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En complément de la section du "Forum" de mon site internet consacrée à mes souvenirs d'Henri TISOT, voici, par ordre chronologique, quelques textes signés Henri TISOT et quelques interviews où il exprime ses idées. Un certain nombre ont été publiés sur son blog - et je les ai sauvegardés, dans la crainte que ce blog ne se ferme un jour ou l'autre. D'autres m'avaient été confiés directement par Henri.
Le 1er octobre 2001, peu de temps après les évènements du 11 septembre, Henri me dit : « je joins ce texte que je viens de composer et qui concerne Babel et Manhattan ».
Faut-il croire à la gratuité des coïncidences ? Louis Pauwels parlait de « coïncidences abusives ». Convient-il, lorsqu'elles se dévoilent, d'en tirer des leçons ou bien encore des conclusions ? Qui n'a pas fait coïncider dans sa tête l'attaque de la tour du World Trade Center (Centre Commercial du Monde) qui a eu lieu le 11 septembre 2001, c'est à dire le 11.09. avec l'événement biblique de la tour de Babel ? Or, si, Bible en main, on se reporte au 11ème chapitre, verset 9 (11- 9) du livre de la Genèse, n'est-ce pas là que le nom de« Babel » apparaît pour la toute première fois ? : « C'est pourquoi on la nomma Babel, parce que là le Seigneur confondit le langage de toute la terre ; et de là l'Eternel les dispersa sur toute la face de la terre - Genèse 11 - 9 ». Les armées de tous les pays qui font front avec l'Amérique ne vont-elles pas se disperser sur toutes les faces de la terre pour atteindre l'ennemi caché ? Oui, la coïncidence qui relie la date du drame le 11.09. avec la référence biblique de la Torah des Juifs, Genèse 11.9, est pour le moins troublante. Les coupables des actes horribles perpétrés sur l'île de Manhattan étudient-ils la Bible et l'utilisent-ils pour faire coïncider le drame de la tour de Babel où « l'un n'entend plus le langage de l'autre » avec le drame du commerce mondial où l'un n'admet plus le commerce (dans tous les sens du terme) avec l'autre ? Saint Paul a compris en son temps que : « le péché saisit l'occasion et utilise le précepte (en l'occurrence la Parole d'Adonaï concernant Babel) - il se sert d'une bonne chose pour procurer la mort, afin que le péché exerce toute sa puissance de péché par le moyen du précepte (Epître aux Romains VII-13). » HENRI TISOT - comédien - |
HENRI TISOT BP n°7 - 75362 Paris - Cedex 08 « FRANÇAISES,
FRANÇAIS,
NE TUONS PAS DE GAULLE UNE DEUXIEME FOIS ! » « Quand on ne reconnaît plus les siens, c'est qu'on n'est plus des leurs. » Louis Pauwels. « FRANCAISES, FRANÇAIS, C'est dans les coulisses de ma vie que je vous convie. Ces coulisses n'ont rien de bien extraordinaires, il faut le dire, si ce n'est que les coulisses d'un théâtre ou de la vie ont toujours quelque chose d'inattendu et que le public ne peut pas soupçonner. Y gisent çà et là des fragments de décor des pièces qui ont été à l'affiche, des parcelles de certains accessoires, des meubles entassés. Tout témoigne du déroulement des pièces qui se jouent ou qui se sont jouées...la veille, l'avant-veille...hier. Bref, avant ! Oui, tout témoigne de l'action du moment ou de l'action passée, y compris la poussière qui a tout submergé et qui nous rappelle sans cesse que nous la rejoindrons tous quoiqu'il arrive. Et quand les pièces sont retirées de l'affiche, tout ce qui accompagnait leurs déroulements finit dans les magasins des accessoires, les caves du théâtre, les coins et les recoins des coulisses. C'est donc à parcourir les coins et les recoins de mon cerveau que je vous invite, dans la mesure bien sûr où cela vous intéresse. Je pense irrésistiblement à cette phrase de Jules Renard : « Les gens sont extraordinaires, ils voudraient que l'on s'intéresse à eux. » Oui, j'ai toujours tout fait pour que l'on s'intéresse à moi. Depuis ma naissance je fais ce qu'il convient d'appeler « l'intéressant ». J'entends encore mes parents me dire : « Arrête de faire l'intéressant. Pour qui tu te prends ? » Oui, pour qui est-ce que je me prends ? C'est peut-être parce que j'ai très vite compris que ma personne n'était pas suffisante pour que l'on s'intéresse à elle, que j'ai entrepris tout jeune de me glisser dans la peau des autres. Me voilà devenu comédien d'une pièce qui s'appelle « Ma vie ». Mais est-ce que ma vie est susceptible d'intéresser le public ? Si oui, qu'il veuille bien me rejoindre en coulisses. Je souhaite lui dévoiler des choses qu'il ne connaît pas et qui me tiennent terriblement à cœur. Une des choses qui est véritablement précieuse à mes yeux, se trouve dans une imposante bibliothèque aux colonnes noires qui encadrent ses portes, et qui marquent ainsi sa forme Empire, tandis que le bois clair de sa matière, annonce le style Charles X. Nous sommes là, à mi-chemin entre ces deux styles. Cette bibliothèque trône dans mon grand salon qui jouxte le petit salon de mon appartement dans lequel j'écris. Sur la troisième étagère du meuble en question, se trouve posée, appuyée contre la photo du général de Gaulle, une petite enveloppe qui contient une carte de visite. Il s'agit là de mon viatique pour l'éternité. Cela semblera naïf, désuet, voire ridicule à certains. Pourtant c'est essentiel à mes yeux. Je crois aux signes. Ils ont souvent ponctué beaucoup d'époques de ma vie. La carte de visite dont il est ici question avait été postée le 8 novembre 1978 à la gare Montparnasse, le cachet de la poste en faisant foi. Un an plus tard, jour pour jour, celle qui m'avait adressé cette carte de visite, n'aurait plus pu la glisser dans la boîte, puisqu'elle décéda le jeudi 8 novembre 1979 à 1 heure du matin à l'hôpital du Val de Grâce. Un an avant, elle avait donc posté sa carte à la gare Montparnasse car elle séjournait alors chez les sœurs de l'Immaculée-Conception de Notre-Dame de Lourdes, avenue de la Bourdonnais depuis 1978. Il s'agit, vous l'avez deviné de Madame de Gaulle que les Français dénommait « tante Yvonne » pour bien marquer qu'elle était certes de la famille mais que d'elle-même, elle s'était un peu éloignée d'eux n'étant pas dupe de leurs intentions finales. Les Français savaient qu'elle consentait à être leur tante, mais leur sœur ou leur mère, non ! Elle les connaissait trop. C'est sans doute à cause de cette distance qu'elle savait mettre entre les choses et les gens, qu'elle avait mis 8 ans à me répondre. Tous les ans, quelques jours avant la date anniversaire de la mort du Général, depuis le 9 novembre 1970 donc, je lui adressais, les premières années à Colombey, puis la dernière année à Paris quand je sus qu'elle y résidait, quelques mots simples, dénués de toute affectation : « Union de prières en ce nième... anniversaire de la mort du général de Gaulle ». Le Général est mort à 19 heures 35 dans sa résidence de La Boisserie à Colombey-les-Deux-Eglises, le 9 novembre 1970, sa femme l'a rejoint le 8 novembre 1979, neuf ans plus tard à un jour près. C'est un signe à mes yeux d'avoir rejoint son mari à la même date pratiquement. Comme le Général, elle sera inhumée un 12 novembre. Oui, je crois aux signes. Je m'efforce de n'en pas voir partout. Mais je m'attache aussi à ne pas les nier lorsqu'ils se présentent. Madame de Gaulle n'avait jamais répondu à mes cartes-anniversaires, sauf un an avant sa mort, comme si elle avait pressenti qu'un an après cela lui aurait été impossible. Mon nom et mon adresse étaient écrits de sa main sur l'enveloppe, et à l'intérieur sur la carte de visite à en-tête de « Madame Charles de Gaulle », le texte suivant était lui aussi écrit de sa main : « Je suis sensible à votre pensée pour ce huitième anniversaire, et vous en remercie. » Cette carte bien sûr m'alla droit au cœur. Mais j'ose ajouter que je la considère comme étant encore plus précieuse qu'une lettre du général de Gaulle lui-même. A mes yeux, cela signifiait que si elle m'adressait ce signe, c'est qu'elle-même et toute sa famille me comptait parmi ceux qui n'avaient pas desservi le patriarche de la France. J'en eus la preuve plus tard, par les nombreuses manifestations épistolaires de l'amiral Philippe de Gaulle, le fils, ainsi que celles du général de Boissieu, le gendre du Général, et également celles de Jacques Vendroux, le frère de Madame de Gaulle. J'ai le sentiment, le plus humblement possible de pouvoir, de devoir, me compter parmi les leurs. Ce n'est pas rien. Il faut bien que je le dise si je veux qu'on le reconnaisse. C'est ma façon de me dissocier de tous « les apatrides mentaux » selon l'expression du général de Gaulle lui-même, consignée de nombreuses fois par son fils Philippe au cours de ses écrits, pour dénoncer ces Français de tous acabits qui aiment tout sauf la France. Ce sont eux avec le président de la République actuel en tête, Monsieur Jacques Chirac, qui s'apprêtent à assassiner leur pays, la France, en l'amputant de sa souveraineté après avoir déposé un « oui » dans l'urne lors du futur référendum sur la nouvelle Constitution européenne. Ils bâillonneront ainsi leur mère patrie. Il n'y aurait pourtant qu'une seule question à poser aux Français : « Pensez-vous que le général de Gaulle serait d'accord avec les termes de la nouvelle Constitution européenne ? » On se gardera bien de formuler ainsi la question référendaire. On sait trop quelle serait la réponse. Qu'a donc à voir l'Europe qui se prépare à nous engloutir et à nous déglutir, avec celle que préconisait le général de Gaulle qui l'avait en quelque sorte définie par ces quelques mots fort à propos lors de sa conférence de presse du 15 mai 1962 : « Dante, Gœthe, Chateaubriand appartiennent à toute l'Europe, dans la mesure même où ils étaient respectivement et éminemment italien, allemand et français. Ils n'auraient pas beaucoup servi l'Europe s'ils avaient été des apatrides et qu'ils avaient écrit en quelque espéranto ou volapuk intégré. » Dans une lettre à moi adressée le 28 novembre 1985 par le fils qui parle d'or tout autant que son père, Philippe de Gaulle me dit : « Sans être fermés aux autres, mais en leur empruntant seulement ce qui convient, c'est à dire ce qu'on assimile, l'art et la culture d'une nation ne peuvent être que les siens. » Il est évident que le général de Gaulle était tout autant que le ministre anglais Kenneth Clark « pour les états d'Europe unis et pas pour les états-unis d'Europe ». Le distinguo est obligatoire dans la mesure où l'on s'attache à servir son pays. Dès lors, nous sommes dans les mains du destin. Parfois, il sert la France. S'en mêlera-t-il ? Je ne crois plus qu'en son aide. Sous quelle forme ? L'avenir le dira. Il se manifeste parfois avec violence. Le Président Chirac a dissous l'Assemblée nationale à la suite de son discours du 21 avril 1997, de sorte que son pouvoir s'est trouvé dissout et amoindri à la suite des élections législatives du 24 mai et du 1er juin 1997, la Gauche ayant alors la majorité. A la suite du référendum du 24 septembre 2000, il a fait adopter par les Français le quinquennat en lieu et place de septennat sur l'initiative de Valéry Giscard d'Estaing son prédécesseur. Il s'agissait là aussi d'une forme de dissolution de son poste. Et il s'apprête par le référendum sur la nouvelle Constitution de l'Europe, concocté par Valéry Giscard d'Estaing encore, à dissoudre la France. En effet, pour ne citer que cela, la politique étrangère de la France sera déléguée à l'Europe, autant dire que notre pays n'aura plus guère voix au chapitre. J'ai trouvé sur Internet un site dénommé « Jacques Chirac et la passion de la dissolution ». A t-on jamais vu un président de la République démanteler ainsi ses pouvoirs de son propre chef ? Pourquoi lui avons-nous donné le pouvoir si c'est dans le but qu'il le dilapide ? D'ailleurs a-t-il vraiment le pouvoir ? Rien n'est moins sûr. Il ne cesse de faire montre de ne plus en avoir qu'en paroles. C'est le mal français : dès que l'on a parlé, on croit avoir agi. Faut-il lui rappeler ce simple détail : cela fait près de deux ans au moins qu'il promet ses grands dieux ! d'abaisser la T.V.A sur la restauration de 19,60 % à 5,50 %. On attend toujours alors que nous sommes parmi les pays d'Europe, le pays qui est le plus concerné par ce problème. Et pendant ce temps, ont seuls droit aux 5,50 % de T.V.A. les empoisonneurs de service qu'ils soient américains ou chinois. Ces derniers sont assujettis comme étant des traiteurs au départ, et profitent ainsi de ce taux de 5,50 %, puis ils ajoutent dans leurs échoppes une table, puis deux, puis trois... et transforment ainsi leur surface en restaurant sans que nul ne s'en soucie. Le restaurant français qui jouxte le restaurant américain ou chinois est lui, taxé à 19,60 %. J'ai pris cet exemple banal car il est compréhensible à tous, mais va totalement à l'encontre de toute logique et de toute justice. Vive l'Europe qui tue les Français ! Ce doit être leur désir inavoué et profond. Ils se sont bandé les yeux pour ne pas voir qu'on les conduit à la boucherie tels des veaux qu'ils sont. Le général de Gaulle lui-même posait déjà la question à Jacques Foccart en mai 1968, lequel Jacques Foccart s'était consacré du temps où le général de Gaulle était au pouvoir, aux Affaires africaines et malgaches : « En réalité, ce peuple français meurt et se laisse mourir. Il a eu quelques sursauts. Il m'a suivi en 1940, et encore dans une faible minorité. Il m'a suivi lorsqu'il était en danger en 1958, et encore avec beaucoup de réserves. Et toujours et sans arrêt reviennent les adversaires qui disloquent tout cela. C'est un pays qui se dissout, je n'y peux rien. Comment voulez-vous lutter pour un pays qui est en train de se dissoudre, de s'en aller, de s'abandonner ? On ne peut pas tenir un pays malgré lui. On ne peut pas l'empêcher de se dissoudre contre sa volonté, ce n'est pas possible. [...] On ne peut pas sans arrêt le tenir à bout de bras. Qu'est-ce que vous voulez, on aura fait ce que l'on aura pu. » (Jacques Foccart. « Le Général en mai. Journal de l'Elysée - 1968-1969. » Editions Fayard-Jeune Afrique.) Quelqu'un m'a un jour écrit cette phrase essentielle, historique oserais-je dire : « La France n'appartient pas qu'à la France ! » Les « collaborateurs » dans notre pays, à quelque époque que ce soit, sont toujours majoritaires par rapport aux « résistants ». Que tous ces « collaborateurs » que De Gaulle dénommait les « apatrides mentaux » qui s'apprêtent à voter « oui » au prochain référendum sur la nouvelle Constitution européenne, méditent au sujet de cette phrase avant de voter : « La France n'appartient pas qu'à la France ! » Car si la France ne tient plus sa place et son rôle de France, qui les tiendra ? Les adeptes du « oui » avancent pour seul argument que la nouvelle Constitution est préférable au traité de Nice que tout le monde s'accorde à trouver inopérant, insuffisant. Cela me fait penser à un habit que l'on endosse, qui ne vous va pas, mais qui vous va moins mal que celui que vous aviez auparavant. La belle affaire ! La nouvelle Constitution ne nous convient pas ? Eh bien, Monsieur Valéry Giscard d'Estaing, recommencez ! Vous nous avez dit « orevoir » un certain jour à la télévision. Sur ce point vous avez tenu parole. On vous revoit toujours. Nous c'est « adieu » que l'on vous avait dit par le truchement de notre vote. Cela vous a ému, on l'a constaté, mais cela ne vous a pas tué comme le général de Gaulle. Le général de Gaulle est mort le 9 novembre à 19 heures 35 à Colombey-les-Deux-Eglises, mais la France et les Français n'ont appris son décès que le lendemain 10 novembre à 9 heures 06. Pour ce qui me concerne, le 10 novembre je devais assurer une représentation du « Bourgeois Gentilhomme » de Molière, à la-Chaux-de-Fonds en Suisse, tout de suite après la frontière. Je devais y interpréter le rôle de Monsieur Jourdain, le rôle titre. Je me revois au petit matin du 10 novembre, débusquant au volant de ma Ford Camaro vert bouteille et décapotable, du parking souterrain du 30,boulevard d'Argenson à Neuilly où j'habitais à l'époque. Je ne sais pourquoi l'image de ce départ sur le coup de sept heures du matin demeure inscrit dans ma mémoire, alors que tant d'autres choses bien plus marquantes s'en sont échappées. J'étais accompagné par mon secrétaire et par un comédien de la troupe qui, dans « Le Bourgeois Gentilhomme », jouait le Maître à danser à mes côtés. Nous devions faire un raccord, c'est à dire une courte répétition de la pièce en milieu d'après-midi à la-Chaux-de-Fonds, à près de 500 kilomètres de Paris, ce qui nécessitait ce départ aux aurores. J'avais de plus, prévu, envisagé de nombreux arrêts sur le chemin qui, de Paris, mène à la Chaux-de-Fonds et envisagé de prévoir au moins 7 à 8 heures pour parcourir 500 kilomètres en tenant compte de mon handicap. En effet, depuis une bonne dizaine de jours, je ne pouvais ni demeurer longtemps debout, ni m'asseoir, sans ressentir une épouvantable douleur dans le dos. J'avais consulté plusieurs médecins et j'avais pris rendez-vous pour une radiographie pour les jours qui suivaient cette représentation à la-Chaux-de-Fonds. Mais, ce matin-là, à mon grand étonnement, dès que je fus installé dans mon automobile, je fus terriblement surpris de ne plus ressentir la moindre douleur lombaire. Le mal s'était envolé. La raison me sera révélée plus tard. Et de Paris à Pontarlier, soit durant 450 kilomètres, sans que j'eusse prémédité la chose, ni que je pusse en saisir sur l'heure les raisons, je ne cessais de parler des choses qui touchent à la mort et tout particulièrement de la mort quasiment le même jour à quelques années de distance de gens qui comptaient énormément pour moi. Il semblait que, tout au long du parcours, j'en arrive à faire une sorte de bilan émotionnel. Je donnais aux deux garçons qui m'accompagnaient, force détails sur la mort de Béatrix Dussane, mon professeur au Conservatoire de Paris et qui avait été si importante dans ma vie au point de la considérer comme mon mentor, que ce soit dans ma vie comme dans mon métier de comédien. Elle nous avait quittés le 3 mars 1969. Cette date du 3 ou 4 mars m'a été fatidique durant de nombreuses années. On peut mettre cela sur le compte du hasard, pour ma part je mets tout cela sur le compte des choses qui demeurent inexpliquées. Le 3 mars 1963, c'est mon ami d'enfance Maurice Bonnet qui me faussa compagnie. Il était né comme moi en 1937 et avait donc 26 ans en 1963 quand il mourut victime d'un accident de la circulation. Le 4 mars 1968, ce fut, Marguerite, ma grand-mère, la mère de mon père, que j'aimais par-dessus tout, qui me laissa, ce qui constitua pour moi un véritable déchirement. Le 3 mars 1969, Dussane se rendit au ciel. Et enfin, plus tard, je ne le savais pas encore puisque nous étions le 9 novembre 1970, le 4 mars 1971, ce serait le tour de mon manager Jean-Louis Marlotte-Desagnat qui m'a accompagné durant ma carrière d'imitateur du général de Gaulle pendant près de 10 ans. Et de toutes ces « coïncidences abusives » selon l'expression de Louis Pauwels, à l'exception de la dernière concernant Marlotte, je m'entretenais avec mes compagnons de voyage, jusqu'au moment où, vers midi, à l'arrêt d'un feu rouge à un carrefour de Pontarlier, je tournais le bouton de la radio de mon automobile et tandis que l'antenne électrique comme en possédaient les voitures à l'époque, se dépliait vers le ciel, j'entendis : « ...néral de Gaulle est mort, hier soir... à Colombey-les-Deux-Eglises. » Je n'eus que le temps de démarrer, puis de jeter ma voiture sur le rebord de la route tout de suite après le carrefour, et éclatais en sanglots, ayant véritablement conscience que je me trouvais ici à un carrefour de ma vie bien plus qu'à celui de Pontarlier. Le soir je jouais tant bien que mal le rôle de Monsieur Jourdain après avoir expliqué au public suisse qu'ayant endossé 10 ans durant la peau du général de Gaulle, il m'était tout particulièrement pénible ce soir-là de tenter de le faire rire alors que j'avais le cœur en bandoulière. Je fais remarquer au passage que Colombey-les-Deux-Eglises se trouve à mi-chemin sur le parcours que je venais d'accomplir entre Paris et la-Chaux-de-Fonds. Chaumont, tout près de Colombey se trouve à 264 kilomètres de Paris et Pontarlier à 448 kilomètres. Le hasard, ce hasard qui a bon dos aux yeux des imbéciles, avait agi de telle sorte que le 10 novembre je sois amené à jouer à la frontière suisse. J'aurais pu tout aussi bien être engagé pour jouer à Bordeaux, Marseille, Lyon ou Brest. Non, le hasard avait agi de telle sorte que je me trouvasse le 10 novembre 1970 sur la route de Colombey. L'enterrement du Général, je l'appris par la presse, devait avoir lieu à Colombey le 12 novembre après-midi. M'y serais-je rendu depuis Paris ? Sans doute pas. J'aurais eu peur que l'on me taxât de cabotinage ou bien d'aller faire le beau aux obsèques de celui dans la peau duquel j'étais entré pendant plus de dix ans. Mais comme je me trouvais à seulement 200 kilomètres de Colombey, l'idée de ne pas m'y rendre, bien qu'elle m'eût effleuré, me parut inenvisageable. Je passais donc le 11 novembre à la-Chaux-de-Fonds. Je convins de me rendre à Colombey par Chaumont le lendemain. Je me disais, étant donné l'affluence des Français prévue et attendue, que je ne parviendrais sûrement pas jusqu'au village et je convins de m'arrêter sur le bord de la route qui conduisait à Colombey, là où l'affluence m'obligerait à stopper. J'envisageais donc d'écouter à la radio depuis ma voiture la transmission des obsèques, puisque le Général avait spécifié dans son testament qu'il faisait la part belle au peuple et pas aux officiels : « Les hommes et les femmes de France et d'autres pays pourront, s'ils le désirent, faire à ma mémoire l'hommage d'accompagner mon corps jusqu'à sa dernière demeure. Mais c'est dans le silence que je souhaite qu'il y soit conduit. » Et voilà qu'à environ un kilomètre ou deux de Colombey, un barrage de gendarmerie arrête pour les faire ranger sur le bas côté de la route, les automobiles qui arrivaient. Moi, je suivais sans m'en être véritablement rendu compte une voiture officielle, et les gendarmes, à grands coups de sifflets dégagent subrepticement la route pour frayer un passage à la voiture officielle. Et voilà que dans la foulée si je puis dire, ils me forcent, à coups de sifflets intempestifs de faire corps avec elle. J'obtempère et je suis la voiture officielle avec qui je n'avais rien à voir, tout en me demandant pourquoi on m'avait obligé à me coller à elle. Mon automobile sport, verte, décapotable, ne pouvait pas laisser supposer qu'elle transportât une personnalité. Me voilà parvenu à l'entrée de Colombey avec toujours mes deux compagnons. Le parking semblait totalement saturé à l'entrée du village. Je m'y enfournais cependant et glissais ma voiture dans le seul espace étroit qui restait mais dans lequel elle se faufila. A se demander si l'on ne m'avait pas réservé ma place. Et à partir de ce moment-là, tout devint fou, surnaturel, inimaginable, impensable, inracontable. Comment ne pas me taxer de mythomanie après tout ce que je vais dire ? J'étais dans une sorte d'état second. J'ai, en mémoire, comme photographiée, la montée de départ du village de Colombey à quelque 500 mètres, là-bas, plus loin. L'entrée du village était noire de monde. Comme bouchée, bloquée, fermée. Je dis avec autorité à mes deux acolytes : « suivez-moi ! » Ce qu'ils firent. Je m'engage alors dans les champs comme si j'étais déjà passé par-là et que je connaissais le chemin. Les grillages se trouvaient comme par enchantement d'avance sectionnés pour faciliter notre passage. D'autres avaient dû nous précéder. J'avais tout à fait conscience d'être guidé, téléguidé serait plus juste de dire. Je garde en mémoire un mur sur lequel des gens étaient perchés et qui me reconnaissant, me témoignèrent par l'expression de leurs visages et de leurs yeux, une sorte de compassion comme s'ils avaient affaire à travers ma pauvre personne à quelqu'un de la famille De Gaulle forcément plus atteinte que tous les autres Français. Nous grimpâmes la rue qui aboutit à la grande place de Colombey et qui débouche plus loin à gauche à l'entrée de l'église qui demeurait invisible à nos yeux depuis cette sorte d'avant place que nous venions d'atteindre. Enfin, je parviens derrière un compagnon de la Libération que je reconnais à ses décorations et je m'entends dire : « Là, mon vieux, tu n'as plus le droit d'aller plus loin ! ». Je m'arrête donc. Je me retourne afin de jauger tout le chemin parcouru et à ma grande stupeur, je constate que la rue derrière moi est noire d'une foule compacte. J'en viens à me demander si l'on ne m'a pas soulevé comme une chienne qui prend par le cou son chiot qu'elle transbahute dans sa gueule et j'en conclus que cette chienne imaginaire m'a déposé là où je me trouve. Comment en aurait-il pu être autrement ? Comment de mon propre chef aurais-je pu parvenir jusqu'ici ? Cela demeurera toujours pour moi, un point d'interrogation toujours posé et sans réponse satisfaisante. Et là, à la place où je me trouve et où je suis bien obligé d'admettre que l'on m'a déposé, transporté en quelque sorte, l'émotion est à son paroxysme. Par instant, on entend un râle immense. On se retourne pour constater d'où vient le bruit inopportun et on constate qu'une quinzaine de personnes qui s'étaient, elles aussi perchées sur un mur de jardin, viennent d'en tomber. Toutes ensemble. Pourquoi ? Je ne me pose plus de question. Puis succède un silence pesant comme si la foule s'était arrêtée de respirer. Personne ne parle. Beaucoup pleurent. Le ciel à présent est devenu bleu, blanc, rouge. Je me dis que je me l'imagine, que je suis en train de devenir fou. J'envisage d'éclater en sanglots devant tout le monde. Mais j'entends déjà, comme lorsque j'étais jeune, la réflexion de mes parents : « Quand tu auras fini de faire ton intéressant ! » Il y a des journalistes parsemés un peu partout et je devine que l'on ne manquerait pas de dire si je craquais : « C'est TISOT qui fait son cirque ! » Je pense à une phrase de la comédienne Arletty : « De la t'nue ! » Cette phrase me sert de canne. L'amiral Philippe de Gaulle fait allusion dans son livre « De Gaulle mon père », à tous ceux qui ont assisté aux obsèques du Général : « Ils gardent sûrement un souvenir indélébile de cette journée du 12 novembre 1970. » Rien n'est plus vrai pour ce qui me concerne. C'est de ce souvenir indélébile dont je vous fais part. Si c'est Dieu qui m'a conduit à Colombey ce jour-là, c'est pour que j'en témoigne, comme les apôtres qui, ayant eu la grâce de côtoyer Jésus, se devaient de raconter, consigner dans leurs Evangiles respectifs ce qu'ils avaient de leurs yeux vu et de leurs oreilles entendu. A la fenêtre d'une maison de la place où je me trouve, je reconnais Michel Droit. Je me dis en moi-même : « Ne te fais aucun souci Henri, lorsque tu ne pourras plus contenir ton émotion, tu le regarderas, il te verra, et il te fera signe de le rejoindre. » Et tout s'est passé ainsi. A présent le canon tonne. C'est l'engin blindé, l'automitrailleuse que sur les conseils de Madame de Gaulle, le général de Boissieu a demandé au 5ème régiment de hussards basé en Champagne d'amener à Colombey. Il s'agit d'un engin blindé de reconnaissance (EBR) dont la tourelle a été enlevée pour pouvoir y charger le cercueil de De Gaulle qui vient de quitter La Boisserie. Madame de Gaulle avait dit selon son fils Philippe qui transcrit ses paroles dans son ouvrage: « Le général a tant fait pour les chars, qu'il ne peut être transporté que sur l'un d'eux jusqu'à sa dernière demeure. » C'est comme un roulement de tambour. A cet instant, dans l'insupportable silence, j'imagine la lourde prière qui s'exhale de la foule, comme un cri qui traduit une sorte d'impossibilité à tout porter d'un coup. De Gaulle est trop lourd. Il faut l'abandonner. Nous sommes trop petits par rapport à lui. Dieu a préjugé de nos forces. Cette croix de Lorraine, Il savait que nous, nous ne pourrions pas la porter. Lui seul, De Gaulle, avait assez de force, de foi, de conviction pour s'en charger. Il s'appuyait sur elle et ça le maintenait debout. Nous, elle nous accable parce que nous n'en sommes pas dignes. Il était le seul à pouvoir maintenir à bras le corps la grandeur de la France. Nous, elle nous écrase. Pourtant, petits que nous sommes, suivant les dernières volontés du Général, nous étions seuls admis à ses côtés. Malraux l'a magnifiquement traduit dans son livre paru en 1971, « Les Chênes qu'on abat... » (NRF - Gallimard) : « Ici, dans la foule, derrière les fusiliers marins qui présentent les armes, une paysanne en châle noir, comme celles de nos maquis de Corrèze, hurle : 'Pourquoi est-ce qu'on ne me laisse pas passer ! Il a dit : tout le monde ! Il a dit : tout le monde !' Je pose la main sur l'épaule du marin : 'Vous devriez la laisser passer, ça ferait plaisir au général : elle parle comme la France.' Il pivote sans un mot et sans que ses bras bougent, semble présenter les armes à la France misérable et fidèle - et la femme se hâte en claudiquant vers l'église, devant le grondement du char qui porte le cercueil. » Je regarde Michel Droit. Comme je l'avais prévu, nos regards se croisent. Instantanément, il me fait signe de le rejoindre. Ce que je fais. Comme s'il s'était agi d'un ballet, la foule s'écarte pour me frayer un chemin et comme s'il était normal que je dusse l'abandonner, mon statut d'imitateur du général de Gaulle semblant me donner aux yeux des Françaises et des Français une sorte de privilège. J'arrive devant la porte de la maison sise sur la place de Colombey. Un général coiffé de son képi m'accueille. Il me dit : « Venez ! votre place est parmi nous. » Je le suis, on monte au premier étage dans une grande pièce dont les fenêtres dominent la place. Depuis une de celles qui se trouvent sur le côté, les habitants de la maison surveillent l'église, seulement visible de cette fenêtre de côté, attendant que le cercueil arrive. Le cercueil on le voit à la télévision qui avance, posé sur le char et recouvert du drapeau bleu, blanc, rouge. La France recouvre De Gaulle. On voit bien mieux et beaucoup plus le déroulement de la cérémonie à la télévision que dans la réalité. C'est dérisoire et paradoxal. Michel Droit m'embrasse. On est tous comme hagards. On ne sait pas vraiment ce que l'on dit. Tout à coup, une vieille dame, une paysanne, sans doute celle qui habite où nous nous trouvons et qui nous accueille dans sa salle à manger dont la table a été mise de côté, la vieille dame donc, quitte la fenêtre qui donne du côté de l'église où doit parvenir incessamment le cercueil, avance vers moi, puis me prend par la main, me conduit à la fenêtre, m'y pousse et me dit le plus simplement du monde : « Prenez ma place ! Vous, vous devez le voir. » Je m'exécute, et effectivement, je vois... ce long cercueil bleu, blanc, rouge, pénétrer, être englouti par l'église tout entière. C'est un acte d'amour, un acte sexuel, on ne peut pas ne pas y penser. C'est l'Eglise ensemencée par la France. La France qui pénètre l'Eglise. Et après cela, 35 ans plus tard on osera contester les racines chrétiennes de l'Europe. Honte à ceux qui en sont les artisans ! Tout sera pardonné disent nos Evangiles, mais pas le péché contre l'Esprit. Il faut se souvenir. Le philosophe Paul Ricœur dit que « nous n'avons d'autre accès au passé que des traces ». Le président Mitterrand dira plus tard et avec justesse : « Un peuple qui perd sa mémoire perd son identité. » Et c'est véritablement à cause de cela que je m'insurge contre la non reconnaissance des racines chrétiennes de l'Europe telles que les ignore le texte de la nouvelle Constitution européenne. Et paradoxalement, je ne mets pas obligatoirement en exergue les racines chrétiennes de l'Europe pour leur gloire, mais pour les critiquer à l'occasion, même si cela peut paraître retors. Veut-on que l'Inquisition espagnole recommence ? Que l'on assiste à une nouvelle Saint-Barthélemy ? Et je ne parle pas des racines chrétiennes de l'Allemagne nazie. Veux-t-on que la Shoah que Paul Ricœur désigne comme le mal absolu assassine à nouveau 6 millions de juifs ? En effet, comment faire fi d'hier, si l'on ne veut pas que les mêmes choses recommencent demain ? Aussi, c'est en tant que catholique chrétien que je crie haut et fort que si les racines chrétiennes de la France ont eu du bon, il ne faut pas oublier qu'elles ont eu aussi du mauvais au fil des siècles. Et c'est bien pour que l'on s'en souvienne qu'il faut impérativement que la nouvelle Constitution européenne rappelle les racines chrétiennes de l'Europe. Doit-on faire fi de nos propres erreurs ? Ce n'est pas ce que Jean-Paul II nous a inlassablement incité à faire durant son magnifique pontificat. Doit-on promouvoir les négationnistes ? Le négationnisme n'est-il pas frappé d'interdit en France ? Sans doute pas, puisque certains admettent la venue de la Turquie dans l'Europe alors qu'elle est non seulement coupable du génocide arménien mais de plus ne veut pas le reconnaître. Doit-on aussi en faire fi ? En vérité, pour dévoiler en totalité le fond de ma pensée, il conviendrait bien plus de négocier la sortie de la France de la détestable Europe qui s'affirme chaque jour, plutôt que de l'entrée de la Turquie dans l'Europe de demain. On persuade les Français du fait que cela est impossible. On m'a toujours appris qu'impossible n'est pas français. Il devait être près de 17 heures quand je me retrouvais avec mes compagnons dans la rue principale de Colombey. J'avoue ne plus savoir très bien ce qui s'est réellement passé après avoir gagné l'extérieur. La foule, à droite, gonflait le rang de ceux qui attendaient pour se recueillir sur la tombe du Général, d'autres dont j'allais faire partie, découragés par la trop longue file de ceux qui avançaient lentement, descendaient à gauche pour gagner le parking. Sur le passage se trouvait dressée une tente de la Croix Rouge. Je décidais de demander un cachet d'aspirine. A l'intérieur, sur un grand nombre de brancards gisaient des hommes, des femmes imposantes pour la plupart, comme si l'embonpoint avait été cause de leurs chutes au sol car il s'agissait de personnes qui s'étaient évanouies au cours de la cérémonie. Tous avaient les yeux exorbités et semblaient se demander pourquoi on les avait posés là. Ils étaient totalement immobiles, comme paralysés. Seuls leurs yeux qui semblaient globuleux, exprimaient leur étonnement. Cette cinquantaine de personnes qui se trouvaient allongées près du sol semblait témoigner du fait que: « C'était quelque chose cette journée ! Cela a été éprouvant, mais comme c'était bien d'y avoir participé.» Je pensais irrésistiblement à la foule qui a accompagné Louis XVI jusqu'à la place où on l'a guillotiné, de même Marie-Antoinette, et plus tard, la foule qui a salué le cercueil de Napoléon qui gagnait les Invalides. Nous sommes un drôle de peuple. On est capable du meilleur comme du pire. Mais même dans les pires moments on demeure unanime, unanime dans la joie, unanime dans la peine. Il n'en demeure pas moins, que si l'on veut nous suivre, cela s'avère difficultueux pour qui n'est pas prévenu que nous sommes des Français. Il ne faut pas toujours chercher à nous comprendre. Pendant ce temps, à la Boisserie, on pouvait entendre des paroles que nul n'aurait pu soupçonner si un homme tel que Alain Peyrefitte ne les avait consignées pour notre gouverne dans son livre « C'était de Gaulle » ( Editions de Fallois-Fayard). Ce livre me fut adressé après le décés d'Alain Peyrefitte avec une carte l'accompagnant et qui m'émut : « Alain Peyrefitte a souhaité que vous soit adressé ce dernier tome de 'C'était de Gaulle', qu'il aurait aimé pouvoir vous dédicacer. » La toute fin de ce dernier tome est bouleversante. Elle ne s'effacera jamais de ma mémoire. Cela se passe à la sortie du cimetière, Jacques Vendroux dit à Alain Peyrefitte : « Venez avec nous à la Boisserie. Je ne peux pas faire venir tous les compagnons de la Libération, mais je suis sûr que ma sœur sera heureuse de vous voir, et ses enfants aussi. [...] On ne pourra sans doute jamais le démontrer, mais j'ai l'intime conviction que le chagrin a eu raison de lui. Cet anévrisme, il l'avait depuis toujours. Ca tenait bon tant qu'il était porté par sa tâche, quand il savait que les Français comptaient sur lui. Quand il a vu qu'ils le rejetaient, il ne l'a pas supporté. Le professeur... (je n'ai pas retenu le nom) me le disait ce matin : 'C'est une mort psychosomatique. Une petite malformation dont son organisme s'accommodait très bien, il a fini par ne plus la supporter quand ce chagrin lancinant l'a envahi.'. » Pour ma part, quelque temps après la mort du Général, j'avais appris que ses dernières paroles avaient été « Oh ! mon dos. » Ce qui me fut confirmé par les écrits de l'amiral Philippe de Gaulle dans son ouvrage « De Gaulle, mon père ». Le général était en train, comme à son habitude à cette heure du soir, de faire une réussite quand Madame De Gaulle l'entendit dire : « 'Oh ! j'ai mal, là, dans mon dos.' Il est un peu plus de 19 heures, peut-être passées de deux ou trois minutes. » J'ai signalé qu'une dizaine de jours avant le départ du général de Gaulle au ciel, je ne pouvais ni me maintenir longtemps debout ni demeurer assis. Une douleur lancinante dans le dos m'obligeait à changer de position pour finalement m'allonger en désespoir de cause. J'ai aussi signalé que le matin du 10 novembre 1970, alors que je prenais le volant de ma voiture, cette douleur avait totalement disparu. Inutile de dire qu'à ce moment là je n'étais pas au courant de la mort du Général, ni des mots qu'il avait prononcés et qui concernait sa douleur dans le dos. Le professeur qui le soignait a parlé d'une mort psychosomatique. Oui, le Général « en avait plein le dos de nous autres les Français qui l'avions désavoué alors qu'il nous avait tant de fois sauvé la mise si je puis dire. » J'ai honte véritablement de nous tous et de moi-même tout autant. Nous sommes ainsi ! Cette douleur dans le dos que j'avais ressentie, était en quelque sorte l'expression du pressentiment de la mort du Général. Il semble ici que son humble imitateur ait été prévenu le premier. On peut rire. Plus rien ne me dérange. Comme lui ! Alain Peyrefitte poursuit son récit. C'est poignant ô combien ! : « On entrouvre pour nous la grille de la Boisserie, dont avait surgi, une heure plus tôt, l'engin blindé de reconnaissance portant le cercueil recouvert d'un simple drapeau tricolore. Mme de Gaulle et ses enfants sont déjà arrivés, ramenés en voiture. Dans la salle de séjour de la Boisserie, il y a encore les tréteaux sur lesquels reposait le cercueil. Alentour, comme si le Général était toujours là, Mme de Gaulle, Philippe et sa femme, Elisabeth et son mari, restent figés dans le silence. Mme de Gaulle me dit simplement : 'Il vous aimait bien, il m'a parlé de vous l'autre jour, il venait de recevoir votre lettre.' La lettre par laquelle je le remerciais des Mémoires d'espoir qu'il m'avait offerts. Je m'efface devant l'évêque de Langres qui prend congé. Mme de Gaulle fait un pas vers moi : 'Il a été miné par le chagrin, me dit-elle. Vous n'imaginez pas à quel point il a souffert.' Je proteste qu'il ne pouvait pas trouver plus belle fin ; que les Français commençaient à se repentir de leur vote ; que la légende de cet homme, si contesté de son vivant à causes des décisions courageuses qu'il avait dû prendre, prenait déjà son essor. Rien n'y fait. Elle s'obstine à répéter : 'Il a tant souffert. Cette mort est pour lui une délivrance.' Le capitaine de vaisseau Philippe de Gaulle me dit des mots amicaux : 'Il vous aimait bien. Il appréciait la façon dont vous traduisiez sa pensée.' Il ne faut pas que je m'incruste. Je retiens mes larmes jusqu'au seuil de la maison. » Fallait-il que le Général ait souffert pour que sa femme qui l'adorait ose dire que sa mort avait été une délivrance. Ces mots me font saigner qui révèlent la souffrance endurée par le Général. Yvonne Vendroux a épousé Charles de Gaulle à Calais le 21 avril 1921. En novembre 1970, cela faisait 49 ans et demi. Ils allaient donc fêter leurs noces d'or six mois plus tard si le Général avait survécu. Cette femme que nous les Français dénommions « Tante Yvonne », le lendemain de la mort de son mari, aura la présence d'esprit de faire brûler tous les vêtements du Général afin qu'ils ne soient pas comme le chapeau de Napoléon un objet de culte. C'est Philippe de Gaulle qui le dit dans son livre, qui est un long témoignage de ce qu'est une famille française digne de ce nom : « On n'avait pas l'habitude chez nous de conserver les effets d'un mort. Ce qui était en bon état on le donnait aux œuvres de charité. Mais elle a préféré tout détruire par le feu. Elle craignait que l'on en fasse des reliques. [...] Tout ce qui avait pu appartenir à mon père a été réduit en cendres après avoir été jeté dans l'incinérateur qui se trouvait dans le jardin, près du poulailler. De plus petites choses ont fini dans la cuisinière. » « De la t'nue ! », ce pourrait être le leitmotiv d'Yvonne de Gaulle. « Tante Yvonne » a dit un jour en présence de son mari : « C'est toujours la femme qui reste la dernière pour pouvoir veiller sur son mari jusqu'au bout. » Le Général a ajouté : « La femme est la permanence de l'humanité. A la guerre, la principale victime n'est pas l'homme qui est tué, mais la femme, car elle demeure. » Ces paroles corroborent le destin de ma propre famille puisque ma grand'mère du côté maternel, mourut de chagrin un an après la disparition de son mari, mon grand'père, à Verdun à la guerre de 14-18. Pour regagner Paris, il suffisait de se glisser dans la file de voitures qui se suivaient les unes les autres. Cela allait ressembler à un long et interminable défilé et à mesure que la nuit tombait, les lumières des phares allaient transformer le défilé en une sorte de pèlerinage, les phares faisant office de cierges. Et en klaxonnant, des voitures officielles doublaient la longue file pour s'en exclure et cela me faisait penser à une sorte de trahison. En quittant la longue file, on lâchait le peuple, on n'en faisait plus partie. André Malraux dit, quittant « le parc de la Boisserie funèbre. » : « Maintenant, le dernier grand homme qu'ait hanté la France est seul avec elle : agonie, transfiguration ou chimère. La nuit tombe - la nuit qui ne connaît pas l'Histoire. » Autant j'avais été loquace à l'aller, autant je demeurais muet au retour. Il devait être 1 heure du matin quand nous gagnâmes Paris. Je remontais les Champs-Elysées en vue de rejoindre Neuilly par l'avenue de la Grande Armée dont le prolongement allait devenir l'avenue Charles de Gaulle. De même, la place de l'Etoile où nous parvenions enfin allait être rebaptisée place Charles de Gaulle. Le spectacle qui s'offrait à nous est inoubliable. Je l'emporterai au ciel si j'y ai droit. La place demeurait illuminée. La flamme sur la tombe du soldat inconnu s'élevait vers le ciel et pouvait s'apercevoir au passage comme pour rendre hommage en cette fortuite occasion à un des soldats des plus connus de France. Cà et là, des hommes et des femmes étaient dispersés sur le pourtour de la place. On sentait qu'ils ne pouvaient pas s'exclure à l'inverse des voitures officielles qui, durant le parcours, avaient déserté. La place de l'Etoile était jonchée de fleurs. C'était comme un tapis multicolore. Malraux, lui, parle de « marguerites ruisselantes de pluie ». J'étais malheureux de devoir écraser sous les pneus de mon automobile toutes ces fleurs qui avaient dû faire partie d'une multitude non pas de gerbes mais plus humblement de petits bouquets. L'hommage des petits là aussi. C'est tout ce qu'il avait souhaité. Les grands s'étaient rassemblés le matin autour du président Pompidou à Notre-Dame de Paris. Tous les grands du monde entier avaient fait le déplacement dès que le président Pompidou avait déclaré à la télévision : « Le général de Gaulle est mort. La France est veuve. » Sur cette place de l'Etoile, j'ai arrêté ma voiture avant de descendre l'avenue de la Grande Armée. Moi non plus, je ne pouvais me résoudre à m'exclure. C'était... c'était comme la fin d'un bal. Je ne pouvais m'empêcher de comparer les fleurs à des confettis qui s'étaient trouvés piétinés au sol par la foule. Oui, c'était comme la fin d'un grand bal qui avait eu lieu ici. J'aurais pu, l'imagination aidant, entendre une Marseillaise jouée au ralenti sur un phonographe dont la musique du disque 78 tours déraille avant que l'on ne rattrape le coup en remontant le mécanisme avec la manivelle. Le président Giscard d'Estaing, au début de son septennat aura l'idée saugrenue de la faire interpréter de cette manière. Ce n'est pas la moindre de ses idées saugrenues. Il s'est spécialisé en la matière. Et le président Chirac qui n'était pas foncièrement toujours d'accord avec lui, paradoxalement, suit et aboie derrière les projets du président Giscard d'Estaing comme un petit toutou. On me trouvera partisan, partial. C'est De Gaulle à travers moi qui continue à s'exprimer. Ca paraîtra prétentieux, mais quitte à passer pour un mégalomane invétéré, j'ai l'intime conviction de ce que j'avance. Je me suis mis dans la peau du Général, je suis entré dans sa peau, et en fin de partie, il a fini par avoir la mienne. Il ne s'en est plus détaché. Il est resté coincé en moi lorsqu'il s'en est allé ce 9 novembre 1970 au soir. C'est un peu comme une cape dont les lambeaux restent accrochés au chambranle de la porte que l'on a fermée en la claquant. 10 ans durant, 11 ans même, son cœur a battu en moi. J'ai d'ailleurs tenu un an de plus que lui, je le dis humoristiquement puisque c'est sur ce terrain que l'on m'attend toujours pour m'y emprisonner. La prison, j'ai l'habitude ! Sa voix que j'ai imitée à la perfection sans que je sache bien pourquoi, sans que je n'en comprenne d'ailleurs les raisons profondes, psychanalytiques, psychologiques, anthropologiques, que sais-je ? ou peut-être tout bêtement parce que j'avais le désir secret d'être lui, comme lui, avec lui, pour lui. Ce que je sais avec certitude c'est que sa voix m'a mis dans sa voie. Tout ceci advint dans ma vie pour le meilleur et pour le pire. Le pire vient du fait que je souffre autant que lui de voir la France aux mains des « apatrides mentaux » de tous acabits et de tous partis politiques - le meilleur, c'est que De Gaulle m'a permis de me mettre en total accord avec mes arrière-pensées. C'est ce qu'il avait dit à Georges Pompidou, son Premier ministre, à sa descente d'hélicoptère au retour de Baden-Baden en « mai 68 », au milieu de cette chienlit dont nous sommes, nous Français, tout à la fois spécialistes et friands. « 'Où en êtes-vous mon Général ?' lui demanda Pompidou - De Gaulle laissa tomber : 'Je me suis mis en accord avec mes arrière-pensées !' » Depuis que j'ai connaissance de cette réflexion, je fais de même. Je mets mes arrière-pensées en avant et peu me chaut ce que l'on pourra bien penser de mes arrière-pensées qui s'étalent ici dans ces pages : « Prenez et jetez au vent ! » Je m'endormis vite ce soir du 12 novembre, rendu chez moi, 30, boulevard d'Argenson à Neuilly juste en face de l'immeuble où résidait le général Massu. A dire vrai, je pensais ce soir-là revenir de l'enterrement du général de Gaulle. Aujourd'hui, je ne suis plus dans les mêmes dispositions d'esprit. C'est le temps qui m'a permis de saisir, de comprendre, d'assimiler. Quelque 35 ans après, nous y sommes, je prends conscience que c'est du mien d'enterrement que j'étais revenu. Si ce n'était que du mien, ce ne serait pas dramatique. Je pense à la réflexion du Général sur la terrasse de l'Elysée quand les Français s'étaient révéillés pour un temps assez court et défilaient en nombre sur les Champs-Elysées pour soutenir le Général, ce qui mettait fin à l'aventure de « mai 68 ». Quelqu'un de son entourage lui dit : « Vous entendez mon général ces cris, cette rumeur extraordinaire qui parvient jusqu'ici ? C'est pour vous ! » Le Général aurait dit alors : « Si ce n'était que pour moi !... » Aujourd'hui, « dans le monde où nous sommes, les choses étant ce qu'elles sont » pour reprendre une locution dont abusait le Général dans ses discours, il m'apparaît que les obsèques auxquelles j'avais assisté le 12 novembre 1970 à Colombey-les-Deux Eglises, étaient peut-être « hélas ! hélas ! hélas ! » celles de la France. En vérité, c'est le corps en décomposition de notre pays que nous mettrons en terre après la date fatidique choisie par Jacques Chirac, actuel président la la République, à l'occasion du référendum qui demandera aux Français, « ces veaux ! » de voter « oui » à la nouvelle Constitution européenne qui délègue un peu plus les pouvoirs souverains acquis au fil des siècles par la France et que l'on s'apprête à déléguer à l'Europe ou à ce que l'on appelle l'Europe qui n'est jamais qu'un tripot. Pour ce meurtre avec préméditation, une certaine droite est d'accord avec une certaine gauche, François Hollande en tête. Mais avec toutes ces choses certaines on est bien loin de « la certaine idée de la France » à laquelle une poignée souverainiste demeure fidèle. Pauvres de nous, nous sommes le dernier carré et si nous avons en bouche, prêt à le hurler, le mot de Cambronne, il faut lui accoler le seul mot qui est encore susceptible d'être véritablement français pour quelque temps seulement, c'est le mot « Non ». Nous devons le hurler avec Laurent Fabius, Jean-Pierre Chevènement, Marie-George Buffet, Michel Charasse à Gauche et Philippe de Villiers, Paul-Marie Coûteaux, Nicolas Dupont-Aignan à Droite. En 1948, dans un discours prononcé au Vel d'Hiv de sinistre mémoire, le général de Gaulle confiait à son auditoire : « Les mêmes gens enfin disent : Vous, De Gaulle, vous perdez votre temps ! Vous avez naturellement pu susciter naguère et diriger le sursaut suprême, mais une fois le péril passé tout est retombé dans une bassesse inguérissable. Restez chez vous ! Ils sont passés les jours d'honneur, de fierté, d'espérance. Place aux PROFITEURS D'ABANDON, aux DEBROUILLARDS DE LA DECADENCE. » Cela fait 57 ans que De Gaulle a prononcé ces paroles. Elles sont toujours d'actualité. Il pourrait les prononcer aujourd'hui avec la même sagacité, puisque rien n'a changé depuis 1948. Rien ! Par miracle, il nous reste entre les mains les écrits du général de Gaulle, notamment dans ses « Mémoires de Guerre - Départ ». Ce sont eux qui permettront à une poignée de résistants, un petit comité, des isolats, de continuer la route encore un temps, un certain temps pour attester de « la certaine idée de la France ». De Gaulle parlait d'un « comité Théodule ». Ce sera nous ! Il faudra compter sur nous, jusqu'à ce que le vent nous emporte, mais jusqu'au bout les paroles de De Gaulle nous conforteront. Jusqu'au bout il sera ce qu'il a toujours été, notre planche de salut : « Le chant d'un oiseau, le soleil sur le feuillage ou les bourgeons d'un taillis, me rappelle que la vie depuis qu'elle a paru sur la terre livre un combat qu'elle n'a jamais perdu. Alors, je me sens traversé par un réconfort secret : puisque tout recommence toujours, ce que j'ai fait sera tôt ou tard, une source d'ardeur nouvelle après que j'aurai disparu. Je vois la nuit couvrir le paysage. Ensuite, regardant les étoiles, je me pénètre de l'insignifiance des choses. » Malgré les épreuves qu'il n'a cessé de traverser, De Gaulle a reçu ce don de Dieu d'insuffler à la France la foi, l'espérance et la force, comme l'Eglise qui lui instille sans cesse foi, espérance et charité. Inguérissable De Gaulle qui par delà la mort nous persuade que « la France n'appartient pas qu'à la France » et nous invite à résister, nous battre encore, jusqu'au bout, jusqu'à la fin. Ruons dans les brancards avec d'autant plus de vigueur que l'on a conscience que l'abattoir est au bout. |
A Marius Autran, notre maître (Texte écrit par Henri Tisot à l'occasion de la disparition de son vieux maître, Marius Autran, le 20 janvier 2007)
Du plomb dans l’aile (28 avril 2007)
Merci cher Jean-Claude, (...). Je t'adresse ce texte qui narre ce qui m'est arrivé il y a peu qui est assez troublant concernant le plomb. Bien affectueusement à toi et à toute ta famille.
Henri Tisot
Du
plomb dans l’aile.
Il est des choses dans la vie qui sont si perturbantes qu’on finit par les mettre de côté après avoir conclu que l’on n’en aura pas le fin mot. C’est le cas de ce qui vient de m’arriver et j’admets tout à fait que l’on pense à une invention de ma part et que l’on me taxe de mythomane. Seulement, voila, j’ai en mains, les preuves de ce que j’avance, à savoir les différentes radiographies de mes poumons qui attestent des diverses phases de cette curieuse aventure. Ayant eu au cours de l’hiver 2006 à me soigner pour des rhumes répétitifs, mon médecin généraliste me conseilla de me faire faire une radiographie des poumons, ce que je fis le 14 février 2007. Le radiologue me parut évasif quant aux résultats et me dit que c’était au médecin d’en tirer les conclusions. Ce dernier me demanda à brûle pourpoint si j’étais chasseur – bien sûr que non ! – puis si j’avais dernièrement mangé du gibier – pas à ma souvenance – et enfin, il m’apprit que j’avais un plomb de chasse logé dans le repli d’une bronche de mon poumon droit. Cela n’avait pas de gravité à ses yeux mais c’était à suivre pour le cas où une infection surviendrait. Ce que me confirma mon généraliste qui me dit que ce plomb ne bougerait certainement plus de l’endroit où il se trouvait. Mais il convenait de consulter un pneumologue. Ce que je fis le 16 février. Il s’agissait d’une pneumologue qui me fit une ordonnance pour un scanner afin de voir où se situait véritablement ce plomb. Le 23 février, le scanner confirma que la petite lune blanche de deux millimètres qui apparaissait sur la radiographie prouvant qu’il s’agissait d’un métal noir, la radiographie inversant les couleurs, était signalée en rouge par le scanner confirmant qu’il s’agissait d’une bille métallique. Naturellement personne ne comprenait comment cette bille avait abouti dans mon poumon droit. Si je l’avais ingérée, elle aurait dû rejoindre mon estomac. Une nuit suivante, je suis réveillé comme souvent depuis la mort de ma mère le 30 juin 2006, vers quatre heures du matin, et je sens dans ma bouche un petit élément rond. Je pense bien évidemment au fameux plomb de chasse mais n’osant pas croire au miracle, je conclus qu’il s’agit vraisemblablement d’un morceau d’aliment coincé dans mes dents et je me dis que je verrais ce dont il s’agit au réveil et me rendors après avoir posé sur ma table de nuit l’élément trouvé dans ma bouche. Le lendemain, je me lève, me rase et pense tout à coup à cet élément surgi la nuit passée dans ma bouche. Il s’agissait effectivement… d’un petit plomb de chasse ! Comment était-il remonté de mon poumon à ma bouche ? Cela me paraît si troublant que je finis par croire qu’il s’agit d’un second plomb et que je suis poursuivi par l’élément plomb. Me voilà plombé. Je ne doutais en aucun cas que j’avais depuis le décès de ma mère adorée qui, bien qu’elle avait certes 91 ans et demi lors de son départ, « du plomb dans l’aile ». Ma douleur ne tarissait pas malgré le temps qui passe. Rendez-vous est pris pour passer à nouveau une simple radiographie et le 2 mars me voilà à nouveau me serrant contre la paroi photographique, respirant à fond et bloquant ma respiration, et après une bonne demi-heure passée en salle d’attente, me voilà devant un médecin qui me montre la radiographie où il n’y a plus trace de plomb. Drôle d’histoire, vous l’avouerez ! Le 3 mars, je consulte un spécialiste ami qui m’avoue n’avoir jamais assisté à rien de pareil et enfin le 4 mars, je le signale, bien que cela n’ait apparemment rien à voir, a lieu dans la nuit du 3 au 4, une éclipse de lune qui couronne semble-t-il mon éclipse de plomb qui, sur la première radiographie apparaissait très exactement comme une petite et minuscule pleine lune blanche immaculée en miniature. Bref, il faut bel et bien admettre que l’on est ici en présence d’une aporie, à savoir une difficulté d’ordre rationnel paraissant sans issue d’après le petit Robert. Mais l’homme a beaucoup de mal à s’en tenir à pareille conclusion. Quand quelque chose lui résiste, il cherche toujours à en savoir plus. C’est peut-être en cela qu’il est humain. Si les choses demeurent inexplicables et inexpliquées, il finit par se dire en complicité avec Jean Cocteau, « comme ces événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs ». Et en effet, ne pouvant trouver une explication valable à cet incident survenu dans ma vie, j’ai voulu y voir un signe. Il faut dire que le plomb est par excellence, un matériel lourd (sic) de symboles. Et le fait de le désigner comme un matériel nous oblige à l’opposer au spirituel. Sa lourdeur qui est sa composante et sa propriété, pourrait expliquer le fait qu’il a pris le chemin le plus court pour aboutir dans mon poumon droit ce qui n’explique en rien le fait qu’il soit parvenu dans ma bouche par le chemin contraire. Qu’il soit tombé dans mon poumon cela peut s’admettre mais pas qu’il en soit remonté à cause de cette lourdeur qui est son caractère principal et admis depuis les temps les plus reculés. Il se serait rendu léger uniquement à cette occasion ? Toujours est-il qu’après le décès de ma mère à l’âge de 91 ans passés, le 30 juin 2006, et qui a vécu après la mort de mon père 27 ans avec moi à Paris, il ne fait aucun doute que j’avais du plomb dans l’aile, je le répète, et le cœur particulièrement lourd. Il m’est quasiment impossible de ne pas associer toute cette histoire à une somatisation de ma douleur morale qui s’est projetés dans mon corps. Le spirituel s’est imprimé dans le matériel. Mais qui a tiré le coup de carabine qui m’a mis du plomb dans l’aile ? On n’en sort pas et plus on cherche moins on trouve. En tous cas, grâce à certains journaux ou livres consultés, les explications concernant le plomb semblent corroborer ma pénible situation suite au décès qui m’a frappé. Peut-être ai-je certes un peu trop tendance à tout ramener à moi et à l’état qui est le mien, mais il n’empêche que lorsque je lis dans les pages roses du Figaro n°19.465 du vendredi 2 mars 2007, « La ruée vers les métaux » (sic) que « le plomb est, lui, très recherché par les fabricants d’accumulateurs d’énergie (batteries de voiture) », il m’est difficile de ne pas y voir une allusion au fait que, suite à mon deuil, je suis moi-même tombé en panne de batterie. Et l’on me confirme sur Internet que « les accumulateurs d’énergies (batteries) sont devenus la principale utilisation du plomb». Le Dictionnaire des Symboles (Robert Laffont – Jupiter) m’apprend que le plomb par sa lourdeur est le symbole de la matière imprégnée de forces spirituelles qui possède la possibilité des transmutations, si bien que le plomb est la base la plus modeste d’où puisse partir une évolution ascendante. Les alchimistes quant à eux, tentaient de transformer le plomb en or en vue de l’obtention de la Pierre philosophale. Pour la philosophie grecque « Saturne est le plomb ». Il symbolise à la fois une fin et un début d’un nouveau cycle et par là, les obstacles de toutes sortes. C’est ainsi que « le complexe saturnien est la réaction de refus de perdre ce à quoi on est successivement attaché sur le parcours de sa vie ». On ne peut mieux dire par rapport à ma situation, et enfin je lis que « Saturne est symbole de la rupture du cordon ombilical du nouveau-né jusqu’au dépouillement ultime du vieillard, en passant par les divers abandons, renoncements et sacrifices que la vie nous impose». Quant à la Maçonnerie, elle voit dans le plomb le passage du monde profane à l’initiation spirituelle. Enfin, lors des Saturnales à Rome, fêtes au cours desquelles « les rapports sociaux étaient inversés, les serviteurs commandaient aux maîtres et ceux-ci servaient à table leurs esclaves ». Il ne fait aucun doute que cela me concerne aussi, puisque après le deuil qui m’a frappé, bien que je sois croyant de nature, ma rébellion à l’égard de Dieu le Père a été telle que je n’ai pas cessé de l’invectiver à hautes voix jusqu’à l’insulter, n’admettant pas qu’Il nous ait créés en nous donnant la conscience de l’inexorable mort qui nous attend et dans laquelle basculera sans autre recours que d’en être les victimes innocentes tous ceux que nous aimons. L’idée de prendre à partie le Fils, Jésus-Christ, ne m’a jamais effleurée, car étant en Croix, Il se révèle être à la place où nous nous trouvons tous un jour ou l’autre. Evidemment, Jésus tentait et tente toujours de tempérer ma violence à l’égard du Père, Lui qui dit : « Qui m’a vu a vu le Père » (Jean 14,9). J’en conclus que Jésus a véritablement tout prévu puisqu’Il s’est mis en état de ne pouvoir s’en prendre à Lui tout en se faisant volontairement le bouclier du Père. Et c’est ainsi que, je dois l’avouer, j’en viens à avaler la pilule du terrible événement de la mort de ma mère. La pilule… ou le plomb ? Tout cela est bien étrange et les mots sont bien révélateurs de nos maux ! Il m’arrive à présent de croire que Dieu (le Père) nous désespère pour que nous n’ayons d’autre issue que de Lui tomber dans les bras. Bref, si l’on ne me suit pas dans l’idée qu’à propos de toute cette histoire, il puisse s’agir d’un signe, il faudra bien y voir une sorte de miracle, le miracle de la vie tout simplement qui est cause que mon corps a rejeté de lui-même un corps qui lui était étranger. Et si je vous disais que depuis cette « affaire du plomb » je vais beaucoup mieux, me croiriez-vous ? C’est en tous cas là l’essentiel. M’est venu à l’esprit, suite à toute cette histoire, soit qu’on veuille la considérer comme une réalité dont les radiographies font foi, ou bien alors comme un signe, ou bien encore comme un gentil miracle, en fin de compte, il m’apparaît que cela signifie que l’on m’invite à vivre. C’est sûrement le souhait de ma mère si l’on considère qu’à la suite de la mort terrestre, il puisse y avoir un après - ou bien que cela relève du ressort d’Ouriel, mon ange gardien, - à moins que l’on se laisse convaincre par le Christ qui proclame : « Je suis la résurrection. Qui croit en moi, fût-il mort, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » (Jean 11,25-26) dit Jésus à la Samaritaine. La demande s’adresse forcément à nous. Je suis alors conduit à penser qu’il s’agit bel et bien, d’un passage obligé suite à la mort de ma mère, de l’évocation d’une sorte de descente aux enfers effectuée par le plomb aussi bien que par moi-même pour finalement aboutir dans ma bouche, le lieu de la parole et du Verbe, lequel projette la parole à l’extérieur, ce qui me fait proclamer, non pas « tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir », mais plus prosaïquement « tant qu’il y a de l’espoir, il y a de la vie ! » Le message de Jésus atteint son but. Et puis, voilà que Brigitte Bardot, mon amie à tout jamais, elle qui m’a soutenu sans relâche lors de mon deuil, voilà que Brigitte convoque les adhérents de sa fondation et tous ceux qui oeuvrent pour la défense des animaux sur la place du Panthéon en début d’après midi, le samedi 24 mars 2007. Il fallait voir le déferlement d’amour de la foule lorsque Brigitte aidée de ses béquilles descendit de voiture pour se rendre sur l’estrade afin d’y faire une déclaration. Je m’étais posté au pied de la petite échelle que je savais qu’elle emprunterait. J’avais fait un bon calcul car à son passage, elle m’embrassa, ce qui fut pour moi un moment si gratifiant que je ne peux le décrire. Qu’elle est belle, mon Dieu, notre Brigitte ! La bonté s’exhale d’elle. Après son départ, un défilé eut lieu dans le but de réveiller les consciences des candidats et de la candidate à la présidence de la République à la cause animale. Tandis qu’une foule que j’estimais à au moins 2.000 personnes emplissait la rue Soufflot, je me disais qu’il y a fort à parier que la défense des électeurs pèsera aussi peu dans la balance que celle des pauvres animaux. Mais quel rapport, me direz-vous, entre mon histoire de plomb et la bataille de Brigitte ? Eh bien, voilà ! Ce samedi 24 mars 2007, me posant toujours des questions à l’égard de ce plomb entré et sorti de mon poumon droit, j’ai fini par me demander tout à coup, si je n’avais pas reçu ce plomb de chasse du fait de mon adhésion à la Fondation Brigitte Bardot qui, comme chacun sait se mobilise contre la chasse et contre les chasseurs forcément. Qui peut connaître le fond des choses dit le poète. J’ai ainsi écumé toutes les possibilités. Que l’on me permette en conclusion de forcer ma nature qui est pourtant rarement optimiste, mais une fois n’est pas coutume. Je veux faire fi du pessimisme afin de supposer que je vivrai peut-être aussi longtemps que ma mère adorée, bien que le monde dans lequel on vit ne soit guère engageant. Je m’acheminerai ainsi par delà mes quatre vingt dix ans comme elle est parvenue elle-même à le faire. C’est mon souhait du moment. Dans quel but, me direz-vous ? C’est fort simple : dans le seul but d’emmerder le monde ! Henri TISOT.
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Préface de l'Histoire de la Philharmonique La Seynoise
Début 2010, en prévision du 170e anniversaire de la Philharmonique La Seynoise, qui devait être célébré en novembre, la semaine du traditionnel concert de Sainte-Cécile, je me mis à rédiger une réactualisation du livre que mon père avait écrit, plus de 25 ans auparavant. Au Bureau de La Seynoise, on avait imaginé faire préfacer l'ouvrage par le Commandant Jean-Michel Ballada, Ancien chef de Musique des Equipages de la Flotte, et ancien élève de Marius Autran. Ce dernier ayant décliné ma proposition, pour des raisons parfaitement compréhensibles, le Bureau de La Seynoise suggéra alors le nom d'Henri Tisot. Celui-ci, contacté par mes soins, accepta aussitôt et me proposa un texte, dès le début de l'été 2010. Ce texte, fut utilisé comme préface du livre, sans modification notable. Je crois qu'une seule phrase fut rectifiée, concernant la définition de La Seynoise. Henri pensait que c'était seulement le nom d'une salle (dans laquelle il avait joué à ses débuts), oubliant que c'était avant tout le nom de la Société Philharmonique elle-même. Voici le texte qui fut publié - un texte d'autant plus précieux et émouvant que nul ne pouvait alors se douter que son auteur n'avait plus alors que quelques mois à vivre...
PREFACE
DE LA NOUVELLE EDITION (2010)
par Henri TISOT Si on parle à quelqu’un qui n’est pas originaire de La Seyne de « La Seynoise », il en déduira qu’on fait allusion à une habitante de la ville peuplée de Seynois et de Seynoises. En réalité, il n’en est rien. « La Seynoise » c’est une musique, une philharmonique née en 1840 et qui est la plus ancienne de la région. Elle est l’une des trois plus anciennes de France. Mais n’en disons pas plus puisque cet ouvrage va vous conter sa prestigieuse histoire. Ce n’est que par la suite, en 1922, son siège actuel ayant été construit rue Gounod, qu’on la considérera comme salle de musique et salle des fêtes apte à accueillir toutes sortes de manifestations. « La Seynoise » a même été la salle de spectacle qui a vu les débuts d’Henri Tisot, mes débuts. Cela dit, d’aussi loin qu’il me souvienne, tout avait débuté ailleurs, bien avant et dans le sang, oui, dans le sang ! Je devais avoir cinq ou six ans et avec les élèves de ma jeune classe de l’école Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus qui se trouvait à l’époque, rue d’Alsace, nous devions participer à un exercice d’élèves sur la scène de « La maison du peuple ». On voit encore le nom de cette salle, sur la gauche, lorsque l’on monte vers le cimetière, et qu’on longe le grand parking Martini sur la droite. Nous devions chanter en cœur : « Voici les roses de mon rosier, dans un panier, dans un panier… » Et geste à l’appui, on devait semer des pétales de roses pris dans le panier que chacun nous tenions, et on devait projeter ces pétales comme des graines vers le public. Ma mère m’avait fait confectionner spécialement pour l’occasion, une chemisette de couleur vert amande sur laquelle étaient brodées des raquettes de tennis dont le joli tissu jade était parsemé. On m’avait même conduit à Toulon chez « Rosa », le photographe en renom pour garder un souvenir de cette tenue. Et voilà qu’en scène, en plein milieu du chant, je saigne du nez. On m’évacue et on me conduit « dare-dare » dans le jardin où se trouve un robinet d’eau froide et Toinet, la bonne à tout faire de ma grand-mère qui m’assiste, tente d’endiguer le flot de sang qui macule ma jolie chemisette. Elle place sur ma nuque un mouchoir trempé dans l’eau froide. Rien n’y fait. Quand enfin, le sang cesse de couler de mon nez, on retourne d’où l’on était venu mais c’était trop tard, l’exercice d’élèves était fini. J’avais loupé mes débuts d’artiste. Ce sera partie remise, plus tard et à « La Seynoise », partie de cartes très exactement. Là aussi, il s’agissait de l’exercice d’élèves de fin d’année de la classe du brevet. J’avais alors quinze ans en 1952. Après les classes de cours élémentaire (les appellations n’ont plus guère cours à notre époque, mais ma mémoire les a gardées intactes), j’avais été admis « en moderne », en sixième très exactement et dans la classe de Marius Autran. J’ai gardé de lui un souvenir tout particulier. Autant les professeurs qui furent les miens en même temps que Monsieur Autran, étaient tous sujets à moqueries de notre part, nous, les élèves, ou de critiques tout aussi bien, autant Monsieur Autran ne paraissait pas « discutable » à nos jeunes yeux. Monsieur Autran n’avait pas de tic comme Monsieur Turquay le professeur de français qui disait « chut » - « chut-chut » à tout bout de champ, 134 dans l’heure de la leçon. Monsieur Autran ne nous faisait pas peur comme Monsieur Dary, le professeur de mathématiques qui entretenait la terreur, il n’arborait pas une cravate différente à chaque cours comme Monsieur Faber, le professeur d’anglais et, à l’inverse de Monsieur Laure, le professeur de sciences naturelles, il ne faisait pas de grands gestes qui mettaient en joie toute la classe. Il n’avait pas non plus comme le professeur d’histoire, Monsieur Muraccioli, Corse, de prétention communautariste, bref, Monsieur Autran, faisait figure à nos yeux d’un « prof »… normal ! On ne pouvait rien trouver à lui redire. Il avait l’art de traiter ses élèves comme des êtres ayant le même âge que lui et du coup, dépouillés de nos rôles d’élèves, on se tenait tout naturellement à carreau si je puis dire. Je ne dis pas cela pour faire plaisir à son fils, je le dis parce que je le pense réellement. Pour ce qui est des autres professeurs, j’usais déjà de mon talent d’imitateur et je faisais rire tous mes camarades lors des récréations en mettant en exergue leurs tics. Du coup, les professeurs qui avaient ouï-dire que je les imitais ne s’aventuraient plus à m’interroger, craignant de déchaîner l’hilarité. J’avais trouvé le moyen de me protéger, de me caparaçonner, de me mettre à l’abri, bien que quelquefois je souhaitais être convoqué au tableau en levant le doigt, mais les profs faisaient mine d’ignorer mes demandes. J’ai souffert tout jeune d’un embonpoint qui me différenciait de mes autres camarades, lesquels ne se gênaient guère pour me rappeler à divers moments de la journée mon état : « gros plein de soupe - gros lard - « boudenffle » - bonbonne », j’en passe et des pires. Et lorsque j’étais tout particulièrement mis sur la sellette et agressé et qu’un de mes soi-disant copains se précipitait sur moi, c’est encore l’imitation qui me sauvait la mise. En effet, tandis que l’agresseur tentait de m’impressionner par une attaque inattendue, il me suffisait de prendre la même posture que lui pour le désarçonner dans son élan. En imitant son geste menaçant, je prenais sa place et tandis qu’autour on s’esclaffait, attaqué que j’étais, je devenais attaquant. C’était pratique ! Donc, pour la fête de fin d’année, après l’obtention du BEPC (brevet d’études du premier cycle), il avait été convenu que notre classe de troisième donnerait sur la scène de « La Seynoise », la célèbre partie de cartes de « Marius » de la fameuse Trilogie de Pagnol « Marius-Fanny-César » et j’avais été désigné étant donné mes succès en récitation, pour interpréter le rôle de Panisse. Très vite je compris que j’allais y exceller pour la bonne raison que j’imitais à la perfection Charpin qui a créé le rôle auprès de Raimu dans le film « Marius » mis en scène par Alexander Korda en 1931. Or, mon grand-père Louis Tisot était féru d’enregistrements, tant d’opéras que de succès du moment et il me passait sur son phonographe, le disque en cire de la partie de cartes à tout bout de champ. D’ailleurs, lui seul, selon ma grand-mère Marguerite, avait le droit de remonter le mécanisme du phono, personne d’autre ne devait y toucher. Les trois films cités faisaient les délices des Seynois chaque fois qu’ils étaient programmés à l’Odéon, ou bien au Rex, les deux cinémas de la ville. « Fanny » a été mis en scène par Marc Allégret et « César » par Pagnol lui-même. Bref, j’ai été nourri de Pagnol dès mon jeune âge. C’est Monsieur Troubat, le professeur de gymnastique, qui avait en charge les répétitions qui s’opéraient le plus souvent dans une salle qui se trouvait en sous-sol de l’école Martini d’alors, dont le directeur était Monsieur Malsert lequel était particulièrement craint. On ne le croisait qu’avec déférence. Enfin, le soir de la représentation arriva, j’étais coiffé comme l’était Charpin dans le film, d’un chapeau mou beige et mon ventre avait été emprisonné et enroulé dans une taillole de la même couleur. Et ce qui devait arriver arriva ! Je n’obtins pas un succès, mais un triomphe. Le lendemain, les clients de la pâtisserie familiale firent des gorges chaudes à ma mère de mon interprétation : « Mon Dieu, madame Tisot, votre fils !...C’était le portrait craché de Charpin. Ce qu’il l’a bien refait. On aurait dit lui ! C’est un artiste votre fils! ». C’est après cette soirée que les filles de l’école Curie qui ne me regardaient pas jusqu’à présent, commencèrent à me faire de légers, de très légers clins d’œil qui me mettaient du baume au cœur. Tout cela je le dois à « La Seynoise » ! C’en était fait, ma carrière artistique pouvait commencer. Il est à remarquer d’ailleurs qu’elle débuta à « La Seynoise » par une imitation au service de la comédie, et cela se produisit à l’inverse plus tard lorsque de la Comédie Française où je fus engagé à 20 ans comme Pensionnaire, je basculais de la comédie dans l’imitation du général de Gaulle. Et encore bien plus tard, en 2000, je fus engagé auprès de Roger Hanin dans la même Trilogie de Pagnol pour jouer auprès de lui le rôle de Panisse. Mais là, je n’eus plus besoin d’imiter Charpin, c’est Tisot qui s’exprimait jusqu’à devenir Panisse en personne selon le public. Fernand Charpin, créateur du rôle d’Honoré Panisse, était né le 1er juin 1887 et moi, je suis né le 1er juin 1937. Il est des coïncidences qui demeurent troublantes pour ne pas dire abusives comme se plaisait à les désigner Louis Pauwels. Toujours est-il qu’aujourd’hui, tandis que je regarde en arrière, je considère que ma vie prit sa véritable direction après cette soirée mémorable de « La Seynoise » en 1952 si je ne me trompe pas. A la suite de quoi, j’entrais au Conservatoire de Toulon où j’appris les bases de ce qui allait être mon métier de comédien avec Armand Lizzani, puis je prenais bientôt le train pour Paris en 1955 et entrais au Conservatoire d’Art dramatique dans la classe de Béatrix Dussane. Après les concours de sortie, j’obtins un second prix de comédie classique dans Sganarelle de « Dom Juan » de Molière et un second prix de comédie moderne dans « La femme du boulanger » de Marcel…. « Pagnol, Pagnol, quand tu nous tiens… » Je fus alors engagé comme Pensionnaire à la Comédie Française en 1957 (j’avais 20 ans) où j’allais demeurer jusqu’en 1960. Puis, ça allait être le tournage pour la télévision, l’ORTF d’alors, du feuilleton « Le Temps des copains » où je campais Lucien Gonfaron, qui reste dans la mémoire collective des Français, et en même temps l’imitation du général de Gaulle, chef de l’État, qui allait me propulser au firmament grâce à « L’Autocirculation » dont un million de 45 tours furent vendus, lesquels brocardaient la politique algérienne de « l’Autodétermination » du général de Gaulle. C’est véritablement après la mémorable soirée de « La Seynoise », au cours de laquelle j’acquis un certain prestige grâce au rôle de Panisse que je compris que le fait d’enfourcher un autre personnage que le sien, permettait de faire route, de faire carrière, bref, d’aller plus loin que l’on aurait pu aller soi-même et tout seul. Il faut imiter plus grand que soi pour véritablement avancer dans la vie. J’ai donc pris pour habitude de me faire accompagner de tous les rôles que j’étais capable d’endosser. Gandhi a dit : « On devient ce qu’on admire ». Il m’arrive de m’interroger : que serait-il advenu de moi sans cette soirée à « La Seynoise » qui m’a propulsé vers mon avenir avec tout ce qu’il a comporté qui n’est certes pas commun ? Sans doute n’aurais-je pas su ou pu prendre le dessus sur les complexes que m’imposaient mon physique et j’aurais rongé mon frein à La Seyne sans avoir la possibilité de sortir de cette chrysalide que j’eus la riche idée d’abandonner dans le train qui me conduisit à Paris, de telle sorte que, débarquant sur le quai de la gare de Lyon, j’étais un homme neuf. Il ne me restait plus qu’à devenir celui que je suis devenu : Henri Tisot. |
Quelques
citations relevées dans les textes d'Henri TISOT
[Toutes
ne sont pas d'Henri TISOT, certaines avaient été
suffisamment fortes et pertientes pour qu'il les affectionne et les
rappelle dans ses
ouvrages]
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Voilà déjà
beau temps que je m'en suis allé
Prendre de la hauteur en quittant l'Elysée Mais je suis toujours là, car même au paradis Mon ombre plane encore au-dessus des partis J'ai l'impression parfois que je suis en exil Un peu comme en quarante, à Londres, chez Churchill Quand je fis le grand saut par-dessus le Channel Pour lancer mon message : après le saut, l'appel ! Autrefois j'avais dit : « Ce qu'après moi je crains Ce n'est pas un grand vide, hélas, c'est le trop-plein » Oui, mais depuis la France éprise de grandeur A joué de malchance avec mes successeurs D'ailleurs j'ai observé que notre république Concernant ces messieurs a des goûts éclectiques : Elle alterne un grand homme épris d'indépendance Avec un plus petit qui rêve de croissance Après le grand De Gaulle, un petit Pompidou Trois syllabes feutrées qui font juste un bruit doux Un précurseur pourtant que ce fils de bougnats Instaurant malgré lui le premier quinquennat Puis l'Auvergne enfanta un second président Celui qui célébrait la victoire en chuintant On compare, je sais, « Mes Mémoires de guerre » A ses romans de gare et je n'apprécie guère. |
Arriva Mitterrand avec la rose au
poing
Mais son programme, lui, ne l'était pas au point Celui qui combattit ma fonction violemment C'est lui qui l'occupa de loin le plus longtemps Juste après lui Chirac, c'est la farce tranquille Qui étend son bazar hors de l'Hôtel de Ville Lui gaulliste ? Allons donc ! Ce gaulliste a deux balles, Ce Gaulliste a dissous l'Assemblée nationale Mais de moi jusqu'à lui, au moins soyons bon prince, Les présidents étant issus de la province Savaient que c'est grâce aux vaches de ce pays Que la France d'en haut fait son beurre à Neuilly Par un référendum, moi qui fus désavoué Jugez de ma colère à voir ainsi bafoué Un peuple disant « non » à soixante pour cent Et à qui l'on répond : « Ce sera oui pourtant » Moi, dans ce coffre-fort où Trichet s'enveloppe Je ne reconnais plus mon idée de l'Europe N'ai-je donc résisté à la grande Amérique Que pour voir s'installer une monnaie inique De toi pays brisé, pays martyrisé Beau pays outragé, et comme hypnotisé J'attends un vrai sursaut. Et à ton président J'adresse un seul message : Nicolas…Charles attend ! |
Henri TISOT déclamant ce texte sur la terrasse de
notre maison du quartier Bastian à La Seyne-sur-Mer |
(Facebook, 4 juillet 2011)
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