La Seyne-sur-Mer (Var)   La Seyne-sur-Mer (Var)
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Marius AUTRAN
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Marius Autran, historien et écrivain local (1982-2001)
Interviews et enregistrements videos

 

Un entretien avec M. Marius Autran sur son Tome VII de la série « Images de la vie seynoise d'antan » (récits, portraits, souvenirs) (Texte extrait de Nouveaux regards sur l'histoire de La Seyne sur mer, comptes rendus du colloque du 4 novembre 2000, Association pour l'Histoire et le Patrimoine Seynois, pp. 35-41).

La mémoire des chantiers (Texte extrait de Nouveaux regards sur l'histoire de La Seyne sur mer, comptes rendus du colloque du 4 novembre 2000, Association pour l'Histoire et le Patrimoine Seynois, pp. 31-33).

Les écoles de mon enfance (Texte extrait de Regards sur l'histoire de La Seyne sur mer, comptes rendus du colloque du 13 novembre 2001, Association pour l'Histoire et le Patrimoine Seynois, pp. 15-17).

Mémoires d'écoles. Interview de Marius Autran par Adeline Luminet, du Service des Archives Municipales, et publiée en 2005 dans le fascicule Mémoires Vives "Mémoires d'écoles..." par le Conseil Général du Var, dans le cadre du Centre Départemental pour l'Insertion Sociale.

Anciens enregistrement videos, actuellement recopiés sur DVD, réalisés par l'Association Les Relais de la Mémoire

Articles de presse relatifs aux enregistrements de Marius AUTRAN

Dernière interview par La Marseillaise, 4 juin 2006



 

Un entretien avec M. Marius Autran

« Images de la vie seynoise d'antan » (récits, portraits, souvenirs), tome 7 (extrait de Nouveaux regards sur l'histoire de La Seyne sur mer, comptes rendus du colloque du 4 novembre 2000, Association pour l'Histoire et le Patrimoine Seynois, pp. 35-41.

L'entretien a été sollicité et préparé par Marie-Claude Argiolas et le document vidéo réalisé par René Reverdito.

 

Marie-Claude Argiolas : Bonjour M. Autran et merci d'avoir accepté de répondre à quelques questions à propos de votre dernier ouvrage.

M. Autran : Alors, quelle est la première ?

M-C A. : Vous avez intitulé cet ouvrage « récits, portraits et souvenirs », et le premier chapitre a pour thème « la vie seynoise quand ce siècle avait dix ans ».

Monsieur Autran, vous êtes né un 2 décembre, ce qui est déjà un petit clin d'œil à l'Histoire... le 2 décembre 1910...

M. Autran : Exactement...

M-C A. : Pourriez-vous nous raconter ce qu'était La Seyne et la vie des Seynois à cette époque ?

M. Autran : D'accord. Mais vous me demandez un exercice difficile parce que La Seyne d'aujourd'hui n'a absolument aucune ressemblance avec celle de l'époque que vous venez d'évoquer, sauf toutefois le centre-ville. C'est tout.

Il faut commencer, je crois, par vous parler des limites géographiques. Quand vous alliez en direction des Sablettes, quand vous arriviez à la Poste, dites vous qu'après la Poste c'était la campagne. La rue qui est parallèle à la Poste sur le derrière, c'est la rue Philippine Daumas. C'est là que je suis né et je suis né dans la campagne.

Du côté opposé, c'est-à-dire du côté de Toulon, quand vous arriviez à la Bourse du travail, - parce que la Bourse du travail avait été construite en 1905, et en 1910 elle était donc en pleine activité, - mais dès que vous l'aviez dépassée, vous étiez dans les arbres fruitiers, les artichauts, c'était la campagne. Même chose du côté du boulevard du 4 septembre : le boulevard existait, mais n'était pas prolongé en direction de Six-Fours par le boulevard de Stalingrad. C'était fermé. Toute la partie agglomérée était là, et tout le reste c'était la campagne.

Alors, la campagne à ce moment-là, c'était des centaines de familles de cultivateurs qui produisaient de tout, c'est-à-dire des fruits, des légumes, des olives, qui faisaient de l'élevage, etc. Et là on peut dire que c'est un changement complet puisque les familles de cultivateurs aujourd'hui à La Seyne se comptent sur les doigts des mains.

On avait quand même quelque chose de bien, c'est qu'il n'y avait pas de chômeurs. Il y avait l'entreprise des « Forges et Chantiers de la Méditerranée » qui avait été fondée en 1856 et qui entretenait une activité intense. On construisait des bateaux depuis assez longtemps d'ailleurs, et des bateaux de qualité. Alors c'est un phénomène qui aurait dû s'accentuer mais malheureusement la guerre est venue.

Pour en rester à la période de 1910, on avait beaucoup de main d'œuvre italienne. Les problèmes de l'immigration s'étaient déjà posés vers la fin du 19ème siècle, et on avait dans les « Forges et Chantiers » au moins 40 % du personnel qui était d'origine italienne. Vous voyez l'importance que cela pouvait avoir. Cela n'arrangeait rien sur le plan social, car ces pauvres gens étaient logés dans des taudis, enfin bref, je passe là dessus... Ils avaient été victimes des épidémies car ils étaient logés dans les environs des Mouissèques dans des conditions épouvantables, mais c'est un aspect que je ne veux pas développer.

Quand je dis que la vie était totalement différente, dites-vous ceci, c'est qu'on pouvait produire de tout à La Seyne, la pêche était fructueuse, la campagne aussi et l'industrie aussi. Tout marchait et il n'y avait pas de chômage.

Ce qui ne veut pas dire que le travail était forcément simplifié : on n'avait pas encore l'usage de l'électricité. Je faisais mes devoirs à côté de la lampe à pétrole. On n'avait aucun engin mécanique. Mon grand-père avait un jardin important, il le travaillait à la bêche, on ne savait pas ce que c'était qu'un motoculteur, on ne savait pas ce que c'était que les pompes à eau, on arrosait avec la noria autour de laquelle le petit âne tournait pendant des heures pour avoir un petit peu d'eau dans une rigole. On n'avait pas de moteur, pas de pompe non plus, nos ménagères ne disposaient pas de four, pas question de machine à laver la vaisselle bien entendu, on en était encore très loin. Les ménagères partaient laver leur linge dans les lavoirs publics jusqu'aux Moulières à plusieurs kilomètres de La Seyne. Alors je veux dire par là que les conditions de la vie matérielle n'étaient pas faciles. On se chauffait mal, et il fallait quand même travailler. Pour se chauffer, j'ajouterai en passant que nos mères et nos grands-mères s'en allaient à la forêt de Janas chercher des pommes de pin, du bois mort,... C'était un des aspects de la vie en 1910.

Il n'y avait presque pas d'écoles publiques, c'est-à-dire il y avait un enseignement privé puissant puisque les Maristes existaient, l'externat Saint-Joseph pas loin de là, existait aussi, et il y avait l'école Sainte Thérèse. Il n'y avait pour l'enseignement public que la seule école Martini pour les garçons, une petite école rue Clément Daniel pour les filles qui avait été installée dans l'ancien hôpital. On appelait cela l'Hôtel-Dieu. Et puis deux petites écoles maternelles, une aux Sablettes, et une rue Jean Jaurès. Et la première école primaire après Martini, c'était François Durand qui s'appelle aujourd'hui l'école Emile Malsert. Donc les problèmes scolaires avaient été difficiles à régler. L'année 1910 a ceci de particulier : c'est à peine si la laïcisation s'est terminée cette année-là. Et pourtant les lois sur l'école publique existaient depuis 1881, 1882 et 1886.

Autre aspect très négatif, il faut le dire, c'était le manque d'hygiène à La Seyne. Elle manquait d'eau, il n'y avait pas d'assainissement, et tous les matins il y avait des véhicules malodorants qui circulaient en ville pour ramasser les vidanges. C'est une image de marque qui est restée longtemps puisque ce n'est qu'en 1952 qu'on a commencé à utiliser l'émissaire commun. Dans les aspects de la ville il y avait donc du positif et du négatif. La santé publique n'était pas bonne, les maladies faisaient encore pas mal de ravages. On mourait couramment de la tuberculose à l'époque, les enfants de la méningite. Des fièvres typhoïdes, il y en avait tant et plus parce qu'on manquait d'hygiène justement.

Et la vie associative, j'en terminerai par là, était réduite à pas grand-chose. D'abord, il n'y avait pas de structures officielles. Il faut dire que le ministère de la culture et des arts n'existe que depuis quelques années, alors à ce moment-là on en était loin. Nous avions la Philharmonique de La Seyne, ça oui. Elle existait depuis un siècle. Je tiens à le dire en passant, c'est l'association à caractère culturel la plus ancienne à La Seyne, dans le Var, et la troisième de France, après Lille et Roubaix dans les années 1830. On avait quelques petites associations sportives qui débutaient à peine, sans moyens d'ailleurs, comme l'Olympique Seynois, les boulomanes, etc. La Seyne s'éveillait un peu à ces choses-là, au domaine culturel. Il y avait beaucoup de choses à faire qui viendraient par la suite, mais qui ont été retardées par la guerre. Car la guerre n'arrange jamais rien, ça freine tout. On peut considérer que La Seyne dans les années 1910 prenait son essor. Elle avait 20 000 habitants, et après la guerre, il y en aura 25 000. Il n'y en avait que 20 000, mais par rapport au siècle précédent c'était un progrès car La Seyne pendant longtemps avait stagné. L'explication est simple : il y avait une industrie qui marchait, un commerce, et une agriculture florissante. Voilà, je dresse là un tableau rapide.

Si vous voulez passer à une autre question, je vous écoute.

M-C A. : Comme vous venez de le souligner, les quartiers de notre ville ont subi bien des transformations. Vous insistez beaucoup sur l'histoire de la Chaulane qui est devenue la ZUP de Berthe. Quelles réflexions vous inspirent ces changements et quels moments de votre action municipale vous reviennent alors en mémoire ?

M. Autran : L'histoire de la Chaulane me réjouit et m'attriste à la fois. Je vais vous expliquer pourquoi. La Chaulane c'est le nom d'un immense domaine qui a existé dans ce que l'on appelait au Moyen Age la grande terre de Saint-Jean, c'est-à-dire une terre immense qui dépendait de l'abbaye de Saint-Victor et Six-Fours, et qui s'étendait depuis Les Playes jusqu'à Brégaillon. Cela représente 30 ou 40 hectares environ. C'est une terre qui pendant des siècles a été cultivée par des moines, et par des gens du pays à l'époque où la classe paysanne était représentée par des serfs. Tout cela a évolué avec le temps. Puis cette terre de Saint-Jean s'est morcelée, et il y a eu une quantité de petits propriétaires, mais aussi des grands qui cultivaient des terres extrêmement fertiles. Cela a duré jusqu'à la dernière guerre.

On a parlé longtemps et on a beaucoup écrit là-dessus car La Seyne a été sinistrée très gravement en 1944 par suite d'un bombardement américain féroce ; il est tombé sur la ville 700 bombes, dont 4 seulement sur l'objectif qui étaient les Forges et Chantiers. Le reste, c'est la population civile qui l'a pris... je ne rentre pas dans les détails... Je pourrais citer les milliers de maisons détruites, les centaines de morts,... Mais après ce désastre, il est évident qu'on a eu des milliers de sinistrés. La municipalité après guerre a au moins déblayé les ruines, municipalité présidée alors par le docteur Sauvet. Quand les travaux les plus urgents ont été effectués, il fallait remettre de l'eau, les canalisations étaient crevées, il fallait refaire le téléphone. Il fallait penser à reloger les gens, et le problème s'est plus particulièrement posé à la municipalité de Toussaint Merle à partir de 1947. Et après avoir beaucoup discuté avec les élus, la population, etc. On avait fini par conclure qu'il fallait construire. Evidemment, on ne pouvait pas se contenter de réparer des ruines. Il fallait construire, car la population de La Seyne avait augmenté avec la prospérité des Chantiers navals avant la guerre. Mais construire où ? Cela a fait l'objet de nombreuses discussions et finalement on s'est tourne vers la ZUP, vers la campagne, car il n'y avait que des terrains en culture et quelques fermes isolées. La municipalité avait lancé la Zone Urbaine Prioritaire. Il a fallu procéder à des expropriations toujours douloureuses ; mais on a quand même eu les aides particulières de propriétaires qui ont volontiers vendu à la ville pour faire cette zone de constructions. Le propriétaire le plus important était celui de La Chaulane, et c'était, à ce moment-là, M. Elie Zunino, qui avait accepté de tout vendre. Cela a accéléré le début des opérations. Alors, on a construit, d'abord des petites habitations, puis des grandes, puis des tours. Vous voyez ce que cela a donné.

Quand je disais que ça m'attristait un peu, ça dépannait des gens, bien sûr. Ils se sont retrouvés dans des appartements neufs, mais au bout de quelques années, on a trop construit. Je le pensais déjà à l'époque, et c'est si vrai que maintenant il faut démolir. On a démoli 2 tours, et il est question d'en démolir 2 ou 3 autres. Enfin, ça c'est un autre aspect. Je ne veux pas chipoter avec les histoires des urbanistes, c'est pas mon fort. Mais de toute manière, on peut constater que dans cette masse d'immeubles, il y a 15 000 habitants c'est-à-dire le quart de la population seynoise actuelle.

Et il s'est créé cette zone, peuplée de façon tout à fait hasardeuse. Il a fallu dans un premier temps reloger les Seynois, puis reloger aussi à partir de 1960 ceux que l'on appelait les pieds-noirs, c'est-à-dire les rapatriés d'Algérie, la ville ayant été tenue de construire une tranche de 100 logements exprès pour eux. On les a logés. Mais ils n'étaient pas contents quand même, car ils étaient mieux là-bas qu'ici. Je le dis sans malice, je le dis parce que je l'ai entendu. Et puis il y a eu les changements de municipalité, je ne veux dire du mal de personne, mais on a emmené une clientèle un peu spéciale qui venait des bas quartiers de Toulon dans un but électoraliste bien affirmé ; et les immigrés nord-africains et africains, une main d'œuvre précieuse, sont arrivés, et on fourré tout ça là-dedans, dans un ordre que je ne dirais pas quelconque, car il y a des aspects qui m'obligent à penser que cela a été un peu calculé.

Je veux en venir au fait que cette zone particulièrement peuplée et surpeuplée, rappelle un peu l'existence des ghettos et ce n'est pas un hasard si la vie y est parfois dangereuse. Je ne vais pas vous raconter tous les incidents qui peuvent se produire parfois, avec une jeunesse dévoyée qui va plus ou moins à l'école, qui se livre à toutes sortes d'actes de vandalisme répréhensibles, la police craignant même quelquefois d'y aller pour remettre de l'ordre. Il y a là-dedans une ambiance qui n'est pas agréable. Il y a des gens qui s'efforcent de concilier les points de vue,... Mais enfin, la vie familiale y est peu aisée, le chômage s'est installé dans la ville, ça ne crée pas des mentalités bien heureuses. Alors, c'est une zone un peu à part : la ZUP, c'est une zone qui ne vit pas la vie seynoise, il y a une mentalité différente dans ces coins-là. Je ne suis pas là pour donner des conseils, mais les gens qui s'occupent de ça et s'en occuperont ont beaucoup de mal à le faire. Voilà pourquoi je vous disais tout à l'heure que c'est réconfortant parce qu'on y a fait beaucoup de choses utiles. Il a fallu faire des structures sociales, mairie, services sociaux, culturels, crèches, etc. Mais ça n'a pas suffi à amener une bonne mentalité générale dans la population, alors qu'autrefois il y avait une certaine convivialité qu'on ne retrouve pas là.

Je ne veux pas en dire plus, il y aurait beaucoup de choses à dire encore mais j'enchaîne avec la question suivante : vous m'avez demandé quel moment de votre action municipale vous revient en mémoire. C'est bien ça ?

Et bien ça remonte à loin. La première chose que je dois dire, c'est que c'est le lendemain de la guerre qui nous a d'abord préoccupés. Je vous ai parlé du docteur Sauvet avec lequel j'ai travaillé, puis Toussaint Merle. La Seyne était dans une situation lamentable. Le dimanche, nous partions avec pelles et pioches pour aller déblayer des quartiers en ruines, enlever des tas d'ordures; on faisait des tas de choses et à titre bénévole bien entendu. C'est une situation qui a duré des années.

A partir du moment où on a commencé à retrouver des structures normales, ce qui a le plus marqué ma vie seynoise, c'est à partir de 1959 quand on a retrouvé un hôtel de ville. L'hôtel de ville c'est le cœur, c'est de là que partent les instructions, c'est là qu'on se retrouve pour les festivités... C'est à partir de là. En 1960, l'hôtel de ville offrait sa grande salle des fêtes. Je suis oblige de dire en passant que les adversaires de la municipalité de l'époque portaient des jugements pour le moins néfastes, en disant que M. Merle dilapidait l'argent public en faveur d'un bâtiment aussi énorme, que ce n'était pas la peine d'avoir une tour comme ça pour abriter les services municipaux. C'était un petit raisonnement car 3 ou 4 ans après, il a fallu construire une deuxième mairie, celle qui se trouve au quartier Peyron, là où il y avait l'ancien abattoir, la mairie technique, et 2 ou 3 ans après on a construit une troisième mairie : c'est la mairie sociale qui se trouve rue Renan et c'est aussi un bâtiment important.

Quand on a eu ces structures, tout le monde a été enthousiaste. On allait à l'hôtel de ville voir les expositions, écouter des concerts... Les employés travaillaient mieux, parce que pendant 15 ans qu'on avait attendu l'hôtel de ville, les employés travaillaient dans des ruines, ou presque, rue Messine par exemple. Tout cela a créé une mentalité toute nouvelle, un enthousiasme. C'est donc à partir de 1959 que les choses ont démarré et pendant les 15 ou 20 années qui ont suivi, toutes les structures nécessaires à la ville ont été apportées, je dis bien toutes. Au point de vue scolaire, j'ai publié dans le tome 6 une chronologie, et on lira que c'est dans cette période que l'on a construit le stade Maurice Baquet, les terrains de sport à Renan, à Berthe, aux Sablettes. On a équipé toutes les écoles en structures sportives et culturelles, on a créé des centres culturels à Tamaris, à Jacques Laurent, dans la cité Berthe. On a fait tout ce qu'on pouvait faire d'utile, les logements n'en parlons pas, puisqu'on avait crée l'Office Municipal d'HLM qui est à la tête aujourd'hui de plus de 5 000 logements, ce qui n'est pas peu. Dans le domaine des Arts, l'Office Municipal de la Culture et des Arts, l'Ecole Municipale de Musique, dont je suis en train de raconter l'histoire - parce que j'ai toutes les archives - des structures qui ont apporté à la ville énormément, des emplois, et on a formé des centaines de musiciens... Vous verrez cela si je réussis à terminer ce livre, et cela a duré 35 ans. C'est dans cette période que La Seyne telle qu'elle apparaît aujourd'hui s'est construite. C'est dans cette période. Je ne dis pas que depuis on n'a rien fait, mais enfin l'essentiel des structures administratives, culturelles, sportives, sociales, c'est dans cette période que ça été fait. Après, on a fait une petite école de quartier à droite à gauche... je le dis d'autant plus volontiers que j'y ai quand même participé pendant 30 ans.

M-C A. : Vous vous attardez sur l'année 1910 qui est comme on l'a vu l'année de votre naissance. Retiendriez-vous une autre date importante, une date charnière pour notre ville dans le siècle qui vient de s'écouler ?

M. Autran : Et bien oui, il y en a une importante, très importante, et qui n'est pas des plus heureuses à évoquer C'est naturellement 1986, la disparition de nos chantiers navals. Cela fera partie de l'histoire douloureuse de La Seyne. Parce que La Seyne a connu des années dramatiques dans le passé, elle a connu les épidémies de choléra, ou de peste même, les guerres mondiales, mais là c'est un véritable séisme économique qu'elle a supporté. Parce que quelques années auparavant, les chantiers construisaient de tout.

J'ai toujours était plein d'admiration pour les techniciens, ingénieurs et ouvriers bien sûr qui ont participé à l'œuvre monumentale que les chantiers ont réalisée. Les ingénieurs des chantiers après la fermeture, ont publié une revue qui s'intitule « Sillages », en 2 ou 3 volumes. Et bien, dans l'histoire de la ville, ça aura laissé des traces profondes. Toute la flotte de guerre, ou presque, de la France, est sortie de là. Toute la flotte marseillaise, commerciale, est sortie de là. 2 000 constructions ! Je n'entre pas dans les détails de tout ce qui a été fait en dehors de la construction navale elle-même. Car quand les chantiers éprouvaient des difficultés, - parce que dans la construction navale il y a eu aussi des hauts et des bas, des périodes de récession en fonction des conflits économiques - les chantiers ont toujours su se reconvertir pour faire quelque chose. Pendant les guerres, on y a fabriqué des canons, on y a fabriqué des chars d'assaut, chose qui à l'origine n'était pas prévue, à la place des bateaux on a fait tout cela. Quand ensuite la crise de la construction navale a commencé, les chantiers se sont mis à fabriquer des plates-formes de forage pour aller chercher du pétrole, des métros pour Moscou, Mexico ou ailleurs, enfin j'en passe.

Nos ingénieurs ont vraiment eu du génie, il ne faut pas hésiter sur les mots, et personnellement je regrette infiniment, pour ma ville de La Seyne, pour la classe ouvrière seynoise, et pour la France aussi, que cette industrie de la construction navale se résume aujourd'hui à un chantier, ou deux, et pas un seul chantier de construction navale sur la Méditerranée. Alors que nous cherchons à renouer des liens avec l'Afrique du Nord... je ne veux pas aborder ici de sujet politique, ce n'est pas mon but, mais il faut regretter infiniment tout ce qui est arrivé.

Et depuis, La Seyne a des milliers de chômeurs. On a réussi à en reclasser pas mal, d'autres sont partis en préretraite, on a essayé de limiter un peu la casse, il n'en reste pas moins que c'est une opération qui a coûté très cher aux gens et aussi à la ville. Parce qu'autrefois les Forges et Chantiers étaient considérés comme la plus grosse industrie de la commune. Elle payait évidemment des impôts et c'est autant de millions qui ont disparu du budget communal. Vous voyez l'effet désastreux que cela a produit sur l'économie locale. Et c'est un problème si grave que même aujourd'hui, alors que cela fait tout de même 15 ans que les chantiers ont disparu, La Seyne n'est pas encore relevée de ses ruines, de cette crise économique.

Faut-il en déduire que tout est fini, que tout est perdu ? Je ne voudrais pas terminer sur une note triste. Quand les chantiers ont fermé, on en a quand même sauvé une partie. Il y avait eu des transformations. Les Forges et Chantiers en 1966 avait été sauvés de justesse par les syndicats, la municipalité, la marche sur Paris... Une autre société avait pris le relais, les CNIM, Constructions Navales et Industrielles de la Méditerranée. Elle existe encore, installée sur le territoire de Brégaillon, là où il y avait un hippodrome, entre Lagoubran et Brégaillon. Il y a quand même là des hectares qui ont appartenu à une famille seynoise, la famille des Estienne d'Orves, un résistant qui a été fusillé. Eh bien dans ce secteur des CNIM, on travaille bien. On y fait même des choses assez rares, on y fabrique des engins pour les sous-marins atomiques que nous avons pas loin, en espérant qu'on ne s'en servira jamais bien sûr C'est une industrie, mais qui fonctionne à part. Moi, j'aurais préféré qu'elle puisse continuer à fonctionner sur les Chantiers mêmes, sur ce terrain qu'on a appelé Marépolis, qui est triste à voir, il faut dire la vérité.

Je ne veux pas augurer de ce qui va advenir de ce paysage. En tout cas, je ne souhaite pas qu'on y construise des logements comme la cité Berthe. Je dis ça en passant sans projeter de raisonnement sur les aspects politiques du problème que sont en train de mijoter tous les candidats pour les élections municipales prochaines. Donc je n'en parlerai pas. La date importante, donc, à mon avis, c'est cela. C'est dans l'histoire de La Seyne, 1986, enfin 1986-88, la disparition d'une industrie qui a été dans le passé une des plus florissantes du monde.

Parce que, si vous n'avez pas lu l'histoire des Forges et Chantiers -j'ai consacré un livre à ce sujet, rien que sur les Chantiers - on y a fait des bateaux pour le Japon, pour le Chili, pour la Chine, la Turquie, la Grèce, pour le monde entier. Il faut croire que ces constructions avaient donné des satisfactions. Les Forges et Chantiers avaient une réputation, avec une annexe qui existait aussi au Havre. Je terminerai là dessus quand je parle de la qualité de la construction navale : en 1904, la Russie entre en guerre contre le Japon. Les Russes déplacent une flotte qui part de la Baltique, qui va contourner le cap de Bonne Espérance au sud de l'Afrique, rejoindre la Chine pour aller à Port-Arthur, au nord de la Chine, où les attendent les Japonais qui n'avaient pas fait autant de trajet bien entendu. Je vous dis ça parce qu'il y a eu une bataille navale importante : à peu près tous les bateaux russes ont été coulés par les Japonais, sauf ceux qui avaient été construits aux Chantiers de La Seyne. Il faut le dire. Pourquoi ? Parce qu'il y a eu à la fin du 19ème siècle un directeur des Chantiers particulièrement compétent, M. Lagane, dont une des rues de La Seyne porte le nom. On avait imaginé de ceinturer la coque des bateaux de ce que l'on appelait des plaques de blindage épaisses, et que les torpilles ne réussissaient pas à traverser. Quand la bataille a été terminée, les Japonais ont reconnu eux-mêmes que ces bateaux-là, qui étaient de fabrication française, étaient seynois. Ce sera ma conclusion.

M-C A. : Merci, M. Autran d'avoir fait vivre pour nous tous ces moments, tous ces souvenirs. Une dernière question, peut-être indiscrète : y a-t-il un tome 8 en préparation ?

M. Autran : Oui, il y a effectivement un autre livre en préparation. Je ne me tiens pas pour battu bien que je sois né en 1910. Toujours à peu près dans le même style, « Récits, Portraits, Souvenirs », je trouve toujours des sujets. J'en ai quand même traité une cinquantaine jusqu'à présent, mais enfin j'en trouve d'autres. Je ne vais pas vous dévoiler tout le contenu de l'ouvrage, mais enfin j'ai trouvé intéressant de me pencher sur l'origine des quartiers de La Seyne, dont certains ont des noms un peu curieux, mais enfin je ne veux pas développer.

Et puis, j'ai imaginé aussi d'écrire des biographies de personnalités célèbres, disons honorables, du 20ème siècle écoulé. Personnalités du monde artistique, politiques aussi, sans tendance. Tout ça écrit en toute objectivité. Des biographies, des événements aussi. Il y a des structures sociales à La Seyne qui méritent une attention spéciale. Par exemple, l'histoire de l'École Municipale de Musique dirigée pendant 35 ans par M. Arèse. Une œuvre importante, ce qui ne veut pas dire qu'il a rompu avec la musique. Quand on a ce virus, on l'a jusqu'à la mort.

Il y a d'autres choses bien sûr que je ne peux pas vous dévoiler entièrement, parce qu'il y a des choix que je n'ai pas encore faits. Il y a toujours quelque chose à raconter. Je le fais toujours aussi simplement, je n'ai pas la prétention d'être un écrivain ni même un historien. Je travaille avec le minimum d'instruction que j'ai reçu à l'école Martini, un peu aussi à l'Ecole Normale bien sûr, en compagnie de mon vieil ami Toussaint Merle qui m'a quitté depuis longtemps. Voilà, je vais essayer de mener cette dernière tâche à son terme.

 


 

La mémoire des chantiers

(Texte extrait de Nouveaux regards sur l'histoire de La Seyne sur mer, comptes rendus du colloque du 4 novembre 2000, Association pour l'Histoire et le Patrimoine Seynois, pp. 31-33).

Entretien conduit par Mme Paule Giloux.

 

Mme Giloux : Les chantiers navals de La Seyne ont construit des navires pour le monde entier.
Dans les grands ateliers régnait une activité intense. Le vacarme y était infernal. Les ouvriers y travaillaient dans le bruit, la poussière, le danger.
Sur les photos groupant le personnel de l'atelier, on reconnaît au milieu des visages enfantins.
Toutes les industries de cette époque ont employé des enfants. C'était une main d'oeuvre bon marché, donc recherchée.
Pas d'apprentissage, les enfants entraient directement à la production.

Marius Autran : Alors, je vais vous parler du travail de ces enfants dans nos chantiers de La Seyne, parce que mon père a été dans ce cas.

Vous savez, à l'époque, on ne faisait pas faire aux enfants des études bien longues, mais enfant, au moins ils allaient jusqu'au Certificat d'Études que mon père avait passé à 11 ans, 12 ans peut-être. Et comme dans la famille il n'avait pas beaucoup de ressources, à l'époque, il n'était pas question d'allocations ou de ceci ou de quoi que ce soit. Et les petits, on les envoyait aux Chantiers.

On prenait les enfants à l'âge de 10 ans ! Ils passaient quelquefois la journée entière dans les ateliers et ils emportaient des morceaux d'omelette froide pour manger, ou des macaronis, des pois chiches. Parce que leur alimentation n'était pas des plus variées, vous savez. On les nourrissait surtout avec des « bourratifs ». Et physiquement ils n'étaient pas tellement costauds. Ce qui veut dire que, et on peut enchaîner sur cette idée, la mortalité infantile était quand même assez forte. A cette époque, il mourait jusqu'à 15% de jeunes enfants. Ce sont les statistiques officielles.

J'ai sous les yeux un texte qui précise qu'à partir de 1896, les enfants, à partir de 13 ans, travaillaient jusqu'à 10 h par jour. C'était la loi. Par la suite ça s'est amélioré.

Mme Giloux : Plus de 20 ans après la loi de 1896, une nouvelle loi ramène à 8 h la journée de travail des enfants de 12 et 13 ans.

« Travaux des enfants »
Livret à remplir par les patrons.

Des vétérans des Chantiers se souviennent de l'époque où, sur un carnet semblable étaient consignées leurs activités dans les ateliers, et ceci jusqu'à l'âge de 18 ans où ils passaient du statut d'enfant à celui d'ouvrier.

Loi du 30 juin 1928 :

Conditions du travail.

ARTICLE PREMIER : Les enfants ne peuvent être employés ni admis dans les établissements visés à l'article ci-dessus avant l'âge de 13 ans révolus.

ARTICLE 2 : Toutefois, les enfants munis du Certificat d'Études Primaires, institué par la loi du 28 mars 1882, peuvent être employés à partir de l'âge de 12 ans.

ARTICLE 6 : La durée du travail effectif des ouvriers ou des employés de l'un ou l'autre sexe et de tout âge, ne peut excéder soit 8 h par jour, soit 48 h par semaine.

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M. Autran : On les faisait travailler, à quoi ?

Ils étaient des manoeuvres. Ils arrivaient là, ils ne savaient rien faire, bien sûr. Ils avaient tout à apprendre. Alors on leur faisait faire des travaux quelquefois pénibles. Parce qu'ils étaient des manoeuvres, il fallait transporter des outils, des pièces.

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M. Autran : Alors ces enfants étaient trimballés d'un bord à l'autre et on ne leur apprenait rien.

Sauf qu'on leur disait « regarde comment fait l'ouvrier » Et il y en a qui arrivaient à comprendre quelque chose. On les utilisait aussi quelquefois à ce travail qui consistait à tenir l'abattage.

Vous savez, à l'époque, la soudure électrique n'existait pas. Il y avait les rivets. Il fallait faire chauffer les rivets au rouge pour les introduire dans les tôles percées et les écraser de part et d'autre. Parce qu'après, avec le refroidissement du métal, ça assurait une étanchéité presque parfaite. Ils faisaient ça. Ils faisaient chauffer les rivets.

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M. Autran : Quand vous faites ça pendant 10 h, ils avaient quand même gagné leur journée, qui s'élevait à l'époque à même pas 20 sous par jour ! Mais enfin ils apportaient cet argent à la maison.

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M. Autran : Et quand vous arriviez à Noël, j'aurais pu évoquer cela tout à l'heure à propos des enfants, c'était rare de voir des enfants qui avaient de beaux jouets. Quand ils mettaient les souliers pour que le Père Noël apporte quelque chose, le lendemain ils trouvaient une orange. Vous voyez ! Quelquefois un objet fabriqué par le père ou le tonton. Mais quand j'étais enfant, c'était rare de voir des enfants avec des chevaux mécaniques ou quelque chose comme ça.

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M. Autran : Alors voilà, ces enfants restaient jusqu'à 14 ou 15 ans à servir de boys. Et arrivés à cet âge-là, je sais que c'est arrivé comme ça à mon père, il y avait des adultes qui disaient : mais enfant, tu es un enfant intelligent, tu vas pas passer ta vie à faire ça. Il avait passé son certificat d'études. Le certificat d'études à l'époque c'était un diplôme qui avait beaucoup de valeur. Alors finalement, on les orientait vers la Bourse de travail. Au début du siècle, des municipalités soucieuses de la jeunesse, avaient institué ce qu'on appelait les cours d'adultes de la Bourse du travail. Des cours gratuits.

Mais pour ce qui est des enfants, ils ont souffert beaucoup et ils n'apprenaient pas parce qu'il n'existait pas de cours d'apprentissage. Cela n'existait pas dans les Chantiers. On a découvert cela beaucoup plus tard, l'enseignement technique. Par la suite on a créé l'école d'apprentis, mais beaucoup plus tard. Au point de vue technique, l'enseignement technique n'existait pas. L'enseignement technique a existé à La Seyne à partir de 1924-1925, à l'école Martini.

Voilà ce que je peux vous dire sur la vie de ces enfants, de cette époque. Ça a été une vie très rude et, je vous le dis, dans des conditions difficilement supportables.


 

Les écoles de mon enfance

Texte extrait de Regards sur l'histoire de La Seyne sur mer, comptes rendus du colloque du 13 novembre 2001, Association pour l'Histoire et le Patrimoine Seynois, pp. 15-17. [NB. La photo de Marius Autran, ci-dessous, publiée en 2001, date en fait de 1965].

L'entretien a été sollicité et préparé par Marie-Claude Argiolas et le document vidéo réalisé par René Reverdito.

Mon enfance a été assez tumultueuse. Ma première école fut celle de la rue d'Alsace, où se trouve aujourd'hui la protection maternelle et infantile. C'était une construction d'un étage, avec deux classes au premier et une cour de récréation. C'était en 1914, j'avais 4 ans. A l'époque, on ne parlait pas d'école maternelle, mais d'école enfantine. Pour l'école de la rue d'Alsace, on parlait de " l'asile "... Ce nom existe depuis le 19ème siècle, et la rue portait le nom de Rue du miserere, et même avant de Rue de l'évêché. Il faut dire que tout ce secteur appartenait aux curés.

" L'asile ", avec ses deux classes, avait de gros effectifs : 184 élèves en 1912, avec une classe de 73 élèves, et une de 111 élèves !! La directrice, Mme Rose Azibert, réclamait bien sûr une troisième classe...

C'était en fait une garderie plutôt qu'une école. On jouait dans la cour poussiéreuse, entassés... Moi, je restais tranquille dans un coin. Je n'y suis resté que quelques mois...

En effet, mes parents sont partis à l'époque à Ferryville, en Tunisie, comme beaucoup de gens de l'Arsenal. Là-bas, c'était une école maternelle. Et les pays colonisés étaient à l'époque mieux équipés que la métropole. Nous étions une vingtaine d'enfants, mais seulement des européens, pas d'indigènes. Les activités étaient plus variées, et les locaux étaient tout neufs, comme les habitations pour accueillir ces centaines de Seynois et de Toulonnais. Mais j'ai eu le paludisme, et je suis donc revenu à La Seyne, chez mes grands-parents qui habitaient au Pas du Loup. Et je suis allé alors à l'école des Sablettes, construite sur l'isthme même.

" Imaginons la mer se brisant jour après jour pendant des siècles, de Nord et de Sud, les vagues se rencontrant au même lieu, apportant sable, dépôts divers, les entassant, un banc, une plage, les détruisant, les refaisant sans cesse, selon flux et reflux, lais et relais, et reliant l'île et le continent. L'isthme des Sablettes est formé." (Texte de Pierre Caminade)

Du reste, le terrain n'appartenait pas à la commune, et on a failli démolir l'école qui était presque terminée ! Manifestations, protestations des parents, etc... ont permis finalement de la conserver. J'étais ici aussi dans une classe enfantine, et j'y suis resté deux ans.

Voyez une école construite sur l'isthme, et Marius Autran écolier alors. Cette école parachève la géopolitique du lieu nouveau. Lorsqu'une largade menace d'inonder l'école, les pêcheurs italiens et provençaux rassemblent et conduisent des charrettes pour mettre à l'abri les enfants. Par temps calme, le plus souvent, tout près de l'école, sur une bande de 200 m de long et plus de 20 m de large, la mer est peuplée de praires, de moules rouges, de clovisses. Les gosses sortant de l'école les cueillent et les ramènent triomphalement à la maison. Des maisons de pêcheurs dont celle du grand-père de Marius qui, a 8 ans, commence sur la Joséphine sa fréquentation de la mer et des hommes de Saint-Elme, des Sablettes, de Mar Vivo.

 

Questions des élèves
du collège Paul Eluard :

- Combien y avait-il d'écoles à La Seyne ?

Deux écoles enfantines (Jean-Jaurès et les Sablettes depuis 1902), l'école François-Durand en 1910. Il y avait bien sûr l'école Martini, la plus ancienne, et l'école Clément Daniel pour les filles. Car à l'époque, pas de mixité... Il y avait aussi des écoles privées : Sainte-Thérèse, l'externat Saint-Joseph, et les Maristes depuis 1849. Donc, 5 écoles publiques et 3 privées. François-Durand porte le nom d'un adjoint de la ville qui a fait beaucoup pour la population lors de l'épidémie de choléra de 1865. On l'appelait avant l'école Pissin, du nom des anciens propriétaires du terrain.

- Les écoles étaient-elles mixtes ?

Celle des Sablettes seulement, classe enfantine au début puis primaire. Elle desservait les quartiers de Saint-Elme, Tamaris, Mar Vivo, et le Pas du loup. Je faisais huit kilomètres par jour pour m'y rendre. Des garçons et des filles y étaient accueillis pour avoir des effectifs suffisants. Mais Martini était une école de garçons, et Clément Daniel pour les filles. Jean Jaurès était probablement mixte car les enfants étaient très petits.

- Y avait-il des cantines ?

Il y en avait, mais pas de repas ! On servait simplement une soupe dans une gamelle en fer, et pour l'eau le quart en fer blanc. Nous étions autorisés l'hiver à faire chauffer la gamelle que nous apportions de chez nous sur le poêle. Il n'y a eu des repas dans les écoles qu'après la seconde guerre mondiale.

- Aviez-vous des contacts avec les enfants qui habitaient les belles maisons de Tamaris ?

Il y en avait très peu. Dans mon école, on trouvait surtout des enfants de pêcheurs, de paysans, de commerçants. Dans ces maisons vivaient surtout des personnes assez âgées, cossues. Quand il y avait des enfants, ils allaient aux Maristes et pas à l'école des Sablettes.

- Parliez-vous le provençal ?

Oui, car mes parents et mes grands-parents s'exprimaient surtout en provençal. A l'école, les instituteurs parlaient français. On utilisait beaucoup d'expressions provençales. C'était épisodique. Mais avec mes grands-parents je ne parlais que provençal... je dis souvent que c'était ma première langue maternelle...

 

Retour en Tunisie en 1918

Cette fois, c'est l'école primaire, au cours moyen, chez M. Faurel, un instituteur très sévère, dans une ambiance presque militaire. Le matin, alignés, c'était l'inspection des mains, dessus, dessous, pour voir si elles étaient propres. Puis les souliers, qui devaient être bien cirés, et enfin les cheveux courts. Si on n'était pas bien comme il fallait, il nous renvoyait chez nous. C'était un instituteur d'élite, qui avait perdu une jambe à la guerre. On était 28 élèves environ, mais seulement 2 indigènes, 2 arabes. Et mon père m'avait expliqué que c'était parce que les petits arabes n'avaient pas de souliers. Ils étaient pieds nus même l'hiver. Et il n'y avait pas d'école où on enseignait l'arabe... C'était la colonisation intégrale, avec que des noms français pour les noms de rues. Mon père disait : on est dans un pays conquis, et on a tous les droits. On barbotait les olives dans la campagne, on chassait avec des fusils, alors que les arabes ça leur était interdit. Et il disait que ce n'était pas juste, et qu'un jour ça se retournerait contre nous... Et il n'avait pas tort ! Et quand on a quitté la Tunisie, ça s'agitait déjà.

Dans les années 20-21, ma mère languissait de ses parents, mais mon père ne voulait pas partir car il se trouvait bien. Finalement, on est revenu à La Seyne. Mes parents avaient du mal à trouver un logement, et je suis retourné chez mes grands-parents, et donc à l'école des Sablettes. Désormais, en classe de cours moyen, chez Mme Susini. J'y suis resté un an, puis je suis allé à Martini, dans la classe de préparation au certificat d'études que dirigeait M. Aillaud, un maître inflexible, terriblement sévère.

 

L'école Martini

Jusqu'ici, je n'avais fréquenté que de petites écoles. Aussi, dans cette matinée du ler Octobre 1921, quand je pénétrai dans la grande cour grouillante d'enfants turbulents, courant dans tous les sens, bousculant les uns, insultant les autres, je me sentis mal à l'aise. N'ayant pas encore de petits camarades, je m'adossai au tronc de l'orme centenaire... Tout " apoltroni ", je serrai entre mes jambes mon cartable tout neuf qui renfermait un beau plumier verni à incrustations de nacre, et j'attendis patiemment.

J'étais loin de penser dans ces minutes palpitantes que je passerai plus de cinquante ans de ma vie entre ces murs déjà vétustes, dans cette atmosphère d'agitation perpétuelle qui ne convenait pas du tout à mon tempérament.

C'était une école primaire supérieure qui durait 3 ans pour passer le brevet d'enseignement primaire supérieur. A la fin de la troisième année, on avait le choix entre les concours des petites administrations. Les dirigeants de la Troisième République l'avaient prévu : petits emplois, mais pas plus haut, dans la logique des paroles de M. Thiers : " lire, écrire, compter, mais pas plus...". Et autre phrase : " un peuple instruit est un peuple ingouvernable..."

J'y suis resté 6 ans, et j'ai été reçu au concours de l'Ecole Normale en 1928. Enseignait à Martini un quatuor resté célèbre : M. Azibert pour l'anglais et l'histoire-géographie, M.Romanet pour le français et l'eps, M. Gueirard pour les mathématiques, et la bio-physique-chimie par M. Lehoux. Ainsi en 1928, sur 17 admis à l'Ecole Normale il y avait 7 seynois !

C'était désormais Draguignan pour trois ans... Une anecdote : le secret du bon pédagogue, c'est de savoir se faire écouter. Il faut être un peu comédien, se faire comprendre de façon vivante. On apprenait beaucoup à l'école d'application. Ainsi mon premier cours fut un cours d'histoire ! ! Les élèves m'ont écouté... Et le directeur avait écrit dans son rapport : " J'ai l'impression que M. Autran a déjà exercé ce métier quelque part...".

 

" Pédagogue, conteur, comédien, vous étiez tout à la fois. Pour les générations d'élèves que vous avez aidés à devenir adultes, MERCI M. AUTRAN ! ! ! "

 

 

Anciens enregistrement videos, actuellement recopiés sur DVD, réalisés par l'Association Les Relais de la Mémoire, avec la participation de Marius AUTRAN :

 

Pour mémoire, quelques autres enregistrements réalisés par Les Relais de la Mémoire :



 

Articles de presse relatifs aux enregistrements de Marius AUTRAN

Var-Matin, décembre 2004

Var-Matin, 2 septembre 2007, page 7


Var-Matin, 18 septembre 2007, page 9






Dernière interview de Marius AUTRAN par La Marseillaise, 4 juin 2006

La Marseillaise, 4 juin 2006, page 2

La Marseillaise, 4 juin 2006, page 6








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