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(*) Une première conférence sur la vie de Marius AUTRAN avait été donnée le samedi 20 Octobre 2007, Bibliothèque du Clos Saint-Louis, dans le cadre de la manifestation Lire en Fête et du 350e anniversaire de la ville de La Seyne)
Plan de la conférence [voir aussi les annonces et les compte-rendus de presse]
- Naissance et origines
- Son parcours à La Seyne
- Le séjour en Tunisie (1914-1915 et 1918-1920)
- La guerre de 1914-1918
- Marius chez ses grands-parents à Mar-Vivo (1915-1918 et 1920-1921)
- Ses études à l'École Martini
- A l'École normale d'instituteurs de Draguignan (1928-1931)
- Le service militaire
- Mariage avec Louise Gautier
- Instituteur à Montmeyan (1932-1935)
- Puis à Carcès (1935-1938)
- La guerre de 1939-1940
- La Résistance
- Son engagement politique
- A la municipalité de La Seyne (1950-1977)
- 1977-1985 : Retrait progressif des activités municipales et politiques
- La carrière professionnelle
- Vie familiale et loisirs
- L'historien de La Seyne
- La vie associative
- Les dernières années
Naissance et origines
Marius AUTRAN voit le jour le 2 décembre 1910 à La Seyne-sur-Mer.
Naître un 2 décembre, c'est déjà « un clin d'œil à l'Histoire ». Marius AUTRAN se plaira souvent à rappeler qu'il était né à une date anniversaire du sacre de Napoléon Ier (2 décembre 1804) et de la bataille d'Austerlitz (2 décembre 1805).
Voici pour commencer quelques photos de Marius AUTRAN prises au cours de son enfance.
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Une première anecdote : On ne s'en rend pas compte sur ces photos noir et blanc, et peu de gens le savent, mais dans ses premières années Marius AUTRAN était très rouquin. Et comme le prénom Marius était assez répandu à l'époque - il y avait parfois plusieurs Marius dans une classe - lui, pour le distinguer des autres Marius, on le surnommait « Carotte ».
Voici maintenant une copie de l'acte de naissance de Marius AUTRAN à La Seyne. Acte signé par le Maire de l'époque, Jean JUÈS. Jean JUÈS, qui fut maire seulement 2 ans, de 1910 à 1912, succéda au pharmacien Louis ARMAND et fut suivi par Baptistin PAUL.
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Ses parents
Son père, Simon AUTRAN, était âgé de 23 ans lorsque Marius est né. Il était un simple matelot-mécanicien. Né à Marseille en 1887, il avait perdu sa mère à l'âge de 4 ans et fut ensuite maltraité par une marâtre. Homme très courageux, Simon AUTRAN avait dû travailler très tôt. Dès son certificat d'études passé, il aidait son père qui était forgeron aux Forges et Chantiers de La Seyne. A 14 ans, bien que de santé fragile, il écrasait des rivets dans les coques des navires en construction. Mais il avait eu la volonté de s'élever en suivant notamment les cours du soir à la Bourse du Travail dès 1904. Il avait appris les mathématiques et le dessin industriel. Il progressa alors rapidement, obtint son diplôme de Maistrance, devint agent technique à l'Arsenal de Toulon et termina sa carrière comme agent technique principal, faisant fonction de chef du Bureau des Marchés de la Marine. C'était un homme extrêmement autoritaire [Marius AUTRAN a avoué avoir, même à l'âge de 50 ans, toujours tremblé devant lui], inflexible, exigeant avec les autres et avec lui-même. Simon AUTRAN ne fut jamais membre d'un parti politique mais était cependant sympathisant « Rouge » (socialiste) à l'époque où Pierre RENAUDEL était député du Var. Le 12 Février 1934, Simon AUTRAN fut le seul gréviste parmi les cadres de l'Arsenal de Toulon (grève déclenchée par les partis de gauche pour répondre au coup de force fasciste du 6 Février). A partir de ce jour, son avancement sera bloqué et certains de ses amis amiraux ne lui adresseront plus la parole. Il décidera alors de s'en aller et il prendra sa retraite l'année suivante, en 1935, âgé alors de seulement 47 ans. Il mourra en 1962, après avoir totalisé davantage d'années de retraite que d'années d'activité...
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Sa mère, Victorine AUBERT, était seulement âgée de 20 ans en 1910. Avant son mariage, elle était apprentie modiste. Elle ne travaillera plus par la suite, se consacrant uniquement à son foyer et à l'éducation de leur fils unique Marius.
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Ses grands parents
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Du côté paternel, son grand-père était Auguste AUTRAN, forgeron, originaire de Barjols (Var). D'ailleurs, aussi loin qu'on remonte, tous les AUTRAN de cette branche étaient forgerons, chaudronniers, ferronniers, maréchaux-ferrants, etc. Tous étaient ce qu'on appelait des "mandjo-fer". Ils avaient travaillé le métal ou écrasé des rivets toute leur vie. A 17 ans, Auguste AUTRAN et son jeune frère Edouard, quittent Barjols (où leur famille ne pouvait plus leur assurer une subsistance suffisante) et descendent à pied à Marseille pour y trouver quelque travail. Ils travaillent ainsi dans la construction navale et dans les ateliers de Menpenti. [A noter que le jeune frère d'Auguste, Edouard, eut par la suite un fils unique, Edouard Marius AUTRAN, lui aussi chaudronnier à ses débuts, mais qui deviendra ensuite acteur de théâtre et de cinéma (sous le pseudonyme d'Edouard DELMONT) et jouera dans plus de 80 films, dont presque tous ceux de Marcel PAGNOL. C'était donc un cousin germain de Simon AUTRAN]. A 18 ans (printemps 1871) Auguste AUTRAN participe aux évènements de la Commune de Marseille (on rappelle qu'à côté de la célèbre Commune de Paris, il y eut aussi des mouvements similaires dans quelques autres grandes villes comme Marseille). Comme sanction de cette attitude révolutionnaire, il devra accomplir 5 ans de service militaire en Algérie, dans un régiment de zouaves. La seule photo que l'on possède de lui a été prise à Alger et il y apparaît en uniforme de zouave. Il travaillera ensuite à Marseille, sera licencié pour activités syndicales, viendra alors s'établir à La Seyne (comme forgeron aux Forges et Chantiers), y sera également licencié (pour avoir chômé le 1er mai - qui n'était pas encore reconnu comme jour férié). Il fera cet aller et retour plusieurs fois, avec femme et enfants.
Il n'a pas connu sa grand-mère paternelle Marie-Louise PIOLET, née à Paris en 1859 (mais originaire d'une famille de la Drôme), décédée à Marseille en 1891 à l'âge de 32 ans, après avoir eu 6 enfants, dont seul Simon AUTRAN atteindra l'âge adulte. Même Simon AUTRAN n'eut aucun souvenir de sa mère, décédée lorsqu'il avait 4 ans. A l'exception de son état-civil, il ne reste aucune trace d'elle, aucune photo. Son époux s'étant remarié en 1894, tout ce qui restait de la première épouse ayant été vraisemblablement détruit par la seconde.
Du côté maternel, son grand-père était Marius AUBERT, né à Six-Fours, descendant de vieilles familles six-fournaises : les AUBERT, SAGE, BLANC. Marius AUBERT fit sa carrière dans la marine marchande où il était officier subalterne. Il voyagea beaucoup en Extrême-Orient et prit sa retraite de la Marine vers 1910. Après quoi, il occupa divers petits emplois (dessinateur aux chantiers, libraire). Il n'était pas engagé politiquement, mais était profondément pacifiste et homme de progrès. Personnage calme, patient et d'une grande bonté, s'exprimant essentiellement en langue provençale, il influença beaucoup Marius AUTRAN en lui communiquant son goût pour les loisirs de la lecture, de la pêche en mer, de la chasse, du jardinage, de la cueillette des champignons, etc.
Sa grand-mère Joséphine HERMITTE, née à La Seyne, descendait de vieilles familles seynoises : les Hermitte, les Mabily, les Laurent, qui comprenaient quelques notables et de nombreux petits commerçants. Il y a eu ainsi un Sauveur HERMITTE qui fut intendant aux Messageries Impériales, le boulanger Jean-Louis MABILY qui fut adjoint au Maire de La Seyne au début de la IIIe République (et dont une longue rue de la vieille ville porte le nom), un Florent MABILY qui fut Directeur de l'Octroi. Par ailleurs, il y eut un Victor HERMITTE boucher, un Victor MABILY boulanger, une Victoire MABILY épicière, dont le père Esprit Bonaventure MABILY était meunier et possédait l'un (le plus au sud) des 4 moulins à vent situés alors sur la colline des 4 Moulins.
Marius AUTRAN est donc issu d'une famille de rudes travailleurs, avec un grand-père militant syndicaliste et révolutionnaire, d'autres toujours plus ou moins acquis à des idées de paix et de progrès, une famille où l'on a jamais gaspillé l'argent, et où régnait une forte autorité paternelle.
Son parcours à La Seyne
Marius AUTRAN voit le jour le 2 décembre 1910 à La Seyne-sur-Mer, au n° 3 de la rue Philippine Daumas. Peu de gens ici doivent savoir où se situe la rue Philippine Daumas. C'est une petite rue située derrière la poste de l'avenue Garibaldi. En fait, quand on se trouve au rond-point Kennedy et qu'on prend l'avenue Frédéric Mistral en direction des Sablettes, c'est la première traverse à droite (avant la rue Blaise Pascal et la rue de Lodi), qui rejoint la rue Voltaire.
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Voici la photo de la maison natale de Marius AUTRAN, au premier étage du n° 3 de cette rue Philippine Daumas. C'est du moins l'emplacement [car j'ignore si la configuration de la rue et des maisons en 1910 était exactement celle d'aujourd'hui, compte tenu des bombardements et des reconstructions qui ont pu affecter ce quartier].
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Marius AUTRAN et ses parents ne vont rester qu'environ 2 ans dans cette maison. La famille va avoir un certain nombre d'adresses successives sur la commune de La Seyne et j'ai tenté d'en retracer le parcours sur le plan ci-dessous.
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Entre 1912 et 1914, on va ainsi retrouver Marius AUTRAN au n° 2 de la rue Carvin, au 2e étage de la maison dont le rez-de-chaussée est depuis longtemps occupé par une boulangerie. On y a longtemps connu la boulangerie ERUTTI. Quand Marius AUTRAN y habitait, c'était la boulangerie de son oncle Victor MABILY. [A noter que pendant environ un siècle, jusqu'en 1847, cette même maison était celle de l'hôtel de ville de La Seyne - place du Marché]. Signalons aussi que, entre 1913 et 1914, Marius AUTRAN, fréquenta sa première école maternelle, celle de la rue d'Alsace, qui n'était en fait qu'une garderie, que l'on appelait alors "l'Asile".
On va retrouver ensuite successivement Marius AUTRAN à Mar-Vivo (chez ses grands-parents), puis au n° 38 du cours Louis Blanc (en face du marchand d'oranges GIL) dans un appartement que ses parents avaient loué à M. Guillaume BESSON (figure très populaire de La Seyne, architecte naval réputé et qui présida longtemps le club nautique seynoise), puis au n° 6 de la rue Hoche, puis au quartier Touffany, puis au quartier Tortel (chemin Aimé Genoud), puis sur la route de la Colle d'Artaud, puis sur le boulevard Staline (actuellement boulevard de Stalingrad), enfin, à partir de 1961, chemin du Vieux-Reynier (quartier Châteaubanne). C'est là qu'il va se stabiliser avec sa famille puisqu'il va y passer plus de 45 ans, donc près de la moitié de sa vie. Ce sera "l'homme de Châteaubanne". On aurait pu aussi mentionner quelques adresses de courte durée comme celle du chemin de Mar-Vivo aux deux chênes, chez son père, ou celle du quartier Bastian.
Marius AUTRAN aura passé près de 90 % de sa longue existence sur la commune de La Seyne. Il a connu La Seyne et en a conservé des souvenirs dès avant la guerre de 1914-1918. Qui, mieux que lui, pouvait donc plus tard en écrire l'histoire, avec des récits fondés sur ses innombrables souvenirs ? Qui, mieux que lui, pouvait raconter la vie de La Seyne et des ses quartiers, puisque, depuis 1910, il avait habité aussi bien le nord que l'est, l'ouest, le centre ville ou les quartiers des plages ?
A l'inverse, on doit constater que Marius AUTRAN a relativement peu voyagé dans sa vie d'adulte et a rarement quitté sa ville de La Seyne. Sans doute aurait-il eu un esprit ouvert différemment s'il avait davantage parcouru le monde. Il disait ainsi à la fin de sa vie : « Je ne suis jamais allé en Espagne, ni en Italie, ni en Angleterre, ni en Amérique, etc. ». Mais cela ne l'empêchait pas de porter des jugements péremptoires sur tous ces pays, les Etats-Unis par ci, Israël par là... Et quand je lui disais : « Comment peux-tu ainsi juger et critiquer ? Tu n'y es jamais allé ! » (car de mon point de vue, ayant au contraire beaucoup voyagé, je soutenais que pour juger objectivement d'une situation, il faut y être, ou y avoir été). Mais il répondait : « Je n'ai pas besoin d'y aller pour savoir très bien ce qui s'y passe ! » et la discussion n'était jamais possible.
Trois grands évènements vont alors marquer sa vie à partir de 1914
En outre, dès son enfance, à partir de 1914, il va connaître des évènements hors du commun pour une vie d'enfant, évènements qui vont avoir une grande influence sur son tempérament et sa manière de penser.
1) L'année 1914, c'est le début de la 1ère Guerre mondiale. Pendant quatre ans, on ne va parler que de ça à la maison. Marius AUTRAN n'oubliera jamais ces récits entendus dans sa jeune enfance.2) Cette même année 1914, son père Simon, va accepter un poste à Ferryville (Tunisie) et Marius va donc y vivre quelques années et il en gardera toujours un souvenir ému de ce séjour.
3) Comme il ne pourra pas toujours rester en Tunisie en raison de problèmes de santé (paludisme), ses parents vont le confier plusieurs années à la garde des grands-parents AUBERT chez qui il habitera au quartier Mar-Vivo.
Le séjour en Tunisie (1914-1915 et 1918-1920)
Pourquoi ce séjour de la famille en Tunisie ? Quelques semaines avant le début de la guerre de 14, l'Arsenal de Toulon où travaillait alors Simon AUTRAN va décider de "délocaliser" ses ateliers de construction d'hydravions (à des fins militaires) sur une base qui existait alors en Tunisie, plus précisément dans la petite ville de Ferryville (nom actuel ; Menzel-Bourguiba) située au bord du lac de Bizerte. La proximité des eaux calmes de ce lac permettait d'effectuer facilement des essais de décollage et d'amerrissage de ces nouveaux engins. Simon AUTRAN, qui, à Toulon, était spécialisé dans le calcul, le dessin et la construction des coques de navires, va ainsi être sollicité pour travailler sur les coques d'hydravions à l'arsenal de Sidi-Abdallah. Certes, de petits hydravions pour l'époque : deux tonnes ! Mais c'était déjà un émerveillement pour Simon AUTRAN que de voir décoller et voler ces engins de deux tonnes !
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(Ferryville [act. Menzel Bourguiba], Bizerte, Tindja, Tunis, Carthage, etc. |
En acceptant de partir pour la Tunisie, seul d'abord, puis rejoint par sa femme et le petit Marius quelques semaines plus tard, Simon AUTRAN va prendre une sage décision, car il sera considéré comme affecté spécial dans l'industrie d'armement, ne connaître pas le front et ne sera personnellement impliqué dans aucun combat (sans quoi il aurait été mobilisé sur un navire de guerre et aurait peut-être péri comme tant d'autres aux Dardanelles ou en Méditerranée orientale). Au contraire, lui, sa famille et ses quelques amis seynois et toulonnais qui se sont trouvés à cette époque en Tunisie vont vivre pendant environ six ans une existence paisible et heureuse de « petits colonialistes ».
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(photo de studio, à Ferryville, vers 1915) |
Marius AUTRAN va ainsi découvrir avec ses parents : Ferryville, Tindja, Bizerte, Tunis, Carthage, où son père lui montra un sarcophage de verre qu'il lui présenta comme étant le "tombeau de Saint-Louis"... Et quand, bien plus tard, il enseignera l'histoire de l'Antiquité au collège Martini, il ne manquera jamais de parler de ces aqueducs romains faits de toutes petites briques rouges, qu'il avait vus de ses propres yeux à Carthage... Il va aussi conserver d'innombrables souvenirs des scènes de la vie à Ferryville, des rues, du marché, des marchands ambulants, des parties de pêche et de chasse au gibier d'eau avec son père dans les marécages du lac de Bizerte.
Il va aussi fréquenter l'école de Ferryville, l'école maternelle lors de son premier séjour (photo ci-dessous), puis l'école primaire entre 1918 et 1920.
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Mais Marius AUTRAN se souviendra surtout des leçons de son père qui lui disait :
Et Marius AUTRAN conservera toujours un souvenir ému de cette vie en Tunisie, et il sera toute sa vie du côté des peuples colonisés. Il gardera toujours quelque indulgence ou bienveillance pour les Maghrébins, les Arabes ou les Africains en général. Et même beaucoup plus tard, lorsqu'on parlera de Ben Laden, il trouvera toujours quelques mots d'excuses, même à propos du terrorisme islamique : « Nous avons voulu les coloniser, alors il faut les comprendre... ». On avait beau lui rappeler qu'avant la conquête de l'Algérie par la France (1830), il y avait eu plus d'un millénaire de piraterie, d'invasions, d'occupations, de razzias sur nos côtes de la part des Arabes et autres peuples barbaresques. Mais, cette partie de l'Histoire, il ne l'entendait pas. Il n'avait retenu que le colonialisme et ses côtés négatifs.
La guerre de 1914-1918
Pendant quatre ans, on ne parlera que de ça à la maison. Même si Simon AUTRAN l'a évitée, plusieurs oncles, grands-oncles ou cousins sont mobilisés et ils vont raconter ce qu'ils ont vécu. Les horreurs de la guerre resteront gravées à jamais dans sa mémoire d'enfant. Verdun, les bombardements incessants, les entonnoirs créés par les explosions d'obus, les villages rasés, les forêts brûlées, Douaumont, le Chemin des Dames, la Cote 304, le Mort-Homme... Les conditions de vie dans les tranchées. Quatre années. Des centaines de milliers de morts. Alors même que beaucoup de ces jeunes soldats partirent pour la guerre, en août 1914, dans la confiance ou l'euphorie : « Grand-mère, nous allons seulement couper les moustaches de Guillaume pour vous en faire des boas, et nous serons vite de retour... ».
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Mais son père, Louis AUGIAS, mobilisé aussi, sera tué peu après dans le même secteur. |
D'autres membres de la famille ne reviendront pas, disparus lors du torpillage de leur navire devant Salonique ou devant Beyrouth.
Enfant, Marius AUTRAN va ainsi connaître par cœur les noms des grosses unités de la Marine de guerre. Lorsqu'il joue sur les plages de Mar-Vivo ou de La Verne, il se fabrique des navires avec de petits morceaux de bois, il simule des batailles navales et ses morceaux de bois qu'il essaie de toucher avec des galets, il leur donne les noms des bâtiments de l'époque dont on parle sans cesse : République, Léon Gambetta, Bouvet, Amiral Charner, Jules Michelet, Gloire, La Provence...
La guerre en Méditerranée, Marius AUTRAN va même la connaître de près puisque même les traversées Tunis-Marseille ou Bizerte-Toulon en paquebots étaient périlleuses. La Méditerranée était infestée de sous-marins allemands qui n'hésitaient pas à couler des navires civils. Marius AUTRAN se souviendra de traversées qui duraient parfois plus de cinquante heures, les navires étant obligés de se dérouter vers les Baléares et de procéder à d'incessants changements de cap pour déjouer la poursuite des sous-marins. Lorsque la vigie croyait apercevoir un périscope de sous-marin, tous les passagers devaient prendre place dans les embarcations de sauvetage, celles-ci descendues au ras de l'eau, des marins ayant la hache à la main pour couper les cordes et libérer les embarcations si une torpille avait touché le navire (car on avait vu de grosses unités couler en moins d'une minute à la suite d'un torpillage). Marius AUTRAN n'oubliera jamais ces scènes dramatiques, surtout lorsqu'une fois il avait été pris au bras d'un officier, séparé de sa mère qui hurlait, n'ayant pas été embarquée dans la même chaloupe que son petit...
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Une autre fois, il voyagera sur le Gallia, lors de l'une de ses dernières traversées, puisque ce navire sera coulé peu après (4 octobre 1916). Et lorsque, quelque 85 ans plus tard, Var-Matin publiera un article sur la tragédie du Gallia, Marius AUTRAN découpera l'article et y écrira : « J'y étais ! ».
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Jusqu'à la fin de ses jours, Marius AUTRAN va donc conserver des souvenirs vivaces et extrêmement précis des évènements de cette période. Il racontera souvent ses souvenirs de la matinée du 11 novembre 1918 où fut signé l'armistice. Une matinée où il se trouvait avec ses grands-parents à chercher des safranés en forêt de Janas, sur le versant de Six-Fours. Et où il entendit son grand-père crier en patois que la guerre était finie. (On n'a jamais su comment, à cette époque, sans radio et sans téléphone, quelques dizaines de minutes après que l'armistice eut été signé à Rethondes, la nouvelle en parvint au cœur de la forêt de Janas...). Et même dans les années qui suivirent, les traumatismes de la guerre surgiront de nouveau lorsque les enfants des écoles seront tenus de participer aux cérémonies de rapatriement des corps de soldats, ces enfants qui se demanderont ce qu'il pouvait bien y avoir dans ces petits cercueils, et ce que pouvaient bien signifier ces termes de « cendres », ou de « restes mortels »...
Marius chez ses grands-parents à Mar-Vivo (1915-1918 et 1920-1921)
En 1915, après quelques mois en Tunisie, Marius AUTRAN eut quelques problèmes de santé (paludisme), et sa mère dut le ramener en France pour le confier à la garde des grands-parents AUBERT au quartier Mar-Vivo. Il va donc demeurer avec ses grands-parents entre 1915 et 1918, puis encore un peu en 1920-1921, alors que ses parents de retour en France, habitent provisoirement un tout petit logement du cours Louis Blanc.
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Pour Marius AUTRAN, ce seront des « années de rêve ». Ses grands-parents sont gentils. Ils lui laissent une entière liberté. Durant toutes ces années, les jeudis, les dimanches et pendant les vacances, le jeune Marius va courir dans les bois, jouer sur les plages et dans les criques rocheuses, escalader des falaises, généralement seul. Il va mener une vie d'enfant à demi-sauvage, comme l'illustre l'anecdote suivante : lorsque des voisins ou amis venaient rendre visite à ses grands-parents, Marius disparaissait, il escaladait un pin, allait se cacher tout en haut, et ne redescendait que lorsque ces importuns étaient partis...
A l'âge de dix ans, toute la côte, depuis les Sablettes jusqu'au Jonquet n'aura plus de secret pour lui, pas plus que les bois et les forêts de Mar-Vivo jusqu'à Janas. Il va aussi souvent accompagner son grand-père AUBERT et son oncle Victor HERMITTE dans leurs parties de pêche entre Marégau et les Deux-Frères, et quelquefois dans leurs parties de chasse. Cette période heureuse de vie libre va grandement influencer ses goûts futurs et les choix qu'il fera dans sa vie : amour de la nature sauvage, attachement à son indépendance et à sa liberté d'action.
D'autres éléments sont encore à noter, qui vont l'influencer durablement. Par exemple, ses grands-parents ne parlent entre eux que le provençal, ils ne parlent guère le français que lorsqu'ils descendent en ville, et encore. Le jeune Marius va donc être très tôt initié à la langue de Mistral et il la parlera assez bien toute sa vie, en famille ou avec certains amis. Par ailleurs, ses grands-parents sont de grands amateurs d'opéra et, très jeune, Marius va être habitué aux spectacles du théâtre de Toulon auquel ses grands-parents sont abonnés. De nombreux airs de Faust, Carmen, Manon, Thaïs, Paillasse,... resteront gravés dans sa mémoire et cette initiation précoce influencera sans doute son goût et la grande sensibilité qu'il aura toute sa vie pour la musique classique et expliquera pourquoi, soixante ans plus tard, retraité avec pas mal de temps libre, il s'y passionnera de nouveau et se proposera d'écrire l'Histoire de la Philharmonique La Seynoise.
Pendant les années passées à Mar-Vivo, Marius AUTRAN va aussi fréquenter l'école des Sablettes, cette petite école, la seule de La Seyne qui soit mixte, construite en 1902 sur l'isthme, et qui sera détruite par les Allemands en 1943. Il y est assez bon élève, sans plus, car son esprit est souvent ailleurs, sur les rivages notamment. Il dira souvent que, ayant passé tous l'été à courir à pieds nus, le plus dur pour lui à chaque 1er octobre, ce n'était de retrouver l'école, c'était surtout la difficulté qu'il avait à faire entrer de nouveau ses pieds dans des chaussures de ville...
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Ses études à l'École Martini
1er Octobre 1921, ses parents étant rentrés en France et désormais installés dans leur appartement du n°6 de la rue Hoche, Marius AUTRAN va de nouveau habiter avec eux et va entrer pour la première fois à l'école Martini.
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Citons ce fameux passage qu'il écrira en 1981 dans le chapitre 6 de son Histoire de l'Ecole Martini : « ...Aussi, dans cette matinée du 1er Octobre 1921, quand je pénétrai dans la grande cour grouillante d'enfants turbulents, courant dans tous les sens, bousculant les uns, insultant les autres, je me sentis mal à l'aise. Cette prise de contact avec ce nouveau milieu où il me faudrait vivre, bon gré mal gré, fit naître en moi un sentiment d'insécurité manifeste. N'ayant pas encore de petits camarades, je m'adossai au tronc de l'orme centenaire, tout près de la fontaine, à gauche de la porte d'entrée Est. Tout apoltroni, je serrais entre mes jambes mon cartable tout neuf qui renfermait un beau plumier verni, à incrustations de nacre, et j'attendis patiemment. J'étais loin de penser, dans ces minutes palpitantes, que je passerais plus de cinquante ans de ma vie entre ces murs déjà vétustes, dans cette atmosphère d'agitation perpétuelle qui ne convenait pas du tout à mon tempérament ».
Il entre ainsi dans la classe de M. Marius AILLAUD, un maître particulièrement sévère et exigeant, qui va le préparer efficacement au Certificat d'études primaires. A noter que ce Monsieur AILLAUD avait déjà eu comme élève Simon AUTRAN, le père de Marius, quelque vingt ans plus tôt et que ce même Monsieur AILLAUD sera Président de La Seynoise de 1923 à 1943.
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Ayant obtenu son Certificat d'études en 1922, Marius AUTRAN entre alors dans la Section dite Ecole primaire supérieure de l'Ecole Martini. Il va y rester jusqu'en 1928 et va côtoyer, pendant toutes ses années, ses principaux camarades seront : Toussaint MERLE (qui sera Maire de La Seyne de 1947 à 1969), Gabriel JAUFFRET (le père de M. Gabriel JAUFFRET, notre Premier adjoint), Alexandre MIROY, Barthélemy BOTTERO, Denis GUIEU, etc.
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Pendant cette période, Marius habite avec ses parents, rue Hoche, et son père Simon travaille à l'Arsenal de Toulon. On parle un peu de politique à la maison. Simon n'a pas d'engagement politique très fort, mais il est sympathisant socialiste, à l'époque ou le député de la circonscription est Pierre RENAUDEL. A noter que Marius AUTRAN va parfois accompagner son père lors de meetings à la Bourse du Travail de La Seyne, par exemple lors de la campagne électorale de 1928. Marius entendra ainsi le jeune et brillant avocat communiste, Gabriel PERI, qui a alors 28 ans, venir porter la contradiction au vieux député Pierre RENAUDEL. Le souvenir de ce dernier meeting, où 3000 personnes se pressent dans et autour de la Bourse du Travail, ne le quittera jamais : Gabriel PERI, essayant de se faire entendre dans une salle qui lui était hostile dans sa grande majorité, et qui, par la puissance de son argumentation et le brio de son discours, arrivera à presque retourner la salle en sa faveur, du moins à recueillir autant d'applaudissements que RENAUDEL, qui ne comprend pas ce qui lui arrive.
A l'Ecole primaire supérieure, Marius et ses camarades vont bénéficier d'un enseignement de grande qualité, avec un "quatuor" de remarquables professeurs : M. ROMANET (lettres), M. AZIBERT (histoire, géographie, anglais), M. LEHOUX (sciences) et ce brave M. Etienne GUEIRARD (mathématiques). Tous les élèves de cette époque vont sortir de l'école avec des situations honorables.
Voici une célèbre photographie de la salle de sciences de l'École Martini en 1928 (amphithéâtre, dit "le Labo", que les élèves de ma génération connaîtront, inchangée, trente ans plus tard, jusqu'au début des années soixante).
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A cette époque, la question d'orientation se pose. Que va faire Marius AUTRAN dans la vie ? Il n'en sait encore strictement rien. Un moment, son goût penche pour une carrière d'officier de Marine (un uniforme bleu marine avec des boutons dorés le tente...). Mais son père, qui a connu une carrière dans la Marine - et qui n'en parle pas toujours en termes élogieux, lui dit : « pas question ! ». « Tu vas présenter le concours de l'Ecole normale de Draguignan. Tu seras instituteur ! ». Sans savoir s'il avait la moindre aptitude à exercer ce métier, Marius AUTRAN va donc se préparer à entrer à l'Ecole normale d'instituteurs. Son père avait choisi pour lui. (On ne s'opposait pas alors aux décisions du père, surtout pas à celles de Simon AUTRAN !).
Il présente le concours en 1927. Il ne réussit pas du premier coup (il ne se trouve cette année-là que sur la liste complémentaire). Mais il réussit au concours l'année suivante, en 1928. Et l'on peut penser que, sans ce redoublement de la dernière année d'EPS à Martini, la vie de Marius AUTRAN aurait peut-être été complètement différente. En entrant à l'Ecole normale en 1928, il va en effet se trouver avec une majorité d'élèves nés un an après lui. C'est ainsi qu'il va rencontrer une jeune fille seynoise, également reçue élève-institutrice la même année, Louise GAUTIER, née en 1911, qui deviendra son épouse, et avec qui il vivra 64 ans. C'est ainsi qu'il va côtoyer de près, pendant 3 ans, Toussaint MERLE, né aussi en 1911, avec qui se créera une complicité durable, puisqu'ils ne cesseront de travailler ensuite en étroite collaboration, dans la Résistance, puis dans la Municipalité de La Seyne.
En tous cas, l'année 1928 est une année exceptionnelle pour l'Ecole Martini : Sur les 17 reçus qui vont constituer la promotion d'élèves instituteurs (17 pour l'ensemble du département du Var), 7 sont issus de l'Ecole Martini de La Seyne !). Et notre célèbre "quatuor" de professeurs fut certainement pour beaucoup dans cet immense succès.
Marius AUTRAN à l'École normale d'instituteurs de Draguignan (1928-1931)
Marius AUTRAN a réussi le concours d'entrée à l'École normale d'instituteurs de Draguignan ! A l'annonce de cette nouvelle, la grand-mère AUBERT va faire le tour des voisins en annonçant « Lou pichoun, sara mestre d'escolo ! ». Et il faut bien voir que, pour la famille, c'est un évènement majeur. Ainsi, pour la première fois, on va avoir un AUTRAN qui ne sera pas forgeron, qui ne sera plus un "manjo-fer". Et, en outre, dès l'âge de 18 ans, il est tiré d'affaire, son avenir est assuré. Il est rémunéré dès la première année d'Ecole normale, il n'est plus à la charge des parents, et il cotise déjà pour sa retraite... qu'il pourra prendre à 55 ans.
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Mais il faut d'abord passer par ces trois années d'études à Draguignan, dans ce bâtiment déjà vénérable de la IIIe République.
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Trois années d'internat qui vont lui paraître interminables. En effet, le régime y est quasi militaire (réveil au clairon). Les conditions matérielles sont très médiocres : chauffage insuffisant, pas d'eau chaude, pas de personnel de service (ce sont les élèves qui font le ménage : ci-dessous, le "service du dortoir"). Les 50 élèves (les 3 promotions) partagent le même grand dortoir. On n'utilisait pas encore le mot bizutage, mais les brimades des nouveaux (les protos) par les deuxièmes (dotos) et troisièmes années (les vétérans) sont courantes et parfois sévères. La nourriture est plus que médiocre. Le Directeur, Monsieur Alphonse GILET, un homme remarquable, fait pourtant le maximum, mais ses crédits sont très limités. Toutefois, Marius ne s'en plaint pas trop car, de nature vorace, et partageant une table avec des camarades plutôt délicats qui, souvent, ne font pas honneur à la nourriture qui leur est proposée, lui va se charger de finir les assiettes des autres, la quantité compensant la faible qualité.
A un mois de la fin des trois années d'étude, les élèves ne chantaient-ils pas cette chanson que j'ai longtemps entendue dans la bouche de mes parents :
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En outre, tout est fait pour que les garçons ne puissent pas rencontrer les filles de l'Ecole Normale d'Institutrices, qui se trouve à quelque distance du bâtiment des garçons (mais ils arrivaient à se rencontrer quand même, notamment dans le train qui les amenaient à Draguignan...). Les créneaux horaires de sortie des garçons et des filles étaient décalés, les filles ne pouvaient sortir qu'en groupe, en uniforme, et encadrées par des surveillantes. Et même quand Marius sera officiellement fiancé à Louise GAUTIER, ils ne pourront se voir qu'au parloir de l'Ecole Normale, et à condition que le Directeur ait reçu une autorisation écrite des parents du garçon et de la fille ! Quelle époque !
Voici maintenant cette belle photo de la promotion 1928-1931, promotion « L'Avenir ».
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Et voici une photo de Louise GAUTIER, devant l'entrée de l'Ecole Normale d'Institutrice.
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Au point de vue des enseignements, Marius AUTRAN va recevoir une assez bonne formation, de qualité variable selon les disciplines, mais qui est à l'époque suffisante pour enseigner toute une carrière dans les écoles primaires publiques. En ce temps-là, on ne parlait guère de changements de programmes, de recyclage, de formation continue, etc. On sortait de l'Ecole Normale avec un bagage intellectuel qui devait suffire pour toute sa carrière. Mais l'aspect le plus positif de la formation des maîtres de l'époque était l'apprentissage de la Pédagogie. C'était le Directeur, M. Alphonse GILET, qui enseignait lui-même la Pédagogie à ses élèves. Il leur disait notamment : « Vous devez en permanence captiver les enfants, vous devez retenir leur attention, vous devez les intéresser. Si,à un moment, vous en voyez un qui n'écoute plus, qui regarde en l'air, attention ! C'est peut-être sa faute, mais commencez par vous dire que c'est peut-être vous qui ne savez plus capter son attention et qui ne l'intéressez plus ! C'est peut-être vous et votre discours qu'il faut remettre en question ! ». Et Marius AUTRAN saura mettre à profit ces conseils. Au dire de ses élèves, il aura toujours su les intéresser et jamais il ne sera chahuté (ses anciens élèves s'en souviennent bien...).
Le Directeur, M. GILET, entend former ainsi des maîtres d'élite, mais sa mission est aussi de former des "Hussards de la République". Il n'hésite pas à conditionner ses futurs maîtres au contexte de l'époque et à leur enseigner, non seulement la laïcité, mais même l'anticléricalisme. Il dira ainsi à ses élèves (je cite textuellement les récits, maintes fois entendus, de mon père) : « L'Église et l'Etat ont été clairement séparés grâce à la Loi de 1905. C'est une affaire entendue. Et l'Église n'a plus à intervenir dans nos enseignements. Mais, faites attention car, ces curés, ces sales curés, ils feront tout pour reprendre les prérogatives qu'ils ont perdues. Alors, soyez vigilants ». (On n'imagine pas aujourd'hui un Directeur d'IUFM utiliser un tel langage devant ses élèves...). Marius AUTRAN retiendra aussi ces leçons. Déjà issu d'une famille un peu "rouge" et plutôt anticléricale, il sera jusqu'au bout un ardent défenseur de l'école laïque. Il sera de ceux qui diront à leurs élèves (dont certains, naturellement, allaient aux cours de catéchisme après la classe : « Je ne veux pas voir apparaître un livre de catéchisme dans ma classe. Si j'en vois un (que vous auriez sorti ou fait tomber par mégarde, il passe aussitôt dans le poêle à charbon ! ». Je ne crois pas que cela se soit produit, mais d'autres maîtres l'ont fait.
D'une façon générale, Marius AUTRAN sera l'archétype des instituteurs de la IIIe République. Il va d'ailleurs sortir major de sa promotion 1928-1931. Il y est entré septième, il va en sortir premier. Et sa place de major, il la doit avant tout à ses notes et ses appréciations en Pédagogie. Il faut dire qu'à l'époque, les élèves de l'Ecole Normale effectuaient plusieurs stages pratiques dans une école primaire de Draguignan, appelée l'Ecole d'Application. L'un de ses premiers maîtres de stage écrivit un jour : « J'ai l'impression que Monsieur AUTRAN a déjà exercé ce métier auparavant... », dans une vie antérieure en quelque sorte. Une autre fois, son maître de stage écrira (photo ci-dessous) : « Mr AUTRAN m'a donné l'impression de posséder à un degré assez élevé ce que ne donnent d'habitude que quelques années d'expérience : influence spontanée sur l'élève, emprise facile, tenue en respect de la classe sous le simple regard, et surtout un calme inaltérable. Etc. ».
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Si, comme on l'a dit ci-dessus, lorsque son père lui avait demandé de se présenter au concours de l'Ecole Normale, il ne savait pas s'il avait la moindre aptitude pour ce métier, on peut dire a posteriori que, oui, il avait parfaitement les aptitudes requises pour l'exercer. Il était fait pour l'enseignement, pour captiver les élèves et faire passer son message, comme il sera jusqu'à l'âge de 80 ou de 90 ans, un remarquable conférencier.
Pourtant, à l'époque de l'Ecole Normale, le comportement de Marius AUTRAN est celui d'un jeune homme discret et modeste. Il ne semble pas qu'il s'occupe alors de politique. Mais,… bien que timide et peu expansif, ceux qui le connaissaient ont dit qu'il avait déjà, intérieurement, une sorte de tempérament de révolté. Révolté contre les injustices de toute nature. Et il sait qu'il a eu un grand-père syndicaliste et révolutionnaire, que son père est un sympathisant rouge, socialiste. Il n'est pas non plus indifférent à la gravité de la situation politique française et internationale de l'époque. Il n'oublie pas et il n'oubliera jamais les meetings auxquels son père l'avait amené à la Bourse du Travail de La Seyne, notamment celui où il avait entendu Gabriel PÉRI, remarquable orateur et avocat communiste, venir apporter la contradiction à Pierre RENAUDEL.
Le Service Militaire (1931-1932)
Le 15 Octobre 1931, Marius AUTRAN est incorporé à Hyères (caserne Vassoigne) dans le 3e Régiment d'Infanterie Alpine (3e R.I.A.) et il va accomplir ses 6 premiers mois de service militaire dans une école d'Officiers de Réserve : l'Ecole Militaire de l'Infanterie et des Chars de Combat de Saint-Maixent (Deux-Sèvres). De nombreux instituteurs de l'époque suivaient d'ailleurs cette voie. Pour Marius AUTRAN, c'était une sage décision car, vu l'aggravation de la situation internationale, avec le pouvoir fasciste en Italie et la montée du nazisme en Allemagne, chacun sentait qu'un nouveau conflit allait intervenir un jour ou l'autre et donc, tant qu'à faire la guerre, mieux valait la faire en tant qu'officier qu'en tant que simple troufion.
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Six mois vont se passer, l'automne et l'hiver 1931-1932, à apprendre les techniques de la guerre conventionnelle de l'époque : fusil, grenades, mitrailleuse Hotchkiss, mortier, canon de 75, etc. L'hiver va être froid et pluvieux dans cette région de la France. Marius AUTRAN gardera toujours le souvenir de ces nombreuses manœuvres sur le terrain, à ramper dans la boue pour déplacer une mitrailleuse sur son dos : un passage pour le canon (40 kg) et un autre passage pour le trépied (40 kg aussi)... Mais ils avaient 20 ans...
Finalement, il gardera un assez bon souvenir de ces 6 mois. Il avait notamment apprécié le courage et la « classe » de nombreux officiers supérieurs, certains issus de la Noblesse française. Et il apprendra aussi beaucoup de la mixité des cultures que l'armée pratiquait alors : on mélangeait systématiquement dans chaque section un Breton, un Alsacien, un Provençal, un Sénégalais, un Algérien, un instituteur, un prêtre, etc. Ceux qu'il appréciera moins, ce sont certains vieux militaires, qui avaient participé à des conquêtes coloniales et qui se vantaient de leurs exploits dans ces pays.
Mars 1932, Marius AUTRAN est sous-lieutenant de réserve.
La seconde partie du service militaire de Marius AUTRAN va s'accomplir à Sospel (Alpes-Maritimes), d'Avril à Septembre 1932, en tant que lieutenant, dans le 3e Régiment d'Infanterie Alpine (3e R.I.A.), qui sera toujours par la suite son Régiment d'affectation. Pendant ces 6 mois, il va se familiariser avec la mission de ce Régiment, qui est de se préparer à la guerre en haute montagne, dans les zones que les véhicules conventionnels ne peuvent pas atteindre, avec l'utilisation des mulets pour transporter armes, munitions, vivres, toiles de tente, etc. Il va ainsi participer à de nombreuses manœuvres dans les secteurs de Beuil, Brouis, Peïra-Cava, col de Turini, Cabanes Vieilles, etc.
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Après avoir accompli chaque année une période de réserve, il sera promu lieutenant en janvier 1936
Journal Officiel du 12 janvier 1936 |
Mariage avec Louise GAUTIER
Entre les deux parties de son service militaire, le 26 mars 1932, Marius AUTRAN va épouser Louise GAUTIER à La Seyne-sur-Mer.
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Qui était Louise GAUTIER ?
Ses parents étaient Louis GAUTIER et Joséphine MATHIEU.
Louis GAUTIER était un jeune sous-officier de Marine, né à Toulon, issu d'une famille originaire des Alpes-Maritimes et des Alpes de Haute-Provence.
Joséphine MATHIEU descendait d'un père, François MATHIEU, boulanger, puis patron pêcheur, originaire des Hautes-Alpes, et d'une mère, Madeleine MARTINENQ, appartenant à une vieille famille seynoise de 8 frères et sœurs, l'un de ses frères étant l'arrière grand-père de notre Conseiller Général Patrick MARTINENQ.
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Joséphine MATHIEU connut plusieurs grands malheurs dès sa jeunesse : en quelques années, elle perdit son père, son grand-père, une petite sœur et un petit frère. Mariée au début de l'année 1911 avec Louis GAUTIER, un garçon brillant et plein d'avenir, elle va devenir veuve la même année : Louis GAUTIER, qui avait terminé son engagement dans la Marine et qui venait d'être affecté à la Direction du Port de Toulon, eut en effet le malheur d'être de service (en fait, il n'aurait pas dû y être, ce jour-là, il remplaçait un ami...) le matin du 25 Septembre 1911, lorsqu'un incendie se déclara à bord du cuirassé Liberté, ancré près du rivage seynois, devant le quartier Pin de Grune. Louis GAUTIER fut aussitôt envoyé avec 3 autres marins sur une chaloupe munie d'une petite pompe à incendie... Que pouvaient-ils faire ? Il y avait 6000 obus à bord du cuirassé ! Quand, à 5 h 55 du matin, l'explosion de la soute à munition déchiqueta le navire, Louis GAUTIER fut tué sur le coup, avec près de 300 autres marins du Liberté et des navires voisins. Or, fin Septembre 1911, Joséphine GAUTIER était enceinte de 8 mois 1/2. Sa petite fille, qui sera prénommée Louise, naquit le 5 Octobre, 10 jours après la mort tragique de son père et 2 jours après ses funérailles nationales. (Louis GAUTIER, 25 ans, fut la seule victime seynoise - la plupart des marins de ces navires étant des Bretons - il sera inhumé dans le caveau du Souvenir Français du cimetière de La Seyne). Et Joséphine GAUTIER va élever seule sa fille. Elle va devoir pour cela travailler à la Pyrotechnie pendant la guerre de 14-18, notamment à laver à l'acide les douilles d'obus ramenées du front. Elle ne se remariera jamais. Elle mourra à 97 ans, après être restée veuve 75 ans !
Louise GAUTIER et sa mère ne se quitteront jamais. Quand Louise va épouser Marius AUTRAN, il sera admis que la belle-mère vivrait avec le couple. Partout où le couple ira, elle suivra. Et il en sera ainsi jusqu'à la disparition de Joséphine GAUTIER en 1986, donc pendant près de 55 ans. Certes, ce dut être une contrainte pour Marius d'avoir en permanence sa belle-mère, et quelques petites frictions durent se produire parfois. Mais, dans le fond, Marius et sa belle-mère s'estimaient beaucoup. Et la belle-mère, tant qu'elle fut valide, se chargeait de la quasi-totalité des tâches ménagères pendant que Louise travaillait. Personnellement, j'ai sans doute été davantage élevé par ma grand-mère que par ma mère. Une conséquence fut que Marius n'eut jamais à s'occuper de tâches ménagères : je n'ai jamais vu mon père balayer ou passer l'aspirateur, faire la cuisine ou la vaisselle, ranger la table, etc. La seule chose qu'il devait faire, je crois, c'était de plier sa serviette à la fin du repas. Mais ce devrait être ainsi, à l'époque, dans un certain nombre de familles où l'on était sans doute plus macho qu'aujourd'hui.
Donc, le 26 Mars 1932, Marius AUTRAN épouse Louise GAUTIER. Un drame va malheureusement ternir ce jour qui aurait dû être un jour de fête. La veille, le 25 Mars, un petit cousin de Marius, Louis AUGIAS, 7 ans, va faire une banale chute de sa petite bicyclette dans le jardin de ses parents, sa tête va heurter une grosse pierre, un accident considéré sur le moment comme sans gravité. Mais (traumatisme crânien, dirait-on aujourd'hui) l'enfant va avoir un comportement bizarre dans la soirée, et, dans la nuit, il va s'éteindre doucement. En raison de ce drame, toutes les festivités vont être annulées. Il n'y aura pas de photo de mariage et le banquet prévu chez VIDAL aux Sablettes va être décommandé. Le mariage de Marius et de Louise sera retardé de deux jours (le 28 mars, bien que daté du 26 sur l'acte) et aura lieu à la mairie, en présence des parents et des témoins seulement. Et Marius et Louise partiront en voyage de noces (à Marseille) en toute discrétion.
Instituteur à Montmeyan (1932-1935)
Le 1er Octobre 1932, Marius ayant terminé son Service Militaire, son activité professionnelle va débuter. Marius et Louise obtiennent leur premier double poste d'instituteurs dans le petit village de Montmeyan (canton de Tavernes). Naturellement, ils avaient postulé pour La Seyne où se trouvait toute leur famille. Mais la liste d'attente était longue et, comme beaucoup de jeunes instituteurs, ils durent faire leurs débuts dans un petit village éloigné en attendant de voir leur demande satisfaite. Les voilà partis pour Montmeyan, accompagnés naturellement par la belle-mère Joséphine GAUTIER. Montmeyan devait avoir à peine 350 habitants à l'époque. Et c'était le bout du monde. Ils n'avaient pas de voiture. Il fallait une bonne demi-journée en car pour s'y rendre, un car qui desservait tous les villages, apportait le courrier et les colis, transportait les villageois chargés de poules et de lapins... Et les hivers étaient longs et froids, le confort du logement attenant à l'école bien sommaire, pas d'eau courante, un chauffage médiocre, mais...
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Ils vont pourtant rester 3 ans à Montmeyan. Et ce seront, à mon avis, leurs plus belles années.
Pourquoi ? Parce que, tout d'abord, ils étaient jeunes : ils avaient 23 et 22 ans ! Et puis, Montmeyan se révéla être un village agréable, un village surtout peuplé de petits agriculteurs et de petits commerçants et artisans, des gens simples, sans histoire, en admiration et pleins de confiance pour leur instituteur. Le Maire lui-même faisait quelquefois appel à l'instituteur pour lui préparer des discours un peu difficiles.
Les enfants, certes peu cultivés, étaient toujours très attachants par leur côté "nature" et par leur grande soif d'apprendre. A Montmeyan, Marius et Louise vont exercer ce métier d'instituteurs tel qu'ils viennent de l'apprendre à l'Ecole Normale. Ils adorent leurs élèves. Ils vont s'attacher à préparer leurs leçons à la perfection. Pour eux, c'est le métier le plus beau du monde et le plus respectable. A cette époque, on peut dire qu'ils y croient.
Et puis, la région de Montmeyan est extrêmement giboyeuse à cette époque. Marius va se prendre de passion pour la chasse. Il avait déjà un peu chassé dans son adolescence à La Seyne avec son père, ses oncles et son grand-père AUBERT, mais à Montmeyan, il va pouvoir s'y donner à fond. Les jeudis et les dimanches, le voilà parti, seul, avec fusil, cartouches, carnier et ses cages à grives dans le dos, comme appelants. Comme il dormait peu, il allait quelquefois partir à 3 heures du matin, l'hiver, marcher des kilomètres dans la neige, jusqu'aux points de passage des grives et attendre alors que le jour se lève en se réchauffant les doigts au foyer de sa pipe. Marius AUTRAN deviendra un expert en matière de connaissance du gibier, il écrira même un recueil décrivant tous les oiseaux de la région et les spécificités de leurs chants. Et pendant 3 ans, la belle-mère va se régaler de plumer des grives et des perdreaux, de cuisiner des lapins et des lièvres...
Et puis, le 7 septembre 1933, un enfant va naître. Il s'appelle Robert. Certes, il va naître dans des conditions difficiles, par césarienne. Et, à l'époque, une césarienne était encore une opération rarement pratiquée et de laquelle la mère ne sortait pas toujours vivante. Et il leur sera vivement conseillé de ne plus avoir d'autre enfant sous peine de mettre la vie de la mère en danger. Mais Robert est un enfant superbe, blond, bouclé. Et toute la famille voit l'avenir en rose.
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Mais, finalement, après 3 ans passés à Montmeyan, ils se lassent un peu de l'éloignement, de l'absence de distraction, du confort sommaire, des hivers froids et longs. Et ils demandent à se rapprocher de La Seyne. Il n'y a toujours pas de poste qui se soit libéré à La Seyne. Alors, on leur propose Cotignac ou Carcès. Ils choisissent Carcès, qui est un peu mieux desservi question transports vers Toulon et La Seyne. Ils quittent Montmeyan, où ils seront remplacés pendant les trois années suivantes par un autre couple d'instituteurs seynois... Toussaint MERLE et sa jeune épouse Marie-Louise.
Ils ne reviendront par la suite à Montmeyan que très peu de fois. Ils vont encore y passer quelques semaines pendant l'été 1944 pour s'y réfugier après les bombardements de La Seyne. Puis une autre fois vers 1955 lorsqu'ils auront leur première voiture. Beaucoup de gens les reconnaîtront alors comme les anciens instituteurs qu'ils avaient eus au village 20 ans plus tôt. Et une dernière fois, beaucoup plus tard, en 1989 (photo ci-dessous). Je me souviens que mon père dit alors à un passant incrédule : « Vous voyez, cette école, derrière moi, eh bien, il y a 65 ans, j'en étais le Directeur ! ».
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Puis à Carcès (1935-1938)
Le 1er Octobre 1935, la famille AUTRAN (Marius, son épouse Louise, leur jeune fils de 2 ans, Robert, ainsi que la belle-mère Joséphine GAUTIER) s'installe donc Carcès. Carcès était déjà un village plus important que Montmeyan (l'école primaire avait 3 classes de garçons et 2 ou 3 classes de filles), et ils s'étaient aussi un peu rapprochés de La Seyne.
Marius et Louise AUTRAN passeront 3 ans à enseigner à Carcès, Marius AUTRAN étant directeur de l'école de garçons, avec 2 adjoints, MM. GRAVIER et BALLANDRAS ; et Louise AUTRAN enseignante à l'école de filles, dirigée par Madame TROIN.
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Mais la famille AUTRAN va trouver à Carcès une ambiance différente de celle de Montmeyan (où dominaient les agriculteurs et les petits commerçants). A Carcès, il y avait, en plus, des ouvriers, notamment avec les mines de bauxite proches du village. Contrairement à Montmeyan, Carcès connaissait donc des luttes sociales, des clivages politiques, les rapports entre habitants n'étaient pas toujours fraternels. On sentait qu'il y avait des "patrons" et un "prolétariat". Il y avait des gens qui faisaient facilement "des histoires". Marius AUTRAN eut aussi des conflits avec le curé du village à propos des horaires de catéchisme après la classe... Cinq ans plus tard, lorsque Marius AUTRAN fut arrêté pour ses activités dans la Résistance, il s'était d'ailleurs trouvé des habitants de Carcès pour témoigner à charge contre lui, prétendant que lorsqu'il était en poste à Carcès « il faisait chanter l'Internationale aux élèves de sa classe » !! Accusation calomnieuse tellement grossière que même le juge d'instruction ne la prit pas en compte.
La famille AUTRAN ne conservera que peu de souvenirs de son passage à Carcès, et surtout peu de bons souvenirs.
Mais c'est à Carcès que Marius AUTRAN commença à réellement entrer dans la politique et l'action syndicale. Il devint ainsi secrétaire de l'Amicale Laïque vers 1935. Cette même année, il est contacté par des communistes de Carcès et il est invité à une réunion de la Section communiste. C'est l'époque où se constitue le Front Populaire en France. Marius AUTRAN va également assister au grand meeting de Brignoles avec la venue de Maurice THOREZ en 1938. Il va être subjugué par la force de conviction et l'argumentation du jeune leader communiste. Il n'oubliera jamais cette voix de Maurice THOREZ, pas plus qu'il n'avait oublié celle de Gabriel PÉRI quelques années plus tôt. Mais Marius AUTRAN, qui va désormais être électeur communiste, ne va cependant pas encore adhérer au P.C.F. Il faut voir que le Parti Communiste de l'époque était un mouvement très "ouvriériste". On y trouvait beaucoup de bagarreurs et même des va-nu-pieds. Et un instituteur n'y était pas forcément bien perçu. Mais Marius AUTRAN va pourtant prendre un engagement politique significatif puisqu'il va accepter de devenir le premier secrétaire départemental du Secours Rouge International [Association d'aide et de solidarité des militants de tous les pays qui sont tombés pour la cause de prolétariat].
Le 3 Mai 1936, c'est la victoire du Front Populaire aux élections législatives. Pour Marius AUTRAN, c'est l'enthousiasme et on imagine qu'il s'apprête à s'engager à fond dans les luttes politiques lorsqu'un épouvantable drame familial survient : le 7 Juin 1936, leur petit Robert, 3 ans, va mourir.
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Que s'était-il passé ? L'enfant fut pris de violentes douleurs abdominales à Carcès. Le médecin du village décèle une occlusion intestinale et conseille l'opération immédiate. Mais il fallait se rendre à Toulon. Ils n'avaient pas de voiture. C'est un parent d'élève qui va les descendre à toute vitesse dans sa camionnette à Saint-Jean-du-Var où le Dr. X de la clinique va décider de mettre l'enfant "en observation" et d'attendre pour voir... Après deux jours où l'état de l'enfant n'a fait qu'empirer, il se décide à l'opérer. Mais il est alors trop tard. L'enfant est déclaré perdu lorsqu'il est rendu à la famille après son opération. Il ne survivra que quelques minutes et mourra dans les bras de ses parents, sans qu'aucun médecin ni infirmier ne vienne s'en inquiéter. Le désespoir est total, d'autant que le chirurgien ne reviendra que pour leur dire en substance : « C'est l'heure où je ferme... Je ne peux plus rien pour vous. Si vous voulez, je vous appelle un taxi, mais à vous de vous débrouiller maintenant avec le corps de votre enfant... ». Et voilà Marius, Louise, et la grand-mère, emportant le corps du petit Robert enveloppé dans une couverture, dans le taxi, direction La Seyne, quartier Touffany où habitait le reste de la famille, y compris l'arrière grand-mère Madeleine MARTINENQ. Ils arrivent dans la soirée, ils n'étaient pas attendus. A l'époque, il n'y avait pas de téléphone pour prévenir. « On vous ramène le petit, mort ! ». Et Marius AUTRAN va repartir ensuite à bicyclette dans la nuit, réveiller ses parents Simon et Victorine, ainsi que l'autre arrière grand-mère Joséphine AUBERT, à Mar-Vivo pour leur annoncer la nouvelle... Une catastrophe pour la famille, d'autant plus qu'il leur avait été déconseillé d'avoir un autre enfant, vu les problèmes d'accouchement rencontrés avec le premier.
Et il faut savoir que ce sera Marius AUTRAN lui-même qui va coucher le corps de son enfant dans son petit cercueil blanc. Il fallait le faire. Oui, mon père c'était quelqu'un ! Mais ce n'est que récemment que j'ai eu connaissance de ceci, en lisant une autobiographie que mon père avait écrite vers 2001-2002, texte inédit, mais dont il avait prévu qu'il serait diffusé un jour puisqu'il s'exprime en disant : « Amis lecteurs,... ce fut bien là le geste le plus cruel qu'il m'ait été donné d'accomplir de toute ma vie... ».
Et Marius AUTRAN dira souvent que, de ce jour, il n'eut plus jamais peur de la mort. Il se disait : « Qu'est-ce que tu vaux maintenant ? Tu n'as pas pu garder ton propre enfant ! Tu ne vaux plus rien ! A quoi bon continuer ? ». Et pendant la guerre de 1939-40 qui va suivre, Marius n'aura peur de rien. Il prendra parfois de gros risques. Il fera un jour une inspection du terrain, en uniforme d'officier, le long de l'Oise, sachant les Allemands postés sur l'autre rive. Tour le monde lui dit : « Mon lieutenant, n'y allez pas, vous allez vous faire tuer ! ». Il y alla quand même et en revint. Ce jour-là, les Allemands n'avaient pas dû avoir l'ordre de tirer...
Marius et Louise ne se remettront jamais totalement de la perte du petit Robert, comme ce doit être le cas de tous les parents qui perdent un enfant. Et ils vont devoir reprendre le travail à Carcès, à la rentrée d'Octobre 1936, pour encore deux années, pendant lesquelles ils vont devoir faire la classe aux enfants des autres, alors qu'ils viennent de perdre le leur.
Nous tournons la page de ce pénible épisode et nous allons maintenant retrouver Marius et Louise AUTRAN à la rentrée scolaire d'Octobre 1938. Leur demande de mutation de à La Seyne-sur-Mer vient d'être acceptée. Ils reviennent habiter et enseigner dans leur cité d'origine, qu'ils ne quitteront plus désormais. Marius va enseigner à Martini pendant plus de vingt ans, dont 14 ans sous la direction de Monsieur MALSERT. Les dernières années le verront à Beaussier puis à Curie. Louise enseignera presque uniquement à Curie de 1938 à 1965.
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Nous traiterons un peu plus loin la carrière d'enseignant à La Seyne de Marius AUTRAN, depuis l'année 1938 jusqu'à son départ à la retraite en 1966. En effet, comme on s'en doute, ses débuts à La Seyne vont être interrompus au bout d'un an par la mobilisation générale et son départ à la guerre.
La guerre de 1939-1940
Comme l'écrira souvent plus tard Marius AUTRAN, c'est « encore la guerre ! ». Mobilisé le 31 Août 1939, il rejoint son unité du 3e R.I.A. à Hyères, caserne Vassoignes. Il est affecté dans les Alpes-Maritimes et se retrouve donc, 7 ans après son Service Militaire, au même endroit, à Sospel. La mission de son Régiment : surveiller la frontière italienne. Pendant 3 mois, ils vont notamment parcourir les secteurs de Beuil, Vignols, Le Sellier, Portes de Longon. On peut voir ces différents sites et l'itinéraire parcouru sur les cartes qu'il a tracées ensuite. Rien ne se passe. On sait que cette période sera appelée la « drôle de guerre ». Et pourtant, un profond malaise s'installe. Le moral n'y est pas. Aucun courrier ni aucun colis ne leur parvient. La nourriture est infecte : jamais de fruits ni de légumes pendant plusieurs semaines (et pourtant, ils ne sont qu'à deux heures de la Côte d'Azur où tout pousse en abondance en cet automne 1939). Les quartiers de viande qui leur parviennent ont été transportés à dos de mulet, quatre heures de marche en plein soleil. De sorte que les œufs que les mouches ont pondus au départ ont eu le temps de se transformer en asticots lorsque la viande arrive. Et pour Marius AUTRAN il semble que tout soit mis en œuvre pour les démoraliser.
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Le 20 Novembre 1939, le Régiment reçoit un ordre de départ. Destination top-secrète, seul l'état-major de l'armée la connaît. Mais, avant même qu'ils ne soient arrivés, la radio allemande annonce : « Le 3e R.I.A. français est en mouvement en direction de Chaumont ! ». Les Allemands, eux, sont au courant.
L'automne et le début de l'hiver vont se passer dans la Marne (Givry-en-Argonne, Charmont), avec des températures descendant jusqu'à -25°. Mais rien ne se passe encore. On occupe les soldats à creuser des tranchées.
Le 21 Janvier 1940, direction La Moselle : Hagondage, Château-Bréhain, Vahl-Ebersing, Folkling, Cocheren. Et même une incursion au-delà de la frontière allemande, à Naßweiler. Ils ont les Allemands à portée de fusil, mais les ordres sont de ne pas tirer. Les Allemands sont en train de préparer posément leur grande offensive. Il semble presque que les ordres soient de ne pas les déranger....
Puis, Marienthal, Biding (30 Mars), Vaxy, Château-Salins, Allevilliers (8 Avril). Puis, les Vosges et la Haute-Saône, toujours avec leurs braves mulets... Anjeux, Epinal, Jasney, Mélincourt...
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Soudainement, le 19 Mai 1940, c'est l'offensive allemande. Le 3e R.I.A. est déplacé en urgence vers l'Aisne, puis la Somme. 700 autobus parisiens sont réquisitionnés. Une colonne de 700 autobus sur les routes de France ! Quelle belle cible pour les Messerschmitt et les Stukas allemands ! Pour des unités formées pour se battre en haute montagne, là où aucun véhicule ne passe, avec une logistique reposant sur les mulets, on les envoie dans les plaines du nord de la France, faire face au panzers allemands. Comme il l'écrira plus tard : « faut-il pleurer, faut-il en rire ? ». C'est sur la route de Beauvais à Amiens va se situer le fameux épisode du mitrailleur miraculé qu'il racontera maintes fois dans sa vie : celui du soldat qui va recevoir 3 balles dans la tête, tirées par la mitrailleuse d'un avion allemand, l'une traverse son casque de part en part en effleurant le cuir chevelu, le deuxième ricoche sur le casque et la troisième lui écorche légèrement le cartilage inférieur du nez...
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Ils sont à Chauny, Cuy, Bois-sud de Lassigny, Frémontiers, Conty, Plachy, Beauvais, Carrépuits (21 mai). Les combats sont alors très durs. Il va voir les premiers morts de la guerre. Son petit sergent VIAL, un Toulonnais, va être tué à côté de lui, d'une balle traçante dans le ventre. Il va agoniser toute une nuit. Et ils ne pouvaient rien faire pour le soulager. Aucun médecin, aucune trousse à pharmacie à leur disposition. Mais malgré leur handicap, ils ont le sentiment de bien se battre et ils font plusieurs fois reculer les Allemands avec leurs canons de 75 et leurs mitrailleuses Hotchkiss. Marius AUTRAN aura ainsi deux citations à l'ordre de l'Armée. Mais à chacune de leurs avancées, suit comme par hasard un ordre de "repli stratégique", en quelque sorte, le temps de laisser les Allemands reconstituer leurs forces et réattaquer... On va ensuite à Carrepuits, Voyennes, Quiquery (5 Juin), Bois de Libermont, Campagne, Plessis-le Roy, Gournay, Fleurines (10 juin). C'est là que sa section va abattre un avion d'observation allemand avec une simple mitrailleuse.
Puis, Verneuil (10 juin), Chantilly, Livry-Gargan... et tout va alors aller très vite. Tout est balayé par l'offensive allemande. On recule : Boissy-Saint-Léger, Orléans, Sandillon. Des images épouvantables de la débâcle. Des milliers de civils, hommes, femmes et enfants, fuyant, emportant ce qu'ils avaient pu sauver, et ce, sous les bombes et la mitraille de l'aviation allemande. A Sandillon (17 Juin), se rendant au rendez-vous donné par son Commandant, il tombe dans une embuscade : une rafale de mitraillette lui passe à quelques centimètres au dessus de la tête alors qu'il marchait en tête de ses hommes. C'étaient les Allemands qui étaient au rendez-vous !
Ce cas de figure s'était déjà produit plusieurs fois. Aux points de rendez-vous donnés par leurs supérieurs, ils tombaient sur les Allemands. On n'enlèvera plus jamais à Marius AUTRAN la certitude que la trahison existait au plus haut niveau. Et pourquoi cela ? Je cite la pensée de Marius AUTRAN : « Pour que les Allemands ne perdent que le minimum de temps et d'hommes avec la campagne de France, de manière à se concentrer au plus vite sur l'objectif principal de la Seconde guerre mondiale : l'anéantissement de l'Union Soviétique ».
Le 19 juin 1940, sa compagnie est rejointe par un régiment de panzers. Il sont faits prisonniers à Lamotte-Beuvron (Loir-et-Cher). C'est la première fois qu'il voit les Allemands de près. Cette image ne le quittera jamais. Il dira : « ils avaient une barbe rousse et les yeux injectés de sang ». [Peut-être, ces jeunes soldats, vu la rapidité de leur avancée n'avaient-ils pas dormi depuis plusieurs nuits. Mais, pour Marius AUTRAN, de tels yeux ne pouvaient être que le signe de la barbarie]. Tous ses hommes jettent leurs armes au sol et se tiennent mains en l'air, lorsqu'un officier allemand se met à hurler en le désignant, lui en particulier. Il réalise qu'il a levé les mains en gardant son pistolet d'officier sur lui... Il dégrafe alors son ceinturon et jette le tout par terre.
Le voici prisonnier, avec ses camarades. Ils sont dirigés vers Orléans, puis dans le camp de prisonniers pour officiers (un "Oflag") de Pithiviers (21 juin), un camp probablement semblable à celui de l'image ci-dessous.
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Epris de liberté et d'indépendance, surtout après avoir vu ce qu'il a vu, connu les horreurs de la guerre et l'invasion de son pays par les hordes allemandes, il ne supporte pas de rester derrière les barbelés. Très rapidement, il pense à s'évader.
Mais ce n'est pas facile. Il commence alors à surveiller les mouvements, les habitudes du camp, les va-et-vient, les changements de garde. Une anecdote, au passage : il pense un jour reconnaître dans le camp, l'officier allemand qui lui avait fait enlever son pistolet lorsqu'il fut fait prisonnier. Cet officier se déplaçait avec une belle paire de jumelles, qu'il posa un instant sur le marchepied d'un camion. Marius, s'assurant que personne ne l'observait et que l'attention de l'officier était ailleurs, déroba promptement les jumelles et les mit dans son sac. Ces jumelles, il put les ramener comme trophée à La Seyne, elles lui servirent toute sa vie, et il disait qu'il en avait certainement fait un meilleur usage que le pistolet qu'on lui avait pris à Lamotte-Beuvron...
Revenons à son projet d'évasion. Il fallait qu'il trouve des amis sûrs, car il y a des espions allemands qui sont mêlés aux prisonniers français et qui écoutent les conversations. Et on sait qu'un prisonnier qui est surpris en cours d'évasion est fusillé sur-le-champ. S'il est repris plus tard, il est alors renvoyé dans un camp de prisonniers plus loin en arrière des lignes. Dans ces conditions, beaucoup ne voudront pas prendre le risque d'une évasion. Certains refuseront l'idée même de s'évader, ayant « donné aux Allemands leur parole d'officier qu'ils ne s'évaderaient pas ». Mais Marius AUTRAN leur dit : « Votre parole d'officier ! Mais est-ce que ça compte, ma parole d'officier face à ces barbares ! ». (Et beaucoup de ceux qui ne s'évadèrent pas passèrent jusqu'à cinq ans en Allemagne). Finalement, il s'entend avec un camarade de confiance, le lieutenant COSTE, ainsi qu'avec leur chef cuisinier, le lieutenant AUGIAS (celui qui par la suite, jusque dans les années 60, tiendra un restaurant, l'auberge AUGIAS, sur la route de Toulon à Hyères, à hauteur de La Crau).
Ils procédèrent de la façon suivante. Il y avait chaque jour, sous la responsabilité du chef cuisinier, des groupes d'officiers de corvée qui pouvaient sortir du camp avec une charrette pour ramener de l'eau et des vivres au camp. Parfois, la garde était changée entre la sortie et le retour des hommes de corvée. Le 9 Juillet 1940, AUTRAN et COSTE firent partie d'une corvée de cinq hommes qui, lorsqu'elle rentra (après une relève de la garde) n'avait plus que trois hommes. La garde allemande ne vit rien d'anormal. Le lieutenant AUGIAS, qui était responsable de ses hommes auprès des Allemands, avait dit : « Je serai obligé de signaler que deux de mes hommes manquent à l'appel, mais il est entendu que je ne le signalerai que dans deux jours. Ce qui vous laissera le temps de prendre du champ ». C'est ce qu'il fit. Et quand les Allemands se mirent à la recherche d'AUTRAN et de COSTE, ceux-ci avaient déjà traversé presque tout un département.
Marchant uniquement de nuit et habillés en ouvriers agricoles, ils vont contourner Pithiviers par le nord-ouest : Givraines, Bois Commun, Les Bordes (12 Juillet), La Billardière (13 Juillet), Oizon, Marogues... Il vont parfois beaucoup souffrir de la faim et de la soif, car il était risqué de s'approcher d'un village, ne sachant pas a priori si les Allemands l'occupaient ou non, ou même d'une ferme, ne connaissant pas les opinions éventuellement pro- ou anti-allemandes du propriétaire... Le 15 Juillet, ils sont à Rians (Cher) et ils réussissent, de nuit, à passer la première ligne de démarcation. Mais c'est alors que, dans le no man's land entre la zone occupée et la zone libre, une patrouille allemande les intercepte ! Ils sont interrogés au poste allemand. On leur demande ce qu'ils font et où ils vont. Il ne s'agissait pas d'hésiter, car cela aurait attiré les soupçons des Allemands. C'est là que la chance intervient. Alors qu'il ne connaissait pas du tout la région, Marius AUTRAN avait jeté un coup d'œil à la carte du Cher, la veille, sur le calendrier des Postes d'un paysan. Et il avait mémorisé quelques noms de villages se trouvant, certains du côté occupé, d'autre du côté libre. Et, pour ne pas perdre la face, il cite au hasard l'un de ces noms : « Nous devons aller travailler à Baugy ». Et l'officier allemand leur répond : « Mais Baugy est en zone occupée, et je n'ai pas le droit de vous laisser passer ; il faudrait que vous ayez des papiers visés par le poste français vous y autorisant. Je vais donc vous faire conduire au poste français et, après, quand vous aurez vos papiers en règle, vous reviendrez et je vous laisserai passer... ». Et un soldat allemand, avec moto et side-car, les amène au poste français. Ils étaient en zone libre ! Ils ne reviendront évidemment pas se présenter au poste allemand ! Leur évasion était réussie. Et ce, grâce à cet officier allemand soucieux d'appliquer ses consignes à la lettre...
Le 18 Juillet, ils sont à Dun, Saint-Amant-Montrond, d'où ils prennent le train pour Montluçon, puis, Lyon et Toulon. Le 19 Juillet 1940, un mois jour pour jour après avoir été fait prisonnier, Marius AUTRAN est de retour dans sa famille au quartier Touffany ! Où l'on était sans nouvelles de lui depuis plusieurs semaines.
Et cette période dramatique et intensément vécue des combats et du camp de prisonnier, qui n'aura finalement duré que 2 mois, va alimenter pendant une bonne dizaine d'années les récits de Marius AUTRAN, notamment à la fin des repas de famille, dans les soirées et les veillées. Je me souviens, étant enfant, d'avoir entendu maintes fois raconter tous ces détails des combats, jusque vers le milieu des années 50. Il est dommage que le cahier où il avait consigné tous ces détails au jour le jour ait été perdu par la suite. Ses mémoires de guerre complètes ne seront jamais publiées et seuls quelques épisodes résumés (Le mitrailleur et le cheval miraculés, Verneuil-sur-Oise, Le Pont d'Orléans - Pithiviers, Évasion réussie) feront l'objet d'un chapitre intitulé Seynois au combat dans le Tome IV de sa série Images de la vie seynoise d'antan, en 1992.
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La Résistance
De retour à La Seyne, il ne va pas facilement "digérer" ces images dramatiques de la guerre et de l'invasion de son pays. Il ne va pas rester inactif. Quelques semaines seulement après son évasion, il est contacté par un groupe de résistants et il entre dans leur réseau. En habitant le quartier Touffany, il est d'ailleurs tout près du lieu discret où ils se réunissent souvent : une maison du quartier Gavet.
Quelle va être son action jusqu'en 1944 ? Il ne va pas participer au maquis, ni attaquer des barrages allemands les armes à la mains, comme le fit par exemple son ami Paul PRATALI. Non, il va plutôt travailler dans l'ombre, il va multiplier des actions, souvent nocturnes, en vue de réveiller la conscience des Français et démoraliser l'occupant allemand et ses collaborateurs. Notamment par la rédaction, l'impression et la distribution de tracts anti-allemands et anti-régime de Vichy. Son jeune cousin Loulou MEUNIER, qui habite la même maison familiale du quartier Touffany, participe aussi activement à ces distributions de tracts dans le cadre de l'Arsenal de Toulon.
Quelques actions exemplaires de sa part, mais peu connues, se situent dès l'automne 1940 dans le cadre même de l'école Martini où il enseigne. Il faut rappeler que dans ses débuts, le régime de Vichy avait fait imprimer des reproductions en couleur du Maréchal Pétain, grandeur nature, qu'il était demandé d'apposer dans chacune des classes de toutes les écoles de France. C'est ce qui fut fait à l'école Martini, sauf dans une classe, celle de Marius AUTRAN. Du moins, le portrait fut suspendu au mur, mais il l'avait retourné, la face contre le plâtre... D'autre part, il était exigé que, chaque matin, les enfants soient rassemblés dans la cour et chantent le Maréchal nous voilà ! tandis que l'on « hissait les couleurs » à un mât, comme dans les casernes de l'armée. Marius AUTRAN dut se plier à cette cérémonie avec sa classe pendant quelques semaines (voir photo ci-dessous), mais il ne le supportait guère.
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[Photo fournie en 2007 par Mme Marie-Claude Argiolas, qui la tenait elle-même de la famille Ventre, de La Seyne] |
Une nuit, ayant pénétré dans la cour de l'école par le côté rue Martini, il déroba le drapeau tricolore qui servait aux cérémonies. Mais que faire de ce drapeau ? Sortir avec un tel objet dans les rues de La Seyne, c'était prendre un gros risque, avec les fréquentes patrouilles de la police. Alors, lorsqu'il grimpa de nouveau sur le mur pour quitter l'école, il s'aperçut que les piliers carrés du portail de la rue Martini étaient creux. Il put alors glisser le drapeau tricolore, enroulé, dans le trou de l'un des piliers et le faire glisser au fond. Le lendemain matin, on fut embarrassé en ne trouvant pas le drapeau et la cérémonie n'eut pas lieu. Mais quelques jours plus tard, on trouva un autre drapeau et les cérémonies reprirent avec cependant moins de conviction. Alors, une autre nuit, Marius AUTRAN effectua une autre expédition nocturne et déroba cette fois la corde du mât. De nouveau, les cérémonies et les chants furent interrompus, et furent ensuite abandonnés. L'objectif était atteint.
Mais qu'était devenu ce fameux drapeau tricolore que Marius AUTRAN avait subtilisé ? Il suffit, pour le savoir, de lire entre les lignes l'Histoire de l'Ecole Martini qu'il écrira quelque 40 ans plus tard.
On y trouve, en effet, à la page 213 du chapitre VII, la phrase suivante « La personne qui subtilisa le drapeau tricolore, et dont nous tairons le nom pour épargner sa modestie, l'avait caché dans un pilier du portail qui était creux et dont le sommet n'était pas bouché. Lors de la démolition de l'école, 35 ans plus tard, le hasard voulut qu'elle se trouvât là au moment où des décombres du portail, un ouvrier sortit un morceau d'étoffe moisie où apparaissaient encore vaguement les couleurs nationales ». La personne dont nous tairons le nom... c'était lui, Marius AUTRAN, et effectivement il se trouva là lors de la démolition des piliers de l'école Martini en 1976 et revit les restes de "son" drapeau !
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En mars 1942, un mouchard s'est glissé parmi les ouvriers de l'arsenal et Loulou MEUNIER est arrêté. On se doute très rapidement que c'est son parent Marius AUTRAN qui a fourni la plaque à polycopier permettant de multiplier les tracts. Le 17 mars, Marius AUTRAN est arrêté à son tour, par deux policiers, dans sa classe, à l'école Martini. Les élèves de cette année-là en conservent encore le souvenir.
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Conduit à la Prison Maritime de Toulon, il va y rester près de 2 mois dans l'attente de son jugement.
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Pendant son séjour à la prison, il va tenir un cahier dans lequel il va consigner, au jour le jour, tous les évènements, tout ce qu'il ressent. Le contenu de ce cahier est tellement chargé d'émotion que je n'ai encore jamais pu le lire en entier. Y sont annexées les lettres qu'il a reçues de son père et de son épouse (vers la fin de son séjour seulement car, pendant les premières semaines, la famille ne sera au courant de rien sur son sort). Voici un bref extrait de ce cahier :
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... Ainsi s'écoule péniblement la matinée. Le carillon le plus proche a sonné 9 h 30. Les matelots d'un même groupe s'agitent encore dans la cour. Les isolés ont repris leur va-et-vient dans la cellule. Combien d'autres avant eux ne l'ont-ils arpentée des centaines, que dis-je, des milliers de fois. A une cadence normale, j'ai constaté qu'en faisant 360 fois le va-et-vient il s'écoule 1/2 heure environ. C'est une manière d'apprécier le temps qui s'écoule et donc de connaître l'heure approximative. Savoir l'heure qu'il est, voilà la préoccupation constante du détenu en cellule. Certes, il a pu observer la position de l'ombre d'un barreau au moment même où le carillon avoisinant sonnait une heure entière, mais le soleil ne se montre pas tous les jours. Ce gnomon improvisé ne peut pas toujours renseigner. Alors ! On questionne certains camarades qui remontent. Dix heures sont passées ! Tant mieux ! L'heure de la soupe approche. Comme on voudrait les voir fuir les heures ! Vivement ce soir, qu'on se couche, entend-on souvent. Le jour s'est fait suffisamment dans la cellule pour qu'on puisse écrire. Ecrire une lettre ? Oui, cela fera passer un bon moment. Mais tous ne peuvent pas écrire tous les jours. Les "disciplinaires" n'ont droit qu'à une lettre par semaine... |
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Mais la police ne trouvera jamais la réserve de tracts qui auraient prouvé la culpabilité de Marius AUTRAN. Bien défendu lors de son procès par l'avocat Me Edouard LE BELLEGOU (qui sera par la suite Maire de Toulon), il obtiendra un non-lieu et sera libéré le 5 mai 1942. Beaucoup d'autres s'en tireront moins bien, en particulier Loulou MEUNIER qui écopera de 2 ans de prison et de camp d'internement dans des conditions très dures à la centrale d'Eysses (Lot-et-Garonne).
Marius AUTRAN dira par la suite : « Ils n'ont jamais trouvé les tracts, mais s'ils avaient bien cherché, ils les auraient trouvés... Les paquets de tracts étaient simplement dissimulés dans ma classe, entre le tableau et le mur... Pour puiser dans la réserve, il me suffisait de dévisser légèrement une vis du tableau et de revisser ensuite... ».
A peine libéré, il va reprendre des actions de Résistance. En 1943, il participa, en liaison avec Toussaint MERLE, à la reconstitution du Parti communiste clandestin à La Seyne (auquel il avait lui-même adhéré dans le courant de l'année 1941) et à la publication du journal L'Écho seynois. Il devint aussi le responsable local du Front National de la Résistance.
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C'est au printemps 1942, dès sa sortie de prison, qu'il va prendre une sage décision. En effet, même s'il a obtenu un non-lieu, il n'est pas certain de retrouver son poste d'enseignant à Martini car on est sous le régime de Vichy et une simple arrestation pour faits de Résistance pouvait fort bien entraîner sa révocation. Il va alors décider d'acquérir une assez grande terre agricole au quartier Bastian (1000 vignes et 50 arbres fruitiers), qu'il va se mettre à cultiver, et de laquelle il va tirer profusion de fruits et légumes de toute sorte (ô combien précieux dans ces années de restriction alimentaire), y compris du vin en quantité suffisante pour une année de consommation familiale. Pour le cas où il aurait perdu son poste, cette terre lui aurait permis de subsister, lui et sa famille, et de voir venir. Il va y faire construire un petit cabanon et il va cultiver cette propriété pendant plus de 40 ans ! Nous en reparlerons un peu plus loin.
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Question : comment avaient-ils pu, sa femme et lui, se payer cette terre (32 000 francs de l'époque) avec leurs petits salaires d'instituteurs ? Il faut savoir que Marius AUTRAN avait touché sa solde d'officier pour les 9 mois passés au front, juste avant d'être fait prisonnier, et qu'il avait pu la conserver et l'économiser, à quoi s'était ajoutée sa prime de démobilisation. Cela leur avait permis de rassembler la somme nécessaire.
L'automne 1942 fut malheureusement endeuillé par la mort accidentelle de Victorine, la mère de Marius AUTRAN, âgée de seulement 52 ans. Victorine fut en effet renversée et grièvement blessée par un camion, dans le virage de La Maurelle, alors qu'elle revenait de faire le marché à La Seyne à bicyclette. Elle va mourir deux jours plus tard à l'hôpital. Et ce qui vient ajouter au drame, c'est que la société qui employait le camion s'arrangea, en subornant divers témoins, pour dégager ses responsabilités et faire en sorte que la justice lui donne raison : Victorine AUTRAN s'était, soi-disant, jetée sous les roues du camion...
Fin 1942, c'est le sabordage de la Flotte à Toulon et l'occupation de la zone Sud par les Allemands. On va alors rencontrer des Allemands partout dans La Seyne, notamment dans les sites stratégiques. Et les bombardements anglo-américains de la région vont commencer, en prélude à leur débarquement : 23 novembre 1943, 11 mars 1944, 29 avril 1944...
Mais Marius AUTRAN ne cesse de suivre également la situation internationale. Dans leur maison de Touffany, le soir à la radio, avec l'oncle Louis MEUNIER, ils suivent l'avancée des armées allemandes sur tous les fronts, notamment sur de vielles cartes de l'Europe de l'Est. Ils tracent au crayon rouge les changements des lignes de fronts et, Louis MEUNIER parlant un peu le russe depuis son enfance, ils enregistrent les noms des villes russes qui tombent aux mains des nazis. Ils se demandent où cela va s'arrêter. Qui va être capable d'arrêter ce flot de barbarie qui déferle sur le monde ?
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C'est en novembre 1943 qu'a lieu le tournant majeur de la guerre avec la défaite des Allemands à Stalingrad. Les armées d'Hitler reculent et Marius AUTRAN et Louis MEUNIER vont maintenant suivre sur leurs cartes les victoires de l'Armée Rouge qui, en 18 mois, avec des millions de morts, vont repousser les Allemands jusqu'à Berlin. On sait que, depuis la défaite de 1940 et l'occupation du sol français, Marius AUTRAN ne souhaitait qu'une chose : voir chasser et écraser l'armée d'Hitler. Un immense espoir renaît donc, qui repose maintenant sur l'Armée Rouge et son grand chef, STALINE. Déjà membre de réseaux de la Résistance proches du Parti Communiste Français, ayant déjà adhéré, depuis 1941, à ce Parti dont on connaît la sympathie pour le régime soviétique, les convictions de Marius AUTRAN se renforcent encore : seul le triomphe du communisme dans le monde va pouvoir assurer le retour de la paix et son maintien, ainsi que la fin de l'exploitation des travailleurs par les patrons...
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C'est dans cette époque de bouleversements et de drames qu'un évènement inattendu se produit dans la famille : Louise AUTRAN est enceinte ! Vous comprenez que, cette fois, c'est moi qui vais intervenir ! Mais ce n'était pas le meilleur moment pour arriver ! D'autant, qu'en principe, elle n'aurait plus dû avoir d'enfant, vu les problèmes de son premier accouchement, et d'autres conditions difficiles étaient donc à prévoir. Au cours du bombardement le plus destructeur de tous, le 29 avril 1944, leur maison du quartier Touffany est gravement touchée (on sait combien les quartiers des 4 Moulins, du cimetière, de Touffany, Saint-Honorat, etc. furent touchés ce jour-là). Louise est alors enceinte de 8 mois et l'étage qu'ils habitent est endommagé au point d'être quasi inhabitable. Elle aurait dû normalement accoucher à Toulon, dans un milieu très médicalisé, la clinique Malartic. Mais, après les bombardements, cette clinique avait dû déménager. Elle se trouvait "délocalisée" dans un lieu calme de l'arrière-pays toulonnais : la chartreuse de Montrieux-le-Jeune, à Méounes. Le docteur Malartic conseilla donc à Louise de partir s'installer à Montrieux et d'y attendre au calme le terme de sa grossesse.
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Oui, mais encore fallait-il pouvoir s'y rendre. Ils n'avaient toujours pas de voiture et d'ailleurs ceux qui en avaient une n'avaient plus de carburant ou avaient vu leur véhicule réquisitionné. Après le bombardement du 29 Avril, il n'y a avait plus de transport en commun de possible, les routes étaient coupées de partout par des trous de bombes et d'obus. C'est alors que Marius AUTRAN fut dépanné grâce à ses relations avec la Résistance. En particulier, son fidèle ami Paul PRATALI lui dit, toujours aussi expéditif : « Demain, je te trouve une voiture pour Montrieux ! ». « Soyez prêts demain matin à 8 heures au Pont de Fabre ! ». Et le lendemain matin, Marius, Louise avec l'enfant qu'elle portait, sans oublier la belle-mère qui va suivre naturellement, tous attendent avec leurs valises et la layette de l'enfant à naître... A l'heure dite arrive un véhicule portant une inscription allemande "Kommandantur". Marius a un moment de recul (a-t-il été vendu ? est-on venu pour l'arrêter une nouvelle fois ?) et il demande « Où nous emmenez-vous ? ». Le conducteur répond : « Discute pas et monte ! ». Ils montent et partent. Et il s'avère que cet homme, nomme Retou MILANO, est bien celui envoyé par Paul PRATALI, et n'est autre qu'un agent double. Il appartenait à la Résistance tout en ayant un poste de chauffeur à la Kommandantur allemande. Grâce à ce véhicule, il franchissait tous les barrages allemands, et il en profitait pafois pour ravitailler en armes et munitions certains Maquis du Var !
C'est ainsi que j'accomplis mon premier voyage dans le ventre de ma mère et dans un véhicule de la Kommandantur allemande, et qui transportait occasionnellement des armes pour le Maquis !
Le 24 mai 1944, je vis donc le jour au milieu des moines de la chartreuse de Montrieux, et des sœurs de la clinique Malartic. Les conditions de ma naissance furent presque aussi difficiles que celles de mon frère aîné Robert et c'est bien grâce au Docteur Jean SAUVET (qui appartenait aussi à la Résistance, et qui sera peu après Maire de La Seyne, de 1945 à 1947), qui arriva à bicyclette de Signes pour accoucher ma mère, que je dois d'avoir survécu. Mon père était à Montrieux ce 24 mai et, ne pouvant pas résider dans le monastère, il viendra me voir plusieurs fois à bicyclette depuis La Seyne dans les jours qui suivront.
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Vers la mi-Juin 1944, comme il n'était pas question que la famille retourne habiter à La Seyne, ville en ruines et occupée par les Allemands, Marius accepte la proposition de son cousin Lucien SICARD d'aller habiter la maison qu'il avait de vacante à Montmeyan. Les voilà de nouveau dans ce village où ils avaient vécu une dizaine d'années auparavant. Marius AUTRAN va s'arranger pour déménager un minimum de mobilier depuis La Seyne et ce fut un tour de force que de trouver en ce temps-là un petit camion pour effectuer ce transport, sans parler du landau (et quel landau !) qu'il put trouver dans Toulon et qu'il fit envoyer en bagage sur le toit d'un car pour que ma mère et ma grand-mère puissent me promener à Montmeyan... Pendant l'été 1944, Marius AUTRAN partagea sa vie entre La Seyne (où il avait ses amis de la Résistance, et où son père Simon habitait encore, seul, rue de Lodi). Il lui arriva de "monter" à Montmeyan avec la vieille bicyclette de son père, une bicyclette dont les pneus, rapiécés et fendus de toutes parts, ne tenaient qu'avec de la ficelle (à cette époque de pénurie, on ne trouvait plus nulle part ni pneu, ni chambre à air à acheter), ce qui empêchait évidemment d'utiliser les freins... Une autre fois, il fit le trajet en car, mais le car fut arrêté à plusieurs reprises, et fouillé de fond en comble par des Allemands menaçants, à la recherche d'armes (ou simplement de gibiers qui aurait été tués par plombs de chasse), les voyageurs devant rester les mains en l'air pendant la fouille. Marius AUTRAN avait cette fois-là sur lui un document de la Résistance. Il raconta qu'il réussit, on ne sait comment, tout en gardant les mains en l'air, à cacher ce document dans sa chaussure...
Les rumeurs du débarquement allié arrivèrent à Montmeyan et des convois allemands se repliant vers le Nord commencèrent à traverser le village. A ces moments-là, la population ne terrait dans les maisons ou se dispersait dans les champs (car l'histoire du massacre d'Oradour-sur-Glane du 10 Juin 1944 était dans tous les esprits). Le 17 Août, un autre convoi se présente, mais l'inquiétude fait place à l'euphorie : « ce sont les Américains » dit-on. Il est midi, et le convoi fait halte à Montmeyan et Marius AUTRAN est appelé par le Maire, puisqu'on sait qu'il est lieutenant de réserve et qu'il parle un peu l'anglais. Marius AUTRAN va être ainsi invité à la table du général américain (c'était probablement le général BUTLER). Marius AUTRAN fut surpris de voir le général se faire servir un demi-melon dans son assiette (alors que l'habitude des Provençaux était de manger les melons coupés en tranches...). Marius racontera souvent que son voisin de table était un jeune soldat et qu'il essaya de converser avec lui en anglais. Lui ayant demandé quelque chose comme « Where are you from ? », l'Américain lui répondit : « Oklahoma ! ». Et Marius AUTRAN fut certainement ému de voir tous ces jeunes soldats, venus de si loin, de leur Amérique profonde, se faire "casser la gueule" pour libérer la France ! Mais la préoccupation immédiate des Américains était de trouver un pont pour traverser le Verdon. Marius AUTRAN va donc monter sur un véhicule américain et guider le convoi jusqu'au pont de Quinson et le convoi continuera vers le Nord.
Le 25 Août, La Seyne est libérée. Imaginant combien les combats ont dû être destructeurs, Marius AUTRAN décide alors de "redescendre" de Montmeyan à La Seyne, prendre des nouvelles de son père (Où avait-il pu aller après l'ordre qui avait été donné d'évacuer la ville ? Etait-il seulement encore vivant ?) et voir dans quel état se trouvait la ville et les habitations des membres de la famille. Un car arrive à l'amener jusqu'à Toulon et il devra faire le reste à pied vu l'état des routes, coupées en maints endroits par des trous de bombes et d'obus. Il traverse le Pont du Las. Il y a à gauche et à droite de la route nombre de cadavres d'Allemands calcinés par les lance-flammes des tirailleurs sénégalais. Il trouve La Seyne encore plus en ruines qu'après le 29 Avril. Il y a eu entre temps la destruction des Chantiers, des quais et des immeubles du port par les Allemands. Il retrouve son père à son domicile, celui-ci ayant refusé de suivre l'ordre d'évacuation (!) et étant resté terré chez lui, volets fermés, pendant toute la durée des combats de Libération.
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A partir de l'automne 1944, la ville va peu à peu se relever de ses ruines, la vie va progressivement reprendre, mais dans des conditions extrêmement difficiles. La famille de Marius AUTRAN va habiter provisoirement Mar-Vivo dans l'ancienne maisonnette de Simon AUTRAN. Marius va reprendre le travail à l'école Martini, à bicyclette, tandis que Louise va devoir se rendre tous les jours à pied à l'école Curie. Les routes sont défoncées, il n'y a pas de transports en commun et on va vivre, pendant encore plusieurs années, avec d'énormes problèmes de ravitaillement (cartes d'alimentation...). A cette époque, Marius AUTRAN va faire partie des équipes de bénévoles qui, le dimanche, vont aller, avec pelles et pioches, déblayer les ruines et reboucher les centaines de trous de bombes et d'obus pour permettre aux gens de se déplacer et aux véhicules de circuler à nouveau.
Son engagement politique
Dès son retour à La Seyne, Marius AUTRAN, déjà responsable local du Front National de Libération, va se trouver au tout premier plan des actions de reconstruction de la ville de La Seyne, et des combats pour la paix. En effet, la guerre mondiale n'est pas terminée et, même pendant les années qui vont suivre, avec la mise au point des armes atomiques, puis nucléaires, la guerre ne sera pas loin d'éclater de nouveau et des foules nombreuses vont manifester pour la paix.
Marius AUTRAN ne va pas tout de suite faire partie des municipalités de l'après-guerre, ni celle du Docteur SAUVET en 1945, ni celle de Toussaint MERLE en 1947. Il aura à ce moment-là, et pendant une dizaine d'années, la fonction de Secrétaire de la section de La Seyne du Parti Communiste. Il va s'y donner à fond. Son engagement est total. C'est une période de folie, que la famille va vivre plus ou moins bien. Voici les plus anciennes de ses cartes d'adhésion du Parti Communiste que nous ayons retrouvées [nous n'avons pas retrouvé de trace de la période clandestine de 1941 à 1944]. Pendant des décennies, il va renouveler son adhésion. Il ne manquera pas un seul timbre mensuel, pas une seule cotisation.
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A ce stade du récit, il convient de faire une parenthèse et s'interroger sur le pourquoi d'un engagement aussi intense. Pourquoi et comment, Marius AUTRAN, qui était un enfant discret et timide, qui a grandi et s'est épanoui en solitaire dans la nature sauvage, puis un élève-instituteur "modeste", se tenant à l'écart des discussions, pourquoi et comment est-il devenu un homme public aussi engagé, capable de haranguer des foules à la Bourse du Travail, d'affronter des adversaires, de développer des arguments d'une extrême virulence dès lors qu'il était question de combats pour la paix ou de prise de pouvoir de la classe ouvrière ?
On peut expliquer en partie cet engagement en rappelant que Marius AUTRAN était issu d'une famille ouvrière. Son grand-père Auguste AUTRAN avait des idées révolutionnaires du temps de la Commune de 1871 et était très engagé dans les luttes syndicales pour la justice sociale et les droits des travailleurs à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Cela Marius le savait. De même, son père Simon avait les idées d'un "Rouge" de l'époque, pacifiste, anticolonialiste et anticlérical, comme on l'a vu au début du récit. D'ailleurs, quand on demandait à Marius AUTRAN pourquoi il s'était engagé à l'extrême gauche, il répondait simplement : « Je me dois d'être fidèle aux idées de mes ancêtres... ». Même si le contexte avait peut-être changé depuis, il mettait un point d'honneur à garder le même cap que ses ancêtres. On aurait pu répondre que, peut-être, le père de son grand-père était bonapartiste, ou orléaniste, ou légitimiste,... et pourquoi être fidèle aux idées de ceux-là et non de ceux-ci ?
Donc, Marius AUTRAN est dès l'enfance (il garde en mémoire les récits qu'on lui fit des horreurs de la Première guerre mondiale) et l'adolescence, imprégné de ces idées. Il en parle peu à l'époque, mais c'est au fond de lui-même. Et ceux qui l'avaient connu adolescent disaient qu'il était déjà quelque part un "révolté". Les années 30 et la situation internationale vont encore davantage l'influencer dans le même sens.
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Lorsqu'il rencontre les premiers militants communistes, à Carcès, il va y trouver des gens simples, qui lui inspirent confiance, avec lesquels le courant va passer. L'argumentation qu'il va entendre développer en 1935 par des tribuns comme Maurice THOREZ, comme celle entendue en 1928 par Gabriel PÉRI, va le séduire. Ce discours simple, ces idées choc, cela correspond à la personnalité de Marius AUTRAN, qui s'exprime souvent avec conviction et sans trop de nuances : « C'est comme ça et c'est pas autrement ! », dira-t-il souvent.
La guerre et l'occupation vont accentuer et radicaliser son engagement. Les images terribles qu'il ramène de la guerre vont avoir une influence considérable et durable sur lui. Et ce sera pour lui la seconde partie de l'explication de son engagement : « Si tout le monde avait connu ce que j'ai connu, tout le monde serait communiste... ». Et pourtant, il est évident que tous ceux qui ont connu la guerre n'en sont pas forcément revenus communistes. Il en est qui sont devenus gaullistes, ou MRP, ou socialistes, etc. C'est donc que, chez lui, il y avait déjà, bien avant la guerre, un fond révolutionnaire.
A partir de 1943, il va être subjugué, fasciné par l'Armée Rouge et sa sympathie pour l'Union Soviétique va grandir. Certes, il sait bien que les Américains et les Anglais ont beaucoup donné pour chasser les Allemands, mais ceux-là n'avaient pas tellement sa sympathie. Car eux avaient bombardé nos villes, sans ménagement. Et, en matière de paix, pouvait-on avoir confiance en des pays capitalistes ? [Puisque le grand Jaurès avait dit : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage ! »]. Et Marius AUTRAN restera convaincu que : « les bombardements aveugles des Américains (sur les 700 bombes tombées sur La Seyne le 29 avril 1944, 4 seulement avaient atteint les Allemands) étaient délibérés, pour nous faire un maximum de destructions et qu'ainsi, après la guerre, on soit obligé de faire appel à eux pour reconstruire : ils se préparaient des marchés considérables pour relancer leur propre économie... ».
A partir de là, sa conviction sera faite. Elle lui paraîtra logique, incontournable. Et il n'en changera pas pendant plusieurs décennies. Rien de qui se produira comme évènement en France et dans le monde ne viendra ébranler ses opinions. Ce sera un homme de conviction. Le faisceau de preuves qui se sont rassemblées en lui le rendent certain d'avoir raison. Son engagement devient passionnel et on n'est plus dans le domaine de l'objectivité. Lorsqu'il va lire un ouvrage ou un article de journal, ce ne sera plus pour apprendre ou s'informer, ce sera pour y retrouver les éléments qui le confortent dans ses opinions. Ce sera ce qu'on appelle une perception sélective des évènements. Pendant des années, il va lire avec un stylo rouge et souligner les passages en accord avec la ligne dure du Parti. Les arguments qui en diffèrent ne l'atteignent pas. Au pire, ce sont des mensonges, des calomnies, des "saloperies", des "inventions de journalistes", de "l'anti-soviétisme", etc.
[Naturellement, on parle aujourd'hui de tout cela avec calme et détachement, et de manière très intellectuelle, car on a un peu oublié le contexte de l'époque. Mais, pour comprendre un engagement politique à cette époque, il faut essayer de s'y replacer. Il faut voir le traumatisme subi par cette génération : voir son pays vaincu, occupé ; voir sa ville occupée ; la petite école des Sablettes de son enfance, rasée... ; puis sa ville bombardée, ces centaines de morts, des pans entiers des quartiers de son enfance, pulvérisés...].
Les opinions de Marius AUTRAN vont encore devenir plus solides lorsqu'il va suivre, vers 1946, un cycle de cours de l'École Fédérale du Parti à Toulon. Il en reviendra avec de nombreuses plaquettes d'explication des principes du marxisme-léninisme.
Au plan local, il incarnera longtemps la ligne dure du Parti, intransigeante avec les principes, qui refusera tout compromis ou toute alliance avec d'autres lignes de pensées plus souples. Pendant des années, les socialistes représenteront localement l'ennemi numéro 1. Jusqu'en 1958, on en oubliera presque la droite. Et pendant des années, Marius AUTRAN, comme de très nombreux militants communistes de l'époque, sera vraiment un stalinien.
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Comme je l'ai dit, ce fut une période de folie. Mon père n'était presque jamais à la maison. Après son travail, il passait au siège du Parti, un petit local préfabriqué de deux pièces dans la rue Franchipani, construit à la place d'un immeuble pulvérisé par une bombe de 1944. (Par la suite, ils seront à la "salle Saint-Roch", avant de s'établir rue Parmentier). Il rentrait parfois pour dîner lorsque la famille avait terminé. Souvent, on ne l'attendait plus pour commencer. Après le dîner, presque toujours, il repartait à pied ou à bicyclette pour une autre réunion. Nous n'étions alors pas loin du centre ville puisque nous habitions Tortel de 1945 à 1948, puis le début de la montée de la Colle d'Artaud de 1948 à 1950.
J'entendais qu'il parlait de ses réunions de "bureau de section", ou de "comité de cellule", ou de "secrétariat de section, ou de" comité fédéral", ou de "secrétariat de cellule", etc. Je lui demandais régulièrement : « Tu sors ce soir ? ». Et sa réponse était : « Oui ». J'en ai probablement souffert car, enfant, et fils unique, j'aurais bien aimé quelquefois avoir mon Papa avec moi le soir. Quand sa réponse était « Non, je ne sors pas », mais c'était rare, je m'exclamais « Ah ! » : j'allais pouvoir ce soir-là pour jouer avec mon Papa aux dames, aux "dadas", ou au mécano.
Nous n'avions pas encore de voiture à l'époque. Et ma mère et ma grand-mère disaient : « Dans le fond, heureusement que nous n'en avons pas, car, si nous avions une voiture, elle servirait toujours pour le Parti, et nous, nous n'y monterions jamais... ».
Dans les périodes de campagne électorale (je me souviens des municipales de 1950, des législatives de 1951, des municipales de 1953), c'était encore pire, car le Parti l'envoyait tenir des réunions publiques un peu partout dans le Var. J'entendais ma mère et ma grand-mère prononcer ces phrases : « Où il est ce soir ? ». J'entendais les noms de : Figanières, Saint-Aygulf, Ginasservis, Entrecasteaux... Quand on pense qu'à cette époque, il n'y avait pas d'autoroutes, qu'il devait parcourir des 150 ou 200 km aller-retour dans la nuit dans une voiture conduite par un chauffeur de La Seyne ou de la Fédération, rentrer parfois à 2 ou 3 heures du matin, et cela parfois pour des réunions de villages qui ne rassemblaient que 15, 10 ou 8 personnes !
Et pourtant, à 8 heures du matin, il était à son travail à Martini, les leçons qu'il devaient faire étaient préparées, et les cahiers des élèves corrigés !
Je pourrais longuement parler de cette époque, puisque j'y ai baigné pendant toute mon enfance et que j'en ai de très nombreux souvenirs ineffaçables. Je me souviens d'avoir été bercé, pour m'endormir, avec le Chant des partisans soviétiques (Dans le froid et la famine - Par les villes et par les champs - A l'appel du grand Staline - Se levaient les partisans...). Je connaissais mieux L'Internationale que La Marseillaise ou tout autre chant. Et aujourd'hui, plus de cinquante ans plus tard, lorsque j'entends Marie-Georges BUFFET ou Arlette LAGUILLER chanter maladroitement L'Internationale, je ne peux pas m'empêcher de penser que chez moi (qui ne suis me suis membre de rien, qui ne suis encarté nulle part), les paroles complètes sont gravées depuis l'enfance, et je peux vous dire de mémoire : Debout les damnés de la terre - debout les forçats de la faim - La raison tonne en son cratère - C'est l'éruption de la fin - Du passé faisons table rase - Foule esclave, debout, debout - Le monde va changer de base - Nous ne sommes rien, soyons tout - C'est la lutte finale, etc. etc. Et il en serait de même pour les cinq autres couplets.
En 1952, il y eut une crise plus grave (dans le contexte de la guerre froide et du maccarthysme). Ce fut ce qu'on a appelé le « complot des pigeons voyageurs ». La chasse anti-communiste qui avait commencé à Paris s'était étendue au niveau local, et de nombreux militants communistes avaient été inquiétés. A La Seyne, 3 mandats d'arrêts avaient été déposés (contre Philippe GIOVANNINI, Marius AUTRAN, et, je crois, Jacques MATTONE). Mais mon père en avait eu vent et avait "pris le maquis" juste avant d'être arrêté et que notre appartement ne soit perquisitionné. Pendant une bonne semaine mon père avait ainsi disparu de la maison. [C'était aussi prendre un gros risque, car absent de son travail sans motif valable, il aurait pu être révoqué, mais le directeur M. MALSERT avait été conciliant et n'avait peut-être pas fait remonter l'absence à l'Académie]. Et je n'avais jamais su où mon père était caché. Curieusement, je ne l'ai appris que très récemment, après le décès de mon père, à partir de l'allocution de M. LUMINET, ancien Premier Adjoint de La Seyne, qui lui le savait. Mon père était simplement caché dans son cabanon du quartier Bastian et il était approvisionné en vivres par son voisin Gaspare FRANCIOLI. Je n'aurais pas pensé qu'il avait pu se cacher dans une propriété à lui, car on aurait pu commencer par le chercher là...
Pendant encore plusieurs années de la IVe République la situation fut tendue et Marius AUTRAN était au premier plan des manifestations qui se déroulaient à de multiples occasions : grèves, vie chère, guerre en Indochine, affectation à Paris du général américain RIDGWAY, débat national sur le réarmement de l'Allemagne ou sur la Communauté Européenne de Défense, etc. Combien de fois y eut-il des affrontements sur le port de La Seyne ou près du Monument aux Morts, entre manifestants et forces de police ou C.R.S armés de matraques et de mousquetons ! Tout évènement étant l'occasion de manifestations contre le Pouvoir, la police avait souvent l'ordre de tout interdire, même le dépôt de gerbes au Monument aux Morts ou au cimetière. Et les journaux comme Le Petit Varois furent maintes fois censurés. Et Marius AUTRAN prétendait que (à l'époque des gouvernements de coalition centre gauche - centre droit) c'était encore lorsqu'on avait un Ministre de l'Intérieur socialiste qu'ils étaient le plus embêtés pour manifester...
Marius AUTRAN fut le premier secrétaire de la Section de La Seyne du P.C.F. jusqu'en 1954. Ensuite, il resta membre du Bureau de la Section tout en étant membre aussi du Comité Fédéral du Var. J'ai retenu de cette époque que les réunions du Comité Fédéral se déroulaient un certain nombre de fois par an, toujours le dimanche, parfois tout un week-end. A chaque fois, un membre Du Comité Central du Parti était présent. Et, le midi, parfois pour le soir ou la nuit, il était invité chez l'un des militants locaux. C'est ainsi que j'ai connu de près, pour les avoir vus à la table de mes parents, des personnalités comme André MARTY (qui était alors le n° 2 du Parti, avant qu'il n'en soit exclu), Charles TILLON, Georges MARRANE, Alfred MALLERET (Général JOINVILLE, dans la Résistance), Pierre DOIZE, François BILLOUX, etc.
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Nous avions d'ailleurs reçu deux fois André MARTY (ancien Révolté de la Mer Noire), la première fois c'était avant 1950 alors que nous habitions dans la montée de la Colle d'Artaud. Je le revois encore préparer son discours sur le vieux secrétaire style Louis-Philippe que mes parents avaient, avec la plume, l'encrier et le buvard. Il avait dormi chez nous sur le minuscule divan que nous avions, et le dîner avait rassemblé 14 personnes dans notre petite salle à manger (dont Jean BARTOLINI, Toussaint MERLE et quelques autres). Mais on était en période de guerre froide, et André MARTY (qui courait toujours un risque d'arrestation compte tenu de ses activités et de ses écrits) avait deux gardes du corps qui veillaient au bord de la route et qu'il fallait approvisionner en sandwiches...
Finalement, à partir de 1959 [alors qu'ils avaient laissé entendre que le retour du Général de Gaulle et le « pouvoir personnel » allaient entraîner la « suppression des libertés individuelles », et qu'ils manifestaient « le fascisme ne passera pas »], la situation commença à se détendre. Il y eut encore quelques affrontements entre colleurs d'affiches du P.C. et quelques "nervis" ou partisans de l'Algérie Française. Mais le Parti Communiste, qui était alors, et qui fut pendant longtemps le premier parti d'opposition, entra dans le jeu politique normal et dans une pleine légalité.
A la municipalité de La Seyne
En Juin 1950, lors des élections municipales rendues nécessaires après le détachement de Saint-Mandrier de la commune de La Seyne, Marius AUTRAN entre au Conseil municipal. Il y restera 27 ans.
Voici la liste sur laquelle il est élu, en cinquième position, liste présentée par le Parti Communiste Français, sous la direction de Toussaint MERLE. A noter qu'on trouve encore sur cette liste (Juin 1950) le nom Pierre FRAYSSE, adjoint qui mourra accidentellement quelques mois plus tard. Jusqu'en 1959, Marius AUTRAN ne sera cependant que Conseiller municipal. [Il ne deviendra adjoint au Maire qu'en 1959 - Les six adjoints à cette époque étaient : Paul PRATALI, Alex PEIRÉ, Josette VINCENT, Jean PASSAGLIA, Joseph GARRON, Félix CANEBIER].
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Marius AUTRAN sera réélu en 1953 sur la liste Toussaint MERLE. A cette époque, le scrutin est encore proportionnel et le Conseil municipal, composé de 15 communistes, 11 socialistes et 1 indépendant, est le siège d'affrontements violents et mémorables lors de ses réunions mensuelles à la Bourse du Travail, entre Toussaint MERLE et le sénateur Albert LAMARQUE ou Henri MIDON... Notamment sur les questions de l'assainissement ou des "Eaux de Carnoules".
En 1959, avec l'avènement de la Ve République, les élections municipales ont lieu au scrutin majoritaire. Et cette fois, Marius AUTRAN est réélu avec la liste complète des 27 candidats présentés par le Parti Communiste [alors même que l'on s'attendait, quelques mois auparavant, à ce que les communistes soient chassés de la Municipalité comme conséquence de l'instauration d'une dictature militaire...]. Pendant longtemps, il n'y a plus d'opposition au Conseil municipal et l'ambiance apparaît plus détendue.
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Marius AUTRAN devient adjoint de Toussaint MERLE. C'est un peu l'apogée du trio qui dirige la ville, comme l'illustre la photo ci-dessous. Dans ce bureau de Toussaint MERLE, ils ont alors respectivement 48, 52 et 50 ans. Ils ont pris possession du nouvel Hôtel de ville qui vient d'être inauguré en Janvier 1959. Dans l'arrière-plan de la photo, les Chantiers tournent à plein et apportent des recettes considérables au budget de la ville.
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Marius AUTRAN va rester adjoint au Maire pendant 3 mandats municipaux (18 ans), sans cesser d'exercer son métier d'enseignant. Il ne sera donc jamais Premier adjoint et occupera un poste en apparence modeste de 5e ou 6e adjoint. En réalité, son influence est grande, il est un conseiller très proche et très écouté du Maire, son éminence grise en quelque sorte. Etant enseignant, ses missions d'adjoint touchent en premier lieu aux écoles (il est Président de la Caisse des Ecoles), aux colonies de vacances.
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Mais il va aussi intervenir dans bien d'autres domaines, comme l'illustrent les photos suivantes.
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Il contribue aussi beaucoup à la rédaction du Bulletin Municipal. Il signe régulièrement des articles faisant le point sur les programmes de construction scolaire et les colonies de vacances. Mais, comme certains de ses collègues n'ont pas toujours le temps, ni la même facilité que lui à écrire, il rédige aussi énormément d'articles à leur place, qu'il signe souvent "La Municipalité". Il en est de même dans la presse locale.
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A noter que, dans les années 1958-1965 environ, il va quelquefois contribuer à la rubrique satirique "L'Estancaïre", que le Petit Varois publie chaque jour dans la page de La Seyne. Cette rubrique était très souvent rédigée, sur un ton particulièrement acerbe et polémique, avec des attaques personnelles très dures de certains adversaires [qui le lui rendaient bien d'ailleurs], par Toussaint MERLE. Mais Marius AUTRAN rédigera aussi un certain nombre de ces "Estancaïres", et qui ne seront pas spécialement les moins virulents...
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Ces textes sont volontairement peu agrandis car il vaut mieux qu'ils restent illisibles pour ne pas relancer des polémiques vieilles d'un demi-siècle...
Une autre fonction que le Conseil municipal va lui confier pendant 3 ans (1974-1977) sera celle de Conseiller Régional. Pendant 3 ans, il va ainsi faire partie du groupe communiste du conseil et participer à toutes les réunions de Conseil Régional de PACA à Marseille, sous la présidence de Gaston DEFFERRE. Il fera même partie du Bureau du Conseil en tant que Secrétaire, et sera également Secrétaire de la de la Commission de l'Éducation Nationale sous la présidence de Madame BEGUIN - LE BELLEGOU.
De 1950 à 1977, il a donc eu à traiter des problèmes touchant à des domaines très divers. On le verra souvent dans les rues de La Seyne, à pied ou à bicyclette, avec son éternel béret basque. Il est une personnalité extrêmement connue en ville, d'autant que parmi ses administrés se trouvent plusieurs milliers d'anciens élèves.
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On peut dire que les caractéristiques de son action ont été : l'amour de sa ville, un travail acharné, une autorité légendaire, la fidélité à ses idées (allant jusqu'à une certaine rigidité), la disponibilité, le dévouement pour la population, avant tout pour ceux qui étaient dans le besoin, et le désintéressement. Il n'avait pas réellement d'ambition personnelle, il restait souvent dans l'ombre. Je ne pense pas qu'on puisse dire qu'il ait tiré le moindre profit personnel de son action dans la Municipalité. Par exemple, il n'encaissera jamais son indemnité d'adjoint au Maire. Comme c'était le cas pour les autres adjoints (Alex PEIRÉ et Paul PRATALI) qui avaient par ailleurs une situation stable, son indemnité d'adjoint était reversée au Parti, ce qui permettait de financer les adjoints permanents qui n'avaient pas d'autre emploi rémunéré. Autre exemple, bien des fois, il effectuera ses tournées d'inspection des colonies de vacances avec son véhicule personnel, sans demander de dédommagement. D'ailleurs, dans les années 1955-1960, dès qu'il eut sa première voiture, où partions-nous en vacances ? Dans l'Ardèche ou dans l'Isère, à proximité des sites des colonies de vacances municipales. Ainsi, pendant ses propres vacances, il était sur place pour inspecter "ses" colonies. Autre exemple : quand en 1959, il eut la responsabilité de la Caisse des Ecoles, il s'aperçut que la pagaille régnait dans la récupération et la distribution des livres scolaires fournis par la ville au collège moderne et technique Martini, ce qui générait bien des gaspillages. Les employés municipaux étaient dépassés par la situation. Alors, vers la mi-août, il décida de s'en occuper lui-même et me demanda de l'aider. Alors pendant plus d'un mois, nous sommes allés travailler tous les jours rue Messine, où se trouvait stockés plus ou moins en vrac les 13 000 ouvrages scolaires, et à deux nous avons reclassé, réinventorié toutes les collections, et assuré aussi à partir de début septembre toutes les distributions d'ouvrages à toutes les classes de Martini. On pourrait citer bien d'autres exemples.
La mort de Toussaint Merle.
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Le 13 Mai 1969, Toussaint MERLE meurt subitement. Toussaint MERLE avait occupé le poste de Maire pendant 22 ans. Il ne va pas être facile d'assurer la relève. Qui va pouvoir lui succéder ? Dans la tête de ces quatre hommes, de ces quatre piliers de la Municipalité qui assurent la veille funèbre, on peut penser que la question se pose : lequel de nous ? Considérant que le premier adjoint Philippe GIOVANNINI, ancien ouvrier, n'aura peut-être pas l'étoffe pour écrire textes et discours, et que Maurice PAUL n'est pas encore suffisamment expérimenté, beaucoup de Seynois pensent que le poste de Maire va logiquement revenir à Marius AUTRAN. Marius AUTRAN est en effet contacté par la Direction du Parti Communiste en la personne de François BILLOUX, qui lui propose « le poste de Premier adjoint, avec perspective de Maire ». Mais Marius AUTRAN va décliner cette offre. Non pas qu'il ne s'en sente pas capable. Il aurait certainement pu être un Maire très apprécié, avec un style différent, moins polémique que Toussaint MERLE.
Toussaint MERLE fut un grand Maire, mais son style, les polémiques incessantes qu'il entretenait, ont fait qu'il eut beaucoup d'ennemis. Marius AUTRAN, malgré la ligne tout aussi dure de son idéologie, était à la fois apprécié d'un grand nombre de Seynois et respecté par ses adversaires. A la différence de Toussaint MERLE, qui était en permanence attaqué par ses adversaires socialistes et par les chroniqueurs de République ou du Méridional, et traité de Merleskoff, de Merle rouge, etc. on ne trouve pratiquement jamais d'attaques personnelles ou de formules désobligeantes concernant Marius AUTRAN.
Marius AUTRAN va donc refuser une fonction qui l'aurait placé au premier plan. Il savait qu'il lui aurait fallu déployer une énergie considérable pour prendre et faire exécuter les innombrables décisions indispensables à l'administration de la ville. Ceci, il en était capable. Mais il savait aussi par avance la nature et le degré de difficulté des conflits qu'il lui aurait fallu arbitrer, de conflits de personnes en particulier. A côté du caractère noble et enthousiasmant qu'aurait représenté pour lui la fonction de Premier Magistrat, surtout quand on aimait sa ville comme lui l'aimait, il connaissait aussi par expérience les rivalités, les "peaux de banane" que se jettent régulièrement entre eux certains élus, ou chefs de service de la Mairie et élus... C'était une tâche épuisante, pas toujours gratifiante, une tâche de tous les instants - qui lui aurait demandé de renoncer à tous les loisirs qu'il affectionnait par ailleurs, et qui lui avaient assuré jusque-là un parfait équilibre intellectuel et physique dans la vie. Et il se doutait qu'il aurait fini par y laisser sa peau, comme Toussaint MERLE y laissa la sienne, à 58 ans !
Je me souviens d'ailleurs que, ayant appris le décès de Toussaint MERLE, et travaillant à l'époque à Paris, j'écrivis à mon père : « Je serais certainement fier d'être le fils du Maire de La Seyne, mais je sais que tu aimes ta liberté, tes loisirs de chasse, pêche, jardinage, cueillette des champignons, etc., et il te faudrait alors renoncer à tout cela. Et donc, il est peut-être mieux pour toi que tu n'occupes pas cette fonction ».
C'est donc Philippe GIOVANNINI qui sera Maire à partir de 1969, avec Jean SPRECHER comme Premier adjoint, Marius AUTRAN ayant promis de l'épauler pour les questions intellectuellement plus délicates.
1977-1985 : Retrait progressif des activités municipales et politiques
Au début des années 70, Marius AUTRAN va encore beaucoup s'investir dans l'action municipale. Il est retraité de l'enseignement depuis 1966 et il vient presque chaque jour de l'année à la mairie. Mais l'ambiance est en train de changer dans l'équipe municipale. Plusieurs membres de la "vieille garde" ne se sont pas représentés en 1971.
Ainsi, en 1977, après avoir siégé 27 ans au Conseil municipal de La Seyne, dont 18 ans comme Adjoint au Maire, ses fonctions vont prendre fin, alors qu'il n'avait que 67 ans et était en pleine forme physique. Pourquoi ce départ ?
Un peu pour les mêmes raisons que celles qui vont lui faire prendre ses distances vis-à-vis du Parti Communiste. Depuis plusieurs années, il était de moins en moins à l'aise dans la Municipalité. Ses positions restaient pures et dures, comme elles l'étaient après la Libération, alors que celles de certains de ses collègues s'étaient assouplies ou tendaient vers un certain laxisme. Quelques-uns appartenant à la génération suivante étaient aussi un peu moins désintéressés que lui. Par exemple, quand Marius AUTRAN participait à des réunions à Marseille ou à Draguignan et qu'il partait avec un ordre de mission donnant droit à des indemnités pour frais de déplacement et de repas, s'il advenait qu'il ait été invité au déjeuner, il lui était naturel de ne pas demander de remboursement par la ville pour ce repas qui ne lui avait rien coûté. Mais certains de ses collègues élus ne se comportaient pas toujours comme lui... et lui disaient : « Tu es bien couillon, pourquoi tu te fais pas rembourser puisque tu y as droit ? ». Et alors sa réponse était cinglante : « Je suis un élu du Parti Communiste Français, je suis là pour défendre les intérêts de la classe ouvrière, pas pour m'en mettre dans la poche ! ».
Et puis, lui qui travaillait beaucoup, notamment la nuit, ne supportait pas ceux qui n'arrivaient pas à aligner leurs actes avec leurs paroles, qui promettaient de faire mais ne tenaient pas leurs promesses dans les délais, qu'il fallait toujours relancer, ou qui n'étaient pas exacts aux rendez-vous.
L'autoritarisme qui le caractérisait, sa rigueur et son intransigeance sur les principes, tout cela fit, qu'à la fin, il devenait un gêneur pour ceux qui avaient envie d'adopter des positions plus souples ou de prendre les choses plus à l'aise. Il arriva qu'on omette de l'inviter (lui et d'autres de sa génération) à des conseils d'adjoints et que des décisions se prennent en conseil "restreint".
Et puis, en 1977, l'union de la Gauche s'étant généralisée, il fallait dégager des places au Conseil pour de nouveaux élus, et siéger avec des socialistes. Il ne fera donc plus partie de la liste électorale de la gauche aux élections de Mars 1977. Il est possible qu'il ressentît mal le fait de devoir s'écarter (ou d'être écarté). Mais, d'un autre côté, il ne fut pas fâché de reprendre sa liberté et de ne pas avoir à siéger avec certains autres élus, notamment avec des socialistes, dont il ne partageait ni les points de vue, ni la manière d'agir.
Et quand il ne sera plus membre de la Municipalité et qu'il viendra encore quelquefois à l'Hôtel de Ville dans les années 80-83, il gardera son franc-parler et n'hésitera pas à critiquer certains nouveaux adjoints, qui à peine élus se feront aménager des bureaux neufs, moquettes neuves, frigos avec whisky et glaçons pour leurs permanences... « Vous êtes des salauds, leur dira-t-il, vous gaspillez l'argent de la ville pour votre petit confort personnel. Moi, j'ai tenu mes permanences pendant des années [quand la mairie était rue d'Alsace et rue Messine], là où il y avait de la place, parfois sur un coin de table, s'il le fallait... ». « Et ça, vous le paierez un jour ». Et c'est ce qui a fini par se passer aux élections suivantes...
Pour des raisons similaires, il va aussi finir par quitter le Parti Communiste. Déjà, à partir des années 70, lorsque les discussions sur le Programme Commun de la gauche avancent, il affiche sa méfiance. Il n'est guère favorable aux inévitables compromis entre communistes et socialistes et il se réfère souvent à la phrase de François MITTERRAND : « Sur deux électeurs communistes actuels, je veux faire en sorte que un au moins vote un jour socialiste ». Marius AUTRAN serait d'accord pour que l'union se fasse sur un respect mutuel, mais il n'est pas d'accord pour que l'union se fasse sur des principes qui posent que les uns ont raison et les autres (les communistes) sont dans l'erreur, et se fassent inévitablement "bouffer". Même s'il vote probablement pour MITTERRAND en 1974 et en 1981, il n'est pas d'accord pour que des communistes entrent au gouvernement en 1981, pour s'associer à la « gestion les affaires du capitalisme ». Pour lui, il n'y aura jamais de changement dans la société sans « faire la Révolution ».
Et puis, il n'a pas confiance en la Direction de Georges MARCHAIS. Mon père me disait un jour, quelques semaines avant sa mort, « ce Georges MARCHAIS, je ne l'ai rencontré qu'une fois, il m'a serra la main, j'ai croisé son regard, et je me suis dit instantanément : « ce type, il me plaît pas ! ». « C'est un orgueilleux, un m'as-tu-vu ; avec son équipe [et l'abandon de la ligne dure précédente], il vont foutre en l'air le Parti. Et c'est ce qui est arrivé ! ».
Au plan local, il n'est plus guère d'accord avec les positions qui sont prises. Marius AUTRAN reste un Bolchevik de 1917, un de ceux dont la légende dit qu'ils se devaient de « manger le pain noir pour que le peuple puisse avoir le pain blanc... ». Quand il voit les nouveaux cadres du Parti, les permanents avec leur voiture de fonction, la médiatisation de leur action et de leur vie, l'assouplissement de la doctrine, il ne peut plus être d'accord. Il va même jusqu'à écrire une sorte de testament politique à la Fédération du Var du P.C.F., dans lequel il ne mâche pas ses mots et il critique ouvertement certaines prises de position et certains responsables locaux du Parti. Mais il ne sera pas suivi : on lui fait comprendre que les vieux c… n'ont plus leur place. Alors, en 1985, après 44 années d'adhésion ininterrompue et un engagement exceptionnel de toute sa personne, il ne reprendra plus la carte du Parti, ce qui va chagriner certains anciens comme Philippe GIOVANNINI, qui viendra essayer de le faire revenir. Sans succès.
Mais le désaccord datait déjà de plusieurs années puisqu'on retrouve écrit à la main sur sa carte de 1979 la mention "la dernière"...
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Au cours des années suivantes, il ne viendra plus guère à la mairie (sauf pour des recherches de documents dans le cadre de la rédaction de ses ouvrages), mais il restera très lié avec les quelques anciens qui partageaient dans l'ensemble ses conceptions, comme Paul PRATALI, Jean PASSAGLIA, Josette VINCENT, Jean SPRECHER. Et il recevra régulièrement leurs visites dans sa maison de Châteaubanne.
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En 1997, il sera nommé Adjoint honoraire, comme l'illustre la photo suivante.
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La carrière professionnelle
Revenons un peu en arrière pour reprendre le fil de la carrière d'enseignant de Marius AUTRAN. Nous avons vu qu'après ses débuts dans les villages de Montmeyan et de Carcès, Marius AUTRAN obtient sa nomination à La Seyne, à l'école Martini, en 1938. Le directeur est alors M. Emile MALSERT. A cette époque, on ne parle pas encore de collège : il existe une école primaire et une école primaire supérieure. A partir d'Octobre 1938, Marius AUTRAN est affecté à une classe de cours supérieur 2e année et il y enseigne toutes les disciplines qu'un maître d'école enseigne habituellement : Orthographe, Récitation, Composition française, Histoire, Géographie, Calcul, Sciences, etc. y compris parfois Chant et Gymnastique.
Aujourd'hui, la perspective de devoir enseigner deux disciplines différentes semble poser des problèmes à certains enseignants. Marius AUTRAN enseignait toutes les disciplines - il est vrai que ce n'était qu'au niveau d'une actuelle classe de 5ème - mais il avait 36 élèves pendant l'année 1938-1939, et certains n'étaient pas des tendres. Un jour, M. MALSERT vint lui demander d'enseigner aussi l'anglais ! Il n'avait jamais enseigné l'anglais jusque-là, il n'avait que des souvenirs scolaires. Alors, il décida de prendre des cours du soir à la Chambre de Commerce de Toulon, et il enseigna l'anglais à ses élèves. Certes, son anglais n'était pas de haut niveau et sa prononciation restait très médiocre, mais il se trouva un jour des élèves pour lui dire : « Je n'ai jamais si bien appris l'anglais que quand c'était vous qui nous le faisiez ! ».
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Car les qualités de Marius AUTRAN étaient sa remarquable pédagogie (apprise à l'Ecole normale d'instituteurs) et son ascendant sur les élèves. Dès le premier jour, dès l'abord, les élèves sentaient son autorité par le simple regard. Jamais il ne fut chahuté. Ses cours étaient donc très écoutés et le message passait. D'autant qu'il avait l'art d'intéresser les élèves, de les captiver par son langage concret et imagé. Tous s'en souviennent et louent ses qualités, aujourd'hui encore.
A noter qu'il eut, entre 1938 et 1966, environ 2500 élèves, les premiers ont aujourd'hui plus de 80 ans, les derniers environ 55 ans.
Naturellement, ses activités pendant l'année 1939-1940 vont être interrompues par sa mobilisation à la guerre (il est alors remplacé par M. MICHEL, enseignant retraité rappelé au service), et l'année 1942 va être également interrompue à partir de mars par son arrestation pour faits de Résistance, comme on l'a vu ci-dessus.
En 1942-1943, c'est lui qui enseigne à la première classe de 6ème Moderne du Collège Martini, appellation nouvellement créée. Il n'y a qu'une seule classe de 6ème Moderne garçons à La Seyne, et il a 46 élèves ! Il enseigne : Morale, Orthographe, Récitation, Composition française, Histoire, Géographie, Anglais, Arithmétique, Sciences, Dessin d'art, Education physique. Et chaque élève était également noté sur sa Conduite et son Ecriture. Les premiers temps, il passe énormément de temps à préparer ses cours par écrit. Ensuite, l'expérience aidant, il connaît pratiquement tout par cœur, et il peut, au pied levé, sans aucune note écrite, faire une leçon détaillée sur : le périmètre du cercle, l'appareil respiratoire, le passé simple, le droit des parents au respect de leurs enfants, le règne de Nabuchodonosor, l'économie de l'URSS, etc.
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Au fil des années, il va enseigner de moins en moins de disciplines différentes car des professeurs ou des maîtres spécialisés (français, anglais, dessin, éduction physique) vont être nommés à Martini.
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En 1951, la classe de 6ème va être enfin scindée en deux et il va enseigner encore moins de disciplines, mais aux deux classes de 6ème. Quand je fus dans la classe de mon père, en 6ème, en 1954-1955, il ne nous enseignait plus que : Mathématiques, Sciences naturelles, Histoire et géographie, Instruction civique, Travail manuel.
A partir de 1957 et pendant les 10 dernières années de sa carrière, il va se spécialiser dans l'enseignement des Sciences naturelles aux classes de 6ème et 5ème, Moderne et Classique, exceptionnellement à des classes de 4ème et de 3ème. Il aura donc jusqu'à 10 classes différentes chaque année, jusqu'à 260 élèves différents, qui lui laisseront moins de souvenirs (il ne les verra chacun que 2 heures par semaine) que ceux de ses premières années (dont les noms et les visages resteront encore gravés dans sa mémoire même 30 ans après son départ à la retraite).
En 1961, les classes de 6ème et 5ème (regroupées, avec les classes de filles, sous l'appellation de Cycle d'observation) se déplacent provisoirement à Beaussier. Il se retrouve donc à Beaussier, de même que son épouse qui enseigne les mathématiques aux mêmes classes, pendant 2-3 ans. Ensuite, avec la création des C.E.G., le Cycle d'observation est fixé au Collège Curie. C'est donc à Curie qu'il accomplit ses dernières années, sans trop de conviction. Sa foi dans le métier d'enseignant a beaucoup diminué. L'ambiance n'est plus la même : le collège est devenu plus difficile à gérer, il y beaucoup plus d'élèves, les enseignants vont et viennent, ne se connaissent pas tous entre eux. Et le Proviseur, en fin d'année, ne connaît pas encore tous ses collaborateurs !
Ce n'est pas sans un certain soulagement qu'il fait valoir ses droits à la retraite en Juillet 1966 (il a 55 ans et demi), le même jour que ses camarades Toussaint MERLE et Paul CAMOIN.
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Soulagement et satisfaction du devoir bien accompli, certes, mais ses sentiments sont cependant partagés. Ce départ, cette rupture dans la vie, ne va pas, en effet, sans émotion, sans un certain traumatisme. Marius AUTRAN rappellera en effet, en 1992, 26 ans plus tard, dans le Tome IV de sa série d'ouvrages, son départ à la retraite dans les termes suivants :
« Dans l'après-midi de cette journée mémorable pour moi, je retournai à l'École Curie retirer de ma classe quelques objets personnels. La classe où j'avais donné mes derniers cours de sciences naturelles était inoccupée. Je pris le cahier de notes de l'année 1965-66, le dernier de ma longue carrière. J'en tournai les feuillets, je lus des noms à haute voix en situant les personnages à leur place habituelle.« Assis un instant devant le bureau où j'avais tant parlé, pour expliquer, persuader, intéresser, la tête serrée entre mes mains, les images de tout mon passé d'enseignant se bousculaient dans ma mémoire : des faits, des élèves, des professeurs, des inspecteurs, des examens, des événements heureux, des catastrophes, tout cela défilait dans la plus grande confusion. Peut-être me disais-je serait-il bon de mettre de l'ordre dans tout ce passé vécu, la retraite commencée ?
« Je sortis, mais avant de refermer la porte de la classe, une dernière fois mon regard se porta vers le tableau noir où j'avais tant écrit, tant dessiné avec application...
« Non sans attendrissement, je revis pour la dernière fois l'armoire vitrée où s'alignaient sur les rayons, des collections de roches, de petits animaux terrestres et marins, de végétaux, réalisées avec le concours de mes élèves...
« Enfin à pas lents je m'éloignais... les yeux gonflés de larmes. Une grande page de ma vie venait de se tourner, une vie professionnelle qui m'avait accaparé pendant près de quarante ans au service d'une jeunesse généralement docile, de familles de toutes conditions sociales soucieuses de l'avenir de leurs enfants avec lesquelles il ne me souvient pas d'avoir eu des relations discordantes. On était loin d'imaginer alors qu'un jour des maîtres, des professeurs, des inspecteurs seraient admonestés et même agressés par des parents irascibles ».
Heureusement, le traumatisme fit rapidement place à l'euphorie car, à l'époque où il aurait dû reprendre le chemin du Collège, en Septembre 1966, on connut un automne merveilleusement beau. Marius AUTRAN réalisa alors pleinement la liberté qu'il avait désormais. Il put se donner à fond à ses loisirs favoris, qu'il n'avait pu pratiquer jusque-là que rarement et de manière très irrégulière. Pendant ce premier automne de sa retraite, il vécut sur un cycle de 3 jours : un jour à la chasse, un jour à la pêche, un jour aux champignons ! un jour à la chasse, un jour à la pêche, un jour aux champignons ! etc. et ceci pendant un trimestre, tant les conditions climatiques avaient été idéales...
Vie familiale et loisirs
La vie familiale fut souvent sacrifiée à l'époque où l'engagement politique était intense. Comme on l'a vu ci-dessus, il ne participait en rien aux tâches ménagères. C'était le domaine de son épouse et surtout de sa belle-mère dont la vie tout entière fut consacrée à cela. Par contre, il n'a jamais négligé mon éducation et le suivi de ma scolarité. Malgré toutes ses activités, il trouvait le temps de suivre mon travail, de me faire réciter certaines leçons, de m'aider en cas de difficultés et de me donner parfois quelques devoirs supplémentaires.
Lorsqu'il fut à la retraite de l'enseignement, il eut davantage de temps libre et put se consacrer davantage à sa famille. Après mon mariage en 1966, il eut ainsi un premier petit-fils en 1968, puis un second petit-fils en 1970. Voici quelques images de ces aspects de la vie familiale de Marius AUTRAN.
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Bien des années plus tard, il aura une seconde génération de petits-enfants, toujours des garçons ! Jean-Robert, en 1990, Pierre-Olivier en 1994 et Jean-Victor en 1998.
Il aura donc eu, au total, 5 petit-fils.
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Parlons maintenant des loisirs de Marius AUTRAN.
On a dit qu'il avait pu mener trois vies en une : une vie professionnelle, une vie d'homme politique local et une vie consacrée à ses loisirs favoris. C'est certainement cette troisième vie, à laquelle il n'a jamais voulu renoncer, qui lui a permis de conserver un bon équilibre en toutes choses et de se maintenir en bonne santé physique jusqu'à un âge avancé.
Marius AUTRAN fut un assez bon sportif dans ses jeunes années (saut en hauteur, saut en longueur, saut à la perche, gymnastique au sol). Mais uniquement pour la performance personnelle, car il n'a jamais aimé les compétitions. Très jeune, il va beaucoup marcher dans les collines et dans les bois, et escalader les falaises. Très jeune aussi, il va aimer la bicyclette et il ne va jamais cesser de se déplacer ainsi. Même quand il aura une voiture, il utilisera encore presque toujours sa bicyclette, puis son VTT, pour "descendre" en ville, au collège Martini, au siège du Parti, ou à la mairie.
Marius AUTRAN ne passera son permis de conduire qu'en 1954 (à 44 ans !) et il ne conduira qu'assez peu par la suite (à peine 200 000 km au cours des 40 années suivantes). Au total, il n'aura eu que 3 voitures dans sa vie, toujours des Peugeot. Une 203 d'occasion entre 1955 et 1957, une 403 neuve en 1957, qu'il va garder une douzaine d'années, et une 205 neuve, en 1968, qu'il va garder et conduire pendant plus de 26 ans, jusque vers 1995. Pendant tout ce temps, ses grands voyages en voiture (au delà de la Région) doivent se compter sur les doigts des deux mains : 5-6 fois en Ardèche et Isère, une fois dans la Marne et les Vosges, une fois en Bretagne, deux fois à Paris, 1 fois à Montpellier.
Dans un tout autre domaine, on a vu qu'à partir de 1942, il allait se mettre à cultiver sa terre du quartier Bastian, avec ses 1000 pieds de vigne et ses 50 arbres fruitiers. Pendant des années, il fabriquera ainsi lui-même le vin pour la consommation familiale de toute l'année, et des fruits et légumes à profusion (surtout cerises, poires, figues, amandes, noisettes ; pommes de terre, fèves, haricots, petits pois, pois chiches), particulièrement appréciables au moment des restrictions alimentaires dont on eut à souffrir dans les années 1942-1944, ainsi que dans les années d'après-guerre. Cette propriété sera parfaitement entretenue, désherbée, bêchée à la main jusqu'au début des années 60. En 1961, il aura enfin un petit motoculteur et il va continuer à planter et à entretenir (parallèlement au potager qu'il entretiendra aussi sur l'arrière de sa maison de Châteaubanne). Ensuite, à partir de 1980, la terre de Bastian va se trouver en partie à l'abandon. Il n'aura plus la force de tout entretenir, il n'y gardera plus que quelques arbres plus ou moins moribonds, avec un petit potager, et ses vieilles vignes vont être gagnées par les broussailles et les pins d'Alep.
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Il a également beaucoup chassé, dès l'adolescence avec son père et ses oncles, puis surtout lorsqu'il avait son poste d'instituteur dans le Haut-Var. Ensuite dans la forêt de Janas et sur sa terre de Bastian. Naturellement, comme tout Provençal, cette chasse incluait aussi un peu de braconnage et la famille eut l'occasion de consommer bon nombre de "petits oiseaux".
On le verra aussi passer un certain nombre de matinées par an dans la forêt de Janas, à la saison des safranés, ainsi qu'en février et mars, au moment de la sortie des asperges.
La pêche fut enfin un loisir important, surtout à partir du moment où il fut à la retraite. Avec à la fois un pointu (le "Rémy") sur une cale de La Verne (celle de son arrière grand-père AUBERT), et une bette du côté de la petite mer, il y passa un temps considérable. Du côté de la grande mer, il va surtout pêcher des girelles et des sarrans à la palangrotte ou au girellier, ou encore des blades avec les rusquets de son grand-père...
Par la suite, lorsqu'il eut plus de 70 ans, il vendit son pointu (qui existe encore sur sa cale de La Verne) et se concentra sur une pêche moins sportive, avec une nouvelle bette (le You-You) côté petite mer. Comme le fit son père Simon, aux mêmes endroits dans les années 30 à 50, il passa beaucoup de temps à la pêche aux coquillages (surtout praires, moules, bigorneaux) et aux oursins. Et il utilisa aussi des "paniers" qu'il confectionnait lui même pour capturer diverses espèces de poissons. C'est à cette époque qu'il participa à la fondation de la Société Nautique de la Petite Mer (avec d'autres membres de la famille comme Loulou MEUNIER et Gilbert MARRO), Société dont il deviendra ensuite le Président d'Honneur.
Il faut enfin signaler que Marius AUTRAN notait, au quotidien, toutes ses activités (récoltes, réunions, lectures, temps, relevé de la température, etc.) dans un Agenda. Il en faisait ensuite le bilan mensuel (quantités récoltées et estimation de leur valeur d'après les prix du marché de La Seyne, nombre de réunions, nombre de livres lus, moyenne mensuelle des températures, etc.). Il apparaît que le décompte des récoltes inclut aussi bien les kgs de pommes de terre et de poissons, que les douzaines d'huîtres, de bigorneaux et de praires, que le nombre de bottes d'asperges, que le nombre d'oiseaux et d'aludes... Le tout était encore repris, année par année dans un "Cahier du retraité". Ce cahier contenait aussi un bilan général de l'année écoulée : climat, activités personnelles, nouvelles de la famille, point de vue personnel sur l'évolution de la situation en France et dans le monde, personnalités décédées, etc. Je possède encore la collection complète de ces Agendas et de ces Cahiers du retraité, qu'il aura tenus scrupuleusement de 1967 à 2005.
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Une autre série de talents méconnus de Marius AUTRAN, ce sont les arts, avec le dessin, la peinture, la musique et la poésie.
Dès l'adolescence, en particulier à l'Ecole normale d'instituteurs, il se révèle très doué pour le dessin. Un assez grand nombre de ses dessins, au crayon ou à la plume existent encore dans les archives familiales. L'enseignement des mathématiques et des sciences naturelles lui donneront l'occasion de réaliser de remarquables figures à la craie sur le tableau noir, dont ses élèves se souviennent.
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Ensuite, il se mettra à la peinture à l'huile, sur toile ou sur bois. Il peindra assez régulièrement depuis les années 30 jusqu'au milieu des années 50, soit des reproductions de cartes postales d'œuvres d'art, soit d'après nature, des fleurs ou des paysages.
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Marius AUTRAN eut aussi une passion particulière pour la musique tout au long de sa vie. On a vu qu'il avait été très jeune initié aux spectacles d'opéra par ses grands-parents et, toute sa vie, il gardera en tête de nombreux airs classiques. A l'adolescence, il apprend le violon, dont il ne sera jamais virtuose, mais dont il saura cependant jouer correctement. Dans les archives familiales se trouvent encore un très grand nombre de ses partitions de cette époque, dont une grande partie étaient recopiées à la main, à l'encre violette. Ensuite, dans les années 30, il apprend la mandoline. La mandoline était semble-t-il à la mode à l'époque, notamment à La Seyne, peut-être en raison de l'immigration italienne qui avait amené cet instrument. Il jouera assez régulièrement de cet instrument, au moins jusqu'à la fin des années 50. A la retraite, il se passionne pour les concerts de musique classique [alors qu'il n'aura jamais la moindre attirance pour les musiques modernes], il ne rate jamais ceux diffusés le soir par FR3 et il se rapproche alors de l'Ecole municipale de musique et de la Philharmonique La Seynoise, comme on le verra ci-dessous.
Ce qui domine, dans sa passion pour la musique, c'est une extrême sensibilité. Combien de fois ai-je vu ses larmes couler à l'écoute de certains passages d'œuvres classiques ! Et cela dérangeait quelque peu son esprit cartésien car il n'arrivait pas à s'expliquer pourquoi la musique provoquait cet effet en lui. Je lui rappelais un jour que quelqu'un avait dit : « Quiconque pleure connaît Dieu ». Et je lui dis : « La musique révèle le trop-plein de sensibilité et d'humanité que tu as en toi, que tu as plus que d'autres. Et, toi qui nie l'existence de Dieu, dis-toi bien que, peut-être, Dieu, c'est ça. Tu le sens en toi lorsque tu pleures. Et il ne faut peut-être pas le chercher plus loin ». Mais il n'admettait en rien cette explication...
Pour mémoire, signalons enfin qu'il s'amusera, vers la fin de sa vie, à écrire quelques textes humoristiques sous formes de poésies. Ainsi, lorsqu'il sera invité à des anniversaires, des anniversaires de mariage, il lira souvent quelques pages de textes en vers de mirliton qu'il aura écrites pour la circonstance.
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L'historien de La Seyne
A l'âge de 70 ans, Marius AUTRAN, s'il avait rédigé d'innombrables articles pour la presse locale ou les bulletins municipaux, n'avait encore jamais écrit de véritable ouvrage. L'histoire de La Seyne le passionnait évidemment, mais il s'était limité jusque-là à écrire de petites monographies, notamment pour ses élèves. Dans le cadre des "travaux dirigés", il lui était arrivé de conter ainsi quelques épisodes de l'histoire de La Seyne, le peu qu'on en savait avant que Monsieur BAUDOIN n'ait publié son Histoire. Il avait parfois emmené ses élèves en promenade sur des sites historiques comme la chapelle N.-D. du Mai et la tour sarrasine, la collégiale et le vieux cimetière de Six-Fours, les Quatre moulins, le Clos Saint-Louis, etc.
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En décembre 1976, un évènement qui le toucha beaucoup vint l'inciter à écrire un ouvrage plus conséquent. Ce fut la destruction de la vieille Ecole Martini. Il dit alors : « Il m'a semblé de mon devoir de rappeler et de perpétuer les souvenirs auxquels des milliers de Seynois ne peuvent rester insensibles, pas pour satisfaire un désir d'ostentation, mais pour ne pas que soient anéantis 140 ans d'histoire locale »
On a vu que c'est vers cette époque qu'il se retire du Conseil municipal. Il dispose de davantage de temps libre et il se met à rédiger son premier livre : l'Histoire de l'Ecole Martini - L'Enseignement à La Seyne-sur-Mer 1789-1980, dont voici un fragment de la préface :
« À la disparition de l'École Martini, au sein de laquelle j'ai passé la majeure partie de ma vie, soit comme élève soit comme maître, j'ai ressenti un pincement au cœur à tel point que je me suis abstenu de passer pendant plusieurs mois sur l'emplacement arasé, nivelé, dans ce quartier Cavaillon, l'un des plus vieux de La Seyne, devenu méconnaissable. Sensibilité ridicule, estimeront certains. Mais je suis de ceux qui n'oublient pas et je reste persuadé que nombre de mes contemporains réagissent de même.Je sais bien que le temps est un grand maître et qu'il efface peu à peu les êtres et les choses. Cependant, il lui sera difficile d'anéantir cent quarante ans d'histoire locale dont Martini a été le témoin. Si j'ai tenu à tracer ici l'histoire de l'École Martini, ce n'est pas seulement pour satisfaire un besoin d'expression sentimentale. Il m'a paru nécessaire aussi de rendre hommage à l'Institution que fut cette première école publique, à ses dirigeants et à ses maîtres, dont il sera longuement question dans les pages qui vont suivre. Hommage de reconnaissance et de gratitude à tous ceux qui ont contribué à éduquer plusieurs générations de Seynois. En ma qualité d'ancien et même de très ancien de la maison, il m'a semblé de mon devoir de rappeler et de perpétuer les souvenirs auxquels des milliers de Seynois ne peuvent rester insensibles.Il m'a été possible de le faire avec précision pour la période qui va de 1920 à nos jours. Cette partie de l'histoire est forcément la plus vivante parce que je l'ai réellement vécue : Élève de l'École Martini de 1920 à 1928, Enseignant dans la même école de 1938 à 1966, j'y ai connu des milliers d'élèves, des centaines d'instituteurs et de professeurs, huit directeurs, principaux et proviseurs. En 1944, comme membre du Comité de Libération, j'ai participé à la remise en place des structures communales dont l'École Martini, qui avait été abandonnée et pillée. En 1945, membre du Conseil d'Administration de la Caisse des Écoles, j'ai apporté ma contribution au développement de l'Enseignement et des oeuvres sociales scolaires, dont l'École Martini a bénéficié. De 1950 à 1977, en qualité de Conseiller municipal, puis d'Adjoint au Maire, autrement dit comme administrateur des biens communaux, j'ai pu suivre presque au jour le jour la vie intérieure de l'établissement.Si je fais état de toutes ces responsabilités, ce n'est pas pour satisfaire un désir d'ostentation, mais seulement pour expliquer au lecteur que, mieux que d'autres, il m'est possible de raconter l'histoire de l'École Martini. En outre, j'ai été confronté à ces divers titres, à tous les aspects de sa vie, à l'accroissement de ses effectifs, au renouvellement de ses personnels, à l'évolution qualitative de l'enseignement que l'on y dispensait ; je me suis réjoui des succès scolaires et universitaires qui y ont été remportés et j'ai suivi son adaptation progressive aux besoins de notre industrie locale... jusqu'à ce que je sois de ceux qui durent constater son déclin prévisible, obligatoire, évident, bien avant sa disparition. Il devenait alors impossible de trouver une autre solution que la destruction : les locaux étaient vétustes et l'on ne pouvait envisager d'en étendre l'emprise, tant la vieille école était engoncée dans ce quartier ancien ».
Après avoir informé Monsieur BAUDOIN de son projet, informé le nouveau Maire, Maurice BLANC, interviewé de nombreuses personnalités de l'enseignement public et privé, trouvé un groupement d'édition (le GRAICHS est créé à cette occasion), il finalise son manuscrit à l'automne 1981. L'ouvrage sera d'ailleurs mentionné à la télévision lors de l'émission Avis de Recherches consacrée à Henri TISOT et à son ancienne classe de CM2 de l'école Martini (dont Marius AUTRAN sera l'accompagnateur, à Paris), le 16 Octobre 1981.
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Le 22 Mai 1982, une présentation de l'Histoire de l'Ecole Martini, avec séance de dédicaces, a lieu dans les jardins du Centre culturel municipal de la rue Jacques Laurent. Marius AUTRAN y commente son ouvrage et, devant un public nombreux, simule une leçon de Sciences naturelles dans un décor aménagé pour la circonstance.
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L'ouvrage connaît un immense succès et il est trop rapidement épuisé.
Mais Marius ne va pas en rester là. Comme il est alors vice-président de La Seynoise, passionné de belle musique et lié d'amitié avec plusieurs des membres de la Philharmonique, en particulier son président Etienne JOUVENCEAU et son chef de musique Jean ARÈSE, il envisage dès 1983 d'écrire une Histoire de La Seynoise. En seulement trois mois, grâce aux archives de la Philharmonique qui, depuis 1840, ont toujours été parfaitement tenues, il achève ce second ouvrage, qui est donc publié en 1984.
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Et il va encore écrire. A partir de 1986, Marius AUTRAN se lance dans un troisième ouvrage "Images de la vie seynoise d'antan", constitué de huit "Récits, portraits, souvenirs" extraits de sa mémoire de vieux Seynois. Le succès de ce livre l'incite à poursuivre en 1988 avec une autre série de récits, en utilisant toujours le GRAICHS comme éditeur. Mais cette collaboration va s'interrompre et il publiera tous les ouvrages suivants "à compte d'auteur". Il écrit pour le plaisir, pour que ses riches souvenirs soient perpétués, mais pas pour gagner de l'argent. Il n'en gagnera jamais avec ses ouvrages car leur budget est calculé au plus juste. Pour éviter les frais d'envoi, il va lui-même distribuer ses ouvrages aux souscripteurs, sur le marché, ou à bicyclette, au domicile de ceux qui habitent les quartiers éloignés du centre ville.
En 1990, paraît le tome III de la série "Images de la vie seynoise d'antan". En 1992, le Tome IV.
Les deux tomes suivants seront consacrés chacun à un thème. Le tome V (1995) traite de la "Petite histoire de la grande construction navale". Le tome VI (1997), de "l'Isthme des Sablettes". Marius AUTRAN a alors 87 ans. Et il assure encore ses distributions de livres à bicyclette... A chaque parution, il y a toujours des séances de dédicaces, des articles de presse, et même des interviews qui feront l'objets de vidéos grâce aux associations "Histoire et Patrimoine Seynois" et "Les Relais de la Mémoire". Mais tous ces ouvrages vont encore être rapidement épuisés.
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Deux derniers tomes vont encore paraître, avec de nouveaux "Récits, portraits, souvenirs" : le tome VII (1999) et le tome VIII (2001). Marius AUTRAN a 91 ans. Ce ne sont pas les idées de thèmes qui lui manquent, mais il a maintenant de la peine à écrire. En 2002-2003, il va se limiter à des biographies familiales (son père, son grand-père) et à une autobiographie, qu'il avait déjà amorcée des années auparavant.
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Au total, entre ses 71 ans et ses 91 ans, il aura ainsi publié 10 ouvrages, soit environ 4 000 pages sur l'histoire de La Seyne, illustrés de près de 700 photographies ou dessins. Sa série "Images de la vie seynoise d'antan" ne comportera pas moins de 50 chapitres consacrés, soit à des portraits de personnages illustres (George Sand, Michel Pacha, Saturnin Fabre, Amable Lagane, Toussaint Merle, etc.), soit à des évènements marquants de l'histoire locale (La tragédie du cuirassé Liberté, le lancement du cuirassé Paris, Ils sont venus à La Seyne, etc.), soit à des histoires de la vie locale (l'Ecole de Musique, le sport, les transports, l'artisanat, la vie maritime, etc.), soit à des souvenirs de quartiers anciens (La Chaulane, Beaussier, Les Moulières, Balaguier, etc.).
Mais Marius AUTRAN a toujours refusé le titre d'historien. Un historien professionnel critiquerait d'ailleurs le fait que Marius AUTRAN fasse très souvent appel à sa mémoire ou à ses convictions, et ne cite pas systématiquement ses sources d'informations. Comme l'indiquent René MERLE et Jacques GIRAULT, dans leur préface au tome I, Marius AUTRAN « est dans la lignée de ceux qui ont agi, et non pas parlé seulement... dans et pour cette ville où il a pris parti, et toutes ses responsabilités », et ses ouvrages « appartiennent à un genre indéfinissable, à la fois histoire, mémoire, compilation, riche en aventures, ouvertures d'un modernisme qui le situent aux confins de l'Histoire des mentalités... ».
En décembre 2000, pour les 90 ans de mon père, j'avais cherché à lui faire un cadeau inhabituel. L'idée m'était alors venue de créer un site internet pour lui, de manière à "héberger" et mettre en ligne tous ses ouvrages, d'autant que la plupart étaient depuis longtemps épuisés. C'est ainsi que fut créé le site http://jcautran.free.fr, qui fut opérationnel au début de l'année 2001. Au départ, il ne contenait que les tomes I et II que j'avais numérisés. Un an plus tard, il contenait la totalité (textes et images) des 10 ouvrages, ainsi que quelques fichiers annexes (Biographie de Marius AUTRAN, Chronologie de l'histoire de La Seyne, Glossaire de l'histoire de La Seyne). Fin 2002, le site était enrichi d'un Lexique des termes provençaux, d'une Encyclopédie des rues de La Seyne, de Documents divers de l'histoire locale et d'une rubrique Généalogie. Par la suite furent encore ajoutés : Autres écrits de Marius AUTRAN dans la presse et les bulletins municipaux, Dictionnaire du mouvement ouvrier seynois (constitué des fiches biographiques rédigées par l'historien Jacques GIRAULT), un Forum où sont relayés tous les échanges de courriers électroniques relatifs au site (près de 5000 à ce jour), Autres biographies familiales et enfin une rubrique Archives familiales qui rassemble de nombreux documents relatifs à la scolarité, à la vie professionnelle et aux loisirs de la famille AUTRAN. Cette rubrique continue d'être enrichie jour après jour et est encore loin d'être terminée. Ce site http://jcautran.free.fr reçoit actuellement environ 700 visiteurs par jour (40 000 pages visitées par mois et 1 600 000 depuis sa création). Il est classé 45e dans le thème Sciences-Savoirs et 6e dans le sous-thème Histoire...
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Fenêtre sur Seyne, octobre 2001 |
Parallèlement à la publication de ses ouvrages et des commentaires de presse, Marius AUTRAN fera aussi l'objet de plusieurs interviews de la part des associations Histoire et Patrimoine de La Seyne et Les Relais de la Mémoire, pour la plupart filmées et mises sur cassettes vidéos, et par la suite sur DVD : L'enfance au travail, Petite chronique des chantiers occupés, Vaqui 2002, Ces hommes qui construisaient des navires, etc.).
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A près de 90 ans, il sera encore plusieurs fois sollicité pour donner des conférences à des réunions d'associations locales (Les Amis de La Seyne Ancienne et Moderne, Histoire et Patrimoine Seynois), dans des écoles de La Seyne ou pour des interviews dans La Marseillaise ou Var-Matin. Entre 1983 et 1990, il fit, par exemple, quatre conférences aux Amis de La Seyne Ancienne et Moderne : Cent ans de lutte contre la pollution, La vie aux Moulières, Evènements à La Seyne, Scènes de la vie à La Seyne, toutes publiées dans Le Filet du Pêcheur. En Janvier 1994, il participe aussi à une émission télévisée sur FR3 Midi Méditerranée au musée de Balaguier et sur la plage des Sablettes où il s'exprime notamment en provençal sur la construction navale seynoise et sur l'avenir de la ville.
Marius
AUTRAN en 1986 lors d'une conférence à des scolaires dans
la salle du Conseil municipal (avec Marc QUIVIGER, Adjoint à la
culture et M. FULPIN, Inspecteur de l'Education nationale |
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La vie associative
A partir de 1977, ne participant plus que de loin à la vie municipale, il dispose de davantage de temps libre. Il va profiter de nombreux loisirs et va aussi participer activement à la vie associative locale.
Ainsi, après la publication de l'histoire de la Philharmonique La Seynoise, Marius AUTRAN devient Président d'honneur de l'association La Seynoise.
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Dans un tout autre domaine, il sera aussi Président d'honneur de la S.N.P.M. (Société Nautique de la Petite Mer) dont il fut l'un des co-fondateurs. Il n'y eut jamais de yacht de milliardaire dans cette Société, mais son bateau à lui était sans doute l'un des plus modestes de tous... Le voici photographié vers 1990, sur le ponton de fortune auquel il venait d'amarrer sa bette, qu'il avait baptisée le You-You.
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Il sera également Président d'honneur de la Section locale de l'A.N.A.C.R. (Association Nationale des Anciens Combattants de la Résistance).
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Egalement, les anciens élèves de l'École Martini avaient tenu à lui confier la Présidence d'honneur de leur association (A.A.E.E.M.). Le voici, devenu le doyen des anciens enseignants de Martini, photographié au milieu d'un certain nombre d'anciens élèves.
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Jusqu'à l'âge de 90 ans, il participera encore à la plupart des réunions ou assemblées générales de toutes ces associations. Les dernières années de sa vie, il en restera Président d'honneur, mais, ne pouvant plus se déplacer aisément, on ne l'y verra plus guère, à l'exception de la Seynoise, où il tiendra à assister au banquet annuel et au concert de la Sainte-Cécile jusqu'en 2005.
Une vie aussi richement remplie : l'enseignement, la guerre, la Résistance, l'engagement politique, l'activité municipale, l'activité associative, la rédaction d'ouvrages,... tout cela lui vaudra un certain nombre de décorations, de médailles et de récompenses honorifiques diverses.
Marius AUTRAN était ainsi titulaire de 9 distinctions honorifiques, que l'on peut reconnaître sur le médaillier ci-dessous.
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Mais il n'eut jamais la Légion d'Honneur. Il avait plusieurs fois constitué un dossier pour l'obtenir, et, jusqu'aux derniers jours de sa vie, il avait bien espéré la recevoir. Mais, malgré le soutien que lui avait apporté plusieurs hauts responsables administratifs et diverses personnalités locales, notamment le Docteur PAECHT, Maire de La Seyne, il ne l'obtint jamais. Il est certain qu'il l'eut bien méritée. Mais il est probable aussi que ses engagements politiques des années 50 et aussi le fait qu'il avait démissionné - de manière assez peu diplomatique - de son grade d'officier de réserve à l'époque des guerres coloniales, tout cela ne jouait pas en sa faveur pour devenir titulaire d'une décoration militaire.
Quant aux médailles et récompenses honorifiques pour ses actions locales, elles furent nombreuses : Médaille d'honneur de la ville de La Seyne, Médaille de La Seynoise, Médaille de l'Office Municipal des Sports, Médaille d'adjoint honoraire, etc.
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Les dernières années
Le début des années 90 fut marqué par plusieurs réunions de famille : les 80 ans de Marius le 2 décembre 1990, les 80 ans de Louise le 5 octobre 1991 et leurs 60 ans de mariage (noces de diamant) le 26 mars 1992. Une trentaine de parents et d'amis parmi les plus proches y seront conviés, avec notamment M. ARÈSE et plusieurs élèves de l'Ecole municipale de musique qui animeront la journée.
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Cette belle photo de Marius à 81 ans, où l'on voit bien ses yeux bleus, avec son costume de velours sombre, sa rosette des Palmes académiques et sa Croix de guerre, sera souvent utilisée par la suite, notamment sur la page d'accueil de son site internet. On ne montrera pas Marius vieillissant davantage. Les internautes éloignés ne connaîtront de lui que cette photo.
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Des années s'écoulent encore. Elles sont de plus en plus difficiles, Marius AUTRAN supportant mal de se voir décliner et de devoir limiter ses activités physiques.
Le 6 février 1996, son épouse, sa chère Louise, avec laquelle il partagea 64 années de sa vie, s'éteignit à La Seyne. Elle vint rejoindre, dans la tombe, son père, disparu depuis 1911, sa mère et le petit Robert.
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Mais il réagit de manière assez positive à ce malheur puisqu'il va vivre encore 11 ans, seul, dans sa maison de Châteaubanne, et qu'il conservera jusqu'au bout ses capacités intellectuelles.
Ses activités physiques et sa motricité vont cependant progressivement diminuer. Après avoir renoncé à la voiture, vers 85 ans, on va encore le rencontrer quelques années encore avec son VTT, jusque vers 90 ans. Ensuite, pendant encore 2-3 ans, on va le voir avec sa canne faire quelques courses jusqu'au centre commercial du Bercail. A partir de 2003, il ne va plus guère sortir de sa maison et de son jardin, sauf si l'on vient le chercher en voiture.
Sa dernière sortie du département sera en décembre 2000, lorsque l'on fêtera ses 90 ans à La Grande-Motte, près de Montpellier.
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C'est d'ailleurs à cette occasion que j'avais eu l'idée de lui offrir comme cadeau d'anniversaire original, la création d'un site internet - qui deviendra le très populaire site marius autran com [devenu en 2016 http://jcautran.free.fr] pour héberger une version numérique de ses ouvrages, pour la plupart déjà épuisés (voir ci-dessus).
En août 2001, il y eut des retrouvailles émouvantes avec Henri TISOT, qui fut son élève à Martini en 1948-1949.
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En novembre 2001, avec son ami Paul PRATALI, il rencontre Arthur PAECHT, élu maire de La Seyne depuis peu, lors d'une exposition sur la Résistance à La Seyne et dans le Var proposée par les Amis de la Résistance et par l'A..N.A.C.R.
Fenêtre sur Seyne, décembre 2001 |
Chaque 2 décembre, on fêtera encore son anniversaire, 92, 93, 94,... avec toujours plus ou moins les mêmes derniers fidèles.
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En 2004, il aura une grande satisfaction, celle de voir son fils prendre sa retraite et retourner vivre à La Seyne, dans une maison nouvellement bâtie sur sa vieille terre de Bastian.
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Il a maintenant de plus en plus de peine à se déplacer. Il lui faudrait davantage d'aide à son domicile. Mais, avec sa nature autoritaire, il refuse d'être aidé.
Il va passer ses journées allant d'un fauteuil à un autre. Depuis la disparition de son épouse, la solitude l'a incité à se remettre à fumer. Il avait beaucoup fumé dans sa vie (on a pu observer qu'il tenait une cigarette dans les doigts sur beaucoup de photos), mais il avait complètement arrêté vers l'âge de 60 ans. Pendant ses dernières années, on va donc le revoir prendre du plaisir avec ses cigarillos de type Niñas, ce que sa famille et ses amis ne vont, par contre, pas toujours apprécier, la plupart trouvant épouvantable l'odeur de ces petits cigares, mais n'osant pas trop le lui dire,… et sachant que, dans les réunions de famille, sur 30 ou 40 personnes, il est absolument le seul fumeur.
Il va passer ses journées allant d'un fauteuil à un autre. Depuis la disparition de son épouse, la solitude l'a incité à se remettre à fumer. Il avait beaucoup fumé dans sa vie (on a pu observer qu'il tenait une cigarette dans les doigts sur beaucoup de photos), mais il avait complètement arrêté vers l'âge de 60 ans. Pendant ses dernières années, on va donc le revoir prendre du plaisir avec ses cigarillos de type Niñas, ce que sa famille et ses amis ne vont, par contre, pas toujours apprécier, la plupart trouvant épouvantable l'odeur de ces petits cigares, mais n'osant pas trop le lui dire,… et sachant que, dans les réunions de famille, sur 30 ou 40 personnes, il est absolument le seul fumeur.
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Il y voit moins bien (bien qu'il arrive encore à lire un journal sans mettre nécessairement ses lunettes...). Il va souvent pester contre le sort et contre la médecine « qui a encore des progrès à faire », qui est incapable de lui rendre ses jambes de 20 ans... Il entend moins bien, mais ne veut pas l'admettre : il doit mettre le son la télévision au maximum et il accuse souvent « les journalistes parisiens de ne pas savoir articuler correctement... ». Il a de la peine à entendre dans le téléphone, mais « c'est la faute de l'installateur qui n'arrive pas à lui fournir un appareil correct... ». Pour un peu, il accuserait « le système capitaliste qui, à la recherche de profits immédiats, est incapable de fournir aux honnêtes gens des appareils qui fonctionnent correctement... ».
Mais il continue à faire travailler sans arrêt son cerveau. Il reçoit encore des journalistes qui viennent l'interviewer. Il lit son journal, en commençant traditionnellement par la page des avis de décès. Il fait son mot croisé et, jusqu'à fin décembre 2006, il arrivait à peu près toujours à le terminer. Et il lit encore beaucoup, car ses amis lui apportent régulièrement des livres, parfois plusieurs livres par mois. Et il tient, à la fin de l'année, la liste de tout ce qu'il a lu.
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Les années vont encore passer, mais il recevra de moins en moins de visiteurs car la plupart de ceux de sa génération ont maintenant disparu ou ne peuvent plus se déplacer non plus. Lui est toujours là, et il culpabiliserait même d'être encore là lorsqu'un ami ou un parent plus jeune que lui disparaît : « C'était pas à lui de partir, c'était à moi... ». Ou alors : « C'est pas possible d'arriver à un âge pareil », « C'est déc... de se faire aussi vieux ! », ou encore : « J'ai beau fumer et boire des pastis, et je crève pas ! ».
Mais ses forces diminuent. Il perd souvent l'équilibre dans la maison ou dans le jardin. Mais il s'en tire toujours sans une égratignure. En octobre 2005, cependant, il fait une chute dans le jardin, et celle-ci s'avère plus grave que les autres. [Les mauvaises langues dirent que c'est en posant des pièges pour les petits oiseaux qu'il fit cette chute… Chacun savait d'ailleurs que les alludes lui étaient apportées par son ami B.B….].
A partir du jour de cet accident, il ne sera plus jamais tout à fait le même.
Il ne sort plus guère de sa maison, mais il reçoit toujours les visites régulières des derniers fidèles :
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A chacun des visiteurs, il offre traditionnellement, soit le pastis, soit un Orangina, soit du vin mousseux Kriter. Et lui fume toujours ses petits Niñas…
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Beaucoup de ses anciens amis et camarades, et même d'anciens élèves ont disparu. A chaque début d'année il récapitule les personnalités disparues au cours de l'année précédente. Et il trouve scandaleux que des acteurs, des poètes, des savants puissent ainsi disparaître !
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Le pessimisme le gagne, surtout devant les évènements, les unes des journaux qui n'évoquent que catastrophes, guerres, attentats, crimes, viols, scandales pédophiles, bébés congelés,… L'état du monde le préoccupe. Il faut reconnaître qu'il est un peu « paumé » depuis la fin de l'URSS. Le monde n'a pas évolué dans le sens qu'il espérait. Tout début de crise quelque part dans le monde est pour lui annonciateur de la 3e guerre mondiale.
Il est fatigué de vivre. Lors de sa dernière interview parue dans La Marseillaise en juin 2006, il dira notamment : « L'histoire de ma vie, je ne peux pas la raconter. Elle est beaucoup trop longue ». Mais il ajoutera aussi par ailleurs : « Je n'ai plus aucune ambition, sauf celle de survivre... ».
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Sa dernière apparition publique, ce sera le 24 mai 2006 à l'Hôtel de Ville, lors de la remise de la Médaille d'Honneur de La Ville de La Seyne à M. Gilbert MARRO, Président de la Société Nautique de la Petite Mer, dont Marius AUTRAN était Président d'honneur. Il aura à cette occasion un assez long tête-à-tête avec M. Arthur PAECHT, Maire de La Seyne, qu'il félicitera « pour les travaux qu'il est en train de réaliser pour notre ville La Seyne ».
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On va encore fêter son 96e anniversaire le 2 décembre 2006 dans notre maison de Bastian. Ce jour-là, on va inviter aussi son ami Paul PRATALI, qui a 3 ans de moins que lui. Mais ils ont, à tous les deux, 190 ans !!
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Pour Noël 2006 et pour le 1er janvier 2007, il viendra encore déjeuner à Bastian. Il avait de la peine à se tenir debout et je lui dis alors : « Tiens-toi droit ! », ce qu'il fit en s'appuyant sur sa canne. Et ce sera sa toute dernière photo, avec ses 3 plus jeunes petits-fils.
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Deux jours plus tard, il était hospitalisé à La Seyne suite à une nouvelle chute, qui cette fois fut plus grave : fracture du col du fémur. Certes, l'opération s'était bien déroulée et, mécaniquement, il aurait pu se rétablir et marcher de nouveau. Mais, dans sa tête, il n'avait plus la volonté de lutter. Il ne cessa de s'affaiblir. Des complications internes obligèrent à procéder à une seconde opération, cette fois à la clinique Malartic à Ollioules. Il ne reprit jamais complètement connaissance et s'éteignit le samedi 20 janvier à 16 h 30. J'étais présent, seul avec lui, à cet instant d'intense émotion où j'ai pu entendre sa toute dernière respiration. Mon père était mort.
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Le 24 janvier 2007, jour de ses obsèques, fut le jour le plus froid, et même le seul jour vraiment froid, de tout l'hiver 2006-2007.
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Ainsi disparut un personnage attachant et à bien des égards hors du commun. Un enfant timide et demi-sauvage, de tempérament indépendant, mais pourtant devenu localement un homme public de premier plan. Un enseignant extrêmement autoritaire, mais profondément sensible et bon. Un homme qui a beaucoup aimé La Seyne et les Seynois, notamment les plus modestes. Se classant progressiste, mais pourtant attaché aux valeurs ancestrales de la IIIe République. Un homme de conviction, qui s'est attaché à faire le bien autour de lui en s'appuyant sur les idées qu'il a considéré comme les meilleures possibles dans le contexte de son éducation et de son époque.
Je terminerai sur une note d'espoir : Pour nous, Marius AUTRAN ne disparaîtra pas tout à fait. Il nous laisse dix ouvrages sur l'histoire de La Seyne, de nombreux écrits, de nombreux souvenirs, de riches archives que nous n'avons pas fini d'exploiter.
Nous avons aussi à La Seyne, depuis le 28 février dernier, une petite rue portant le nom de Marius AUTRAN : c'est la « Traverse Marius AUTRAN », qui jouxte le nouveau bâtiment des Archives Municipales. Il est également question que ce bâtiment soit baptisé « Archives Municipales Marius AUTRAN ».
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Et la descendance de Marius AUTRAN est assurée.
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Mais il n'a pas connu d'arrière-petits-enfants. Il s'en est fallu de très peu, puisque, quelques mois après sa disparition, est né Vitaly AUTRAN, qui aurait été son premier arrière-petit-fils. Et, en plus, un arrière-petit fils qui porte un prénom russe, Vitaly, puisque ma belle fille Olga est d'origine russe.
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La phrase de conclusion de cette conférence, je l'emprunterai à Josette VINCENT, qui l'avait prononcée dans son allocution lors des obsèques de Marius AUTRAN le 24 janvier 2007 :
Marius,Tes leçons, nous ne les oublierons pas.
Ton histoire, nous la raconterons, et nul doute qu'elle sera citée en exemple.
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Jean-Claude AUTRAN
20 octobre 2007
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Jean-Claude Autran 2020