La Seyne_sur-Mer (Var)  La Seyne_sur-Mer (Var )
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du Tome I
Marius AUTRAN
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Images de la vie seynoise d'antan - Tome I (1987)
Balaguier
(Texte intégral du chapitre)
 

Ce quartier est la portion la plus orientale de notre terroir seynois qui s'avance vers l'entrée de la rade de Toulon, sous la forme de deux pointes séparées par une anse profonde, joliment incurvée.

Il s'étend entre l'Éguillette et le Bois Sacré au nord, le Fort Napoléon à l'ouest et le quartier de Manteau au sud.

Dès l'origine, ses terres étaient des pentes boisées descendant de la colline Caire (Fort Napoléon), dont l'altitude de 86 mètres est bien suffisante pour comprendre l'importance stratégique que nos ancêtres lui reconnurent.

Très isolé par l'absence de voies de communication jusqu'à la fin du XIXe siècle, il est devenu aujourd'hui une zone de peuplement et aussi un lieu touristique traversé par d'importances artères comme la corniche du Bois Sacré, le boulevard de la Corse Résistante si l'on vient de la ville, par la corniche Michel Pacha et le chemin de Manteau si l'on vient des Sablettes.

 

Le site de Balaguier, aujourd'hui

À travers les siècles, il a connu des mutations profondes que nous essayerons de comprendre. Ses activités ont varié en fonction des événements de l'histoire, de la capacité des administrateurs à gérer les biens communaux, des initiatives particulières pour l'exploitation de son littoral.

Pourquoi avons-nous réservé une si large place à ce quartier, dans ce recueil de récits et de souvenirs ?

Tout d'abord parce qu'il a joué un rôle des plus éminents dans la naissance de notre communauté seynoise, et qu'il fut l'un des hauts lieux de notre histoire nationale. Depuis sa construction, en effet, Balaguier a été le témoin pendant plus de trois siècles de grands événements qui ont fait l'histoire de notre pays. Des monarques, des stratèges sont venus à Balaguier pour étudier, organiser les défense de la place forte de Toulon ou même y prendre part à des combats meurtriers. À ce titre, la Tour de Balaguier, fortifiée au fil des années, et son complément l'Éguillette, n'ont pas été seulement des témoins. Ils ont été aussi des participants redoutables à la défense du sol national toutes les fois qu'il fut menacé.

Après Louis XIII et Richelieu, soucieux de la sécurité des côtes provençales, Henri IV qui s'intéressa de près à l'Arsenal, Louis XIV et Vauban, sont venus sur place mettre au point des systèmes de défense.

Après l'édification des principaux ouvrages militaires, à partir de 1665 et 1672, il se déroula une succession d'événements auxquels les plus grands stratèges furent mêlés, tels : Duquesne, Tourville, Duguay-Troin, Suffren, La Motte-Picquet, le comte d'Estaing, l'Empereur d'Autriche Joseph II, le Comte de Provence, Bonaparte, le Général Dugommier, l'Amiral Duperré, Napoléon III, l'Amiral russe Avellan et bien d'autres.

Pendant trois siècles, Balaguier a connu de nombreux faits historiques comme l'atteste cette énumération de personnages de haut niveau, ainsi que la longue suite d'aventures auxquelles ils furent mêlés.

Certains lecteurs penseront peut-être que cette accumulation de faits auxquels nous faisons référence est excessive. Et pourtant il nous a semblé très utile de les mentionner moins par désir de leur rappeler l'histoire de notre pays qu'ils connaissent mal généralement, que dans le but de les amener à réfléchir sur le passé. Un passé riche de leçons et dont les hommes ne savent pas toujours tirer les enseignements salutaires.

Pour comprendre l'histoire de Balaguier, il faut remonter jusqu'aux époques où des peuplades venues du nord, attirées sans doute par des cieux cléments et des conditions de vie confortables, vinrent se fixer jusqu'à notre littoral.

L'histoire de Balaguier est liée à celle de Toulon (Telo Martius) (1) qui naquit en face, à quelque trois kilomètres au pied de la chaîne du Faron et dont l'implantation ne fut assurée qu'après des siècles de luttes meurtrières et implacables.

(1) Telo viendrait de tol qui signifie terrain bas-pied de montagne. Au moment de la donation romaine, Telo devint Telo Martius parce qu'un temple au dieu Mars y fut édifié.

Les Ligures, les Celtes (Galli comme disaient les Romains) s'organisèrent, se livrèrent à l'élevage, à la culture, à la pêche. Il leur fallut débroussailler, déboiser les collines, assainir le bord de la mer. Mais voilà que l'Empire Romain s'étendit vers la Gaule et l'Ibérie. Les nouveaux conquérants furent quelque peu gênés par les anciens qu'ils bousculèrent (avec ménagement toutefois car ils avaient besoin de leur savoir-faire et de leur force de travail).

On creusa des carrières, on procéda à l'extraction de la pierre pour construire les grandes voies romaines qui permirent aux légions de s'enfoncer vers la Gaule et l'Espagne.

 

La piraterie

Hélas ! ces temps qui s'annonçaient prospères furent encore troublés par la venue de cruels envahisseurs, les Barbaresques (2). On dit aussi les Maures, les Sarrasins, hommes basanés, écumeurs de la terre et de la mer, armés jusqu'aux dents, qui débarquaient de leurs felouques rapides, égorgeaient, pillaient, brûlaient, emportaient en esclavage hommes, femmes, enfants. Leurs razzias dureront plusieurs siècles sur les bords de cette Méditerranée dont ils étaient les maîtres.

(2) Du grec signifiant « étranger ». Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on s'en méfie...

L'embryon de la cité toulonnaise, Telo ou Tolo, comme l'appelaient les Romains, fut voué à une disparition presque complète. Mais les habitants rescapés, retirés dans l'intérieur, revenaient parfois sur les lieux.

À la vie renaissante succédaient encore les invasions, les incendies, les ruines. D'autant qu'à un certain moment les attaques venaient à la fois par la mer et par la terre du côté du massif où les Maures s'étaient installés et qui porte toujours leur nom.

Cela dura jusqu'au jour où les indigènes décidèrent de se défendre. Ils se donnèrent une administration, des responsables et une milice armée. Ils édifièrent des fortifications faites, au début, de murs en pierres sèches. La ville, fermée après le couvre-feu, était jalousement gardée. Interdiction était faite aux gens d'en sortir pendant la nuit.

Les habitants de Six-Fours, retranchés sur leur oppidum, faisaient de même. Les uns et les autres réussirent ainsi à repousser les attaques des Barbaresques qui se firent de plus en plus rares. Dans cette période de notre histoire nationale, le Pouvoir Féodal ne s'exerçait pas encore avec beaucoup d'efficacité. En 975, le comte de Provence Guillaume Ier avait défait les Sarrasins, mais les malheurs frappèrent de nouveau Toulon avec le siège des Musulmans de 1178. La ville fut de nouveau rasée et ses principaux habitants emmenés en captivité.

La sécurité et la stabilité seront apparemment assurées à partir de 1348 où la ville sera érigée en commune par la Reine Jeanne.

Toulon était alors protégée de la mer par une muraille flanquée de tours dont la principale s'appelait lou Castéou de la mar. Louis XII avait compris la valeur stratégique du port. Il fit entreprendre d'importants travaux de défense que continuera François Ier, ce qui n'empêchera pas Charles-Quint de s'en emparer en 1524. Six ans plus tard les pirates sarrasins se manifesteront par une nouvelle incursion.

Enfin, il semble bien qu'avec le règne d'Henri IV qui fit entourer la ville d'une enceinte de pierres de taille, flanquée de bastions et de courtines, Toulon put prétendre se défendre victorieusement. Avec Louis XIII et Richelieu, il devint le premier port de la Méditerranée.

C'est là que commence l'histoire militaire de Balaguier. Nous sommes en 1634.

De la pointe qui s'avance vers l'Est, que l'on appelle parfois la presqu'île de Balaguier, que l'on appela aussi le Petit Gibraltar, on apercevait à l'opposé de la rade, le Grosse Tour de Toulon, dite aussi Tour Royale dont la construction avait été réalisée entre 1514 et 1524. Malgré son importance, elle n'avait pas suffi à interdire Toulon aux troupes de Charles-Quint. Le système de défense de la rade se devait d'être renforcé surtout du côté de la mer.

 

La défense s'organise

Cette défense devenait plus urgente encore depuis que, sous Henri IV, un premier arsenal avait été aménagé. Les grandes jetées n'existant pas encore au niveau de la presqu'île de Saint-Mandrier, l'accès de la rade par la haute mer était relativement aisé. Au mois d'août 1633, des émissaires de Richelieu vinrent inspecter le littoral attentivement : M. de Seguiraut, Premier Président du Parlement de Provence, siégeant à Aix, et le mathématicien Jacques de Muretz, professeur à Aix. Il ne put leur échapper que les pointes de Balaguier et de l'Éguillette toutes proches pourraient jouer un rôle important dans la défense de la rade et du port de Toulon. Le mathématicien ayant étudié attentivement les contours de la grande et de la petite rade, détermina l'emplacement du Fort de Balaguier en fonction de celui de la Tour Royale.

À vol d'oiseau la distance qui séparait la pointe de Balaguier de la Tour Royale était de 1288 toises (2,500 km environ), la pointe de l'Éguillette en était éloignée de 1030 toises seulement (2 km). La puissance et la portée des pièces d'artillerie s'étant quelque peu améliorées au XVIIe siècle, il sautait aux yeux des stratèges que les feux croisés pourraient plus rapidement mettre hors d'état de nuire les vaisseaux ou embarcations des envahisseurs. Des boulets chauffés au rouge auraient vite mis à mal les matures, les voilures, les bordages, et les incendies difficiles à combattre pourraient paralyser promptement les offensives d'un ennemi éventuel.

La délégation envoyée sur place par le ministère de Louis XIII retint donc le principe de l'aménagement d'un ouvrage militaire et il fut convenu qu'il porterait le nom de Fort de Balaguier. Un devis et des plans furent soumis à Richelieu puis au Roi lui-même qui approuva.

Dès le début de l'année 1634 les travaux commencèrent, la conjoncture internationale exigeant un renforcement accéléré de la défense du Port de Toulon. L'année suivante, les travaux en cours de finition furent jugés assez avancés pour que le fort reçoive un premier armement de deux pièces d'artillerie.

Deux ans plus tard, l'ouvrage terminé fut doté d'une artillerie beaucoup plus puissante.

 

Vauban

Ce fut surtout sous le règne de Louis XIV que les problèmes militaires allaient connaître une ampleur extraordinaire. Une longue suite de guerres rapportèrent beaucoup de gloire à la France, mais il était à prévoir qu'elle en serait un jour épuisée.

Aux côtés d'hommes prestigieux comme Turenne, Louvois, Catinat et bien d'autres apparut le grand ingénieur militaire Sébastien le Prestre, Marquis de Vauban, grand spécialiste des ouvrages de défense fortifiée.

À 17 ans, faisant ses premières armes pendant la Fronde, dans l'armée de Condé, Vauban s'était fait remarquer dans l'art des fortifications. En quelques années, il leur fit faire des progrès si étonnants, que son nom acquit une réputation immense.

Entre 1655 et 1658, le roi lui avait confié la responsabilité redoutable du siège d'un grand nombre de villes. L'histoire nous apprend qu'il en conduisit 53, qu'il construisit 33 places fortes et en répara plus de 300.

Dans ce nombre figurent les noms de Balaguier et de l'Éguillette. On disait partout en France : « Ville défendue par Vauban, ville imprenable, ville attaquée par Vauban, ville prise ».

Sa carrière fulgurante le fit désigner brigadier général des armées en 1674. Il devint le Maréchal de Vauban en 1703.

Mais revenons à notre terroir dont la défense s'organisa sérieusement vers 1660.

Notre communauté seynoise avait conquis son indépendance depuis 1657 et s'inquiétait des problèmes de sécurité. Leurs solutions étaient inséparables de celles des Toulonnais.

Le roi Louis XIV lui-même vint à Toulon et commanda d'importants travaux à son grand ingénieur militaire qui devait déclarer quelques années plus tard dans ses mémoires :

« La rade de Toulon est la plus belle et la plus excellente de l'aveu de toutes les nations ».

Vauban dressa les plans de l'Arsenal, dota la ville des fortifications connues de nos concitoyens et disparues depuis peu.

C'est à partir de là, que nos forces navales avec les Duquesne, les Tourville et bien d'autres, s'en allèrent sur les côtes italiennes et africaines faire respecter la France.

Mais ce ne fut qu'en 1680 que le grand Arsenal conçu par Vauban remplaça les premières installations établies depuis le règne d'Henri IV. À partir de cette époque, Balaguier et son complément l'Éguillette, vont être les témoins des siècles d'événements locaux de la plus haute importance, étroitement liés à notre histoire nationale. Les ordres étant donnés par Colbert, l'année 1682 vit le transfert partiel des galères de Marseille à Toulon. Les condamnés aux travaux forcés n'étaient pas renfermés alors dans des bagnes. Ils servaient comme rameurs. Par une ordonnance du 27 septembre 1748 les galères furent réunies à la Marine royale. Les bateaux à rames furent abandonnés et les galériens répartis, soit à terre dans des établissements spéciaux, soit sur des pontons.

Rappelons brièvement que les condamnés aux galères du Roi n'étaient pas toujours des criminels. À partir de 1685, date de la révocation de l'Édit de Nantes qui garantissait aux Protestants l'exercice de leur religion, les galères royales reçurent des milliers de persécutés, capturés alors qu'ils cherchaient le salut dans la fuite vers l'étranger.

Enchaînés à leur banc de rameur, ils subirent des traitements odieux de la part de capitaines qui se faisaient un devoir de brutalité. La Marine royale n'a pas toujours connu des heures de gloire. La consultation des documents conservés au musée de Balaguier et que nous évoquons à la fin de ce récit atteste l'existence de faits lamentables et honteux.

Les visiteurs du musée découvriront comment l'installation des galériens fut à l'origine du bagne de Toulon. Les forçats pendant plus d'un siècle seront utilisés à des tâches parfois surhumaines auxquelles un grand nombre d'entre eux ne purent résister. Aux travaux de grandes fatigues, comme on les appelait, des milliers de bagnards, mal nourris, vêtus sommairement, traités comme des bêtes, succomberont aux intempéries et aux épidémies.

Ce sont les forçats que l'on utilisait pour les travaux de curage des ports et des bassins, pour les transports de matériaux lourds (pierres de taille, mâtures...), pour l'inhumation des pestiférés, des lépreux et des cholériques. Tout cela dura plus d'un siècle. Vers 1852-1854, la législation supprima les bagnes en France et les transféra aux colonies : Algérie, Guyane, Nouvelle-Calédonie. Une autre histoire peu glorieuse à écrire.

 

La tour de Balaguier

Revenons à l'année 1679 où Toulon reçut la visite de Vauban. Tout le système de défense fit l'objet des soins attentifs du stratège. Du mémoire qu'il rédigea le 9 mars de cette même année nous extrayons le passage suivant relatif à la Tour dite de Balaguier :

« Cette tour est fort grande et bien terminée, sa batterie basse contre la mer fait plusieurs angles et contient 31 canons sur différentes faces qui, la plupart, croisent leurs feux avec ceux de la Grosse Tour.

Du côté de la terre, la tour de Balaguier n'est fermée que par un petit mur de deux pieds (0,65 m) d'épaisseur sur 10 (3,25 m) de hauteur, percé de créneaux à la hauteur d'homme. Cette clôture fait donc trois angles assez mal tournés.

Mon avis est de la renforcer du côté de la terre, bastionnée comme une petite corne, menant son revêtement à 15 pieds (4,90 m de haut) et la percer de créneaux ; mais si élevée que l'ennemi ne s'en puisse servir contre ceux de dedans comme il pourrait le faire contre ceux qui y sont à présent ».

Vue aérienne du site de Balaguier

Et Vauban poursuit : « La tour de Balaguier est située sur la pointe de ce nom qui termine le goulet de la petite rade et forme sa séparation avec la grande au pied du dernier éperon de la montagne du Caire que couvre le fort de ce nom.

Elle fait face à l'entrée de la grande rade ; sa figure est assez irrégulière, le donjon est vaste, le fort est bien revêtu et en bon état. Il se compose d'une tour circulaire de 19,50 m de diamètre ou de 61,25 m de circonférence. Son mur a quatre mètres d'épaisseur à la base et trois mètres jusqu'à la hauteur de 15 mètres, qui est la limite de la plate-forme supérieure voûtée à l'épreuve de la bombe et peut recevoir 8 pièces de canon, placées dans 8 embrasures qui occupent la muraille de 3 mètres d'épaisseur, ayant 5 mètres de hauteur.

Un chemin de ronde crénelé, comprenant 41 créneaux, termine la tour par un chemin de 2 m de hauteur, et 0,70 m d'épaisseur. Au pied de ladite tour se trouvent deux batteries basses, en ailes tracées fort irrégulièrement de façon à porter leurs feux dans différentes directions.

La gorge est fermée par un mur crénelé sans flanquement régulier. Ses établissements sont assez considérables, indépendamment de la tour qui en contient de beaux avec une citerne de vingt mille litres et autres accessoires.

L'enceinte du fort comprend la porte d'entrée, avec pont-levis, un corps de garde, 2 guérites en pierre, 1 four à rougir les boulets, en outre des logements, non voûtés, pour recevoir 65 hommes, 1 magasin à poudre voûté à l'épreuve de 126 m3 pouvant contenir 11 000 kg de poudre en barils de 50 kg.

Enfin, il existe un logement inférieur de la tour, de 190 m3 pour contenir des vivres en grandes provisions pour un long siège, le logement du capitaine canonnier, une caserne voûtée pour 44 canonniers, une infirmerie, un four pour 400 rations, une chapelle et l'escalier tournant pour descendre dans les parties basses ».

Voilà donc une description exacte de l'ouvrage, extraite du mémoire rédigé par Vauban en 1679 au cours de son passage à Toulon.

 

Précisons pour le lecteur ce qu'on entendait par grande rade ou rade extérieure. Elle était l'étendue de la haute mer comprise entre le cap de Carqueiranne jusqu'au Cap Cépet (ou Sépet) à l'extrémité de la presqu'île de Saint-Mandrier.

Vauban parle de la montagne du Caire, nom du propriétaire des terrains boisés occupés à l'époque par un fortin au début du XVIIIe siècle. La description que nous a faite Vauban du fort de Balaguier date de 1679. Mais la construction avait déjà reçu quelques améliorations par rapport à 1634, date de son édification.

Si, de nos jours la silhouette d'ensemble est demeurée à peu près la même, des transformations, internes surtout, se sont produites avec le temps et en fonction de l'utilisation de l'ouvrage.

Le fort de Balaguier, au début du XXe siècle

Revenons à notre point de départ.

Si les vieilles pierres pouvaient parler et restituer les images dont elles furent les témoins, quel magnifique spectacle nous serait offert !

Il serait bien long et bien curieux le film des événements écoulés dans la rade et ses environs immédiats.

 

Des expéditions punitives

Peu de temps après son édification, Balaguier vit sortir de la rade un beau matin l'escadre de d'Escoubleau de Sourdis qui s'en allait patrouiller en Méditerranée. Ce prélat, qui avait été Archevêque de Bordeaux, n'hésita pas à accomplir des fonctions peu compatibles avec sa dignité ecclésiastique. Il fut nommé directeur du matériel de l'armée et chef des conseils du roi en l'armée navale et devint lieutenant général des armées royales.

En 1636 avait éclaté la guerre avec l'Espagne. D'Escoubleau de Sourdis chassa les Espagnols des Îles de Lérins, (Sainte-Marguerite et Saint-Honorat) et poursuivit pendant plusieurs années les corsaires pirates en Méditerranée. Il eut sous ses ordres le fameux Duquesne qui se révéla comme l'un des plus grands capitaines au service du Roi.

Après le passage de Louis XIV et de Vauban à Toulon, le fort de Balaguier fut associé plus étroitement à l'organisation de la défense de la rade.

À partir de 1665, il fallut intensifier la lutte contre les barbaresques. De Toulon partit une expédition en 1669 pour secourir l'île de Candie tombée aux mains des Turcs.

Duquesne vint souvent à Toulon pendant les guerres de Louis XIV. L'activité maritime s'intensifia et de nouveau se posa la question du renforcement défensif de notre premier port militaire. Au début de l'année 1672, trente-huit ans après la construction du fort de Balaguier, le Roi ordonna au gouverneur de la Provence de faire construire un autre ouvrage sur la pointe dite de l'Éguillette en vue de renforcer l'interdiction d'entrée en petite rade de Toulon.

 

L'Éguillette

Les travaux durèrent 13 ans, jusqu'en 1685. Ils furent exécutés par un entrepreneur du nom de Chaussegros. Des mémoires de Vauban du 9 mars 1679, nous avons extrait le passage relatif au fort de l'Éguillette en cours de construction au moment de sa venue à Balaguier. « L'Éguillette est un petit fort commencé depuis peu de temps, de l'autre côté de la rade, vis-à-vis de la grosse tour (Tour Royale), carré avec deux ailes casematées, revêtues de pierre de taille, ailes qui s'avancent à droite et à gauche du côté de la terre pour servir de flanc et couvrir, en même temps une grande batterie qu'on a faite au pied, du côté de la mer qui, sans cela, serait vue des hauteurs, à la portée d'un jet de pierre.

Cette batterie n'est pas mal située et fait un bon effet sur l'entrée de la rade. La structure en est considérablement avancée. Mon avis est de l'achever totalement, sans rien changer et d'approfondir autant qu'on pourra, son fossé du côté de la terre ».

Le fort de l'Éguillette, vu de la mer

Il est probable que ses conseils furent suivis puisqu'un rapport du maréchal d'Aumale du 4 octobre 1775 nous apporte des précisions supplémentaires concernant le même fort de l'Éguillette. Il y est dit ceci :

« Le fort de l'Éguillette est composé d'une tour casematée à plusieurs étages, avec batterie basse. Il est d'une bonne défense... Ses établissements sont beaux et sûrs, contiennent des logements et magasins à poudre et à vivres, plus une grande citerne de 96 000 litres.

Le point fortifié le plus voisin est le fort Caire situé à 1 600 m environ de distance, en communication par un chemin carrossable. La tour de l'Éguillette a 8,50 m de hauteur, sa base carrée a 12 m de côté, la muraille 1 m d'épaisseur. Notons une porte d'entrée avec pont-levis, des corps de garde, 2 galeries crénelées, des locaux à l'épreuve de la bombe, un four à rougir les boulets et un four de boulanger pour 350 rations ».

La chapelle du fort de Balaguier sert pour la garnison de l'Éguillette, celles des redoutes Caire et de Grasse situées à une petite distance sur la même presqu'île de Balaguier.

À partir de 1672 le fort de l'Éguillette pourra témoigner lui aussi comme son frère aîné de nombreux départs à l'aventure, de préparatifs militaires à des expéditions lointaines, à des heures de gloire et aussi à des catastrophes.

Essayons de condenser le récit des faits les plus importants retenus par l'histoire locale, inséparables d'ailleurs des grandes secousses nationales.

Voir également la plaquette de M. Louis BAUDOIN : Notice historique sur les forts de l'Éguillette et de Balaguier (1972), 14 p.

 

Nouvelles expéditions : Duquesne

Le 17 septembre 1675, une flotte importante composée de 20 vaisseaux et 6 brûlots (3) quitta la rade en direction de Messine sous le commandement de Duquesne. Le grand Ruyter s'y trouvait, mandé par les Hollandais pour opérer sa jonction avec les Espagnols.

(3) Brûlot : petit navire de matières inflammables qu'on employait au XVIIe et XVIIIe siècle pour incendier les vaisseaux ennemis.

Duquesne se couvrit de gloire en battant la coalition ennemie. Dans les années 1682-1684, de nouveau, il repartit de Toulon pour Alger qu'il bombarda à plusieurs reprises afin de punir les barbaresques de leurs incursions sur les côtes françaises.

Duquesne délivra même des centaines de chrétiens que les pirates avaient emmenés en Afrique, à Alger en particulier, où était leur base principale.

Au mois de mai 1684, nouvelle expédition pour aller bombarder cette fois la ville de Gênes que Louis XIV voulait punir pour avoir préféré l'alliance du Roi d'Espagne à la sienne. Tourville fut associé à cette expédition.

Le bombardement de Gênes dura trois jours et causa des ravages considérables dans la population. On estime à 12 000 le nombre des projectiles qui frappèrent la ville et en incendièrent la majeure partie. On comprend mieux dans ces conditions la nécessité d'un arsenal puissant à Toulon et l'activité intense de la pyrotechnie.

Et les guerres de Louis XIV se poursuivaient. Mais, en ce début du XVIIIe siècle, c'est une période de revers qui s'ouvrait. La France ne brillait plus, ni sur terre, ni sur mer. Les soldats de la grande alliance (Angleterre - Provinces Unies - Savoie - Empire) passaient les frontières françaises.

 

Une défense héroïque

C'est là que se place un événement capital dans l'histoire de notre terroir. Pour la première fois, en 1707, les forts de Balaguier et de l'Éguillette allaient prendre part à des combats meurtriers pour défendre Toulon et La Seyne.

Après avoir franchi le Var, 40 000 soldats, Allemands, Autrichiens et Piémontais, sous les ordres du Duc de Savoie et du Prince Eugène, marchèrent sur Toulon. Ils étaient soutenus par la flotte anglo-hollandaise qui se fixera aux Îles d'Hyères.

Le Comte de Grignan, Gouverneur de Provence, prit de rapides décisions. Mobilisant la population civile, il renforça considérablement les fortifications et tous les ouvrages établis par Vauban et financés par Colbert.

La population de La Seyne apporta une contribution appréciable par de multiples travaux : confection de radeaux, de chalands, de gabions, de chevaux de frise,... Les femmes et les jeunes filles soignaient les blessés à l'Hôpital de Saint-Mandrier fondé sous Louis XIV et qui n'avait pas été occupé par l'ennemi.

Des compagnies de milice, dites de paroisse, existaient à l'époque, recrutées par engagements volontaires. Celles de La Seyne gagnèrent Toulon à marches forcées.

Les impériaux tentèrent d'investir la ville, mais la résistance des populations Seynoise et Toulonnaise et des troupes venues en renfort fut telle que le siège de Toulon fut levé au bout de quelques semaines. La ville, l'Arsenal, les fortifications avaient souffert. Il fallut courageusement remettre le tout en état.

Puis nos forts de Balaguier et de l'Éguillette virent pendant longtemps la sortie des corsaires de La Seyne et Toulon en direction de la Catalogne et des Baléares. Nous étions en 1714. Le règne du Roi Soleil touchait à sa fin. La France avait été ruinée par des guerres longues et meurtrières.

Sa marine affaiblie fut contrainte de ralentir ses activités. Signalons toutefois la présence de Duguay-Troin à Toulon en 1730. Il s'était particulièrement distingué pendant les guerres de Louis XIV et ses campagnes furent innombrables.

Le 3 juin 1731, il reçut du Ministre de la marine le commandement de 4 vaisseaux de guerre afin d'aller punir les corsaires barbaresques des dommages incessants qu'ils causaient à notre commerce. Le 1er novembre, Duguay-Troin rentra à Toulon ayant rempli sa mission avec toutes les satisfactions.

Bien plus tard, en 1744, nous sommes alors sous le règne de Louis XV, pendant la guerre de la succession d'Autriche, signalons le passage devant Balaguier d'une flotte espagnole bloquée depuis deux ans dans la rade et délivrée du blocus des navires anglais grâce à l'intervention de l'escadre française au cours d'une bataille navale dite de Toulon. On dit aussi Bataille navale du cap Sicié.

Dans cette période de l'histoire, on sait que les Anglais s'emparèrent des colonies françaises. En 1759, l'année où le Québec tomba dans leurs mains, signalons un combat dans la baie des Sablettes qui opposera deux frégates françaises et une flottille anglaise.

Quand, en 1778, les Américains engagèrent la lutte pour leur indépendance, la France désireuse de prendre sa revanche sur les Anglais vint à leurs secours.

 

L'indépendance Américaine

Des volontaires français avec le Marquis de La Fayette à leur tête, partirent soutenir les colonies anglaises en révolte. La rade de Toulon connut alors pendant plusieurs mois une activité intense. Sous la direction du Comte d'Estaing, une importante flotte composée d'une vingtaine de vaisseaux fut saluée à son départ de l'artillerie de Balaguier. Elle emmenait des milliers de combattants au secours des Américains en révolte contre leurs oppresseurs. Parmi eux, de nombreux Seynois et Toulonnais.

Les marins les plus illustres de cette période comme Suffren, de Grasse, La Motte-Picquet, participèrent à ces événements capitaux dont on sait les répercussions historiques.

En cette fin du XVIIIe siècle, Balaguier reçut la visite de l'Empereur d'Autriche Joseph II et du Comte de Provence, frère de Louis XVI. Ils visitèrent les environs, le fort Caire, le Lazaret, et les Sablettes au large desquelles ils assistèrent à des manoeuvres navales.

Nous entrons maintenant dans la période révolutionnaire qui devait secouer la France et notre région tout particulièrement. Les grandes journées historiques que vécut Paris : Serment du Jeu de Paume, prise de la Bastille, nuit du 4 août, déclaration des Droits de l'Homme, etc., eurent leur prolongement dans toutes les provinces. La France se donnait de nouvelles institutions : l'Assemblée constituante, l'Assemblée législative, la Convention, la Ière République... Le peuple français faisait sa grande expérience révolutionnaire mais aussi celle de la contre-révolution.

 

La trahison des Toulonnais - Bonaparte

En 1791, ceux qui à Toulon, craignaient la terreur n'hésitèrent pas à rechercher le secours de l'étranger pour sauver leur tête. On sait que ses négociations avec les émigrés de Coblenz, Louis XVI les paya fort cher : c'était le 21 janvier 1793 ! Au mois d'août de la même année, les contre-révolutionnaires toulonnais acceptèrent les propositions de l'Amiral anglais Hood, commandant l'escadre de la Méditerranée.

Toulon lui fut livré dans la perspective d'un retour à la royauté avec Louis XVI à sa tête.

La réaction des Conventionnels ne se fit pas attendre. L'armée républicaine, qu'on appelait aussi l'armée des Carmagnoles, vint assiéger Toulon, et c'est là qu'apparut un obscur capitaine d'artillerie de 24 ans qui devait bientôt se couvrir de gloire : Bonaparte. Appelé à remplacer un officier grièvement blessé, on lui confia le commandement de l'artillerie républicaine avec le grade de chef de bataillon provisoire. Au cours d'une inspection rapide du pourtour de la rade et de la presqu'île de Sicié, Bonaparte eut tôt fait, en fonction de la topographie des lieux, d'arrêter un plan de bataille qu'il fit admettre à ses supérieurs.

Montrant du doigt les pointes de Balaguier et de l'Éguillette il dit à Dugommier, général en chef : « Là est Toulon ! ». Effectivement, la prise du promontoire Caire où les Anglais avaient élevé la Redoute Mulgrave (4) depuis leur occupation, entraîna la chute des fortifications côtières et la défaite des Anglais.

(4) Lord Mulgrave (1746-1792) fut l'un des marins les plus illustres de l'Angleterre.

 

Reprise de Toulon

Nous n'entrerons pas dans le détail des combats décrits avec beaucoup de précisions par M. Baudoin dans L'histoire générale de La Seyne. De nombreux historiens ont consacré de longs développements à la reprise de Toulon par les Conventionnels. Leurs ouvrages se trouvent aisément dans les bibliothèques locales et régionales.

Après des préparatifs minutieux, Bonaparte installa les batteries dont les noms sont devenus familiers à nos concitoyens : batteries des Sans-culottes, des Quatre-Moulins, des Hommes Sans Peur, des Jacobins, des Chasse Coquins. Et, le 17 décembre, sous une pluie battante, l'assaut était donné au massif du Caire. Après plusieurs heures d'assauts acharnés et meurtriers, la redoute Mulgrave tombait et ses canons étaient retournés vers les forts de Balaguier et de l'Éguillette où les Anglais, s'étaient retranchés. Leur résistance fut de courte durée et à l'aube du l9 décembre, l'ennemi s'enfuyait vers les Iles d'Hyères.

Aux vaisseaux anglais et espagnols se joignirent malheureusement quelques français traîtres à la patrie.

Balaguier assistait triomphant à ce spectacle. Mais il vit aussi les lueurs lugubres des incendies allumés par les vaincus avant leur départ. L'Arsenal flambait, les forts de Lamalgue, Sainte-Catherine, Saint-Antoine explosaient les uns après les autres.

On voit bien qu'il n'était pas excessif d'écrire au début de ce récit : « Balaguier est un haut lieu de notre histoire locale ».

Une certaine tradition admet qu'à partir de son premier succès fulgurant, le chef de bataillon d'artillerie Bonaparte fut promu général de brigade, à titre provisoire toutefois.

Dans cette période, les avancements pouvaient être rapides. Victor Hugo, dans Les soldats de l'An II, ne parle-t-il pas de « généraux imberbes » ?

Apportons une précision sur son avancement accéléré. Il s'est avéré, les documents en font foi, qu'il figurait sur les cadres réguliers de l'armée avec le grade de chef de bataillon d'artillerie (on dirait aujourd'hui chef d'escadron).

Par sa nomination au grade de général de brigade, il franchit donc deux échelons intermédiaires : ceux de lieutenant-colonel et de colonel. La décision fut confirmée par le Comité de Salut Public ou siégeait Carnot, c'est-à-dire par le gouvernement dont son frère Lucien Bonaparte étant le représentant (député) chargé de suivre... le siège de Toulon.

Au lendemain de la reprise de Toulon, il fallut bien remettre en état nos fortifications qui avaient bien souffert de la guerre. Le chef du génie Meynadier écrivait dans un rapport au ministre : « La batterie retranchée située au pied de la tour de Balaguier est en bon état ainsi que la tour. On construit un four à rougir les boulets... Il est essentiel de continuer l'entretien du pied des deux batteries rasantes, par des contre jetées en grosses pierres » (extrait d'un rapport du 22 octobre 1795).

L'année suivante le Vice-Amiral Thevenard de Pierron, inspecteur général des fortifications, indiqua dans un mémoire que les défenses de la presqu'île de Balaguier étant devenues insuffisantes, il était nécessaire de construire un fort puissant sur le massif du Caire, là même où les Anglais avaient édifié ce qu'ils appelèrent la Redoute Mulgrave.

Ainsi naquit un premier fort qui devait être repris et complété par la suite avant de devenir le Fort Napoléon actuel. Cette construction dura plus de 10 ans.

Rappelons que sous la Révolution et le Premier Empire la défense de nos côtes seynoises avait été renforcée en prévision d'un débarquement toujours possible de nos adversaires.

Des batteries comme celles de Saint-Elme, Fabrégas, La Verne ont pris part aux combats de 1793. D'autres, comme celles de Marégau, du Bau rouge, du Jonquet entrèrent en service seulement au début du XIXe siècle.

 

Lointaines expéditions funestes

Il n'est pas possible de quitter le XVIIIe siècle sans dire quelques mots de l'énorme concentration de vaisseaux dans la rade de Toulon dont Balaguier et l'Éguillette furent témoins au mois de mai 1798. En vue de couper aux Anglais la route des Indes, Bonaparte mit sur pied une expédition composée de quinze vaisseaux de ligne, douze frégates, des corvettes et environ deux cents bâtiments d'escorte et de transport. Ce fut la campagne d'Égypte. Mais aux succès militaires du début, suivirent les revers et Bonaparte abandonna son armée l'année suivante pour rentrer à Toulon sur la frégate Muiron.

Quelques années après, ce fut le départ de l'escadre composée de 18 vaisseaux, commandée par l'Amiral Villeneuve, expédition qui devait se terminer par le désastre de Trafalgar où Nelson, commandant de la flotte anglaise, fut tué (5) tandis que Villeneuve fut fait prisonnier.

(5) On a prétendu que le matelot fusilier qui abattit l'amiral Nelson à Trafalgar le 21 octobre 1805 était Six-Fournais et se nommait Robert Guillemard. On sait cependant aujourd'hui que « Guillemard n'était qu'un personnage d'imagination, et ses prétendus mémoires, un roman historique » (les-memoires-de-robert-guillemard). Mais l'histoire était trop belle et encore de nos jours, on peut lire des articles et des livres qui citent Guillemard comme l'auteur du coup de feu mortel qui mit fin à la carrière de l'amiral Nelson. Un tronçon de la route du Brusc porte son nom, ainsi qu'une avenue de Toulon, le long de l'Arsenal, perpétuent ce nom de pure imagination, mais qui aurait sauvé un peu d'honneur national un certain 21 octobre 1805.

La tour de Balaguier, d'après une litho de Bourgeois, en 1818

Et puis l'Empire s'effondra lamentablement, la Royauté revint. La grande bourgeoisie des affaires n'en perdit pas pour autant la face. Elle poussa à une autre expédition d'envergure. On disait alors que les barbaresques venus d'Afrique du Nord devaient être punis de leurs incursions sur les côtes françaises. L'expédition d'Alger devait les dissuader à tout jamais de leurs redoutables entreprises. En fait, cette expédition punitive devait conduire à la conquête de l'Algérie entière, à la main mise des colons français sur les meilleures terres, à l'exploitation des richesses minières, etc.

Le 25 mai 1830, Balaguier et l'Éguillette assistèrent au départ d'une Armada encore jamais vue. Qu'on en juge par l'importance des chiffres :

103 vaisseaux de guerre dont 7 vapeurs, 347 transports affrétés, une flottille de débarquement composée de 150 tartanes, balancelles et autres bateaux à faible tirant d'eau, plus une soixantaine de navires divers.

Au total 676 navires, commandés par l'Amiral Duperré. Une foule en délire fourmillait sur les rivages, des milliers de drapeaux et d'oriflammes claquaient au vent. La rade retentissait des salves d'artillerie et les musiques déchaînaient l'enthousiasme chauvin par des marches militaires.

Peut-être cette expédition après tant d'autres inspira-t-elle Victor Hugo qui écrivit peu après Océano Nox.

« Oh ! combien de marins, combien de capitaines
« Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines
« Dans ce morne horizon se sont évanouis...

Signalons dans cette période un événement dont Balaguier fut encore le témoin et qui ne laissa pas indifférents les Seynois et les Toulonnais attachés au souvenir de Napoléon Ier :

Le 7 juillet 1840 une frégate armée de 60 canons commandée par le prince de Joinville, la Belle Poule, fut saluée à son départ pour Sainte-Hélène où elle s'en allait chercher les restes mortels de l'Empereur.

De nombreux Seynois se trouvaient à son bord.

Après le départ de l'expédition d'Alger, la puissance défensive des ouvrages militaires de la région seynoise devait être revue de près. Des études furent entreprises. Les rapports des responsables de la défense nationale indiquent que l'armement du fort de Balaguier, celui remontant à Richelieu, comportait : 4 pièces de 36 livres, 4 de 18 livres, 2 de 12 livres et deux mortiers de 12. Le fort Napoléon était armé de 6 canons de siège de 24,4 cm en bronze, de deux mortiers de 12 degrés et de 2 de 10 degrés. Tous ces ouvrages croisaient leurs feux avec la grosse tour du Mourillon, les batteries de Lamalgue, les batteries et forts de la presqu'île de Cépet.

D'après des notes militaires de 1844, il apparaît qu'en vue du renforcement des moyens défensifs de la presqu'île de Balaguier, la construction d'une petite tour en arrière du fort était nécessaire De cette tour complémentaire, les plans furent établis en 1849. Elle devait être armée de quatre puissants canons.

Les événements de 1848 causèrent du retard pour l'achat des terrains. Le projet ne put se réaliser en raison de l'évolution rapide des techniques. La balistique devait maintenant tenir compte des inventions nouvelles comme l'hélice et la vapeur, du mode de construction des bateaux : les métaux ayant pris l'avantage sur le bois, les blindages s'opposaient avec efficacité aux boulets traditionnels.

 

Balaguier sous le Second Empire

Après le coup d'État du 2 décembre 1851, Napoléon III prononça à Bordeaux un important discours qui fit date dans l'histoire de France. Désirant calmer les inquiétudes de tous ceux qui pensaient au Premier Empire, il déclara « L'Empire, c'est la paix ! » et ajouta « Malheur à celui qui le premier donnerait en Europe le signal d'une collision dont les conséquences seraient incalculables ! ».

Moins d'un an après, Balaguier vit passer devant ses créneaux le plus beau vaisseau de l'époque actionné à la fois par les voiles et la vapeur. Il s'appelait le Napoléon. Modèle d'architecture navale pour l'époque, ce navire construit par l'ingénieur Dupuy de Lôme était armé de 94 canons et 26 obusiers. Sa machine développait une force de 1300 cv. Avec son escorte de quatre grands vapeurs détachés de la flotte, il pénétra dans la rade accompagné d'une importante division navale qui s'était portée à sa rencontre. Des salves d'artillerie retentirent de tous les points fortifiés de la côte et la petite rade se couvrit de fumée. Cela se passait le 27 septembre. Ce voyage du prince Président durait depuis le mois de juillet au cours duquel il avait visité l'Alsace et la Lorraine, puis le Berry, le Nivernais, le Lyonnais, le Dauphiné, la Provence... Il avait un caractère publicitaire évident et permettait au dictateur de faire le point sur l'état des forces françaises et l'enthousiasme populaire dont il aurait besoin pour la satisfaction de ses ambitions démesurées. Le Napoléon amena donc l'Empereur sur les lieux mêmes où son oncle s'était couvert de gloire. Il avait tenu à reconnaître le théâtre des opérations de 1793, mais sa visite à La Seyne et à Balaguier fut mise à profit pour inspecter toutes les défenses militaires. Dès 1854, la France entrait en guerre contre la Russie. Ce fut la campagne de Crimée qui exigea de sérieux préparatifs. De Toulon partirent des convois importants et Balaguier fut encore une fois le témoin de cette nouvelle expédition qu'il salua au passage.

En 1859, autre intervention militaire en faveur de l'Italie que Napoléon III voulut aider à la réalisation de son unité. Il fallait pour cela secouer le joug autrichien. Ce fut encore de Toulon que partirent des troupes françaises vers le Piémont.

Les Français remportèrent des succès militaires à Magenta et à Solferino, mais à quel prix ! Des milliers d'entre eux ne revirent plus jamais la rade qu'ils avaient quittée en chantant La Marseillaise.

Et puis Balaguier vit se multiplier et se succéder les folles expéditions lointaines du Mexique, de la Chine, de la Nouvelle-Calédonie pour aboutir aux désastres de 1870 et à l'effondrement de l'Empire. La guerre ! La guerre ! Toujours la guerre !

L'Empire déchu, Balaguier aurait pu croire qu'une ère de paix allait s'ouvrir avec la République, mais les expéditions coloniales reprirent de plus belle, exigeant des préparatifs militaires intenses.

Certes, de beaux navires à vapeur, des paquebots transportant voyageurs et marchandises allaient et venaient sans cesse. Les lignes de navigation prospéraient et appelaient au renforcement de la flotte de guerre pour leur protection.

 

Construction des digues

Le ministère de la marine envisagea d'autres moyens de défense pour la rade de Toulon. Un décret d'utilité publique en date du 6 juin 1877 décida de la construction de trois digues en face du fort de Balaguier et orientées approximativement nord-sud. Le marché pour leur construction fut passé en 1879. Les travaux s'achevèrent en 1883.

Avec une telle protection, qui canalisait l'entrée des navires dans la rade, la valeur militaire des ouvrages de Balaguier et de l'Éguillette se trouva diminuée mais, par contre, les batteries de l'intérieur furent maintenues et même renforcées.

L'ensemble de ces ouvrages de protection, qu'on appelait aussi jetées, se répartit comme suit :

- Une digue principale, dite de la Grosse Tour, de 1504 mètres de long qui laisse un étroit passage dit : Passe du Temps de Paix pour les navires de faible tonnage : barques de pêche, embarcations de plaisance, etc.

- Deux autres digues, dites de Saint-Mandrier et de la Veille, beaucoup moins longues, partant de la côte nord de la presqu'île de Cépet. Ajoutons pour mémoire qu'à cette époque ladite presqu'île faisait partie de la commune de La Seyne.

Les blocs de béton qui s'élèvent à plusieurs mètres au-dessus du niveau de la mer, brisent la grosse houle et rendent plus agréable le séjour des navires ancrés dans la rade.

C'est un avantage appréciable qui s'ajoute au fait stratégique. Entre la jetée principale et celle de Saint-Mandrier la passe de 400 m permet un accès facile aux grandes et moyennes unités. Aux extrémités de ces ouvrages, on trouve naturellement des phares pour guider les bateaux la nuit.

 

Des activités pacifiques

En cette fin de XIXe siècle, en dépit de leurs caractères éminemment stratégiques, les rivages de Balaguier virent naître des activités pacifiques dont le point de départ fut le désenclavement du littoral occidental de la baie du Lazaret, oeuvre de Michel Pacha.

L'aménagement de la corniche reliant le quartier à la fois à La Seyne et aux Sablettes, la création des voies de communications maritimes, allaient permettre le développement d'une activité économique inconnue jusque-là.

En 1877, la société Malespine obtint une concession pour l'élevage de coquillages dans l'anse de Brégaillon. Déjà, la pollution occasionnée par l'apport des eaux usées de la Rivière Neuve, non loin de là, posa des problèmes sérieux à résoudre. C'est pourquoi on pensa à Balaguier dont les rivages étaient beaucoup plus sains. En 1892 avec M. René de Jouette, le démarrage de cette activité nouvelle fut décisif. Un radeau, véritable parc flottant, fut fixé à proximité du bord. Long de 30 mètres, large de 15 mètres, il était constitué de 128 compartiments : 64 pour les moules, 64 pour les huîtres. Cette expérience s'étant révélée positive, on sait l'importance que prit la mytiliculture par la suite, dans la baie du Lazaret.

Réserve et parcs à moules dans l'anse de Balaguier

De plus, la création de petits ports-abris au Manteau et aux Sablettes favorisa considérablement la pêche dans la Petite Mer dont la richesse en espèces comestibles était vraiment extraordinaire : poissons, moules rouges, praires, oursins, crustacés y étaient si abondants que de nombreuses familles assuraient leur existence avec un minimum de déplacements. Autre aspect économique non négligeable qui apparut dans cette période : le tourisme.

Ce ne furent plus seulement des soldats, des marins et des douaniers qui passaient devant la citadelle de Balaguier, mais de beaux attelages de calèches, de fiacres, promenant des voyageurs cossus à la recherche d'un bon restaurant. Précisément, entre le fort de Balaguier et celui de l'Éguillette, à égale distance de chacun, existait depuis la fin du XVIIIe siècle un établissement réputé pour la bonne chère. Il ne fut à ses débuts qu'une modeste guinguette portant l'enseigne Au Père Louis. Un siècle plus tard, il devint un grand restaurant dont la réputation s'étendait bien au-delà de la région toulonnaise. Dans le cadre magnifique des versants boisés du Fort Napoléon, face à la grande rade et à la presqu'île de Saint-Mandrier, sous un ciel digne de la Grèce antique, les gourmets venaient se régaler de bouillabaisses, de langoustes, de poulets à la broche, de civets, de salmis et autres mets des plus délicats. Sur les terrasses ouvertes sur la mer, dans les vastes salles, se déroulaient les banquets d'associations, les noces, les repas d'affaires à la grande satisfaction des convives.

Des personnages de haute lignée ont laissé trace écrite de leur passage sur le livre d'or conservé religieusement par la famille Estienne, dont plusieurs générations ont assuré la bonne marche de l'établissement. Les anciens locaux ont subi des transformations profondes, mais le restaurant continue la tradition.

Après avoir dépassé Le Père Louis en direction de Balaguier, on trouve trace de quelques vestiges d'une petite industrie de la construction navale qui s'appela Chantiers maritimes du Midi. On y construisit des navires de faible tonnage : des chalutiers, des yachts, des vedettes, des chalands et autres embarcations diverses. Pendant près d'un siècle, ces chantiers, dont l'effectif s'éleva jusqu'à une centaine d'ouvriers, furent pour la vie économique seynoise un apport appréciable.

Alors que les petits chantiers des XVIIIe et XIXe siècles implantés aux Esplageolles ou Place de la Lune disparurent au début de notre siècle, les Chantiers Maritimes du Midi continuèrent, jusque dans les années d'après la guerre, la vieille tradition de La Sagno.

 

Toujours la guerre en perspective

L'Empire déchu, la grande bourgeoisie des affaires s'accommoda fort bien du régime républicain. Les campagnes coloniales allaient s'intensifier pour tirer les meilleurs profits des richesses africaines et asiatiques.

Alors, pendant plus de trente ans, Balaguier fut le témoin d'une effervescence incessante sur les flots paisibles de la rade de Toulon. Aux accents patriotiques de la musique des équipages, les Marsouins chantaient, rêvaient aux amours d'une belle créole, aux décorations qu'ils pourraient arborer fièrement à leur retour. Hélas ! Combien de Zouaves, de Spahis, de Tirailleurs, de Matelots, de Légionnaires ne sont jamais revenus des rizières et des bourbiers du Tonkin ou des forêts impénétrables de l'Afrique Noire. ?

L'année 1893 fut particulièrement mémorable pour Balaguier et les habitants du terroir seynois. Une escadre russe sous la conduite de l'Amiral Avellan vint en visite officielle à Toulon, en vue d'affirmer l'alliance franco-russe, prélude à la guerre de 1914-1918.

Pendant leur séjour, les officiers et les équipages participèrent à de nombreuses réjouissances : réceptions, fêtes populaires, concerts, bals,... à Toulon, à La Seyne et dans les villages voisins.

Le 27 octobre, ils assistèrent au lancement du cuirassé Jauréguiberry aux chantiers de La Seyne en présence du Président de la République Sadi Carnot.

Cette même année 1893 vit la célébration du centenaire de la reprise de Toulon par les républicains. Des cérémonies se déroulèrent, des discours furent prononcés sur les lieux mêmes des combats. Toutes les batteries environnant l'ancien Fort Caire, et donc Balaguier et l'Éguillette, furent pavoisées à cette occasion.

Aux événements heureux succédèrent des catastrophes. Déjà en 1875, avec l'explosion du cuirassé Magenta dont on n'avait pas su déterminer précisément la cause, l'état-major de la marine manifestait une certaine inquiétude. En mars 1899 un autre souvenir douloureux allait s'inscrire dans notre histoire locale : un véritable cataclysme se produisit à Lagoubran par l'explosion d'une poudrière de la pyrotechnie : plus de 100 morts, des centaines de blessés, des milliers d'immeubles détruits. La population eut bien du mal à se remettre de ses émotions. Quelques années plus tard, ce fut le drame du Iéna en 1907, puis celui du cuirassé Liberté en 1911, qui firent plus de cinq cents morts, sans parler d'autres accidents de moindre importance sur des unités de la flotte au mouillage dans la rade.

À ces faits troublants, nous avons apporté des explications dans nos écrits (voir la tragédie du cuirassé Liberté). Puis Balaguier et l'Éguillette allaient connaître une fois encore la guerre, celle de 1914-1918 ; les allées et venues des navires de la flotte, escortés d'engins de mort nouveaux, les avions et les hydravions.

Ils verront s'élancer sur les flots bleus de superbes bateaux comme le Gallia construit dans nos chantiers et que les sous-marins allemands enverront par le fond avec sa cargaison de fantassins. Ils salueront le départ de belles unités comme le Gaulois, le Suffren, le Charlemagne, le Provence et bien d'autres, engagés dans la tragique expédition des Dardanelles. Pour la plupart, ils ne reviendront jamais.

Certains comme le Bouvet et L'Amiral Charner seront engloutis en quelques minutes avec la totalité de leurs équipages. Encore des morts par milliers, des disparus, des veuves et des orphelins à déplorer.

Enfin les hostilités cessèrent... apparemment. Le 11 novembre 1918 à 11 heures, les salves d'artillerie retentirent partout, tous les forts de la côte et dont Balaguier, toutes les unités de la flotte annoncèrent par des tirs puissants et prolongés la grande nouvelle de l'Armistice. La rade se couvrit de fumée. Des cris de joie se répercutèrent des navires sur les rivages. On se rassemblait, on chantait, on pleurait, on s'embrassait. Les débordements d'enthousiasme gagnèrent les villes, les villages, les campagnes... Ce sera bientôt le retour des militaires marins et soldats dans leurs foyers ! Du moins le croit-on ! Pauvre peuple ! Quand donc sauras-tu distinguer vraiment ceux qui savent si bien se jouer de ta crédulité ?

Des unités navales furent alors désignées pour intervenir en Mer Noire, contre la jeune république des Soviets naissante : les cuirassés France, Vergniaud, Jean Bart, Jules Ferry, des torpilleurs, des unités de débarquement mouillèrent devant Odessa, tandis que les familles attendaient vainement sur les rivages de Balaguier, et de la route des Mouissèques le retour des grandes fumées noires.

La démobilisation ? Ce sera pour plus tard.

Patience ! dit-on à la population. L'Allemagne vaincue écrasée doit être occupée militairement et surveillée jusqu'au paiement des dettes de la guerre. La Rhénanie fut occupée effectivement jusqu'à la signature des traités de paix.

La France et l'Angleterre se partagèrent une partie de la flotte de guerre. Balaguier vit alors entrer dans la rade de nouveaux navires d'un style différent, des croiseurs légers en provenance de Kiel qui portaient des noms de villes d'Alsace-Lorraine reconquises : Strasbourg, Thionville, Colmar.

Ce que les dirigeants des pays vainqueurs disaient moins, c'est que l'on s'apprêtait à accorder à l'Allemagne, une armée régulière de 100 000 hommes.

Les nouvelles en provenance de la Mer Noire étaient soigneusement filtrées. On sait que cette expédition se solda par un échec complet. Rappelons qu'elle fut décidée par le gouvernement Clemenceau en violation des principes du Droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. La révolte des marins, avec André Marty à leur tête, mit fin à cette lamentable aventure.

La défense des intérêts des colonialistes exigeait aussi une présence des militaires français en Syrie, au Maroc, en Kabylie, où les mouvements d'indépendance s'affirmaient de plus en plus. En somme, après la première guerre mondiale, et la signature des traités de Versailles, il apparaissait bien que rien n'était réglé sérieusement et que bientôt un autre cataclysme s'abattrait sur les peuples.

 

L'histoire guerrière de Balaguier se poursuit

L'éclosion du fascisme, du nazisme, du franquisme précipita les événements. Septembre 1939, la deuxième guerre mondiale fut déclenchée. On connaît bien la suite : la Drôle de Guerre, les complicités évidentes de la grande bourgeoisie française : « Plutôt Hitler que le Front Populaire ». La capitulation. L'occupation ennemie. Le gouvernement de Vichy. La grande trahison des trusts... La tentative des divisions allemandes pour s'emparer de la flotte française. Et ce fut en ce jour lugubre du 27 novembre 1942, que Balaguier et l'Éguillette connurent la plus grande catastrophe de la marine française : le sabordage de la flotte.

À cette date historique, tristement mémorable nous avons consacré quelques pages dans un autre ouvrage, au chapitre intitulé : Des années dramatiques - Des évènements inoubliables (6).

(6) Voir Images de la Vie Seynoise d'Antan, tome 2 (Marius Autran, G.R.A.I.C.H.S., 1988).

Nous n'y reviendrons pas longuement. Disons simplement qu'au lendemain de cette journée de deuil national, Toulon et La Seyne n'étaient plus qu'un camp nazi grondant de moteurs de tanks, d'avions, de camions, de motos.

Pour la première fois depuis la Révolution française, la ville était occupée par une armée étrangère.

Balaguier allait subir la même humiliation qu'en 1793 alors que des Français venaient de livrer Toulon aux Anglais.

Cependant, l'année suivante, surtout après la capitulation allemande de Stalingrad, l'espoir changea de camp. Mais avant la délivrance, d'autres épreuves terribles devaient frapper les populations de notre terroir ce furent les bombardements de novembre 1943, de mars 1944 et surtout celui du 29 avril de cette même année qui frappèrent cruellement notre ville de La Seyne.

Le salut arriva du côté de l'Est. L'armée du général de Lattre de Tassigny fit son entrée à Toulon le 18 août au matin. Après une semaine de durs combats, les principaux forts de la région furent réduits au silence. Il y eut de nombreuses redditions.

Le 26 août, la libération de notre littoral était totale, mais l'un des derniers îlots de résistance aura été le Fort Napoléon où l'ennemi s'était fortement retranché.

Une compagnie de tirailleurs sénégalais fit son entrée à La Seyne à 17 h. Une reconnaissance vers la baie du Lazaret fut aussitôt organisée en passant par la route de Balaguier devenue aujourd'hui avenue Esprit Armando vers la ville, avenue de la Corse Résistante à l'opposé. Parvenue au bord de la mer, à la rencontre de la corniche près du Père Louis, la Jeep du lieutenant Maurier encadrée de chars légers prit position.

Rien ne se manifesta du côté de l'Éguillette. Du côté de Balaguier un sous-officier choisi parmi les 19 Allemands capturés à La Seyne par les F.F.I. fut envoyé en vue de parlementer avec la garnison. A-t-il tenté de le faire ? On ne sait trop.

Mais, tout à coup, des coups de feu partirent du fort.

Alors la réplique fut foudroyante : un obusier, les premiers chars, la Jeep, tout le monde concentra les feux sur la citadelle et ses abords.

Une brèche énorme fut faite dans le mur d'enceinte. Le feldwebel (adjudant) commandant la garnison n'insista pas. Il savait que la situation de l'armée allemande (ou plutôt ce qu'il en restait) était désespérée. Il fit hisser le drapeau blanc. Les blindés français se dirigèrent vers le fort pour empêcher la garnison de faire sauter les munitions. Une trentaine de soldats et de matelots se rendirent, offrant immédiatement aux libérateurs un stock de vivres appréciable.

Le sous-officier chargé de parlementer s'était égaré vers le fort Napoléon et fit savoir que ses occupants étaient disposés à se rendre, mais seulement à des troupes régulières.

À 23 heures, une compagnie de Sénégalais qui avançait vers Tamaris obtint la reddition. Au préalable, les Allemands avaient sabordé leurs canons et détruit leur stock de munitions.

Ainsi s'acheva la libération de Balaguier et du littoral seynois. Les vainqueurs se regroupèrent dès le lendemain pour foncer sur Sanary, Bandol, Marseille et chasser l'ennemi de toute la Provence en remontant vers le Nord.

Les bruits de la canonnade s'éloignaient. Les quelques habitants du quartier qui avaient refusé de s'expatrier se reprenaient à vivre et à espérer en des jours meilleurs. Ils eurent leur part des stocks de vivres abandonnés par les Allemands. Quelle aubaine de retrouver le goût des conserves de viande et même des légumes secs dont on était privé depuis des années !

Certes, la guerre n'était pas terminée, mais on pouvait bien admettre que la bête immonde du nazisme écrasée définitivement, les nations civilisées imposeraient la paix au monde entier.

 

Nouvelles expéditions meurtrières

Hélas ! La victoire du 8 mai 1945 acquise, de nouveaux foyers de guerre s'allumaient dans le monde : l'Indochine, la Corée, l'Algérie... Plus tard, ce fut la scandaleuse aventure de Suez.

Et Balaguier voyait encore défiler les unités de la marine nationale ou plutôt ce qu'il en restait. Il fallait, parait-il affirmer l'autorité de la France dans les pays dits coloniaux. Notre pays, sorti de la deuxième guerre mondiale, épuisé, exsangue, se lançait dans des expéditions ruineuses, meurtrières et inutiles, car on lutte toujours en vain contre des peuples qui défendent âprement leur indépendance.

Les années passèrent et nos vieux témoins de pierres virent les mêmes navires retourner au port vers les années 1960-1965 avec à leur bord des généraux battus, hargneux, jurant d'étrangler la République qui ne leur avait pas donné, estimaient-ils, tous les moyens de vaincre.

Depuis cette cascade d'événements mémorables et bien douloureux, que peut-on dire encore sur Balaguier et l'Éguillette ?

Leur rôle militaire et stratégique est terminé depuis plus d'un siècle. On sait que de nos jours, un seul obus de cuirassé, une seule bombe aérienne les réduirait à néant. Comme on dit : « ils ont fait leur temps ! ».

Ils ont tout de même droit au respect des habitants du terroir, au respect que l'on doit aux antiques pierres. Les vieilles pièces d'artillerie qui les rendaient autrefois redoutables sont devenues des curiosités de musées. Déjà, une loi de 1877 avait déclassé les batteries devenues sans objet.

Aussi, pendant plusieurs années après leur désaffectation, les locaux furent encore utilisés comme casernement pour l'infanterie de marine. En 1916, des prisonniers allemands y furent logés alors qu'on les utilisait pour la réparation navale dans nos chantiers. L'administration du domaine maritime qui avait la charge de ces bâtiments s'efforça d'en prolonger l'usage en en tirant si possible un certain intérêt. C'est ainsi qu'en 1923 le fort de Balaguier fut loué à un particulier qui sut agrémenter l'ensemble de la construction par des jarres provençales et des plantations de végétaux exotiques.

 

Des visiteurs insolites

Revenons quelques instants au début du siècle pour évoquer la période du colonialisme le plus florissant où Balaguier aurait reçu des visiteurs inaccoutumés.

Au cours de leurs longs voyages en Chine, nombreux furent les officiers de marine qui prirent goût à l'opium. On sait que la drogue était alors autorisée sous le règne des Mandarins et que ces despotes recherchaient l'abrutissement des populations afin de mieux les subjuguer. De plus, la culture du pavot, d'où l'opium était extrait, procurait aux féodaux des ressources importantes.

Le développement des relations entre l'Europe et l'Asie facilita la propagation des fumeries d'opium en France et surtout dans les ports.

La drogue était déjà chère et ne pouvait être à la portée que des gens fortunés.

À Toulon même, ce fut une mode qui courut pendant plusieurs années. Ce n'était un secret pour personne que l'on comptait plusieurs fumeries dans certaines rues de la ville et l'on savait que des officiers de marine, soit par vice, soit aussi par snobisme, s'associaient pour créer ces lieux de débauche.

Pour imiter les Chinois, les corps étaient allongés sur des nattes. On roulait la pâte au bout des doigts, on la piquait par une longue aiguille pour la faire grésiller puis, la pipe bourrée c'était « l'aspiration des profondes goulées, puis la béatitude, les longues rêveries qui détachaient les êtres de leurs contingences terrestres ».

Ces fumeries n'étaient pas fréquentées seulement par des hommes. Il y avait aussi des fumeuses du genre décrit par Claude Farrère, sous le non de Petites Alliées.

Nous parlons de Toulon, mais il fut question aussi de Balaguier. Nos anciens nous disaient que pendant une certaine période, limitée toutefois, les amateurs de drogue se rencontraient sur la plate-forme supérieure de la tour. Pourquoi là-haut ? Parce que la disposition circulaire des niches maçonnées profondes où s'abritaient les guetteurs et les tireurs d'autrefois permettait de recevoir plusieurs couples. Ces réduits soigneusement obturés par des portes de bois, éclairés seulement par les meurtrières étaient certainement équipés pour les réceptions nocturnes.

Plate-forme supérieure de la tour

Balaguier ne recevait pas seulement des fumeurs d'opium, on parlait aussi dans le quartier de jeunes filles appétissantes qui estimaient sans doute avec leurs galants que la drogue n'était pas incompatible avec un certain érotisme.

Il était bien évident que ceux et celles qui s'enfermaient dans les boxes aménagés en fumeries ne venaient pas y broyer leur chagrin. Des épanchements délicieux et prolongés leur procuraient sans doute du bon temps agrémenté de surcroît par la bonne chère du Père Louis, non loin de la tour, qui s'enveloppa de mystères pendant quelques années.

Et les habitants du quartier de Tamaris, de Manteau, de Balaguier, de Pin de Grune étaient à l'affût de ces personnages suspectés de débauche.

- Oui, disait l'un, je les ai vus arriver en calèche par la route des Mouissèques.

- Un autre répliquait : C'est par le débarcadère de Manteau et en pleine nuit qu'ils débarquent.

Les papotages allaient bon train et quand les langues se délient dans une surexcitation mutuelle, les accusations peuvent aller très loin.

Un troisième intervenait pour dire qu'il tenait ses renseignements de bonne source.

- Le Ministre de la Marine vient lui aussi se régaler !
- Ah ! ça par exemple !
- Mais enfin, il y a bien des complicités au plus haut niveau !
- Sans aucun doute ! Vous avouerez qu'on fait jouer au fort de Balaguier un triste rôle. Ses pierres chargées de gloire doivent bien souffrir de ces spectacles de dépravation !

Et à la faveur de ces conversations, on en profitait pour dauber sur Michel Pacha, ce milliardaire, qui avait accumulé une fortune fabuleuse en exploitant des milliers d'esclaves orientaux. Les plus vieux seynois du quartier n'étaient pas ravis de l'urbanisation de ce coin, le plus beau du terroir :

- On nous parle toujours du commerce et du tourisme !
- Qu'est-ce que ça nous rapporte les villas et les hôtels ?
- Ça nous rapporte que la vie devient plus chère pour les gens d'ici.
- C'était pas mieux avant ? Quand les collines de Tamaris appartenaient à M. Caire et à M. Mile. Elles étaient boisées et giboyeuses. On en tuait, des grives, des pigeons et des bécasses ! Ils nous disaient rien les propriétaires. Même qu'on pouvait mettre des pièges ! Nous avons perdu notre liberté depuis que ce richard s'est installé dans le quartier !

Il est vrai que l'oeuvre de Michel Pacha ne faisait pas l'unanimité. Mais revenons à Balaguier dont on parlait toujours pour les raisons que nous évoquions plus haut. Par contre, on ne s'intéressait guère à l'Éguillette qui, après sa désaffectation, servait de loin en loin de casernement ou de dépôt de matériel.

Aujourd'hui cet ouvrage presque abandonné présente tout de même un intérêt historique et nous espérons que l'administration maritime pourra, par un minimum d'entretien, le préserver des injures du temps et assurer sa longévité.

À leur passage, les promeneurs et les touristes manifesteront un intérêt momentané pour sa tour carrée, ses murs vénérables, mais c'est surtout vers Balaguier qu'ils porteront leurs pas..., Balaguier pour qui une ère nouvelle s'est ouverte.

 

Balaguier devient Musée Naval

Il en était question depuis longtemps. On en parlait souvent au Conseil municipal ainsi qu'aux Amis de la Seyne ancienne et moderne association présidée alors par Alex Peiré. Dans cette période Louis Baudoin avait rédigé une notice historique sur les forts de l'Éguillette et de Balaguier.

La municipalité prit contact une première fois avec Monsieur le Préfet maritime en 1965 pour obtenir l'autorisation de disposer du fort de Balaguier suivant des modalités à définir, en vue de l'utiliser comme musée municipal.

L'année suivante, la procédure se précisa. Une délibération fut prise le 25 avril approuvée aussitôt par la sous-préfecture. La direction départementale des Domaines accepta le principe d'une location à compter du 1er janvier 1967, moyennant un loyer annuel de 500 francs. Mais il fallut les interventions réitérées de MM. Peiré et Vieillefosse pour obtenir l'approbation définitive qui n'intervint que le 1er septembre 1970. Des aménagements intérieurs étaient nécessaires pour l'installation des collections et pièces de musée et il fallut attendre plusieurs mois l'autorisation de la Direction des Musées de la Marine.

Primitivement, la salle haute devait recevoir le musée naval, la salle basse un musée du bagne, alors que la chapelle était prévue pour un musée local. Cette répartition, on le verra plus loin sera quelque peu modifiée.

Avant de pénétrer à l'intérieur, le visiteur, qu'il vienne du côté de l'Éguillette ou du côté de Tamaris, portera un intérêt certain aux abords de l'ouvrage. Placé face à l'entrée principale, il observera tout d'abord le mur d'enceinte dont les angles et la hauteur n'ont pas beaucoup varié depuis la description qu'en avait faite Vauban en 1679, le donjon majestueux est toujours là, protégeant du côté de la mer la chapelle construite en 1672 en même temps que le fort de l'Éguillette où l'officiant pouvait recevoir tous les militaires répartis sur le Petit Gibraltar. Il faut entendre par là, la presqu'île de Balaguier où existèrent des ouvrages fortifiés autres que le fort Caire et la citadelle. Par exemple, les batteries Saint-Philippe et Saint-Louis face à Toulon, la batterie Saint-Charles au-dessus de Manteau.

Fort de Balaguier, vu de la mer

Sous le Second Empire, le mur d'enceinte de Balaguier a été agrémenté : les meurtrières cerclées de briques rouges sont aujourd'hui d'un bel effet, qui révèle davantage un souci décoratif que celui d'une grande résistance à la mitraille.

Le pont-levis a disparu, le fossé qui bordait les fortifications du côté de la terre et alimenté par l'eau de mer, transformant ainsi Balaguier en îlot, a été comblé par un simple ruisseau d'écoulement bordé par une longue chaîne métallique olivâtre très décorative.

Depuis le XVIIIe siècle le pont-levis, pas plus que le fossé d'enceinte, n'avaient leur raison d'être.

Si notre visiteur est venu en auto, il aura pu garer sa voiture sur le parking aménagé devant l'entrée, agrémenté de superbes corbeilles fleuries dont la forme épouse le contour semi-circulaire de la route. Sa curiosité sera déjà attirée vivement par la présence d'objets choisis pour un musée naval : ancres marines de dimensions respectables et de style vétuste, bombardes aux parois épaisses, d'un poids de 3 tonnes, retrouvées dans la vase de la rade de Toulon, que l'armée d'intervention en Crimée avait utilisées en 1856, à la bataille de Sébastopol.

À sa gauche, sur un terre-plein qui jouxte le fort, ont été disposées d'anciennes baleinières armées de leurs avirons, que le gestionnaire du musée s'efforce d'entretenir et de conserver avec des vernis spéciaux. Autres curiosités : de jolies pierres taillées retirées des décombres de l'école Martini au moment de sa destruction sont posées de-ci, de-là, tout au bord de la mer. Une machine à vapeur de la fin du siècle dernier donne l'occasion à des papas d'expliquer à leurs enfants comment un arbre d'hélice était actionné par des bielles et des pistons. En somme, des objets vénérables qui rappellent à nos concitoyens et aux autres le passé et les activités de nos anciens.

S'il porte ses pas vers la droite, le visiteur remarquera une masse de béton longue, semblable à un menhir, plantée verticalement, faite d'un poudingue de cailloux et de petits galets arrondis. Ce monument provient de Lagoubran. Il s'agit d'un terme (du latin terminus extrémité), qui marquait le point de rencontre des communes de Toulon et d'Ollioules. La face orientée vers la route porte une trace visible en fonction des jeux d'ombre et de lumière, des armoiries de Toulon et une fleur de lys. Cette pièce d'histoire date du XIIIe siècle : 1242 exactement.

Indiquons au passage que ce terme, enseveli profondément dans les terrains marécageux de Lagoubran, marquait également l'accès de la commune d'Ollioules au bord de mer à quelques mètres de l'entrée actuelle de la Pyrotechnie.

Nombre de nos concitoyens ne savent pas, pas plus que leurs voisins limitrophes, que ces droits d'accès n'ont jamais été aliénés. Un peu plus loin, en contournant le fort par la droite, on découvre un bord de mer rocailleux qui fut longtemps utilisé comme cale de halage, et de chantier de démolition.

Un ponton sommaire permettait l'accostage à des bateaux de faible tonnage.

Fort heureusement, après de longues démarches entreprises par l'ancienne Municipalité et les défenseurs de l'environnement, ce coin du rivage a été assaini, nivelé et une esplanade bordée de corbeilles fleuries portant le nom de Sebille, peintre célèbre de la marine, accueille chaleureusement le promeneur.

Revenons vers l'entrée face à la porte cochère dont l'arc de plein cintre fait de pierres blanches s'harmonise avec les meurtrières cerclées de briques rouges. La clé de voûte porte la date de l'achèvement du fort : 1636.

 

La corniche Bonaparte

Le 3 octobre 1970, à cet endroit même, fut inaugurée la corniche Bonaparte. À cette occasion, une plaque de marbre fut apposée sur le mur d'enceinte à gauche de la porte d'entrée.

On peut y lire gravée, l'inscription suivante :

« Sur ce rivage, en décembre 1793, vinrent aboutir victorieusement les opérations de guerre entreprises par l'armée de la Convention pour la libération de Toulon, le fort du petit Gibraltar ayant succombé sous le feu des batteries françaises et les assauts de l'infanterie, armée conduite par Dugommier et le commandant d'artillerie Napoléon Bonaparte ».

Cette inauguration eut lieu en présence de M. le sous-préfet du Var, de Mme Sangle Ferrière, présidente du Souvenir Napoléonien. M. Giovannini, Maire de La Seyne, rendit hommage dans son discours à l'action militaire patriotique de Bonaparte, alors sous les ordres du gouvernement de la convention. Il s'agissait pour lui et pour le Général Dugommier, de chasser les contre-révolutionnaires, les Royalistes traîtres à leur Patrie, et les Anglais auxquels Toulon avait été livré. Retraçant cette épopée, le Maire devait déclarer :

« L'armée de la Révolution a vaincu malgré sa faiblesse numérique, parce qu'elle se battait pour une cause juste et aussi parce que, au commandement d'un secteur décisif, se trouvait un jeune officier de 24 ans dont le Général Duteich devait dire que sa science égalait son intelligence et qu'il avait même plus de caractère qu'il n'en fallait... ».

Le préfet du Var était représenté par M. Faugères qui devait dans son discours souligner l'ascension étonnamment fulgurante de Bonaparte.

Les discours terminés, la plaque découverte, une formation importante de la musique des Équipages de la flotte interpréta la Marche consulaire de Marengo que l'empereur affectionnait particulièrement.

 

Suivons le Guide

Et maintenant, pénétrons à l'intérieur de l'ouvrage qui accuse trois siècles et demi d'existence. Le plan ci-joint, établi à l'origine, fait apparaître des éléments de construction disparus aujourd'hui. À travers les siècles, en fonction de stratégies nouvelles, des transformations ont été opérées. Les expressions : batteries basses, magasins à poudre, pont-levis... n'ont plus leur justification, mais la silhouette d'ensemble des limites fortifiées extérieures du donjon, du chemin de ronde est restée fidèle à celle du XVIIe siècle.

Les visiteurs accèdent à l'intérieur du fort par une petite porte donnant sur un couloir étroit, acquittent le prix de la visite et s'engagent sur l'itinéraire fléché. Les groupes touristiques importants sont renseignés par le gardien M. Lebon pour qui l'histoire de Balaguier n'a aucun secret. Depuis qu'il exerce ses fonctions, il a contribué par ses démarches à tous les niveaux et surtout en collaboration avec la municipalité créatrice du musée, à enrichir les collections, à embellir le site.

Laissons à droite du couloir la chapelle qui porte à son fronton la date de 1672, année de sa construction. Elle abrite depuis 1976 une multitude d'objets et de documents relatifs au bagne de Toulon. Nous y reviendrons sur la fin de notre parcours.

Le couloir d'entrée s'ouvre vers un magnifique jardin entretenu avec goût, agrémenté par une grande volière dissimulée sous des feuillages denses de plantes grimpantes d'où s'échappent les gazouillis et les ramages des canaris, des bengalis multicolores auxquels se mêlent les bavardages des perruches, les sifflements des grives tandis qu'au sol des cailles de Chine carcaillent et des canards nains nasillent. Quel vacarme agréable !

Au-dessus de cette cacophonie apparente et profitant d'une accalmie momentanée, d'autres chants s'élèvent : un rossignol du Japon lance ses roulades pures et flexibles accompagnées de la flûte douce d'un merle des Indes.

Ces chants d'oiseaux attirent toujours dans les environs immédiats les passereaux libres : moineaux, pinsons, verdons qui semblent vouloir s'apitoyer sur le sort de leurs frères emprisonnés. Ah ! s'ils pouvaient ouvrir la cage aux oiseaux.

Ce sont alors d'autres appels, d'autres concerts symphoniques que les visiteurs du musée ne se lassent pas d'entendre. Aux chants permanents des syrinx intarissables de la volière, répondent en contre-chants les roucoulements des tourterelles qui ont élu domicile par centaines dans les pins du talus fortifié.

Au cours de leurs promenades, les visiteurs ont intérêt à surveiller les ébats de ces oiseaux paisibles qui se traduisent fréquemment par des jets malodorants et visqueux sur leur costume ou leur chapeau. Ces désagréments sont généralement compensés par une hilarité générale.

Reprenons notre itinéraire fléché, laissons à gauche un important bas-relief en forme de médaillon représentant George Sand, ouvrage qui en 1973 fut sauvé de la destruction de la villa qu'elle occupa à La Seyne, dépassons le mur oriental de la chapelle et nous atteignons le chemin de ronde qui donne accès à la citadelle. Il part vers le Sud, puis revient vers l'Est parallèlement au littoral et permet au visiteur de découvrir la richesse de la végétation provençale et méditerranéenne Sous les grands pins d'Alep se mêlent les espèces les plus diverses : les genêts, les mimosas, les romarins, les lauriers sauce, les lentisques, les acacias, les cyprès. Au pied du mamelon fortifié, plus humide, ont poussé aussi des figuiers, des néfliers. À la belle saison, les arômes les plus subtils se dégagent de cette puissante végétation. Au concert harmonieux des oiseaux s'ajoute le bourdonnement des butineuses qui découvrent des trésors.

Le talus face au levant est habité par les agaves glauques dont les feuilles charnues se terminent par des piquants redoutables. Parvenu au sommet du chemin de ronde, nous découvrons les splendeurs de la rade, de la presqu'île de Saint-Mandrier, de la baie du Lazaret, des côtes toulonnaises et dans le lointain, au-delà des jetées, la silhouette de la presqu'île de Giens et des îles d'Hyères.

Et de ce lieu de détente, le promeneur ne se lasse pas d'admirer des paysages inoubliables, éblouissants de couleur, de lumière et de vie. Disons même qu'il y a beaucoup trop de choses à contempler pour un faible regard d'homme.

Quel artiste, quel peintre n'aura pas le désir de fixer sur la pellicule ou sur la toile la silhouette de cet ouvrage majestueux qu'est la citadelle de Balaguier ?

Le chemin de ronde se termine par une passerelle qui donne accès à l'intérieur de l'ouvrage, à la salle haute, à la salle basse où sont exposées des oeuvres d'art en tout genre, dont on ne peut donner ici qu'un aperçu.

 

Des riches collections

Il s'agit avant tout de maquettes, d'objets, de dessins, d'armes, de photos, de tableaux, en rapport avec les activités maritimes de notre région.

Les plus belles pièces sont exposées sous vitrines comme les maquettes de paquebots, de navires de guerre confectionnés par des ouvriers d'art de chez nous, véritables chefs d'oeuvre d'une valeur inestimable. Citons au hasard de la plume : le cuirassé Provence, la frégate lance-missiles Duquesne, le Napoléon et l'El-Mansour, navires construits aux chantiers de La Seyne, des torpilleurs de type ancien datant de la guerre 1914-1918 comme le Kabyle, des vaisseaux plus anciens encore comme le Golfe-Juan construit en 1878, des bricks, la frégate la Belle Poule qui ramena en France les cendres de Napoléon Ier, des bricks de guerre, des caravelles. Les sampans de Malaisie, les pirogues du Cambodge rappellent l'époque des conquêtes coloniales..., comme les tableaux des paysages lointains ramenés par des marins depuis l'Indochine, la Guyane, l'Afrique Noire, la Guadeloupe, la Martinique...

Et puis, ce sont les armes utilisées par les équipages d'antan : pistolets et sabres d'abordage, espingoles... Des pièces rares attirent longuement le regard des visiteurs : les masques mortuaires du commandant l'Herminier et de Napoléon Ier. Ce dernier remis à la municipalité présidée alors par M. Giovannini, il y a quelques années, est même une pièce rarissime. Trois autres exemplaires d'origine se trouvent à Londres, à Paris et à Ajaccio. Avant de quitter la salle principale, les visiteurs s'attarderont quelques instants à admirer un superbe lampadaire qui domine l'ensemble et confectionné par des pistolets d'abordage disposés en couronne, l'extrémité de leur canon convergeant vers le centre.

Un escalier de pierres nous conduit à l'étage inférieur et là, d'autres objets de curiosité nous attendent : des pièces de canons, des armes légères et surtout les collections d'animaux marins naturalisés et dans un parfait état de conservation, des crustacés de toutes sortes, des coquilles de mollusques bariolées, des coraux, etc.

De la salle haute où l'on remonte un autre escalier, très étroit celui-là, permet l'accès à la plate-forme supérieure entourée d'un mur d'enceinte parfaitement circulaire, percé de meurtrières d'où l'on imagine tout ce qui a pu se passer aux heures dramatiques des combats.

La descente par le même escalier en colimaçon, modèle d'architecture, d'ailleurs, nous amène vers la sortie qui se fait au nord face à Toulon. Et là, les visiteurs poursuivent leurs découvertes avec en toile de fond la chaîne bleue du Mont Faron, du Fort Rouge, de la Tour Beaumont, sur les pentes rocheuses que des villas luxueuses escaladent, de plus en plus nombreuses chaque année. Puis, au pied de ce relief incrusté de pins torsadés, Toulon avec son port, son Arsenal, ses unités navales à quai. Plus à l'Est, la grande Tour Royale du XVIe siècle, pilier des premières défenses toulonnaises qui participa longtemps avec Balaguier à la protection de la rade et des habitants de la périphérie.

Ceux des visiteurs peu familiarisés avec les choses de la mer ne se lasseront pas d'observer les va-et-vient incessants des navires les plus divers au-delà des jetées ou à l'intérieur de la rade : mouvement des unités de la marine militaire, vedettes de transports du S.I.T.C.A.T. assurant la liaison Toulon - La Seyne, Toulon - Saint-Mandrier, Toulon-Les Sablettes, vice-versa, yachts de plaisance, embarcations de pêcheurs, hélicoptères de la base de Saint-Mandrier,... bref, c'est un mouvement incessant qui suscite des questions et des réponses nombreuses.

Sur cette plate-forme d'observation, des jumelles et une table d'orientation permettent aux curieux de parfaire leurs connaissances des milieux qu'ils découvrent.

Restons quelques instants encore sur cette plate-forme où ont été disposées de belles pièces d'artillerie qui rappellent à juste titre qu'avant de devenir un musée naval, Balaguier fut tout d'abord un ouvrage militaire.

Autour de deux canons montés sur leurs affûts, des discussions s'engagent. Une inscription mentionne : Modèle 1786 - Canons du Cap Sicié. Le guide explique qu'il s'agit là des deux pièces en provenance de la batterie du Cap Vieux, sur les pentes orientales de Notre-Dame de Bonne Garde, où Bonaparte fit installer une batterie en prévision d'un débarquement éventuel sur la presqu'île de Sicié opéré par des unités venant du grand large.

Canons de la batterie du Cap Vieux, avant leur transfert au Musée de Balaguier
(Il y avait bien à l'origine 3 canons, mais 2 seulement ont été récupérés. On ignore ce qu'est devenu le troisième) [Photo Serge Malcor]

Ces canons furent récupérés par la Marine nationale en 1973 grâce aux manoeuvres délicates d'un hélicoptère. Ce n'est pas seulement la provenance qui fait l'objet des discussions. Les canons portent en peinture blanche l'inscription Liberté - Égalité. Le mot Fraternité aurait-il été oublié ? Il ne figure pas pour la simple raison que la devise républicaine ne fut complétée que plusieurs années après la Révolution.

La table d'orientation et la rose des vents sont pleines d'enseignements même pour les gens du pays. Il y apprendront qu'avec les vents dominants, mistral et vent d'est (ou levant), existent une douzaine de vents différents. Le mistral lui-même a plusieurs variantes. Des vents moins fréquents, mais perceptibles à divers moments de l'année, soufflent de tous les azimuts de la mer ou de la terre tels : la largado, le pounent, le labé, le miéjour, l' eissero, qui viennent du large (ouest, sud-ouest, occident), ou alors, le grégau, la montagnero, la tramontano, qui soufflent de la terre.

La table d'orientation et la rose des vents

Portons nos pas vers le mur d'enceinte du nord. Là, d'autres pièces d'artillerie, provenant des chantiers de démolition ou des dons faits par des particuliers, s'alignent, pointant leur âme vers la rade. L'escalier de descente de la plate-forme d'observation d'où l'on peut voir tant de choses nous amène dans le jardin intérieur du fort protégé par le mur d'enceinte. D'autres petites merveilles nous attendent, un bassin bordé de rocailles où se prélassent de superbes poissons rouges qui disparaissent par moments sous les feuilles des nénuphars et des sagittaires. Autour de cette végétation aquatique, des arbustes, des lianes, des ecballiums dissimulent les vieilles pierres de constructions anciennes disparues, probablement les magasins à poudres, les réserves de vivres, aménagements de l'origine qui n'ont pas résisté à l'usure du temps ni aux rigueurs de la guerre.

Et nous voilà sur le chemin du retour près de la fameuse volière d'où nous étions partis. Nous marquerons encore un temps d'arrêt devant les appels de la veuve noire, espèce d'oiseau curieux par la longueur démesurée de sa queue, des perruches fanfaronnes prodigues de questions aux visiteurs : Êtes-vous satisfaits ? Reviendrez-vous avec vos amis ?

Peut-être alors, en repassant devant la loge du concierge, les touristes seront tentés d'emporter des cartes postales, des albums souvenirs. Le gardien leur rappellera de visiter la chapelle qui renferme elle aussi des trésors.

 

La chapelle

Si le visiteur a suivi l'itinéraire fléché, il se retrouvera dans le couloir d'entrée mais n'oubliera pas de visiter la chapelle restaurée depuis 1977 et aménagée pour recevoir une multitude de documents d'époque permettant de retracer avec la plus grande exactitude ce que furent le bagne de Toulon et les galères.

La documentation est extrêmement riche, et se présente sous la forme de témoignages écrits, de dessins, d'objets.

L'historique des galères remonte à François Ier. Les vitrines conservent jalousement le registre des galères du XVIIe siècle avec les noms et prénoms des condamnés, le motif de leur inculpation. Et l'on peut lire fréquemment... « bagne à perpétuité pour avoir assisté aux réunions de la R.P.R. ». Que le visiteur se rassure ! Ce sigle n'a rien à voir avec celui de l'actualité politique, il s'agissait pour lors de la Religion Prétendue Réformée.

On sait qu'à partir de 1685, date de la révocation de l'Édit de Nantes, qui garantissait la liberté religieuse aux Français, commencèrent les odieuses persécutions de la royauté contre les protestants fidèles à leurs croyances.

Des milliers de bons citoyens de toutes conditions périrent des infamies et des cruautés dont ils furent victimes par le régime des galères.

Sur les murs de la chapelle sont placardées des affiches reproduisant les jugements rendus par les tribunaux criminels de l'époque, des fac-similés de la cour du bagne, d'une exécution capitale, de la voiture cellulaire.

De remarquables dessins montrent les bagnards au travail exécutant de rudes tâches comme le transport de matériaux lourds. D'autres documents écrits renseignent le visiteur sur la nourriture, sur les bâtiments ayant servi de bagne flottant, sur les mémoires de Vidocq. Des maquettes de galère, des objets confectionnés par les galériens eux-mêmes, des outils, des anneaux et des chaînes de forçats, des boîtes à couture.

La visite de la chapelle terminée, les visiteurs ne cacheront pas leur ravissement et nombreux sont ceux qui laisseront trace de leur passage sur le livre d'or à leur disposition sous la forme de propos élogieux et d'impressions favorables.

Dans les dernières décennies, jamais les antiques pierres de Balaguier n'ont vu défiler autant de monde, accueilli autant de visiteurs nantis d'appareils photos, de caméras, de guides touristiques. Ils viennent de tous les horizons de la planète : historiens en mal d'exégèse, peintres désireux de fixer sur la toile la beauté du rivage, délégations de militaires imbus du prestige napoléonien, journalistes friands de reportages, simples gens de tous les milieux sociaux. Ce sont des dizaines de milliers de personnes de tous âges qui défilent chaque année en ces lieux respectés

La première statistique établie après l'ouverture du musée donna 6 192 visiteurs du 1er avril au 30 septembre 1971. Aux Français les plus nombreux s'ajoutaient des étrangers des nationalités suivantes :

Espagne, Mexique, URSS, Italie, Belgique, Hollande, Irlande, Allemagne de l'Est et de l'Ouest, Canada, USA (Chicago et New York), Angleterre, Congo, Tunisie, Portugal, Pologne, Suisse, Guinée, Sardaigne, Maroc, Dahomey.

Cette énumération permet de mesurer le rayonnement de Balaguier dès l'origine du musée naval.

Depuis, les statistiques accusent des progrès considérables tant par le nombre que par la diversité des nationalités En 1980, le nombre des visiteurs a été de 36 799. Trois ans plus tard il était de 45 830.

En 1985, les gardiens du musée Mme et M. Lebon comptabilisaient 50 096 entrées.

Et parmi ces dizaines de milliers de visiteurs se côtoient des gens de toutes conditions sociales : des ouvriers, des retraités, des fonctionnaires, des officiers de haut rang, de hauts dignitaires de l'État, des écrivains, des artistes. Les Grands Amiraux des flottes, chinoises, américaines, soviétiques, sont venus à Balaguier. Liu Hua-qing, Grand Amiral de Chine, et William Rowden, son homologue des U.S.A., étaient de passage récemment.

Par contre, le Grand Amiral de la flotte soviétique Gortchkov y vint le 19 octobre 1975, dans le but d'étudier la reprise de Toulon par Bonaparte. Spécialiste de l'histoire napoléonienne, il avait pendant plus d'une heure écouté les explications d'un professeur d'histoire de l'université de Toulon.

Cette même année, mais quelques mois auparavant, s'était tenu au musée de Balaguier, toujours, un congrès de l'association internationale des musées d'armes et d'histoire militaire.

Ce congrès se tient tous les trois ans dans un des pays membre de l'association.

En 1975, il se tint à Paris. Mais, le 9 mai, se retrouvèrent à Balaguier les représentants de 24 nationalités, sur invitation de la municipalité. Un repas champêtre leur avait été offert dans les jardins merveilleux avec leurs décors de verdure, de fleurs, animés des chants d'oiseaux, au milieu de souvenirs antiques. Les congressistes furent si vivement impressionnés à la fois par la beauté des lieux et la chaleur de l'accueil qu'ils formulèrent ainsi leurs remerciements à leur retour :

« Tous les participants ont été unanimes : la réception à la Tour de Balaguier a été le clou du voyage. Je vous demande d'accepter nos plus vifs et chaleureux remerciements et de bien vouloir être l'interprète de tous pour transmettre notre gratitude aux membres de votre conseil municipal. Le repas champêtre n'avait rien de modeste. Il était à proprement parler délicieux et n'avait d'égal que la gentillesse de vos représentants et de vos administrés présents sur les lieux ». (Luc-Marie Bayle, directeur des Musées de la Marine).

Tandis que le Général d'Avout d'Auerstaedt, directeur du musée de l'armée écrivait :

« Tous les participants étaient enthousiastes : la réception à la Tour de Balaguier a été un succès total. Je vous demande d'accepter nos plus vifs et chaleureux remerciements ».

Il n'est pas possible de rappeler toutes les rencontres, toutes les réceptions de délégations, toutes les visites de personnalités de haut rang qui suscitèrent des reportages dans la presse et des médias en général.

Le 14 juin 1980 fut pour Balaguier une date à retenir. Le vieil appontement et ses monceaux de ferraille qui n'embellissaient guère les abords de la citadelle disparurent pour faire place à un superbe jardin fleuri et à l'esplanade baptisée du nom du peintre de la marine Albert Sebille.

Esplanade Albert Sebille

Le même jour fut inaugurée à l'intérieur du fort une exposition de figurines historiques organisée par l'amicale des collectionneurs de Provence - Côte d'Azur. On pouvait y admirer près de 200 pièces dont la maquette du meilleur ouvrier de France du moment : le bateau d'Alain Colas construit par l'atelier de chaudronnerie de la direction des constructions et armes navales de Toulon.

Enfin, pour en terminer avec cette rubrique consacrée aux visiteurs, c'est encore à Balaguier que fut reçue une délégation d'une trentaine d'anciens combattants de l'Union soviétique, à l'occasion des fêtes du 40ème anniversaire de la capitulation du nazisme. La rencontre des anciens combattants français, des anciens de la résistance où l'on comptait bon nombre de Seynois, avec ceux qui participèrent aux batailles les plus meurtrières de l'histoire : Moscou, Leningrad, Koursk, Stalingrad, fut des plus émouvantes.

Le Général Major Kolossov, le Colonel Ovitchnikov et tous leurs camarades, sans oublier Madame Koltcheva, Sergent affecté au régiment Normandie-Niemen furent ravis d'apprendre que Balaguier fut aussi un lieu de désastre pour l'armée allemande.

 

Balaguier, 350 ans après

L'histoire de Balaguier se poursuit. Plus de trois siècles et demi se sont écoulés après l'édification de sa citadelle. Pendant les deux premiers, l'ouvrage a joué le rôle militaire qui lui fut dévolu à l'origine par les stratèges du XVIIe siècle. Puis, avec l'évolution des techniques nouvelles, les transformations et les progrès de la balistique, les changements profonds intervenus dans les moyens de défense, le fort de Balaguier ne fut plus en mesure de jouer le même rôle. Ses pierres ne peuvent que ranimer les souvenirs lointains des événements dont elles furent le témoin et dont nous avons essayé approximativement de reconstituer la trame en observant que certains d'entre eux furent décisifs pour la France. C'est pourquoi ce monument chargé d'histoire ne pouvait être laissé à l'abandon. La municipalité présidée par Toussaint Merle en eut bien conscience et son initiative de le transformer en musée naval fut parmi les plus heureuses.

Sa situation, sur un littoral desservi par une route touristique connue aujourd'hui dans le monde entier, devait en faire un lieu de rencontres à caractère culturel et les Seynois peuvent se réjouir que le fort de Balaguier soit devenu le premier musée naval de France.

Vauban était loin de penser en 1679, et pas davantage Bonaparte un siècle après lui, que des milliers de gens venus de tous les coins de France et même du monde, aimeraient ces lieux historiques où les soldats de la Ière République luttèrent jusqu'à la mort pour défendre l'intégrité de leur Patrie.

Toutefois notons au passage que Balaguier connaît par intermittence une activité en rapport avec son passé militaire. Il est chargé de saluer par des salves réglementaires l'entrée des navires étrangers, les unités françaises rentrant de longues campagnes, ainsi que les personnalités de haut rang en visite à Toulon.

Au pied de la citadelle où flotte en permanence l'emblème national, un canon de petit calibre, amené spécialement pour l'office, crache la flamme et la fumée de son tir à blanc. Alors les vieilles pierres frémissent et se souviennent peut-être des combats dont elles furent le témoin, des manoeuvres navales, des revues de la flotte de guerre, des grands départs vers l'aventure, des retours victorieux mais aussi parfois humiliants, hélas !

Elles vibrent encore au souvenir des heures glorieuses de 1793 et des grands noms qui retentirent en ces lieux : Dugommier, Bonaparte, Delaborde,...

Comment oublieraient-elles les meurtrissures des obus français de la Libération de 1944 ? Souffrances qui se muèrent illico en délires quand le drapeau blanc fut hissé au sommet du mât et que les bras des soldats vert-de-gris se levèrent vers le ciel... que de souvenirs émouvants et indélébiles pourraient-elles encore évoquer !

Voilà donc brossée à grands traits l'histoire de Balaguier et de ses environs... Une histoire qui a été avant tout celle du fort en raison des événements militaires auxquels ses pierres ont été mêlées.

En ce XXe siècle vieillissant, que dire encore du fort, des rivages et du quartier que ce nom évoque pour les Seynois ?

Son histoire se poursuit sous d'autres aspects bien sympathiques. Car l'histoire n'est pas seulement le bilan du passé. Elle est un mouvement continu. Aujourd'hui, aux événements belliqueux ont succédé des activités pacifiques.

Réjouissons nous de voir le littoral de Balaguier animé par le va-et-vient incessant des yachts de plaisance, des vedettes de transport, des barques de pêcheurs ; de suivre sur ses routes bordées de villas les promeneurs, les touristes amateurs de beaux paysages, d'observer sur ses rivages les pêcheurs de daurades surveillant patiemment leurs lignes flexibles dans l'attente palpitante d'une belle prise, d'assister comme la coutume s'en est établie depuis plusieurs années, à l'arrivée sur le parking du fort des autos fleuries enrubannées amenant les nouveaux mariés. Balaguier, avec son donjon et ses jardins, est devenu un lieu de pèlerinage où les couples viennent poser devant le photographe et prendre comme témoins de leur amour, les pierres vénérables de l'histoire. Et en complément à toutes ces activités paisibles n'oublions pas d'ajouter que le mamelon boisé de la citadelle, devenu aujourd'hui refuge d'oiseaux, continuera de plus belle d'égayer ce magnifique coin du terroir seynois par le chant intarissable des passereaux, les roucoulements incessants des tourterelles et des colombes, véritables symboles de la PAIX si chère à tous.


La ville de La Seyne devient propriétaire du Fort de Balaguier

Vendredi 17 novembre à 15 h 30, la Ville est officiellement devenue propriétaire du fort Balaguier. Construit en 1634, ce joyau du patrimoine militaire seynois était géré par la commune depuis 30 ans.

Devant la grande porte voûtée du fort Balaguier et après les signatures d’usage, le directeur départemental des finances publiques déclarait à Nathalie Bicais, maire de La Seyne-sur-Mer : « Au nom de l’État, je vous remets officiellement la clé du fort ». Un peu plus tôt, dans la chapelle du fort, c’est avec une immense fierté que Nathalie Bicais a paraphé, puis signé l’acte officiel d’achat du fort Balaguier par la Ville. Pour la première magistrate, « il est logique que le fort revienne à la commune ». Grâce à cette vente, la Ville compte un monument historique de plus dans son patrimoine, déjà riche.

Le fort avait en effet été évalué à 470 000€ par les Domaines. Le ministère de la Défense, propriétaire des lieux, a proposé une ristourne de 10% à la Ville qui en a la gestion depuis 1967, lui permettant de l’acquérir pour 430 000€, payables en trois annuités (2023-2024-2025). Mais au total, la commune ne devrait en débourser que deux, soit 290 000€. Et ce, grâce à la Métropole TPM qui lui accorderait un fonds de concours à hauteur de 140 000€.

« Balaguier fait partie des cinq ouvrages militaires de La Seyne (avec le fort Napoléon, le fort de l’Éguillette, celui de Saint-Elme et la batterie de Peyras). Ce patrimoine est un atout formidable de valorisation de notre histoire et peut devenir un lieu de rayonnement pour notre rade. »


 

CHRONOLOGIE

1633 - Des émissaires de Richelieu décident du principe de la construction d'un ouvrage militaire à l'extrémité de la presqu'île de Balaguier.

1634 - Début des travaux

1636 - Fin des travaux

1672 - Construction du fort de l'Éguillette (ou de l'Aiguillette)

1679 - Visite de Vauban

1793 (août) - Les Anglais occupent Balaguier

1793 (décembre) - Reprise du fort par les Républicains

1877 - Déclassement du fort

1942 (novembre) - Occupation de Balaguier par les Allemands

1944 (août) - Libération du fort par les troupes françaises

1967 (janvier) - La ville de La Seyne devient locataire du fort

1970 (3 octobre) - Inauguration de la corniche Bonaparte

1971 - Ouverture du musée naval

1973 - Construction d'un logement décent pour le gardien

1975 (l9 octobre) - Réception du Grand Amiral des flottes de l'URSS Gortchkov, spécialiste de l'histoire napoléonienne. Conférence sur la reprise de Toulon aux royalistes

1976 - Aménagement des abords du fort parking, plantations, bancs, transformations de la chapelle intérieure

1980 - Inauguration de l'esplanade Sebille, peintre de la marine

1986 - Célébration du 350ème anniversaire du fort de Balaguier

2023 (17 novembre) - La Ville de La Seyne devient officiellement propriétaire du fort de Balaguier

 


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