La Seyne_sur-Mer (Var)   Histoire de La Seyne_sur-Mer (Var)
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du Tome IV
Marius AUTRAN
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Images de la vie seynoise d'antan - Tome IV (1992)
Au quartier Beaussier
(Texte intégral du chapitre)

Annexe : Historique d'une très ancienne famille du quartier Beaussier : la famille DUCHER - MAGLIOTTO - TOSELLO, selon les souvenirs de Bernard Etienne Régis DUCHER (document rajouté en Avril 2006, avec l'autorisation de l'auteur).

 

Généralités

Quand nos ancêtres six-fournais du XVe siècle, rassurés par la disparition des dangers de la piraterie sarrasine, décidèrent progressivement d'exercer leurs activités dans les plaines de Sicié et sur les bords de la rade de Telo Martius, ils créèrent par l'usage un chemin sinueux, rocailleux descendant de l'acropole Castellas (fort actuel) jusqu'à la côte 125 où s'élève l'oratoire Saint-Joseph.

À partir de là, cette voie primitive fréquentée seulement par des piétons et leurs précieux moyens de transport qu'étaient alors pour eux les ânes et les mulets, se divisait en deux tronçons.

Le premier serpentait en direction des Moulières (chemin Audibert) où les moulins hydrauliques produisaient l'huile d'olive et la farine de blé. Le second beaucoup plus tortueux les amenait au quartier Vignelongue, se poursuivait vers Chateaubanne et prit un jour le nom de chemin du Vieux Reynier (n° 119 au cadastre actuel). Son tracé se prolongeait sur l'emplacement actuel de l'avenue de la Commune de Paris et débouchait sur les premiers îlots habités que l'on appela au fur et à mesure de leur peuplement : Daniel, Tortel, Beaussier, Cavaillon.

On comprend aisément l'origine de ces appellations. À l'exception de Cavaillon qui signifie lieu élevé, les autres désignèrent les noms des premières familles venues occuper des terrains dont elles firent l'acquisition consentie par les seigneurs-abbés de Saint-Victor-les-Marseille ou, dans certains cas précis, avec les Tortel et les Beaussier. Ces antiques familles bénéficièrent de domaines importants pris sur les terres régales et dont l'attribution fut faite en échange de services éminents rendus à la Patrie.

Dans ce récit, il sera d'abord question des Beaussier parce que notre désir a été de vénérer une famille illustre à plus d'un titre dont la réputation s'est étendue bien au-delà des limites de notre commune et de la Provence comme l'attestent de nombreuses références prises aux meilleures sources.

D'autre part, il fallait montrer que les traces d'un passé vieux de cinq siècles ne sont pas effacées malgré l'érosion du temps, malgré l'implantation de structures urbanistiques nouvelles.

Certes, une évolution notable s'est produite par l'intensité du peuplement et le style des constructions modernes érigées sur les anciens terrains de culture, par l'apparition de bâtiments à usage collectif. Mais l'aspect général des vieux îlots groupés autour de la place Galilée, que les anciens appelaient autrefois la Placette, n'a pas tellement varié et ce qui est particulièrement remarquable c'est le tracé des voies d'accès qui a été à peine modifié par rapport au XVIe siècle. L'observation du plan de 1590 est très significative à cet égard.

Dans les pages suivantes, nous apporterons des précisions nécessaires.

Autre remarque : malgré le confort des habitations nouvelles nées autour du noyau original, le quartier Beaussier n'est pas devenu un lieu résidentiel de la bourgeoisie seynoise. Il a conservé son caractère populaire d'antan.

Notre but a été aussi de faire revivre les générations des siècles passés qui ont vécu là dans des habitations primitives, sans eau courante, sans éclairage et sans chauffage suffisants, sans aucune installation sanitaire, autrement dit dans des conditions de vie déplorables.

N'oublions jamais que ce sont ces modestes travailleurs, illettrés pour la plupart, ces pêcheurs, ces ouvriers, ces paysans, ces manœuvres qui ont permis par leur travail acharné de faire fructifier le patrimoine seynois. Leur vie a été très dure en un temps où les journées de travail atteignaient parfois douze et même quinze heures, où le repos hebdomadaire n'existait pas, où les maladies endémiques faisaient des ravages dans une population terrifiée au moment des grandes épidémies de peste, de choléra, de variole...

La Seyne, devenue depuis une grande ville de 60.000 habitants, est partie de là. N'est-ce pas à la limite des quartiers Beaussier et Cavaillon que le 22 avril 1658 fut mise en place la première administration municipale de La Seyne, dans la Chapelle des Pénitents blancs sise sur l'emplacement actuel du centre médico-scolaire, place Séverine ?

À travers cet historique du quartier Beaussier, nous essaierons de reconstituer aussi fidèlement que possible les modes de vie, les coutumes de nos anciens, en précisant la venue au début du siècle des premières familles italiennes, en rappelant le souvenir des personnages attachants toujours présents à notre mémoire.

L'histoire n'est pas seulement celle des conquérants, des traités de paix, qui contiennent généralement les germes des guerres suivantes, c'est aussi et surtout celle des humbles qui ont produit les biens et les richesses à l'usage des hommes.

Revenons à notre point de départ en situant dans le temps et dans l'espace local et même national la famille Beaussier dont la célébrité a mérité la pérennité. C'est bien pourquoi les édiles du temps passé ont voulu que son nom soit attribué au quartier où elle vécut et à la rue première qui le traversait.

Le quartier Beaussier (cadastre de 1680)

 

Qui étaient les Beaussier ?

Beaussier ce fut le nom d'une famille illustre dont l'origine est six-fournaise, aux ramifications très nombreuses en Provence et bien au-delà.

Dans les documents d'archives des XIe et XIIe siècle, le nom des Beaussier apparaît souvent. Au XIIIe siècle, en 1235 précisément, il figure dans le cartulaire de la Chartreuse de Montrieux près de Méounes.

M. Baudoin nous précise dans ses ouvrages que la reine Jeanne de Naples, Comtesse de Provence leur attribua au XIVe siècle la Seigneurie de la Chaulane (à La Seyne) qu'il faut situer sur l'emplacement actuel du complexe scolaire et sportif de la Z.U.P. du quartier Berthe, donation faite à un Jean de Beaussier, lequel deviendra en 1501 Seigneur du Mourillon par les lettres patentes du roi Louis XII.

Au XVIIIe siècle, un François de Beaussier deviendra propriétaire de l'ensemble (Mourillon et La Chaulane). Jean de Nostre Dame (dit Michel Nostradamus), né à Saint-Rémy-de-Provence en 1503, affirme dans ses œuvres que les Beaussier ne cessèrent jamais de porter l'épée. Si le célèbre astrologue, disparu en 1566, avait pu prévoir dans son recueil de prédictions appelé Centuries tous les faits d'armes dont les Beaussier se sont rendus célèbres entre le XVIe et le XIXe siècle, il eut été conduit à leur consacrer un historique particulier.

Il serait bien difficile de le faire aujourd'hui même en disposant des moyens de la modernité, car les Beaussier ont essaimé dans la France entière ; leur éducation, leurs fonctions, leurs tribulations les conduisirent à des aventures extraordinaires.

Certaines branches de cette illustre famille ont disparu, en sorte que le sujet ne peut être traité de façon complète.

Cependant l'essentiel sera dit dans les lignes qui suivent.

Un Guillaume de Beaussier est aux Croisades au XIIIe siècle. Un Raymond de Beaussier, Comte de Provence, est enrôlé parmi les troupes de Du Guesclin et se bat pour défendre la Provence au XIVe siècle.

S'il y eut parmi eux beaucoup de marins et des militaires de l'armée de terre, on compta également des magistrats, des ecclésiastiques et des administrateurs de grand talent.

Par exemple, au XIIIe siècle, la communauté de Toulon est dirigée par Aycard de Beaussier et au XVIIIe siècle par un Emmanuel de Beaussier. Dans la même période, un Beaussier fut prévôt à la Collégiale d'Hyères.

La famille Beaussier compta une suite ininterrompue de 27 officiers de marine avec, au début, Jean de Beaussier Capitaine de la galère du Roi La Diane en 1520, jusqu'à Louis Emmanuel de Beaussier mort contre-amiral à Toulon en 1836.

Parmi ces valeureux officiers, on distingue cinq officiers généraux, dix capitaines de vaisseaux et 12 officiers de tous grades. Ils ont été au service de l'État pendant plus de sept siècles, ont participé à toutes les grandes batailles navales livrées par la flotte française sous le commandement des Duquesne, des d'Orvilliers, des d'Estrées, des Tourville. Ils commandèrent les plus beaux vaisseaux de la flotte française et nombre d'entre eux ont péri dans les combats, ou sont revenus mutilés et couverts de blessures. Tous se sont rendu célèbres par leur valeur militaire et la fidélité à leur patrie,

Faisons une mention spéciale pour deux d'entre eux dont la biographie qui suit a été extraite du Larousse du XIXe siècle. Et tout d'abord Beaussier de Lille (Louis Joseph), né à Toulon en 1700, mort en 1765. Il entra tout jeune dans la marine, il commanda la frégate La Subtile, il combattit les Anglais pendant de nombreuses années, devint capitaine de vaisseau en 1749, transporta Montcalm au Canada et s'empara des Îles sous le vent aux Antilles. Il fut nommé chef d'escadre en 1764. Autre célébrité : Louis André de Beaussier, neveu de Louis Joseph, il prit part au combat de Toulon en 1743 sous les ordres de La Bruyère de Court, doyen des lieutenants généraux des armées navales de Louis XV. Cette bataille navale opposa les Français aux Anglais venus bloquer une escadre espagnole hivernant dans la rade.

On trouve le même personnage dans une expédition fameuse aux îles de Lérins au large de Cannes.

Capitaine de La Sirène, il s'empare de plusieurs corsaires autour des îles Sainte-Marguerite et Saint-Honorat.

En 1758, il reçut le commandement de douze navires, combattit les Anglo-américains et les chassa de Saint-Domingue ; il fit la guerre d'Amérique et devint chef d'escadre ; il mourut en 1789.

N'oublions pas, après les exploits des marins, de dire quelques mots sur ceux des Beaussier, officiers de l'armée de terre qui se distinguèrent dans les régiments de Royal Picardie, de Normandie, dans les gardes du corps, les Mousquetaires.

Cette énumération de personnalités et de faits d'armes pourra paraître longue au lecteur. Et pourtant, il fallait bien rendre hommage à cette vieille famille de Six-Fours et de La Seyne qui compte un grand nombre de chevaliers de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis.

Les Beaussier ont eu leurs armes qui furent les mêmes que celles de Six-Fours : de gueules à une coquille d'argent ombrée de sable.

Ces armes figurent gravées sur un sceau de cire d'une charte de donation de 1208 (Archives Départementales des Bouches-du-Rhône).

Il est probable que les Beaussier de la région descendent des célèbres chevaliers connus déjà au XIIIe siècle. Beaucoup d'entre eux sont restés attachés au terroir provençal, ont cultivé des domaines d'importance diverse.

Monsieur Villedieu, commerçant seynois bien connu, nous a communiqué une étude généalogique le concernant et qui montre fort bien, l'existence dans le département du Var de nombreux descendants des Beaussier.

Monsieur Villedieu Georges est le fils de Marcel et d'Eugénie, née Beaussier et neveu d'Eugène Beaussier (1894-1972) qui fut secrétaire général de la Mairie de La Seyne pendant plusieurs décennies.

L'essentiel de cette étude incomplète, certes, remonte à 1648. Le 22 septembre de cette même année dans le village du Bausset (orthographe ancienne) François Beaussier épouse Marguerite Gueirard.

Le 21 juin 1694, Jean Beaussier, né de cette union, épouse Anne Banon, fille de feu Jean et de Catherine Décugis (du Castellet).

Le 25 mai 1727, à Toulon, Pierre Beaussier, fils de Jean et d'Anne Banon, épouse Madeleine Aubert, de Camps-la-Source.

Le 13 janvier 1761, à Toulon, Louis Beaussier, fils des précédents, épouse Geneviève Venel. Leur fils Louis Esprit Beaussier épouse Anne Euphrasie [ou Euphrosine ?] Bousquet [ou Bosq ?] de Toulon, le 20 novembre 1787. Il demeurait à La Seyne en 1789. Il fut l'un des ascendants de Georges Villedieu. Le 17 fructidor An V de la République, Jean Lazare Beaussier, fils des précédents, est né à La Seyne. Il épouse Reine Marie Hugues de La Garde.

De cette union naît à La Seyne, un fils, le 25 août 1826, nommé Louis Germain Beaussier, lequel épouse à La Seyne le 25 octobre 1854, Marie Émilie Audibert, originaire de La Seyne.

En secondes noces, il épousera quatre ans plus tard Eulalie Marie, de Digne le 21 avril 1858. De cette union naquit à La Seyne le 8 août 1861 un fils nommé Gabriel Charles Louis Beaussier, lequel épouse le 15 janvier 1887 à La Seyne Adèle Antoinette Joséphine Juré. De cette union naquirent à La Seyne : Marie Louise Gabrielle Beaussier (1887-1910), Eugène Ambroise Louis Beaussier (1894-1972), secrétaire général de la Mairie de La Seyne] et Eugénie Louise Adélaïde Beaussier (1901-1979), épouse (le 8 octobre 1928 à La Seyne) du boucher seynois Marcel Julien Emile Villedieu (1902-2002) et mère de Georges Gabriel Firmin Villedieu (1930-2017).

Cette recherche sur la filiation des Beaussier au seul plan varois est certainement incomplète, mais elle montre qu'une souche implantée au Beausset a donné des ramifications à Toulon, La Seyne, La Garde, Le Castellet, Camps-la-Source, Digne, etc...

Au moment où ces lignes sont écrites (1992) on trouve encore des Beaussier à Toulon, La Valette, Sainte-Maxime, Roquebrune-sur-Argens, Le Pradet, Évenos, Saint-Cyr-sur-Mer.

Examinons de plus près l'existence des Beaussier sur le terroir seynois. La consultation des livres terriers des XVIe et XVIIe siècles nous a révélé la présence de cette famille dans de nombreux quartiers : Pierre Beaussier à Cachou et à Touffany ; Vincent et André Beaussier à Lagoubran ; François Beaussier au Camp Laurent ; Charles Beaussier à Fabrégas ; Honoré Beaussier à Tortel, Antoine Beaussier au quartier Farlède, Urbain Beaussier au Crotton, Michel Beaussier à Touffany.

Dans les cadastres du XVIIe siècle, il est souvent question des hoirs Beaussier. Un Antoine Beaussier fut désigné en 1801 comme guetteur à la Vigie du Cap Sicié.

Cette énumération nous permet d'affirmer que les domaines originaux des Beaussier s'étendirent sur une partie importante de la communauté seynoise et au fil des siècles, des successions et des ventes, il ne reste plus rien des domaines primitifs.

Le nom de Beaussier lui-même a disparu de la population. Deux concessions au cimetière rappellent les derniers descendants de l'illustre famille : Charles Beaussier ; Alexandre Beaussier mort en 1942 ; Madeleine Beaussier décédée en 1943 ; Hyacinthe Beaussier mort en 1942, Gabriel Beaussier mort en 1919 et Eugène Beaussier, ancien secrétaire général de la Mairie de La Seyne mort en 1972, dont deux filles demeurent.

Avec la disparition de ce dernier, la famille Beaussier s'est presque éteinte à La Seyne.

Mais la preuve a été faite que pendant des siècles, cette famille a tenu une large place dans les communautés seynoise et six-fournaise, que ses nombreuses activités ont permis d'impulser la vie économique locale et donc de favoriser de meilleures conditions de vie pour l'ensemble de la population.

C'est pourquoi les édiles du temps passé ont eu raison de lui rendre hommage en appelant de son nom le quartier où elle vécut ainsi que la voie principale qui le traverse encore aujourd'hui suivant le tracé qu'elle avait déjà au XVIe siècle ; en observant toutefois qu'il eut été plus logique de dire et décrire : rue des Beaussier et quartier des Beaussier.

 

Du XVIe au XVIIIe siècle

Les plus anciens cadastres du XVIe siècle, avant même que La Seyne ne fut constituée en commune indépendante, nous apportent de grandes précisions sur l'étendue et les limites du quartier Beaussier. L'observation du plan de 1590 est très significative (voir croquis ci-joint).

Au Nord, les terrains de culture s'arrêtaient en bordure de la rue de l'Évêché (rue d'Alsace actuelle), laquelle descendait vers le rivage à quelques mètres du premier sanctuaire de 1603 qui précéda l'église actuelle.

À l'Est, les terrains attenants à la paroisse et à l'Hôtel de la Dîme (future École Martini), s'intégraient aussi dans le quartier Beaussier.

Au Sud, l'espace compris entre la rue Beaussier et la Chapelle des Pénitents blancs (place Séverine aujourd'hui) se rattachait également au quartier Beaussier.

Enfin à l'Ouest, la limite se situait au chemin des Baguiers (lauriers) (rue Émile Combes aujourd'hui) au-delà duquel toujours en direction de l'Ouest, commençait le quartier Tortel.

Cette étendue de 5 hectares environ constituait avec une vingtaine d'immeubles le hameau des Beaussier. Sa population n'atteignait même pas la centaine d'habitants. Rappelons qu'au début du XVIIe siècle, La Seyne n'en comptait guère plus d'un millier.

Les habitations construites de manière anarchique n'étaient reliées que par des sentiers à peine empierrés. Leur style primitif, sur lequel nous reviendrons, leur esthétique, ne soulevaient guère l'enthousiasme des promeneurs. Il faut bien dire que les règlements d'urbanisme n'avaient pas encore fait l'objet d'études très approfondies de la part des édiles six-fournais.

Entre les rares constructions, les cultures de fruitiers et de légumes occupaient la quasi-totalité des terrains fertilisés par les engrais humains et humidifiés par les infiltrations en provenance des collines de Domergue.

Les mûriers, les grenadiers, les câpriers, les lauriers-sauces, y poussaient à merveille. Les platanes offraient leur ombrage généreux à la saison caniculaire. Les orangers, les citronniers, les pêchers, les cerisiers, les figuiers faisaient l'objet des meilleurs soins de nos ancêtres.

Les premiers habitants du quartier surent tirer le meilleur parti de leurs lopins de terre en récoltant leur provision de pommes de terre et de légumes secs ; en pratiquant l'élevage des poules et des lapins.

Leurs maisons inégales de forme et de hauteur présentaient des toitures disparates de tuiles demi-rondes moussues, des fenêtres à volets pleins. Construites avec des matériaux pris sur place : lauvisses, grès, quartzites, elles ne s'élevaient guère au-dessus d'un étage. Les chambres au premier niveau étaient accessibles par un escalier avec rampe en maçonnerie, l'usage du fer forgé n'étant pas encore répandu.

Au rez-de-chaussée on y trouvait une grande cuisine avec cheminée basse où le feu de bois pétillait toute l'année. Nos anciens ne connurent à leur début que le bois comme combustible. C'est pourquoi le Chemin des Moulières était si fréquenté par les femmes et les vieillards qui s'en allaient récolter brindilles, pommes de pin et souches de bruyères dans la forêt de Janas, tandis que les hommes vigoureux travaillaient la terre, pratiquaient la pêche non loin des rivages, aidés par les enfants dont les écoles étaient inconnues pour la simple raison que l'enseignement n'existait pas encore pour le petit peuple.

La grande cuisine était généralement équipée d'un grand dressoir en bois qui supportait toutes sortes d'ustensiles : des assiettes, des marmites en terre cuite, des poêlons, des verres...

Les poutrelles du plafond étaient souvent vermoulues, les murs noirs de fumée et les carreaux rouges souillés par la fiente des poules qui n'hésitaient pas à franchir le pas de la porte pour venir réclamer leur pitance.

Des réduits attenant à l'habitation renfermaient l'outillage agricole, des engins de pêche et quelquefois aussi des outils de charpentier en bois. Dans cette période, la petite industrie des barques de pêche en était à ses premiers balbutiements.

La population de gagne-petit était composée de travailleurs journaliers de la terre, d'ouvriers, de ravageurs de la mer. Pendant longtemps, il n'y eut aucun personnage de haute lignée dans ce quartier Beaussier.

À partir de 1657, La Seyne ayant conquis son indépendance allait connaître quelques améliorations de la vie quotidienne. Ses habitants dégagés des contraintes administratives et économiques imposées par les seigneurs six-fournais, organisèrent des structures nouvelles propres à l'aménagement d'un confort meilleur. Ainsi la création d'un premier Hôtel de Ville, rue du Palais, d'un four à cuite le pain, rue de la Miséricorde, d'un moulin à huile non loin de là, l'érection de la paroisse en 1674 que jouxtait le cimetière ainsi que l'Hôtel de la Dîme qui sera désaffecté plus tard pour devenir la première école d'Enseignement public (École Martini). Rappelons l'existence de la Chapelle des Pénitents blancs édifiée en 1639 par une confrérie du même nom qui existait dans la commune de Six-Fours depuis 1566. Il fut indispensable de relier toutes ces structures par un réseau de voirie où les moellons remplacèrent la terre battue, ce qui nous conduit à décrire sommairement les voies de communication des XVIe et XVIIe siècles qui desservaient les habitants du quartier Beaussier et à conclure que leur tracé est demeuré le même pour l'essentiel malgré les trois siècles écoulés.

Voyons de plus près :

De la Placette (place Galilée aujourd'hui) on pouvait gagner la Chapelle des Pénitents blancs et une autre placette devenue place Séverine et donc le quartier Cavaillon par un sentier devenu la rue Robespierre dont la largeur a peu varié depuis puisqu'il est inaccessible aux autos dans sa partie inférieure.

De la Placette, on pouvait aussi accéder au chemin des Moulières (rue Jacques Laurent aujourd'hui) et à la Paroisse par un chemin en double équerre qui devint la rue Beaussier. Là encore, la largeur actuelle (celle de l'origine) autorisait la circulation des charrettes seulement.

Enfin, toujours en partant du même point central (la Placette) on pouvait accéder vers le Nord à la rue de l'Évêché (rue d'Alsace aujourd'hui) en empruntant une voie, aussi étroite que les autres, appelée par nos anciens le chemin des Baguiers, nom commun d'origine provençale que l'on donnait alors aux lauriers-sauces. Ces végétaux, fréquemment utilisés pour la cuisine avaient trouvé dans les sols fertiles du quartier Beaussier les meilleurs éléments nécessaires à leur prolifération. Ce chemin des Baguiers d'où se détachait en direction de l'Ouest un sentier le reliant au quartier Tortel prit aussi le nom de Beaussier, prolongement du premier tronçon du même nom.

En somme cette venelle reliait, après bien des contours, le chemin des Moulières à la rue de l'Évêché (rue d'Alsace). Après des siècles d'usage, le chemin des Baguiers fut le seul à être élargi, opération rendue nécessaire par la création des structures sociales des XIXe et XXe, sur lesquelles nous reviendrons plus loin.

Pendant longtemps, les Seynois du centre ville vinrent cueillir des brins de lauriers à l'endroit précis où se trouve l'entrée de la crèche municipale, pour s'en aller par la rue du Miséréré (rue d'Alsace aujourd'hui) le faire bénir à l'église.

Ce fut dans ce cadre agreste et paisible du quartier Beaussier qu'une centaine de Seynois et de Seynoises vécurent pendant deux siècles entre le chemin des Baguiers et la route des Moulières se nourrissant des produits de leurs lopins de terre, buvant l'eau des puits qu'ils avaient creusés, rapinant tout ce qu'ils pouvaient de comestibles dans les campagnes, les bois environnants ou sur les rivages poissonneux.

La petite construction navale occupait bien quelques charpentiers de marine, calfats et lesteurs, mais la vie économique avait bien du mal à prendre son essor, le premier port de La Sagno (place Martel Esprit) ne pouvant recevoir que de petites embarcations), le réseau des voies de communication de l'arrière-pays étant presque inexistant.

La Seyne végétait. Sa population chiffrée à mille habitants en 1631, atteindra bien 5 600, mais deux siècles plus tard. Il faudra attendre la construction navale en fer avec les Chantiers Mathieu nés en 1835 pour que la ville affirme sa vitalité et son essor.

Devant la difficulté à trouver des emplois, certains de nos ancêtres ouvriers du quartier Beaussier n'hésitaient pas à travailler à l'Arsenal de Toulon qui existait depuis 1680, auquel ils accédaient à pied en attendant la création de moyens de transport leur évitant des fatigues excessives.

Signalons tout de même l'existence avant 1789, de quelques ateliers de poterie exploités par les artisans du pays : Jean-Honoré Giraud et Vincent-Joseph Girard. Il ne reste plus de traces des tours et des bassins de cette industrie artisanale qui disparut au début du XIXe siècle.

 

Les grands changements du XIXe siècle

En 1833, le Roi Louis-Philippe répondant favorablement aux réformes proposées par le ministre Guizot, fit approuver par son gouvernement une loi relative à l'enseignement public que l'on doit considérer comme une action très positive même si, dans ses principes, elle ne réglait pas les problèmes d'obligation, de gratuité, de laïcité.

Elle ordonnait aux communes de plus de 6.000 habitants l'ouverture d'une école primaire et d'une école primaire supérieure.

Dans sa séance du 5 juillet 1833, le Conseil municipal présidé par M. Berny, boulanger de son état, décidait l'application de la loi Guizot.

Il fallut donc installer cette école quelque part sur le territoire communal en zone agglomérée de préférence. La municipalité ne disposait pas de crédits suffisants pour le faire. C'est pourquoi elle eut recours aux structures religieuses qui se dégradaient au fil des années, surtout depuis la Révolution de 1789.

Cette première école d'Enseignement public fut installée dans l'Hôtel de la Dîme (ancien Hôtel des Finances, dont nous avons mentionné la présence à proximité de l'église à la limite du quartier Cavaillon). Ses débuts furent très difficiles ; son fonctionnement contrecarré par les initiatives religieuses du moment qui voyaient en elle une concurrente possible. Il existait alors la congrégation des Filles de la Charité (extrémité ouest de la rue d'Alsace), les Pénitents blancs, les Pénitents gris, les Capucins du quartier Tortel. L'Histoire de l'École Martini a montré comment la IIIe République aida l'Enseignement public à s'imposer face à la coalisation de tous les ordres religieux contre l'école laïque, école ouverte à tous les enfants du peuple.

Pourquoi soulever ici les problèmes de l'Enseignement ? Tout simplement parce que sous la direction de MM. Martini et Berny, cette petite école publique reçut les petits enfants du quartier Beaussier, des enfants qui s'exprimaient encore en langue provençale comme leurs grands-parents et leurs parents.

Cette école ne porta pas tout de suite le nom de son directeur, on l'appela d'abord École de la Dîme, puis École des Monsieurs car on y enseignait le Français, langue officielle que la bourgeoisie réussit à imposer par rapport à la langue d'Oc parlée surtout par la classe populaire. Après des siècles d'ignorance, les habitants de Beaussier virent enfin leurs enfants accéder au savoir, non sans peine car l'Enseignement clérical s'évertuait à faire disparaître son rival l'Enseignement public.

Pendant longtemps, jusqu'à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les établissements d'enseignement religieux (Filles de la Charité avec les Trinitaires, Institution Sainte-Marie de 1849, Externat Saint-Joseph de 1852, Couvent de la Présentation de 1858...) menèrent une lutte implacable contre l'Enseignement officiel surtout quand les lois sur la laïcité entrèrent en vigueur.

L'Institution Sainte-Marie fondée en 1849, prit une extension considérable grâce à l'appui de Napoléon III. Réservé aux fils de la bourgeoisie seynoise et varoise, son enseignement était payant. Les enfants miséreux du quartier Beaussier n'y avaient point accès et quand les collégiens passaient à proximité dans leur uniforme bleu-marine aux boutons rutilants, les quolibets, les injures fusaient de part et d'autre : les fils de la bourgeoisie cherchant à affirmer leur supériorité intellectuelle, les loqueteux relevant le défi en chantant des chansons gaillardes que tous les vieux Seynois ont encore en mémoire...

Le domaine des Maristes qui succéda au Couvent des Capucins occupa d'abord deux hectares de bois et jardins puis s'étendit jusqu'à plus de quatre hectares à la fin du XIXe siècle sur une large portion du quartier Tortel séparé du quartier Beaussier par le chemin des Baguiers. Les architectes, au moment de l'aménagement des locaux de l'Institution Sainte-Marie, en profitèrent pour élargir quelque peu cette voie, qui devint carrossable pour les véhicules à chevaux.

Si les établissements Maristes apportèrent des changements certains aux confins du vieux quartier Beaussier, une institution nouvelle des plus inattendues fit son apparition en 1872 qui fut à l'origine d'une véritable transfiguration. Il s'agit de l'arrivée à La Seyne, dans cette période, de la Compagnie des Filles de la Charité de Saint-Vincent de Paul (province de Marseille), qu'on appela aussi Congrégation, laquelle fut autorisée par le décret du 8 novembre 1808.

Ces religieuses répondirent à l'initiative d'Amable Lagane, Directeur de la Société des Forges et Chantiers de la Méditerranée, ingénieur de grande valeur, qui impulsa la construction navale à La Seyne de manière spectaculaire, Il est indispensable de rappeler que dans la seconde moitié du XIXe siècle, nos chantiers s'étaient affirmés supérieurs aux autres dans la France entière. La vulgarisation de la machine à vapeur, l'invention de l'hélice, l'utilisation du courant électrique, autant de progrès dont la politique expansionniste des gouvernants de l'époque allait tirer profit. Toutes sortes de navires commandés par la Marine nationale et les compagnies de navigation marseillaises sortaient de nos chantiers dont les effectifs atteignirent plusieurs milliers d'ouvriers, de manœuvres, de techniciens, d'ingénieurs. Or les conditions de sécurité du travail étaient bien précaires à l'époque ; aussi les accidents étaient-ils fréquents et l'infirmerie regorgeait d'accidentés, sans parler des morts dont la proportion demeura très élevée jusqu'au milieu du XXe siècle.

Les syndicats ouvriers avaient créé une mutuelle de secours que le Patronat redoutait parce qu'il voyait en elle un moyen puissant pour les travailleurs de poser leurs revendications avec force.

Alors, le Patronat avait organisé une autre mutuelle dirigée par des hommes à sa dévotion chargés de s'opposer aux syndicalistes et de drainer le maximum d'adhérents en leur offrant de meilleurs avantages (cotisations plus faibles, meilleurs soins, etc...).

La mutuelle du Patronat put le faire à partir du moment où les religieuses prodiguèrent des soins gratuits aux malades.

Quand Monsieur Lagane prit l'initiative de faire venir à La Seyne la Congrégation des Filles de la Charité, il avait bien l'intention d'assurer les meilleurs soins aux travailleurs accidentés mais il avait aussi en vue le moyen de tenir en respect le mouvement mutualiste des syndicalistes.

Sans doute aussi sa vive intelligence, mise au service de sa foi chrétienne, lui fit découvrir qu'à La Seyne le progrès des idéaux révolutionnaires prenait des proportions inquiétantes, qu'il fallait renforcer les structures religieuses et c'est pourquoi il s'attacha à faciliter l'installation des Filles de la Charité dans le quartier Beaussier, ce qui nous amène à retracer l'histoire de cette Congrégation qui dura presque un siècle à La Seyne.

 

L'orphelinat Saint-Vincent de Paul

Dès leur arrivée à La Seyne, les Religieuses de Saint-Vincent de Paul, se préoccupèrent d'acquérir des propriétés. Ce fut essentiellement au quartier Beaussier qu'elles s'installèrent : d'abord dans de vieux immeubles tout à côté de la place Galilée (siège de l'O.M.A.S.E. dont nous parlerons plus loin), puis elles firent construire un immense bâtiment à usage de dortoir, de réfectoire, de salles de classe... De nombreuses dépendances, des resserres virent le jour par la suite et même une chapelle. Les acquisitions se situent aux années 1872, 1875, 1889, 1927... Les vendeurs étaient tous des habitants du quartier Beaussier : les Montet-Martini, Martin, Brémond, Gavarry, Millou, Revest, dont on retrouve quelques descendants aujourd'hui.

La vente du 10 septembre 1875 fut autorisée par décret du Président de la République, le Maréchal Mac Mahon en date à Versailles du 28 juillet 1875.

Le grand bâtiment à usage de cuisine et dortoir reçut jusqu'à cinquante fillettes. L'ensemble des terrains attenant représentait une superficie de 888 m2.

Indépendamment des soins que les Religieuses donnaient aux ouvriers accidentés des Chantiers navals, d'autres problèmes se posèrent à leur attention quand elles découvrirent l'immensité des misères à secourir au sein d'une population dont les conditions de vie étaient parfois révoltantes avec des salaires de famine, des moyens insuffisants de lutte contre la maladie, l'inconfort, le manque d'hygiène.

Avant l'arrivée des Sœurs de Saint-Vincent de Paul, il existait bien à La Seyne l'ordre des Trinitaires chargées du fonctionnement de l'Hôpital ou plus exactement de l'Hôtel-Dieu de la rue Clément Daniel, encore debout aujourd'hui. Depuis la fondation de cet établissement du XVIIe siècle, des vieillards impotents, des malades y trouvaient refuge ; une partie des locaux fut même destinée au fonctionnement d'une garderie d'enfants et aussi d'une école de filles dans le but de préparer certaines d'entre elles à la relève du personnel trinitaire.

Mais les tâches s'alourdissaient au fil des années et par surcroît les religieuses entrèrent en conflit avec les institutrices laïques désignées pour cette école de filles. L'Hôtel-Dieu dans les années 1904-1905 fut supplanté par l'Hôpital actuel du quartier Peyron. Les quelques Trinitaires encore en fonction exercèrent alors leur mission à l'École Sainte-Thérèse (rue d'Alsace) qui demeura une école privée depuis ce temps-là.

Les Religieuses de Saint-Vincent de Paul, bien logées, admirablement équipées pour travailler, allaient déployer au quartier Beaussier des activités débordantes pour venir en aide à la population et en priorité aux Seynois les plus miséreux.

Elles donnaient des soins à domicile, mais recevaient aussi des malades dont le traitement nécessitait des piqûres ou des pansements - un ouvroir accueillait des jeunes filles désireuses d'apprendre la couture - un patronage du jeudi fonctionna aussi pendant plusieurs années.

On les voyait toujours affairées ces bonnes sœurs dont les robes bleues traînaient presque à terre, avec leur immense cornette blanche vibrante aux assauts d'un violent mistral.

Quand leur action sanitaire auprès des ouvriers de nos chantiers navals ne se posa plus avec la même urgence, après la création d'une ambulance gérée par l'entreprise, leur souci majeur fut d'instruire les orphelines dans la perspective d'en voir entrer quelques-unes en religion.

L'enseignement général prenait des heures de français, de calcul, d'histoire et de géographie. Mais l'essentiel de l'emploi du temps était consacré au catéchisme, aux problèmes de la foi : exercices de piété, offices, prières. Les horaires n'étaient pas toujours respectés car obligation était faite aux jeunes filles d'assister aux enterrements pour les familles qui souhaitaient leur présence, en espérant que l'âme du défunt aurait plus facilement accès à la vie éternelle.

On faisait alors précéder le cortège par les orphelines en colonne par deux sous la conduite dune bonne sœur qui, de son côté, se réjouissait à la pensée que la trésorerie de l'orphelinat pourrait bénéficier de la générosité des familles endeuillées.

C'était un spectacle bien affligeant que de voir ces fillettes en robe grise ou noire associées si souvent au malheur des autres. Elles défilaient en marmonnant des prières précédées par le prêtre qui récitait aussi les siennes, en s'efforçant de ne pas se laisser distraire par les enfants de chœur en robe rouge et dont la conduite n'était pas toujours exemplaire.

Cette institution des Filles de la Charité dura presque un siècle. Nous verrons dans une période plus proche de l'actualité ce que sont devenues ces structures du passé, mais avant de terminer cette partie de l'historique du quartier Beaussier, il n'est pas inutile de rappeler le nom dé quelques religieuses dont la population seynoise a gardé des souvenirs émouvants et reconnaissants. Rappelons Sœur Marthe (Adélaïde Louis), très dévouée pour les pauvres, décédée à La Seyne en 1958, Sœur Saint-Vincent décédée à La Seyne en 1926. Ces deux religieuses sont inhumées dans le caveau des Filles de la Charité au cimetière de La Seyne (allée Sud).

Enfin, Sœur Marguerite qui s'occupait de l'ouvroir et dont nous savons qu'elle est décédée dans une maison de retraite de Château l'Évêque en Dordogne.

L'ensemble imposant des constructions de l'orphelinat tranchait nettement avec les habitations vétustes dont il était séparé par la rue Beaussier en forme de double équerre qui débouchait sur la Placette (place Galilée). De là se détachait une venelle assurant une liaison directe avec le chemin des Baguiers (rue Émile Combes) en passant sous un portique en maçonnerie reliant deux immeubles construits sans doute pour renforcer leurs assises.

Avant d'accéder au portique, on empruntait une esplanade presque entourée d'immeubles appelée par les gens du quartier Cour des miracles.

Pourquoi cette appellation qui rappelle celle de Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris ?

Tout simplement parce que les pauvres hères de passage dans le quartier y trouvaient un coin à l'abri du vent et du bon soleil pour reprendre des forces ; comme il y avait une épicerie, seul commerce, assez bien achalandé d'ailleurs, desservant tout le quartier, les indigents de passage espéraient bénéficier de la générosité de quelque client charitable.

L'aspect de ces vieilles maisons aux toitures disparates n'a pas varié beaucoup malgré les outrages du temps et des réfections périodiques sommaires.

Ne revenons pas sur les structures intérieures qui ont reçu quelques améliorations avec l'usage de l'eau courante seulement au début du siècle, l'eau des fontaines d'abord et le quartier en compta deux : l'une au point de rencontre des rues Beaussier et Robespierre ; l'autre au point le plus élevé de cette dernière avant d'atteindre le chemin des Moulières.

Les progrès relatifs à l'éclairage public furent très lents. Dans les années de l'après-guerre (1915-1918) le quartier Beaussier connut comme tous les autres l'éclairage électrique, mais vingt ans auparavant on en était encore à l'éclairage au gaz de houille et nos grands-mères nées au milieu du XIXe siècle se souvenaient des lampes à huile suspendues au milieu des artères principales de la ville. Elles nous rappelaient aussi le passage du veilleur de nuit, préposé municipal qui parcourait les rues et criait bien fort : " Il est minuit ! Il est deux heures ! ". L'éclairage électrique dans les habitations se vulgarisa dans les années 1920-1925 mais les plus anciens du quartier Beaussier, soupçonneux de quelque danger possible, continuèrent pendant plusieurs années à se servir des lampes à pétrole ou de la lampe Pigeon, du nom de son inventeur.

Nos grands-mères aimaient aussi rappeler comment les gens étaient vêtus et cela nous amusait beaucoup.

- " Moi ! Je portais le casaquin, disait Louise Martinenq, ce qui n'était autre qu'un corsage décoré de fleurs ou d'arabesques végétales - dans le quartier, toutes les femmes portaient une jupe simple ou cotillon piqué et pour vaquer à leurs occupations ménagères, elles avaient un jupon de dessous et naturellement un tablier qu'on appelait à l'époque lou faudiou.

- Et si nous parlions des pantalons à volants serrés au-dessous du genou et fendus où vous devinez ? disait Madeleine.

- Hortense rajoutait : nos robes touchaient à terre et nous ne montrions même pas nos chevilles aux hommes.

- Et vos chapeaux comment étaient-ils grand-mère ?

- La coiffe (couifo a canoun) était la plus utilisée, ou alors on portait des chapeaux de paille ou de feutre fixés au chignon par une énorme épingle à cheveux ".

Dans le quartier Beaussier, on vit apparaître dans une certaine période des dames distinguées avec de grands chapeaux décorés de plumes d'autruche ou de fruits artificiels qui venaient en réception au Château Bory dont nous allons parler.

Et les hommes ? Comment étaient-ils habillés ?

Les travailleurs du quartier Beaussier portaient veste courte, gilet, tayolle (grande bande entourant le corps souvent de couleur rouge). Sur la tête un chapeau rond ciré ou casquette. Les pêcheurs portèrent longtemps le bonnet catalan et plus tard la casquette haute.

Les mieux nantis parmi les hommes portaient de grands chapeaux de feutres avec galon de velours. Tout cela a bien changé. On était loin d'imaginer que les femmes auraient un jour les cheveux coupés et les robes souvent très, très au-dessus des genoux !

Revenons quelques instants sur le Château Bory, magnifique construction quadrangulaire, de trois étages qui apparut dans le quartier vers la fin du XIXe siècle, que les vieux habitants appelaient Lou Castéou, tant il offrait de luxe et de confort et en comparaison avec les vieilles habitations qui menaçaient ruines pour la plupart.

 

Lou Casteou Bory

Dans cette période de notre histoire locale, on parlait aussi du Château de Lagoubran, de celui de la Chaulane, de la Rouve. Ces constructions n'avaient rien de commun avec celles du Moyen Age ou de la Renaissance ; leurs silhouettes étaient simples, très peu enjolivées.

Celui de Beaussier portait le nom de son propriétaire, un cuisinier parti pour l'Indochine après que la France en eut fait la conquête en 1885. M. Bory avait su faire fructifier son travail suffisamment pour envisager de se retirer à La Seyne et se hisser au rang de la petite bourgeoisie.

Son frère Jean Bory fut tué pendant la guerre de 1914-1918. Sa fille Lucie devint Madame Bret qui eut six enfants : Henri, Huguette, Stéphane, Arlette, Éliane, Jean.

[Au recensement de 1906, on retrouve ainsi place Beaussier : Bory Emile, né en 1845 à Levet (Cher ?), chef de maison, rentier ; Bory Justine, née en 1850 à Erce (Ariège ?), épouse s.p. ; Bory Lucie, née en 1883 à Erce, fille, s.p. ; Bret Henry, né en 1905 à La Seyne, petit-fils].

Cette famille vivait dans une aisance apparente. Pour la première fois au début du siècle retentirent au quartier Beaussier les gammes montantes et descendantes d'un piano, signe distinctif d'un certain rang social à cette époque. Les Bret recevaient des amis de loin en loin et ces jours-là, le menu peuple du quartier se rassemblait par petits groupes discrètement pour voir passer des robes à traîne, des voilettes et des gibus, entendre quelques échos du festin qui alimentaient par la suite les commentaires ironiques ou même venimeux des commères du quartier.

La vie dans cette propriété était agrémentée par un jardin, planté en vignes, fruitiers en espaliers, coupé d'allées fleuries à merveille.

Propriété Bory - Vue du quartier Tortel

Le Château Bory

Bien après la guerre, la famille Bret se dispersa ; la propriété fut vendue à Monsieur Constant, horticulteur de son état, qui en prit grand soin et la fit fructifier de toutes les manières à partir de 1928. Elle produisait son vin, ses légumes arrosés par une noria curieusement adaptée au-dessus d'un puits ovale inépuisable. Une longue rangée de cyprès alignés suivant l'axe Nord-Sud protégeait efficacement toutes les plantations contre la violence du mistral. Les visiteurs de la propriété étaient toujours ravis devant l'orangerie, les allées bordées de violettes dont les journalières du quartier tiraient des bouquets superbes vendus sur le marché et qui répandaient des parfums d'une subtilité incomparable.

Au fond du jardin, des auges à porcs assuraient aux propriétaires les provisions de charcuterie pour l'année entière. L'odeur de la gent porcine contrastait singulièrement avec celle des violettes, mais on s'en accommodait très bien en espérant les arômes de la bonne charcuterie appétissante.

Et l'exploitation paisible de cette riche propriété Bory devenue Bret se poursuivit pendant trente années avec l'aide d'un horticulteur de talent, M. Jouvhomme. Hélas ! le sort de cette magnifique propriété fut bien contrarié en 1958 quand la ville expropria plusieurs familles pour la construction du Lycée polyvalent : les Constant, les Taddeï, les Valentin, les Silvy... dont les terres s'étendaient jusqu'aux confins du quartier Tortel. Comme nous l'allons voir, la vie si paisible de Beaussier allait être profondément perturbée, mais il nous faut maintenant remonter au début du siècle où des changements importants dans la composition sociale du quartier, provoquèrent quelque effervescence, du moins passagère, avec l'arrivée massive des émigrés ultramontains.

 

Les Italiens

Vers la fin du XIXe siècle, un phénomène social d'une importance capitale se produisit à La Seyne et dans toute la région provençale qui allait modifier quelque peu les rapports de convivialité entre les gens.

L'immigration italienne s'était manifestée modérément vers les années 1835-1855 avec la naissance de la construction navale en fer des chantiers Mathieu et la création de la Société dite Forges et Chantiers de la Méditerranée.

Elle se limitait à quelques dizaines d'individualités car les familles ne vinrent que plus tard.

Rappelons que Michel Pacha, dont nous avons parlé longuement dans le Tome II de notre ouvrage, avait fait venir d'Italie quatre cents maçons, terrassiers, manœuvres pour l'aménagement de la Corniche de Tamaris dans les années 1884-1885.

La construction navale dans cette période prenant une extension considérable, le patronat fit appel à la main d'œuvre étrangère et ce fut par centaines que des familles italiennes malheureuses s'expatrièrent et vinrent chercher refuge sur notre sol généreux.

Les premières occupèrent des taudis au quartier des Mouissèques, puis les suivants s'installèrent dans la basse ville, celle où l'on trouve aujourd'hui beaucoup de Nord-Africains.

Les travailleurs italiens, dans l'immédiat avaient élu domicile le plus près possible des Chantiers mais par la suite, ils habitèrent la ville et les campagnes environnantes d'où ils surent tirer de précieuses ressources. Et le quartier Beaussier à cette époque c'était encore la campagne et les Italiens courageux au travail, âpres au gain, après avoir battu les cornières et gratté la rouille des coques de navires, n'hésitaient pas à retourner la terre et l'ensemencer.

Au quartier Beaussier, aux immeubles vétustes et inconfortables, les Italiens trouvèrent à se loger à des prix tout de même accessibles à leurs maigres salaires.

Les anciennes familles autochtones, aux noms bien provençaux comme les Lambert, Millou, Gay, Légier, Guigou, Valentin, Martinenq, Dumont, Bourguignon, Audiffren, Revest, et bien d'autres, devraient cohabiter avec les Magliotto, Venturino, Guisiano, Banti, Moriconi, Filippi, Infantino, Garaudi, Bartoli, Bépé dit Bruscola... Aux dires de nos anciens, il y eut dans un premier temps quelques réticences pour les aborigènes à se lier avec des étrangers aux manières de vivre et au langage bien différents.

Les immigrés italiens étaient pour la plupart misérables et les Seynois du quartier Beaussier n'étaient pas mieux lotis dans leurs conditions d'existence. Aussi rapidement la méfiance fit place à la cordialité, à la solidarité.

On s'entendait de toutes les façons possibles. L'un rentrait de la mer avec un excédent de moules ou de poissons, il était bien rare qu'il n'en fit pas profiter ses voisins. On partageait aussi les champignons trouvés à Janas car en ces temps heureux, il y en avait beaucoup. Les terres généreuses de Beaussier produisaient des câpriers extrêmement prolifiques ce qui donnait l'occasion à leurs propriétaires d'offrir de petits pots à leurs amis. Quand le charpentier de marine Venturino appelé familièrement Teillou (son vrai prénom étant Lothaire) avait terminé la fabrication d'un bateau de pêche, travail qu'il faisait à la perfection, il n'avait pas à quémander de la main d'œuvre pour effectuer la mise à l'eau vers la Caisse. Le chariot tiré à bras était suivi depuis les jardins de Beaussier par une joyeuse cohorte d'hommes et d'enfants qui allaient assister au lancement du bateau pavoisé pour la circonstance et le propriétaire promettait des bouillabaisses à la troupe en délire.

 

La vie quotidienne au début du siècle

La population du quartier Beaussier composée dans cette période d'ouvriers, de cultivateurs, de pêcheurs, de quelques artisans connut pendant longtemps une vie plutôt monotone.

On se levait tôt, les ouvriers surtout. Ceux des Chantiers Navals commençaient leur journée à 6 heures. Certains d'entre eux avant de partir avaient la délicatesse d'aller à la fontaine faire le plein des récipients ménagers pour éviter à leur femme des fatigues excessives.

On voyait souvent des travailleurs faire leur toilette à la fontaine pour éviter d'encombrer la cuisine où chacun venait se laver à tour de rôle.

Les hommes partis au travail : les uns au Chantier (les mange-fer comme on les appelait) ; d'autres à la campagne ; les enfants rentrés à l'école, les femmes s'affairaient dans leurs petits appartements à ranger les lits, à préparer les repas, à faire la lessive, que sais-je encore ! On trouvait bien le temps malgré toutes les tâches de l'intérieur de tailler des bavettes sur le pas des portes ou autour de la fontaine en lavant la toupine.

Certaines familles nombreuses marquèrent particulièrement la vie du quartier : les Martinenq, les Magliotto par exemple. Le fils aîné de ces derniers, surnommé le Grand Titou, d'une taille hors du commun, était considéré comme la vedette du quartier dans sa jeunesse par ses espiègleries et ses turbulences. De bonne heure, il consacra son temps aux activités de la mer avec une certaine propension pour le métier, si l'on peut dire, de ravageur. Il récoltait beaucoup de moules sauvages, celles qui poussaient sous les coques des vieux bateaux et des chalands désaffectés ; des moules énormes dont on pouvait compter quatre unités au kilo. Que de fois, le Grand Titou échappa à la poursuite des chaloupes de la Marine nationale. Chacun se plaisait à raconter qu'arrivant un jour à l'appontement, il n'hésita pas à pousser à l'eau le garde-pêche venu lui chercher des noises.

Quand les menaces pesaient trop sur son comportement, il disparaissait pour aller exercer ses activités ailleurs, mais toujours au bord de la mer. Ce colosse reconnaissable de loin à sa peau noircie par le soleil, à son tricot de marin, blanc rayé de bleu, était devenu gardien d'un superbe yacht appelé le Tourbillon, propriété d'un Comte demeurant à Cavalaire mais souvent absent. Titou menait alors une belle vie de dilettante en compagnie d'un beau chien qui, à lui seul, exerçait une garde vigilante du superbe navire.

Quand on parlait des Magliotto, à La Seyne, c'était le Grand Titou qui revenait souvent dans les conversations à cause de ses exploits, de son bégaiement dont il n'avait jamais pu se corriger et surtout de sa belle stature imposante qui évoquait une plante vigoureuse et vivace.

Le nom des Magliotto était respecté, non seulement parce qu'ils étaient, hommes et femmes, des travailleurs courageux mais aussi à cause d'un deuil cruel qui les frappa en 1918 avec la mort de leur fils Joseph. Comme toutes les autres familles endeuillées, ils souffrirent beaucoup mais ce qui ajouta à leur douleur atroce c'est que la mort avait frappé leur fils, artilleur, maréchal des logis, en octobre 1918, mais que la terrible nouvelle ne leur parvint que le matin du 11 novembre 1918, jour de l'armistice tant attendu. Quand les cloches de l'église toute proche sonnèrent l'arrêt des combats, l'aînée des filles s'effondra de désespoir. Ayons aussi une pensée émue pour les combattants qui moururent après l'armistice, les ordres ayant subi, de-ci, de-là, quelques retards. [cf. le texte publié en annexe : Historique de la famille Ducher-Magliotto-Tosello, selon les souvenirs de Bernard Etienne Régis Ducher].

Pauline Magliotto
(1891-1970)
Joseph Magliotto
(1892-1918)
Joséphine Magliotto
(1885-1949)
Le maréchal des logis Joseph Magliotto, tué le 8 octobre 1918, et ses deux sœurs

La destinée a de ces cruautés auxquelles hélas, les humains ne peuvent rien changer malgré leurs lamentations.

À travers les âges, le quartier Beaussier ne connut pas beaucoup d'activités commerciales. Face à la Cour des miracles, une modeste épicerie offrait à sa clientèle des articles très divers mais avant tout ceux de l'alimentation courante. À la rue des Baguiers pendant longtemps s'était établi un toscan marchand de bois et charbons qui offrit plus tard du pétrole dont on usait beaucoup avant la venue de la fée électricité.

La boulangerie la plus proche se trouvait au point de rencontre de la rue de la Miséricorde (rue d'Alsace) et de la rue Jacques Laurent (chemin des Moulières).

À cet endroit, se trouve toujours une boulangerie qui fut tenue longtemps par la famille Gay, laquelle faisait état de l'existence d'un four remanié, créé au XVIIe siècle, au moment où La Seyne conquit son autonomie.

Si les commerçants sédentaires étaient rares, par contre les marchands ambulants et les petits artisans apportaient sur la Placette une animation chaleureuse faite d'appels bruyants, de cris lancés par le réïmoulou (rémouleur), l'estama (étameur), le tondeur de chiens, le vitrier, le raccommodeur de parapluies, de faïences et de porcelaine, et autres petits métiers de la rue disparus aujourd'hui.

L'épicier du quartier n'appréciait pas du tout la visite de celui qu'on appelait le planteur de caïffa, représentant une marque de café d'une qualité paraît-il supérieure.

C'était un petit bonhomme qui poussait devant lui un coffre volumineux posé sur quatre roues, contenant les objets les plus hétéroclites : les paquets de café, les tablettes de chocolat voisinaient avec des bougies, des bobines de fil et des aiguilles. Et de cet ensemble que les clients appelaient familièrement capharnaüm se dégageaient des odeurs de fromage et de morue séchée.

Les gens dont les fins de mois s'annonçaient toujours difficiles faisaient marquer les dépenses sur un calepin que le vendeur tenait à jour rigoureusement, pour les encaisser à la fin de la quinzaine ou du mois.

De loin en loin la Placette recevait des marchands d'étoffe qui proposaient le plus souvent des bleus de travail en provenance de Castres. D'autres commerçants originaires de l'Auvergne apportaient des couteaux, des hachoirs, des serpettes ou autres instruments tranchants.

Des Italiens désireux de compléter leurs maigres salaires vendaient des plantes médicinales en provenance de leur pays d'origine : le pippermint des montagnes, la camomille du Piémont pour faciliter les digestions laborieuses.

Naturellement tous ces visiteurs et leurs appels bien particuliers attiraient toujours les curieux sur la Placette.

Des attroupements se formaient et les commères en mal de potins et de cancans donnaient libre cours à leur avidité de nouvelles à sensations.

C'était aussi sur cette place caillouteuse que les enfants venaient jouer à la marelle, à la bordufle (toupie), aux billes ou au bilboquet, même les jours de mistral qui soulevaient des nuages de poussière.

À la belle saison, le banc de pierre accolé à la maison des Magliotto n'était jamais inoccupé. Il était presque devenu la propriété de Finoun, la grand-mère Martinenq qui s'y endormait chaque jour d'un profond sommeil. Les anciens venaient y conter leurs difficultés quotidiennes car ils avaient beaucoup de maux et peu de joies à partager.

Familles Martinenq et Magliotto, sur la Placette Beaussier, vers 1898.

On pense pouvoir identifier : (1) Étienne Magliotto (1889-?) ; (2) Finoun Martinenq, née Sabbatier (1836-1908) ; (3) Joséphine Magliotto (1885-1949), mère de Marie-Rose Ducher (née Tosello) (1911-1999) ; (4) Baptistin (le Grand Titou), aîné des frères Magliotto (1886-1968) ; (5) Arrière-grand-mère de Marie-Rose Ducher ; (6) Louise Lajolo (1862-1938), épouse de Scipion Magliotto (1858-1939) et grand-mère de Marie-Rose Ducher.

Le soir on sortait des chaises devant les portes, les adultes les occupaient souvent à califourchon et les bavardages allaient bon train. On devisait sur les vicissitudes du temps et elles ne manquaient pas avec l'inconfort de la vie quotidienne, les menaces du chômage, les guerres qui se préparaient, les épidémies qui firent encore des ravages dans les années 1919-1920.

À la saison d'hiver, les veillées se prolongeaient devant les feux de bois des cheminées basses où se réchauffaient le toupin des infusions et les briques que l'on glissait dans les draps pour résister au froid glacial des chambres.

Pendant que les enfants faisaient leurs devoirs du soir à la lueur blafarde de la lampe à pétrole, les mamans repassaient de gros vêtements et reprisaient des chaussettes.

Les papas lisaient leur journal en silence pour ne pas déranger les écoliers. Certains d'entre eux roulaient des cigarettes avec le tabac le plus courant appelée Caporal ordinaire.

Les grands-mères tiraient de temps en temps de la poche profonde de leur tablier noir moucheté de points blancs, la tabatière à couvercle ouvragé d'où elles puisaient des pincées d'un tabac impalpable qu'elles poussaient du doigt dans leurs narines. Un tabac à odeur forte qu'elles humaient avec un plaisir non dissimulé et qui leur procurait des sensations agréables. Cela tout en dissertant des événements quotidiens.

C'était une forme de drogue disparue de nos jours mais remplacée par d'autres hélas ! beaucoup plus nocives.

Le samedi soir différait quelque peu des autres jours de la semaine parce qu'on jouait aux cartes ou au loto. Les gagnants alimentaient une cagnotte qui permettait de loin en loin d'organiser un petit festin familial.

Dans les après-midi du dimanche, la Placette s'animait de quelques parties de pétanque. Les amateurs du quartier n'osaient pas fréquenter les cracks comme Macaron ou le Bouc qui régnaient sur la place des Esplageoles.

Ils s'amusaient tout de même ces braves gens et les parties terminées, on s'en allait dans la remise la plus proche boire le pastis à l'eau de vie et parfumé à l'anis de la contrebande.

Ces jours-là apparaissaient dans le quartier quelques personnages hauts en couleur que nous avons cités dans nos écrits précédents : l'Anchoye, Pierre la chique, Jérôme, le Manchot... On commentait leurs exploits. L'un avait failli se faire pincer par la police pour avoir organisé une loterie clandestine, l'autre n'avait pas su échapper à la vigilance du garde champêtre alors qu'il posait des pièges sous les oliviers au quartier des Quatre Moulins au passage des grives et des rouges-gorges.

De tous ces citoyens un tantinet marginaux, ce fut probablement l'Anchoye qui laissa les souvenirs les plus attachants.

Pendant longtemps, on le vit déambuler dans les rues de la ville à la recherche timide d'un petit boulot. Il vivait de mendicité et les vieux éprouvaient généralement une grande compassion pour lui.

Souvent, il lui arrivait de passer chez des amis, vers la fin du repas sachant pertinemment qu'il pourrait bénéficier de quelques rogatons.

Le Grand Titou se plaisait à conter qu'il trouva l'Anchoye dans sa cuisine un matin d'hiver, alors que dans la cheminée basse se mouraient les derniers tisons. La porte n'étant pas verrouillée, notre homme n'avait pas hésité à s'installer devant les bûches alors que tout le monde dormait dans la maison.

- Que fas, l'Anchoye ?
- Et bè, pardi mi caufi ! fasié troou freg défora
- As ben fà. Vouas un pau de café ?
- Segu que lou préni !

(En ce temps-là, les Seynois s'exprimaient généralement en langue provençale).

N'est-ce pas là un exemple frappant de la convivialité que connurent nos anciens dans ce vieux quartier Beaussier ? L'anchoye recherchait la compagnie de Jérôme car il savait ce dernier généreux. Tous deux avaient la voix cassée et pour cause ! On les aurait cru souffrant d'une laryngite permanente. Souvent on les voyait déambuler pour faire la tournée des bistrots. Ils avaient toujours soif, la soif étant pour eux un état normal, une soif qu'ils n'apaisaient jamais avec de l'eau.

Presque chaque jour, la grand-mère Mathieu de la famille Martinenq, dont l'époux exploitait de son mieux les richesses de la petite mer (Baie du Lazaret) faisait le tour du quartier pour vendre les produits de la Pêche.

Pour quelques sous, elle offrait une livre de gobis roux dont les gens se régalaient d'une soupe excellente agrémentée de quelques favouilles ou d'une friture non moins succulente.

Mais le plus gros de sa vente c'étaient les coquillages qui abondaient alors dans les mates et les herbiers de la petite mer : moules noires, moules rouges, praires, clovisses... Elle ne s'encombrait pas d'une balance et déposait au bas des fenêtres, dans une assiette le contenu d'un grand bol rempli des coquillages commandés la veille. Même si le client était absent, elle laissait tout de même la marchandise et le jour suivant, elle trouvait l'argent dans une soucoupe ou un morceau de journal plié.

Comme les manipulations se faisaient sur le plat des fenêtres en rez-de-chaussée, vous pourriez croire à la tentation de quelque malandrin. Et bien ! Non. Aucun garnement ne touchait ni à l'argent ni à la marchandise.

C'était bien là une preuve évidente de la confiance réciproque des gens qui existait en ce temps-là.

Est-il besoin d'ajouter qu'il ne serait guère possible de faire aujourd'hui les mêmes constatations ?

Les Giraud, les Valentin, les Gay, les Milou, les Revest, les Fournier, les Légier étaient parmi les meilleurs clients de grand-mère Mathieu. La plupart des habitants du quartier étaient des amateurs de coquillages. M. Escolle, employé aux Chantiers navals, et la famille Taddeï passaient parfois des commandes exceptionnelles pour le dimanche.

Grand-mère Mathieu s'entendait fort bien avec des familles d'origine italienne : les Guidi, les Filippi, les Guisiano ; avec la Rosa et la Fisca des femmes d'une propreté exemplaire qui tenaient leur environnement impeccable et balayaient même les trottoirs du quartier. Elle était toujours de bonne humeur malgré les grands malheurs qui l'avaient frappée. Sa sœur Louise Pisany au cœur si généreux l'aida beaucoup à supporter ses infortunes.

Au cours de sa tournée pour la vente des coquillages, elle se tenait au courant des potins du quartier, qu'elle rapportait à ses filles Joséphine et Fernande.

Elle voyait souvent sur le banc de la place Galilée une aveugle, une personne très honorable, très cultivée appelée Madame Dol pour qui chacun avait une grande compassion en raison de son infirmité.

En rentrant à la maison grand-mère Mathieu appela un jour ses filles et leur dit :

- Elle m'en a raconté une bien bonne, Madame Dol.
- Et bè, dis nous vite ce qu'elle a dit.
- Voilà ! Sa voisine lui a fait des confidences, vous savez la veuve qui cherche à se remarier depuis longtemps
- Oh ! Sûr, comme on la comprend !
- Madame Dol lui a dit : " Ne vous tourmentez pas, prenez patience ! " et la veuve répondit.
- Oui, mais qui sait si Patience me voudra !

Vous parlez du fou rire qui éclata dans la maison

Grand-mère Mathieu que l'on appelait familièrement Madeleine rencontrait souvent Yvonne Garaudi, une brave fille défavorisée par la nature, car elle était naine. Elle avait pour elle des paroles toujours attendrissantes comme elle en avait aussi pour Pardini, un nain à l'humeur plutôt bougonne, que l'on vit distribuer des prospectus pendant longtemps pour la propagande des cinémas. Par contre, elle redoutait un certain Marin qui se disait poète et compositeur en faisant des chansons moqueuses daubant sur les uns et les autres avec parfois de grandes maladresses, ce qui ne manqua pas de lui attirer des ennuis.

Un autre personnage fut la risée du quartier en raison de sa taille bien minuscule, Madame Fournier, que l'on brocardait chaque fois qu'elle allait remplir sa cruche à la fontaine car celle-ci à bout de bras touchait à terre. Ce qui l'obligeait à la soulever avec ses deux mains au niveau de son abdomen pour la transporter.

Cette jeune femme courtaude à l'excès trouva tout de même à se marier. Le jour de ses noces, l'officier de l'état civil, au moment de la lecture de l'acte de mariage, lui dit " Mademoiselle ! Levez-vous ! ".

Ne pouvant exécuter l'ordre, la petite fiancée répondit le plus naturellement : " Mais Monsieur, je suis droite ". Sa tête dépassait à peine la table. On devine le fou rire qui s'en suivit dans l'assistance.

D'un mari boiteux, elle eut deux garçons d'une taille hors du commun, ce qui ajouta aux quolibets dont elle fut victime toute sa vie durant.

Des moqueries allant jusqu'aux sarcasmes dont ses enfants ne l'épargnaient guère.

Elle ne pouvait jamais les rattraper quand ils s'enfuyaient après leurs espiègleries. Comble de l'ironie ses fils la qualifiaient alors de " Pitchoune frumette que s'es maridade émé un goï " (*).

(*) Petite femme qui s'est mariée avec un boiteux.

Voilà donc des personnages qui ont animé la vie du quartier Beaussier pendant la génération qui débuta le XXe siècle. Le mode de vie des habitants n'avait guère évolué depuis la naissance de l'agglomération première. Quelques structures à caractère social étaient nées pendant le XIXe siècle avec la création de l'École de la Dîme (devenue par la suite l'École Martini), l'Institution Sainte-Marie, réservée seulement à une élite de la petite bourgeoisie, l'Orphelinat Saint-Vincent de Paul qui apporta de précieux secours à la population.

Entre 1900 et 1920, les conditions matérielles de la vie des gens reçurent un commencement d'amélioration avec une desserte d'eau courante aux fontaines et beaucoup plus rarement dans les immeubles.

L'éclairage électrique fit son apparition. Vers 1925, les réverbères à gaz disparurent, mais hélas, les toupines de la place Galilée continuèrent de jouer leur rôle, lequel se poursuivra pendant plus de trente ans.

Pendant fort longtemps l'atmosphère tranquille du quartier ne fut pas troublée par des événements saillants. Le peuplement du quartier se faisait avec une extrême lenteur.

Depuis leur arrivée à La Seyne-sur-Mer en 1872, les Filles de la Charité de Saint-Vincent de Paul firent l'acquisition de terrains qui furent incorporés au patrimoine original, en particulier les immeubles appartenant à Madame Veuve Montet Martini. La dernière acquisition fut celle d'un terrain et d'une maison donnant rue de Beaussier à la date du 11 août 1927.

Tous les biens acquis par la Compagnie des Filles de la Charité furent incorporés dans le patrimoine de l'établissement au sein duquel l'orphelinat a été l'œuvre principale.

Les enfants apprenaient à travailler à l'ouvroir. S'il fut au début réservé seulement aux orphelines, on l'ouvrit par la suite à des externes.

Les sœurs travaillèrent également à diverses œuvres : visites et soins aux malades pauvres - catéchisme - patronages - Enfants de Marie...

En 1947, une école fut ouverte dont une sœur assura la direction. Devant les difficultés de gestion et malgré tout le dévouement des Filles de la Charité, l'orphelinat ferma ses portes en 1963.

Sur la recommandation de Monseigneur Barthes, évêque de Toulon une partie des locaux fut alors transformée en maison d'accueil pour des groupes de jeunes gens.

Il n'y avait plus que trois religieuses qui continuaient à donner des soins aux malades.

En 1968, les locaux n'étant plus occupés suffisamment, une partie des immeubles fut vendue à la Mairie de La Seyne qui installa une école maternelle. À partir de cette date, les Sœurs occupèrent deux petites maisons rue Beaussier où un centre de soins fut maintenu. Le 28 septembre 1974, elles se retirèrent de La Seyne.

 

L'orphelinat devient propriété communale

Par la suite, toute la propriété Saint-Vincent de Paul acquise par les Filles de la Charité fut vendue à la ville de La Seyne le 21 juin 1976 par devant Jacqueline Dauplay, notaire associé de la Société civile professionnelle et Jean-Louis Blanchardon, notaires associés.

La Supérieure Jeanne Théron représentait l'établissement des Filles de la Charité de Saint-Vincent de Paul de La Seyne.

La ville de La Seyne était représentée par Monsieur Étienne Jouvenceau, Adjoint au Maire.

Ont été indiquées précédemment le nom de toutes les familles du quartier Beaussier qui avaient vendu aux religieuses des parcelles de terrain aux religieuses.

Cette acquisition par la ville se fit au prix principal de 365.000 francs. Ce fut pour la Municipalité une opération magnifique si l'on sait les multiples utilisations dont elle sut tirer parti sous l'impulsion du maire de l'époque : Philippe Giovannini.

L'embryon d'école existant, création des Religieuses, fut restauré et agrandi. Avec 5 classes, on put faire fonctionner une école maternelle. Le grand bâtiment utilisé comme dortoir, fut mis à la disposition d'une multitude d'associations locales à caractère culturel ou socio-éducatif, heureuses de trouver enfin un lieu de réunion convenable. Le bâtiment principal du rez-de-chaussée doté d'une cuisine fut transformé en restaurant pour les personnes âgées. La chapelle désaffectée en tant que structure religieuse, servit de salle d'expositions. Jeunes et anciens venaient en ces lieux chaque jour et donnaient au quartier Beaussier une activité jusqu'alors inconnue.

Dès lors, il n'était plus possible d'appeler cet ensemble de constructions Orphelinat. La municipalité de l'époque le désigna sous l'appellation de Centre Culturel Jacques Laurent, du nom d'un célèbre résistant seynois au coup d'état de Napoléon III, déporté en 1851.

Nous reviendrons sur l'utilisation des bâtiments qui a bien changé depuis leur acquisition par la ville. Mais il nous faut revenir en arrière pour montrer que des mutations profondes dans le quartier l'ont marqué dans d'autres secteurs.

Au Nord et en bordure de la rue d'Alsace se trouvait depuis la fin du XIXe siècle une école maternelle qui était essentiellement une garderie appelée l'Asile, utilisée après le terrible bombardement du 29 avril 1944 comme Hôtel de Ville, la Mairie du port ayant été mise hors d'usage après sa destruction par les Allemands.

Quand l'Hôtel de Ville fut reconstruit sur le même emplacement que celui de 1847, les locaux de la rue d'Alsace devinrent disponibles, mais il n'était guère pensable qu'une véritable maternelle puisse y fonctionner avec une entrée par la rue étroite que l'on connaît.

Alors, la Municipalité dirigée par Toussaint Merle entreprit une double opération : créer une crèche municipale au quartier Beaussier et tout à côté, en utilisant les locaux améliorés de l'ancienne maternelle dont l'entrée se ferait par la rue Émile Combes, l'installation des locaux de la Protection Maternelle et Infantile (P.M.I.). Ces projets magnifiques se heurtèrent à des difficultés accumulées par les adversaires de la Municipalité d'alors.

Nous étions dans les années 1958-59 avec l'arrivée au pouvoir du Général De Gaulle. Ses partisans seynois, fanatisés par leur victoire au fameux référendum de 1958, firent tout pour chasser Toussaint Merle de la Municipalité ; ils ameutèrent contre elle, les propriétaires de terrain indispensables à la création de la crèche, les incitant à ne pas faire des opérations à l'amiable obligeant la Municipalité à des expropriations de terrains, pour la plupart incultes.

Toutes ces querelles venaient de gens qui ne voulaient pas connaître l'intérêt général, ni celui de l'enfance qui avait passablement souffert de la guerre.

Les projets furent retardés, mais aboutirent tout de même malgré l'obstruction, la méchanceté, la mauvaise foi. Ajoutons que dans cette même période, la construction du Lycée classique moderne et technique se heurta aux mêmes difficultés soulevées par des politiciens de bas étage.

Et pourtant, après les années meurtrières que connurent La Seyne et sa population, c'est dans l'union de toutes les bonnes volontés que le redressement aurait dû s'opérer. Quand la ville eut pansé ses blessures, que l'industrie navale redevint florissante, la population augmenta sensiblement. Elle avait doublé par rapport au début du siècle et voisinait 35.000 âmes vers 1960. N'était-il pas urgent de lui donner les équipements nécessaires à caractère social, scolaire, sportif, culturel ? Ne fallait-il pas trouver des terrains indispensables au logement des gens, à la construction des structures administratives ?

Après les grandes réalisations de 1948 et 1950, avec la création de l'office municipal H.L.M. et du Centre Médico-Social, ce fut la naissance de la première crèche municipale du Département du Var et du premier service de la Protection Maternelle et Infantile (P.M.I.).

Faisons mieux connaissance avec ces nouvelles institutions d'après la guerre que les Seynois accueillirent avec une grande satisfaction.

 

La Crèche municipale

Elle fut construite en 1959 en bordure de la rue Émile Combes, à main gauche en remontant vers la place Galilée. Le quartier Beaussier vieillissant vit naître en son giron un établissement remarquable, le premier dans ce genre pour le Département du Var, répétons-le ; une structure soucieuse de la protection de l'enfance, avenir de notre cité meurtrie.

" L'information municipale " rendit compte en ces termes de cette belle réalisation de la Municipalité présidée par Toussaint Merle :

" Depuis le 15 septembre dernier, la crèche municipale a ouvert ses portes. Ses petits pensionnaires sont heureux d'avoir trouvé un cadre bien à eux.

Munie de tous les aménagements modernes, dotée d'un personnel qualifié et dévoué, cette réalisation répond en tous points à ce qu'attendent les mamans qui lui confient leurs enfants.

Bien des difficultés ont retardé ce projet, mais aujourd'hui La Seyne peut s'enorgueillir d'être la première ville à avoir sa crèche. Elle accueille les enfants de la naissance à trois ans.

Ainsi nous avons voulu, en premier lieu, aider les mamans travailleuses à qui la venue d'un enfant malgré la joie qu'elle apporte, crée parfois beaucoup de soucis. Faire garder un bébé pose souvent des problèmes insolubles : on n'a pas toujours un parent à qui le confier et c'est souvent le travail qu'il faut abandonner.

La crèche accueille aussi les petits qu'un logement trop exigu prive d'air, de soleil et de tout l'espace dont il a besoin.

À la crèche, bébé sera en sécurité. Amené dès 7 heures, il pourra être repris à 19 heures et cela pour un prix calculé suivant les ressources de la famille.

Mais la crèche n'est pas seulement un avantage appréciable pour les parents ; elle a une action bienfaisante sur l'enfant, son comportement, son appétit, son sommeil.

En effet, le bébé a la place nécessaire pour s'ébattre : salle de jeux, jardin, distractions conçues pour son âge, son habileté, son goût.

Le passage à la crèche prépare l'enfant à la vie collective atténuant chez lui les instincts égoïstes quand, élevé tout seul, son horizon se borne à sa seule personne.

De plus, il est suivi régulièrement. Deux fois par semaine, le médecin spécialiste, attaché à l'établissement, le visite. Les symptômes de maladie, de déficience, sont décelés rapidement et des mesures prises aussitôt pour les enrayer.

Un personnel spécialisé : auxiliaires de puériculture animées par la Directrice, puéricultrice d'État, s'occupent avec amour des enfants, les entourant de leur bienveillante sollicitude.

Chaque enfant fait l'objet de soins particuliers suivant son tempérament, son caractère : apprendre à marcher, se nourrir, s'amuser, en un mot tout ce qui fait la vie de ce petit monde.

Déjà, les enfants qui fréquentent la crèche, se sont attachées à son cadre, aux personnes qui les gardent et les amusent. Ils se sont familiarisés avec une vie toute nouvelle et y ont pris goût.

Les pleurs des premiers jours ont fait place au sourire quand, le seuil franchi apparaissent le toboggan, les ballons, les animaux en peluche.

C'est plutôt en partant le soir, que la larme risque de couler, quand il s'agit de laisser le beau cheval sur lequel on se balance ou le camion en bois qu'on actionne avec les pieds.

Nous pouvons dire aussi que des résultats tangibles ont déjà marqué nos efforts : des enfants nerveux et capricieux ont trouvé, avec la vie simple et bien organisée, un équilibre qui leur a redonné appétit, sommeil et poids.

Quelle meilleure confirmation du bien-fondé d'une telle œuvre, et quelle meilleure conclusion pourrions-nous apporter ?

En ajoutant à cette réalisation, d'autres déjà nombreuses, la Municipalité prouve une fois de plus le caractère humain de sa gestion, sa volonté de créer, sans cesse pour le bien être de sa population ".

La crèche municipale
La Crèche Municipale, un endroit où les enfants sont heureux d'y vivre

La protection maternelle et infantile

Ce fut à partir de 1945 que fut instituée en France la base législative de l'organisation technique, administrative et financière de la P.M.I. François Billoux, alors Ministre de la Santé, fut chargé de la mise en place de cette loi nouvelle dont les mesures allaient permettre aux travailleurs et à leur famille d'accéder plus largement aux soins médicaux, tandis que les prestations familiales contribuaient à encourager la natalité.

La P.M.I. se traduisait par une surveillance médicale préventive de caractère obligatoire, une surveillance médico-sociale avec visite à domicile, un contrôle des établissements concourant à la garde, au placement ou à la protection des enfants, etc...

À La Seyne, les structures destinées à l'application des lois de la P.M.I. furent mises en place au quartier Berthe mais aussi au quartier Beaussier dans les locaux de l'ancienne maternelle, ouverts non pas du côté de la ville, mais face à la crèche. Pour la desservir correctement, on créa une voie nouvelle appelée rue Calmette et Guérin, noms de médecins célèbres particulièrement attachés à la lutte contre la tuberculose. Une équipe pluridisciplinaire aborde dans l'établissement tous les problèmes d'ordre médical, psychologique, social, matériel et juridique. Les consultations prénatales et de nourrissons, ou celles relatives au conseil familial et conjugal, sont très suivies par une population de plus en plus compréhensive.

L'élargissement de la rue Émile Combes fut nécessaire pour faciliter l'accès à ces deux établissements : crèche et P.M.I. - un parking a complété l'ensemble des modifications apportées dans cette partie Nord du quartier Beaussier. La rue Calmette et Guérin se termine en cul-de-sac ; mais il n'est pas interdit de penser à son prolongement vers la rue d'Alsace.

N'anticipons pas, mais laissons tout de même prévoir que l'espace compris entre la rue d'Alsace et la rue Beaussier où subsistent quelques lopins de terre et des constructions vétustes sera sans nul doute transformé à plus ou moins brève échéance.

Depuis 1960, année d'ouverture des locaux à caractère social comme la crèche et la P.M.I., le quartier Beaussier a connu une grande activité dans sa zone nord avec les va-et-vient incessants de la population, et la protection à donner aux enfants sous des formes multiples.

Le rôle social joué par le quartier Beaussier est donc considérable et les institutions nouvelles se sont en quelque sorte substituées aux œuvres des Filles de la Charité de Saint-Vincent de Paul dont l'établissement ferma ses portes en 1963.

 

Le Lycée Beaussier

Dans cette même période, la Municipalité mena une bataille sévère pour que la ville de La Seyne puisse offrir à ses enfants les moyens de s'instruire dans les meilleures conditions possibles. Des écoles primaires naquirent dans les quartiers, mais il manquait à la jeunesse de grands établissements modernes pour l'Enseignement du second degré. La vieille École Martini de nos aïeux avait atteint un tel point de délabrement, qu'il fallait absolument faire du neuf. Enfin, après plusieurs années de suppliques, de protestations en direction des gouvernements de l'époque, la ville de La Seyne fut informée de la décision du ministère de l'Éducation Nationale de construire un lycée classique et moderne. La correspondance datait du 6 novembre 1956.

Il fallut quatre années de formalités pour l'acquisition des 28.159 m2 de terrains nécessaires. Des procédures d'expropriation retardèrent la construction de l'établissement appelé au début Lycée polyvalent.

Les adversaires de la Municipalité s'efforcèrent de saboter la réalisation du projet au mépris des intérêts de la jeunesse seynoise qu'il fallait absolument défendre en lui donnant les meilleures conditions pour la poursuite de ses études. Sur les neuf propriétaires concernés pour l'acquisition nécessaire, deux seulement acceptèrent un accord à l'amiable avec la Municipalité, en sorte que le projet fut retardé. La justice et le bon droit finirent par triompher des manœuvres dilatoires d'individus sans scrupule.

La question des terrains fut tout de même résolue et quand il fallut passer à la réalisation complète du projet, d'autres difficultés surgirent, un conflit entre la ville de La Seyne et l'État qui dura presque deux années et dont les conséquences furent déplorables pour la population seynoise, la jeunesse en particulier.

Dans un compte-rendu de mandat, Toussaint Merle expliqua avec clarté les manœuvres du ministère de l'Éducation Nationale qui affirmait dans un premier temps vouloir construire un Lycée nationalisé et non pas un collège communal. Le projet devait se réaliser en trois tranches de travaux.

La première terminée, l'État se tourna vers la commune pour lui dire de financer les travaux car, décision avait été prise de construire finalement un établissement communal.

La ville s'inclina mais au moment de réaliser les autres tranches de travaux, l'État dit en substance aux élus seynois : " Payez ! Si vous voulez que le lycée fonctionne ". Voilà comment la ville eut à subir des charges très lourdes alors qu'à l'origine, il était entendu qu'elle n'aurait rien à débourser.

À ce conflit État-Municipalité s'en ajoutèrent d'autres. Des différends éclatèrent entre les ordres d'enseignement. L'enseignement moderne et L'enseignement technique rivalisaient depuis longtemps. Ce dernier ne voulait plus être traité en parent pauvre et la Municipalité ayant bien conscience qu'il fallait de plus en plus d'ouvriers qualifiés et de techniciens pour satisfaire les besoins de l'Arsenal maritime et de la construction navale seynoise soutenait vivement les demandes du Technique.

Elle désirait que le lycée qui s'achevait vers 1960 soit réservé seulement à l'Enseignement moderne et classique et intervint donc auprès du Ministère concerné pour construire un lycée technique nettement séparé du premier.

Le nouveau proviseur de l'établissement souhaitait, et c'était son intérêt, avoir le contrôle de tous les ordres d'enseignement. Pour des raisons d'ordre économique, l'État ne voulut pas d'un lycée technique indépendant.

La capacité d'accueil de l'établissement neuf étant tout de même limitée, il fallut rajouter au pied de la construction principale des préfabriqués pour les ateliers, ce dont l'esthétique de l'ensemble souffrit beaucoup. Tous ces éléments disparaîtront dix ans plus tard avec la construction tant attendue du lycée technique Langevin au quartier Farlède.

La cohabitation de trois ordres d'enseignement n'était pas particulièrement souhaitable.

Les élèves avaient quitté la vieille École Martini, encombrée de constructions provisoires, inconfortables avec des effectifs pléthoriques, se retrouvaient dans des locaux neufs, c'est vrai, mais le problème des effectifs demeurait entier.

Autre difficulté qui surgit au moment de la naissance de ce Lycée qu'on appela polyvalent en attendant de lui donner un nom propre, évocateur d'une personnalité de haut rang (Nous en parlerons plus loin).

Cette difficulté émanait de la grande réforme de l'enseignement qui créa dans cette période les Cycles d'observation et les Collèges d'Enseignement secondaire (C.E.S.). Pour alléger le fonctionnement du Lycée, décision fut prise de séparer toutes les classes de 5e et de 6e moderne et classique et de les regrouper à l'École Curie, occupée partiellement par une bonne quinzaine de classes primaires.

Ces dernières furent dispersées vers différents secteurs du centre ville dans des locaux préfabriqués et des écoles nouvelles rapidement édifiées.

On devine après toutes ces mutations les situations confuses dont le personnel enseignant et les élèves ont pu souffrir pendant plusieurs années.

Souvenons-nous aussi des situations conflictuelles au moment de l'ouverture de l'Établissement.

Le Ministère n'osa même pas organiser une inauguration officielle. La commune n'ayant pas le droit de baptiser une école du 2e degré, l'appellation demeura incertaine pendant plusieurs années.

Le Lycée polyvalent devint Lycée classique, moderne et technique, puis l'usage voulut qu'on le désignât par le nom du quartier d'implantation. Cette solution fit l'unanimité car il se trouvait que le nom de ce quartier était celui dune famille illustre ; ce qui nous ramène au point de départ de notre ouvrage : Qui étaient les Beaussier ?

L'existence du Lycée Beaussier a bouleversé complètement la vie paisible du quartier d'autrefois, ce qui nous amène à dire quelques mots sur l'organisation interne, sur la jeunesse estudiantine qui le fréquente, qui traverse sa ruelle principale plusieurs fois par jour. Quel contraste avec la vie d'autrefois !

L'ensemble de l'Institution qui fait presque face à l'établissement Mariste comprend trois bâtiments. Le premier, tout en longueur comporte quatre étages où se trouvent les salles de classe, les salles spécialisées, la salle des professeurs, le foyer socio-éducatif, la direction et la conciergerie. Dans le second, proche de l'Institution Sainte-Marie, sont regroupés le réfectoire et la cuisine, tandis que le troisième reçoit des logements de fonctions aux confins du quartier Tortel, au nombre de neuf.

Le Lycée Beaussier joue depuis trente ans déjà un rôle considérable dans la vie seynoise. À ses débuts, il reçut 1.306 élèves pour le 2e cycle, 531 élèves pour le Lycée d'Enseignement Professionnel (L.E.P.), 54 élèves pour le B.T.S. de secrétariat trilingue.

Aujourd'hui, tous ces chiffres sont dépassés. L'effectif global atteint 2.500 élèves dont 1.200 seynois ; les autres viennent surtout des villages et villes varois : 440 de Six-Fours - 173 de Sanary - 89 du Beausset &endash; 77 de Bandol - 67 d'Ollioules... Ces statistiques remontent à deux ans seulement.

L'enseignement dispensé à cette jeunesse estudiantine est fort diversifié : préparation au baccalauréat avec toutes les options scientifiques, économiques, techniques, littéraires et le choix entre 8 langues. Préparation au Brevet de technicien supérieur (B.T.S.) et au secrétariat trilingue.

Des organismes annexes contribuent à faciliter ces préparations comme le C.D.I. (Centre de documentation et d'information), le C.I.O. (Centre d'information et d'orientation).

Indépendamment des structures de travail, nos jeunes peuvent trouver également au lycée un restaurant spacieux, des activités de loisirs et de la détente, des installations sportives, des structures à caractère artistique. La cour de l'établissement est utilisée pour les cours d'éducation physique, ainsi que le stade municipal tout proche.

Voilà, brièvement résumé, l'historique de cet établissement du second degré qui rend des services considérables à la jeunesse seynoise en lui préparant les meilleures conditions de son avenir.

On imagine sans peine les bouleversements survenus dans la quiétude de ce quartier Beaussier autrefois si paisible.

Les centaines de vélomoteurs, de motos, de voitures pour lesquels il fallut bien aménager des parkings pétaradent à longueur de journée dans les ruelles Beaussier, Émile Combes, Robespierre. Les vieilles pierres de la place Galilée regrettent sans nul doute les temps heureux de la vie paisible exempte des turbulences d'une jeunesse qu'il faut parfois freiner dans ses comportements excessifs : graffitis ridicules sur les façades des immeubles, vociférations d'éléments perturbateurs.

Ce qui fait dire aux vieillards qui connurent le temps où rien ne venait rider l'atmosphère du quartier, où l'on pouvait s'asseoir tranquillement devant sa porte : Mais où est donc la quiétude d'antan ?

Disons pour conclure que depuis 1960 les lourdes charges que représente l'administration du Lycée Beaussier ont été assumées successivement par MM. Bertrand, Ferry, Moulin, Meckler et Maugeais qui ont apporté le meilleur d'eux-mêmes, en accord avec les administrations concernées : Éducation Nationale, Jeunesse et Sports, Municipalité, dont les efforts conjugués ont permis, depuis trente ans déjà, de donner à la jeunesse seynoise et des environs, des moyens efficaces de s'instruire pour préparer son avenir.

Le Lycée Beaussier est actuellement la structure d'enseignement la plus importante de notre ville avec 150 professeurs, une dizaine de surveillants et un effectif d'une vingtaine de personnes pour le personnel administratif.

Depuis le début de l'année scolaire 1991-1992, Madame Noëlle Riou assume la charge de proviseur de l'établissement.

En 1971, une autre structure éducative est apparue dans le quartier Beaussier, avec la naissance d'une école maternelle.

Le Lycée Beaussier
Les ateliers préfabriqués de Beaussier sont devenus le Lycée technique Langevin en 1970

L'école maternelle Anatole France

Nous avons expliqué précédemment que les religieuses de l'Orphelinat Saint-Vincent de Paul avaient fait construire face au bâtiment principal un embryon d'école à deux classes pour instruire les orphelines dont elles avaient la charge.

Quand la Municipalité fit l'acquisition de l'ensemble des bâtiments de l'orphelinat, elle s'empressa d'utiliser les deux classes existantes et de les rénover. Elle comprit tout l'intérêt que l'on pouvait en tirer surtout par une possibilité d'extension.

En 1971, trois classes de petits enfants furent ouvertes et l'année suivante de nouveaux aménagements permirent le fonctionnement de cinq classes.

En 1973, l'école recevait 203 élèves en provenance essentiellement du centre ville, ce qui combla d'aise de nombreuses familles obligées par le passé de conduire leurs enfants dans des maternelles situées généralement à la périphérie du centre ville.

L'effectif de cette école se maintient. Les petits enfants sont heureux d'y prendre leurs repas dans un beau réfectoire aménagé au fond de la cour et du jardin très ombragés à la saison chaude ; repas préparé au restaurant scolaire de la nouvelle École Martini à quelques mètres de la rue Jacques Laurent.

Aux heures d'entrée et de sortie, les mamans et les papas accompagnent ou ramènent leur progéniture, et ces mouvements se produisant quatre fois par jour, il s'ensuit un supplément d'animation qui s'ajoute à ceux du lycée, de l'École de musique, de la crèche, de l'O.M.A.S.E., de l'Association Sports et Loisirs du Var, de la P.M.I...

À partir de 1974, le quartier connut d'autres activités bénéfiques avec la création de l'O.M.A.S.E.

 

L'O.M.A.S.E. (Office Municipal de l'Action Socio-Éducative)

L'Office Municipal de l'Action Socio-Éducative est un organisme qui s'intéresse particulièrement à l'enfance et à la jeunesse. Il groupe des associations (foyers de jeunes, associations de quartier, amicales) ayant pour but l'éducation et les loisirs de l'enfance et de la jeunesse.

Il peut en susciter dans les milieux sociaux où le besoin s'en fait sentir. Il assure la formation des éducateurs, des moniteurs, des animateurs, des surveillants de baignade, des secouristes, dont les centres de vacances et de loisirs ont besoin. De plus, il aide également des mouvements de formation existant depuis longtemps comme les Francs et Franches camarades (F.F.C.) et les Centres d'Entraînement aux Méthodes d'Éducation Active (C.E.M.E.A.).

À son origine, l'O.M.A.S.E. groupait 21 associations intéressées par l'action socio-éducative. Citons quelques exemples : le centre de loisirs du foyer Toussaint Merle au quartier Vignelongue, le centre social et culturel du quartier Berthe, l'Amicale seynoise des adolescents, l'Association de loisirs et de vacances pour les jeunes (26 rue Beaussier), les Associations de parents d'élèves, le cinéma socio-éducatif seynois (rue Beaussier), le club vidéo seynois (rue Beaussier), la Caisse des Écoles de la ville et bien d'autres.

Par la suite, le nombre des associations adhérentes à l'O.M.A.S.E. prit des proportions si importantes qu'il lui fallut trouver d'autres locaux que ceux de la rue Beaussier qui faisaient partie de la propriété des Sœurs de Saint-Vincent de Paul.

À partir de cette date, il fut possible à la Municipalité d'y accueillir les structures de l'O.M.A.S.E.

Il est vrai que les activités de l'Office ont rayonné sur l'ensemble des quartiers de la commune, mais il fallait souligner le fait que le point de départ en a été le quartier Beaussier.

Il fallait dire aussi que les activités multiples à caractère socio-éducatif ont contribué à l'accroissement de la vie et du mouvement dans ce vieux coin de la ville, embryon de notre belle cité d'aujourd'hui, sorti d'un sommeil de plusieurs siècles.

Et ce n'est pas tout ! Depuis quelques années, c'est encore le quartier Beaussier qui a reçu les élèves de l'École Municipale de Musique.

 

L'École Municipale de Musique

Remontons encore quelques instants le cours de notre histoire locale. En Mai 1965, plus de trente ans déjà, la Municipalité présidée alors par Toussaint Merle lança l'idée d'une École Municipale de Musique pour initier les écoliers, les étudiants dans la perspective d'en faire de bons musiciens qui pourraient redonner vie à de vieilles formations musicales vieillissantes et même en voie de disparition.

L'École, devenue officielle en 1966, compta 120 élèves deux ans plus tard et les premières disciplines enseignées furent le piano, le violon, la clarinette.

Sous l'impulsion remarquable de Jean Arèse, un enfant du pays, en 1969, trois cents élèves et six professeurs assureront le fonctionnement de l'école.

Depuis, les progrès ont continué et les résultats remarquables ont permis à des centaines de jeunes Seynois et Seynoises d'apprendre la musique pour satisfaire leurs besoins de culture et de détente et pour plusieurs dizaines d'entre eux, d'en faire carrière.

Ces rappels du passé sont nécessaires pour expliquer les difficultés de fonctionnement. Les locaux manquaient et pendant plusieurs années, les cours de solfège donnés dans les écoles, obligeaient les professeurs et des déplacements constants. Il fallait pouvoir grouper ces centaines d'élèves et leurs professeurs de plus en plus nombreux en un point central.

Fort heureusement, l'acquisition des locaux des Sœurs de Saint-Vincent de Paul permit l'installation de toutes les disciplines (et il y en a une quinzaine aujourd'hui).

Dans un premier temps, nombre de pièces avaient été attribuées à des associations locales ; mais il s'avéra que le bâtiment principal, celui qui servit de dortoir aux orphelines, pouvait offrir un grand nombre de salles pour accueillir toutes les disciplines musicales enseignées.

Il s'ensuivit que des centaines d'enfants venaient chaque jour animer le quartier Beaussier avec leurs instruments aux tonalités si diverses et si belles.

Et depuis ne voit-on pas des passants de la rue Beaussier s'arrêter pour mieux apprécier les roulades criardes des clarinettes ou les mâles accents des trombones à coulisses.

Et ils sont plus attentifs encore le jour des répétitions de l'orchestre d'enfants qui groupe régulièrement une cinquantaine d'exécutants. Ils ont plaisir à saisir les observations parfois nerveuses du chef de musique, M. Arèse, qui dirige la philharmonique La Seynoise depuis déjà plus de trente ans et avec quel brio !

M. Arèse, qui ne supporte pas la médiocrité dans l'exercice de sa profession et exige du travail bien fait. Et à travers ses exclamations tumultueuses, on entend parfois au cours des répétitions :

- " Alors Begni ! Tu n'as pas vu que la croche était pointée ? "

- " Et vous les Sax ! Vous dormez au lieu de lire votre partition. Fortissimo ! Vous ne savez pas encore ce que cela veut dire ! On dirait que vous avez mangé un plat de nouilles avant de venir à la répétition ! "

- " Recommençons ! " Et la baguette claque sur le pupitre. Chaque exécutant rit sous cape et l'on reprend tout de même dans la bonne humeur pour affiner la partition et au bout de quatre ou cinq reprises quand le chef pointilleux finit par dire :

" Cette fois, ça va ! ", les musiciens respirent profondément et reprennent confiance en leur talent.

Quand l'école de musique fut fondée et installée dans des locaux convenables, on vit se constituer une chorale sous la direction de M. Destremau, professeur de flûte. L'élément féminin y dominait et il était donné aux habitants de Beaussier et de La Seyne même d'entendre de forts belles voix qui charmaient les amateurs d'art en tous genres qui désiraient faire connaître leurs œuvres à la population seynoise.

La ville mit à leur disposition l'ancienne chapelle des religieuses qui demeurait intacte malgré les injures du temps. Ce local fut transformé en salle d'expositions de tableaux, d'ouvrages littéraires, d'objets divers qui font toujours la curiosité des gens.

Du côté nord en bordure de la rue Beaussier un local fut réservé aux personnes âgées qui s'y réunissent pour de modestes festivités et un autre à l'Association des Sports et Loisirs du Var dont le but est l'organisation de voyages, de visites à caractère historique.

Nos édiles, considérant que cet ensemble d'animations accumulées au même point : École de musique, chorale, expositions de diverses disciplines artistiques, voyages touristiques, etc... il devait porter tout naturellement porter le nom de

Centre Culturel Jacques Laurent.

Quelle conclusion peut-on tirer de cet historique sommaire du quartier Beaussier ? Comme tous les autres, il a évolué dans son aspect général, dans son peuplement, dans son rôle. Il n'est pas devenu un quartier résidentiel de grand standing. Certes, les premières chaumières ont fait place à des logements un peu plus convenables mais sans aucun confort. Les maisons des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles n'ont pas connu l'eau courante, ni la lumière électrique. Ce fut seulement vers la fin du XIXe que les premières fontaines apparurent.

C'est dire que les progrès matériels se sont affirmés avec une extrême lenteur. La naissance de la construction navale en fer en 1835, la création de la Société nommée Forges et Chantiers de la Méditerranée en 1856 donnèrent à La Seyne les moyens de son développement.

Sa population s'élevait à 5.600 habitants en 1835. En 1852, sous l'Empire, elle passa à 12.000 habitants pour atteindre près de 20.000 au début du siècle.

La composition sociale du quartier Beaussier, comme quelques autres proches de la ville, évolua tout naturellement en qualité et en quantité.

Si à son origine Beaussier compta surtout des paysans et des pêcheurs, à partir du développement de la construction navale, il accueillit des ouvriers, des charpentiers en bois et fer. Ne revenons pas sur l'arrivée des Italiens, des manœuvres surtout, qui modifia quelque peu les rapports entre individus sans prendre toutefois des tournures dramatiques.

À partir de 1872, le quartier commença à changer d'aspect avec la venue des Religieuses de l'ordre de Saint-Vincent de Paul qui apportèrent une certaine animation au point de vue social, mais les conditions de l'habitat et de l'hygiène publique demeurèrent bien précaires. La guerre de 1914-1918 enrichit les profiteurs de la vente des armes, mais les habitants du quartier Beaussier continueront de vivre dans la gêne et souvent dans le malheur. Que dire alors des désastres de la seconde guerre mondiale, des blessures de notre ville de La Seyne sinistrée à 65 % et des centaines de victimes civiles et militaires.

Remarquons au passage que le bombardement terrible du 29 avril 1944 n'a causé dans le quartier Beaussier que des dégâts minimes et que le noyau central avec sa place Galilée sont demeurés intacts.

La libération de notre sol des hordes nazies fut suivie heureusement d'une période exaltante de reconstruction et de nombreux projets qui se réalisèrent peu à peu. Ce fut à partir de là que le quartier Beaussier prit un caractère tout différent.

Les locaux de l'ancienne maternelle appelée l'Asile furent utilisés comme structure administrative, puisque la mairie s'y installa après la destruction de celle du port. Elle fonctionna à la lisière du quartier et ce fut-là que les premiers projets à caractère social furent élaborés : la Protection Maternelle Infantile (P.M.I.), la crèche municipale, le Lycée polyvalent.

Et l'évolution s'est faite essentiellement dans cette direction : l'enfance et la jeunesse que les élus de l'après-guerre ont voulu saine, forte et instruite.

Certains de nos concitoyens adultes raconteront un jour à leurs petits-enfants que ce fut dans cet admirable quartier que leurs mamans allaient aux consultations prénatales ; que, devenus bébés, on les conduisait aux consultations de nourrissons et, qu'après avoir grandi ce fut la crèche municipale qui les accueillit à quelques mètres de là ; puis l'École maternelle Anatole France ; que, devenus des écoliers, ils fréquentèrent l'École Martini et le stade municipal aux confins du quartier Beaussier ; qu'ils poursuivirent leurs études au Lycée polyvalent tout à proximité et que, passionnés de musique, ils allèrent apprendre le songe dans les locaux de l'orphelinat Saint-Vincent de Paul. Nul doute que la majeure partie de notre jeunesse gardera de ce coin de notre terroir des souvenirs inoubliables de ce quartier Beaussier dont la petite histoire méritait bien de figurer dans ce quatrième recueil des Images de la vie seynoise d'antan.

Le quartier Beaussier en 1990





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