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de l'Histoire de l'École Martini
Marius AUTRAN
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Histoire de l'École Martini (1982)
L'enseignement à La Seyne-sur-Mer (1789-1980)
CHAPITRE SEPTIÈME :
Défaite de l'école laïque
sous l'État de Vichy
(Texte intégral du chapitre)


 

La rentrée d'octobre 1940

Le 16 juin 1940, le Maréchal Pétain (1) signa l'Armistice et prit en main les affaires du pays. Ce fut la fin de la IIIe République et la naissance de l'État Français.

(1) Pétain (Philippe) - 1856-1951 - Général en août 1914, il participa aux batailles de la Marne, d'Artois, de Champagne, avant d'être appelé à la défense de Verdun. Son action personnelle y fut décisive. Il fut nommé commandant en chef des armées, poste qu'il occupa jusqu'à l'Armistice. Il fut créé Maréchal de France en 1918 et occupa plusieurs postes dans le haut commandement. Il fut nommé Ministre de la guerre en 1934, ambassadeur en Espagne en 1939 et Paul Reynaud l'appela comme vice-Président du Conseil. Devenu Président du Conseil à Bordeaux dans la nuit du 16 au 17 juin 1940, il demanda l'Armistice. Le 1er juillet, il installa le gouvernement à Vichy. Le 10 juillet, les assemblées lui remirent tous les pouvoirs. Le lendemain, il était proclamé chef de l'État Français. Le 18 Avril 1942, les allemands exigèrent qu'il nommât Laval comme Président du Conseil.
En novembre 1942, lors du débarquement anglo-américain au Maroc et en Algérie, la décision qu'il prit déçut tous ceux qui avaient espéré qu'il gagnerait l'Afrique du Nord, qu'il ordonnerait à tous les bâtiments de guerre stationnés à Toulon de prendre le large et que, face aux violations de l'armistice par les Allemands, il replacerait la France dans le camp des Alliés.
Il refusa de quitter la France où l'invasion de la zone libre par les Allemands ne lui laissa que l'ombre d'un pouvoir. Il fit alors siennes les directives de l'occupant.
Le 20 Août 1944, il fut enlevé par les Allemands, puis amené à Belfort et à Sigmaringen où il refusa de cautionner un simulacre de gouvernement français. Il s'enfuit, passa en Suisse et se présenta en France pour être jugé. En Août 1945, la Haute cour le condamna à mort, peine commuée en détention à perpétuité. C'est ainsi qu'il finit sa vie à l'Île d'Yeu.
Les Résistants virent en lui le traître qui serra la main de Hitler à Montoire ; d'autres Français continuent de le considérer comme celui qui a incarné la seule autorité légitime après la défaite et qui, faisant don de sa personne à la France, a sauvé tout ce qui était sauvable. D'où les campagnes de réhabilitation qui se succèdent depuis sa mort.

Nombreux furent les citoyens désemparés qui, de bonne foi, répondirent aux appels pathétiques du Chef de l'État. Ils n'avaient rien compris à la trahison qui se préparait depuis la capitulation de Munich. Ils n'avaient pas mesuré toute la haine de cette bourgeoisie française dont les responsables les plus influents n'avaient pas hésité à proclamer bien avant la guerre : " Plutôt Hitler que le Front Populaire ".

La rentrée d'octobre 1940 s'effectua dans des conditions particulièrement difficiles. La guerre, l'invasion de la moitié nord du Pays, l'armistice aux clauses draconiennes, l'arrivée au pouvoir des collaborateurs vichyssois, que d'événements néfastes se succédèrent en l'espace de onze mois !

La vie scolaire devait forcément ressentir les effets de toutes les perturbations qui secouaient la Nation depuis la mobilisation de 1939. Des membres de l'Enseignement faits prisonniers avec leurs unités furent emmenés en Allemagne. Les instituteurs retraités rappelés pour assurer le fonctionnement des classes, ainsi que de personnes disponibles nanties de diplômes universitaires, tâchèrent de faire un travail normal. Sous la direction de M. Malsert, le travail scolaire s'accomplissait, mais sans enthousiasme.

Une ambiance d'inquiétude régnait. La guerre n'était pas terminée et menaçait de s'étendre.

En France, la Résistance s'organisait contre l'ennemi extérieur aussi bien que contre l'ennemi intérieur.

Dans leur immense majorité, les enseignants avaient acquis la certitude que la France avait été trahie. Parmi eux, de nombreux officiers de réserve avaient été mobilisés et ils avaient constaté des actes de sabotage quotidiens dont souffrait la Défense Nationale.

Avant même la guerre de mouvement, des unités stationnées proximité des grandes agglomérations ne recevaient pas un ravitaillement régulier alors qu'à ce moment-là, le pays ne manquait de rien. Le courrier, même, ne parvenait pas aux soldats. On sentait bien que la désorganisation était recherchée systématiquement et que l'on voulait altérer le moral des troupes. Aucune autorité ne se manifestait vraiment pour qu'il en soit autrement.

L'avenir allait montrer le vrai visage de cette bourgeoisie française dont le comportement rappelait celui des émigrés de Koblenz, en 1791, alors que la démocratie faisait ses premiers pas.

Après l'installation du gouvernement à Vichy et la proclamation de l'État Français, la répression s'abattit sur les Républicains, les démocrates, les progressistes de tendances diverses.

C'est ainsi que des dirigeants et des militants de base du Parti Communiste Français furent arrêtés les premiers, emprisonnés ou internés, dès la fin de l'année 1940. Certains n'avaient même pas encore participé à des actes de Résistance contre le pouvoir. Dans ces conditions, des dizaines de Seynois furent frappés par ces mesures, ce qui rend vains les mensonges proférés par les adversaires du Parti Communiste selon lesquels, le patriotisme des communistes ne se serait manifesté qu'au moment de l'entrée en guerre, le 22 juin 1941, de l'Union Soviétique.

Les municipalités de gauche, socialistes et communistes, furent dissoutes. À La Seyne, la Municipalité Mazen-Lamarque reçut l'ordre d'abandonner l'Hôtel de Ville sans autre forme de procès. Elle s'exécuta sans résistance.

Elle fut remplacée par une équipe, non élue comme il se doit, composée de gens, pour la plupart, inconnus des Seynois, ou connus pour leurs opinions réactionnaires. Ces édiles désignés d'office, comme l'avaient été ceux commandés par Napoléon III au lendemain du Coup d'Etat de 1851, avaient à leur tête un ancien capitaine nommé Galissard. Plusieurs d'entre eux avaient été recrutés parmi les militaires en retraite de l'armée de Terre ou de la Marine.

Le Pouvoir pensait qu'avec ces gens-là, La Seyne marcherait au pas.

Ceux qu'il voulut discipliner les premiers, ce furent les enseignants et leurs élèves. Au mois de novembre 1940. tous les petits Seynois des Écoles Martini, Curie, François Durand, furent mobilisés un beau matin pour aller saluer le Maréchal Pétain, sur le boulevard de Strasbourg à Toulon.

À partir de là, la Municipalité en fonction des ordres reçus ordonna à M. Malsert de faire procéder à chaque rentrée du matin, à la cérémonie de salut aux couleurs, comme cela se fait dans les unités militaires. En même temps que le pavillon tricolore montait au mât des couleurs, les écoliers devaient entonner un chant créé récemment pour eux, Maréchal, nous voilà !

Parmi les maîtres se trouvaient quelques anciens combattants de la guerre de 14-18 qui n'étaient pas fâchés de participer chaque matin à cette cérémonie patriotique. Ils pensaient, comme tous ceux que l'on avait regroupés dans la légion, qu'il fallait redonner une âme à la France et qu'il fallait créer dans la jeunesse un élan patriotique qui lui avait manqué pour gagner la guerre. Ils n'avaient absolument rien compris à la politique de trahison de la Bourgeoisie.

Ils essayaient de convaincre les jeunes maîtres qu'il faudrait bien finir par nous entendre avec l'Allemagne. À quoi ceux-ci répondaient : " Oui mais quelle Allemagne ? Celle de Hitler ? Celle de la dictature nazie ? " Et ils rappelaient les paroles de Goebbels : " Quand j'entends parler de culture, je prends mon revolver ".

Dès 1939, par le livre " Hitler m'a dit ", nous avions eu connaissance des plans de conquête du Führer. Comment les intellectuels français auraient-ils pu admettre les théories de Mein Kampf ? Il nous revenait des phrases comme celles-ci :

" Les masses ont besoin de trembler, je ne veux pas qu'on transforme les camps de concentration en pensions de familles. La terreur est l'arme la plus puissante et je ne m'en priverai pas ".

OU ENCORE :

" L'instruction générale est le poison le plus corrosif et le plus dissolvant. /.../ Nous n'accorderons à la grande masse de la classe inférieure que le bienfait de l'analphabétisme ".

Comment pouvait-on imaginer que le peuple français porteur de traditions de luttes séculaires pour la liberté et la justice, défenseur de la Fraternité humaine, aurait pu s'accommoder de la barbarie nazie ?

Les discussions s'engageaient, passionnées, pendant les récréations, mais il fallut bientôt mesurer ses paroles, car un véritable système de délation s'instaura à la Seyne comme à travers la France entière.

Le Maire Galissard fit appeler certains de nos concitoyens dans son bureau et les mit en garde contre des propos peu flatteurs qu'ils avaient tenus contre la Municipalité. " Si je voulais, dit-il, je pourrais vous faire arrêter ! ".

Alors, un climat de suspicion régna dans l'école. Quelques professeurs donnèrent leur adhésion à la Légion de Pétain. Quand on leur reprochait discrètement leur attitude, ils répondaient : " Il faut bien y être pour savoir ce qu'on y fait et ce qu'on y dit ".

Ce qu'on y faisait ? c'était simple : les réunions étaient rares et pour ceux qui s'y rendaient, il s'agissait de recevoir les consignes du Maréchal et d'essayer de les appliquer ensuite. Par exemple, il fut demandé de défiler au pas cadencé dans les rues de la ville, le jour du 11 novembre.

Non ! la majorité d'entre les maîtres ne pouvait pas recevoir de leçons de patriotisme de tous ces gens-là. Aussi, la cérémonie quotidienne du salut aux couleurs ne fut pas prise au sérieux.

Un beau matin, alors que toutes les classes étaient rassemblées en carré au milieu de la cour, autour du mât où l'on devait hisser le drapeau, un incident se produisit.

M. Vacchero, maître chevronné, ancien combattant de la guerre de 14-18, médaillé militaire, présidait à tous les détails de la cérémonie.

Toutes les classes avaient été rassemblées avec leur maître respectif, les alignements avaient été scrupuleusement vérifiés, et nous attendions l'élève préposé au service du drapeau. Il allait chercher la pièce d'étoffe tricolore rangée dans le bureau de M. Malsert.

Nous attendions, et le drapeau n'arrivait pas.

Puis l'élève, timidement, s'approcha les mains vides, sous le regard inquisiteur de M. Vacchero. De sa voix tonitruante que nombre de Seynois ont bien connue, il dit : " Mais où est donc le drapeau ? ". L'enfant répondit qu'il n'avait rien trouvé dans le placard du bureau de monsieur le Directeur. " Imbécile ! ", s'écria le maître des cérémonies et il envoya un autre élève chercher le drapeau. Les minutes s'écoulaient, des murmures s'élevaient dans les rangs où l'on commençait à s'agiter.

Le second émissaire revint bredouille lui aussi.

Alors M. Vacchero, soupçonnant un mauvais tour, se tourna nerveusement vers Monsieur le Directeur qui, lui, gardait son sang froid. " Faites chanter les enfants ", dit-il. Ce jour-là ils n'ont pas chanté, mais braillé le chant vichyste.

Et l'ordre fut donné de réintégrer les classes. Il était presque huit heures trente et de nombreux maîtres se plaignaient de ne pouvoir faire leur leçon de façon complète. En fait, il fallait bien chaque jour consacrer une demi-heure pour les rassemblements, le chant, les déplacements etc.

Quelques jours se passèrent sans cérémonies. Il fallut se procurer un autre drapeau, ce dont Monsieur le Directeur se chargea.

Et le salut aux couleurs reprit, mais les choses se passaient sans plus de conviction. La monotonie est toujours génératrice de désordre.

La voix de stentor de M. Vacchero avait beau se faire de plus en plus menaçante, le " Garde à vous ! " résonner à un kilomètre à la ronde, il n'impressionnait plus personne. On nous criait parfois " De la cocarde, messieurs ! De la cocarde ! ". Plus rien n'était pris aux sérieux.

Une quinzaine s'écoula encore depuis le premier incident. Les choses avaient paru rentrer dans l'ordre quand un nouvel événement imprévu survint.

Rassemblées à huit heures précises, les classes attendaient le signal de la cérémonie quotidienne. Le drapeau arriva. M. Vacchero s'en saisit et, au moment de le fixer à la corde du mât, il se trouva bien décontenancé en voyant que celle-ci avait disparu.

Les élèves les plus proches du mât comprirent l'embarras du maître dont le visage s'empourpra. Avant que le vent d'une hilarité générale ne secoue les rangs, M. Vacchero entonna le Maréchal nous voilà dont les notes dissonantes écorchèrent les oreilles de tout le quartier Cavaillon.

Dès lors, la cérémonie du salut aux couleurs n'eut plus jamais lieu. M. Malsert en avait-il rendu compte auprès des autorités locales ? Nous n'en sûmes jamais rien.

Ces incidents étaient les premiers actes de Résistance contre le pouvoir de Vichy. Il y en eut d'autres qui devaient répondre aux mesures de répression (2).

(2) La personne qui subtilisa le drapeau tricolore, et dont nous tairons le nom pour épargner sa modestie, l'avait caché dans un pilier du portail qui était creux et dont le sommet n'était pas bouché. Lors de la démolition de l'école, 35 ans plus tard, le hasard voulut qu'elle se trouvât là au moment où des décombres du portail, un ouvrier sortit un morceau d'étoffe moisie où apparaissaient encore vaguement les couleurs nationales.

Ce n'est certainement pas aux couleurs nationales que voulaient s'en prendre les Résistants, mais ils ne pouvaient admettre que des cérémonies soi-disant patriotiques soient ordonnées par ceux-là mêmes qui avaient livré le pays aux nazis. Notre drapeau a été défendu et vénéré par les Résistants dans des circonstances qui n'avaient rien de commun avec les simagrées patriotiques des hommes de Vichy.

 

Les mesures de répression

Les campagnes de bourrage de crâne sur la nécessaire collaboration du gouvernement de Pétain avec l'hitlérisme demeurèrent sans grands effets sur la masse du peuple français qui refusa de s'incliner ou, plutôt, disons qu'elles produisirent parfois un effet contraire à celui qui était escompté.

Pour rester dans le domaine de l'Enseignement, quelles mesures le gouvernement de Vichy allait-il prendre ?

La guerre contre l'école laïque s'organisa rapidement.

Des écrivains catholiques lancèrent l'idée que si la France était occupée par les nazis et les fascistes, la faute en était à Voltaire, à Rousseau, à Combes... et à la laïcité. Monseigneur Choquet écrivait en juin 1940 : " Si la France est vaincue, c'est qu'elle devait expier ses fautes : la première de ces fautes, c'est l'expulsion de Dieu de l'École. Les instituteurs sont culpabilisés, ils n'ont pas su éduquer le peuple ".

Sous le ministère J. Chevalier, l'université fut épurée. De grands professeurs comme Langevin (3), Paul Rivet (4), Jean Perrin (5), se virent retirer le droit d'enseigner. La fonction d'enseignant fut retirée aux Israélites. La loi du 13 août 1940 interdit l'enseignement aux Francs-maçons. Il y aura deux cas à l'École Martini : les professeurs Varangue et Boudon seront révoqués.

(3) Langevin voir note (6) de l'Introduction.

(4) Rivet (Paul) - 1876-1958 - Médecin anthropologue et ethnologue français. Directeur du musée d'ethnographie avec Lévy-Bruhl et M. Mauss en 1928, il fut fondateur du musée de l'Homme en 1917. Membre du Parti socialiste, il fut élu Conseiller général de la Seine et député.

(5) Perrin (Jean) - 1870-1942 - Physicien français, il réalisera la première expérience démontrant l'existence de l'électron. Il contribua également à prouver définitivement l'existence des atomes et les résultats qu'il obtient en 1908, après des expériences très délicates, permirent de vérifier les prévisions d'Einstein. Il participa, en 1938, à la fondation du Centre National de la Recherche Scientifique et créa le Palais de Découverte. Académie des Sciences en 1923. Prix Nobel de Physique en 1926.

Puis, c'est la cascade des lois anti-laïques :

- 18 septembre 1940, suppression des écoles normales
- 15 octobre 1940, dissolution des syndicats d'instituteurs
- 13 décembre 1940, suppression des délégués cantonaux

Plus tard, le 17 avril 1942, sera dissoute la Ligue de l'Enseignement fondée, on s'en souvient par Jean Macé en 1866.

Mes souvenirs me permettent de me rappeler que les enseignants, d'une façon générale ne furent pas effrayés outre mesure. On sentait déjà que la Résistance allait s'organiser et que tôt ou tard, notre idéal triompherait.

Les lois qui suivirent voulurent porter atteinte au principe même de la laïcité.

Un texte du 26 février 1941 indique que l'enseignement religieux sera compris au titre d'enseignement à option dans les horaires scolaires. Ordre est donné aux Inspecteurs d'Académie de s'entendre pour cela avec les autorités religieuses.

Mais les prêtres iront-ils à l'école laïque donner leur enseignement ? La résistance des familles et du corps enseignant fut telle que le gouvernement de Vichy fut obligé de reculer. Bon nombre d'enseignants de La Seyne avaient signifié au Directeur, M. Malsert qu'ils n'accepteraient pas que l'école laïque soit ainsi bafouée.

Une autre atteinte à la laïcité fut le fait de Jérôme Carcopino qui fit voter un texte, le 15 août 1941, permettant de donner indifféremment des bourses aux enfants des écoles publiques ou privées. Cela ira plus loin le 2 novembre de la même année où il est décidé de subventionner les écoles privées.

Les écoles confessionnelles recevaient donc toutes les faveurs, ce qui comblait de joie les prélats ralliés au Vichysme. Mais il convient de préciser que parmi les chrétiens, nombreux furent ceux qui rallièrent les rangs de la Résistance.

La vie devenait de plus en plus difficile. La disette s'était installée dans tous les foyers. Les enfants particulièrement souffraient de la faim. C'est alors que chaque semaine, nous fûmes chargés de distribuer du lait et quelques biscuits d'une organisation appelée Secours National.

Les Français manquaient de tout. L'occupant raflait tout dans cette belle France aux richesses si diverses et si abondantes. La viande, le blé, le vin, les matières grasses,... tout vint à manquer et nous n'en finirions pas de relater tout ce qu'il fallut faire alors pour survivre.

Les gens aisés trouvaient à peu près tout ce qu'ils voulaient au marché noir. Mais les autres !

De telles conditions de vie ne pouvaient pas créer un bon climat pour le travail scolaire. À l'automne, à cause du camouflage obligatoire, qui demandait que l'on occulte les lumières, le soir, les classes étaient interrompues par la nuit. Les absences d'élèves se firent de plus en plus fréquentes.

Par surcroît, la santé des enfants devint si précaire qu'on leur fit distribuer chaque jour des pastilles vitaminées.

École Martini - 1941 - Cours élémentaire 2e année de M. Arène


École Martini - 1941
Cette photo nous a été fournie simultanément par M. l'Amiral Claude Arata (tout à gauche au deuxième rang du bas) et par M. Barthélemy Bertolotto (3e en partant de la gauche au rang du haut). Autre élève identifié : Christian Laproye (avant-dernier à droite au rang du haut)


L'année 1942 fut un tournant décisif de la guerre.

Depuis le 22 juin 1941 qui vit le début de l'invasion de l'U.R.S.S. par les divisions blindées allemandes, les enseignants de Martini comme la plupart des autres, écoutaient discrètement les émissions de la radio clandestine.

Je me rappelle notre préoccupation première en entrant à l'école chaque matin : nous échangions nos idées, nos impressions sur tel événement, telle nouvelle que nous avions pu saisir malgré le brouillage des ondes.

Quand je dis nous, je veux parler de ceux en qui on pouvait avoir confiance. Il fallait se méfier des brebis galeuses. Il y en avait peu, mais il y en avait.

Ainsi, on apprit un jour que la conciergerie de l'école avait été confiée à un milicien. On imagine alors les prodiges de précautions qu'il fallut prendre pour faire circuler des documents clandestins.

Un noyau de résistance s'était effectivement constitué à Martini. Il faisait des collectes d'argent, de vêtements pour faire vivre les maquis du Var. De plus en plus fréquemment, nous distribuions des tracts. Il y eut des perquisitions, des arrestations, des internements. Le corps enseignant fut touché par ces mesures.

C'est alors que sous la direction de Toussaint Merle, une publication appelée L'Écho Seynois déclara une guerre ouverte à la municipalité Galissard. Cette modeste feuille, imprimée grâce à une petite Ronéo actionnée à la main, quelque part à la campagne, nous permettait de dénoncer les carences municipales en matière d'enseignement.

Ce n'est certes pas sous le régime de l'État Français que nos écoles de La Seyne et d'ailleurs furent améliorées.

L'Écho Seynois nous donnait aussi les moyens de dénoncer la trahison des dirigeants de la Société des Forges et Chantiers qui avaient mis les installations des chantiers navals à la disposition des autorités allemandes. Nous sentions la nécessité impérieuse de nous attaquer aux dirigeants locaux, collaborateurs de Vichy, du fascisme et du nazisme. Nos énergies étaient galvanisées par des événements qui nous révoltaient.

C'est ainsi que notre haine atteignit son paroxysme après l'enlèvement de M. Laïk et de son fils qui se produisit le 28 septembre 1943.

M. Laïk, commerçant du cours Louis Blanc que tous nos concitoyens tenaient en haute estime, était d'origine juive. Dans cette période, on savait bien qu'Hitler s'en prenait particulièrement aux communistes, aux Juifs et aux Francs-maçons. Ce qu'on savait moins, c'était le sort véritable qu'il leur réservait.

Le 28 septembre 1943, le jeune Laïk, élève de l'École Martini rentrait chez lui après ses cours, lorsque les sbires de la Gestapo étaient en train d'arrêter son père. Les odieux ravisseurs, heureux de cette coïncidence, emmenèrent en même temps le père et son fils, âgé de quinze ans.

On ne sut jamais ce qu'il advint d'eux. Ce qui est certain, c'est qu'ils ont disparu avec des millions d'autres humains dans l'enfer du nazisme.

La famille espéra longtemps les retrouver vivants. Hélas ! les mois passèrent, puis les années et quand on connut, à la fin de la guerre, l'étendue du génocide, tout espoir fut perdu.

C'est pourquoi la place, au bas du cours Louis-Blanc où la famille Laïk possède encore un magasin de vêtements, porte le nom de ces martyrs de la barbarie.

Les politiciens naïfs ou feignant de l'être qui estimaient en 1939 que les déclarations d'Hitler n'étaient que des fanfaronnades durent se rendre à l'évidence : son programme avait été exécuté et il nous en coûta beaucoup.

Des événements de cette nature ne pouvaient pas influencer favorablement la vie scolaire de notre École Martini.

D'autre part, le personnel était soumis à des pressions presque quotidiennes.

En 1942, le gouvernement de Vichy, poursuivant sa mystique de la Révolution nationale, ordonna aux Rectorats et aux Inspecteurs départementaux d'organiser des conférences dont l'objectif essentiel était une éducation nouvelle axée sur un patriotisme exacerbé.

Il voulait une réforme de l'enseignement.

À la fin d'une conférence, le Recteur de l'Académie d'Aix, dont nous dépendions, annonça qu'il s'agissait de restaurer les valeurs morales de la Nation, de mieux adapter les divers ordres de l'enseignement aux besoins du pays et de modifier les activités de rééducation générale pour que l'enseignement devienne plus vivant.

Le contenu réel de la réforme apparut peu de temps après.

En 1941, l'École Martini, la vieille école primaire supérieure allait s'appeler Collège. Toutes les écoles similaires d'enseignement général, les écoles pratiques d'industrie, devinrent des collèges. Mais le changement de titre ne devait pas entraîner de grandes modifications pour la formation des jeunes.

Le préambule du décret d'application de cette réforme précisait que seuls les lycées étaient habilités à dispenser l'enseignement classique. Autrement dit, ils seraient chargés de former l'élite, quand les collèges moderne et technique, établissements de moindre importance, donneraient à la Nation les petits fonctionnaires les cadres moyens, dont elle avait besoin.

Il s'agissait bien, comme l'avait prévu la loi Guizot, comme l'avaient imaginé les dirigeants de la IIIe République, d'opérer une véritable ségrégation scolaire. La suite de notre ouvrage montrera que de nos jours, bien des réformateurs ont travaillé dans le même esprit. C'est bien cela que les syndicats d'enseignants dénoncèrent depuis 1958, et en particulier depuis 1963, avec la réforme Fouché, qui créa les C.E.S., établissements du premier cycle regroupant les enfants de 11 à 15 ans (enseignement court), tandis que les lycées assurent un enseignement long.

Cette parenthèse fermée, revenons à notre École Martini où les maîtres et les maîtresses accomplissaient leurs tâches avec beaucoup de dévouement et malgré les incertitudes.

Chacun était préoccupé par la guerre qui faisait rage sur le front russe. Les exploits extraordinaires de la R.A.F. en territoire ennemi gonflaient nos cœurs d'espoir.

Malgré les brouillages de la radio allemande, on sut qu'un désastre se préparait à Stalingrad vers la fin de l'année 1942.

Un événement marquant qui troubla aussi notre vie scolaire fut le sabordage de la flotte française qui se produisit le 27 novembre 1942. Depuis le petit matin, des explosions violentes envoyaient par le fond de magnifiques navires que nous connaissions bien. Nous avions le cœur serré à la pensée de tant de travail réduit au néant.

Les élèves, en petit nombre dans la cour, nous posaient des questions auxquelles nous ne pouvions pas répondre. Les carreaux des fenêtres tremblaient à se briser et nous ouvrîmes partout afin d'éviter la casse. Ce jour-là, nous n'avions guère le cœur à l'ouvrage, nous commentions les nouvelles fragmentaires et souvent contradictoires qui nous arrivaient.

Avant de reprendre les cours, il fallut attendre l'arrêt des explosions.

À partir de cette journée mémorable, qui vit disparaître, un pan énorme de notre défense nationale, en cette fin d'année 1942, nous avons bien senti que la situation allait évoluer rapidement.

Ce fut alors l'occupation de notre territoire méditerranéen par l'armée allemande. Nos jeunes élèves, impressionnés de voir circuler les chars d'assaut et les voitures blindées, cherchaient parfois à surprendre nos conversations. Là encore, il nous fallait faire preuve de discrétion.

Deux ou trois classes de l'école, celles qui donnaient sur la cour Nord, près de l'église, furent réquisitionnées par la troupe allemande pour y entreposer du matériel et y installer un atelier de cordonnerie. Il fallut regrouper les élèves dans d'autres locaux, mais déjà les effectifs s'amenuisaient. Celles des familles qui pouvaient le faire, envisageaient un repli vers l'intérieur du département.

En dépit de tous les événements dramatiques, de toutes les émotions, de toutes les contraintes, de toutes les vexations, le personnel enseignant accomplissait sa tâche scrupuleusement. La même discipline à laquelle l'établissement de Martini était soumis depuis dix ans déjà avec le Directeur Malsert, s'exerçait inflexiblement.

Du point de vue matériel, rien n'avait été apporté de positif par la Municipalité Vichyste. Aucun équipement nouveau ne vit le jour pendant quatre ans. Le matériel scolaire était distribué chichement à chaque rentrée.

Durant les jours d'hiver, un seau de charbon par classe devait suffire pour la journée. L'École Martini, comme les autres écoles vivotait. Comme nous l'avons dit précédemment, les Vichystes réservaient leurs faveurs à l'enseignement confessionnel et la Municipalité du moment appliquait docilement les consignes du Pouvoir.

Elle avait délibéré au début de la guerre pour remplacer le nom de Saturnin Fabre par celui de Maréchal Pétain ; en même temps, l'administration de l'Éducation nationale avait fait distribuer des portraits en couleur du Maréchal pour être placardés dans toutes les salles de classe.

Quand le secrétaire m'apporta celui destiné à ma classe, je le pris en souriant, le pliai soigneusement en quatre devant les élèves et le posai à plat au-dessus du placard à fournitures. Il y resta jusqu'à la Libération.

Toutes ces formes du patriotisme vichyssois ne pouvaient nous faire oublier les restrictions, la trahison, ainsi que tous les dangers qui nous menaçaient.

Après le sabordage de la flotte, après l'occupation par la force du port de Toulon et de ses environs immédiats, la Municipalité continua d'envoyer au Maréchal des témoignages de fidélité.

 

La guerre et ses désastres

Puis ce fut le désastre de Stalingrad où l'armée allemande perdit 300 000 hommes de ses meilleures troupes.

À partir de là, pressentant leur propre défaite, nos édiles locaux commencèrent à pâlir. Comme l'avait écrit Victor Hugo à propos de Waterloo : " L'espoir changea de camp, le combat changea d'âme ".

Le premier bombardement dont notre région fut la cible eut lieu le 24 novembre 1943 et il occasionna des destructions considérables au Mourillon. On releva malheureusement près d'un millier de victimes.

Puis, nous fûmes encore bombardés le 11 mars 1944. Alors les évacuations de la population se précipitèrent.

Déjà, depuis plusieurs mois, les effectifs des classes avaient considérablement baissé. À partir de mars, les évacuations devinrent massives. De nombreuses familles avaient quitté La Seyne d'elles mêmes, emmenant leurs enfants. D'autres n'avaient pas voulu s'expatrier, mais leurs enfants avaient été placés chez des familles de l'intérieur - Ardèche, Gard, Isère, Drôme - où les dangers de la guerre étaient apparemment minimes.

Au printemps 1944, les écoles avaient cessé de fonctionner.

Le personnel enseignant était en partie utilisé à du travail administratif : Bureau des évacuations, service du Ravitaillement, etc. Même sans élèves, les enseignants étaient tenus d'occuper leur poste à l'École Martini.

Le service de la défense passive avait fait installer des sirènes au sommet de notre clocher et il arrivait fréquemment que leurs appels lugubres, confondus avec ceux venus de Toulon, incitent les Seynois à quitter précipitamment leur demeure pour chercher un abri problématique dans les campagnes environnantes.

À l'École Martini, M. Malsert nous réunissait presque chaque jour pour nous communiquer les directives de l'Administration. Chaque jour, il allait chercher le courrier.

Puis, devant la fréquence du danger, notre école fut évacuée tout à fait. Nous allâmes alors tenir nos réunions dans une école d'Ollioules. La plupart d'entre nous se déplaçaient à bicyclette, car les moyens de transport, dans cette période, étaient bien limités.

Au cours d'une dernière réunion, il fut décidé, pour que nos élèves du moderne ne perdent pas tout à fait leur année scolaire, d'organiser des cours par correspondance. Je fus chargé d'en assurer la coordination.

Le travail consistait à envoyer aux élèves dont nous avions les adresses, des sujets à traiter en Français et en Mathématiques. Ces élèves m'adressaient leurs devoirs que je communiquais aux professeurs concernés. Puis, la correction terminée, les copies leur étaient renvoyées.

Ce travail s'effectua très irrégulièrement pendant quelques semaines.

Le bombardement du 29 avril 1944 survint alors qui fut un véritable cataclysme pour La Seyne. Les désastres qui l'accompagnèrent allaient plonger la population ou du moins ce qu'il en restait, dans la désolation la plus complète.

En plein midi de cette funeste journée, alors que la ville et ses environs étaient plongés dans le brouillard épais des fumigènes, une vague de bombardiers énormes, les super-forteresses volantes, lâcha sur notre paisible cité des bombes de gros calibre par centaines.

L'aviation américaine voulait, parait-il, détruire les Chantiers de Construction navale. Or, sur sept-cents points d'impact identifiés sur le territoire communal, quatre seulement furent relevés dans les chantiers dont la plupart des installations demeurèrent intactes. Les plus gros dégâts furent en fait occasionnés par les Allemands aussi bien dans les chantiers que sur le port, lorsqu'ils partirent, à la fin d'août 1944.

Mais le 29 avril, la ville souffrit terriblement. Des centaines de morts et de blessés furent découverts sous les décombres ; des milliers d'immeubles furent détruits, totalement et partiellement, au point que La Seyne fut considérée comme ville martyre et c'est à ce titre que par la suite, la Croix de Guerre lui a été attribuée.

Les destructions, évaluées à 65 % de la cité, avaient touché tous les bâtiments publics. Toutes les écoles furent plus ou moins sinistrées.

La maternelle Jean Jaurès fut complètement détruite. Le Patronage laïque, qui recevait des classes depuis plusieurs années, fut également pulvérisé. L'École François Durand fut en grande partie détruite. L'École des Sablettes construite en 1902 sur l'isthme, fut rasée par les Allemands en 1943 pour des raisons stratégiques : elle gênait le champ de tir des occupants qui redoutaient un débarquement sur la plage des Sablettes, comme sur toutes les plages de la côte méditerranéenne.

La Maternelle de la rue d'Alsace, l'école des filles de la rue Clément Daniel, l'École Curie eurent elles aussi à souffrir de dégâts importants.

L'École Martini resta debout dans ce désastre, mais les bombes tombées en pleine ville - rue Baptistin Paul, rue Franchipani, celles qui détruisirent les habitations de la rue Isnard, lui occasionnèrent beaucoup de mal : murs et plafonds lézardés, carreaux brisés, etc.

Quand les morts furent, enterrés, que les blessés furent évacués, alors ce fut l'exode. La population gagna l'arrière-pays.

À cet endroit de notre récit, il convient de rendre hommage à ceux de nos collègues qui trouvèrent la mort au cours de cette journée d'épouvante que fut le 29 avril 1944.

Notre collègue de l'école primaire, M. Penciolelli, fut tué au Patronage laïque, alors qu'il travaillait au Bureau des évacuations et avec lui périt une collègue de l'École Curie, Mme Tesseire. Mme Roussin, épouse de notre collègue André Roussin, secrétaire de M. Malsert, trouva également la mort à cet endroit.

Nous étions bien tristes le jour de leurs obsèques. Ils étaient si sympathiques et ils apportaient à leur tâche un tel dévouement ! Devant cette fosse commune où furent ensevelis côte à côte de dizaines de nos concitoyens, hommes, femmes et jeunes gens, déchiquetés par les bombardements libérateurs, nous fûmes horrifiés, tout en faisant intérieurement le serment de lutter pour ne plus revoir de telles atrocités.

Cependant, les quelques milliers de Seynois restés sur place n'étaient pas au bout de leurs peines. Les alertes se multipliaient. En juillet, ce fut la catastrophe de l'émissaire de Châteaubanne où quatre vingt treize seynois moururent asphyxiés ou piétinés dans une galerie où ils pensaient trouver un refuge sûr.

Alors la ville fut quasiment désertée. Ne restèrent que quelques personnes âgées qui se refusèrent au départ, préférant mourir, s'il le fallait, dans leurs vieux murs. Restèrent aussi les gens de la campagne et les Résistants qui participèrent au nettoyage des derniers îlots où s'accrochaient les troupes allemandes, après le débarquement des armées alliées à Sainte-Maxime et surtout après la libération de Toulon par les troupes françaises sous le commandement du Général de Lattre de Tassigny.



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