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LA VÉGÉTATION DE
LA PRESQU'ILE DE SICIÉ (*)
par Jean-Claude AUTRAN
(*) Texte paru dans la revue Étraves, n° 31 (1974).
Le département du Var présente un très grand intérêt botanique en raison de sa position géographique et de l'extrême variété de son climat, de son relief et de son sol. Ainsi, sur les 4 217 espèces mentionnées dans la flore de la France (Fournier, 1961), 2 141, soit plus de 50 % croissent spontanément dans le Var (Loisel et Barbero, 1966).
Il n'est pas question de nous livrer ici à une analyse systématique ou approfondie. Nous nous proposons seulement, à la lumière de quelques études antérieures et de notre propre expérience, de citer les plantes les plus caractéristiques de notre région, puis de faire ressortir les traits originaux de la végétation. L'exposé est vulgarisé au maximum en désignant les végétaux par leurs noms les plus communs, certaines appellations provençales étant également signalées entre parenthèses. Nous nous limitons à la flore méditerranéenne naturelle, excluant ainsi les végétaux très cosmopolites, les plantes cultivées et les arbres ou arbustes d'ornement.
Le sol de la presqu'île de Sicié est constitué essentiellement de phyllades, plus ou moins lardées de lits de quartz. Il s'agit donc d'un îlot cristallin terminant, à l'Ouest, la Provence siliceuse des Maures et de l'Estérel et entouré des massifs calcaires de Bandol-Sanary, du Gros Cerveau et du Croupatier. On peut donc s'attendre à y rencontrer non seulement la flore caractéristique des sols cristallins, mais aussi certaines formes de transition entre la végétation de la Provence siliceuse et celle de la Provence calcaire.
La presqu'île de Sicié possède, en fait, deux formes principales d'associations végétales que nous examinerons successivement. La première, caractérisée par une prédominance du chêne vert, correspond vraisemblablement au tapis végétal naturel de la région, ce que l'on l'appelle un climax. La seconde est constituée de différentes formes de dégradation du climax originel (maquis, garrigues, cistaies, pelouses), occasionnées notamment par l'exploitation de la forêt et par les incendies. Dans une dernière partie, nous tenterons de souligner l'originalité de ces types de végétations et de dégager les facteurs responsables de leur présence.
l) LE CLIMAX DE LA PRESQU'ILE DE SICIÉ : La Chênaie de Chêne vert, ou Yeuseraie.
Cette association végétale se trouve en parfait équilibre avec les conditions de milieu de la région : elle donne une image de la végétation telle qu'elle devait être avant l'arrivée de l'homme. Aussi la trouve-t-on encore dans des lieux qui sont restés relativement à l'abri de l'intervention humaine, particulièrement dans de nombreux vallons du champ de Mai, de Fabrégas et du Brusc, ainsi que sous la forme de haies en bordure des chemins, notamment dans les quartiers les Moulières, les Playes, Talian, Jaumard, Clinchamp.
La composition principale de ce climax est la suivante :
ARBRES :
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ARBUSTES :
LIANES :
PLANTES HERBACÉES :
Il est à noter que, dans ce climax, le chêne-liège (Suvé) peut parfois se situer au chêne-vert, notamment dans les parties du massif les plus basses et les plus proches de l'agglomération de La Seyne : Touffany, Gavet, Donicarde, Fort-Napoléon. Il semble que cette suveraie ait dû son extension à l'homme lorsque le liège était plus recherché que de nos jours. Actuellement, le chêne-liège a tendance à être supplanté de nouveau par le chêne-vert, mieux avantagé dans les conditions naturelles, surtout si les sous-bois sont mal entretenus.
Par ailleurs, spécifiquement dans les régions arrières du littoral, une forme sensiblement différente de climax est en voie d'extension. Outre les espèces déjà citées, on y note la prédominance de l'olivier sauvage (Oulivastre), le myrte commun, le genévrier de Phénicie, le séneçon Cinéraire
Signalons enfin que le pin pignon, dont les graines comestibles sont très recherchées, se rencontre dans plusieurs fonds de vallons remplis d'alluvions, notamment près de la maison forestière de Janas, ainsi qu'à proximité d'habitations où il a certainement été introduit.
2) LES FORMES DE DÉGRADATION DE LA CHENAIE de CHENE VERT
Lorsque, pour des raisons diverses, la yeuseraie disparaît, on assiste à une évolution de la végétation depuis des associations encore riches (maquis) jusqu'à des formes très pauvres laissant parfois la place aux pelouses ou au sol nu.
a) LES MAQUIS
On en rencontre différents types selon le sol et l'exposition.
Il en existe ainsi un premier type, dit maquis élevé, assez peu répandu à Sicié contrairement aux Maures où il connaît une grande extension. On ne le trouve guère que dans les parties Ouest de la forêt de Janas (environs de l'ancien lavoir du Rayolet) et sur les pentes Ouest de la colline du Peyras. Outre plusieurs espèces citées (pin d'Alep, bruyère arborescente, calycotome épineux,...) on y rencontre :
Un second type, dit maquis bas, est essentiellement localisé à Saint-Mandrier. On y trouve en particulier :
Un troisième type, dit maquis à calycotome, connaît inversement une extension beaucoup plus considérable à Sicié que dans les Maures. Il donne lieu à des zones impénétrables bien connues dans une grande partie de la forêt communale de Janas, notamment à l'intérieur du quadrilatère : N.-D. de Bonne-Garde - Sémaphore - Fort du Peyras - Rayolet, ainsi qu'autour du Fort de Six-Fours et des Playes. En association avec le calycotome épineux, le lentisque, la salsepareille, le phyllaria et l'asperge, on y rencontre :
b) LES GARRIGUES :
Ce sont des associations végétales plus pauvres que les maquis et qui caractérisent habituellement les terrains calcaires. Cependant deux formes de garrigues, qui semblent déborder de la Provence calcaire voisine, peuvent être observées dans le massif de Sicié.
Ainsi, la garrigue à chêne Kermès, que l'on trouve en de nombreux îlots des environs du Brusc, de Six-Fours ou des Playes, présente la composition suivante :
De même, la garrigue à Romarin, localisée sur des versants secs et chauds renferme en particulier :
c) LES CISTAIES :
L'abondance des cistes est un autre caractère frappant de la flore de la presqu'île de Sicié. Elle y évoque l'idée d'une profonde dégradation de la végétation. On rencontre les cistaies dans de nombreuses zones de la forêt de Janas toutefois difficiles à délimiter car les transitions avec le maquis à calycotome sont souvent insensibles. Leur composition floristique particulière est la suivante :
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d) LES PELOUSES :
Il s'agit du stade ultime de dégradation de la végétation, avant l'apparition du sol nu. Les pelouses se rencontrent en de nombreux points du massif, sur des sols plus ou moins rocailleux, où elles forment des clairières entre les zones de maquis ou de cistaies. On y trouve notamment :
Dans les zones d'éboulis, on note plus spécifiquement la présence de :
N.B. : Remarquons que les associations végétales hygrophiles sont rares dans le massif de Sicié. On rencontre seulement, dans certains vallons frais de Janas et de Six-Fours, quelques peupliers blancs (Pibo), frênes (Frai), chênes pubescents ou chênes blanc (Rouvé), sorbiers (Sourbiero), églantiers (Gratto cuou) ou aubépines (Arsinat, Pouméto de paradis).
3) ORIGINALITÉS DE LA VÉGÉTATION DE LA PRESQU'ILE DE SICIÉ
a) Compte tenu du climat de la région, il est évident que la majeure partie de la flore naturelle est adaptée à la chaleur et à la sécheresse prolongée. Ces plantes (dites xérophiles) peuvent alors présenter certains des caractères morphologiques suivants :
- réduction de la surface des feuilles (bruyères, asperge, pins, genévriers, spartier, rue), ou transformation de certains rameaux en épines (calycotome, chêne kermès, astérolide, salsepareille, carline).
- épiderme des feuilles rendu imperméable par une cuticule épaisse ou un enduit cireux (chêne vert, chêne Kermès, olivier, myrte, laurier Tin, arbousier, phyllaria, lentisque daphné, nerprun) ou recouvert de longs poils (bonjeanie, cistes, séneçon cinéraire).
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- plantes s'enveloppant d'essences odorantes pour réduire l'évaporation (lavande, thym, calament, romarin, psoralée, rue, inule).
- modification des tissus donnant lieu à des sous-arbrisseaux ligneux (globulaire, odontitès, thym, lavande).
- décalage de la période végétative avec repos d'été et floraison d'automne (aster âcre, salsepareille, asperge) ou d'hiver (arbousier, petit-houx, laurier Tin).
b) L'ensemble des végétaux énumérés montre qu'on retrouve, sur le sol cristallin de Sicié, la végétation de la Provence cristalline, mais avec des caractères qui en font une zone de transition avec la végétation de la Provence calcaire occidentale.
Cette transition est marquée, d'une part, par une régression de l'Est vers l'Ouest, de plusieurs espèces caractéristiques de la Provence cristalline. Ainsi, l'arbousier, la bruyère arborescente, la bruyère à balai, la bruyère callune, le pin maritime, le lavatéra... sont bien moins représentés à Sicié que dans les Maures et par ailleurs, s'avancent en se raréfiant encore, au-delà de Bandol et du Beausset.
Inversement, diverses espèces caractéristiques de la garrigue calcaire (chêne kermès, romarin, globulaire, ciste blanc, pin d'Alep..) débordent nettement vers les phyllades de Sicié.
Comment expliquer ce mouvement en sens inverse de certaines espèces caractéristiques de chacune des deux régions ?
Contrairement à ce qui a lieu dans la dépression de Cuers où les grès permiens constituent une zone de sol intermédiaire entre le calcaire et le cristallin, il n'y a pas, entre Sicié et les massifs environnants, de véritable transition pétrographique. Le fait que des espèces considérées comme silicicoles débordent ici sur des calcaires et que d'autres, considérées comme calcicoles, débordent sur le cristallin ne peut donc être imputé aux seuls facteurs édaphiques, c'est-à-dire aux causes qui règlent les conditions d'existence des végétaux en fonction du sol.
Selon Molinier (1956, 1960), il faut faire appel à d'autres caractères qu'à l'édaphisme et notamment aux facteurs climatiques. On peut alors penser que le caractère de transition bien établi entre le climat tiède et humide de la Provence cristalline et celui, moins chaud et plus sec de la Provence calcaire, peut rendre compte du débordement local et de l'imbrication des aires géographiques de plusieurs végétaux par ailleurs caractéristiques de chacune des deux parties de la Provence.
c) L'évolution constatée dans le sens d'une dégradation de la yeuseraie vers les maquis, les cistaies, les pelouses n'est pas irréversible. L'évolution inverse, avec reconstitution de la yeuseraie primitive est possible. La forêt de chêne-vert reprend naturellement son ancien domaine si, après avoir débroussaillé et éliminé notamment les dangereux vecteurs d'incendie que sont les cistes, on prend la peine d'entretenir le sous-bois pendant quelques années. Les travaux poursuivis à Janas depuis plusieurs années montrent d'ailleurs que ce reboisement est réalisable. Grâce au chêne-vert et au chêne-liège, les forêts méridionales ne sont pas perdues, elles ne demandent qu'à survivre et à proliférer pourvu que l'homme sache les exploiter judicieusement et prudemment.
BIBLIOGRAPHIE :
Favard P. 1967. Le chêne vert contre l'incendie. Annales de la Société des Sciences Naturelles et d'Archéologie de Toulon et du Var, 19, 77-83.
Fournier P. 1961. Les quatre flores de France. Ed. Paul Lechevalier, Paris, 1105 pages.
Loisel R. et Barbero M. 1966. Éléments biogéographiques de la Flore du département du Var. Annales de la Société des Sciences Naturelles et d'Archéologie de Toulon et du Var, 18, 76-95.
Molinier R. 1956. La végétation de la presqu'île du cap Sicié. Bulletin du Muséum d'Histoire Naturelle de Marseille, 16, 1-23.
Molinier R. 1960. La végétation des collines formant le cadre montagneux de Toulon. Annales de la Société des Sciences Naturelles et d'Archéologie de Toulon et du Var, 12, 54-83.
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© Jean-Claude Autran 1974