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Après la parution de mon premier ouvrage : L'Histoire de l'École Martini en 1982, j'eus le plaisir d'une conversation avec l'un de mes anciens élèves qui avait lu le livre avec intérêt.
" C'est très bien ce que vous avez fait M. Autran " me dit-il ! " Vous avez remué les souvenirs les plus attachants de mon enfance, mais j'ai été étonné, s'agissant d'un livre consacré à l'École et à l'Enseignement, que vous ayez parlé de la guerre avec autant d'insistance ".
Sa remarque n'avait rien de désobligeant. Elle était fort pertinente. Alors je lui expliquai simplement ce qui m'avait conduit à faire ainsi.
" Je ne vais pas te raconter ma vie ", lui dis-je. Elle a été longue et fertile en événements de toutes sortes : heureux et malheureux, comme cela arrive à tout un chacun. Elle a été jalonnée par les faits de la guerre, si intensément que leurs images lugubres reviennent sans cesse dans mes conversations et dans mes écrits.
À grands traits, je vais te montrer les influences que j'ai reçues par l'éducation de mes anciens d'abord, des gens courageux qui ont toujours lutté pour des idéaux de démocratie, de justice, de liberté et de paix, et surtout par le poids de mon expérience personnelle, ayant été spectateur de la première guerre mondiale et acteur de la seconde.
Je suis né au début de notre siècle, peu avant le déclenchement du cataclysme. Durant toute mon enfance, on parlait tous les jours de la guerre à la maison. Évidemment avec beaucoup d'inquiétude, plusieurs d'entre les miens ayant été mobilisés. De bonne heure, j'appris à fixer sur les cartes : la Marne, la Champagne, Dixmude, Verdun, Salonique, les Dardanelles...
Dès que je sus dessiner, je couvrais des feuilles blanches de casques à pointe, de têtes de Guillaume II à la moustache curieusement relevée aux extrémités, des bateaux torpillés envoyés par le fond, des avions explosant en plein vol, des chars d'assaut crachant la mitraille. J'imitais souvent les images du Miroir revue hebdomadaire illustrée consacrée entièrement à la guerre et que mes parents achetaient régulièrement.
À l'école primaire, le premier instituteur qui m'instruisit, Monsieur Lancier, avait une jambe artificielle. Il avait laissé la vraie sur les bords de la Marne tout au début de la guerre. En le voyant marcher avec peine, je pensais toujours à ses souffrances. Une jambe coupée ! Dans mon imagination d'enfant, comment un être humain avait-il pu supporter un tel supplice ?
La guerre terminée on fit des bilans : les morts, les disparus, les mutilés, les veuves, les orphelins ; les immeubles, les usines, les ponts détruits. La presse publia les chiffres ; les maîtres nous en parlèrent. À l'occasion des grandes cérémonies nationales, ils nous conduisaient vers le monument aux morts, quelquefois vers la stèle du Souvenir Français érigée en 1892. Comment oublier notre participation aux cortèges funèbres accompagnant au cimetière les restes mortels des Seynois tués au combat et qu'on ramenait dans les sépultures familiales ? Je revois ces petits cercueils recouverts de drapeaux tricolores qu'on plaçait sur des chars par groupes de huit ou dix, tirés par des chevaux. J'entends encore les discours vibrants du monde politique et puis on nous parla du traité de Versailles. Mon père en citoyen très avisé m'expliqua que les clauses de ce traité contenaient en germes les causes des guerres suivantes. Il prophétisait vrai car les conflits allaient se multiplier ailleurs : la Syrie, le Maroc, la Russie,...
Le courant pacifiste s'affirmait avec force, inséparable des idées révolutionnaires, surtout depuis la Révolution russe de 1917.
J'accompagnais souvent mon père à la Bourse du Travail entendre les discours enflammés de Gabriel Péri, qui expliquait avec une force de persuasion incomparable le mécanisme du déclenchement des guerres et en fustigeait les profiteurs. Il citait souvent Jaurès, apôtre de la Paix, assassiné pour l'avoir trop bien défendue : " Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage ". Et la phrase d'Anatole France revenait aussi souvent dans ses interventions : " on croit mourir pour la Patrie, on meurt pour les industriels ". On imprimait dans les journaux progressistes cette phrase d'un écrivain allemand : " une guerre laisse le pays avec trois armées : une armée d'infirmes, une armée de pleureuses et une armée de voleurs ".
On s'imprégnait des idées répandues par des pacifistes célèbres comme Henri Barbusse qui écrivit Le Feu, comme Roland Dorgelès avec Les croix de bois. Du côté allemand, E.M. Remarque publiait À l'ouest, rien de nouveau.
Hélas ce courant d'idéal pacifique ne fut pas le plus fort. Par crainte de voir triompher les idéaux du socialisme et du communisme, la grande bourgeoisie des trusts inventa le fascisme, l'hitlérisme, le franquisme pour préparer la deuxième guerre mondiale et réduire à l'esclavage les peuples du monde entier. Tu sais bien dis-je à mon interlocuteur, comment cette guerre s'est terminée. Elle fut le triomphe des antifascistes et l'on pouvait croire alors avec l'organisation des Nations Unies à une Paix durable. Hélas ! durant le dernier demi-siècle écoulé, les conflits se sont multipliés à l'échelle planétaire : la Corée, le Vietnam, l'Algérie, le Liban, l'Egypte, l'Iran, l'Irak, l'Afghanistan, les Malouines, le Golfe... et j'en passe.
L'O.N.U. est restée impuissante dans la plupart des cas à régler des problèmes en suspens depuis longtemps. Et la guerre continue ses ravages partout sur tous les continents. Tu avoueras, dis-je à mon ancien élève, que l'humanité est bien décevante. Après avoir vaincu les grands fléaux des épidémies mortelles, elle n'est pas parvenue à maîtriser les guerres, quelles que fussent leurs aspects. Je crois bien avoir cité à travers les leçons données à l'École Martini cette fameuse phrase de Fénelon : " Les lions ne font point la guerre aux lions, ni les tigres aux tigres. L'homme seul, malgré sa raison, fait ce que les animaux ne firent jamais ". Et mon élève m'écoutait avec la même attention que par le passé. Il m'interrompit pour me dire :
- " Je sais que vous avez été au premier rang de tous les fronts de 1939 à 1940 : les Alpes, la Lorraine, la Somme, l'Oise, la Marne, la Loire. Je sais que vous avez connu le camp de prisonniers, que l'ennemi n'a pu empêcher votre évasion, que la guerre finie vous avez continué le combat aux côtés de nombreux patriotes seynois. Pourquoi donc ne pas avoir écrit vos mémoires de guerre ? ".
- " J'aurais pu le faire, il est vrai. Mais un volume énorme n'eut été nécessaire pour raconter dans le détail les combats auxquels j'ai participé, les longues étapes sous la mitraille, la fuite des populations éperdues devant les hordes ennemies. J'aurais voulu fixer le souvenir des officiers, sous-officiers et soldats avec qui j'ai partagé des souffrances très dures, mais aussi les actes de trahison auxquels il m'a été donné d'assister. Ayant conservé précieusement mon " journal de route " dans mes archives personnelles, j'aurais pu rappeler de nombreux souvenirs indélébiles, des faits étonnants et bouleversants à la fois auxquels j'ai été mêlé de si près par mes actions propres qu'il aurait pu sembler au lecteur que j'en voulais tirer vanité ".
Et pour conclure mes explications je dis à mon ancien élève : " Tu as certainement compris pourquoi avec ma nature particulièrement sensible, j'ai toujours été en proie à l'idée fixe de la guerre, de son absurdité, des malheurs et des souffrances qu'elle engendre. Voilà pourquoi, même dans l'histoire de l'École Martini, j'ai beaucoup écrit sur ce sujet avec émotion ". Après cette longue conversation, rentré chez moi, je pensais à la suggestion que m'avait faite mon ancien élève : " Pourquoi ne pas avoir écrit vos mémoires de guerre ? ".
Pendant plusieurs jours je ruminais cette idée que je devais raconter à mes amis, à mes concitoyens les événements les plus étonnants dont j'avais été le témoin et qu'il m'était possible de reconstituer grâce à mon journal de route. J'hésitais toujours, mais le hasard voulut que dans cette période, j'eus la bonne fortune d'entrer en contact avec des amis Seynois qui me dirent être en possession d'un journal de route d'un soldat de la guerre de 1914-1918 ; un ouvrage de 300 pages rédigé de cette belle écriture qu'on enseignait autrefois aux enfants. Son auteur s'appelait Georges Depersin, grand mutilé de guerre, retiré à la Seyne depuis 1920 et sur la personnalité de laquelle je reviendrai plus loin. À la lecture de ce document précieux, je compris tout l'intérêt qu'on pouvait en tirer en faisant des comparaisons avec le mien écrit vingt ans après. J'ai voulu rendre hommage à un héros de la guerre 1914-1918. Mais pourquoi, dira-t-on, avoir choisi Depersin, alors qu'il y a eu à La Seyne des centaines de patriotes comme lui qui ont accompli leur devoir admirablement ? Tout simplement parce que j'ai fait la découverte d'un document que l'on peut qualifier d'historique. Si de semblables souvenirs avaient été conservés dans les archives familiales des Augias, des Martinenq, des Beaussier, des Guinchard, des Soleri,... et des centaines d'autres anciens combattants, j'aurais pu les utiliser et les divulguer avec le même empressement et la même reconnaissance. Les récits qui vont suivre sont tristes parce que tous sont des images de la guerre. Le premier sujet choisi s'intitule De la Champagne à Verdun et se rapporte à la première guerre mondiale. Il est le témoignage de Georges Depersin. Les autres textes sont des souvenirs personnels. Ils s'intitulent : Le mitrailleur et le cheval miraculés ; Verneuil-sur-Oise ; Le pont d'Orléans ; Évasion réussie. Les faits relatés dans ces récits s'échelonnent entre le 10 juin et le 19 juillet 1940 en respectant l'ordre chronologique.
Avant de laisser parler Georges Depersin, faisons connaissance avec cet homme simple, patriote courageux qui naquit à Paris le 6 mai 1883. Fils d'un commerçant du quartier Bonne Nouvelle, il fit de bonnes études au Lycée Charlemagne et manifesta de bonne heure ses aptitudes à l'histoire et la géographie. Son père Anatole, mutualiste et philanthrope, jouissait d'une grande notoriété.
Ses études terminées, Georges voulant mettre en pratique les leçons de ses professeurs entreprit un voyage d'études en Angleterre puis le Nord de l'Ecosse qu'il parcourut pendant toute une année.
Les journaux d'époque L'écho des jeunes, le Club Alpin Français, parlent de lui en ces termes : " Touriste infatigable, il visita successivement la Belgique, la Hollande, la Suisse, l'Italie, rapportant de ces pays quantité de relations exposées dans un style des plus pittoresques et qui révèle un esprit profondément observateur. Doué d'un talent de description remarquable, les pages qu'il nous a tracées sont autant de tableaux vivants où débordent la couleur ensoleillée des paysages d'Italie, les foules affairées et grouillantes des grands centres britanniques ou les horizons brumeux des polders de Hollande..." Ses grandes publications comme La Belgique historique, À travers la Hollande, Les grands ports du Nord de l'Europe, ont fait de Georges Depersin, un journaliste de talent.
Quand la guerre de 1914-1918 éclata, il avait 31 ans. Il fut mobilisé tout de suite, mais à ses débuts de fantassin il ne fut pas dirigé dans une unité combattante en raison de sa vue défectueuse. À partir du 5 octobre 1915 il fut affecté à la 11e Compagnie du 170e Régiment d'Infanterie comme agent de liaison.
Son journal de route commence ce jour-là, alors que son unité attend un ordre de départ de la Caserne d'Épinal en direction du front. Il écrira chaque jour, dans le moindre détail sa vie de poilu, ses conditions matérielles inhumaines, inimaginables ; les attaques, les défenses, les bombardements incessants, les morts déchiquetés, atrocement mutilés, les asphyxiés, l'odeur insupportable des cadavres, les fosses communes, la boue, la faim, le froid. Depersin a dépeint les scènes les plus horribles de la guerre qu'il fit pendant 20 mois presque sans interruption. Son journal quotidien, relié, a donné un superbe manuscrit de trois cent pages, desquelles il sera bien difficile d'extraire les points les plus forts.
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Le voici à la caserne d'Épinal d'où le départ est prévu pour le 7 octobre. Il bavarde avec des anciens qui ont combattu l'armée de Von Kluck au tout début de l'offensive allemande, repoussé l'ennemi avec de lourdes pertes, avec ceux qu'on appelait déjà les poilus.
Depersin dit : Nous sommes trop frais pour ressembler à de vrais poilus. Pour être poilu, il faut d'abord avoir reçu le baptême du feu, être couvert de boue des pieds à la tête, sentir la poudre, avoir la barbe et les cheveux complètement hirsutes. L'heure du départ est arrivée. L'embarquement dans les wagons se fait calmement ; rappelons nous leurs capacités d'accueil : 8 chevaux, 40 hommes. Ces inscriptions sur les wagons en bois, nous les avons retrouvées au début de la deuxième guerre mondiale.
- Quelle destination pour le 170e Régiment d'Infanterie ? On ne sait. Le secret absolu doit être gardé. Mais les combattants ont bien vite compris. Après le passage à Mirecourt, Neufchâteau, Domrémy (le pays de Jeanne d'Arc), Chaumont où la Croix-Rouge distribue des friandises, c'est bien sûr vers le front de Champagne que se dirige le Régiment. Déjà, après le passage au camp de Mailly la grosse artillerie gronde. Voici Chalons, Suippes ; la guerre est déjà passée par là. Partout, ce ne sont que maisons brûlées, effondrées ou pillées : le spectacle est lamentable. Et cela est encore peu de choses par rapport aux images effroyables qui nous attendent, dit Depersin.
" Pour gagner la seconde ligne du front, nous passons près d'un immense champ de repos où s'alignent d'interminables rangées de croix, toutes semblables. De longs fossés fraîchement ouverts attendent de nouveaux occupants. Il y a là les corps de milliers de héros. Une longue file de lourds tombereaux est arrêtée devant cette nécropole. Ils sont remplis de nombreux cadavres que des brancardiers ont eu la tâche ingrate de glaner sur toute l'étendue du champ de bataille. Des territoriaux les déposent sur les bas côtés de la route ; il y en a de toutes les armes : fantassins, artilleurs, coloniaux, mais toujours l'infanterie domine ".
" L'infanterie n'est-elle pas la reine des batailles ", comme nous l'ont appris les instructeurs militaires ?... Leur peau était devenue couleur de bronze, leurs membres gonflés étaient informes. D'aucuns avaient la tête fracassée, les yeux sortis de l'orbite ; les autres étaient déjà amputés d'un bras ou d'une jambe, quelques-uns même décapités. La boue crayeuse de la Champagne les couvrait comme un blanc linceul. Quel spectacle ! Quelle abomination !
Devant ces glorieuses dépouilles, nos officiers nous firent présenter les armes.
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La ligne du front se précise par la présence des ballons d'observation appelés saucisses. Leurs vigies essaient de déceler les mouvements de l'ennemi, les préparatifs d'une éventuelle offensive. Ces engins appelés aussi ballons captifs étaient d'excellentes cibles pour les avions de chasse allemands, les taubes. Le Seynois Charles Beaussier, qui se trouvait sur la même ligne de front que Depersin, porta souvent témoignage d'un cas d'infortune comme on en voit rarement et dont la victime fut précisément un observateur de ballon captif. Alors que ce spécialiste scrutait l'horizon attentivement avec ses jumelles puissantes, survint un avion de chasse à croix noire qui lui crache une rafale de sa mitrailleuse. Le guetteur n'est pas atteint, mais le caoutchouc de la saucisse s'enflamme. Sans plus attendre, l'homme ne peut trouver le salut qu'en sautant en parachute. Charles Beaussier assiste à cette scène hors du commun. " Ça y est, il est sauvé ! ", dit il à haute voix. Le parachute a fonctionné à merveille. Voilà qu'il descend lentement vers le sol. Mais hélas ! Le ballon s'enflamme tout entier au-dessus de sa tête et des débris incandescents s'abattent sur la soie légère du parachute et vous avez compris. En quelques secondes l'infortuné guetteur s'écrase sur le sol. Comment qualifier la cruauté d'un tel destin ? Notre fabuliste a dit vrai : " On rencontre sa destinée souvent par des chemins qu'on prend pour l'éviter ".
Des tranchées de Champagne, Depersin écrit le 12 octobre : En raison de ma vue défectueuse, j'ai été désigné comme agent de liaison, rude tache car on est rarement à l'abri du danger. Dans une opération offensive nous avons fait 108 prisonniers, mais il a fallu apprendre rapidement l'usage des masques à gaz. L'ennemi a réagi par tous les moyens : avions de bombardements, artillerie, gaz asphyxiants, obus lacrymogènes et suffocants, sans doute prépare-t-il une attaque d'envergure. À propos des gaz, notre agent de liaison qui a reçu un baptême du feu très copieux, écrit le 16 octobre : " La vague de gaz apparaît, lourde, opaque, d'un gris sale. Elle paraît s'élever à 7 ou 8 mètres de hauteur. Ses volutes roulent, dévalent dans les retranchements attaqués, s'infiltrent dans les boyaux, les abris, les postes de mitrailleuses, bref dans toutes les excavations. Au lieu de se diluer dans l'atmosphère, elles collent au sol détruisant toute végétation ne laissant aux prairies les plus vertes que l'aspect désolé d'une lande roussie par le feu. Dans un rayon de 10 kilomètres, toute la vie animale est anéantie et combien de soldats imprudents ont perdu la leur pour avoir oublié leur masque ou n'avoir pas su l'ajuster. Il est aisé de comprendre que, dans de telles situations, le ravitaillement n'arrive pas toujours. Aux angoisses, aux périls mortels s'ajouteront alors les affres de la faim ".
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Les carnets de notes de Georges Depersin mentionnent aux côtés des troupes françaises la présence d'unités marocaines dont il parle en ces termes : ces marocains sont de solides paysans de la Thaïoua : Pasteurs, Berbères du Mont Atlas. Arabes, Juifs, ou nègres de Marrakech, tous se battent dans la grande croisade de la Justice et du Droit. Ils constituent des unités d'attaque si efficaces que les divisions des généraux Mangin et Marchand sont exclusivement composées de troupes coloniales. Leur mépris du danger est total. Très croyants, la mort pour eux n'est que le prélude d'une vie de gloire et de plaisir. Mahomet, ce grand guerrier de l'Islam, ne réserve-t-il pas le meilleur de son Paradis aux vaillants tombés au champ d'honneur ? " Forts de cette idée, ils partent baïonnette au canon, quelquefois le couteau entre les dents et dans une furieuse mêlée sans souci de la mitraille, jettent la panique dans les rangs de l'ennemi qui s'enfuit en désordre... Pour ces indigènes appartenant à des tribus nomades, il n'y a pas de victoire sans butin. Malheur au prisonnier qui voudrait résister. Aussi a-t-il fallu constituer des divisions marocaines mixtes "...
Une phrase de ce passage de souvenirs sur les Marocains doit retenir particulièrement notre attention :
" ... Aussitôt le terrain conquis par les Marocains, nous arrivons à la rescousse pour consolider ces nouvelles positions.
... Ces Marocains, critiqués pour leur férocité, étaient d'excellents camarades dans la mesure où nous respections leurs traditions. Ils ont réagi par la violence quand l'ennemi s'est rendu coupable lui-même d'actes de sauvagerie ".
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Des tranchées de Champagne, les 19 et 20 octobre 1915, notre agent de liaison fait connaître d'autres aspects terrifiants de la guerre qui dure maintenant depuis plus d'un an. Il assiste à des combats aériens, décrit des culbutes sensationnelles d'appareils en flammes qui descendent à une vitesse vertigineuse, telles des torches gigantesques qui viennent s'écraser au sol. Puis c'est l'occupation des tranchées de 1ère ligne pendant la nuit. C'est la relève : il faut occuper 8 km de boyaux sinueux en silence. Il est interdit de parler, de fumer ; on est à cinquante mètres des tranchées allemandes... Et pourtant il faut transporter des rondins, des planches, des rouleaux de barbelés... Et c'est comme cela de la Mer du Nord à l'Alsace.
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Cette guerre des tranchées qui dura des années n'eut rien de commun avec la guerre éclair de 1939 qui fut essentiellement une guerre de mouvement. Laissons encore parler Georges Dupersin qui écrit au soir du 20 octobre.
" En revenant du P.C. du Commandant, je passe dans le secteur de la 12e Compagnie. Une odeur épouvantable se dégage de l'autre côté du parapet. Je regarde au créneau l'affreux tableau que présentent nos lignes à cet endroit. Il y a plus de 200 cadavres entre les lignes et dans un état complet de décomposition car ils sont là depuis près d'un mois, toute tentative de les retirer s'étant révélée trop coûteuse en vies humaines.
Face à la première tranchée, une dizaine de soldats ont été surpriss et asphyxiés dans une nappe de gaz, sac au dos, genou à terre, l'arme à la main droite, on les dirait prêt à bondir dans la tranchée ennemie. La mort les a figés dans cette position. Quel spectacle stupéfiant que ces cadavres en uniformes alignés prêts à l'assaut !
... Enfin arrivera demain une pompe à bras qui servira la nuit pour arroser de chaux vive ces pitoyables dépouilles ".
Du 21 au 30 octobre, la guerre fait rage, sans interruption ; les bombardements effroyables nous rendraient fous sans la double ration d'eau-de-vie ; la gnole, si mauvaise soit-elle, permet aux fantassins de tenir le coup.
Une grande attaque allemande est enrayée grâce aux Marocains sortis des tranchées les premiers.
Le Fort de la Courtine est pris. En trois jours, les Allemands ont perdu 400 hommes dont 200 prisonniers.
Le communiqué du 30 octobre indique que Depersin, dont la tâche est de plus en plus difficile, a été secondé par un adjoint... le même jour ce dernier fut tué. Notre agent de liaison précise ainsi son rôle au cœur de la bataille :
" Traverser les barrages de la grosse artillerie allemande (obus de 210 - 150 - 105) aux explosions formidables, rafales de balles de mitrailleuses, vapeurs empoisonnées, s'écraser au sol, buter contre les cadavres, voir partout le spectacle de la mort, l'attendre à chaque pas et marcher toujours, nerfs et esprit tendus vers le terme de la course, tel est le devoir des agents de liaisons. On jugera qu'il n'est pas facile à remplir.
Et comment faire ? Le téléphone ne peut être utilisé valablement en raison des obus qui bouleversent le sol, la liaison par pigeons est trop aléatoire. Aussi l'homme reste le moyen le plus sûr ".
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Au soir du 31 octobre, on apprend la mort du fils du Général Sarrail, victime d'un éclat d'obus qui l'a frappé en plein front.
Au lendemain de l'offensive allemande du 1er novembre, Depersin écrit :
" C'est hideux à voir : les uns ont la tête fracassée dont la cervelle à nu se répand sur le sol comme une traînée gélatineuse ; d'autres ont les yeux sortis de l'orbite, des jambes et des bras emportés par un éclat d'obus qui a ouvert un rigole de sang. À quelques pas de là, l'un des nôtres a été décapité par un schrapnell allemand.
Dans le boyau, c'est le défilé des blessés : l'un, la mâchoire fracassée pousse des cris de bête fauve, l'autre le poumon perforé d'une balle, se tord dans les spasmes de l'agonie, un autre la jambe doublement fracturée hurle en appelant ses parents.
Celui qui n'a pas assisté à de telles horreurs un soir de bataille ne peut s'en faire une idée.
Profitant d'une accalmie dans les bombardements, les corvées de soupe ont pu aller au ravitaillement. Depuis quatre jours, nous vivions de biscuits secs, de chocolat et de quelques conserves ".
Le 2 novembre, jour des morts, les attaques allemandes se sont faites avec des engins nouveaux : les lance-flammes. On devine les souffrances terribles de ces malheureux blessés qui appellent la mort.
À la date du 7 novembre, la compagnie de Depersin a perdu un tiers de son effectif. Il est temps d'envoyer les hommes au repos. Dans le confort relatif du camp de Chalons, les malheureux vont se nettoyer corps et vêtements, tenter de se débarrasser des poux (les totos), faire couper les barbes et les tignasses. Les repas seront à heure fixe, les aliments chauds. On pourra lire des journaux, écrire aux parents, aux amis.
Mais le maniement d'armes et le Service en campagne ne seront pas abandonnés. Le 11 novembre, le général passe les troupes en revue.
Deux événements notables le lendemain. Les soldats assistent à l'exécution d'un espion qui a refusé qu'on lui bande les yeux. Ils défilent devant le cadavre, après quoi ils assistent aux évolutions des aviateurs. Hommage est rendu à Guynemer, Navarre, Nungesser.
Le repos n'aura pas été très long. À la date du 13 novembre, la Compagnie de Depersin réoccupe les positions du 20 octobre. Les allemands ont trouvé le moyen de faire mieux souffrir les combattants. Apparaissent sur le champ de bataille les balles dum-dum (explosives) qui provoqueront d'horribles blessures et aussi les baïonnettes à encoches. Quelle cruauté !
Encore dix jours d'enfer avant de connaître une vraie relève et un vrai repos. En attendant, les offices religieux se succèdent. Tous les cultes sont représentés : catholique, protestant, rabbin israélite, mufti musulman pour les Marocains. Les aumôniers essaient de rassembler le plus possible de militaires mais les troupes, note Depersin, sont peu disposées à se confier à la religion.
Enfin, le 26 novembre 1915, la division tout entière soit 7.000 hommes défile à Chalons où elle va prendre un repos bien mérité. Elle reprendra contact avec la vie civile, admirera des maisons intactes, de belles avenues plantées d'arbres, des tramways, des magasins qui feront ouvrir de grands yeux.
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Après notre séjour au pays de la mort, dit Depersin,, nous étions tellement habitués à ne voir que des ruines, des murs calcinés, des moignons d'arbres, que nous étions émerveillés de ce retour à la vie normale.
Hélas ! Ce bonheur devait être de courte durée. Le 31 décembre au matin, il fallut reprendre le chemin du front. Quel beau jour de l'an 1916 ! Pour leurs étrennes, les soldats du 170e Régiment d'Infanterie feront 30 kilomètres à pied, passeront par Sermaize-les-Bains qui reçut 9.000 obus le 12 septembre 1914 pendant la semaine héroïque de la bataille de la Marne. Ils traversèrent Vroil, Bettancourt, Revigny, où ils auront la joie de voir abattre un Zeppelin, encore un engin de fabrication allemande. Et puis ils prendront la direction de Verdun, de sinistre mémoire. Ils verront encore un exode de populations fuyant devant la barbarie, emportant quelques hardes sur des brouettes ou des charrettes. Le 21 février 1916 les Allemands lancèrent une attaque formidable sur les Hauts de Meuse et mirent un acharnement particulier à la prise des forts de Vaux, de Douaumont qui changèrent de mains plusieurs fois. Cette bataille de Verdun qui fut une véritable boucherie laissa sur le terrain 400.000 hommes en quelques mois. Ce fut encore, dit Depersin, le spectacle des cadavres décomposés, des chevaux éventrés, l'éclatement des obus de gros calibres qui nous couvraient de terre, du vacarme infernal des explosions. Nous n'avions plus de réactions, étourdis que nous étions par les trépidations, les cris des blessés, le râle des mourants.
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Aux premiers jours de mars 1916, notre héroïque agent de liaison fut mis au service du grand tunnel de Tavannes long de 1.200 mètres où se réunissait le grand État-Major, au sein duquel on comptait jusqu'à 10 généraux, dont Joffre, Pétain, Dubois, Guillaumat, de Langle de Carry, Here, gouverneur de la place de Verdun. Le 2 mars, Douaumont tomba et fut repris. Il fallait assurer une liaison urgente entre le Commandant et le Colonel. Comme toujours, on faisait appel à des volontaires. Depersin accepta la mission périlleuse car toutes les routes, tous les chemins étaient balayés par la mitraille. Le Commandant lui dit avant son départ : " Soyez aussi rapide que possible. Je n'oublierai pas votre acte ! ". La mission fut parfaitement accomplie, mais au moment où il aurait pu s'en réjouir avec ses camarades, un obus de gros calibre éclata à quelques mètres de lui, tuant deux de ses compagnons. Violemment projeté à terre, avec une douleur atroce, le tibia de sa jambe droite fut cassé en deux par un gros morceau d'acier. Dans son malheur, Depersin put recevoir les premiers secours d'urgence. La jambe ligaturée et pendante, les brancardiers ne parvinrent à la première ambulance qu'au bout de 2 kilomètres à travers des chemins défoncés, l'amputation était inévitable. Ce fut le chirurgien éminent le Docteur Monprofit qui s'en chargea. Disons au passage que cette personnalité du monde médical de l'époque fut député du Maine et Loire et Maire d'Angers. Depersin fut ensuite replié sur Poitiers, puis sur Lyon le 2 novembre 1916. Le 9 juin 1917, il fut réformé. La guerre terminée, il vint à La Seyne, épousa Joséphine Bardou. Il mourut en 1958 et repose auprès de son père, de son épouse qui le rejoignit dans la tombe 20 ans plus tard, et ses beau-frère et belle-sœur, dans notre cimetière, à proximité du Souvenir Français.
La Médaille militaire a été conférée au militaire dont le nom suit :
DEPERSIN Georges, Mle 04016, soldat à la 11e Cie du 170e Régiment d'Infanterie.
" Brave soldat, a été blessé très grièvement le 2 mars 1916 (combat de Verdun) au retour d'une mission périlleuse qu'il avait accomplie comme volontaire ". Amputé de la jambe droite.
Signé : J. Joffre
(la présente nomination comporte l'attribution de la Croix de guerre avec Palme)
Le mitrailleur et le cheval miraculés
Avant d'entrer dans le vif du sujet des quelques épisodes de la guerre relatés dans cet ouvrage, il m'apparaît nécessaire de situer les faits dans le temps et les lieux où ils se sont déroulés.
Précisons d'abord que les Seynois au combat dont je vais parler s'appelaient : Poggio, Jardet, Autran, Guglieri, Ravel, Jauffret, Miroy, Canebier, Chauvin, Alpanez, Panzani, Barisone, Fontana et bien d'autres que j'ai perdus de vue, car les faits rapportés ici se sont déroulés, il y a déjà un demi-siècle. Nous appartenions au 3e Régiment d'Infanterie Alpine (3e R.I.A.) basé à Hyères depuis longtemps et affectés à des compagnies de fusiliers voltigeurs, expression très significative du rôle que nous avions à jouer. Quand la guerre éclata, notre unité se forma à partir du 26 août 1939 à Hyères, à la caserne Vassoignes. Le 31 août, notre régiment était dirigé sur Nice puis vers la frontière italienne par Beuil pour occuper un col appelé Portes de Longon. Nos mulets aux jambes grêles étaient parvenus jusqu'à 2500 m d'altitude par des sentiers tortueux et rocailleux, ployant sous le faix des marabouts qu'il fallut planter en terre, des mitrailleuses Hotchkiss et de leurs munitions. Pendant deux longs mois, on occupa la troupe à creuser des tranchées, à ériger des fortins pour y installer des armes automatiques. Nous n'étions pas encore en guerre avec l'Italie, mais il fallait tout de même surveiller la frontière. C'était une drôle de guerre qui commençait. Le ravitaillement arrivait chaque jour par Beuil et quatre heures de marche étaient nécessaires aux muletiers pour nous livrer les haricots et le mouton quotidiens. La viande, à peine arrimée sur le dos des bêtes, exposée en plein soleil et aux mouches très abondantes au mois d'août, il n'était pas rare de constater que les asticots déposés au départ avaient eu le temps d'éclore à l'arrivée. Imaginez le spectacle et les invectives qui fusaient à l'adresse des présumés responsables quand la marchandise arrivait à la cuisine. Il fallut protester au plus haut niveau de l'État-Major pour recevoir enfin une nourriture saine et variée. Pendant six semaines, la cantine des soldats, pas plus que la popote des officiers, ne vit la couleur d'une tomate ou d'une aubergine, alors que nous n'étions qu'à deux heures de la Côte d'Azur où régnait l'abondance. Pendant le même temps, aucun courrier de nos familles ne nous parvenait. Le secteur postal 75 était paraît-il engorgé ! La vérité, c'était que des forces obscures préparaient savamment dans les Alpes comme partout ailleurs le sabotage et la démoralisation des armées françaises avant même le déclenchement des opérations militaires. Au mois de novembre, notre régiment fut dirigé vers le Nord, apparemment dans le plus grand secret. Seul le colonel devait connaître notre véritable destination. Le lendemain, le speaker de la radio allemande, annonçait sur un ton des plus sarcastiques que le 3e R.I.A. avait débarqué à Givry-en-Argonne. La division fut dispersée dans les villages environnants. Trois mois passèrent à creuser, à marcher dans la boue et à se morfondre sous la pluie. Fin janvier 1940, on nous fit prendre position sur la frontière allemande après des étapes épuisantes par moins 26 degrés. Nous apercevions les troupes allemandes occupées à fortifier leur système de défense à l'orée d'une grande forêt à proximité de Forbach. Les ordres étaient formels : interdiction absolue de tirer sur l'ennemi dont on apprit plus tard qu'il ne devait pas être dérangé pour préparer son offensive à l'Est. Passons !
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En 1ère ligne à Nasweiler (Allemagne), hiver 1939-1940 De gauche à droite : Giraud, Sergent Portal, ?, Ventresca, ?, Jardet, Lieutenant Marius Autran (Chef de Compagnie) |
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Le 8 avril 1940, nous voilà au repos en Haute-Saône. La drôle de guerre continue. Ah ! si nous pouvions nous en tirer ainsi, disaient les soldats. Les officiers n'en pensaient pas moins. Peut-être que des accords entre belligérants étaient encore possibles ? On espérait, mais la confusion était entretenue partout. Les permissionnaires qui rentraient n'en savaient pas plus que ceux du front. À partir du 19 mai, les événements se précipitèrent. De toute urgence, notre division fut embarquée sur des autocars parisiens réquisitionnés en quelques heures sans que leurs conducteurs n'aient pu prévenir leur famille. Alors qu'on leur avait promis leur retour sous 48 heures, certains ne revinrent jamais dans leur foyer. Les Allemands envahirent la Belgique, comme l'avaient fait leurs aînés en 1914. C'était tellement plus facile de contourner la ligne Maginot pour occuper la France ! Nos troupes allaient subir le choc des Panzer divisions qui s'approchaient d'Amiens. Notre Division fut déplacée le 2 juin depuis la Haute-Saône jusqu'en Picardie et notre Régiment, spécialiste de la montagne avec ses mulets, à la rencontre des engins blindés allemands. Faut-il en pleurer, faut-il en rire ?
Ce fut sur la route de Beauvais à Amiens que se situe l'épisode intitulé : Le mitrailleur et le cheval miraculés.
Le convoi des autocars et de quelques auto mitrailleuses de protection roulait à vive allure en début d'après midi sous un ciel sans nuage et tout bleu comme il l'est si souvent en Provence, un ciel bien propice aux attaques aériennes. On parlait d'un convoi de sept cents cars. Quelle belle cible pour les Stukas et les Messerchmitt !
Tout à coup le convoi s'arrêta. Plusieurs sonneries de clairons retentirent. Alerte aux avions ! Tout le monde en bas !
Ordre fut donné aux hommes de s'écarter du convoi et de se coucher dans des fossés si possible. Seuls les mitrailleurs de la défense antiaérienne, il va de soi, devaient demeurer à leur poste. À moins de cinquante mètres de mon véhicule, j'aperçus une ferme devant laquelle deux hommes s'affairaient autour d'un superbe percheron qu'ils venaient d'atteler à leur charrette prête à recevoir une charge de foin. Je leur fis signe de se protéger ce qu'ils firent en pénétrant dans la remise pour être au moins à l'abri des balles. Bien évidemment, ils laissèrent l'attelage devant la porte. L'autocar occupé par ma section fut évacué en un clin d'oeil et au moment où je m'apprêtais à descendre le dernier, je vis par la vitre arrière fondre sur le convoi une escadrille d'avions aux sinistres croix noires. Les uns crachaient des rafales de balles, prenant la route en enfilade ; les autres lâchaient des bombes en chapelets. Mon réflexe tout naturel fut de me plaquer au pied de la banquette arrière du véhicule d'où je n'avais pas voulu sortir pour esquiver les balles. L'espace de quelques secondes et ce fut alors un fracas épouvantable de crépitements secs, d'explosions déchirantes de vrombissements assourdissants, de violentes secousses d'une telle intensité qu'on pouvait inconsciemment croire à un tremblement de terre. Un laps de temps s'écoula. Toujours plaqué sur le parquet, je retrouvai peu à peu mes esprits. Le ron-ron maudit des avions s'éloigna, les mitrailleuses se turent. Je fus bien tenté de me remettre sur pied, mais une nouvelle vague de bombardiers n'allait-elle pas s'acharner sur le convoi, toujours immobilisé ? Les minutes s'écoulèrent ; le calme revint cependant douteux. Enfin, je me hasardai à lever le nez et à regarder vers l'extérieur pour y découvrir un paysage noyé dans des nuages d'une poussière ocre, épaisse, émanée des cratères de bombes encore fumants. J'étais toujours seul dans le véhicule déserté, toujours quelque peu étourdi, mais je ne souffrais pas. La poussière s'étant quelque peu dissipée, je sortis pour constater les dégâts. À ma grande surprise, les véhicules du convoi étaient intacts, prêts à repartir. Tout au plus, les carrosseries avaient souffert de quelques éraflures d'éclats métalliques. Et cela s'expliquait fort bien parce que les chapelets de bombes avaient manqué leurs objectifs. Tombées à quelque vingt mètres de la route dans la terre meuble et sèche, elles avaient creusé des entonnoirs et leurs éclats n'avaient pas été rasants. Mon regard se tourna alors vers la ferme : ô stupeur, ô miracle. Les paysans sortis indemnes de la remise, s'agitaient, se démenaient autour de leur attelage sens dessus dessous. Sous l'effet puissant du souffle des explosions, le cheval et la charrette avaient été complètement retournés et l'animal couché sur le dos, toujours entre les brancards agitait nerveusement ses quatre membres comme s'il voulait pédaler ou se livrer à quelque exercice d'assouplissement. Les roues de la charrette, elles aussi, étaient tournées vers le ciel. Le harnachement était en place : l'attelle, la bride ventrière ne gênaient en rien l'animal, lequel se trouvait tout de même dans une situation inconfortable. Il hennissait avec force comme il ne l'avait jamais fait sans doute. Ses maîtres se hâtèrent de le libérer des brancards et avec une force peu commune tirèrent la charrette en arrière pour le remettre sur ses pieds. Les hommes et leur attelage sortirent donc indemnes de cette épreuve qu'on peut bien qualifier de miraculeuse. Hélas ! ils allaient sans doute en connaître bien d'autres avec l'exode massif des foules fuyant vers le Sud devant la barbarie et la mort dans les jours qui allaient suivre. La troupe disséminée à proximité du convoi au moment de l'alerte, ne semblait pas pressée de le rejoindre malgré les appels du clairon au rassemblement. Inquiet de savoir si dans la longue colonne de véhicules, il n'y avait pas eu de victimes, je me décidai à la remonter, malgré les dangers d'une autre attaque aérienne toujours possible, l'ennemi cherchant à corriger son tir. Les camions chargés de matériel, les autocars n'étaient pas ou peu endommagés. Au bout d'une centaine de mètres, j'aperçus quelques silhouettes humaines sur un camion à plateau équipé d'une mitrailleuse lourde antiaérienne. Les trois servants étaient bien restés à leur poste. Ils avaient bien fait leur devoir et sans doute leur tir contribua aux erreurs de l'aviation allemande qui avait tout de même réussi à administrer des rafales sur les défenseurs du convoi. Je m'approchai pour demander aux hommes s'ils n'avaient pas eu de mal. Ils m'accueillirent un sourire énigmatique aux lèvres et paraissaient abasourdis. L'un deux tamponnait ses narines avec un mouchoir tacheté de quelques gouttes de sang.
Il voulait parler du mitrailleur qui n'avait pas répondu à ma première question, encore étourdi qu'il était par le choc violent qu'il venait de subir. Et voilà l'autre miracle : celui du mitrailleur cette fois. Que s'était-il passé ? Les servants de la mitrailleuse avaient reçu une rafale lâchée d'un Stuka descendu en piqué. Le tireur seul fut touché, que dis-je ! effleuré par 3 balles qui avaient laissé des traces sur sa tête. Il me fit voir son casque et tout autre que moi en voyant l'effet des projectiles aurait conclu à un miracle. J'espère que la description qui suit sera suffisamment convaincante pour que le lecteur admette mon désir de conter de tels faits hors du commun.
Voici le miracle : À quelques centimètres près, trois des balles de la rafale auraient dû transpercer le crâne du mitrailleur et cela ne s'était pas produit. La première (je dis la première pour la commodité du récit car il serait bien difficile de déterminer l'ordre d'arrivée des projectiles), la première donc avait frappé le casque mais l'angle d'arrivée avait permis un ricochet laissant un sillon profond dans le métal sans toutefois le percer. La seconde frappa sous un angle tel qu'elle perça le métal sur le côté droit dans la partie la plus proche du cimier, en sortit à l'opposé, de telle sorte que le dessus du crâne de notre mitrailleur fut à peine effleuré sur deux centimètres du cuir chevelu. Il s'ensuivit un saignement insignifiant. Quant à la troisième balle, elle était passée sous le nez effleurant le petit bout de cartilage qui termine la cloison nasale, imitant l'index que nous passons sous les narines pour répondre à une démangeaison passagère.
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Incroyable direz-vous mais incroyablement vrai. J'ai vu ce soldat tamponnant le dessous de son nez, j'ai vu ce casque embouti et percé ; j'ai vu ces hommes absolument ahuris d'avoir échappé d'aussi près à la mort. Comment exprimer ma stupeur et aussi ma joie de voir ce jeune combattant hors de danger. Comment qualifier un fait aussi extraordinaire ? On peut accumuler tous les adjectifs les plus expressifs : inconcevable, inexprimable, indicible,... L'esprit se refuse à admettre que la mort soit passée si près et qu'elle n'ait pu accomplir son œuvre. Une seule balle aurait suffi et trois balles passées à quelques centimètres les unes des autres n'ont pu le faire. Il me souvient d'avoir dit à ce rescapé de la mort : " Tu n'es pas mort aujourd'hui, tu ne devrais plus mourir ! ". Phrase bien banale, mais devant de tels faits, notre raison est désarmée. On s'en va répétant des propos entendus bien des fois dans la bouche de nos anciens : " Ce n'était pas son heure ! " ou alors " Il était né sous une bonne étoile ". Peut-être ce soldat a-t-il péri dans les combats qui ont suivi la campagne ? Peut-être les tourbillons de la guerre l'ont-ils entraîné sur les théâtres d'opération extérieurs ? Je ne l'ai jamais revu. Peut-être est-il encore de ce monde ? Auquel cas, je lui souhaite de raconter longtemps encore, à ses descendants, à ses amis son extraordinaire aventure dont j'ai estimé qu'elle avait sa place dans mon recueil de souvenirs. Maintes fois il m'est arrivé de l'évoquer, non pas pour moraliser sur la destinée des hommes car notre impuissance en la matière est bien troublante. En terminant ce récit, il me souvient d'avoir lu ce proverbe chinois qui illustre bien les miracles dont je fus le témoin ému : " Le moment choisi par le hasard vaut mieux que le moment choisi "... et un autre qui dit : " Personne n'a de chance tous les jours ! ". C'est bien vrai, mais quand on peut bénéficier de temps en temps de coups de hasard aussi heureux que ceux rapportés ici, il faut savoir s'en réjouir et s'en souvenir longtemps. Plus de cinquante ans se sont écoulés depuis ces aventures que je viens de conter et je les raconte toujours avec la même chaleur.
Après le bombardement aérien du 21 mai sur la route de Beauvais on pouvait dire que la chance avait bien souri à notre régiment. Le soir du même jour, la troupe fut dispersée dans plusieurs villages appelés Plachy, Conty, Carrépuits. À la nuit tombante, un groupe de soldats se trouvait sur la place du village. Ils épiloguaient sur les événements dramatiques de la journée en se félicitant de l'avoir échappé belle. Oui ! mais de quoi demain serait-il fait ? Au moment où chacun s'apprêtait à regagner son cantonnement, une silhouette d'officier approcha du groupe pour demander dans quelle direction se dirigeait notre régiment. Les soldats ne savaient rien de précis, pas plus que leurs officiers. Il lui fut répondu vaguement par le caporal Lovera : " Probablement vers le Nord à la rencontre des Allemands qui auraient atteint paraît-il les bords de la Somme ". Il ajouta : " Des estafettes ont précisé qu'après un bombardement copieux, la ville d'Amiens flambait ". L'officier dont les galons de capitaine se distinguaient à peine dans l'opacité du soir, lui répliqua : " Ce n'est pas vers le Nord qu'il faut aller ; c'est vers le Sud et le plus loin possible. Vous allez vous faire tuer, tous jusqu'au dernier ". Les soldats n'eurent même pas le temps de réagir, l'officier avait disparu, probablement pour colporter des propos démoralisants pour les troupes. On sut par la suite que des espions allemands se faufilaient partout et que des Français, hélas ! leur prêtaient main-forte.
Deux jours plus tard, ma Compagnie s'installait tout à proximité des bords de la Somme. Ma section occupait un petit village de 600 habitants environ qu'on appelait Voyennes. L'ennemi bombarda aussitôt. Le clocher qui aurait pu nous servir d'observatoire fut détruit. Nous eûmes quelques pertes en hommes et matériel. Le lendemain, alors que nos armes automatiques étaient toutes en batterie, ordre nous fut donné de nous replier vers le Sud dans un hameau nommé Quiquery qui devait ses activités et sa vie à une briqueterie importante désertée depuis quelques jours par les ouvriers et les propriétaires. Ce ne fut que le 5 juin au matin que nous fut administré le vrai baptême du feu car rien ne manquait à la cérémonie : artillerie légère, armes automatiques, aviation. Pendant plusieurs heures, il nous fallut faire face à un déluge de fer et de feu nous obligeant à nous terrer prudemment. Les attaques ne furent pas sans réponses. Le long du remblai d'une voie ferrée secondaire rejoignant Amiens au centre ferroviaire de Tergnier, nos mitrailleuses bien placées et bien protégées stoppèrent une attaque de l'infanterie adverse en lui infligeant de lourdes pertes. Au passage, je tiens à souligner une tactique criminelle du commandement allemand qui désigna des pelotons de reconnaissance en rase campagne composés de cyclistes portant sur le bras droit une croix rouge sur fond blanc. Il ne s'agissait nullement d'infirmiers mais de soldats dissimulant des armes dans les cadres de leurs vélo. La vue des croix rouges créa une certaine confusion de quelques secondes à peine. Le lieutenant Choulot comprit parfaitement cette supercherie, ordonna un tir continu sur les pelotons qui furent décimés en un clin d'oeil. L'attaque de l'infanterie allemande fut donc stoppée et un calme relatif régna pour la mitraille. Seules quelques pièces d'artillerie légère échangeaient des coups. Vers les 16 heures, un ordre de repli parvint du chef de bataillon. Je ne saurai dire si toutes les unités de combat reçurent les mêmes instructions, mais je tiens à affirmer que le 3e R.I.A. a livré bataille sur les bords de l'Oise, de la Marne (canal de l'Ourcq), de la Loire, que chaque fois il opposa une résistance opiniâtre à l'ennemi. Et nous trouvions bien curieux qu'à chaque fois, l'ennemi étant en échec, nous recevions des ordres de replis. La presse et la radio parlaient de replis stratégiques ! Passons !
Des multitudes d'ouvrages ont été écrits par des historiens de haut niveau sur la seconde guerre mondiale dont les analyses sur les causes de la défaite française ne m'ont pas convaincu sur tous les points. Mon intention n'est pas de les reprendre ici. Dans le préambule au présent récit, j'ai parlé d'actes de trahison auxquels il ma été donné d'assister. C'est l'un des aspects les plus dramatiques de la guerre qui m'a sensibilisé au plus haut point. Mais avant d'évoquer les événements troublants vécus à Verneuil-sur-Oise où nous arrivâmes après cinq jours de retraite, il m'apparaît nécessaire de raconter succinctement par quels chemins et dans quelles conditions nous avons pris position sur les bords sud de l'Oise, l'agglomération de Verneuil se situant vers l'Est.
À partir du 5 juin, la grande offensive allemande débuta par des bombardements intensifs sur les concentrations de troupes, les nœuds ferroviaires, les villes, les villages, semant la terreur et la désolation partout.
L'Artois avait été occupé par l'ennemi après les capitulations de la Hollande et de la Belgique (15 et 28 mai 1940), puis ce fut le tour de la Picardie.
Dans ces régions du Nord où le souvenir de la première guerre mondiale n'était pas effacé, les populations terrifiées abandonnèrent leurs maisons, leurs terres, leurs exploitations, leurs troupeaux, emportant sur des charrettes, des brouettes même, quelques provisions de bouche, des vêtements. Ils allaient par les routes et les chemins essayant d'esquiver les balles et les obus qui arrivaient du ciel. Des voitures d'enfants fusaient des cris aigus couverts par le beuglement des vaches en débandade elles aussi, des bêtes aux mamelles énormes gonflées de lait, qu'on n'avait pas pu traire depuis plusieurs jours ce dont elles souffraient horriblement. À tous ces cris d'animaux, d'êtres humains qui ne tarissaient pas d'invectives, se mêlaient aussi des commandements militaires ; civils et soldats se confondant sur les routes grouillantes de fuyards. À ce spectacle abominable, s'ajoutait de loin en loin celui des cadavres de chevaux, particulièrement vulnérables au souffle des bombes, et dont les entrailles exposées au soleil depuis les premiers bombardements, répandaient des odeurs pestilentielles.
Et la débâcle s'aggravait d'heure en heure du fait que depuis plusieurs jours aucun ravitaillement n'arrivait plus aux soldats. Alors, on vit souvent se détacher des convois, des équipes qui s'en allaient vider les poulaillers des fermes voisines dans l'espoir de manger convenablement à la prochaine étape. Les pillages s'effectuaient sans mauvaise conscience aucune, les fermes ayant été abandonnées.
Où allaient-ils ces civils affolés : vieillards, femmes, enfants, pour se protéger de la mort qui les suivait à chaque pas ?
Ils n'en savaient rien. Instinctivement, ils fuyaient vers le Sud, espérant y trouver le salut comme le firent leurs aînés de la guerre 1914-1918.
Où allaient-ils ces fantassins, ces cavaliers coupés souvent de leur État-Major par des ordres et des contre-ordres auxquels ils ne comprenaient rien, mais que des agents de l'étranger savaient donner pour accentuer la pagaille.
Eux aussi s'en allaient vers le Sud avec un moral désastreux et l'impression qu'on les abandonnait à leur triste sort.
Dans les cinq jours qui suivirent l'attaque allemande du 5 juin, exécutant les ordres de repli, on nous dirigea vers le Sud c'est-à-dire les bois de Libermon, Campagne, Plessis-le-Roy... Dans l'après-midi du 7 juin, ma section éprouva une grande satisfaction en abattant un avion d'observation ennemi, volant à basse altitude, exploit qui faillit me coûter la vie en voulant sauver le pilote dont les deux jambes avaient été brisées. Non loin de là, l'avion intact, était devenu la cible des artilleurs allemands se souciant peu de la vie du pilote. Comme quoi, on n'est pas toujours récompensé pour les bonnes actions accomplies.
Le soir même, à la nuit tombante un char ennemi se fixa sur un mamelon dominant une immense plaine sans aucune espèce d'abri naturel. Il nous mitrailla copieusement à balles traçantes. Le Sergent Vial, un Toulonnais dont j'ai gardé le meilleur souvenir, fut tué tout à côté de moi, frappé au ventre par une balle rougie. J'entends encore ses cris d'une souffrance atroce et son appel désespéré : " Maman ! Maman ! Je meurs assassiné ! "
Quand on a assisté à de tels spectacles, comment ne pas haïr la guerre et ceux qui la préparent ?
Les 8 et 9 juin, ce furent les mêmes scènes : des alertes, des fusillades, des pillages, de la débâcle et les villages désertés voyaient défiler civils et militaires confondus : Gournay, Fleurines ; puis ce fut le passage du fameux pont de Sainte-Maxence que les Allemands n'avaient pu détruire et où la cohue avait atteint son paroxysme.
Au matin du 10 juin, notre compagnie s'installa sur les bords de l'Oise à Verneuil, village qui comptait à l'époque 2.000 habitants environ. Notre mission était d'en défendre l'accès Nord-Ouest.
L'État-Major du bataillon s'installa au centre de l'agglomération, dans une école qui donnait sur la rue principale desservant à son extrémité Est, une place suffisante pour y parquer nos mulets au nombre d'une trentaine. Il fallait d'urgence alléger les bêtes de leurs mitrailleuses et procéder à la mise en batterie sur les bords de la rivière en prévision d'une attaque brusquée de l'ennemi qui selon toute vraisemblance devait rechercher des points de passage du cours d'eau large tout au plus d'une trentaine de mètres.
Après une nuit de marche ininterrompue, harassés de fatigue, les mitrailleurs montèrent leurs pièces en un temps recors et fortifièrent leur position.
Tout le monde scrutait l'horizon d'un champ immense en jachère, limité au Nord-Ouest par une route, secondaire certainement praticable pour des engins blindés.
Vers l'Est, le long de l'Oise, des rideaux d'arbres d'une telle épaisseur qu'on aurait bien du mal à distinguer des attaquants se faufilant sous les frondaisons.
En inspectant de plus près le terrain, les obstacles et toutes les possibilités d'accès au village, mon camarade le lieutenant Coste aux petits yeux bleus sans cesse en mouvement dans leurs orbites me dit : " Regarde-moi ça ! ". L'index tendu, il me montra non loin de notre position principale un bac amarré sur la rive Nord de l'Oise. Point de passeur à proximité. Celui-ci avait sans doute quitté le village comme l'avaient fait tous les habitants.
Notre inquiétude grandissait. Si l'ennemi arrivait, il aurait tôt fait d'utiliser ce moyen de transport pour franchir la rivière. Large et plat, il était assez grand pour transporter un attelage complet et une vingtaine de personnes. Il n'était pas pensable qu'on laissât ce bac du côté de la rive où l'ennemi pouvait surgir d'un moment à l'autre.
Que faire ? Envoyer des nageurs pour actionner le bac et le faire passer sur la rive opposée ? Encore aurait-il fallu qu'ils sachent manœuvrer ?
Décision fut prise d'alerter le chef de bataillon, établi dans l'école du village à moins de deux cents mètres de nos positions. Celui-ci put joindre l'État-Major du Régiment et lui demander que ce bac fut détruit par des artilleurs.
Tout le monde, face au danger, attendait dans l'anxiété quand tout à coup un lourd camion chargé d'un canon de 75 et de ses servants apparut sur la route de Senlis. Un capitaine d'artillerie chargé d'opérer la destruction du bac fit pointer la pièce et au moment de commander le tir apparut dans le groupe des badauds une estafette à moto qui s'informa et se dirigea vers l'officier, lui remit un pli, en provenance dit-il de l'État-Major du corps d'armée. À sa lecture le capitaine blêmit puis commanda au motocycliste : " Tu peux partir ! ". Ce dernier hésitait à exécuter cet ordre et par souci d'exécuter parfaitement sa mission, timidement demanda à son supérieur : " N'y a-t-il pas de réponse à donner ? ". " Non ! Je n'ai pas de réponse à donner ", lui fut-il répondu sèchement.
La moto repartit en pétaradant bruyamment. Quelques secondes après son départ, le capitaine ordonna : Feu ! Le tir fut exécuté si bien qu'au deuxième obus le bac métallique crevé, devenu inutilisable s'enfonça dans l'eau doucement à la grande satisfaction de tous les présents. Alors, le capitaine artilleur triomphant nous déclara : " J'avais reçu l'ordre de ne pas le couler ! ". Les répliques fusèrent instantanément : " Pas possible ! Les salauds ! ". Oui, des salauds il y en avait partout et ce fait isolé nous confortait dans cette opinion, qu'à tous les niveaux, il devait y avoir des saboteurs. Si j'avais décidé d'écrire l'histoire de la guerre, j'aurai pu multiplier les exemples de ce genre.
Nous n'avons jamais su comment le capitaine avait rendu compte de sa mission. De toute manière, cet acte de désobéissance ne lui laissa certainement pas une mauvaise conscience.
Tout à coup un soldat s'écria : " Des cavaliers ! ". Et nous vîmes s'avancer un peloton de Uhlans d'une vingtaine environ, sous les feuillages épais bordant l'Oise. Le mitrailleur le plus proche qui les avait débusqués n'attendit même pas l'ordre de feu continu. À moins de cent mètres de l'objectif, la rafale fit des ravages. Les cavaliers tombèrent, tandis que les malheureux chevaux, cibles faciles à atteindre se cabraient sous les balles qui perçaient leur ventre, leurs hennissements de douleur faisaient beaucoup de mal à entendre. Parmi les Uhlans, quelques rescapés se retirèrent à toute bride.
Après la reconnaissance des cavaliers allemands qui leur coûta fort cher, il fallait nous attendre à des affrontements plus sérieux. Bientôt, du côté Nord, on pouvait suivre à la jumelle des automitrailleuses, des canons légers qui manifestement cherchaient à contourner nos positions en direction de l'Ouest. Du côté Est, la fusillade se rapprochait. Des coups de feu éclataient à l'extrémité de la rue principale où se trouvait l'État-Major du bataillon. Puis tout à coup des rafales d'armes automatiques crépitèrent pendant plusieurs minutes sans marquer de pauses. Hélas ! Nous n'avions pu prévoir qu'il fallait compter avec la sauvagerie de l'ennemi.
Vers la place où les mulets avaient été parqués dans la matinée, des muletiers affolés qui avaient réussi à se protéger dans des maisons abandonnées assistèrent à un spectacle abominable qu'ils contèrent le lendemain.
Par crainte de nous voir utiliser nos bêtes pour y recharger les armes automatiques, les fantassins allemands les tuèrent toutes à bout portant par des rafales de mitraillettes. L'agonie de ces pauvres bêtes n'en finissait pas et leurs cris lugubres retentissaient bien loin à la ronde.
Les Allemands avaient donc investi Verneuil par l'Est et selon toute vraisemblance ils n'avaient pas rencontré de résistances sérieuses.
Nous allions essayer de reprendre contact avec notre État-Major dont nous étions sans nouvelles depuis plus d'une heure, quand un motocycliste venant de Senlis marqua un temps d'arrêt pour demander à l'un des nôtres où se trouvait l'État-Major du bataillon pour y acheminer un courrier urgent.
Il fut renseigné sur le champ sur son emplacement, mais je lui fis observer que nos liaisons avec le chef de bataillon étaient interrompues depuis plus d'une heure.
Désireux de remplir la mission qu'on lui avait confiée, le motocycliste accéléra sa machine et dit : " Il faut y aller voir ! ".
Il s'engagea dans la rue centrale toute droite, n'eut pas de peine à trouver l'entrée de l'école à main gauche, gara son véhicule dans la rue déserte et entra.
Un coup de feu retentit. Puis une fenêtre du premier étage s'ouvrit, un Allemand cria dans un porte-voix : " Français, rendez fou ! ". L'ennemi occupait donc l'école et quand l'estafette entra le factionnaire allemand en garde dans le couloir la foudroya. Nous avons su beaucoup plus tard qu'il s'agissait d'un Seynois* appelé Barisone.
*
Marius Félix Barisone, né à La Seyne, route de Tamaris, le 11 décembre
1916, fils de Louis Barisone, 32 ans, chauffuer, et de Nataline Moreno,
27 ans. Marié à La Seyne le 23 avril 1940 (donc moins de 2 mois avant
sa mort) avec Emilie Fernande Adolfine Avard. Mort pour la France à
Verneuil-sur-Oise le 10 juin 1940.
Une mitrailleuse fut mise en batterie en direction de l'école de manière à pouvoir balayer la rue qui y accédait mais les Allemands prenaient peu de risques.
Dans la soirée, la situation devenait intenable, l'ennemi occupait la moitié du village. Nous ne savions pas où était passé L'État-Major. Pourquoi notre compagnie n'avait-elle pas été prévenue d'un ordre de repli ? Tout cela nous paraissait bien suspect.
L'étau de l'ennemi se resserrait de toutes parts. À la nuit tombante, l'encerclement était presque achevé et les voix gutturales des vainqueurs, nous arrivaient de toutes les directions : " Rendez-vous ! Rendez-vous ! Vous êtes perdus ! " Hélas ! C'était vrai que nous étions perdus ! Ce qui n'empêchait pas les hommes de riposter par le mot de Cambronne.
Même si nous avions trouvé une issue, nous n'aurions pas pu transporter bien loin nos mitrailleuses et leurs affûts trépied. Alors, la mort dans l'âme, il fallut nous résoudre à démonter les culasses de nos armes et à les jeter dans l'Oise pour que les Allemands ne puissent pas les utiliser. Quelques fusils-mitrailleurs et de rares chargeurs furent conservés, ainsi que les fusils individuels.
La nuit était venue et l'ennemi cherchait toujours à obtenir notre reddition. Le Lieutenant Larroudé qui commandait alors ma compagnie proposa de nous enfermer dans les maisons et de tirer jusqu'à la dernière cartouche pour faire face à l'assaut final. Cette solution fut loin de faire l'unanimité des officiers. Il fallait bien comprendre que la nuit passée, les Allemands n'attaqueraient pas à la baïonnette le lendemain. L'artillerie légère aurait tôt fait de pulvériser les habitations et leurs occupants.
Il fallait trouver le moyen de percer l'encerclement et de rejoindre notre régiment où notre présence, même avec des moyens réduits, pouvait encore contribuer à la défense de notre pays.
Et le salut nous vint du ciel ! Je m'explique : pour nous impressionner l'ennemi tira au-dessus du village des fusées éclairantes d'une rare puissance. Elles étaient belles, leurs couleurs, mais notre réflexe ne fut pas de les admirer car il fallut bien vite chercher des zones d'ombre pour nous dissimuler. Cependant, ce fut des fusées que nous vint le salut parce qu'elles nous permirent de découvrir un chemin montant vers le cimetière du village en direction du Sud. Peut-être l'encerclement de l'ennemi n'était pas total ? Peut-être qu'il avait hésité à occuper ce lieu sacré par souci d'éviter toute profanation des tombes. Pourquoi ne pas tenter notre chance ?
Dans une accalmie des illuminations du ciel, il me souvient d'avoir rapidement franchi le chemin, rampé entre les tombeaux en recherchant les zones d'ombre, suivi des hommes chargés des armes et des munitions qu'ils avaient pu sauver.
En moins d'une demi-heure, nous nous trouvions en rase campagne dans la nuit noire, ne sachant pas trop la direction à suivre pour retrouver notre bataillon et notre régiment. Les Allemands ne nous avaient pas poursuivis.
Regroupées dans la forêt de Chantilly, nos unités devaient se préparer à d'autres combats avec le peu de moyens en armes, munitions et matériel qu'il leur restait.
Tous les combattants survivants du 3e Bataillon du 3e R.I.A. ayant participé aux opérations de Vemeuil-sur-Oise au cours des journées des 9, 10 et 11 juin 1940 ne sont pas prêts d'oublier leurs émotions et aussi leur indignation bien justifiées.
Hommage soit rendu ici à leur patriotisme, à leur courage, malgré l'inégalité des luttes où ils furent criminellement engagés.
Le Pont d'Orléans - Pithiviers
Il était bien difficile aux États-Majors de l'armée française d'établir des lignes de défense continues pour essayer d'enrayer le déferlement des Panzer divisions. Là retraite s'accélérait partout. La bataille de France tirait sur sa fin.
Entre le 28 mai et le 4 juin, les Allemands avaient gagné à l'Ouest la bataille de Dunkerque ; leurs forces s'orientaient maintenant vers la Normandie et la Bretagne en passant, bien entendu, par Paris.
Au centre, après la bataille de l'Oise, notre régiment tenta de stopper l'avance ennemie sur la Marne et le canal de l'Ourcq à l'endroit précisément où le général Maunoury, en septembre 1914 avait battu l'année de von Kluck, l'obligeant à un repli déterminant pour la suite de la guerre.
Pendant toute une journée, notre unité tint l'ennemi en échec en lui infligeant des pertes sérieuses. Dans la soirée un ordre de repli lui enjoignit d'aller vers le Sud en direction d'Orléans en passant par Livry-Gargan où une surprise nous attendait. À peine engagés dans la rue principale de l'agglomération, une explosion violente retentit derrière nous, suivie d'autres, de centaines d'autres en provenance d'un dépôt de munitions que notre artillerie avait bombardé. Les déflagrations se succédaient, projetant à plus d'un kilomètre à la ronde une pluie d'éclats d'obus rougis qui crevaient les toitures de tuiles en allumant d'innombrables incendies.
Tous les hommes surent trouver le chemin des caves pour se protéger au moins des éclats. Il y eut de nombreux blessés, mais la population de Livry-Gargan, terrorisée, s'apprêtait à fuir. Elle ne savait même pas que l'armée allemande était aux portes de Paris.
À la nuit tombante, nous franchissions la Seine pour atteindre Boissy-Saint-Léger. Le génie fit sauter le pont que nous venions de traverser alors que tout l'effectif de notre unité n'avait pas eu le temps de passer le fleuve. On murmurait vaguement dans les rangs de la troupe qu'une bataille sur la Loire se préparait.
Arrivés à Juvisy-sur-Orge, l'ordre nous fut donné de nous regrouper vers la gare où disait-on un train nous attendait pour parvenir à Orléans le plus vite possible.
Effectivement, un train de voyageurs attendait prêt à partir ; la locomotive sous pression crachait vapeur blanche et fumée noire. Enfin, nous allions pouvoir nous reposer un peu, après les marches forcées qui nous avaient épuisés depuis la première bataille du 5 juin sur les bords de la Somme.
Nous attendions avec impatience l'ordre du départ... Un ordre qui ne vint jamais. Profondément ulcéré, l'État-Major fit rechercher les mécaniciens et les employés. Les bureaux de la gare étaient déserts et les conducteurs disparus. Sabotage ? Frayeur des bombardements ? On ne sut jamais.
Au bout d'une heure d'attente, nos supérieurs ordonnèrent le départ pour Orléans à marches forcées. Pendant ce temps, les Allemands bombardaient copieusement la gare de la ville et tous les nœuds de communication occasionnant d'importants dégâts et des victimes civiles. La population ignorait que, depuis le 14 juin, l'ennemi occupait Paris.
Le 16 juin dans la matinée nous arrivions dans les faubourgs d'Orléans que la population terrorisée s'apprêtait à quitter en apprenant l'arrivée incessante de la soldatesque germanique aiguillonnée par les nazis glissés dans toutes les unités.
Les étapes entre l'Oise et la Loire mériteraient d'importants commentaires, mais j'ai voulu, parvenu à ce stade de la retraite des armées françaises et singulièrement de notre 3e Régiment d'Infanterie dont les hommes se nommaient fusiliers-voltigeurs, qualification ô combien justifiée après la longueur du chemin parcouru en un temps record, j'ai voulu, dis-je, insister sur un aspect particulièrement saillant, vécu par notre unité, de cette campagne de France si douloureuse à nos cœurs de bons patriotes.
Il s'agit du franchissement de la Loire conjointement par le 3e R.I.A. et la population d'Orléans surprise par l'attaque inopinée de l'aviation allemande. C'est l'un des événements de la guerre le plus dramatique auquel j'ai assisté et qui a laissé dans ma mémoire des souvenirs douloureux ineffaçables.
Orléans étant seulement à 116 km de Paris, en moins de deux heures, les divisions blindées allemandes arrivèrent sur les bords de la Loire. L'armée française, ou plutôt ce qu'il en restait, s'apprêtait à organiser une ligne de défense sur la rive gauche du fleuve, comme elle l'avait fait sur les bords de l'Oise, de la Somme, de la Marne, de la Seine. Mais il fallait se hâter et le commandement des unités du génie militaire attendait avec impatience le passage des troupes françaises pour faire sauter les ponts, opération destinée à stopper momentanément du moins, les chars d'assaut ennemis.
Le 16 juin en fin de matinée, notre bataillon entrait dans Orléans par les rues Royale et République.
La population affolée abandonnait les lieux ; les magasins se vidaient de leur contenu. Les commerçants, plutôt que de voir les Allemands s'en emparer, préféraient tout donner à la population. Ils offraient aux gens des marchandises à consommer pendant l'exode : pain, biscuits, conserves alimentaires, fruits, boissons...
Dans cette atmosphère de panique, on trouve toujours des individus sans scrupules avides de pillage et de chapardage. Bien sûr, tout le monde souhaitait que les Allemands ne trouvent plus rien à consommer, ce qui ne pouvait justifier en aucun cas les scènes auxquelles se livraient des malandrins. Citons un exemple bien précis : en quelques minutes, le magasin d'un vendeur de cycles de la rue Royale fut mis à sac littéralement.
Les beaux vélos étincelants prêts à rouler permirent à quelques-uns de ces brigands de s'éloigner rapidement de la ville pour se mettre à l'abri. Quand les vélos tout équipés furent emportés, il restait encore des cadres et des roues séparés dépourvues de pneus. Le pillage continua ; les roues furent tout de même fixées et l'on entendait le cliquetis des jantes sur le pavé des rues descendant vers la place du Martroi.
Quand il n'y eut plus de véhicules à monter, on vit même un chenapan emporter des pompes à vélo dans ses poches.
Des commerçants ayant donné l'exemple de la générosité, il s'ensuivit que des gens incapables du moindre larcin dans leur vie quotidienne crurent que tout était permis et emportaient tout ce qu'ils pouvaient : produits pharmaceutiques, articles de quincaillerie, vêtements, chaussures... Et pourtant le danger était grand, l'ennemi étant aux portes de la ville.
Ce fut dans cette ambiance de déroute que se mêlaient les militaires et les civils, tous se bousculant pour arriver le plus vite possible sur les bords de la Loire où les ponts permettraient de passer sur la rive gauche pour y trouver le salut.
La Place du Martroi, où il nous fallut passer, offrait un spectacle de désolation des plus lamentables.
Elle avait été bombardée la veille par une escadrille de Messerschmitt à croix noire. Les bombes ne pouvant guère s'enfoncer dans le sol à cause des pavés avaient éclaté à leur surface et projeté dans tous les azimuts, presque au ras du sol, des éclats d'acier brûlants détruisant toutes les vitrines à la périphérie de cette place circulaire jonchée d'objets les plus hétéroclites. La statue équestre de Jeanne d'Arc s'élevait au milieu de la place, intacte ou presque, seulement égratignée par des éclats de pierre. Elle paraissait défier l'ennemi triomphant en appelant les fantassins français qui la côtoyaient à se battre résolument comme l'avaient fait leurs ancêtres cinq siècles auparavant pour chasser les Anglais de leur patrie.
Puis le flot des fuyards s'engagea vers les ponts de la Loire au nombre de trois : le Pont Neuf, ainsi nommé car il fut le dernier construit, le Pont Royal dans le prolongement de la rue Royale, le Pont de Vierzon, assurant la liaison Orléans-Vierzon par voie ferrée.
Le gros de l'exode se précipita sur le Pont Royal car les Allemands prenaient position à l'entrée du Pont Neuf, mais à peine le premier char d'assaut à croix noire fut-il engagé que les sapeurs firent sauter la dernière arche côté rive gauche.
Sans doute déçu de ne pouvoir atteindre son objectif, le mitrailleur allemand tourna sa tourelle de 90° et cracha ses rafales en direction du Pont Royal où se ruait la foule des civils (hommes, femmes, enfants,...) et des militaires confondus. Les premières balles sifflèrent et causèrent des pertes humaines. " Couchez-vous ! Couchez-vous ! " criait-on partout. Le parapet du pont suffisamment élevé protégeait les gens plaqués au sol mais dans la crainte de voir aussi le Pont Royal sauter comme le Pont Neuf, tout le monde se bousculait, rampait, piétinait des corps à moitié dévêtus. Dans cette cohue indescriptible, certains s'étouffaient, faisant des efforts inouïs pour atteindre la rive opposée. Ce qui ajoutait aux difficultés c'était la présence sur le pont de véhicules abandonnés tombés en panne par manque d'essence. Dans cette effroyable cohue, on voyait des gens sans chaussures, en haillons, à la recherche de leur sac de route où ils avaient serré quelques provisions de bouche.
Une maman appelait du secours pour soigner sa fillette à la poitrine ensanglantée. Sur ce magma de tués, de blessés, de bicyclettes, de valises écrasées, partaient des appels désespérés, des cris de douleurs et l'ennemi tirait toujours et même quand les balles s'écrasaient sur le parapet, les éclats de pierre étaient tout aussi meurtriers. Quel spectacle abominable ! Quelle ignominie ! On se demande comment des êtres humains ont pu être capables de tels actes de barbarie !
Et ce n'était que le début des horreurs qui allaient suivre avec les sévices, les tortures, les prisons, les camps de concentration, les fours crématoires, images terribles de la seconde guerre mondiale dont nous avons parlé dans les ouvrages précédents.
Revenons au Pont d'Orléans, où la masse informe des êtres vivants gagnait peu à peu la rive gauche de la Loire en hurlant des appels pathétiques : " Pierre, mon chéri ! Où es-tu ? Jeanne ! Jeanne ! Réponds-moi ! "
Les gens affolés suppliaient les militaires de les aider à retrouver leurs proches disparus dans cette mêlée inimaginable.
Puis tout à coup un fracas épouvantable retentit à l'autre bout du pont sur la rive droite. Hélas, tout le monde n'avait pas traversé. En dépit des objurgations des sapeurs du Génie, certains civils avaient voulu tenter le passage malgré les risques : autre spectacle de désolation ; des morts, des blessés, des noyés ! La déflagration avait provoqué un nuage jaune qui s'étirait sur toute la largeur du fleuve et répandait une odeur de poudre âcre qui vous prenait à la gorge et si épaisse que les secours d'urgence étaient bien hasardeux. Les équipes de brancardiers relevaient et emportaient des corps. Il fallait aussi essayer de sauver des blessés qui se noyaient et que venaient rejoindre les cadavres en provenance du cours supérieur de la Loire où presque simultanément les ponts de Sully, de la Charité, de Jargeau, de Châteauneuf et Gien furent détruits par les sapeurs du Génie.
Les familles de civils qui avaient pu se regrouper s'enfoncèrent dans les forêts au Sud-Ouest d'Orléans, d'autres prirent la direction de la Sologne.
Les militaires furent regroupés non sans peine. Notre compagnie fut dirigée sur un petit village situé à 12 km au Sud-Ouest d'Orléans. Il fallut prendre position par des moyens de fortune. Ma Compagnie fut désignée pour occuper une ferme transformée en fortin avec les rares fusils-mitrailleurs qu'il nous restait. Les munitions n'avaient pas été remplacées depuis plusieurs jours. Quelle résistance allions-nous opposer aux engins blindés qui arriveraient bientôt sur nous ?
Le soir tombait. Un ordre de repli me parvint et le chef de bataillon me recommanda par écrit de passer par son poste de commandement établi dans une ferme à quelque trois cents mètres du village de Sandillon.
J'exécutai et au moment de prendre contact avec mon supérieur dont j'étais éloigné de 50 mètres à peine, une rafale de mitraillette passa à quelque trente centimètres au-dessus de ma tête. J'étais le plus exposé, me trouvant en tête de la colonne et mes camarades entendirent les balles siffler de très près à leurs oreilles. L'Allemand avait tiré trop haut. D'où nous avait-il repéré ? Précisément du poste où j'aurai dû rencontrer mon supérieur. J'appris par la suite que ce dernier avait quitté les lieux et qu'il n'avait pu me prévenir en temps voulu. Phénomène curieux, n'est-ce pas ce qui se produisit de la même façon à Vemeuil-sur-Oise ?
En attendant, dans l'intervalle des rafales, nous avions pu réussir en rampant et en faisant quelques sauts de batraciens à nous protéger dans des fossés et des vieux murs à la périphérie du village. Une fois de plus, la mort était passée bien près de nous. De nouveau, la baraka nous avait souri.
La nuit venue, les moteurs des chars allemands cessèrent de ronronner. Le bruit courait dans les troupes qui refluaient en désordre que des pourparlers d'armistice étaient engagés. Après quelques heures de répit à travers champs, notre unité entra dans Lamotte-Beuvron, chef-lieu de canton du Loir et Cher. Au moment où nous prenions quelque repos assis sur les trottoirs de la bourgade, une colonne de chars d'assaut hérissés de combattants armés d'armes automatiques fonça sur ce qui restait du 3e Régiment d'Infanterie Alpine. Ces soldats allemands poussaient des cris de bêtes féroces pour exprimer leur triomphe. Leurs yeux avaient la couleur de la mer orageuse et leur barbe était roussâtre. Ils nous invectivaient tout en désarmant les soldats dont la résistance n'était guère possible car leurs munitions étaient épuisées. Les Huns ! dis-je à mes camarades les plus proches. De grosses larmes roulèrent dans mes yeux au souvenir des premières leçons d'histoire de mon instituteur mutilé dont il a été question au début du chapitre : Seynois au combat.
Toute la 29e Division à laquelle le 3e R.I.A. appartenait fut encerclée puis capturée par les Panzer divisions. Les officiers furent séparés des soldats dans un premier temps. Ces derniers organisèrent un cantonnement en pleine nature, étroitement surveillé par la soldatesque allemande. Par contre, les officiers furent traités plus humainement. On leur fit occuper les logements luxueux d'une belle propriété bourgeoise, évacuée depuis plusieurs jours : salons richement meublés et décorés, literie moelleuse, fauteuils style empire, salles de bains, etc... Ils purent se sustenter momentanément grâce à quelques biscuits de guerre et des boissons prélevés par les Allemands chez les commerçants locaux. Comble de l'hypocrisie ! un officier vint nous demander si nos locaux d'accueil nous paraissaient suffisamment confortables, sinon on chercherait pour nous des résidences améliorées. Il savait pertinemment que le lendemain c'était le camp de prisonniers qui nous attendait avec ses châlits et quelques centimètres de paille. Un autre offizir nous promit le transfert sur Pithiviers par camion. En fait, le déplacement de Lamotte-Beuvron pour le camp se fit en deux temps. Nous fûmes conduits en véhicule jusqu'à Orléans dans la cour d'une immense caserne encombrée de camions. Après une nuit passée à même le sol pierreux, nos unités furent reconstituées et l'on nous fit parcourir, sans ravitaillement d'aucune sorte les 43 kilomètres séparant Orléans de Pithiviers. Mais avant de partir j'éprouvai tout de même une légère satisfaction. Ayant vu un officier allemand poser de belles jumelles sur le marchepied d'un camion alors qu'il lui fallait répondre à un ordre, j'eus le réflexe immédiat de m'emparer de ce bel objet au moment où le chauffeur mettait en marche son véhicule. Personne ne m'avait vu. Quand l'officier revint, il constata que le camion parti avait dû emporter ses jumelles. J'éprouvais un sentiment de satisfaction au souvenir que la veille les Allemands m'avaient pris mon revolver. C'était pour moi une petite vengeance et ma foi j'en éprouve encore quelque jubilation quand je raconte à des amis mes aventures de guerre. Ajoutons que je les garde toujours, ces jumelles, comme un trophée que j'ai pu sauver au moment de mon évasion, qui va faire l'objet maintenant d'un récit qui ne manque pas d'intérêt.
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Jumelles dérobées par Marius Autran à un officier allemand |
Il faut dire quelques mots sur la situation générale de notre pauvre France trahie et des événements douloureux que nous vivions. Le 21 juin, notre division s'étirait sur la route Orléans-Pithiviers qu'on nous fit parcourir à pied. Exténués par ces dures épreuves les fantassins du 3e R.I.A. et les autres venaient de subir une grande humiliation qui s'accrut quand ils apprirent le 25 juin la capitulation signée par Pétain. La France coupée en deux zones, dont la moitié occupée par les armées au service de Hitler. Comment allait réagir la population ? Et les deux millions de prisonniers ? On savait peu de choses dans les baraquements du Camp de Pithiviers. Les Allemands filtraient les informations. On apprit vers la fin juin qu'un général français avait lancé depuis Londres un appel à la Résistance. Oui, mais que faire derrière les rangées de barbelés ?
Le dirigeant du camp, un officier de la même corpulence que le maréchal Goering, fut surnommé Hermann par les militaires. Suivant les instructions qu'il recevait, il faisait distribuer des tracts rassurants qui déclaraient que les Allemands avaient conquis l'amitié du peuple français et recherchaient surtout la défaite de l'Angleterre. Des discussions s'en suivaient dans les baraques. Il y avait ceux qui croyaient à la bonne foi des Allemands et espéraient vivement leur victoire, après quoi ils retrouveraient la liberté, leur famille et leurs activités.
D'autres plus réalistes comprenaient bien que la Grande-Bretagne ferait face et que surtout la carte russe n'était pas jouée. Personnellement, depuis longtemps j'avais compris que la 2e guerre mondiale avait été organisée avant tout pour détruire l'U.R.S.S. Les ambitions d'Hitler allaient se heurter à des forces considérables et il fallait déduire que la guerre allait se généraliser et durer longtemps.
Hermann prodiguait aux prisonniers de bonnes paroles, leur laissant espérer une libération prochaine. La puissante Luftwaffe et ses parachutistes allaient régler le sort de la fière Albion en quelques semaines disaient-ils.
Il aurait fallu être bien naïf pour croire à une telle propagande qui alimentait chaque jour les conversations. Objectivement, il fallait comprendre que les Allemands n'allaient pas tarder à s'occuper des prisonniers pour en tirer le meilleur parti possible... Et nous étions 20.000 à Pithiviers. L'idée grandissante de m'évader, de ne plus me voir derrière les barbelés et de retrouver au plus tôt ma famille et mes activités me harcelait nuit et jour.
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L'oflag de Pithiviers en 1941 |
D'autres camarades du camp pensaient de même, mais il fallait être très prudent dans nos échanges d'opinions, car il pouvait y avoir parmi nous des agents de renseignements, des mouchards, des moutons comme nous disions familièrement. À qui pouvait-on se confier ?
Il était inconcevable que chacun puisse faire cavalier seul. Des complicités étaient indispensables à la réussite d'une telle opération, évidemment pleine de dangers. Le transfert vers l'Allemagne de millions de prisonniers était inévitable, car l'ennemi pensait les utiliser à son profit et à bref délai, de toutes les façons possibles.
Il était impensable que des combattants français puissent devenir des collaborateurs de l'ennemi.
Il fallait donc faire vite ! J'avais pleine confiance en des camarades provençaux que j'avais vus à l'œuvre dans les coups durs : Coste, Augias, André, Rampal, Larroudé... Ce fut avec Coste, instituteur à Saint-Rémy-de-Provence dans le civil, que j'eus la conversation la plus décisive pour mettre au point notre projet qu'un événement inattendu allait vivement contrarier.
Dans la matinée du 7 juillet, nous apprîmes l'évasion simultanée de trois officiers de notre bataillon. Quand la nouvelle parvint au commandement allemand, le dénommé Hermann entra dans une colère folle.
Il fit rassembler les prisonniers, tous grades confondus, pour leur dire que les tentatives d'évasion seraient immédiatement réprimées par le peloton d'exécution.
Fortement impressionné, mon camarade Coste me fit part de son hésitation à réaliser notre projet, à quoi je répondis que ma décision première était irrévocable et que je faisais une confiance absolue en mes jambes de trente ans. Je le vexai en le traitant de dégonflé.
Le lendemain 8 juillet, Coste se rallia à ma décision et nous décidâmes de mettre notre projet à exécution ; ce qui m'amène maintenant à raconter dans le détail nos préparatifs minutieux et la réussite de notre entreprise.
Ce sera le dernier récit du chapitre intitulé Seynois au combat.
Il a été question dans les lignes précédentes de complicité et je me dois ici de rendre un hommage particulièrement reconnaissant au Lieutenant Augias, celui qui fut pendant toute la durée de la guerre notre chef de popote, fonction qu'il accomplissait à la perfection étant restaurateur de son métier. De nombreux Varois ont connu l'établissement qu'il exploitait sur la route de Toulon à Hyères, plus précisément à proximité de la Pauline : L'Auberge Provençale.
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Prisonnier lui aussi, il continua d'assumer les fonctions de ravitailleur en accord avec le chef du camp qui l'autorisait à organiser des corvées équipées de charrettes à bras pour le transport de l'eau et des vivres. L'effectif des corvées était variable : de deux ou même six hommes, si par exemple il fallait des tonneaux de 200 litres d'eau.
Nous avions observé, Coste et moi, et cela pendant plusieurs jours, comment se faisait la relève des factionnaires à l'entrée du camp et surtout le passage des consignes.
Augias et ses corvées entraient et sortaient plusieurs fois par jour et le contrôle des gardiens, pour la plupart des territoriaux, ne se faisait pas toujours avec rigidité. Notre ravitailleur rendait même des petits services à ces soldats qui n'étaient pas tous des fanatiques de l'hitlérisme. La familiarité qui s'était établie entre Augias et les préposés à la surveillance nous fut bénéfique, comme on va pouvoir en juger dans les lignes qui suivent. Quelques jours avant de décider de notre évasion, déguisés en hommes de troupe, nous avions pu sortir du camp, nous procurer des vêtements civils : pantalons bleus de travail, blouson et outils de jardin qu'il nous fallut bien dissimuler une fois rentrés dans nos baraquements.
Nous avions prévu, bien entendu, de l'eau et quelques vivres au moins pour deux jours de route.
Dans l'après-midi du 9 juillet, en accord avec Augias, notre complice, nous sortions du camp, nos affaires camouflées dans des emballages et des corbeilles. L'effectif de la corvée était de cinq hommes dont Coste et moi faisions partie. Disons tout de suite que trois hommes seulement rentrèrent sous la conduite d'Augias après un changement de garde. Il est certain qu'il aurait trouvé un alibi s'il lui avait fallu justifier la différence d'effectif entre l'entrée et la sortie de la corvée.
Mais revenons à notre départ. Pour aller à l'extérieur de la ville, il fallait longer une route parallèle à la voie ferrée d'Orléans, bordée sur près de 100 mètres par d'épais buissons. Parvenus à l'endroit choisi pour notre camouflage de départ situé à quelque 500 m du camp, Augias nous dit : " Planquez-vous, planquez-vous ".
La corvée réduite à trois unités s'en alla accomplir sa mission. Il nous restait à attendre la nuit totale. Elle fut très longue à venir, les jours étant les plus longs à cette saison. Nous étions blottis comme des animaux traqués, à l'écoute des moindres bruits de véhicules motorisés que seuls les Allemands pouvaient utiliser. Nous redoutions le passage des chiens dont le flair et les aboiements auraient pu nous faire débusquer. Nos cœurs palpitaient sans cesse à la pensée que notre fuite était déjà découverte et que nos ennemis lançaient des patrouilles à notre recherche.
Fallait-il précipiter notre départ ? Une telle imprudence n'était pas de mise non plus. Nos conversations à voix basse étaient entrecoupées de longs silences.
Enfin, après plusieurs heures d'attente, le crépuscule s'épaissit. Quelle direction prendre ? Nous n'avions pas le choix. Nous nous trouvions au Nord du camp et pour marcher en direction du Sud, il était prudent de nous éloigner de plusieurs kilomètres vers le Nord pour ensuite prendre la direction du Midi soit par l'Est, soit par l'Ouest, car nous supposions que la limite Sud du camp devait être étroitement surveillée, l'immense majorité des prisonniers de Pithiviers étant du Midi.
Et nous voilà vers les dix heures du soir, quittant notre fourré à pas feutrés, mais au bout de quelques minutes nos pieds heurtaient des objets métalliques, des boîtes de conserves vides de leur contenu. Nos pas mal assurés nous enfonçaient dans un dépôt d'ordures ménagères d'où les odeurs les plus nauséabondes nous prenaient à la gorge. Nous avions hâte de le traverser rapidement en dépit des désagréments auxquels s'ajouta un imprévu de taille. La partie supérieure de ces tas gigantesques d'immondices était bordée d'une épaisseur d'orties géantes que nos mains et notre visage ne pouvaient éviter. On devine les effets désastreux du contact de ces végétaux. Comment en calmer les brûlures insupportables ?
Parvenus sur un plateau cultivé, il nous aurait fallu trouver un point d'eau pour calmer nos douleurs. Hélas, nous étions entrés dans la Beauce calcaire où l'eau est bien rare. La seule bouteille d'eau prise pour la route ne permit pas de grandes ablutions pour calmer notre mal. Vraiment nous étions mal partis.
Au petit matin du 12 juillet, nous étions à Givraines, un petit village situé à 9 kilomètres au Sud-Est de Pithiviers seulement en raison d'un grand détour qui nous avait pris plusieurs heures de marche pendant la nuit. Il fallait maintenant foncer vers le Sud. Dans une habitation abandonnée, nous espérions trouver quelque denrée comestible. Hélas !
D'autres avant nous, avaient certainement exploré les locaux. Un objet, apparemment sans importance, attira particulièrement notre attention : le calendrier des P.T.T. suspendu au placard de la cuisine. Il contenait une carte du département du Loiret où nous nous trouvions et même partiellement du Loir et Cher qu'il nous faudrait traverser pour foncer en direction de Bourges.
Et nous voilà repartis à travers champs et bois évitant soigneusement les voies carrossables où pétaradaient de temps en temps les véhicules de l'ennemi.
Dans la matinée suivante, notre provision d'eau et nos vivres étaient épuisés. Nous nous approchons alors d'un petit village appelé Les Bordes pour y trouver de l'eau. Parvenus à moins de cent mètres, un puits nous apparut autour duquel, hélas ! plusieurs allemands faisaient leur toilette. Il fallut rebrousser chemin et reprendre notre route. Autre étape : Les Bordes-La Billardière. Il nous fut alors impossible d'aller plus loin, les forces nous manquaient, la soif nous tenaillait et pour la première fois de ma vie, je compris les souffrances qu'avaient pu endurer des prisonniers, des naufragés, des explorateurs morts de soif. Au soir du 14 juillet, dans un bosquet de La Billardière où nous avions sommeillé une heure ou deux, le ciel se couvrit et une lueur d'espérance nous inonda, si l'on peut dire !
C'est de là-haut que nous souhaitions l'inondation. Ah ! S'il pouvait pleuvoir. Aurions-nous cette chance ?
Mais comment recueillir l'eau de pluie ? Pleuvrait-il assez pour voir couler des ruisseaux ? Hélas ! ce ne fut qu'une ondée passagère et malgré notre ingéniosité à disposer autour de nos gobelets, des feuilles de betterave en entonnoir, il nous fut seulement possible de recueillir un centimètre d'eau dans nos récipients. Et nous voilà toujours à la recherche des moyens d'étancher notre soif.
- " Essayons de manger des betteraves crues ", dis-je à Coste !
- " Pas seulement les bulbes. Les feuilles membraneuses vont certainement nous désaltérer ", ajouta-t-il.
Cette expérience fut pour le moins décevante. L'âcreté de ces végétaux accrut la soif dont nous souffrions terriblement. Et pourtant, il fallait tenir. Nous évitions de parler trop. À mieux observer l'horizon, il nous semblait bien que la Loire n'était pas loin.
En fin d'après-midi, sa vallée nous apparut hospitalière sous un ciel magnifique, rougissant vers Orléans et Lamotte-Beuvron où les Allemands nous avaient capturés.
Près du village des Bordes, un cabanon abandonné, un de ces pied-à-terre où les Parisiens amateurs de pêche à la rivière venaient passer leur week-end, nous offrit l'hospitalité. Les paysans d'une ferme voisine nous vendirent du lait, des œufs et du fromage blanc. Nous allions pouvoir refaire nos forces pour affronter les cinquante kilomètres qui nous séparaient de la ligne dite de démarcation, limite entre les zones libre et occupée, dont nous savions à peine, aux dires des habitants des lieux, qu'elle suivait approximativement l'axe Bourges-Nevers dans le Loir et Cher. Après une nuit de repos passée dans notre cabanon providentiel sur des lits de camp improvisés, il nous fallait bien songer à traverser la Loire. Mais où ? Son niveau d'étiage nous aurait certainement permis de la traverser à gué en certains points. Un brave homme de la campagne nous indiqua le Pont de Sully-sur-Loire que les sapeurs français du Génie avaient détruit et que les Allemands avaient remplacé par un pont de bateaux en bois, malheureusement surveillé par la troupe. Nous étions à moins d'un kilomètre.
Notre accoutrement de circonstance : pantalons bleus de travail, blouson, béret crasseux, sac de chanvre, pioche sur l'épaule pouvaient tromper l'ennemi et lui faire admettre que nous appartenions bien au monde paysan. Mais il faudrait peut-être décliner notre identité. Notre âge pouvait aussi nous trahir.
Il ne fallait rien précipiter. Pendant plus d'une heure, assis sur la berge Nord de la Loire, les allées et venues des civils, des militaires firent l'objet de notre vigilante attention. Les factionnaires placés aux extrémités de la passerelle n'interrogeaient personne. C'était réconfortant. Mieux encore ! Quand midi arriva, les surveillants de la passerelle s'en allèrent prendre leur repas à quelque deux cents mètres dans leur popote et il n'y eut pas de relève, du moins pas immédiate.
C'est alors qu'il fallait tenter la traversée sans se presser dans une attitude des plus naturelles. En quelques minutes, la Loire fut franchie et nous longeâmes alors le mur d'enceinte du fameux Château féodal de Sully-sur-Loire.
Mais nous n'étions pas au bout de nos peines. Impossible d'emprunter des routes où circulaient les véhicules de l'ennemi. Prudemment, nous avancions la nuit à travers bois et guérets et à plusieurs reprises la bonne direction nous échappa. Grâce à ma boussole lumineuse, nous retrouvâmes notre bon chemin.
Il serait bien long de décrire toutes les étapes, les difficultés de ravitaillement, notre lassitude, nos émotions continuelles. De nouveau, il nous fallut vaincre la soif. Vers le petit matin du 16 juillet, après avoir marché toute une nuit, se découvrit à nos yeux gonflés de sommeil, la silhouette d'une belle maison de ferme, à travers des frondaisons. Etait-elle occupée ? Et par qui ? Pourrait-on s'en approcher sans risquer une ruée de chiens. Et si les Allemands l'occupaient ?
Aucune vie humaine, ni animale ne se manifestait. Nous ne cherchions pas à lier des connaissances. Tout ce que nous souhaitions, c'était un peu d'eau.
Par bonheur, un rayon de lune filtra à travers les feuillages et nous fit découvrir la surface immobile d'un étang. Un étang qui, en fait, se réduisit à une mare destinée à l'abreuvage des bestiaux.
N'ayant repéré ni pompe, ni robinet, ni puits dans les environs, nous n'eûmes d'autres moyen pour étancher notre soif que de glouglouter à plat ventre dans la flaque bordée de bouses de vaches. Dans un moment pareil, nous n'avions même pas envisagé une possible intoxication. Dans les jours qui suivirent nous ne fûmes nullement incommodés par l'eau stagnante dont le taux de pollution était certainement élevé.
La chance continuait à nous sourire.
En trois étapes, après avoir dépassé les villages de La Billardière, Oizon, Morognes, Rians, nous nous trouvions à quelques kilomètres de la ligne de démarcation et plus précisément en vue d'une localité appelée Baugy dans le département du Cher. Si près de notre but, il nous fallait éviter la moindre imprudence.
Malgré la pluie qui commençait à tomber, nous avions décidé de nous écarter de l'agglomération et dans l'épais crachin qui nous pénétrait, notre direction devint très incertaine. Enfin, un abri s'offrit à nous : une immense meule de foin que nous eûmes tôt fait de creuser. Au fond de notre galerie, obstruée à l'entrée, un bon sommeil réparateur nous permit d'envisager l'avenir avec confiance. Le lendemain, il nous fallut bien sortir de notre repaire. La pluie ayant cessé, et une bonne visibilité revenue, il nous fut possible d'identifier les lieux. La meule de foin dont nous avions réparé les dégâts de notre travail de fox-terrier se trouvait à proximité de plusieurs bâtiments de ferme où s'exerçait sans doute une importante exploitation d'élevage à en juger par la longueur des abreuvoirs. Qui occupait ces lieux ? Les mêmes obsessions nous poursuivaient toujours. Des Allemands y étaient-ils logés ? Venaient-ils s'y ravitailler ? Ne risquions-nous pas d'être débusqués avec fracas par des chiens de berger ? Nous ne pouvions pas rester là immobiles ; c'est alors qu'un garçon de ferme passa non loin de nous.
Un appel discret le rapprocha :
- " Y a-t-il des Allemands par ici ? "
- " Non, pas maintenant, mais ils viennent de temps en temps rafler le beurre et le lait ".
- " Le domaine est-il important ? "
- " Pas tellement ", nous répondit ce jeune homme à barbe rare. " Le patron nous dit qu'il a 400 hectares à gérer. Il élève des vaches et des moutons. Nous sommes 10 valets à travailler ici. Nous posions beaucoup de questions. Aime-t-il les Allemands, ce monsieur ? Oh ! non répondit le garçon de ferme. Pensez donc ! Ils nous volent et nous ne pouvons même pas protester. Avant-hier, il leur fallait des moutons et au moment où le troupeau sortait de la bergerie, ils ont tiré dans le tas. On ne peut que les détester ! ".
Il était temps de mettre cartes sur table.
- " Nous sommes à la recherche d'un gîte sûr où nous pourrions sécher nos habits et y trouver quelque nourriture ".
Notre interlocuteur comprit d'emblée.
- " Sans doute êtes-vous des prisonniers évadés ? Soyez sans crainte, tout le personnel de la ferme vous aidera. Je vais prévenir le patron de votre présence ".
Quelques instants plus tard, celui-ci arriva ; un homme qui voisinait la cinquantaine sobrement vêtu : blouse flottante, chapeau plat de feutre noir, pantalon de coutil, sabots crottés. Sa courtoisie nous inspira confiance toute de suite.
Soucieux de la tournure prise par les événements, il nous interrogea longuement. Isolé dans son domaine, il avait peu de nouvelles sur la situation générale de notre pays après l'armistice signé depuis peu. Accueillir des prisonniers de guerre chez lui, c'était une responsabilité évidente, surtout à quelques kilomètres de la ligne de démarcation. Nous n'étions pas encore sous le régime de Vichy, mais une dénonciation était toujours possible.
Quand il eut pris connaissance de nos cartes d'identité militaires, quand il vit qu'il avait affaire à des officiers, il fut rassuré tout à fait. Notre accent méridional l'amusa quelque peu, mais le renforça dans son opinion que nous étions des gens sincères.
Il se préoccupa de notre confort, nous fit monter dans une grange où nous pourrions nous enfoncer dans la paille en cas d'alerte ; nous donna des vêtements de rechange pour permettre aux nôtres de sécher dans la cuisine immense d'où se dégageait une odeur succulente de blanquette d'agneau.
Un imprévu qui nous combla d'aise : ce jour-là, la ferme allait connaître une activité inaccoutumée. La tonte des moutons, qui avait été retardée en raison des événements, battait son plein et la tradition locale voulait que ce jour-là tous les tondeurs prennent place à midi, autour d'une longue table, pour y déguster la blanquette d'agneau.
Au moment précis du repas, le patron fermier vint nous chercher dans la grange et nous fit prendre place à la longue table. Quel festin pour nous qui n'avions pris que des repas froids depuis notre départ et quel repas !
Des plats énormes de cette divine blanquette furent apportés par de belles filles de ferme, qui ne laissaient pas indifférents les travailleurs, se dégageaient des arômes qui torturaient nos entrailles.
La viande délicieuse était tendre à souhait et à la troisième distribution accompagnée de pommes de terre énormes arrosées d'une sauce veloutée, nous nous sentions en bonne forme pour affronter nos dernières épreuves. Le tout arrosé d'un petit vin clairet qui mit tous les convives en joie. Le patron vidait généreusement les bouteilles en ce jour exceptionnel puisque la tonte des moutons ne se faisait qu'une ou deux fois par an.
Les conversations s'animaient de plus en plus vers la fin du repas qui s'achevait par l'arrivée sur la table d'énormes fromages blancs. Évidemment, on parlait avec beaucoup d'inquiétude de la situation du pays, des récoltes et surtout de la présence des vert-de-gris.
L'après-midi de ce jour mémorable se passa en sieste puis conversations avec le maître de la ferme dont nous voulions prendre congé et que nous voulions remercier de sa générosité autrement que par des paroles. Mais comment faire ? Nous espérions qu'avec un retour du pays à une situation normale, il nous serait possible de retourner dans le beau pays berrichon que nous venions de découvrir en même temps que le Nivernais.
Mais l'heure de la dernière grande étape en zone occupée approchait et il fallait la préparer minutieusement.
La route Bourges-Nevers était notre objectif. Mais de la ferme qui nous avait accueillis pour y accéder, il nous fallait franchir plusieurs kilomètres à travers des champs de blé d'une hauteur surprenante.
Après l'étude de l'itinéraire à suivre, après avoir écouté attentivement les bons conseils de notre hôte, nous lui fîmes nos adieux, nous confondant en remerciements en exprimant nos vœux d'une meilleure destinée pour la France et les Français.
Huit heures ! À cette saison, nous avions encore un grand soleil qui rendait l'or des champs de blé encore plus lumineux. Nous avancions lentement, accompagnés d'un valet de ferme chargé de nous piloter jusque vers une élévation de terrain d'où nous pourrions découvrir la route Bourges-Nevers dont on nous avait dit être le tracé de la ligne de démarcation. La limite était certainement jalonnée par des postes de surveillance. Ces postes étaient-ils très espacés ? Nous n'en savions rien et nous courions certainement de gros risques à vouloir traverser en n'importe quel endroit.
Nous allions prudemment, notre sac de chanvre sur le dos et un outil de jardin sur l'épaule qui nous donnait quelque apparence de paysans professionnels.
Nous emportions le strict nécessaire : objets de toilette, une chemise, des savates, une carte, une boussole quelques vivres préparés par la fermière : pain, fromage, œufs durs, bouteille de vin.
Quand la fameuse ligne de démarcation fut en vue, le valet de ferme s'en retourna en nous souhaitant bonne route et bonne chance.
- Pas d'imprudence, nous dit-il, attendez la nuit noire pour traverser.
Nous étions à moins d'un kilomètre de la France dite libre. Déjà nous pensions en fouler le sol. On voyait nos femmes pleurant de joie, nos parents, nos grands-parents, dans les bras les uns des autres. On imaginait cette première soirée de retrouvailles où il nous faudrait raconter nos aventures dans le moindre détail.
Nous étions dans la période des jours les plus longs. La nuit tardait à venir. Entre deux emblavures, le tracteur ayant laissé un sillon profond, nous étions allongés, blottis comme des lapins au gîte. Nous devisions sagement dans la quiétude d'un crépuscule à peine troublé de loin en loin par l'appel étouffé des corneilles ou les aboiements d'un chien de berger... quand tout à coup retentirent des pas non loin de nous... des pas qui se rapprochaient.
Je fis signe à mon camarade de rester immobile. L'individu se trouvait à quelques mètres de nous seulement. Nos cœurs battaient très fort, nous retenions notre souffle. Nos yeux grands ouverts, s'interrogeaient mutuellement... Et le bruit des pas se rapprochait toujours ; puis il marqua un temps d'arrêt, puis il reprit et cela plusieurs fois de suite.
Écarquillant mes yeux, je me tournai alors vers mon camarade un sourire aux lèvres et lui fis un signe d'apaisement. Nous étions loin jusque-là de soupçonner la réalité : un lièvre, un énorme lièvre de la grosseur d'un agneau apparut à travers la forêt des tiges de blé. Il nous observa l'espace de quelques secondes et rebroussa chemin. Après un grand soupir de soulagement, cet incident nous parut amusant, mais il n'en restait pas moins que notre inquiétude avait été bien sérieuse. On peut dire un incident des plus imprévus et qui était peu de chose par rapport à ce qui nous attendait dans les heures suivantes.
Après une attente interminable, la nuit vint. Ce fut alors pleins d'audace que nous reprîmes notre marche en avant en remontant le long sillon où nous étions camouflés. Nous n'avions pas fait vingt mètres ; je me sentis tirailler par le pied droit comme si quelqu'un voulait me faire tomber en arrière.
Contraint de me plier vers le sol, j'entendis sur un ton impatient : mais que fais-tu donc ?
- Tiens ! regarde, ça aussi c'était vraiment un imprévu.
Mon pied s'était pris dans un lacet, nœud coulant en fil d'acier posé dans le sillon où nous marchions, évidemment pour la capture des lièvres.
La chasse m'intéressait depuis longtemps, mais dans ces moments d'angoisse j'étais loin de penser aux plaisirs qu'elle procurait. Dans ces minutes palpitantes que nous vivions, nous, les prisonniers évadés, nous n'étions que du gibier traqué qui allions nous débattre pour sauver notre vie.
Les lièvres allaient nous procurer encore quelques émotions. La nuit était noire à présent.
Nous étions à moins de cent mètres de la route Bourges-Nevers. La circulation était presque nulle. Nous avancions en nous rasant le plus possible malgré l'obscurité.
Tout à coup, Coste se coucha brusquement.
- " Des feux devant nous ", me dit-il d'une voie étouffée.
Je ne voyais rien, je ne comprenais pas.
- " Viens vers moi, regarde ! Là devant nous ! "
Effectivement, je vis deux points lumineux qui se déplaçaient de gauche à droite.
- Mais lui dis-je à mon tour : " Regarde de ce côté ! Il y en a deux autres ! ".
Il s'agissait non pas de lampes électriques, mais des yeux phosphorescents des lièvres, ou peut-être aussi des chats qui chassent volontiers la nuit.. Après avoir pris conscience de notre poltronnerie, nous n'étions plus qu'à quelques mètres de notre but, couchés, à l'écoute des bruits de moteurs éventuels. Le silence était complet :
" Allons-y ! ". En quelques enjambées, la route est franchie.
Encore une surprise : une masse sombre, surélevée, parallèle à la route. Le ballast d'une voie ferrée. Nous grimpons ; des pierres déboulent bruyamment à notre grand désespoir. Nous voici au sommet, les rails sont franchis : un, deux ; puis les deux autres de la seconde voie. Et nous descendons en évitant de notre mieux les bruits de cailloux. Nous repartons en espérant nous enfoncer dans la campagne.
- " Attention ! " me dit Coste ! " Qu'y a-t-il encore devant nous ? " Encore une masse sombre, longue, parallèle à la voie ferrée, séparée d'elle par une dizaine de mètres, tout au plus.
Nous braquons nos regards sur un nouvel obstacle indéfinissable tant la nuit est épaisse.
À quelques mètres, nous distinguons enfin des buissons, une haie si épaisse d'aubépines, de ronces, d'arbustes que nous cherchons un point de passage comme des lapins pourchassés.
- " Du calme ", dis-je à Coste ! Prenons notre temps "
Enfin une éclaircie dans cette haie nous permet le passage.
Hélas ! Nouvel obstacle, tout à fait imprévu : une rivière.
Aux points lumineux de notre boussole, nous nous orientons et la carte nous apprend que la petite rivière qu'il nous faut maintenant traverser est l'Yèvre, affluent du Cher. Il n'y a pas une minute à perdre. Avec des bâtons, nous sondons la profondeur. Avec la période d'étiage, nous n'aurons pas de l'eau au-dessus des genoux.
Ayant ôté nos chaussures et retroussé nos pantalons, nous avançons prudemment. Le lit de la rivière est pierreux. Tout va bien. Encore quelques pas et nous voilà sur l'autre rive avec un dernier obstacle à franchir : une autre haie aussi épaisse que la première. Nous y parvenons après quelques égratignures sans gravité.
Nous voilà assis dans un pré, parlant à voix basse, reprenant notre souffle, faisant sécher nos pieds avant de remettre nos chaussures. Nous ne courons pas le risque de prendre froid surtout par une nuit chaude à l'aube de cette journée décisive pour nous : le 18 juillet.
Après quelques instants de repos, nous sommes prêts à repartir, en pleine forme. Ce demi bain, aura été salutaire. Depuis que nous faisions des kilomètres, deux cents environ en une semaine, nos pieds endoloris semblent mieux nous porter et nous conduire.
Notre confiance va grandissant, mais nos pensées sont parfois teintées d'incertitude. Quelle preuve tangible avons-nous du tracé de la ligne de démarcation ? Et si nos protecteurs avaient été induits en erreur ? On pouvait aussi envisager l'existence d'un no man's land entre la route Bourges-Nevers contrôlée par les Allemands et une autre ligne plus au Sud occupée par les Français. Existait-il des postes de surveillance fixes ? Des patrouilles fréquentes ?
Chemin faisant, nous nous livrions à toutes sortes de supputations. Mais aucun danger n'apparaissant, il nous semblait bien que nous respirions l'air de la France libre. Encore quelques heures de patience et ce serait bientôt les rivages de la Méditerranée qui nous accueilleraient, la fin des angoisses pour nos épouses, nos parents sans nouvelle du front depuis plus d'un mois et terriblement inquiets de nous savoir emportés dans les tourbillons de la débâcle.
Au hasard de notre marche nous parvenons à un chemin de terre qui nous conduit parfaitement vers le Sud et nous incite à accélérer notre allure. Hélas ! pas pour longtemps. À trente mètres, à peine une silhouette noire apparaît devant nous. Aussitôt un bruit de bottes retentit sur le chemin caillouteux, ainsi qu'un appel guttural puissant qui rappelle un cri de bête féroce.
" C'est un boche ! ", dis-je à mon camarade. " Halt ! Wo gehen sie hin ". " Nous sommes foutus ", me répond-il.
Nous nous tenons par un pan de notre blouson. Que faire ?
Partir en courant, c'était risquer une rafale. " Alors ne bougeons pas ", me dit Coste. " Nous allons bien voir ! ".
L'homme s'approche. C'est un grand soldat de 1 mètre 80 au moins, il est casqué et tient son arme à la bretelle. Il n'a pas l'air agressif. À la lueur de sa lampe électrique, il nous dévisage et répète sa question. Pour dire quoi ? Nous ne comprenons rien à son langage. Nous tentons de nous expliquer, mais lui n'a pas l'air très réceptif à nos propos.
Alors en posant sa main presque amicale sur mon épaule, il me dit :
" Folgen sie mir und erlären sie sich vor dem wachtmeister ". Tout ce charabia pouvait se résumer ainsi. Dans un premier temps, il nous avait demandé où nous allions. N'ayant rien compris à notre langage, il nous fit comprendre de le suivre pour nous expliquer devant le sergent chef de poste.
Nous avions tout de même compris qu'il faudrait justifier notre présence en ces lieux. Pendant les quelque cent mètres qu'il nous fallut parcourir, je dis à mon compagnon de route qui commençait à regretter son évasion :
" Ne nous affolons pas ! Soyons bien d'accord pour dire que nous allons à la campagne pour travailler et pouvoir gagner notre vie. Pour plus de sûreté, nous nous exprimions en langue provençale, car celle-là de langue nous la connaissions parfaitement ".
Nous voilà devant le poste de garde, le soldat appelle " Hans ! ". Il fait part de sa découverte.
Alors le chef de poste nous pose une question simple en français : " Où allez-vous ? ". Il fallait répondre quelque chose et sans bredouiller.
" Nous allons travailler à Baugy pour garder des moutons ", lui dis-je.
Il est nécessaire de rappeler ici que ce petit village fut le dernier que nous avions laissé dans la zone occupée. Nous en avions traversé plusieurs autres que nous avons cités dans les pages précédentes. Seul ce nom de Baugy me revint en mémoire.
Un sourire s'esquissa sur le visage de l'Allemand qui me dit fort courtoisement et presque en s'excusant : " Je ne peux vous autoriser à passer la ligne de démarcation pour aller en zone occupée ".
Le wachtmeister nous conduisit alors vers un chemin tout proche où un poteau indicateur portait une grande inscription : " Commandantur française : 2 kilomètres ", avec une grande flèche donnant la direction à suivre. C'est-à-dire celle que nous cherchions. Encore un miracle, pourrions-nous dire !
Il ajouta pour être plus précis :
" Allez vous faire signer une autorisation par le poste français et je vous laisserai passer ".
Ayant compris d'emblée l'erreur qu'il commettait, je faillis sursauter de joie mais je me contins.
Ainsi donc, le gradé allemand nous dirigeait lui-même vers la France libre en croyant bien faire son travail.
Après nous être confondus en remerciements pour le précieux renseignement qu'il venait de nous donner, nous irions bien vite vers le poste français à deux kilomètres et il était bien entendu que nous repasserions par le poste allemand montrer notre visa.
Au moment de nous mettre en route, une nouvelle émotion nous attendait. Paraissant douter de notre sincérité, le chef de poste nous regarda de plus près et nous dit : " civils ou militaires ? ".
Notre protestation indignée, jointe à nos gestes qui montraient la qualité de nos vêtements de travail, parut bien convaincre l'Allemand de la véracité de nos paroles. Nous étions bien des civils qui voulions travailler à la campagne. La main du soldat tâta mon sac de chanvre suspendu dans mon dos. Sans doute voulait-il en connaître le contenu ?
Je prononçais alors quelques mots allemands sans faire de phrases : Jacke, Gewand, Schube, ce qui signifie : vêtements, chaussures.
Il parut satisfait d'entendre des mots de sa langue et n'insista pas. Dans cette période de début de l'occupation allemande, il est certain que le mot d'ordre reçu par la troupe devait être la gentillesse et la courtoisie. Certainement, elle n'avait pas encore le droit de fouiller les gens ; on sait bien qu'il n'en fut pas de même par la suite.
Si le chef de poste avait vidé le contenu de mon sac tyrolien et trouvé la boussole et une carte de la région, il aurait trouvé étrange, sans nul doute, qu'un paysan ne puisse se déplacer sans ces objets.
J'eus en définitive l'impression qu'il ne voulut pas tellement nous embêter.
Avant de nous laisser partir, il fit un geste que je n'oublierai jamais. Il leva sa jambe gauche et frappant sa botte de sa main droite, il dit sur un ton de résignation mal contenu : " Et nous, toujours zoldats ! ".
À quoi je répondis : " la guerre sera bientôt finie et vous pourrez rentrer chez vous ". Il hocha la tête, fit une moue qui exprimait le doute.
Nous apprîmes par la suite que la ligne de démarcation était surveillée par des Autrichiens, c'est-à-dire des soldats peu fanatisés et de réputation moins belliqueuse que les nazis.
Nous saluâmes bien poliment les hommes de garde pour nous diriger vers le poste français.
À trois heures du matin, nous avions atteint Dun-sur-Auron dans le département du Cher. Il nous fut possible de trouver des vêtements convenables, de nous restaurer et de mettre au point notre itinéraire du retour par voie ferrée.
Inutile d'insister sur la chaleur des retrouvailles familiales. Le cauchemar finissait pour nous. Une semaine plus tard, nous étions démobilisés, le 26 juillet précisément. Mais la guerre hélas ! n'était pas terminée et nous étions loin de soupçonner l'ampleur des nouvelles épreuves qui nous attendaient car la guerre, pour les patriotes, allait continuer sous d'autres formes que d'ailleurs nous avions évoquées longuement dans le tome précédent de cet historique, au chapitre intitulé Résistances Seynoises.
Ce dernier récit, bien condensé, de nos, tribulations et de nos angoisses n'a pas été écrit pour en tirer gloire, en montrant la chance extraordinaire qui a souri aux rescapés de la tourmente dont je fus, durant cette campagne de France de triste mémoire ; mais aussi pour rendre hommage à tous ceux qui ont laissé leur vie sur les champs de bataille ou dans la profondeur des océans, victimes innocentes des injustices humaines, des idéologies outrancières, des profiteurs des crimes de guerre.
On dit souvent que l'homme ne peut échapper à son destin. Pour nous en convaincre, nos maîtres nous parlaient de la tortue d'Eschyle. L'oracle ayant prédit à ce poète de l'Antiquité, qu'il il mourrait écrasé, celui-ci alla vivre aux champs, mais un aigle laissa choir sur sa tête une tortue qu'il avait enlevée et qui le tua net ; ce qui montre bien l'impuissance des humains à fixer leur propre sort.
Souvenez-vous aussi de cet exemple particulièrement édifiant de cet observateur qui, après avoir quitté son ballon captif enflammé par les balles ennemies, descendait lentement sur la terre, son parachute s'étant ouvert à souhait. Pouvait-il prévoir cet infortuné qu'une minute après un débris incandescent plus rapide brûlerait la soie sur sa tête et qu'il irait s'écraser sur la terre ?
Mais s'il est vrai que les hommes se trouvent désarmés devant les rigueurs du sort, devant les grands fléaux de la nature, il n'est pas possible d'admettre leur incapacité à vaincre ceux de la famine, du chômage, de la drogue, de l'insécurité publique, du racisme et de la xénophobie qui plongent les peuples dans un monde de douleur. Il n'est pas possible non plus d'accepter l'idée que la guerre est un phénomène presque obligatoire. Il y a les grands financiers, les petits faiseurs d'affaires, les agioteurs qui s'en vont répétant que " la guerre a toujours été et qu'elle sera toujours ". Les nationalistes, les racistes, les fanatiques, admettent la nécessité de la violence. Eh bien non ! Les gens de bon sens et ils sont tout de même nombreux, pas seulement dans les masses populaires mais aussi au niveau des plus grands dirigeants du monde, doivent triompher. La violence, la guerre n'ont jamais résolu les difficultés de l'humanité, pas plus que les théories racistes de la bête immonde du fascisme qui rendent les émigrés responsables de la crise mondiale.
Et le monde s'enfonce un peu plus chaque jour dans la misère économique et sociale. La crise s'installe partout. Des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants meurent de faim sur tous les continents, alors que notre planète est assez riche pour nourrir tout le monde.
Le système de la libre concurrence ne fait guère preuve de son efficacité pour la solution des difficultés. La guerre ne s'arrête pas. Les dépenses militaires atteignent des chiffres astronomiques dans tous les pays du monde et pendant que les états dépensent pour tuer, on fait sans cesse appel à la générosité pour lutter contre la maladie et la famine.
Il y a certainement d'autres perspectives et d'autres moyens pour que l'humanité, puisse améliorer son destin. Face à la royauté, les Français de 1789 avaient obtenu, partiellement du moins, le respect des Droits de l'homme et du citoyen. Leur combat doit être poursuivi et les premiers résultats complétés à l'échelle mondiale. Aux premières conquêtes doivent s'ajouter de manière effective le droit au travail et au repos, le droit à la santé, et avant tout le droit à la Paix. Oui ! Oui ! les humains veulent vivre en paix.
Il semble bien qu'en haut lieu, même dans les organismes nationaux et internationaux, la volonté d'en finir avec la situation mondiale désastreuse, n'est pas encore affirmée vraiment.
La preuve ? C'est qu'il existe des lois pour mettre à la raison les fauteurs de guerre, les racistes, les fanatiques, les xénophobes. Ces lois, hélas ! ne sont pas appliquées. Non seulement on ne les applique pas, mais les médias font la part belle aux coupables, aux idéologues du fascisme renaissant çà et là.
Il faut une mobilisation générale de tous les gens de cœur pour exiger la paix, le désarmement, une répartition équitable des richesses produites à l'échelle planétaire.
Mais il ne faut pas se contenter de vouloir la paix, de la bêler dans les manifestations publiques, de prier dans les églises. Il faut mettre à la raison les coupables et on sait où ils sont. Certes, il faut tout faire pour persuader et en appeler à la raison. Mais notre longue expérience nous montre que cela ne suffit pas. On sait bien que pendant la guerre Iran-Irak qui dura sept ans et fit plus d'un million de victimes, les marchands d'armes d'un même pays vendaient leurs engins de mort aux deux belligérants. Et les gouvernants n'ont rien dit. Ou plutôt ils ont dit que ces ventes feraient rentrer des devises. Quelle abomination ! Quel cynisme !
Pour lutter contre les forces du mal, pour la réalisation des grands idéaux de l'Humanité, par centaines de millions, les peuples doivent s'unir, agir et appliquer des mesures contraignantes aux fauteurs du mal, si l'on veut véritablement le bonheur de l'Humanité et nous adressant particulièrement aux travailleurs du monde entier, il ne nous semble pas que le slogan de nos pères et grands-pères : " Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! " soit dépassé aujourd'hui.
NB. Les
listes de victimes précédemment publiées, qui correspondaient aux noms
gravés sur l'ancien Monument aux Morts de La Seyne, ou
encore aux « Documents de la Mairie de La seyne », ou encore au « Livre
d'Or du Ministère des Pensions » qui se trouve à Fontainebleau, ont été
revues, et malheureusement revues à la hausse, suite aux recherches que
nous avons effectuées entre 2007 et 2014 (centenaire du début de la Grande
Guerre), notamment avec M. Jean-Claude STELLA et en nous appuyant sur le
site officel Mémoire des Hommes, qui fournit les noms et les fiches détaillées des Morts pour la France
de tous les conflits et opérations ayant impliqué des militaires
français. Des corrections de l'orthographe de certains noms ou prénoms
ont été également effectuées.
Conflit |
Nombre de victimes publié en 1992 |
Nombre de victimes réactualisé en 2014 |
1914-1918 |
381 |
431 |
1939-1945 |
47 |
92 |
Indochine (1946-1954) |
13 |
20 |
Algérie (1952-1962) |
19 |
19 |
Total des victimes militaires des guerres du XXe siècle |
460 |
562 |
431 militaires (soldats, marins et officiers) seynois sont morts au cours de la guerre de 1914-1918
AGUILLON Albert Clément AIGUIER Adolphe Léon ALÈGRE Louis Jacques Clairin ALESSANDRINI Charles Henri ALESSANDRINI Jean Baptiste ALGAROT Jean Baptiste André Joseph, dit "Baptistin" ANDRÉ Louis Virgile ANDRIEU André Lucien ANDRIEU François Pierre Marius ANGELI Philippe ANGELICI Hermenegilde Louis APPENNINI Vincent Barthélémy Jean ARDISSONE Casimir Marius ARMAND Louis Xavier ARNAUD Auguste François Paulin ARNAUD François Roger Sylvestre ARNAUD Léopold Marius ARNAUD Marcel Jules Antonin ARNAUD Noël Émile AUBERT Ferdinand Elie AUBERT Philippe Auguste AUDIBERT Antonin Baptistin AUDIBERT Antonin Marius AUDIBERT Louis Léonce Esprit AUGIAS Louis Marius Toussaint AUNAVE Carnot Abel Lucien AUNAVE Paul Henri AUZILLON Auguste Laurius BADANO Frédéric Louis BAGLIETTO Joseph Léon BALMATTO Louis Noël Joseph BARBIER Bastian Marius BARDOU Antoine François BARLA Daniel Fernand Jean Baptiste BARLE Paul BARNIEU Laurent Marius BARONI Antoine Henri Joseph BARRAGUÉ Louis BARTHÉLÉMY Émile Marius Joseph BARTHÉLÉMY Étienne BARTHÉLÉMY Joseph Raymond Marie Léon BASSET Honoré Adolphe Marius BAUDÉNA Bernard Charles BAUDRAND Alexandre BAYLE Gustave Charles Marie François BAZILET Gaston BEAUCHIÈRE François Jean Marius BEAUSSIER Charles Eugène Félix BELLANGER Paulin Joseph Parfait BELLONE Michel Louis BELLUOMO François Marius BELTRAND Jean Marius Apollon BERJAUD Jean Marius Joseph BERNARD Marius Antonin BERNARD-MOULIN Félix BERNARDINI Albert Pierre BERNE Émile André BERRUTI Camille Marius BERTRAND Michel Joseph BEVITUTTO Joseph BIANCO Marius Joseph Philippe BIANCO Michel Léonard BLANC Henri François Émile BLANC Joseph Émile BLANC Louis Eugène Émile BLOCH Salomon BÔ Marius Paul BOCCACIO François Joseph BOËRI Charles Louis BOGLIOLO Aurélio Jean BONACINA Paul Frédéric BONAMY Célestin Pierre André BONAMY Marius Pierre Marceau BONIFAY Henry Victor BONINO Paul Marius Jean BONNABEL Joseph François BONNET Jules Ernest BONNIFAY Charles Victor BONNIN Claude BORGATTA Camille BORY Jean Baptiste Émile BOSIO Jérôme Fortuné BOSQ Joseph Louis Sabin BOUCHÉ Félix Jean Stéphane BOURDILLIAT Maurice Armand BOURGUET Ernest Eugène François BOURGUIGNON Édouard Alexandre Mathieu BOURLOTTI Pierre Baptistin Marius BOYER Étienne François Joseph BRÉMOND Honoré Louis BRONDELLO Alexandre Pierre BRUNA Eugène Marcel BRUNACHE Gustave Pierre BURLET Léon Eugène CABESAS Joseph Georges CADIÈRE André Marius CADIÈRE Joseph Marcelin CAILLOL André Noël Joseph CAILLOL Philémon François CALCEDONIO Barthélémy Marius CALVI Marius CAMELOT Antonin Philémon CAMPODONICO Louis Félix Adolphe Nicolas CANAVÉSI Florent Marius Félix CANNONÉRO François Marius CANOLLE Eugène Fernand CARBUCCIA Dominique CARDONÉ Laurent Thomas Marius CARLE Augustin Laurent CARLE Jules Vincelas Mathurin CASTELLIN Joseph Marius CASTELLO Pierre Gaëtan CAUNE Laurent François CAUSSE Hyacinthe Marius CAVALLO François Joseph CAYOL Auguste Germain Paul CHAILLEY Paul Étienne Pierre CHRISTINEL Gaston Édouard CIAIS François Marin CLÉMENT Léon Laurent CLÉMENT Marius Noël COLLOMP Marius François Benoît CORDET François Pierre CORNU Émile Marceau CORSIN Benoît Émile COURAGEUX Jules Hector CRASTAIN Joseph Marius CRÉMONA Ange Antoine CROCE André Joseph Pierre CROCE Jean Louis CRUCCIANI Étienne CUCCHIANO Pasquale CURET Émile Théodore Georges CURET Florens Clément Émile CURET Prosper Romain Joseph CURTET Eugène Albert DALMASSO André Pierre Clairin DALMASSO Baptistin Reboul DALMASSO César DANIEL Maxime Marie Pierre DARDIGNAC Adrien Valentin Wencelas DAVIN Auguste Philémon DAVY Joseph Marius Clair DE CACQUERAY Jacques Pierre Michel Gaston |
DE LUCA Salvator DE MAROLLES Claude Adrien Jacques DE MAROLLES Louis Fernand DÉCUGIS Eugène Marius Ernest DEFILIPPI Joseph Michel Marius DEGRÉGORI Ange Louis DEJEAN Alphonse Jules DEL FEDESCO, dit MOLINARI Victor DELANEF Louis Pierre DELAUD Victor Virgile Raymond DELBREIL Marius Joseph DELEVAUX Antonin Marius Louis Léon DENANS Alexis Victor DENANS André Auguste Marie DENEUX Jean Baptiste DOUMENG Théophile Marius Aimable DOYNEL Jean Philippe Louis DREVET Henri Paul DROUOT Charles René DUFOUR Jules Jean Louis DULAS Lucien Auguste DUMOND Alexandre Joseph Gabriel DUVERD Charles Louis Augustin ENRIONE Gaston Émile Antoine ESTIENNE Antoine Victor ÉTIENNE Gabriel EYNAUD Paulin Louis FAGGIANI Antoine FERRANDO Jean Marcel FERRARI Sébastien FERRARI Thomas FIANDINO François Adrien Marius FIGOS Quirin FIO Jean Lucien FLACHÈRE Émile Henri FLANDIN Victor Célestin FLORENT Stasnislas Gaëtan FONTÈS Maurice Marius FRANCESCHI Antoine Félix FRÉAU François Noël Émile GAITTET Louis Alfred Paul GARCIN Charles Jules GARRO François Marius Charles GAUD Manuel Constant GAUDEMARD Jules Laurent GAVARRY Laurent Marius Joseph Séraphin GAY Victor Jacques GHIBAUDO Jean Baptiste Charles GHIO Marius Joseph GIBERT Armand Jean Louis GILARDI Théophile Baptistin GILLETTE Léon Louis François Alfred GINÉSY Joseph Louis GIORDANO Ferdinand GIRAUD André Joseph GIRAUD Eugène Joseph GIRAUD Paul GIRAUDO Joseph Célestin Jean GIRAUDO Sylvain Jean GIRIOU Pascal Joseph Marius GIUSTINIANI Nonce Barthélémy GLEIZES Auguste Jean Laurent GOIRAND Lazare Marius Philémon GOMMET Jean Marius Gaspard GOT Joseph François GOURDON Raymond Marius Joseph GRAND Joseph GRAS Aimé Marius GRIMAUD Désiré Alexandre GRIMAUD Eugène Marius GRINDA Charles Jacques GRISOLLE Justin Jules GRISOT François GROS Joseph Pierre Eugène GUEIT Paul Toussaint Aimé GUICHARD Louis Modeste GUIDI Alexandre GUIDI Émeric Marius François GUIEU Joseph Léonce GUIEU Marius Joseph GUILLEMARD Fernand GUINCHARD Agricol Joseph GUINCHARD Justin Clairin GUIOL Clément Marius Louis GUIOL Louis Joseph Marius GUIOL Victor Louis Paulin GUIZONNIER Albert Élie HONORAT Victor Marius Michel HUBAC Clairin Saturnin HUGUES Antoine Jean Eugène HUGUES Charles Fortuné HUGUES Hippolyte François IMBERT Pierre ISNARD François André Césaire ISOPO Jean Louis Auguste ITIER Albin Basile JALABERT Jean Joseph Marcel JALBAUD Marius JAVOUHEY Georges Pierre Joseph JULIEN François Joseph KERJEAN Jean Louis LABICA Léonard Gaston LAMBERT Louis Hippolyte LAMOUROUX Henri Eugène LAUGIER Thomas Jules LAURENT Charles Gambetta Roselin LEFORT Hélier Symphorien LEYDIER Antoine Marius LIGNON François Clément LOMBARD Louis Victor Joseph LONG Marius Joseph LUCCHESI Baptistin Honoré Auguste LUPO Julien Marius LUQUET Antoine Marius MAGLIOTTO Joseph Marius MAGNAUD Frédéric Victor Omer MAILLET Eugène Anatole MALAUSSE Fernand Paul MANASSÉRO Modeste Georges MANAVELLA Étienne Thomas Marius MANDRILE Alphonse Marius Maurice MANSART Joseph Désiré MANTILLERI Antoine Victor MARCANTONI Joseph Antoine MARCHISIO Barthélémy Antoine MARQUAND Paul Marius MARQUAND Pierre Marius MARRO Pierre Sébastien MARSOLLIER Léopold Charles Hippolyte MARSOLLIER Louis Léopold MARTEL Jules César MARTEL Louis Jules MARTINENQ Ferdinand Antoine MASSABO François Laurent Baptiste MASSABO Justin Marcellin Baptistin Séraphin MASSOL Marius Jean Baptiste Paul MATHARON Séraphin Victor MAUREL Pierre Charles Rosselin MAURIN Ferdinand Marius Eusèbe MAUROS Henri Roger Antoine MELGAZZO Louis MELLANO Martin Joseph Jean Baptiste MESCLE Jean Léon MICHEL Ange Michel Marius |
MICHELONNET Antoine Michel MIGNONE Jacques Joseph MILANO Charles MILANO Pierre Marius Ernest MOLINÉRIS Henri Joseph MONARD Élie Fernand MONDOLONI Augustin MONGE Simon Joseph MONNERET Émilien Marie Benoît MORGANA Pierre Paul MORIN Robert MOROT Baptistin Marius MOURAILLE Marius Auguste Joseph François MURAZZANO Antoine MURISASCO Marius Charles Sébastien MUSSOU Marius César Honoré NÉRONE Clément Louis NIEL Joseph Éléonore OLIVIER Germain Marius OLLAGNIER Victor Désiré Joseph ORSONI Victor Angelin Jean OURDAN Marius Laurent PANZA Jacques Philippe PANZA Joseph Jean PAPEL Aimé Paul Siméon PASCAL Gabriel Pierre Célestin PASCAL Jules PEIRÉ Paulin Eugène Félix PEIRON Armand Marius PÉLESTER Auguste Laurent PÉLESTER Baptiste Auguste PELLAT Marius Henri Honoré PELUFFO Dominique Marius Hilarion PÉRON Pierre Louis Marie PERRIARD Armand Robert Louis PESCE Nicolas PÉTIN Charles Maximin Lucien PEYSSON Marcel Auguste PHILIP Léon Auguste PHILIPOT Ernest Louis PIFFARD Hippolyte Fortuné PIN Joseph PIZOT Eugène Victor PIZOT Louis Ernest POLETTI Édouard Désiré Pierre POLETTI Paul François Casimir PONS Henri Louis POURCHET Émile Aimé PROFUMO Augustin Marius PUGNAIRE Marius Jules RAME Joseph Louis RAVEL Jean Joseph RAYBAUD Louis Jean Adolphe RAYBAUD Marcellin Jacques RAYNAUD Honoré Marius REBUFFEL Joseph REY Émile André REY Marius Clément REY Maurice Jean Marius REY Victor Marius REYMONENQ Marius Hilarion REYNAUD Éloi Joseph RICARD Auguste Lucien RIEUX François Louis RIEUX Gabriel Lazare RIMBAUD François Xavier Louis Marie Armand RINALDI Auguste Victor ROBBA Maurice Pierre ROBIN Joseph Louis ROCHE Henri ROCHE Louis Célestin Alexandre ROLLAND Baptistin François Marius ROMANO Louis Jules RONJAT François Marie Édouard ROSSI Marcel Camille Antoine ROUME François Victor Joseph ROUQUIER Auguste Baptistin ROUX Clairin Jules RUDEL Maurice SABATIER Edgar Jean Marie SALDALAMACCHIA Natto Salvator SALVANO Émile François Joseph SAMPITÉ Paul Marcel SANSOÉ Marius Baptistin SAVIGNY Adolphe SAVIO Louis Alfred SCANAVINO Eugène Louis Noël SCRIBANTE Félix Constant Dominique SCRIBANTE Laurent Victor Paul SÉQUIER Noël Honoré SERVEL Gustave Maurice SICARD Pierre Marius SIDORE Eugène Théodore SIGNORET Adolphe Marie Hippolyte SILVY Jean Baptiste Marius Luc SILVY Joseph Victor Auguste SIMI Ernest Émile SIMIAN Victor Marius SIMONDI Joseph Pierre SIMONIN Jean Joseph Émile SIRON Jean Marcel Arthur SOLÉRI Auguste Barthélémy SOLÉRI Louis Joseph SOUCHE Paul Darius SOULLEYET Marcel Charles Marie SOURD Louis Victor SPADA Esprit Marius Dominique STAPPERS Édouard Jean Marius STOQUIAUX Léon Eugène STRAUËL Jean Baptiste (alias Ferrier Joseph Gabriel) STRUB Jules Marius SUZAN Fortuné Michel François TERNELLI Marius Albert TESSIER Alexandre Jules Victor Ambroise TESTOT-FERRY Louis Marie Alfred Henri TEULIER André Marius THOMAS Louis Marius Jean THUILLIERS Hippolyte Joseph TISOT Auguste Victor Jean TISOT Augustin François Léon TOMATIS Jacques TOURON Marius Alexandre TRAVERSA Jean Dominique TRIPE Marius Philémond Vincent TRUC Louis Désiré Laurent TURCO François André Guillaume VACHEY Jules Marius VACHIER Étienne Eugène Séraphin VAYR Eugène Marius VENEZIANO Simon Gaston VERDAGNE Magloire VERGINE Pierre VERLAQUE Lucien Charles VERLAQUE Marius Antonin VIALE Baptiste Lucien VIDAL Albert Joseph Clairin VILLECROZE Joseph Julien VINS Emmanuel Hippolyte VOTTERO Jean Alexandre YSO Calmond Gustave ZIRUBIA Paul Théodore ZUCARELLI Jean Baptiste ZUNINO Baptistin Philémon |
92 militaires seynois sont morts au cours de la guerre de 1939-1945
A la suite des recherches exhaustives des listes de victimes des guerres conduites par M. Jean-Claude STELLA, 45 nouveaux noms de victimes de ce conflit ont été rajoutés à la liste publiée par Marius AUTRAN - qui n'en comportait que 47 - dans la première édition de cet ouvrage (1992).
ABRAN Jean ASTIC Lucius AVRAMO Pierre BARISONE Marius BARNOIN Charles BASTIEN Adolphe BATISTAN Alexandre BERGIA André BLANC Achille BLANC Jacques BONELLI Humbert BOUTHÉMY Louis CAMPIA Jean CANALE Marius CAPRA Antoine CAUSSAN Marcel CAYOL Raymond CORDERA Joseph CUERQ Roger DE GOUYON DU VERGER Guy DELUY Joseph DESÈVRE André DODAT Maurice ESPANET Jean EUSTACHE Charles FERNANDEZ André FONTAINE Michel FOURNIER Julien FURNARI Nunzio GALLON Alexandre GARCIA Pierre |
GARRIGUES Étienne GHIONE Pierre GIRAUDO Auguste GRANGE Étienne GRANIER Paul GROSS Jules GUILHAMET Marcel HUBIDOS Paul HUBIN Jean Pierre LAUVERGNAT Robert LE BOULCH Henri LE CORFEC Louis LE COUTEULX DE CAUMONT Gérard LEVRERO Andréa LIARDET Béril MARIANINI Georges MARQUES Pierre MARQUET Georges MARTIN Claude MARY Jeannot MATTÉOLI François MAURRIC Marius MAZZACHIODI François MICHEL Aimé MONCINI Léon MONIER Édouard MORETTI Marius MORETTI Roger MURIASCO Augustin NIVIÈRE Louis PARSI Mathieu |
PÉRACHON Marcel PIERRÉ Louis PIGNOL René PISTOLESI Albert POGGI René POSSAMAI Giovanni PRATALI Dino PUSIOL Basile RAME Fernand RAPUZZI Marceau RENOUARD André REVEL René RICHARD Charles ROUNARD René ROUSSEL Jean ROY Jérôme SAURIN Eugène SCRIVANO Dominique SCUTTO Antoine SOLD Henri SUZZONI Dominique TAGNATI Jean THIÉLÉ Willy TOSELLO Alfred VALACCA Henri VALLOIS Maurice VENTURINO Joseph VIBERT Jean VITAL Justin WEISE William |
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NB. 2 Seynois sont également morts pour la France, en opérations extérieures
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