise basse, coupant les semelles de cuir avec son tranchet, trouant la matière avec son alêne, cousant avec le ligneul, changeant les semelles et les talonnettes. Cette image n'est plus trop familière de nos jours. Les méthodes de confection et la nature des matériaux ont changé profondément. Les gens, moins qu'autrefois, ont le souci de réparer pour faire durer.
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Éloignons-nous du centre de la ville. Portons nos pas vers le quartier Cavaillon, à proximité du centre médico-scolaire. En montant la rue Jacques Laurent, à main gauche, exista tout près de la chapelle des Pénitents blancs aujourd'hui disparue, un tailleur de pierres. Sa place en ce lieu se justifiait par la proximité du cimetière qu'il fournissait en pierres tombales, plaques commémoratives, urnes et autres articles funéraires en pierre taillée et polie.
Pendant longtemps, cet artisan ne disposa d'aucun engin mécanique pour couper les blocs de pierre brute. Il utilisait une scie à lame très longue avec poignées verticales à chaque extrémité, la loba. Le mot francisé donnait la loube, actionnée par deux hommes tirant chacun de leur côté.
À chaque va-et-vient, une fine poudre blanche ou grise sortait de l'entaille qui ne se creusait de façon visible qu'après plusieurs heures de travail.
Avec son ciseau et son maillet, il équarrissait, façonnait, gravait. Ce métier délicat n'a pas disparu et les techniques modernes nous font oublier le travail patient que les Seynois admiraient en passant devant la petite entreprise Carle.
Cet artisan a laissé dans notre ville beaucoup de souvenirs. Il aimait le travail bien fait et se plaisait à dire en terminant son ouvrage : " ce que j'ai fait durera longtemps après moi ".
C'est bien ce que les bâtisseurs de l'Antiquité auraient pu dire, eux dont nous admirons toujours les oeuvres d'art. Plus simplement, tout près de nous, pensons à nos ancêtres tailleurs de pierre qui façonnèrent les bordures de trottoir de la basse ville, les dalles de la poissonnerie dont certaines datent de 1639, les bancs énormes et massifs que l'on trouvait au boulevard du 4-Septembre quelques années encore après la guerre. Nous revoyons encore la mine réjouie et les mains massives de notre ami Bonnafoux qui fut probablement le dernier artisan seynois à manier l'aiguille et la boucharde pour réparer les trottoirs détruits par les bombes.
Un métier qui fit longtemps la curiosité des enfants fut celui du préposé de l'usine à gaz chargé d'éclairer les artères principales. On ne savait pas exactement son appellation. On disait l'éclaireur public ou encore l'allumeur de réverbères. À vrai dire, ce n'était pas un métier, c'était une fonction assurée par un employé de l'usine à gaz construite depuis 1864 sous le second Empire.
À partir de la houille, cette usine fabriquait le gaz d'éclairage, qu'elle distribuait par des canalisations souterraines à des réverbères placés en divers points de la ville à des carrefours particulièrement fréquentés.
Ces appareils fixés à plusieurs mètres au-dessus de la chaussée pour éviter les mauvais tours des gredins en mal de vandalisme, se composaient d'une armature métallique scellée dans les murs et d'un fanal à quatre faces vitrées dont l'une articulée pouvait s'ouvrir de l'extérieur.
En quoi consistait le travail du préposé à l'éclairage ?
Aux dernières lueurs du jour, on le voyait parcourir la ville, portant sur son épaule une longue perche fumante à l'extrémité. Arrivé au pied de chaque réverbère, il devait, avec l'extrémité de la perche, ouvrir la porte vitrée du fanal et le robinet d'arrivée du gaz, introduire à l'intérieur l'extrémité de son outil au bout duquel une mèche de corde se consumait. Dès que la flamme apparaissait, il fallait refermer la porte du fanal afin de protéger la lumière des courants d'air.
On admirait la dextérité de ce travailleur silencieux qui répétait ces opérations plusieurs dizaines de fois par jour pour le centre de la ville seulement.
L'éclairage de la périphérie n'intervint que plus tard au fur et à mesure du peuplement des quartiers.
Chaque matin, dès l'aube, notre préposé à l'éclairage effectuait la même tournée pour éteindre les réverbères avec des gestes plus simples cette fois, car il suffisait de couper l'arrivée du gaz.
L'éclairage des rues au gaz de houille disparut vers 1925, au moment où l'usage de l'électricité se répandit. Il n'apportait aux gens que des lueurs blafardes, suffisantes pour leur permettre de se diriger dans les rues. Par rapport aux lampes à huile, il représenta tout de même un progrès appréciable.
Métiers de la mer et de la construction navale
Ce fut une nécessité impérieuse pour l'homme de la Préhistoire que de rechercher la vie sur les rivages. Qu'il s'agisse des bords maritimes, des rives, des fleuves ou des lacs, il y trouva des conditions d'existence favorables. Il sut y exploiter toutes les ressources aquatiques nécessaires à sa subsistance.
L'eau des mers et des cours d'eau lui permit de se déplacer, mais l'obligea à imaginer des moyens de transport. Le radeau qui reliait les cités lacustres où il trouva une protection relative fut à l'origine de la construction navale.
Quand il sut tirer parti de toutes les ressources locales, il entreprit d'aller plus loin pour en découvrir d'autres. Leur exploitation devenant supérieure à ses besoins de consommation, il pensa alors à troquer et à vendre. Il apprit plus tard à conserver, à sécher, à fumer, à saler. Son génie inventif lui permit de construire des bateaux plus gros, plus sûrs, plus rapides.
Comme l'homme d'aujourd'hui, il voulait toujours plus.
Les métiers de la construction navale prirent leur essor et avec eux, inséparablement, les métiers de la pêche avec des formes multiples pour en venir à toutes les variantes de l'halieutique que nous connaissons aujourd'hui.
Notre propos n'est pas ici de décrire tous les métiers de la mer mais de constater d'abord leur évolution, puis la disparition de certains d'entre eux due aux changements intervenus dans les milieux naturels et dont l'homme porte le plus souvent la grande responsabilité. Nous nous limiterons à notre environnement local : la rade de Toulon, les baies de La Seyne et du Lazaret.
Leurs rivages paisibles et accueillants offrirent aux premiers hommes une faune d'une richesse extraordinaire. Les espèces marines comestibles étaient si nombreuses et si variées que des centaines de familles vivaient de leurs captures et du commerce qui suivait.
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Beaucoup plus tard, sur la fin du XIXe siècle, la pêche fut complétée par la mytiliculture et l'ostréiculture.
Toutes ces activités persistent de nos jours, mais elles ont perdu beaucoup de leur prospérité d'antan.
Si le nombre de pêcheurs plaisanciers a augmenté considérablement, celui des professionnels par contre est réduit à quelques dizaines d'unités.
Ces braves gens de la mer sont contraints à travailler beaucoup pour gagner leur vie à peu près correctement et à la condition expresse de posséder un équipement moderne.
Les gagne-petit de la mer, les pêcheurs du pousse-avant, les ravageurs, les escaveniers, les aubijaïres, ont disparu. Ils étaient bien sympathiques ces personnages folkloriques. Rappelez-vous les anciens ! Quand vous longiez la route de Tamaris le dimanche matin, vous étiez toujours curieux d'observer un engin de pêche tout simple formé d'une armature en bois trapézoïdale, tenue par un manche, où s'accrochait un filet en forme de poche.
En poussant le manche devant soi, l'engin draguait à faible profondeur et se remplissait d'algues, de petits poissons, de crabes de crevettes... Le pêcheur marchait dans l'eau jusqu'au ventre et s'arrêtait souvent, le pousse-avant relevé pour récolter ses prises et les répartir dans des sachets en toiles pendus à sa taille.
L'administration maritime décida un jour, et c'est bien compréhensible, d'interdire ce mode pêche dévastateur des fonds marins. Il en fut de même pour la pêche au gangui qui consistait à draguer les fonds d'herbiers non pas en poussant mais en traînant un filet volumineux en forme de sac conique dont l'embouchure était tenue béante par une armature de fer. Les prises ramenaient sur le pont, du poisson de bouillabaisse, des langoustes, des poulpes, des crabes,... et aussi... hélas ! les herbiers dont la reconstitution serait laborieuse.
Les escaveniers se livraient à la capture des vers marins vendus pour la pêche. Sur les bords vaseux de la baie du Lazaret, on les voyait demi-nus creuser profondément au moyen d'une pelle-pioche à large ferrure, renverser les mottes de lise croulantes et les fouiller de leurs dix doigts à la recherche des escavènes fugitives. Les captures abondantes en ce temps-là procuraient quelques menues ressources à ces vendeurs d'esches.
Leur tâche terminée, il leur fallait se nettoyer de pied en cap pour se défaire de l'odeur nauséabonde des eaux croupissantes et de la vase, après quoi ils s'en allaient emportant leur outil et surtout le calot feutré au fond duquel grouillait la vermine marine tenue au frais par quelques algues, des ulves de préférence.
D'autres escaveniers mieux nantis disposaient d'un bateau qu'ils mouillaient au-dessus des mates avec des amarrages serrés à de longs piquets (les partègues) plantés à l'avant et à l'arrière assurant ainsi une meilleure stabilité.
Ils utilisaient alors un énorme râteau aux dents très longues qu'ils enfonçaient dans les fonds estimés favorables en arrachant de lourds fragments d'algues et de vase qu'il fallait monter à bord, farfouiller patiemment dans l'espoir de découvrir un mouredu. Il s'agissait là de gros vers à tête ferme dont la longueur pouvait atteindre trente centimètres et dont les poissons sont particulièrement friands. Ce travail imposait de grandes fatigues et n'était pas très lucratif, chaque remontée du râteau n'étant pas toujours bénéfique. Au fil des années, les fonds marins se détruisaient. Les vers se raréfiaient, les pêcheurs de mouredus aussi.
Pour la sauvegarde du milieu naturel, cette activité fut interdite. Une autre activité pratiquée par des individus quelque peu marginaux au tempérament libertaire affirmé, faisait presque figure de profession. C'était celle des ravageurs.
Ce vocable désignait autrefois ceux qui ramassaient des débris de ferraille ou d'étoffes pour en faire commerce. Sur nos rivages, il s'agissait de ceux qui vivaient de petits larcins. Ils ramassaient bien du bois rejeté par la mer pour se chauffer ou faire leur tambouille, mais ils n'hésitaient pas à visiter nuitamment les parcs à moules, à vider de leur contenu les nasses calées par d'autres.
Ils s'associaient parfois à l'engeance des contrebandiers ou des braconniers de la mer. Généralement ils avaient le goût de ce qui est défendu. La gendarmerie maritime et la douane avaient fort à faire avec ces coquins dont certains s'étaient fait une auréole de gloire par leurs exploits.
Les vieux bâtiments de guerre ou de commerce promis à la ferraille échoués sur les rivages de Brégaillon attendaient de longs mois avant de disparaître à jamais. Leurs coques se couvraient de moules énormes qui devenaient la proie des ravageurs.
Alors, choisissant les nuits les plus noires, ils allaient faire le plein de leur yole minuscule, se faufilant entre les épaves aussi discrètement que possible pour tromper la vigilance des douaniers. On se souvient encore des aventures du Grand Titou et de ses démêlés avec la Marine Nationale qui lançait des vedettes à sa poursuite.
Que de fois, la yole s'échouait à quelques mètres de la terre ferme hors d'atteinte du poursuivant qui s'enlisait loin du rivage. Alors les ravageurs se hâtaient de décharger leur cargaison attendue par d'autres complices.
Le second-maître commandant la vedette avait droit à des gestes obscènes qui le rendaient rageur mais impuissant.
L'état de ravageur n'a certes pas disparu, mais il a pris des formes multiples qui appelleraient de longs développements.
Et l'aubijaïre ? Etait-ce vraiment un métier que pratiquait ce pêcheur de l'aube ? Non pas ! Mais il y a un siècle la baie du Lazaret était si riche en espèces animales comestibles que les petits pêcheurs pouvaient gagner leur vie par ce moyen.
En quoi consistait leur activité ?
Par temps calme, on les voyait s'avancer lentement sur les herbiers, les clairières et les mates de la petite mer. La foène (fouine) à portée de main, ils maniaient surtout la grapette avec une grande habileté et remplissaient un panier grillagé traînant au fond de l'eau, tout ce qu'ils trouvaient de comestibles : oursins, moules rouges, coquilles Saint-Jacques, bigorneaux, orties, violets... Quand les praires, les coques et les clovisses invisibles trahissaient leur présence en lâchant des bulles par leurs siphons, la grapette s'enfonçait pour retirer les bivalves.
Les belles favouilles vertes se laissaient prendre bêtement pinçant désespérément les dents de fer de l'engin qui passait devant elles. Et de loin en loin malgré les raffinements de leur mimétisme, les seiches à l'affût et les poulpes indolents se faisaient harponner mortellement. Et pendant ce temps-là, à proximité de ces lieux de pêche, des nasses se chargeaient du petit poisson de soupe et les palangres de la grillade. Il est bien difficile d'en faire autant aujourd'hui.
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Les métiers de la construction navale existent depuis la plus haute Antiquité et, pendant des millénaires, l'homme n'utilisa guère que le bois dans la fabrication des bateaux. Le nombre de spécialistes restait limité aux charpentiers, aux calfats, aux lesteurs, aux cordiers, voiliers et gréeurs.
Ils existent encore pour la plupart avec des inégalités suivant les régions. Sur notre rivage, on ignore maintenant ce que furent les calfats ouvriers de la navale chargés de coincer entre les bordages, la filasse qui assurait l'étanchéité des coques après le gonflage du bois. Ce métier très répandu dans nos chantiers maritimes jusqu'au début de notre siècle, disparut peu à peu avec la généralisation des constructions métalliques. On ne parle plus des lesteurs, ouvriers dont la fonction consistait à placer au fond des cales des poids sous la forme de sacs de sable ou de gueuses de fonte pour assurer aux navires une parfaite stabilité.
Ce travail exigeait tout de même une certaine précision, l'équilibre étant obtenu par un dosage rigoureux des poids de part et d'autre de l'axe longitudinal du navire alors qu'une règle verticale devait coïncider avec un fil à plomb.
Les progrès de l'industrie sous toutes les formes possibles, l'utilisation de nouveaux matériaux, les changements spectaculaires intervenus avec la maîtrise de nouvelles sources d'énergie : la vapeur, l'électricité, les hydrocarbures... provoquèrent en quelques décennies la naissance et le développement de nouveaux métiers, la formation nécessaire de spécialistes.
Avec les constructions mécaniques sont venus des charpentiers travaillant le fer, les tôles, les cornières. Des spécialités ont découlé de la division du travail : les traceurs, les perceurs, les riveurs, les chanfreineurs, les frappeurs,...
Avec la soudure électrique, le riveur et le chanfreineur ont disparu de la construction navale.
Rappelons au passage ce que fut ce travail harassant qui consistait à fixer des rivets pour l'assemblage des tôles, un travail d'équipe où trois hommes étaient nécessaires pour la pose de chaque rivet. L'un chauffait la pièce au rouge sur la forge puis l'engageait dans les trous d'assemblage. Alors, un deuxième ouvrier appliquait une lourde masse sur la tête du rivet. Il s'appelait le teneur d'abattage. Puis le troisième homme, à grands coups de marteau écrasait l'extrémité saillante du rivet pour lui donner une forme semblable à la tête. Et il fallait se hâter, avant que le métal ne perde pas trop vite sa malléabilité.
Toute une journée était nécessaire pour plaquer une seule tôle sur la coque du navire.
Le métier de chanfreineur consistait lui, à évaser les trous destinés à recevoir les têtes de certains rivets. Il a pratiquement disparu. Ces deux spécialistes, riveur et chanfreineur, existent encore au niveau artisanal, mais, dans la construction navale, la soudure électrique a contribué à leur disparition et la peine des hommes a été allégée considérablement. Les traceurs existent toujours, mais ils ont moins de soucis que leurs pères, l'électronique travaillant pour eux.
Dans la menuiserie, une spécialité disparue à jamais est celle des scieurs de long, ouvriers qui tiraient alternativement sur une longue lame de scie pour couper dans les troncs d'arbres les bordages qu'on clouait ou vissait sur les membrures du futur navire.
Un métier totalement disparu, à La Seyne du moins, et qu'il est difficile de rattacher à une rubrique particulière est celui de pouleur.
Cette spécialité a existé à Lagoubran. Pourquoi sur ce point de la ville ? Parce qu'il y eut un hippodrome et en langage de turfiste le pouleur désigne celui qui joue à la poule autrement dit celui qui s'occupe des paris. Rappelons qu'en termes de sport, la poule est la masse des mises des parieurs sur le turf (rapprocher avec le tiercé d'aujourd'hui).
Fonctionnaires - Professions libérales
La première administration municipale fut mise en place à La Seyne le 22 Avril 1658 sous la présidence d'un Conseiller du Roi, et en présence du viguier magistrat chargé de rendre la justice. Elle comprenait trois consuls, dont l'un prit le titre de Maire, et des Conseillers municipaux.
Ces édiles n'étaient pas élus, mais choisis parmi les notabilités c'est-à-dire les possédants.
Indiquons au passage que pour être Conseiller municipal il fallait être reconnu de bonne vie et moeurs, savoir lire et écrire, être inscrit au livre terrier (cadastre), pratiquer la religion catholique et affirmer toutes les qualités d'un fidèle sujet du Roi.
Les consuls et les conseillers avaient sous leurs ordres des préposés spécialisés qu'on pouvait qualifier de fonctionnaires. Il y en eut une dizaine pour notre commune. C'est dire combien l'administration de l'époque était à l'état embryonnaire.
Certains emplois ont totalement disparu ; d'autres existent encore sous des appellations différentes. Aujourd'hui on ne parle plus du trésorier de la commune mais du receveur municipal. Les problèmes financiers se sont posés en tout temps et, à l'origine de la commune, il fallut équilibrer recettes et dépenses. On n'emploie plus l'expression sergent de ville, fonctionnaire chargé autrefois du respect de l'ordre public. Peut-être est-elle encore en usage dans les plus petits villages de France.
Nous avons aujourd'hui les agents de la police municipale. Même remarque à propos du garde champêtre, responsable autrefois de la police rurale (respect des propriétés, des récoltes, protection du gibier,...). Dans les villages, il joue quelquefois le rôle de crieur public diffuseur d'informations municipales. Dans les villes, le garde champêtre est devenu, lui aussi, un agent de la police municipale.
Nous ne voyons plus le fontainier, spécialiste de la pose et de l'entretien des canalisations d'eau potable, et aussi de la surveillance de la consommation, à l'époque où l'on ne distribuait l'eau qu'avec parcimonie.
Le procès-verbal d'installation de la première municipalité de 1658 crée des emplois d'intendants de santé.
À une époque où la fréquence des épidémies causait des ravages partout, on essayait de lutter contre elles ou tout au moins de limiter leurs méfaits. On appliquait des mesures prophylactiques d'un effet tout à fait relatif : interdiction d'accumuler des ordures à proximité des habitations, surveillance de la pureté des eaux alors qu'on ignorait l'existence des microbes, contrôle des garnisons suspectes en provenance des pays orientaux, désinfection de locaux, etc...
Les intentions étaient bonnes, mais les moyens inefficaces.
Grâce aux progrès de la science, la plupart des maladies infectieuses ont été vaincues aujourd'hui. Mais il aura fallu des siècles de luttes persévérantes, de recherches patientes, d'efforts financiers considérables pour la mise en place des équipements sanitaires et la formation d'un corps médical de haut niveau que nous connaissons aujourd'hui.
Dans le domaine de la santé, rappelons au passage l'exercice de métiers autrefois tolérés comme les guérisseurs et les rebouteurs.
Les premiers se proposaient de soigner les maladies sans l'aide des médecins. Ils usaient généralement de plantes aux vertus magiques et de signes cabalistiques. Les seconds faisaient métier de remettre en état les membres fracturés ou luxés et surtout les entorses.
On sait qu'aujourd'hui ces pratiques sont devenues illégales, mais il n'est pas interdit de penser qu'elles se poursuivent encore clandestinement.
Nous avons souvenance d'un rebouteur très connu à La Seyne au début de notre siècle (on disait aussi rebouteux ou renoueur) qui exerçait librement sa profession. Il s'appelait M. Baglietti. Il avait des notions d'ostéologie assez poussées qui lui donnèrent une habileté pratique indéniable pour soigner les entorses. Pour les fractures graves, il n'en fut pas de même ; la radiologie en était à ses débuts, mais ses progrès rapides entraînèrent la disparition quasi totale de cette profession qui devint même illégale.
Afin de limiter les turbulences des jeunes gens, on trouvait aussi au sein de l'administration municipale un enseigne de la jeunesse. Ce spécialiste avait la charge de réunir les jeunes gens et d'organiser avec eux des loisirs, des jeux, des fêtes. Il jouait en quelque sorte le rôle d'un animateur, tel qu'il en existe aujourd'hui à l'office municipal de l'action socio-éducative (O.M.A.S.E).
Nos édiles d'antan eurent le souci, alors que l'enseignement public n'existait pas, que l'enseignement religieux ne s'adressait qu'à une élite, de ne pas voir la jeunesse se livrer à des exactions génératrices de désordre public. Même s'ils n'ont pas atteint totalement les buts recherchés, nous devons apprécier leur mérite.
Quel était le rôle exact de ce préposé appelé peseur public ?
À une époque où le système des poids et mesures n'était pas unifié, les marchandises importées dans la commune étaient le plus souvent taxées en fonction de leur poids. Pour ce faire, il existait un bureau de poids public. On trouvait aussi dans certaines localités un jaugeur et un mesureur public.
Ces fonctions n'étaient confiées qu'à des hommes d'une probité et d'une capacité reconnues et qui devaient prêter serment. Après la révolution de 1789 et la création du système métrique, ces professions disparurent.
L'hôpital était dirigé par un recteur, autre forme de régisseur, devenu aujourd'hui directeur. Le terme de recteur s'appliquait plus fréquemment à l'université. Il en est encore ainsi de nos jours. Pendant longtemps, le recteur de l'hôpital fut un ecclésiastique, les soins aux malades étant assurés par des religieuses.
On pouvait encore voir, il y a quelque cinquante ans, de petites guérites aux confins de notre commune sur les routes la reliant aux cités voisines. Là se tenait un homme portant képi, en uniforme de gros drap bleu et grosses bandes rouges sur les pantalons.
C'était l'employé de l'octroi.
Son rôle consistait à surveiller le transit des marchandises et à prélever des droits sur certaines denrées entrant dans l'enceinte seynoise. On employait aussi l'expression douanier de l'octroi. La fonction de douanier existe toujours, mais elle s'intéresse au contrôle des marchandises franchissant les frontières terrestres et maritimes de l'État.
Ce mode d'impôt à caractère local fut créé, il y a bien longtemps par les Romains. Suivant les périodes de l'histoire il fut supprimé, puis rétabli, mais dura tout de même plusieurs siècles. Les denrées les plus taxées étaient les alcools. Cette administration ne craignant pas le ridicule, le préposé de l'octroi prélevait quelque sous pour le passage d'une douzaine d'escargots.
La nuit venue, par des sentiers détournés, s'accomplissait tout de même la contrebande.
Au temps des charrettes et des cabriolets, les douaniers prenaient leur temps pour l'inspection et le paiement des taxes. Quand la circulation s'intensifia, les arrêts devant l'octroi devinrent un obstacle à la fluidité des transports. La prolifération et la rapidité des véhicules plus modernes gênèrent considérablement les douaniers dans l'exercice de leurs fonctions. Par surcroît, les ressources tirées au profit des communes, ne pouvant plus compenser les frais de fonctionnement de l'administration, les préposés de l'octroi disparurent de nos routes.
Une fonction municipale qui s'exerça pendant des siècles et qui disparut dans les années 1950 fut celle de vidangeur. Dans notre historique de l'assainissement, nous avons longuement insisté sur le rôle de ce personnage courageux.
Nous n'y reviendrons pas.
Enfin, toujours dans le domaine des fonctions municipales, n'omettons pas de parler du ciapacan chargé de la capture des chiens errants. Il les pourchassait autour des poubelles, muni d'une sorte de perche terminée par un lasso.
Un véhicule à deux roues semblable à une cage emmenait les animaux captifs vers la fourrière.
Ceux des propriétaires désireux de reprendre leur chien devaient payer une contravention encaissée par le receveur municipal. Les chiens abandonnés et non repris au bout d'un certain délai étaient mis à mort. Il est bon de préciser que la S.P.A. n'existait pas encore.
Dans le domaine des professions libérales, disons que depuis bien longtemps existent les notaires, les huissiers, les avocats, les médecins, les vétérinaires,...
Quelques remarques sur les changements d'appellation ne sont pas dénuées d'intérêt.
On confondait parfois le notaire et le tabellion. En réalité ce dernier était chargé de préparer les actes et jouait le rôle de notaire dans des juridictions subalternes.
On ne disait pas qu'on achetait des remèdes chez le pharmacien mais l'apothicaire.
Dans notre enfance, on disait encore indifféremment coiffeur ou perruquier. Les instituteurs étaient les maîtres d'école et l'on appelait écolâtre l'inspecteur des écoles d'un diocèse.
La population étant illettrée dans sa grande majorité quand notre commune de La Seyne naquit. Les gens avaient recours à des secrétaires pour assurer des formalités ou échanger des correspondances. Leur véritable dénomination était celle d'écrivain public.
Quand la IIIe République s'occupa de dispenser à tous ses citoyens une instruction correcte, le peuple lui-même n'était pas tellement convaincu de la nécessité d'un enseignement aux jeunes filles. Dès qu'elles savaient lire et écrire, leurs parents les destinaient aux tâches ménagères. Mêmes celles nanties de leur certificat d'études ne poursuivaient pas leurs études.
D'ailleurs, la plupart des carrières ouvertes aujourd'hui à l'élément féminin étaient alors interdites.
Ces jeunes filles aidaient leur mère à la cuisine, au raccommodage, et surtout à la garde des plus jeunes enfants de la famille.
Toutefois, dans le but de parfaire à la qualité des travaux domestiques, on les envoyait au métier. Et il existait dans la ville plusieurs dames patronnesses qui recevaient des groupes de jeunes filles pour leur enseigner la couture, le repassage, la broderie, etc...
Ces apprenties devenaient plus tard des modistes capables de confectionner des chapeaux particulièrement pour les femmes et les enfants, des couturières sachant raccommoder mais aussi coudre à la main ou à la machine.
Certaines apprenaient à confectionner des vêtements de femmes mais aussi des uniformes. Dans notre région toulonnaise, un grand nombre de femmes furent utilisées comme confectionneuses de la marine, qui leur commandait des vareuses, des cabans, des pantalons de drap. Ces dames étaient autorisées à travailler chez elles. Aujourd'hui, cette corporation existe encore, mais fonctionne seulement à l'intérieur de l'Arsenal.
Il exista aussi dans notre ville des ateliers de repassage qui préparaient à la profession de repasseuse à domicile. Ces spécialistes faisaient également du raccommodage. Les conditions de la vie matérielle imposaient souvent aux familles de lourds sacrifices. On tirait parti au maximum du linge et des vêtements. On ravaudait, on reprisait, on rapiéçait jusqu'à la limite de la décence.
Les salons de coiffure n'existant pas encore pour les femmes, celles de condition aisée recevaient à leur domicile la coiffeuse pour l'entretien de leur longue chevelure qu'il fallait laver, peigner, friser. La coutume interdisait alors la coupe de cheveux pour les femmes. On disait de celles qui la transgressaient : " C'est une femme de mauvaise vie ". Le métier de coiffeuse a pris de nos jours une grande ampleur. Beaucoup plus qu'autrefois les femmes ont des soucis de coquetterie et d'hygiène, bien compréhensibles depuis leur entrée dans la production et les administrations. Autrefois les ménagères sortaient peu de leur maison et négligeaient davantage leur tenue. Ces coiffeuses, ces repasseuses, ces couturières à domicile ont pratiquement disparu.
Comme a disparu la corporation des lavandières dont nous avons parlé longuement à propos du lavoir des Moulières. Pendant plusieurs siècles, ces femmes courageuses s'en allèrent dans les lavoirs publics du Crotton, des Mouissèques, de Saint-Roch,... laver le linge de la petite bourgeoisie des patrons, des commerçants cossus, des notabilités des professions libérales, malgré des conditions de travail difficilement supportables.
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Cette profession des lavandières exerça son activité aux Moulières pendant plus d'un siècle. Elle disparut peu à peu avec l'alimentation en eau de la ville, l'établissement des laveries et la vulgarisation des machines à laver.
Un autre métier en voie de disparition est celui des matelassières. Des hommes pouvaient l'exercer mais le plus souvent c'étaient des femmes qui poussaient dans les rues et les campagnes leur machine à carder montée sur deux roues, équipée d'un balancier hérissé de dents pointues destinées à peigner la laine tassée des matelas pour leur redonner la souplesse.
Pendant la guerre de 1914-1918, des centaines de femmes furent utilisées, à titre exceptionnel, au remplacement des artificiers mobilisés sur le front. Elles procédaient au montage des fusées et, tâche plus ingrate au nettoyage des douilles d'obus en cuivre, récupérés sur le théâtre des opérations. Le décapage du métal par les acides présentait des dangers auxquels il fallait parer par des contrepoisons. Fort heureusement, la paix revenue, ces braves ménagères retrouvèrent la quiétude de leur foyer et les soldats rescapés de la grande tuerie reprirent leur poste.
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Nous en terminons avec les métiers féminins en rappelant que les travaux de la campagne employaient des centaines de femmes. Au début de notre siècle, on comptait près de trois cents cultivateurs et propriétaires exploitants à La Seyne. Tous avaient besoin d'une main d'oeuvre bon marché n'exigeant pas une grande qualification. Certains travaux demandaient tout de même une résistance physique, pas toujours récompensée par le montant du salaire.
Il s'agissait de ramasser des sarments, de lier des gerbes, de cueillir des olives, de récolter petits pois et haricots, de sarcler des pommes de terre, de vendanger, de nourrir les bêtes,... autant de travaux dont quelques-uns étant particulièrement harassants. Les femmes et les jeunes filles y prenaient leur grande part. On les appelait les ouvrières agricoles.
Peu à peu, notre commune a vu disparaître les terrains de cultures. Les centaines de cultivateurs se sont réduits à quelques dizaines. Il reste encore quelques-unes de ces ouvrières courageuses, mais en nombre bien restreint.
Par contre, si l'on voulait parler de métiers féminins nouveaux pratiqués par les femmes d'aujourd'hui, il y aurait beaucoup à dire. Avec le développement des industries, du commerce, de l'artisanat, des professions libérales, le nombre des femmes travailleuses a augmenté considérablement. Ayant reçu l'instruction et l'égalité des droits, les femmes dominent maintenant plusieurs branches des administrations publiques et privées.
Une rubrique nouveaux métiers féminins serait bien plus riche que celles des métiers disparus.
Ainsi le veut la loi de l'évolution.
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© Jean-Claude Autran 2016