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Quand le présent ouvrage sera dans les mains de la population seynoise, il y aura dix-huit ans que Toussaint Merle disparaissait prématurément et entrait dans l'Histoire glorieuse de La Seyne, sa ville natale, qu'il administra pendant si longtemps. Les morts vont vite ! Ces mots, inscrits en refrain dans une ballade du temps passé signifient que, généralement, les morts sont rapidement oubliés.
Le philosophe Aristote, deux mille ans auparavant exprimait la même pensée en écrivant sous une autre forme : La reconnaissance vieillit vite !
Pour qu'il n'en soit pas tout à fait ainsi avec le souvenir de Toussaint Merle, nous avons choisi de lui rendre ici un hommage particulier en rappelant succinctement ses origines, son enfance, sa carrière d'enseignant, ses choix politiques, son accession à la tête des affaires communales, ses succès, les aspects multiples de son œuvre considérable d'administrateur à la tête d'une équipe qui lui fut dévouée corps et âme.
Nous avons voulu que les anciens se souviennent, et aussi que la jeune génération apprenne, parce que les uns n'ont pas le droit d'oublier, les autres d'ignorer les grands moments de notre histoire locale et ses acteurs principaux.
[A ce sujet, lire également sur internet le texte la conférence de Toussaint Merle, Souvenirs d'un petit Seynois, donnée le Samedi 19 février 1966, dans le cadre des conférences de la Société des Amis de La Seyne ancienne et Moderne].
Toussaint Merle est né le 31 mars 1911 à La Seyne au n° 76 de la rue Victor Hugo. Ses ascendants, du côté paternel avaient travaillé durement dans les chantiers de la construction navale. Son arrière-grand-père y exerça le métier de charpentier.
Son grand-père Laurent y fut outilleur. Les plus anciens de nos concitoyens l'ont connu vers la fin de sa vie comme concierge du patronage laïque établi avant la guerre sur l'emplacement de la Mairie sociale, rue Renan. Son père, Antonin, passa lui aussi la majeure partie de sa vie parmi les constructeurs de navires comme chef-ouvrier à l'atelier de serrurerie.
Sa mère Gabrielle Parenti, originaire de Buti (Toscane), était venue à La Seyne dans le courant migratoire italien qui s'affirma puissamment vers la fin du siècle dernier.
Occupée essentiellement à des tâches ménagères elle sacrifia beaucoup comme son mari, pour donner à leur unique enfant les moyens de s'élever dans la société.
Toussaint Merle grandira dans l'ambiance des traditions de la classe ouvrière seynoise durement exploitée en ce début du XXe siècle. Comme les enfants de sa génération, il sera impressionné par les préparatifs de la guerre.
Les premiers rudiments de la lecture, de l'écriture, du calcul, il les reçut à la rue Messine à quelques mètres du domicile de ses parents dans une petite école, classe enfantine dirigée par Tata Rossi.
Puis il prendra le chemin de l'école Martini pour y préparer son Certificat d'Études Primaires. Il était un écolier attentif, studieux, discipliné. Sa tendance à l'obstination se manifesta de bonne heure et lui permit de gravir tous les échelons sans encombre jusqu'à la préparation au concours d'entrée à l'École Normale d'Instituteurs de Draguignan.
Son enfance et son adolescence se passeront dans les rues de la vieille ville : Victor Hugo (rue du Sac), Denfert-Rochereau (rue Saint-Roch), Clément Daniel (rue de l'Hôpital). Il parlait toujours avec beaucoup d'émotions de ces lieux où il avait grandi et joué et il dira plus tard au cours d'une conférence publique qu'il éprouva beaucoup d'amertume quand il fut dans l'obligation de les quitter.
Pendant les grandes vacances de l'été, il lui arriva de fréquenter les ateliers des chantiers navals où son père l'initiait aux travaux d'ajustage. Dans les années d'avant-guerre, le travail des enfants dans les usines était encore autorisé, ce qui permettait à Toussaint Merle de faire quelques petites économies.
Mais ce qui apparut beaucoup plus important pour son avenir, ce fut cette initiation à la vie sociale, ce contact avec les ouvriers qui besognaient dans des conditions parfois très dures, ces discussions animées entre les chefs et les manœuvres, ces altercations entre contremaîtres et syndicalistes. Les jeunes apprentis étaient amenés à partager les joies des uns et les peines des autres, à forger leur opinion sur les litiges, à formuler des espoirs sur l'avenir des travailleurs.
Après son passage à l'école primaire supérieure Martini Toussaint Merle fut admis à l'École Normale d'Instituteurs avec six autres camarades de la classe dite de 4ème année. C'était en 1928. Les professeurs de l'époque dont j'ai parlé longuement dans l'Histoire de l'école Martini. Les professeurs Gueirard, Lehoux, Romanet, Azibert (le bon quatuor) avaient admirablement préparé leurs élèves. 7 élèves seynois admis au concours dans une promotion de 17 pour l'ensemble du Var, cela représentait un évènement hors du commun dans les annales scolaires de La Seyne. Ce succès fut célébré de maintes façons : apéritifs, distributions de prix spéciaux, repas fraternel,...
Les lauréats, dont voici les noms dans leur ordre d'admission : Miroy, Jalabert, Guilhamet, Autran, Guieu, Merle, Bernard savouraient le temps libre de leurs vacances, la pensée parfois obscurcie par la vie monastique que leur réserverait Draguignan pendant trois années (voir photo de la promotion L'Avenir 1928-1931).
Et il nous fallut tout de même songer à la préparation de notre trousseau de pensionnaire qui causait beaucoup de soucis à nos mères. Toussaint Merle reprit le chemin des chantiers pour gagner quelque argent et, pour faire de même, je me livrai aux travaux de la campagne.
Notre séjour dans le bâtiment vétuste des élèves-maîtres aux confins occidentaux de l'austère chef-lieu varois, nous permit de nous mieux connaître, d'apprécier avec exactitude nos affinités, notre caractère, nos différences, nos opinions.
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Qu'il me soit permis de dire ici que mes témoignages sur la vie de Toussaint Merle sont les plus sûrs, nos existences s'étant conjuguées pendant plus de quarante années.
Les grandes étapes de notre vie estudiantine, professionnelle, politique, nous les avons franchies ensemble : École Martini, École Normale d'Instituteurs ; passage dans les mêmes écoles comme enseignants : Montmeyan, E.P.S. Martini, Lycée Beaussier, Collège Curie ; actions communes pendant la Résistance locale ; puis, vingt années de collaboration dans l'administration communale dont il eut la plus lourde charge.
Ces contacts permanents m'ont autorisé à juger, mieux que d'autres, sa vive intelligence, son souci du travail bien fait, ses qualités éminentes d'organisateur, ses capacités de travail immenses, son caractère volontaire, obstiné, particulièrement abrupt avec ses adversaires.
On pourrait parler de Toussaint Merle au travers de multiples facettes : l'instituteur, le professeur de C.E.G. ; on pourrait évoquer toutes ses fonctions politiques et administratives : le Syndicaliste, le Résistant au gouvernement de Vichy, le Secrétaire de la Fédération communiste du Var, le Conseiller de la République, le Conseiller général, le Maire de La Seyne, le Député, le journaliste,...
Si l'on voulait répertorier toutes ses interventions à tous les niveaux, tous ses articles de presse, sa correspondance prodigieuse, le texte de ses discours, plusieurs volumes seraient nécessaires.
L'essentiel de cette biographie de celui qui exerça le mandat le plus long parmi tous les Maires de la Commune depuis sa fondation sera consacré aux combats et aux réalisations des municipalités qu'il conduisit pendant 22 ans et dont l'œuvre demeurera immense, n'en déplaise aux diffamateurs et aux roquets de la politique.
Ce mandat, il l'exerça conjointement à plusieurs autres qu'il nous faudra obligatoirement évoquer.
Mais avant de la voir accéder à toutes les responsabilités énoncées plus haut, suivons Toussaint Merle à la sortie de l'École Normale d'Instituteurs de Draguignan.
Il recevra quatre affectations : Collobrières en 1932, Montmeyan en 1935, Ollioules en 1938, La Seyne en 1939.
Partout où il exerça, il a laissé le souvenir d'un bon maître. Ses qualités pédagogiques s'affirmèrent dès ses débuts... et pourtant, comme il se plaisait souvent à le répéter, cette carrière d'instituteur, ce n'est pas lui qui l'avait choisie.
Dès la rentrée de la classe chaque matin, il avait des mots d'encouragement pour ses petits élèves, les traînards en particulier ; il adressait des reproches affectueux à ceux qui avaient mal fait la veille. Il s'intéressait à tous, à leur santé, à leur famille. Touchés par ces attentions, les enfants s'apprêtaient à recevoir docilement les conseils de leur maître. Un maître fort d'une riche expérience acquise à l'École Normale, et qui savait prendre les enfants, leur inspirer le goût du travail, l'appétit du savoir, le désir de bien faire.
Certes, il était plein d'indulgence, mais il n'en oubliait pas pour autant la fermeté quand elle était nécessaire.
Ce n'était pas par sa taille moyenne, pas davantage par sa voix sans éclat, qu'il s'imposait.
Quand tous les regards convergeaient sur son visage au front obstiné en partie caché par une chevelure drue mais courte, au nez osseux, au menton volontaire, au regard pénétrant, pétillant de malice, associé à un sourire moqueur, les enfants étaient captivés par son éloquence persuasive, un enseignement clair, émaillé d'exemples concrets. Et ce maître d'élite savait intéresser son auditoire parce qu'il savait varier au maximum les formes de son enseignement et les rendre vivantes à souhait. Pendant les exercices écrits, il était rarement assis derrière sa chaire. Ses allées et venues dans les travées interdisaient aux délinquants éventuels de se manifester.
Chaque soir rentré chez lui Toussaint Merle préparait soigneusement sa classe du lendemain et corrigeait les devoirs de ses élèves avec une ponctualité rigoureuse.
Il sut se faire aimer de ses élèves auxquels il enseigna pendant douze ans avant d'interrompre sa carrière pédagogique que d'ailleurs, comme nous le verrons, il reprendra pendant six ans avant son départ à la retraite en 1966.
Peu de temps après sa sortie de l'École Normale, Toussaint Merle avait rencontré Marie-Louise Dufourg, institutrice, qui devint la compagne de toute sa vie après leur union célébrée à La Seyne, le 23 décembre 1933. Malou comme beaucoup de Seynois l'appelaient familièrement, lui donnera trois garçons, appelés à devenir de brillants sujets dans leur profession respective.
Le choix politique - Le Résistant
Dès sa sortie de l'École Normale, Toussaint Merle s'affirma sur le plan de la politique : quelle politique ? Celle que nos pères défendaient vers la fin du siècle dernier alors que Jaurès, Guesde, Lénine et bien d'autres expliquaient aux travailleurs exploités du monde entier la nécessité de s'unir pour créer une Internationale et en finir avec le système capitaliste fauteur des guerres perpétuelles et de la misère des peuples.
En 1932, alors qu'il enseignait à Collobrières, Toussaint Merle adhéra au Parti socialiste S.F.I.O., le Secrétaire de la Section étant alors Victor Mathieu, son directeur d'école. Il adhéra également au Syndicat des Instituteurs et y milita quelque temps avant la guerre et écrivit dans la revue syndicale des articles où il prit la défense de militants communistes. Après la vague du Front Populaire, qui permit d'importantes conquêtes sociales, les grèves de 1938 ne furent suivies que partiellement. Alors, la grande bourgeoisie des affaires, décida de reprendre ce qu'elle avait cédé deux ans auparavant, n'hésita pas à s'entendre avec les tenants du fascisme et du nazisme pour arrêter les courants d'idées progressistes qui auraient pu faire tache à travers le monde. Les militants syndicaux de tendance communiste furent frappés les premiers. Il en est toujours ainsi dans les périodes de répression patronale.
Puis ce fut la capitulation de Munich et le moment des grandes trahisons. La presse des trusts n'écrivait-elle pas : Plutôt Hitler que le Front Populaire ! ?
La guerre éclate en 1939. Toussaint Merle est mobilisé le 26 août et rejoint les Chasseurs Alpins à Antibes. Après l'armistice, il reprend son poste d'instituteur à la rue Messine. Dès la mise en place de la Municipalité vichyssoise, il prend des contacts avec les vieux militants locaux du Parti communiste : François Cresp, Georges Monaco, Odiardo, Giraudeau,... Il n'envisage même pas de rencontrer les socialistes seynois dont il condamne le manque de réaction contre les pouvoirs du nouveau régime politique.
Les arrestations se multiplient chaque jour et malgré la répression, la volonté de résistance s'affirme.
Au cours d'une réunion clandestine chez le garagiste Georges Monaco, le Parti communiste est reconstitué avec des éléments nouveaux, la plupart des anciens se trouvant dans les camps et les prisons de France et d'Algérie. Toussaint Merle y adhère donc dans une période particulièrement dangereuse, celle de la clandestinité.
À partir de la fin décembre 1942, le premier numéro d'une publication locale appelée L'écho seynois dont Toussaint Merle a pris l'initiative est distribué discrètement dans les bâtiments publics. Elle dénonce l'incapacité des élus imposés aux Seynois après la guerre, à gérer la ville correctement.
Elle exalte les succès des armées alliées et donne confiance à la population seynoise.
Il en sera ainsi jusqu'en 1943, année où les autorités décidèrent de l'évacuation des écoles vers des départements d'accueil.
Par erreur, sans doute, des journalistes ont écrit qu'en arrivant à Chamonix, en Haute-Savoie, Toussaint Merle avait adhéré à un mouvement de Résistance. Je m'inscris en faux contre cette affirmation, étant à ses côtés à La Seyne depuis 1940. Un an au moins avant son départ pour la Haute-Savoie, nous avions pris des contacts avec des responsables clandestins de haut niveau.
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Dès son arrivée à Chamonix, il collabora au journal Le Travailleur Alpin et participa à des actions après avoir stoppé à la grenade une colonne de chars allemands remontant la vallée de l'Arve. Il put apprécier le courage des montagnards qui harcelaient l'ennemi de toutes les façons.
Que d'antifascistes français ou italiens furent sauvés par les Savoyards sur des frontières inaccessibles, car eux seuls connaissaient les secrets de la montagne !
En 1945, Toussaint Merle fut désigné comme Président du Comité de Libération de Chamonix et assuma pendant quelques mois le Secrétariat de la Fédération communiste de Haute-Savoie.
Mais la vie reprenant son cours normal à La Seyne, la famille Merle, comme toutes celles évacuées par mesure de sécurité, rentra dans son foyer et reprit ses activités.
Le Parti communiste, dont la participation à la libération du pays avait été déterminante, voyait la confiance de la population monter vers lui. On avait vu ses valeureux dirigeants à l'œuvre pour chasser les ennemis du sol national. À La Seyne des centaines de militants avaient été emprisonnés et des dizaines d'entre eux déportés ou fusillés. Il fallait à présent mettre à la raison les traîtres à la France et donner au pays des institutions démocratiques, réparer les désastres de la guerre, rétablir une vie économique normale.
Le Parti avait besoin de tous ses militants pour la participation à cette œuvre de redressement national. On les trouva présents partout dans les Comités de Libération. Celui de La Seyne avait été mis en place, sitôt les Allemands partis, c'est-à-dire le 28 août 1944, sous la Présidence de Pierre Fraysse.
Quelques mois plus tard, en avril 1945 plus précisément, Toussaint Merle rentré à La Seyne renonça, provisoirement du moins, à son métier d'enseignant et accepta d'assumer des fonctions politiques. Placé à la tête de la Fédération communiste du Var en qualité de Secrétaire général, il allait grâce à son activité inlassable, reconstituer un parti solide, digne des valeureux militants d'avant la guerre, au sein desquels la Gestapo et la police de Vichy avaient exterminé les meilleurs.
Toutes les villes, tous les villages du Var reçoivent la visite du nouveau Secrétaire fédéral : partout il rassemble, il explique, il entraîne les militants à l'action. Il crée un courant d'enthousiasme irrésistible dans les masses ouvrières et paysannes sans pour autant négliger les intellectuels auxquels il expose dans des conférences suivies, les principes du marxisme-léninisme. Des milliers d'adhérents nouveaux affluent au Parti, qu'on instruit dans des écoles élémentaires. Ils s'apprêtent à administrer, à diriger des associations, des syndicats, des municipalités.
Dans cette période, le Parti communiste compte dans le Var 8 560 adhérents répartis en 32 sections, 98 cellules d'entreprise, 281 cellules locales. C'est à la conférence fédérale de juin 1945 que Toussaint Merle fut désigné comme Secrétaire général, fonction qu'il conservera jusqu'en juillet 1946. Il demeura membre du Bureau et du Comité fédéral plusieurs années après.
Les Comités de Libération mis en place par le Préfet Sarie ont la charge de préparer des élections municipales. Ils sont composés de représentants de tous les partis et organisations démocratiques ayant participé effectivement à la libération du territoire.
Au sortir des années d'épouvante, l'intérêt national commandait impérieusement aux Français de s'unir pour redonner au pays un visage démocratique, une société de libertés, de justice et de paix.
Comme avant la guerre, les municipalités devaient retrouver leurs Conseillers municipaux élus du peuple et les départements leurs Conseillers généraux élus de même.
Le gouvernement provisoire, dès la libération complète du territoire, devait organiser des élections législatives. Autrement dit, il fallait abolir radicalement toutes les institutions et structures mises en place par la dictature de Vichy et donner à la France une autre Constitution républicaine. À l'État français de Pétain, il fallait substituer la IVe République.
Tout cela devait s'accomplir rapidement dans le souci de renforcer l'unité nationale, alors que la guerre n'était pas terminée. S'UNIR, COMBATTRE, TRAVAILLER ! tels étaient les mots d'ordre bien justifiés du Parti Communiste Français dans cette période héroïque de notre histoire nationale.
La tâche à accomplir était immense : déblayer des ruines, reconstruire des bâtiments administratifs, rétablir les communications, reloger des sinistrés, remettre en route des usines, des chantiers, relancer toute la vie économique, sachant qu'en ce début d'année 1945, les Allemands n'étaient pas définitivement vaincus sur le front de l'Est. Il existait encore des poches de résistance à Bordeaux, à Lorient, à Brest. Oui ! Il fallait encore combattre et beaucoup travailler et cela devait se faire dans l'union la plus totale.
Le Conseil National de la Résistance préconisa pour les élections municipales la formation de listes d'union composées de Résistants toutes tendances confondues.
En maints endroits, cette recommandation ne fut pas suivie, surtout par le Parti socialiste S.F.I.O.
À La Seyne, le Comité de Libération s'efforça de créer une atmosphère d'entente. Mais le souvenir des joutes électorales et des fossés profonds qu'elles avaient creusés demeurait vivace. Pour Albert Lamarque, ex-premier adjoint, Pierre Fraysse, Président du Comité de Libération, restait le pisse-vinaigre des années Trente, qui avait tenté de battre la Municipalité socialiste du Docteur Mazen, tandis que, pour le communiste François Cresp, M. Lamarque demeurait le correspondant du Petit Provençal, journal qui n'avait pas fait de peine, même légère, à l'occupant nazi.
Bref, les élections municipales se préparèrent dans une ambiance de fièvre. La liste d'Union Républicaine et Résistante conduite par le Docteur Jean Sauvet avait le soutien efficace du Parti communiste. Elle comprenait des représentants du Front National (rien de commun avec le F.N. actuel), du Parti communiste, des catholiques résistants, du Parti radical, des prisonniers de guerre, des déportés, de la C.G.T.,...
La liste socialiste qui lui fut opposée, conduite par le Docteur André Weill, comportait essentiellement des élus socialistes d'avant la guerre (Albert Lamarque, Georges Limoge, Frédéric Andrieu, Antoine Créma, Marius Gugliéri, Louis Sauvaire, Timothée Valentin, etc.).
Les élections se déroulèrent le 29 avril 1945, le jour d'un anniversaire particulièrement douloureux pour notre ville.
Elles donnèrent les résultats suivants :
La liste du Docteur Sauvet fut donc élue au premier tour, Toussaint Merle ayant contribué largement à cette victoire par sa présence dans tous les quartiers et associations de la ville. Dans cette période, on pensait, au Parti communiste, que les responsables politiques ne devaient pas cumuler leur fonction avec un mandat électif. Les choses allaient bien changer par la suite.
Toussaint Merle, Conseiller général : 23 septembre 1945
La même année 1945, le 23 septembre précisément, eurent lieu la mise en place des Conseillers généraux.
Toussaint Merle fut désigné pour le canton de La Seyne. Élu avec 5 355 voix contre Marc Baron, Maire de Saint-Mandrier, qui en réunit 3 965, M. Reynaud ne recueillant que 348 voix, on pouvait dire que le Parti communiste s'affirmait de plus en plus dans les masses populaires.
Toussaint Merle entre donc au Conseil général à 34 ans. Il a tout à apprendre de son fonctionnement. Il aura tôt fait d'en comprendre le rôle, d'étudier tous les rouages, les commissions dans lesquelles il agira avec le plus d'efficacité. Il se passionne pour les problèmes économiques de ce département qu'il connaît depuis longtemps et dont les besoins les plus urgents lui avaient sans doute échappé jusqu'ici.
Membre de la commission des finances, il participe aussi aux commissions des transports, des œuvres de sécurité sociale, des H.B.M., des sinistrés, des Bourses scolaires et du travail. Il représente le Conseil général au Conseil départemental de l'Instruction primaire, au Conseil d'administration de l'Office départemental des Pupilles de la Nation, au syndicat des communes du littoral varois.
Le canton de La Seyne, particulièrement éprouvé par la guerre, a su trouver un excellent défenseur. Les routes principales sont rétablies, des crédits d'urgence sont obtenus pour les sinistrés, pour la réfection des bâtiments publics, mais les aides de l'État et du Département ne sont octroyées qu'avec parcimonie car la guerre continue et d'autres conflits vont surgir.
Et la situation politique devient de plus en plus complexe par la mise en place des nouvelles institutions.
Après les élections municipales et cantonales de 1945, il faut à la France un Parlement pour établir une constitution nouvelle après quoi, en application des lois établies, il faudra réélire tous les organismes des structures administratives nécessaires, à savoir : Conseils municipaux, Conseils généraux, Assemblée Nationale, Conseil de la République (Sénat transformé).
Entre le 29 avril 1945 et le 24 novembre 1946, les Français vont se prononcer 3 fois par voie de référendum, 3 fois pour des élections législatives, 2 fois pour des élections cantonales, 1 fois pour le Conseil de la République. Au total les municipalités auront à préparer 9 campagnes électorales en moins de deux ans.
On imagine la tournure que le climat politique allait prendre avec ces consultations, si rapprochées les unes des autres, ces joutes passionnées opposant les partis aux étiquettes changeantes suivant les circonstances. Les caméléons de la politique tentaient de se faire pardonner leur adhésion à la Légion de Pétain. On en vit circonvenir des responsables communistes pour s'attirer leurs bonnes grâces. D'autres donnèrent leur adhésion au Parti socialiste, à l'Association France-U.R.S.S.
Ceux dont les convictions vichystes demeuraient intactes malgré les revers de la Révolution nationale ne se montraient guère. Par mesure de prudence, on ne les vit même pas prendre part aux premières consultations électorales.
La Municipalité présidée par le Docteur Sauvet se mit donc à l'ouvrage pour apporter aux Seynois les secours qu'ils attendaient après leurs cruelles épreuves. Il y avait tant à faire dans tous les domaines : des blessés, des malades à soigner ; des sans-logis à abriter ; des enfants sans écoles, des moyens de transport à rétablir, un ravitaillement toujours problématique, des activités à recréer pour maintenir les emplois.
La tâche était immense et les moyens bien modestes. On disait bien que l'Allemagne paierait. Comment pouvait-on y croire ? N'avions-nous pas déjà l'exemple de la guerre de 1914-1918 où l'on avait servi aux Français les mêmes boniments après l'armistice ?
Les finances de la ville étaient au plus bas. Le coût de la vie augmentait et la pratique du marché noir n'avait pas disparu. La population devait d'abord compter sur elle-même.
Les communistes répondirent les premiers aux appels de la Municipalité en constituant de vaillantes équipes de choc, au dévouement inlassable, travailleurs bénévoles manuels ou intellectuels qui se rencontraient chaque jour pour déblayer des ruines, enlever des tas d'ordures, assurer le chauffage des écoles, creuser des canaux de drainage.
Hommage soit rendu ici à ces braves gens grâce auxquels la commune réalisa d'importantes économies et connut le début de sa renaissance.
Dans leur ensemble, les Conseillers municipaux avaient peu d'expérience de la vie communale. Et il leur fallut faire de grands efforts pour s'instruire des affaires publiques et secouer les pouvoirs de tutelle qui freinaient souvent leur action.
Les employés municipaux ayant servi la Municipalité socialiste d'avant la guerre n'apportèrent pas toujours un concours total à la nouvelle équipe d'Union Républicaine et Résistante. Et dans les rouages administratifs supérieurs, on eut souvent à déplorer des actes de sabotage, en particulier sur les problèmes du ravitaillement.
Malgré les déconvenues, la population prenait son mal en patience. Elle avait retrouvé la Paix et la sécurité, c'est-à-dire l'essentiel.
Le Docteur Sauvet eut deux collaborateurs principaux : Léon Mary premier adjoint, syndicaliste très populaire parmi les ouvriers des chantiers, et Pierre Fraysse, bien connu à La Seyne comme pilier de la franc-maçonnerie, animateur de nombreuses associations locales et adversaire résolu de la précédente municipalité.
Avec leurs collègues, ils firent de leur mieux pour la remise en route de la vie communale : les rentrées scolaires furent assurées, les administrations publiques relogées dans des locaux convenables. Notons par exemple : le transfert de la Mairie détruite dans l'école maternelle de la rue d'Alsace pour l'Administration générale et dans l'école de la rue Messine pour les services techniques, l'installation de la poste, gravement sinistrée, dans les bâtiments inoccupés de l'externat Saint-Joseph (boulevard du 4-septembre), classes préfabriquées aux quartiers Berthe et Les Plaines ; remise en état du foyer des vieux, des terrains de sport et du cimetière, bouleversés par les bombes, réfection de la voirie, réorganisation des services d'incendie, d'hygiène, du nettoiement, création d'une ambulance municipale, etc...
La fin de l'année 1946 approchait : Deux élections législatives avaient eu lieu et deux autres consultations par référendum. La nouvelle Constitution génératrice de la IVe République ayant été approuvée par le peuple français, il fallait s'attendre à de nouvelles élections municipales.
Le Docteur Sauvet et son équipe pouvaient-ils envisager de se lancer dans les grands projets d'urbanisation, de réorganisation, d'expansion économique ? Dans la situation du moment, ils n'envisageaient guère de le faire.
Ils s'appliquèrent à expédier les affaires courantes, à assurer correctement les besoins immédiats de la population. Même s'ils avaient voulu voir grand pour notre ville de La Seyne, le contexte politique du moment aurait sûrement émoussé leur bonne volonté.
Le Conseil National de la Résistance avait bien établi un programme de Gouvernement qui comportait des avancées démocratiques importantes. Mais le Général de Gaulle ne manifestait que peu d'enthousiasme pour son application. Il se préoccupait surtout de donner au pays une Constitution qui reconnaîtrait au Président de la République des pouvoirs très étendus. N'ayant pu faire ce qu'il voulait, de Gaulle claqua la porte sans façons en proclamant que tout allait bien. Et puis, ce fut le gouvernement Félix Gouin, et puis celui de Georges Bidault, et puis celui de Paul Ramadier.
Laborieusement, les institutions politiques se mettaient en place. Le 24 novembre et le 8 décembre 1946 se déroulèrent les élections au Conseil de la République appelé à remplacer le vieux Sénat de la IIIe République. Au préalable, chaque commune procéda à l'élection de délégués départementaux.
La Fédération communiste du Var proposa la candidature de Toussaint Merle qui s'était affirmé depuis son élection au Conseil général, comme un excellent défenseur des intérêts de la population varoise.
Ces élections au Conseil de la République se firent à la proportionnelle et Toussaint Merle fut élu.
Et voilà notre jeune instituteur de la rue Messine entré dans la carrière parlementaire après sa brillante élection au Conseil général du 23 septembre 1945.
Comme toujours, il prend sa tâche à cœur. Le groupe communiste lui demande d'intervenir à plusieurs reprises. Chaque semaine, il se présente à la Fédération dont il ne peut plus assurer le secrétariat, étant trop souvent absent. Ses déplacements se font par le train, mais il supporte aisément les fatigues et met à profit le temps du voyage pour préparer ses comptes-rendus.
Il voit à peine son épouse et ses enfants, car le dimanche est consacré aux réunions publiques ou aux colloques internes du Parti. Passionnément, il se livre à son travail de propagandiste ; il est très entouré par ses amis, par les camarades, par des Seynois de toutes opinions, fiers de pouvoir s'entretenir avec un enfant du pays devenu Sénateur..., sans parler des quémandeurs et ils sont nombreux qui poursuivent toujours la défense de leurs intérêts avec persévérance. Doué d'une mémoire étonnante, Toussaint Merle écoutait attentivement les propos des uns et des autres.
Il expliquait avec toute la puissance de sa conviction, les justes positions du Parti dans les batailles politiques qui se livraient à travers la France. Partout il appelait à l'action, à l'union de toutes les couches laborieuses. Il montrait les difficultés à vaincre contre des ennemis qui s'apprêtaient à lutter sans relâche contre les communistes par les moyens les plus vils.
Deux ans après la cessation des combats, la Résistance était déjà loin. La Bourgeoisie, dont la trahison avait été évidente, voulait effacer l'œuvre héroïque accomplie par les communistes. Et, à La Seyne comme ailleurs, un nouveau parti politique aux ordres du Vatican (le M.R.P.), qui se voulait plus républicain et plus populaire que les autres, conseillait aux Catholiques Résistants de ne plus collaborer avec les communistes par crainte de faire leur jeu. La Résistance ressentait de plus en plus le vent de la trahison.
Les anciens élus socialistes ne pensaient qu'à prendre leur revanche sur ceux qui les avaient supplantés. Ils débordaient de hargne et leur porte-parole, le journaliste Henri Midon, se répandait chaque jour en propos injurieux contre Toussaint Merle, l'homme à abattre, surtout depuis la défaite électorale du P.S. aux dernières élections cantonales.
On était loin des heures de liesse qui suivaient la libération. La Résistance n'avait pas éclairci la politique.
Au plan national, les vieilles équipes petites bourgeoises au service des trusts qui avaient trahi les intérêts de la France étaient bien déconsidérées. Mais avant leur disparition, elles en avaient engendrées de nouvelles qui ne semblaient pas vouloir changer radicalement de politique. Seuls, les communistes apparaissaient comme des novateurs et pourtant, ils se bornaient à exiger l'application du programme du C.N.R., programme commun à tous les groupements et partis de la Résistance, programme qui fut certainement un bon accord à l'époque, mais... restons sur le plan seynois.
L'année 1947 fut néfaste pour la IVe République et une bonne année pour la ville de La Seyne.
Néfaste parce que le gouvernement s'engagea dans une politique de guerre évidemment ruineuse dont les conséquences sur la vie des communes furent désastreuses.
Le socialiste Paul Ramadier qui le présidait n'avait pas bien retenu les leçons de son maître sur les guerres coloniales, et pourtant ce maître s'appelait Jean Jaurès.
Les ministres communistes furent exclus du gouvernement pour n'avoir pas approuvé l'intervention militaire contre le Vietnam. Les évènements qui suivirent montrèrent à l'évidence qu'ils avaient eu raison.
Par contre, l'année 1947 fut une année bénéfique pour La Seyne parce que la population se donna des administrateurs sérieux avec Toussaint Merle à leur tête.
Jean Passaglia et Toussaint Merle (1947) (Extrait d'un film d'Alex Peiré) |
Une ascension fulgurante : Toussaint Merle, Maire de La Seyne
Avant la fin de l'année 1947, le Docteur Sauvet, Maire sortant, laissa entendre à son entourage que ses fonctions administratives n'étaient guère compatibles avec sa profession, qu'il voulait continuer à exercer dans les meilleures conditions possibles. Ses collaborateurs issus du milieu Catholiques Résistants ne cachaient pas leur intention d'abandonner leurs fonctions municipales. Leurs supérieurs hiérarchiques les sermonnaient dans le but de les séparer des communistes dont ils craignaient de renforcer les positions.
Dans ces conditions, la désignation des candidats communistes aux élections du 19 octobre 1947 ne posa aucune difficulté majeure parmi les militants. Toussaint Merle qui avait été résistant de la première heure, dirigeant politique averti, Conseiller général efficace depuis 1945, Conseiller de la République depuis 1946, apparut comme le meilleur des communistes pour administrer la ville de La Seyne.
La liste qu'il conduisit s'intitulait comme la précédente Liste d'Union Républicaine et Résistante et de Défense des Intérêts Communaux, présentée par le Parti Communiste Français.
Les principaux adjoints de la Municipalité sortante s'y retrouvaient en bonne place : Léon Mary et Pierre Fraysse, de même l'honorable François Cresp, fondateur du Parti communiste à La Seyne.
Toutes les couches de la population active y figuraient : ouvriers, pêcheurs, artisans, ingénieurs, techniciens, ménagères. La plupart avaient pris une part active à la Résistance. Le programme était réaliste et mesuré. Il appelait naturellement la population à participer effectivement à l'œuvre gigantesque de redressement qui s'imposait.
Trois autres listes firent acte de candidature : Socialiste (S.F.I.O.), Mouvement Républicain Populaire (M.R.P.) et Rassemblement du Peuple Français (R.P.F.). Cette dernière, soutenue par les gaullistes et aussi par d'anciens pétainistes désireux de se refaire une virginité.
Indiquons au passage que le R.P.F. mobilisa pendant plusieurs semaines des militaires, marins et soldats, avec pour mission de chasser les communistes des réunions publiques, de saisir leur propagande, de piller leur siège. Les hordes S.S. de Hitler n'auraient pas mieux fait.
Ces bandes furent mises en déroute par les valeureux militants du Parti communiste, qui dégoûtèrent à jamais les pioupious venus d'ailleurs de remettre les pieds à La Seyne pour s'occuper d'une politique sur commande.
Tous les opposants à Toussaint Merle, déchaînés dans une campagne anticommuniste virulente, espéraient bien enlever la majorité des sièges du Conseil municipal. Les élections se firent à la proportionnelle et donnèrent les résultats suivants :
La répartition donna 14 sièges au Parti communiste, 7 sièges au Parti socialiste et 6 sièges au R.P.F. Le M.R.P. ne fut pas représenté, le nombre de voix qu'il obtint ayant été inférieur au quotient électoral.
Toussant Merle fut donc élu Maire de La Seyne quelques jours plus tard, le Parti communiste ayant obtenu la majorité absolue des sièges. Après sa conquête de trois mandats successifs, on pouvait parler d'une ascension fulgurante pour le jeune instituteur devenu en trois ans : Conseiller général, Conseiller de la République et Maire de sa ville natale.
Mais la griserie des succès passée, après les ovations interminables de la foule en délire dans la Bourse du travail pleine à craquer, les défilés tumultueux sur le port et dans les rues de la ville, il fallut se mettre à la tâche.
Toussaint Merle était bien conscient de l'énormité de ses multiples responsabilités. Il fit front et déploya une prodigieuse activité, ne laissant rien au hasard dans l'extrême diversité des problèmes auxquels il fut confronté.
Avant de parler de ses projets, des grandes étapes de sa carrière administrative et politique, il est indispensable de situer les conditions de la lutte farouche qu'il mena avec ses camarades pour la prospérité de La Seyne et la défense de son idéal.
Tout d'abord, il lui fallut apprendre et comprendre toute la complexité de la législation relative aux collectivités locales. Il devait se familiariser avec tous les rouages de la vie municipale.
Le lendemain de son élection, il dit à son secrétaire, M. Beaussier, en s'installant à son bureau : J'ai passé ma nuit à lire la loi municipale de 1884 ! Il voulait connaître d'abord la théorie et avec sa mémoire prodigieuse des textes, il ne se trouva jamais en difficulté dans les discussions avec des adversaires ou les représentants des pouvoirs de tutelle.
Certes, dans ses déplacements hebdomadaires à Paris, il rencontra de vieux camarades, maires chevronnés de la région parisienne, tels Waldeck L'Huillier, Raymond Barbet, Georges Marrane,... qui lui firent partager une expérience de quarante années de gestion municipale.
Sachant bien que les villes ne s'administrent pas toutes de la même façon, Toussaint Merle étudia à fond le cas particulier de La Seyne qui présentait un double caractère : industriel et touristique.
Et puis il fallait bien comprendre que le Maire n'était plus ce personnage un peu brocardé qui paradait dans la célébration des mariages ou à la distribution des prix du lycée, fier de montrer son écharpe tricolore, laissant le soin à ses secrétaires de régler l'essentiel des problèmes.
La vie communale d'après la guerre allait revêtir des aspects nouveaux de la modernité surtout dans une ville en voie de développement comme la nôtre.
Ne fallait-il pas penser plus qu'autrefois au logement, à l'emploi, à l'enseignement, au développement de la culture, à l'organisation des loisirs de la jeunesse, aux problèmes d'hygiène, au confort des vieux travailleurs ?
Et dans tous les domaines, Toussaint Merle porta ses connaissances à un très haut niveau, ne permettant pas à un adversaire ou à un représentant des pouvoirs de tutelle de lui en remontrer.
Par contre, il était bien armé pour attaquer les autres, les désarçonner, surtout s'il avait décelé chez eux une volonté d'obstruction ou de médisance.
Comme nous le verrons, il fut amené à dénoncer des sabotages, à dévoiler de véritables complots, à fustiger des calomniateurs.
Un autre aspect de la situation à La Seyne en 1947, et non des moindres, ce fut la hargne de ses adversaires vaincus, les socialistes plus particulièrement, qui ne pouvaient supporter de voir la ville gérée par d'autres ; une ville où ils avaient dominé la population sans partage pendant vingt années.
Dans les pages qui vont suivre, nous les verrons se livrer à toutes sortes de compromissions et de bassesses. Comme les représentants de la réaction, ils insultèrent, ils tentèrent de salir Toussaint Merle et les communistes, obéissant ainsi aux ordres d'en haut leur enjoignant à tout prix de barrer la route à ceux que des millions de Français attendaient à l'œuvre.
D'ailleurs, la campagne anticommuniste allait prendre une ampleur inégalée à l'échelle nationale et internationale. Une période néfaste de l'histoire commençait, que l'on appela La guerre froide et dont la conséquence sur la vie communale fut catastrophique.
La carte politique du monde se modifiait de jour en jour. Après l'écrasement du fascisme et du nazisme, les accords de Yalta (toujours en vigueur d'ailleurs !) avaient officialisé la naissance de plusieurs républiques socialistes nouvelles. Les anciens pays dits coloniaux, les empires français, anglais, hollandais disparaissaient ; une multitude d'états nouveaux accédaient peu à peu à l'indépendance au grand dam de la haute bourgeoisie internationale. Les trusts qu'on appelle aujourd'hui les multinationales se déchaînaient pour essayer de conserver leurs privilèges et leurs moyens d'exploitation des peuples opprimés.
Les maîtres du socialisme nous ont appris depuis longtemps que le capitalisme a besoin de la guerre pour se survivre. L'appétit du gain est sa loi. Mais les peuples, dans leur évolution, sont de moins en moins résignés à subir la contrainte des exploiteurs.
Dans cette période qui suivit la deuxième guerre mondiale, on assista à l'éclosion de conflits meurtriers. Les Chinois chassèrent leurs occupants japonais et américains et s'organisèrent en République indépendante en 1950. Pour tenter d'enrayer la poussée du communisme en Corée, les Américains menèrent pendant trois ans une guerre impitoyable. Les incendies de la guerre et de la répression s'allumaient partout. En Indochine, à Madagascar, en Algérie. Qui ne se souvient des massacres de Constantine, de Tamatave ? L'Inde tout entière échappait peu à peu au joug britannique.
En Afrique du Nord, le bouillonnement des partisans de l'Indépendance s'affirmait : en Algérie, en Tunisie, au Maroc.
Terrifiés à la pensée que le communisme pouvait triompher à l'échelle internationale, les tenants du grand capital sous la houlette de l'Amérique des trusts conjuguèrent leurs efforts pour faire échec à une idéologie qui faisait son chemin. Ils envisagèrent froidement le déclenchement d'un nouveau conflit mondial, confiants dans leur supériorité depuis l'usage de la bombe atomique et les hécatombes terrifiantes de Hiroshima et de Nagasaki.
Néanmoins, parmi les stratèges de la haute finance, il y avait des hésitants qui doutaient du succès d'une telle entreprise parce qu'ils avaient constaté que l'U.R.S.S était née de la guerre impérialiste suivie de la prolifération des partis communistes dans le monde ; qu'après la deuxième guerre mondiale, l'immense Chine, les Républiques populaires de l'Europe centrale et les puissants partis communistes de France et d'Italie avaient renforcé puissamment le camp des peuples épris d'indépendance et de paix.
Qui pouvait savoir comment se terminerait un troisième conflit mondial ? Néanmoins les préparatifs s'accomplissaient fébrilement. Les pacifistes du monde entier réagirent et unirent leurs efforts pour empêcher un nouveau cataclysme.
Ce fut alors que fut lancé le fameux appel de Stockholm visant à la mobilisation générale pour arrêter le bras des fauteurs de guerre.
Frédéric Joliot-Curie, Président du Comité mondial des Partisans de la paix proclamait le 18 août 1950 un nouvel appel qui se terminait par ces mots : " Cette paix ne peut être imposée par la force des armes. Elle sera gagnée par l'action concertée et massive des hommes et des femmes de bonne volonté, capables de faire triompher la raison et la justice ".
Pourquoi insistons-nous sur ces problèmes de la paix et de la guerre ? Parce que la politique des gouvernements de l'époque ruinait la France déjà exsangue depuis la fin des hostilités. Toussaint Merle s'évertuait à expliquer à la population dès sa prise de fonction à la Mairie que la reconstitution de La Seyne ne serait pas une mince affaire et que l'union de tous serait nécessaire pour vaincre les obstacles.
Effectivement, il lui fallut une volonté et une puissance de conviction hors du commun pour surmonter toutes les difficultés, déjouer toutes les manœuvres déloyales, mobiliser et galvaniser toutes les énergies pour réaliser les programmes de reconstruction et redonner vie à La Seyne démantelée, ruinée, martyrisée.
Nous allons examiner maintenant quelles furent les grandes étapes de la renaissance de notre terroir, dans leurs grandes lignes seulement, tant la relation des bilans féconds et des réalisations spectaculaires prendrait une place immense.
Ces grandes étapes correspondent à peu près à la durée des mandats électoraux dont les programmes furent généralement dépassés. À chaque fois les conseils municipaux animés par Toussaint Merle eurent des choix à faire,car tout n'était pas possible en même temps. Les options dépendaient en premier lieu des urgences et il y en avait beaucoup.
Situation de la Commune entre 1947 et 1950
Dans le chapitre intitulé Des années dramatiques, nous avons résumé le bilan des destructions et des victimes de la guerre : des milliers d'immeubles attendaient des réparations urgentes, la plupart des bâtiments administratifs étaient inutilisables : Mairie, hôtel des postes, écoles étaient en ruine.
Détruit en 1944, l'hôtel de ville ne fut reconstruit qu'en 1959. Nous reviendrons sur la cause de tels retards. Les réseaux d'eau, des télécommunications, les routes, les rues n'avaient reçu que des réparations sommaires. Sur les quatre écoles primaires, deux étaient sinistrées ; la maternelle Jean Jaurès pulvérisée, comme le furent le Théâtre Comédia, le Patronage laïque.... La plupart des services communaux fonctionnaient dans des locaux désaffectés (rue d'Alsace, rue Messine).
Les œuvres sociales, les équipements sanitaires laissaient beaucoup à désirer ; même sans les sinistres, il aurait fallu les réorganiser et les étendre. La vie culturelle et artistique était à créer.
Le stade de la Canourgue et le sous-sol poussiéreux de l'école Martini, seuls équipements sportifs, ne correspondaient plus aux nécessités nouvelles.
Si, avant la guerre, le problème du logement social n'avait pas été posé, il n'en était pas de même aujourd'hui.
Voilà résumées dans leurs grandes lignes les lacunes et surtout les besoins d'une population endeuillée par surcroît par la mort de plusieurs centaines de ses fils.
Ce triste bilan fut rappelé par Toussaint Merle au cours de la première réunion du Conseil municipal après l'élection du 19 octobre 1947. Mais, dit-il à ses collègues, " de tous les problèmes que je viens d'évoquer il y en a deux plus importants que les autres et qui doivent faire l'objet de toute notre attention : il s'agit de l'eau et de l'assainissement. Rien de grand ne pourra se faire à La Seyne si l'eau n'y arrive pas en abondance. Inutile de parler d'urbanisation, de logements sociaux, d'équipements sanitaires si nous n'avons pas d'eau. L'assainissement sera irréalisable sans une eau abondante ". C'était l'évidence.
Il y avait une autre évidence que Merle expliqua à son auditoire avant d'en convaincre la population. Il n'y aurait pas de véritables réalisations municipales sans crédits pour les œuvres de vie. Or, nous l'avons dit, l'État dépensait chaque jour des milliards pour la guerre, d'où la nécessité pour les communes de mener le combat en faveur d'une politique de paix.
Et voilà comment, malheureusement, les réalisations municipales étaient conditionnées par la politique guerrière des gouvernements qui se succédaient depuis l'éviction des ministres communistes.
Dans cette période, les pouvoirs publics refusèrent à la ville un emprunt de 10 millions pour construire huit classes nouvelles absolument nécessaires. Depuis 1945, le ministère de l'Éducation nationale refusait pour l'école Martini la création des classes de préparation au baccalauréat. Beaucoup de Seynois ignorent qu'il fallait envoyer les enfants à Toulon pour préparer leur diplôme.
Toussaint Merle proposa au Conseil municipal de payer des heures d'enseignement à quelques professeurs. Autrement dit, le baccalauréat était préparé aux frais de la commune. Après une quinzaine de succès et vingt-cinq inscriptions à la rentrée d'octobre 1948, le ministère de l'Éducation nationale finit par admettre le bien-fondé des revendications municipales et prit enfin à sa charge les dépenses de personnel.
Pour en arriver à ce résultat, il fallut multiplier les tracts, les articles de presse, les interventions publiques, les délégations. Chaque jour Toussaint Merle écrivait pour dénoncer la malfaisance de la politique gouvernementale.
Après les trois premières années de mandat, la vie locale avait été remise en route. De grands efforts avaient été faits en matière de voirie et cependant ces travaux étaient constamment remis en cause par le rétablissement des réseaux d'eau, de gaz, d'électricité.
Le service du nettoiement fonctionnait normalement, mais le Torpilleur passait toujours dans les rues de la ville dès potron-minet. Toutefois un progrès avait été réalisé : les véhicules à vidange motorisés avaient remplacé le cheval de Finette, et d'Isabelle, personnages que nous avons évoqués par ailleurs (Voir Toupines, torpilleurs, émissaire commun, Tome I des Images de la vie seynoise d'antan).
Un corps de sapeurs-pompiers avait été mis sur pied disposant de 3 motopompes, d'un fourgon d'incendie, d'une jeep. Malgré la modicité de ses moyens, il intervint 79 fois en deux ans pour combattre des incendies de forêt ou d'immeubles.
Toutes les rentrées scolaires furent effectuées grâce aux réparations d'urgence.
Des écoles provisoires en préfabriqué permirent l'accueil de tous les enfants. On put ainsi ouvrir des écoles dans les quartiers périphériques : Berthe, Les Plaines, Les Sablettes et remplacer des écoles sinistrées : maternelle Jean Jaurès, école Ernest Renan.
Signalons au passage que ces constructions obtenues dans le cadre d'une aide aux villes sinistrées devaient être prises en charge par l'État. Comme il y a souvent un grand écart entre les promesses et les actes, au bout de quelques années, l'État signifia aux villes de payer ces écoles puisqu'elles étaient communales. Par surcroît, les subventions d'équilibre dont les villes sinistrées avaient bénéficié au lendemain de la guerre furent supprimées, ce qui donna au Maire Toussaint Merle l'occasion de dénoncer les carences du Pouvoir.
Les écoles provisoires, dont quelques classes dureront plus de 20 ans, Toussaint Merle refusa obstinément de les payer.
Le problème du relogement avait retenu toute l'attention de la Municipalité. Il n'était pas simple à résoudre : des gens étaient sans abri convenable, mais les pouvoirs de réquisition n'étaient pas donnés aux Maires. De ce fait, de nombreuses villas restaient inoccupées. Sur des centaines de demandes de logement, quelques dizaines seulement furent satisfaites.
Les motifs de mécontentement de la population demeuraient nombreux : insuffisance de logement, difficulté de ravitaillement, mauvaise qualité de certains produits (lait pour les enfants par exemple).
La Municipalité devait donc lutter sur tous les fronts. Malgré les lenteurs administratives, les mauvaises volontés, beaucoup de réalisations furent apportées dans les domaines les plus divers : sport, fournitures scolaires, cantines, hygiène, patronage laïque, ambulance municipale,...
Tout aurait été plus simple évidemment si les milliards de la guerre ne s'étaient pas envolés en fumée, en destructions, en meurtres, en abominations de toutes sortes.
Le 18 août 1950, le Comité Mondial des Partisans de la Paix lança un appel pour la convocation d'un congrès mondial dans la perspective d'arrêter les conflits, les interventions dans les affaires des peuples, la cessation de la guerre de Corée. Il demanda au Conseil de Sécurité de l'O.N.U. de se saisir immédiatement de ces problèmes et parallèlement il appela les groupements politiques, les syndicats, les associations de toute obédience à faire signer l'Appel de Stockholm partout dans le Monde et à organiser des votes pour la Paix.
Cet appel fut entendu par la Municipalité qui permit aux militants pacifistes d'utiliser un local municipal pour laisser s'exprimer les citoyens. Des milliers d'autres municipalités firent de même.
Qui aurait pu imaginer qu'un gouvernement userait de la répression contre cette propagande pacifiste ?
Toussaint Merle et l'Adjoint Guittat, délégué à Saint-Mandrier, furent suspendus de leurs fonctions pendant un mois.
Néanmoins, 7173 seynois avaient dit oui à la Paix. Ce faisant, ils avaient protesté contre la renaissance du militarisme allemand, du fascisme, du nazisme. Comme on les comprend !
Et les mesures répressives continuèrent de plus belle contre les communistes. Les manifestations furent interdites, les tracts saisis par la police ; les perquisitions, les vexations en tout genre se multiplièrent contre les honnêtes gens.
Le 23 avril 1950, le Conseil municipal de La Seyne était dissous. Le ministère de l'Intérieur avait pris cette décision en vue d'ériger l'agglomération de Saint-Mandrier en commune. Le but de cette opération fut surtout de porter un coup supplémentaire à la Municipalité communiste.
Il fallut procéder à de nouvelles élections : le 18 juin 1950 après une campagne électorale enflammée, enthousiaste mais correcte, la population seynoise répondit au décret du ministre, aux provocations des dirigeants R.P.F., aux calomnies de la presse, aux ordres, en réélisant la liste d'Union Républicaine et Résistante avec un gain de 905 voix et un siège supplémentaire.
La petite agglomération de Saint-Mandrier se donna une municipalité dite socialiste, avec un maire, dont le premier souci fut de faire disparaître des murs la place Gabriel Péri et de lui substituer la place des Résistants.
Sans doute redoutait-il qu'un jour ses concitoyens apprennent que ce patriote, ancien élève des Maristes, était tombé en 1941 sous les balles allemandes, en chantant la Marseillaise, après avoir repoussé avec mépris des propositions de reniement de son idéal communiste en échange de sa vie.
Beaucoup de professionnels de la politique n'auraient pas été capables d'agir ainsi !
Les affaires municipales entre 1950 et 1960
Les élus minoritaires du Conseil municipal assistaient rarement aux séances de travail. La presse anticommuniste qu'ils alimentaient chaque jour de calomnies, d'insultes les plus grossières inspirées d'une haine mortelle, se livrait à un travail de sape des réalisations municipales et, malgré cette virulente opposition, la solution des problèmes avançait.
Dans cette période troublée, les Seynois virent la naissance d'une multitude de structures : centre de protection maternelle et infantile (P.M.I.), Centre médico-social, Centre médico-scolaire, jardin d'enfants, école de plein air, centre de gymnastique corrective, première crèche municipale, écoles de sport, office municipal du logement, etc. Nous ne pouvons donner ici que l'essentiel.
Sur le plan scolaire, l'œuvre accomplie fut immense : modernisation des écoles existantes, transformation du cours complémentaire de filles en collège, aménagement de salles spécialisées (sciences, dessin, cours professionnels).
Développement considérable de la Caisse des Écoles avec ses colonies de vacances, ses restaurants scolaires, ses distributions de livres et de cahiers presque gratuites.
Dès les premières années de leur mandat, Toussaint Merle et ses coéquipiers s'étant révélés comme des hommes d'action et des réalisateurs, leurs adversaires se répandirent en sornettes et critiques de mauvaise foi estimant démagogiques et trop coûteuses toutes les réalisations à caractère social.
Ce fut avant tout sur le terrain politique qu'ils voulurent porter leurs coups. Ils cherchaient à effrayer et ameuter la population sur les dangers de la politique des communistes qui, d'après eux, n'étaient que des pillards et surtout des agents de l'étranger.
Cette expression avilissante, Noël Verlaque, ingénieur en chef des Forges et Chantiers, l'utilisait pour apeurer la classe ouvrière en dénonçant les dirigeants syndicalistes des années 1872 alors qu'ils luttaient pour la loi des 10 h du travail quotidien.
Cette expression, les journaux réactionnaires de 1914 l'utilisèrent contre Jean Jaurès, apôtre de la Paix.
Tous ceux, journalistes ou hommes politiques, qui argumentaient de cette manière étaient très mal placés pour porter de telles accusations.
Situons les problèmes de cette période d'après-guerre dans leur contexte réel.
On sait que les capitalistes américains réalisèrent des profits fabuleux pendant la dernière guerre et qu'ils développèrent considérablement leur appareil de production. La guerre terminée, ils souhaitaient continuer à empocher d'énormes bénéfices. Pour ce faire, ils n'hésitèrent pas à se porter candidats à la direction politique du monde.
À partir de là, les alliés occidentaux se plièrent à toutes leurs exigences : asservissement économique avec le fameux Plan Marshall, Pacte atlantique, réarmement de l'Allemagne, appui systématique à toutes les dictatures fascistes.
Dans ces conditions, on assista au relèvement rapide de l'Allemagne de l'Ouest, alors que la France attendait le bénéfice des réparations de guerre (comme en 1918 d'ailleurs !). Les gouvernements de la IVe République, surtout depuis l'éviction des ministres communistes, se trouvèrent dans l'incapacité d'assurer le redressement économique du pays.
Le sort des municipalités et naturellement de notre ville de La Seyne dépendait essentiellement de leur politique d'asservissement aux exigences des milliardaires américains, ceux qui depuis ont donné naissance aux multinationales d'aujourd'hui.
Il fallait donc expliquer cela patiemment à la population et montrer concrètement la cause des difficultés de gestion des municipalités de quelque tendance qu'elles fussent.
Les partis de la bourgeoisie, des profiteurs de la guerre, des exploiteurs, des colonialistes, hurlaient contre les communistes français, les accusant de porter atteinte à la sûreté de l'État. Il n'est pas inutile de rappeler ici les évènements de l'année 1952 avec ce qu'on appela le Complot des pigeons voyageurs dont la première victime fut Jacques Duclos. Au retour d'une promenade à la campagne, un certain dimanche, des amis lui avaient offert une paire de pigeons domestiques. Son véhicule, intercepté par la police au moment de réintégrer son domicile fut fouillé et les pigeons en question furent baptisés pigeons voyageurs. À partir de là, il n'y eut pour la police et la justice qu'un pas à franchir pour accuser Jacques Duclos d'intelligences avec un pays étranger. Opération lamentable et odieuse qui le conduisit en prison pour plusieurs semaines.
Toussaint Merle prononçant le discours du 14 juillet 1952 devant le Monument aux Morts (Extrait d'un film d'Alex Peiré) |
Un scandale analogue se produisit à Toulon dans le même temps. Des militants communistes par dizaines furent arrêtés pour avoir assisté à des manifestations pacifistes, d'autres pour avoir, paraît-il, sorti des armes de l'Arsenal.
Un juge d'instruction particulièrement zélé voulut à tout prix trouver des coupables. Avec ses accents provocateurs, il espérait obtenir des aveux. Comme cela fut impossible parce qu'il n'y eut jamais de trafic d'armes, le juge fut ridiculisé et dessaisi de cette affaire rocambolesque que la justice dut enterrer au bout de quelques semaines.
Mais les militants communistes de l'époque n'ont pas encore oublié que le secrétaire de la Section socialiste réclamait publiquement au gouvernement l'arrestation du Maire, du secrétaire du Parti communiste et du secrétaire de l'union locale des syndicats.
Les organisateurs de ces querelles déloyales, de ces complots odieux ne voulaient pas voir qu'après des siècles d'exploitation éhontée, les peuples aspiraient à l'indépendance. Quand le peuple américain conquit la sienne en 1783, il n'y avait pas alors de Parti communiste pour l'inciter à la lutte.
Les grands empires coloniaux s'effondraient en Asie comme en Afrique. Dans tous les pays libérés du joug du nazisme, les grands feudataires, les hobereaux furent dépossédés de leurs domaines au profit de la nation. La partie de l'Allemagne de l'Est libérée par l'armée soviétique, fut effectivement désarmée, dénazifiée, démocratisée conformément aux accords de Yalta.
Il n'en fut pas de même du côté occidental où l'on tenta de dresser les vaincus contre les libérateurs venus de l'Est contraints de mater des soulèvements à Berlin et surtout en Hongrie où les nazis relevèrent la tête.
De 1947 à 1954, la guerre d'Indochine avait fait rage. Depuis 1954, la France était engagée dans le conflit algérien qui devint une véritable guerre. On comprend aisément l'incidence de ces conflits sur l'économie française que les gouvernements de la IVe République ne parvenaient pas à redresser.
Il est bien évident que cette atmosphère de guerre, de mesures répressives, de complots permanents, ne pouvait que contrarier la solution des problèmes urgents qui se posaient à l'attention des populations.
Toussaint Merle et son équipe faisaient front avec une ténacité admirable pour expliquer les difficultés et surtout dénoncer la malfaisance de leurs adversaires politiques.
De cette période de dix années qui suivirent la fin de la guerre, nous ne nous attarderons que sur quelques dates saillantes de la vie communale étroitement liées à la vie nationale. Il s'agira surtout de luttes électorales sévères, déterminantes pour l'avenir de La Seyne que le Parti communiste et la Municipalité menèrent rondement avec la population ouvrière.
Les électrices et les électeurs seynois furent appelés aux urnes sept fois entre 1950 et 1960 : deux fois pour des élections municipales, trois fois pour des législatives, une fois pour des cantonales, une fois pour le référendum de 1958 à l'origine de la Ve République.
L'élection municipale du 26 avril 1953
(Voir également notre chapitre sur les élections municipales de 1953)
Les adversaires de Toussaint Merle et de la Municipalité sortante s'étaient juré d'unir leurs efforts pour vaincre à tout prix ceux qu'ils appelaient les agents de Moscou, personnages incapables, disaient-ils, d'assurer une bonne gestion par leur politique ruineuse et vouée à l'aventurisme total.
(Remarquons au passage que la politique novatrice de Saturnin Fabre à la fin du XIXe siècle fut appréciée de la même manière par ses adversaires).
Leur tactique consista à rassembler des socialistes d'avant la guerre sous la houlette d'Albert Lamarque, premier adjoint de l'ancienne Municipalité, auxquels on associa de nombreux gaullistes du Parti R.P.F. C'était l'union des socialistes et de la réaction classique, que le P.C.F. dénonça aussitôt.
S'adressant aux électeurs socialistes, la section locale du P.C. leur montra de façon éclatante la collusion entre le P.S. et le gouvernement anti-ouvrier qui s'enlisait dans les expéditions coloniales.
« Votre parti est absent de la Campagne électorale, disait un document du moment ! Il n'y a pas de liste socialiste ! La liste présentée par M. Lamarque est celle du gouvernement ! ».
Un journal spécial, intitulé Libérons La Seyne, fut édité par la liste unique d'intérêt local. Il tentait de prouver que la Municipalité d'avant-guerre avait résolu les principaux problèmes municipaux, propagande réfutée par Toussaint Merle qui montrait les retards accumulés en matière d'urbanisme, de scolarité, de logement, d'eau, d'assainissement, etc...
Trois listes se trouvèrent en lice :
Les électeurs, dans leur grande majorité, n'apprécièrent guère le style venimeux et ordurier des protagonistes de la " Liste Unique ".
Le scrutin proportionnel apporta :
- 6 215 voix à la liste Toussaint Merle
- 4 200 voix à la liste Albert Lamarque
- 764 voix à la liste Désiré Reynaud.
La répartition des sièges donna : 15 élus à la liste d'Union Ouvrière et Démocratique, 11 élus à la liste Unique allant des socialistes aux R.P.F., 1 élu de la liste indépendante.
Autrement dit, la liste conduite par Toussaint Merle sortit considérablement renforcée de cette consultation de 1953, avec 15 élus majoritaires contre une opposition de 12 élus.
Elle se remit ardemment à l'ouvrage pour réaliser ses engagements. Mais sa tâche ne fut pas simplifiée, l'adversaire se livrant par tous les moyens à une opposition systématique le plus souvent sans raison valable.
En accord avec les pouvoirs de tutelle, les élus minoritaires se livraient à de véritables sabotages : des subventions primitivement accordées aux œuvres sociales furent amputées par la Préfecture, le fonctionnement des colonies de vacances fut sérieusement entravé ; les crédits nécessaires à l'impression du Bulletin municipal furent supprimés, ce qui revenait à interdire à Toussaint Merle de rendre compte à ses électeurs du travail accompli par les élus.
Pendant une longue période, les pouvoirs de tutelle, les responsables socialistes et réactionnaires, certains fonctionnaires de la police se liguèrent contre la Municipalité et jouèrent abusivement de l'obstruction.
Mais cette tactique ne fut pas payante pour autant. L'année 1955 en apporta la preuve certaine.
Toussaint Merle, de nouveau candidat au Conseil général, battit le socialiste Eugène Montagne et le réactionnaire Paul Pietrera, le 17 avril. Il retrouvera le siège qu'il avait perdu en 1949.
Le nombre de voix du Parti communiste passa de 5 629 à 7 085. Les anciens se souviennent de ce meeting à la Bourse du travail, au cours duquel Jacques Duclos, de sa voix d'orgue tonitruante, recommanda aux Seynois de « renvoyer le candidat Montagne à l'alpinisme ».
Toussaint Merle reprit son rôle éminent au Conseil général du Var au sein d'une multitude de commissions : finances, transports, tourisme, travaux publics, bâtiments départementaux, vicinalité, etc...
Arrêtons nous maintenant sur une date capitale pour la suite de notre récit.
Toussaint Merle, Député du Var
L'année 1956 débuta par une campagne électorale, le 2 janvier précisément.
Depuis 1947 où l'on vit le départ des ministres communistes du gouvernement Ramadier, exclus pour leur opposition à l'intervention militaire en Indochine, les Français virent se succéder une kyrielle de Présidents du Conseil qui s'appelaient R. Schuman, A. Marie, H. Queuille, R. Pleven, E. Faure, A. Pinay, R. Mayer, J. Laniel. Certains d'entre eux étant revenus au pouvoir deux et même trois fois, on compta 14 ministères en 10 ans et bien évidemment cette instabilité ne pouvait pas être bénéfique pour le pays.
Suivant les injonctions des boutefeux d'Amérique, la France s'embourbait dans une politique de guerres ruineuses, désastreuses pour son économie. La reconstruction n'avançait pas, la misère s'étendait dans le foyer des travailleurs, les paysans souffraient de la mévente, l'artisanat et le petit commerce végétaient : la récession se faisait sentir dans l'industrie et l'on parlait déjà de licenciements dans la construction navale. Aussi, les élections du 2 janvier furent marquées par des succès importants du Parti Communiste Français qui obtint plus de 5,5 Millions de suffrages et 150 députés.
Dans le département du Var, le P.C. compta deux députés sur 5 sièges : Jean Bartolini et Toussaint Merle.
Jean Bartolini et Toussaint Merle Députés de la IIIe législature (1956-1958) [Site de l'Assemblée Nationale] |
À La Seyne, la candidature Toussaint Merle obtint 7 601 voix, soit 55 % des suffrages exprimés. Le Parti socialiste totalisait 2 585 voix soit 19 %, les candidats radicaux 12 %, les candidats de droite environ 13 %.
Le Maire de La Seyne ayant obtenu la majorité absolue, il est certain que ce résultat allait conforter sa position dans sa commune, dans son canton, dans son département. Voilà donc Toussaint Merle responsable de trois mandats électifs et non des moindres. Son influence allait s'étendre à d'autres couches de la population à toutes les corporations dont les revendications grandissaient de jour en jour à la mesure de la dégradation générale de cette pauvre IVe République, décriée, sabotée par les héritiers du pétainisme qui préparaient fébrilement sa chute.
Ce succès sans bavures avait laissé tout pantois les adversaires politiques de Toussaint ; c'est ainsi qu'on l'appelait de plus en plus dans tous les milieux. Sa popularité grandissante, c'est bien cela qui les inquiétait. Les correspondants de presse du Méridional, de République, du Provençal dans les jours qui suivirent l'élection, avaient quelque peu édulcoré leurs injures et leurs calomnies à l'adresse du Maire et du Conseiller général devenu député. Ils se promettaient de revenir à la charge, mais en attendant, la confiance de la population seynoise s'affirmait de jour en jour envers celui qui défendait sans relâche la classe ouvrière. Déjà, il avait alerté les ouvriers sur les dangers qui menaçaient la construction navale.
N'avait-il pas été à la pointe du combat pour la défense de l'École Laïque, des constructions scolaires, du personnel enseignant ? Jamais les instituteurs, les professeurs en aussi grand nombre n'avaient participé aux comités de soutien de sa candidature.
Les paysans, les pêcheurs, les artisans et les commerçants, les Anciens Combattants, les retraités, les jeunes, tous regardaient vers lui pour faire avancer leurs problèmes et défendre leurs justes revendications.
Aussi ce fut dans l'enthousiasme général que le succès du 2 janvier fut fêté à La Seyne. L'hôtel de ville n'étant pas encore reconstruit (les Seynois attendaient depuis 12 ans les subventions nécessaires et les Toulonnais attendront beaucoup plus !), ce fut donc à la bourse du travail que les foules se rassemblèrent dans un accueil délirant d'allégresse pour fêter le succès incontesté du Parti communiste, de la Municipalité, et de leur représentant vénéré Toussaint Merle.
Les orateurs qui se succédaient, tout en se réjouissant des résultats obtenus, attiraient surtout l'attention des auditoires sur le proche avenir lourd de menaces pour la République et sa constitution démocratique.
Les menaces de complot se précisaient. Les divisions s'accentuaient au sein d'une classe ouvrière menacée de plus en plus par le chômage. Plus que jamais le Peuple avait besoin de s'unir pour sortir le pays de l'ornière.
Avant de prendre le chemin du Parlement, Jean Bartolini et Toussaint Merle parcoururent les principales localités du Département et nouèrent des contacts cordiaux avec les municipalités, les associations de toute nature à caractère économique, culturel, revendicatif, les personnalités, se mettant au service de tous, pour la défense de toutes les causes justes.
Élus du peuple, ils jouèrent pleinement leur rôle. Bartolini, pour sa part, avait déjà ses preuves puisqu'il avait été l'élu des Seynois pour la première fois en 1935.
Mais dans la période que nous évoquons ici, Toussaint Merle avait la charge de trois mandats et nous allons faire revivre pendant quelques instants ce que fut sa vie militante avec ses aspects passionnés, enthousiastes ; mais aussi ses côtés décevants, harassants.
Pour supporter le train de vie que nous allons décrire, il faut d'abord une santé à toute épreuve, mais hélas ! nous savons que le surmenage vient tout de même à bout des plus robustes.
Dans cette période, les parlementaires voyageaient par le train. Quand la stabilité politique paraissait assurée, les députés passaient généralement quatre jours à Paris pour assumer leurs fonctions : participation aux débats de l'Assemblée Nationale, aux commissions de travail, interventions dans les ministères, réunions des groupes politiques. Toussaint Merle suivait de très près les dossiers administratifs relatifs à la commune et au Conseil général. Il ne se privait pas de bousculer les lenteurs et de dénoncer les carences.
En quelque lieu qu'il se trouvât, il observait, il écoutait, il raisonnait, il déduisait ; prenait des notes, il tirait parti des réflexions de ses interlocuteurs. Il ne s'arrêtait pas d'écrire, de parler, de discuter, de convaincre.
Rentré dans sa chambre le soir, il mettait ses notes à jour, il téléphonait, classait sa volumineuse correspondance. Le courrier arrivait de toutes parts : du Parlement, du Conseil général, et surtout de La Seyne.
Même absent de la commune, il tenait à savoir ce qui s'y passait, ce que la presse adverse écrivait et il préparait toujours ses réponses acérées.
Il travaillait beaucoup et dormait peu.
Le Samedi, à peine débarqué du train, il lui arrivait, en cas d'urgence de passer au siège de la Fédération du Parti avant de rentrer chez lui. Sans maugréer, il acceptait de repartir le soir même assurer une réunion publique dans le département ou de se préparer pour le lendemain dimanche. Les militants de cette époque avaient reçu l'enseignement de Gabriel Péri qui galvanisait les énergies en s'écriant : « Quand on est au Parti, on ne débride pas ! ».
Le dimanche matin, il le passait généralement parmi ses camarades qui l'entouraient sur le marché, dans la rue Cyrus Hugues, sur le port. Ses amis venaient vers lui chaleureusement et le pressaient de questions sur la vie parlementaire, sur la situation politique. Tous l'écoutaient passionnément et il informait de la façon la plus vivante la population seynoise de cette vie toute nouvelle qu'il venait de découvrir : la trame des évènements, les incertitudes qui planaient sur le pays avec les foyers de guerre.
Il dira plus tard qu'au Parlement, il trouva surtout des foyers permanents d'intrigues, et que les satisfactions les plus pures qu'il éprouva dans ses activités furent celles de l'administration municipale : « Là, au moins, disait-il, on établit des projets avec les gens, on en suit au jour le jour la réalisation et quand on s'aperçoit au bout du compte que la vie des habitants (des anciens, des jeunes, des écoliers, des travailleurs quels qu'ils soient...) a été améliorée, alors on éprouve de grandes joies ».
Après chaque week-end fugitif, il avait passé quelques heures à peine en famille, avec sa femme, accablée elle aussi de tâches écrasantes. Car Malou, son épouse institutrice, tout en exerçant sa profession avec une probité scrupuleuse, assumait la marche de la maisonnée de façon exemplaire. Ses soucis n'étaient pas de même nature, mais elle en avait beaucoup elle aussi.
Ils avaient tout de même trouvé le temps de faire le point sur le travail des enfants à l'école et malgré les vicissitudes de cette vie familiale si profondément troublée, leur avenir demeurait la priorité.
Chaque lundi, Toussaint Merle reprenait le chemin de la capitale. Au sortir de la gare de Lyon, il empruntait le Métro pour la banlieue.
Un ménage de vieux retraités lui avait offert pendant les sessions parlementaires une chambre et le petit-déjeuner du matin. Ces bons camarades n'acceptaient même pas de rétribution en échange de leur service : « Il faut bien aider le Parti, disaient-ils ! ».
Toussaint les voyait toujours à la sauvette en échangeant quelques propos sur les évènements ou sur la grisaille du ciel de Paris à laquelle il eut beaucoup de mal à s'adapter. Entre les séances de l'Assemblée Nationale, quand les horaires le permettaient, il lui fallut aussi se consacrer à l'Amicale des élus républicains municipaux et cantonaux, organisme qui rayonnait sur la France entière.
Membre du bureau de cette association pendant plusieurs années, le Parti communiste avait pensé qu'en raison de ses aptitudes remarquables d'administrateur, il pourrait en devenir un jour un de ses dirigeants nationaux.
Dans les périodes où il ne fut pas élu parlementaire, les affaires municipales lui prenaient la majeure partie de son temps. Levé de très bonne heure, il écoutait les premiers bulletins d'information à la Radio, puis s'en allait prendre les journaux. Avant huit heures, il en avait lu deux ou trois.
Arrivé à son bureau avant la rentrée du personnel, il allumait ses premières cigarettes qui se consumaient à ses lèvres et les cendres s'en répandaient sur son costume, à son insu.
Il exigeait que le courrier municipal lui soit apporté sans retard, il le dépouillait, en prenait connaissance avec l'aide de sa secrétaire. Il annotait, soulignait écrivait en exergue les réponses à faire. Puis les familiers du bureau entraient : secrétaires généraux, directeurs des services techniques, adjoints,... une courte réunion se tenait pour examiner les problèmes les plus urgents dont il fallait s'occuper sur le champ.
Quand le point était fait sur la situation quotidienne, chacun s'en allait de son côté exécuter les décisions prises d'urgence. C'était en quelque sorte un travail de déblaiement quotidien qui n'excluait certes pas le fonctionnement des structures classiques : conseil d'adjoints, commissions de travail, réunions des chefs de services, etc...
Signalons au passage la présence aux côtés du Maire des principaux fonctionnaires communaux qui lui apportèrent leur parfaite intelligence des affaires publiques, leur collaboration efficace de tous les instants et leur dévouement inlassable aux justes causes de la ville.
Les noms de MM. Eugène Beaussier, Georges Bender, Pierre Chambon, secrétaires généraux ; de MM. Aimé Molinari et Raymond Gay, directeurs des services techniques, de Mlle Marie-Louise Rouvier et de M. David directeurs du centre médico-social, Simone Ferrero, dirigeante de la Caisse des écoles, Robert Pastorino et Hebréard, chefs du service de l'état civil, Provençal et Varey, spécialistes des finances, et de bien d'autres, resteront attachés intimement à l'histoire de La Seyne surtout dans la période de son ascension fulgurante (1950-1980) dont ils furent avec les élus du moment les meilleurs artisans.
Mais reprenons l'emploi du temps quotidien à l'hôtel de ville.
Toussaint Merle n'avait pas assez de son temps dans la matinée pour écrire ses articles de presse, ses circulaires, tenir à jour sa correspondance incroyablement féconde. Encore lui arrivait-il d'écrire tout en écoutant des quémandeurs qui avaient sollicité des audiences.
Ne fallait-il pas aussi recevoir des doléances de la population ? S'informer de l'avancement des travaux en visitant les chantiers ? Ne fallait-il pas préparer les interventions, les réunions internes, les réunions publiques, ce qui exigeait la recherche constante d'une documentation.
Les après-midi étaient remplis tout aussi bien que les matinées. Aux charges de la ville s'ajoutaient celles du canton.
C'étaient alors les déplacements : vers les pêcheurs, les cultivateurs, les syndicats ouvriers, les écoles.
Le travail administratif terminé, commençait alors le travail politique, les visites dans les organismes du Parti à travers le Département où il fallait expliquer, convaincre, galvaniser les militants. Il n'était pas rare que Toussaint rentre à deux heures du matin. Mais, à 8 heures, on le trouvait à son bureau de l'hôtel de ville.
Xe anniversaire de la Municipalité
Rappelons-nous qu'après les élections municipales du 19 octobre 1947, la Municipalité fut installée le 25 du même mois. Dix années s'étaient donc écoulées et Toussaint Merle décida à juste titre de fêter le Xe anniversaire de la Municipalité à direction communiste.
Dix années de luttes extrêmement sévères dont nous n'avons pu donner qu'un bref résumé. Un modeste bulletin municipal fut édité à cette occasion. Vingt-cinq articles de presse donnèrent le bilan d'activités des élus de cette époque.
Il est bon d'en rappeler le contenu, même succinctement, moins pour les anciens qui vécurent cette période difficile pour notre ville, que pour les jeunes qui ne pourraient pas comprendre, et surtout ceux intégrés à la population depuis peu de temps.
Ce bilan notait la progression constante des élus communistes et apparentés à chaque élection. Cela malgré les calomnies, les répressions policières et l'action des " nervis " rétribués qui soutenaient les adversaires de la Municipalité, malgré les sabotages à tous les niveaux des élus de l'opposition.
Un simple rappel qui en dit long dans sa brièveté. Le 22 février 1950, un certain Midon qui se disait socialiste déclarait : « M. le Maire, votre budget est excellent. Mais nous ne le voterons pas, parce qu'il est présenté par des Communistes ».
- Sans commentaire !
Néanmoins 10 budgets furent votés qu'il fallut défendre vigoureusement auprès des Préfets et sous-préfets désireux de « couper » dans les crédits à caractère social.
Ils permirent la réalisation de travaux divers et fort nombreux : Aménagement de ports, du camping de Janas, du foyer des vieux, du club nautique, du service incendie,... construction d'écoles : la Rouve, François Durand, les Sablettes,... classes de dessin, jardin d'enfants, école de plein air, etc... L'activité de la Municipalité avait touché tous les domaines de la vie seynoise.
En 1948, ce fut la création de l'office municipal des sports (O.M.S.) puis l'acquisition du terrain de la Muraillette, puis la création des premières écoles municipales de sport, puis l'agrandissement du centre de gymnastique corrective.
De droite à gauche : M. Petit, Inpecteur de le Jeunesse et des Sports, Paul Pratali, 1er adjoint, Toussaint Merle, maire (Début années 1950, sur la piste cendrée du stade de la Canourgue) |
En 10 ans, le réseau d'eau fut considérablement étendu. L'eau a été amenée en 1949 dans les quartiers les plus éloignés : La Rouve, Balaguier, Tamaris,... en 1950 au quartier Sainte-Anne, au Pont de Fabre,... Le nombre des abonnés avait doublé et la consommation triplée avec 1 114 229 m3. Un nouveau réservoir fut construit à la Colle d'Artaud.
Les réseaux d'assainissement (urbain et suburbain) prirent en même temps une extension rapide.
L'année 1948 vit la création de l'office municipal H.L.M. Les premiers groupes de logements sortirent de terre à La Rouve, au quartier Saint-Antoine, à Cavaillon. Les quelques dizaines de logements sont devenus des milliers avec la Z.U.P.
La Municipalité fit beaucoup pour des réalisations à caractère social comme la Caisse des Écoles qui s'occupait des fournitures scolaires gratuites, des colonies de vacances, du patronage laïque, des restaurants scolaires, etc...
Le 18 juin 1950, le projet de centre médico-social fut présenté au Conseil municipal. Depuis, des dizaines de milliers de Seynois et de Seynoises en ont apprécié les bienfaits. Il y aurait beaucoup à écrire dans ce domaine sur les obstructions soulevées par l'Administration et quelques médecins mécontents. L'année suivante, ce fut la création du centre de protection maternelle et infantile (P.M.I.) qui rend depuis des services inestimables à la population. Le service social municipal fut étendu et diversifié.
En 1953, fut approuvé le projet de construction du centre médico-scolaire, considéré comme un chaînon supplémentaire du réseau social.
Lors de l'inauguration de cette structure capitale pour l'enfance et la jeunesse, le Directeur régional de l'hygiène scolaire devait déclarer dans son allocution :
« M. le Maire, depuis douze ans que je suis dans le Sud-Est vous m'avez donné ma première satisfaction ! ».
Puis vint le tour de la crèche municipale en 1958, nouvel exemple que La Seyne offrit au département avec une construction moderne, spacieuse, accueillante à tous égards.
Nous aurions pu allonger considérablement l'énumération de tous les projets réalisés dans tous les domaines de la vie communale, émaillés de statistiques et d'illustrations convaincantes.
Le barrage de Malpasset - Une redoutable intervention
Le 12 DÉCEMBRE 1955 T. MERLE disait :
" Il nous faut faire quand même une comparaison entre les sommes inscrites au budget pour Malpasset, que nous approuvons du point de vue financier, mais que nous ne pouvons pas approuver en tant que gestion... »
ET IL AJOUTAIT :
" Si une commune avait agi de la sorte dans ses travaux, il est bien certain que les pouvoirs de tutelle n'auraient jamais accepté une telle situation ».
LE MEME JOUR, QUATRE ANS AVANT LA CATASTROPHE, T. MERLE AVERTISSAIT LA MAJORITÉ DU CONSEIL GÉNÉRAL EN CES TERMES :
" On nous parle d'un crédit de deux millions pour l'étude des déformations du barrage. Il n'est pas possible que, plusieurs mois après la fin des travaux, on n'ait pas commencé l'étude des déformations. Qu'est-ce que le Conseil Général a prévu actuellement ? Les travaux étant terminés, avec ou sans réception provisoire, a-t-on dégagé la responsabilité de l'entreprise qui a effectué les travaux ? Si on a fait la réception provisoire, quand fera-t-on la réception définitive ? ».
" Par conséquent, le bureau du Conseil Général RESTE SANS CONTRÔLE TECHNIQUE puisque, si j'en crois le budget, on n'a pas encore entrepris l'étude des déformations. Et si on n'en est pas encore à la réception, le bureau du Conseil Général laisse sans SERVICE D'ENTRETIEN et sans SERVICE D'EXPLOITATION la pièce maîtresse de l'aménagement de l'Est du département ».
ET T. MERLE CONCLUAIT, CE JOUR-LÀ, EN DES TERMES QUE DEVAIENT, HÉLAS ! JUSTIFIER LES ÉVÈNEMENTS :
" Je pense donc que L'AFFAIRE DE MALPASSET N'A PAS ÉTÉ MENÉE, il faut le dire, DANS DES CONDITIONS SUFFISANTES DE SÉRIEUX ».
Les conseillers généraux S.F.I.O. et U.N.R. n'apportèrent aucune réponse aux questions posées par Toussaint Merle.
LE 11 FÉVRIER 1957, presque deux ans plus tard, Toussaint Merle revenait à la charge en disant :
" Votre programme est bâti en l'air, non pas par la faute des techniciens, mais par celle de la politique d'investissement du gouvernement. Le projet du Reyran (barrage et irrigation) NE POURRA PAS S'ACHEVER. VOUS JETEZ DE LA POUDRE AUX YEUX ».
À CES AVERTISSEMENTS SÉRIEUX ET RÉPÉTÉS, QUE RÉPONDAIENT LES AUTRES CONSEILLERS GENERAUX ?
Le conseiller général de Collobrières répondait, le 13 février 1957 :
" NOUS N'AURONS AUCUN MÉCOMPTE ».
Le conseiller général de Vidauban ajoutait, le même jour :
" JAMAIS LA MAJORITÉ N'A EU DE CRAINTE QUANT À LA SOLIDITÉ DU BARRAGE ».
Chacun d'entre vous peut juger, sur pièces, combien Toussaint Merle avait raison hélas !
Enfin, après la catastrophe de Malpasset, dans une intervention solide, étudiée, qui fut écoutée dans un silence religieux, dont l'essentiel fut repris par l'ensemble de la presse française, par Radio Luxembourg et Radio Europe I, Toussaint Merle démontra comment la catastrophe aurait pu être évitée du 27 novembre au 2 décembre 1959. Il concluait ainsi :
" Nous avons dit, maintes et maintes, fois, pour Malpasset et pour bien d'autres sujets, que le Conseil Général ne suivait pas tous ses projets, qu'il n'en savait que ce que quelques dirigeants voulaient bien lui dire ».
" Il faut en finir avec de tels procédés qui conduisent à Malpasset et à ses conséquences ».
" Il faut que le Conseil Général, dans son ensemble, connaisse la vie des affaires départementales. Je suis convaincu que la majorité de l'assemblée se décidera, enfin, à changer cette situation que nous dénonçons depuis des années ».
" Messieurs, la catastrophe de Malpasset démontre, s'il en était encore besoin, les méfaits d'une politique contraire aux intérêts généraux, toute au service des capitalistes. Elle a montré le mauvais fonctionnement de l'Assemblée départementale. Ces leçons seront-elles utiles ? Nous nous emploierons, quant à nous, à ce qu'elles le soient ».
Dans cette malheureuse affaire de Malpasset, les qualités d'administrateur et le sérieux du travail de Toussaint Merle sont nettement apparus sans contestation possible.
Un cap difficile : le Référendum du 28 septembre 1958
Depuis plusieurs années, la IVe République agonisait dans l'instabilité politique, les conflits sociaux, les problèmes de la décolonisation. Soumise aux volontés de ses maîtres d'outre-atlantique, elle perdait le meilleur d'elle-même dans une politique de guerre qui la ruinait.
Cette politique engendrait sa dégradation économique, la hausse des prix, les conflits sociaux. Un grand mécontentement se développait dans le pays surtout quand il fut question du réarmement de l'Allemagne. Les partis politiques s'étaient multipliés et jamais les Français n'avaient été aussi divisés.
En mai 1954, la France essuya en Indochine le désastre de Dien Bien Phu. Le Président Mendès France se hâta de signer la paix.
En 1956, le Président du Conseil Guy Mollet avait failli entraîner le pays dans une nouvelle guerre. En accord avec l'Angleterre il prétendait interdire aux Égyptiens la nationalisation du canal de Suez. Une expédition fut organisée qui se termina par un échec lamentable.
En Algérie, les socialistes avaient promis de faire la paix, mais la guerre redoubla.
Alors mettant à profit toutes ces atteintes au prestige français les milieux de la haute finance, les anciens pétainistes, les généraux battus, les Ultras du colonialisme, organisèrent le complot du 13 mai 1958 pour étrangler définitivement la République.
On connaît la suite : les généraux s'emparent du gouvernement d'Algérie. Le gouvernement Pflimlin démissionne. Le socialiste Vincent Auriol va chercher le Général de Gaulle à Colombey-les-deux-Églises. Puis les évènements se précipitèrent. Une nouvelle constitution à caractère autoritaire fut proposée aux Français. D'où le référendum du 28 septembre 1958.
Ce rappel des évènements politiques de cette époque troublée était nécessaire pour la bonne compréhension des incidences locales et surtout des difficultés municipales auxquelles Toussaint Merle et ses camarades eurent à faire face.
Des socialistes jusqu'à l'extrême droite fasciste, les dirigeants politiques avaient recommandé le OUI à la constitution nouvelle. Seul, le Parti Communiste s'opposait au renforcement du pouvoir présidentiel.
À La Seyne, la consultation donna les résultats suivants :
Les adversaires de la Municipalité, les anticommunistes viscéraux poussèrent des hurlements de joie en espérant que Toussaint Merle allait donner sa démission. Le Méridional écrivait le lendemain du résultat : Le bastion communiste est tombé. Les hordes fascistes auxquelles se joignirent des militants socialistes connus s'en allèrent houspiller d'honnêtes militants à leur domicile.
Dès le lendemain, Toussaint Merle ne perdant nullement son sang froid écrivit une lettre à ses concitoyens pour leur dire que les résultats du référendum ne mettaient nullement en cause la gestion municipale.
" Madame, Monsieur,
" À en croire les journaux " République " et " Méridional ", ceux d'entre vous qui ont voté " OUI " le 28 septembre auraient, du même coup, condamné la Municipalité.
" Comme si répondre à un référendum sur un projet de constitution comportait approbation ou désaveu d'une gestion municipale.
" Cette question sera réglée par la population seynoise elle-même lorsque viendra le renouvellement du Conseil Municipal
" Mais vous remarquerez que ceux qui " hurlent " contre nous, ceux qui prétendent vouloir nous remplacer, ceux-là insultent, injurient, calomnient, mais sont muets absolument sur les questions municipales.
" C'est pourquoi nous avons pensé utile de leur poser un certain nombre de questions :
" Nous ne parlerons pas des travaux d'adduction d'eau, des travaux d'assainissement, des constructions d'écoles, des travaux de voirie, etc... car on pourrait nous répondre qu'ils ne sont pas particuliers à LA SEYNE.
" Nous nous contenterons de demander à nos détracteurs, qu'anime une haine presque hystérique, ce qu'ils pensent des réalisations, qui n'existent qu'à La Seyne et dont, par conséquent, seule la population seynoise bénéficie.
Vous les chercherez vainement à TOULON ou à SAINT-RAPHAËL, à DRAGUIGNAN ou à FREJUS, à SAINT-TROPEZ ou à BRIGNOLES, à HYERES ou à LA VALETTE, etc...
Seule dans le département, notre Municipalité :
Nous le répétons, ces œuvres sociales, dans le Var, n'existent qu'à La Seyne.
Elles servent à tous les Seynois, qu'ils aient voté OUI ou qu'ils aient voté NON au référendum du 28 septembre.
La question que nous posons est la suivante : " Pourquoi les journaux République, Provençal et Méridional n'ont-ils jamais eu l'honnêteté, l'impartialité de dire ces vérités à leurs lecteurs ? ».
Parce que cela leur est impossible : S'ils le faisaient, leurs mensonges s'écrouleraient, leurs calomnies s'évanouiraient et leurs injures les saliraient davantage.
En réalité, ceux qui mènent depuis 10 ans une campagne acharnée contre la municipalité n'ont qu'une idée : détruire ce vaste réseau d'œuvres sociales au cas où ils arriveraient à nous remplacer à la direction de l'Hôtel de Ville.
La preuve ? C'est que leurs amis politiques qui dirigent les villes importantes du département sont contre toutes ces réalisations et ne tentent pas de les offrir à leur population.
La preuve ? C'est que les 12 élus qui n'assistent jamais au Conseil municipal ont fait des efforts désespérés à la Préfecture, dans les ministères pour s'opposer à ces réalisations.
C'est notre honneur et notre fierté d'avoir ainsi lutté et de continuer à lutter pour l'enfance, la santé, la famille, les vieux, etc...
Et nous savons que la plupart de ceux qui ont voté " OUI " au référendum tiennent à ces réalisations sociales et ne les ont pas condamnées : c'est évident.
Ils les connaissent, ils les apprécient, ils les utilisent, ils veulent les conserver.
Une ville ne s'administre pas avec des cris, avec des vociférations, avec des menaces, avec des fanfaronnades.
Une ville est administrée lorsque les réalisations sont là, au service de tous. C'est le cas pour La Seyne qui est de loin, à l'avant-garde de ces réalisations dans tout le département du Var. À nos détracteurs de prouver le contraire : c'est impossible.
Nous vous prions de
croire, Madame, Monsieur, à l'expression de nos sentiments les
meilleurs.
Mais les évènements se précipitaient. On allait vers le renouvellement du Parlement.
Les élections législatives furent fixées aux 23 et 30 novembre 1958. Le Gaullisme avait le vent en poupe. Le docteur Vitel fut élu dans la 4ème circonscription. À La Seyne, Toussaint Merle gardait la confiance de la population et pour la première fois le Parti socialiste était battu par la droite.
Ces chiffres sont très significatifs de la démocratie du Suffrage Universel. Nous les rappelons pour expliquer que le Parti communiste dont la trésorerie était alimentée essentiellement par les indemnités parlementaires de ses membres ne pouvait plus payer des permanents comme il l'avait fait jusqu'ici.
D'où la nécessité pour les non réélus de trouver un emploi rétribué. Voilà comment Toussaint Merle fut dans l'obligation de reprendre le chemin de l'école au mois d'octobre 1959, après 15 ans d'interruption de sa profession.
Le cœur serré, il retrouva l'école Martini de son enfance, et des auditoires d'enfants pleins de déférence pour ce professeur en même temps premier magistrat de la ville.
Nombre de nos concitoyens ne se rendaient pas compte alors de ce que pouvait être le travail d'un Maire dont la population avoisinait les 35 000 habitants dans cette période, exerçant en même temps une fonction de professeur de lettres.
L'Administration de l'Éducation nationale l'autorisa à n'enseigner que le matin pour se consacrer aux affaires de la Ville et du Département l'après-midi. Mais il lui fallait bien trouver le temps de préparer les cours et de corriger les devoirs des élèves. La solution, Toussaint l'avait trouvée en se levant chaque jour à 5 heures. Il travaillait deux heures avant de faire sa classe et trouvait encore le temps avant 8 heures, de déjeuner et de lire au moins deux journaux sans avoir négligé d'écouter les premières informations de la radio.
Il arrivait toujours à l'école avec une légère avance, une éternelle cigarette pendue à ses lèvres, car il ne la fumait pas vraiment, la main largement tendue vers ses collègues. Ergoteur par tempérament, il trouvait toujours le moyen de piquer quelqu'un, d'ironiser gentiment.
Si, à l'école, les conversations demeuraient courtoises, il n'en était pas toujours ainsi dans les discussions, et les réunions publiques, surtout si quelque adversaire retors voulait avoir le dernier mot. Alors, les plaisanteries moqueuses devenaient des sarcasmes. " Quel sale caractère ! " s'en allaient répétant ses adversaires qui le trouvaient bourru. Ils le connaissaient fort mal car, en société, parmi ses amis et ses camarades, il était enjoué et boute-en-train, ayant toujours quelque bonne blague à raconter.
Non ! Il n'avait pas mauvais caractère, mais on pouvait dire de lui qu'il avait du caractère.
Son métier d'enseignant, il l'exerça sans faiblesse, mais il est évident que des fatigues nouvelles vinrent s'ajouter à ses activités politiques et administratives débordantes depuis longtemps.
Cependant à 48 ans, il était dans la pleine force de l'âge et il avait acquis une expérience et une compétence incomparables en matière administrative qu'il mit sans réserve au service de sa ville natale qu'il aimait charnellement.
Mais nous étions à quatre mois des élections municipales et il fallait s'attendre à une offensive sans précédent de tous les battus du suffrage universel depuis la Libération. Les détracteurs de la Municipalité animés d'une haine quasiment hystérique allaient fourbir leurs armes sans tarder pour en finir une fois pour toutes avec les communistes et leur chef de file Toussaint Merle.
Avant de narrer cette bataille politique, probablement la plus importante de toute la carrière de Toussaint, attardons-nous quelques instants sur un fait capital pour notre ville qui laissait bien augurer du sort de la Municipalité.
4 janvier 1959 : Inauguration de l'Hôtel de Ville
Ce jour-là, à l'appel de la Municipalité, la grande majorité des Associations et des personnalités locales se rassembla pour inaugurer le nouvel Hôtel de Ville attendu depuis si longtemps, les crédits d'État faisant défaut.
Toussaint Merle, rayonnant de joie, prononça un important discours dans la salle des fêtes parée pour la circonstance. Ce fut un grand moment pour la population.
Le Maire montra comment, à partir de cet outil de travail, la vie communale allait prendre des aspects beaucoup plus positifs. Il fustigea au passage ses adversaires politiques dont la propagande stupide l'accusait de dilapider les fonds publics. Le bâtiment était à leurs yeux trop important et la dépense somptuaire. On mesure mieux aujourd'hui l'incapacité de ces gens-là à gérer le bien public quand on sait qu'il fallut quelques années après édifier une deuxième mairie à caractère technique (Mairie annexe), puis une troisième à caractère social (Mairie sociale). Parmi les personnalités présentes, des voix très autorisées féliciteront le Maire dont les ambitions pour La Seyne étaient bien justifiées.
Le pâtissier Félix Tisot (qui n'était pas communiste) s'écriait " Trop grand ! L'hôtel de ville ! Mais j'en suis fier, moi, pour ma ville natale ! ". Et avec ses nombreux amis, il encourageait Toussaint à poursuivre son œuvre grandiose.
Tout cela était de bon augure pour la prochaine échéance électorale et deux mois à peine nous en séparaient.
Aux campagnes de presse calomnieuses, injurieuses, d'une virulence rarement égalée, déclenchées contre la Municipalité, les communistes répondaient par des arguments politiques en des termes corrects et mesurés, ce qui n'excluait pas la fermeté. Ils apportaient des bilans, des chiffres, des faits vérifiables.
Toussaint Merle m,aire, Philippe Giovannini, premier adjoint et Marius Autran, adjoint dans le nouveau bureau du maire et avec la maquette du nouvel hôtel-de-ville |
Ouvrons ici une parenthèse au sujet de la Presse qui n'était guère favorable à Toussaint Merle et à ses camarades. Les journaux locaux République, Le Méridional, Le Provençal inséraient rarement les communiqués de la Municipalité. Seule La Marseillaise lui apportait son appui total. Un militant de base eut l'idée d'une rubrique quotidienne à caractère pamphlétaire qui répondrait coup pour coup aux diatribes de l'adversaire et qui serait chargée aussi de l'attaquer intelligemment sur les aspects négatifs de sa politique. Si les correspondants de presse et les responsables politiques voulaient se lancer dans la polémique, ils allaient être servis.
Une équipe de rédacteurs amateurs fut constituée. On appela la rubrique quotidienne L'Estancaïre.
Ce mot est utilisé le plus souvent par les joueurs de boules qui s'écrient après un tir réussi, un palet en place : " Je l'ai estanqué ! ". Autrement dit, suivant le style d'aujourd'hui : " Je l'ai mis K.O. ".
L'équipe de l'Estancaïre était fort bien renseignée sur les agissements de l'adversaire. Elle lisait attentivement la presse, relevait tous les aspects de la politique locale et concrétisait le mieux possible ses démonstrations.
Toussaint Merle prit sans doute la plus grande part à la rédaction des articles. Il le fit d'une manière plus vivante et sans aucun doute plus acerbe que les autres.
Ses analyses, ses raisonnements péremptoires n'avaient rien de commun avec le verbiage et le flot d'insultes que ses adversaires déversaient chaque jour dans République, Le Provençal, Le Méridional. Il saisissait la moindre faille dans le propos de ses opposants, y enfonçait l'aiguillon de ses arguments, les plus souvent irréfutables, pour en triompher avec une ironie mordante ce qui avait parfois pour effet de porter leur hargne au paroxysme et de les inciter à de nouvelles intrigues.
Il est bien évident qu'un élu, un administrateur, un président ne font jamais l'unanimité, qu'il y a toujours des gens déçus parmi les administrés. N'y a-t-il pas en permanence ceux qui attendent un logement, un emploi, une faveur possible et dont les politiciens en mal d'arrivisme cherchent à exploiter le mécontentement ? Ce que faisaient les adversaires de la Municipalité avec obstination.
Alors, Toussaint Merle s'efforçait d'expliquer patiemment à tous les quémandeurs que tout n'était pas possible en même temps.
Mais il ne pouvait s'empêcher d'exprimer sa rancœur contre les individus pervers qui multiplièrent les méchancetés pour nuire à sa réputation et à sa politique.
Il faut rappeler ici les tentatives de déstabilisation de la Municipalité par le déferlement des mensonges et des calomnies dont la presse de l'époque se faisait l'écho.
On insinuait des malversations dans les finances communales, le Maire ayant, paraît-il, détourné une somme de 300 millions du budget communal. Pas moins !
Et comme argument politique suprême, les nervis, télécommandés et patentés déversaient des ordures devant son domicile, boulevard du 4-septembre.
On ameutait les enseignants contre la Municipalité à propos de l'indemnité de logement attribuée aux instituteurs, et dont le réajustement se faisait attendre.
Viscéralement anticommuniste, la direction du Syndicat National des Instituteurs (S.N.I.) envisageait d'exclure Toussaint Merle de ses rangs, lequel préféra alors donner son adhésion au syndicat C.G.T. des communaux.
Tout cela s'ajoutait aux poursuites contre des militants qui distribuaient des tracts exigeant la paix en Indochine, puis en Algérie ; aux interdictions de réunions publiques, aux violences et voies de fait contre les meilleurs propagandistes de la paix.
De tels procédés ne pouvaient créer une ambiance paisible dans une ville où l'on commençait à parler de récession de construction navale.
Comment Toussaint Merle, homme d'action et polémiste, aurait-il pu rester indifférent à la haine, à l'ignorance de ses adversaires, aux injures, aux calomnies, aux vexations auxquelles il nous est facile d'apporter de nombreuses illustrations. Jugez plutôt :
Pendant des années Toussaint Merle ne fut-il pas obligé de tenir des permanences de Conseiller général dans un bistrot de Six-Fours, le Maire lui interdisant l'accès de l'Hôtel de ville ?
N'est-il pas vrai que l'accès à la Délégation Cantonale fut interdit au Maire de La Seyne pendant fort longtemps alors que les deux autres mairies du Canton (Saint-Mandrier et Six-Fours) y étaient représentées ?
De leur côté, les pouvoirs dits de tutelle faisaient preuve d'un parti pris évident à l'égard des élus seynois. Les élus de la minorité, qui s'absentèrent 39 fois en trois ans, bénéficièrent de l'indulgence préfectorale, alors qu'en vertu de la loi municipale de 1884 ils auraient dû être démissionnés d'office.
Même attitude contre les employés communaux à qui la Préfecture voulut retenir des journées de grève.
Ajoutons que, dans cette dernière affaire, la décision préfectorale fut annulée par le Conseil d'État requis à la demande de Toussaint Merle.
Les attaques contre la Municipalité à direction communiste se multiplièrent et leur virulence croissait à l'approche des élections municipales de 1959.
Mais Toussaint Merle et l'Estancaïre relevèrent le défi. Cette fois, à l'occasion de l'ouverture d'un Priseco, les malades de l'anticommuniste voulurent porter un grand coup en essayant de dresser les commerçants contre la Municipalité.
Le Maire ne fait rien pour empêcher les grandes surfaces, rien pour défendre les petits commerçants !
La réplique ne se fit pas attendre. Elle disait en trois points :
1) Les municipalités n'ont jamais eu le pouvoir d'autoriser des commerces, surtout ceux d'une telle dimension.
2) Les Supergros, les Primodic, les Priseco, les Mammouth, les Leclerc, se multiplient partout dans le pays et ce ne sont pas les communistes qui gouvernent !
3) On accuse les communistes de dépouiller les commerçants, mais voyons ! Braves gens. N'est-ce pas les monopoles capitalistes qui ruinent le petit commerce pour devenir les maîtres de la distribution. Alors ?
Ce sujet nous remet en mémoire l'anecdote suivante : Un Conseiller municipal socialiste ayant accusé le Maire en séance publique de n'avoir rien fait pour s'opposer à l'ouverture d'un Priseco s'attira cette réplique :
" Vous savez bien, Monsieur, qu'une ville n'est pas consultée pour l'ouverture d'un commerce de cette taille - Et puis vous êtes mal placé pour me faire une remontrance : quand l'ouverture du magasin eut lieu, les élus communistes n'ont pas répondu à l'invitation. Par contre, vous étiez au premier rang pour déguster l'apéritif et les toasts, et vous avez trinqué avec le Directeur en espérant avec lui les succès de son entreprise ".
" Surtout ne protestez pas, Monsieur ! Voilà la photo de votre journal ".
Naturellement, le lendemain, l'Estancaïre ne manqua pas de répercuter dans ses colonnes cette mise en boîte.
Tous les moyens les plus vils, tous les procédés les plus dégradants furent utilisés par les adversaires de la Municipalité présidée par Toussaint Merle, pour tenter de la vaincre.
Plus ils se répandaient en propos venimeux, plus ils variaient les formes outrageantes de leur propagande stupide, plus les positions de la Municipalité et du Parti communiste se renforçaient à La Seyne.
Et Toussaint Merle et ses amis donnaient chaque jour des leçons et souvent à des gens qui se prenaient pour l'élite. Citons encore quelques exemples significatifs de leurs mesquineries.
Quand l'inauguration de l'hôtel de ville reconstruit eut lieu, le Directeur des Chantiers navals y fut invité et c'était bien normal.
Il n'assista pas à la cérémonie, ne s'excusa point, ne se fit pas représenter. Attitude regrettable, c'est le moins qu'on puisse dire !
Quand le Napoléon fut lancé, Toussaint Merle reçut une invitation. Il s'y rendit, mais constata désagréablement que, parmi les personnalités de haut rang invitées, son nom ne figurait pas sur la superbe notice descriptive du navire distribuée avant le lancement.
Bien entendu, le Directeur des Chantiers eut droit à une leçon de politesse.
Des leçons de ce genre, il en donnait tous les jours :
... à l'ancien Conseiller municipal pétainiste, qui ne savait pas que l'entretien des chemins privés n'était pas à la charge de la commune.
... à ce député qui prétendait démontrer que les finances de la ville étaient catastrophiques, il écrivait : " Qu'attendez-vous donc, Monsieur, pour demander la révocation du sous-préfet qui approuve nos budgets ? ".
Encore des leçons et toujours :
... à ces soi-disant socialistes, dont l'un avait appartenu à la milice fasciste, un autre à la Légion de Pétain, un autre aux Compagnons de France du Maréchal, un autre qui avait porté le baudrier blanc des gendarmes de Darlan, etc...
... à ces agents du Pouvoir qui tentaient d'extorquer à des parents d'élèves des déclarations défavorables au fonctionnement de l'école de plein air..., une école pour laquelle les subventions firent défaut et qui put fonctionner à la date prévue grâce au travail bénévole de deux entrepreneurs amis de la Municipalité, MM. Constant et Francioli.
... aux représentants de l'ordre public, si pleins de mansuétude pour les voyous armés qui se livraient à l'affichage sauvage et sabotaient la signalisation des carrefours pour dresser les usagers de la route contre la Municipalité
... à ce directeur d'école, battu aux élections, qui obstruait les WC de l'établissement qu'il dirigeait pour accuser ensuite de carence les services de l'assainissement...
... à ce commerçant mécontent, surpris dans la forêt de Janas de se défaire d'un vieux sommier, alors que nos élus s'efforçaient à faire respecter les espaces verts.
On n'en finirait pas d'énumérer des exemples de vilenies, de sabotages, d'outrages en tout genre, qui d'ailleurs manquèrent d'efficacité et se retournèrent contre leurs auteurs.
Comme on va pouvoir le constater la confiance de la population demeura intacte.
Les élections municipales des 8 et 15 mars 1959
Sur la lancée du référendum gaulliste, les adversaires de la Municipalité se lancèrent à corps perdu dans une campagne triomphaliste effrénée. Ils décidèrent de s'unir sur une plate-forme anticommuniste, avec une liste unique de personnalités bien choisies, nantie d'un programme bien étudié plein de promesses mirobolantes pour les électeurs. " Merle et ses complices " disaient-ils, seraient liquidés à coup sûr.
Ainsi naquit la liste d'Union pour la Prospérité de La Seyne qui rassemblait des U.N.R. et des socialistes sous le commandement d'un certain P.P. absolument inconnu des Seynois ; il se disait notaire, mais son homologue seynois lui contesta cette qualification. La plupart de ses colistiers demeuraient obscurs pour les électrices et les électeurs.
Son programme n'était qu'un fatras de propositions vagues, démagogiques et même démentielles (un exemple en passant : ce Monsieur voulait construire une crèche par quartier !...).
Face à la liste U.N.R.-S.F.I.O., la Municipalité sortante, avec Toussaint Merle à sa tête, présentait peu de changements dans sa composition. Les principaux collaborateurs s'y retrouvaient, fort d'une expérience de douze années.
Le bilan de la Municipalité sortante était éloquent. À la vérité, les conditions politiques de cette élection n'étaient guère favorables à la liste dite unique, mosaïque de malades de l'anticommunisme.
Les Seynois n'appréciaient guère la candidature de ce P.P. qu'on qualifiait d'exotique, surtout quand on apprit qu'il venait de Saint-Étienne.
Et puis, le gaullisme commençait à se manifester par des mesures impopulaires : restrictions contre la Sécurité Sociale, suppression de la retraite du Combattant, aggravation des lois anti-laïques, poursuite de la guerre d'Algérie, etc...
Il faut dire aussi que les vrais militants socialistes boudaient plutôt cette collusion avec des représentants de la droite.
Dans une lettre émouvante Toussaint Merle leur fit sentir la gravité de la situation pour leur Parti engagé honteusement dans une telle campagne. Comment l'instituteur laïque, délégué du Syndicat des Instituteurs pouvait-il s'entendre avec les suppôts de la Réaction cléricale qui œuvraient à la mort de l'École publique ?
Comment l'employé de la Sécurité Sociale figurant sur la liste de P.P. pouvait-il faire bon ménage avec ceux qui la sabotaient ?
Nous n'entrerons pas dans le détail de cette campagne qui fut menée avec dignité par la Municipalité sortante ; avec des procédés rappelant les méthodes fascistes pour la Liste Unique de P.P. Venons-en aux résultats :
Il y eut 80 % de votants.
Ainsi, toutes les calomnies, les injures, les mensonges n'avaient pas payé. Ainsi s'effondraient les plans des aventuriers, heureusement pour notre bonne ville de La Seyne.
Ainsi triomphait le bon sens des Seynois face à une horde haineuse, incapable d'administrer quoi que ce soit.
Il va sans dire que l'Estancaïre jubilait en écrivant le lendemain des résultats un article intitulé :
" Après un K.O. qui a duré huit jours "
Il ironisait et couvrait les correspondants de presse du Méridional, du Provençal, de République de ridicule après leur campagne contre les élus sortants.
" Ils n'ont pas écrit, disait-il parce que la Veste du Dimanche 8 mars dépassait les mesures. Les manches trop longues les gênaient pour tenir leur stylo ! "
Toutefois, l'un deux se ressaisit quelques jours après pour déclarer qu'il y avait eu des fraudes.
Et dans le camp socialo-réactionnaire on se reprit à espérer. Alors un quarteron de la liste P.P. déposa une plainte auprès du Tribunal administratif de Nice pour obtenir l'annulation des élections. Il n'est pas possible de développer ici toutes les âneries contenues dans ce document.
Le 5 mai, le tribunal rendait son jugement : Après quelques minutes de délibération, les plaignants furent déboutés, aucun motif valable n'ayant été retenu contre les élus de la liste conduite par Toussaint Merle.
Et l'Estancaïre, naturellement, continua de décocher ses plus belles flèches. Les défenseurs de la Municipalité s'accordaient pour dire que cette bataille électorale fut probablement celle qui donna à Toussaint, à ses amis et à tous les militants, les plus grandes satisfactions.
Cette année 1959 avait vu la naissance de l'Hôtel de ville qui allait permettre un développement considérable des activités municipales tous azimuts dans des conditions excellentes pour le personnel communal, pour les élus, pour toute la vie associative en pleine expansion. Durant l'été qui suivit, Toussaint Merle et son épouse prirent quelques semaines d'un repos amplement mérité.
La section du Parti Communiste Français adresse aux 7 672 électeurs et électrices qui ont assuré l'élection triomphale de la liste conduite par Toussaint Merle, ses remerciements les plus chaleureux.
En votant massivement pour la liste présentée par le Parti Communiste, la grande majorité des Seynois a voulu rendre hommage au travail sérieux de ses élus, à leur dévouement, à la cause publique, à leur bonne administration.
En votant massivement pour la liste présentée par le Parti Communiste, la population seynoise a voulu marquer son accord avec la politique honnête et clairvoyante de notre parti, qui lui a toujours dit la vérité ; de même qu'elle a condamné la politique des ordonnances de misère qui accable les pauvres et favorise les riches.
Les Seynois apprécieront l'immense succès de la liste présentée par le Parti communiste comme une grande victoire des forces de progrès contre la réaction socialiste ; une victoire de l'honnêteté et de la propreté contre l'affairisme et la voyoucratie.
La section du Parti Communiste Français remercie et félicite tous ses militants, tous ses sympathisants et les membres des comités de parrainage qui n'ont pas épargné leurs efforts pour un travail d'explication constructif au cours de cette campagne électorale dont la haute tenue politique et morale a fait l'admiration de tous les braves gens.
Pour la première fois dans ces élections, de nombreux militants et travailleurs socialistes ont voté pour la liste présentée par notre parti. Cela constitue la preuve que maintenant est devenu possible le rassemblement de toutes les forces de démocratie, de progrès social et de paix pour barrer la route à la dictature, à la misère et à la guerre.
En même temps, le vote de ces militants et travailleurs socialistes est la condamnation des dirigeants socialistes Midon et Lamarque qui, une fois de plus, par anticommunisme, se sont fourvoyés avec les pires réactionnaires et fascistes, contre l'intérêt des travailleurs et de leur propre parti.
La section communiste considère que chacun a le droit d'exprimer librement ses opinions, d'avoir un programme et une liste, et de les défendre loyalement. C'est pourquoi elle flétrit la campagne odieuse de ses adversaires basée sur la haine et la calomnie et menée avec une équipe de repris de justice et de souteneurs.
Pour les communistes, ce qui compte essentiellement, c'est de travailler au bien-être de tous et ils approuvent cette phrase du camarade Toussaint Merle :
" Nous disons à ceux qui n'ont pas voté pour nous, que demain à 8 h la mairie sera ouverte et qu'elle continuera à les servir comme elle l'a toujours fait ".
La section de La Seyne appelle tous les Seynois à soutenir leur Municipalité et le Parti, qui emploieront tout leur dévouement au bien-être de la population tout entière.
Elle appelle tous ses sympathisants à rejoindre les rangs du parti de la vérité, de l'honnêteté ; le parti de l'avenir, dont l'idéal est l'édification de la société fraternelle et juste de demain.
La vie municipale dans les années 1960-1965 : Évolution et expansion
Nous entrons maintenant dans la période la plus féconde des activités de Toussaint Merle et de ses amis adjoints et conseillers municipaux. Tous ont acquis une grande maturité pendant plus de dix ans, dans la gestion du bien public.
Les années soixante sont celles d'un grand bond en avant pour la ville de La Seyne. Les plus grands projets conçus dans cette période vont se concrétiser irrésistiblement.
Saturnin Fabre avait fait éclater les limites étriquées du XVIIIe siècle de l'agglomération seynoise. Avec Toussaint Merle, ce sont celles des XIXe et XXe qui seront bousculées.
De grands travaux d'urbanisme (percée de rue Faidherbe, boulevard de Stalingrad,... par exemple) vont donner naissance à une multitude de lotissements dans tous les quartiers avec toutes les structures sociales indispensables, avec le développement de tous les réseaux (assainissement, électricité, eau, etc...).
Au Nord de la ville est née la zone urbaine prioritaire (Z.U.P.) avec ses logements, ses avenues. La première grande tour s'élève fièrement dans la cité Berthe au-dessus d'un bâtiment de 300 m avec ses 200 logements. L'office H.L.M en est à son millième et en prépare des centaines d'autres. Il construit aussi des logements avec possibilités d'accession à la propriété.
Au point de vue scolaire, le plan de rénovation de 1957 se réalise à une cadence accélérée : les grands groupes scolaires sortent de terre : Léo Lagrange, Émile Malsert, Lycée classique et moderne ; les collèges d'enseignement technique masculin et féminins fonctionnent dans les anciens locaux ; dix restaurants scolaires accueillent chaque jour des milliers d'enfants.
Depuis l'inauguration de l'hôtel de ville, la vie culturelle a pris une extension considérable avec des expositions, des concerts, des conférences. L'école de dessin et l'école municipale de musique sont nées.
Des progrès considérables sont à noter aussi dans le domaine sportif : partout où les écoles s'ouvrent naissent les terrains de sport et les gymnases. Il n'est pas possible d'entrer dans tous les détails des activités et des réalisations prodigieuses de la Municipalité dans ces années 1960-1965 qui vont nous conduire vers une autre élection municipale.
Disons quelques mots en passant d'autres combats que Toussaint Merle mena avec perspicacité dans cette période.
Les libertés communales étaient menacées par le gaullisme qui se heurta à une opposition généralisée dans le pays.
Les villes de France étaient, de plus, gênées par les problèmes financiers, l'État leur imposant des défenses obligatoires de plus en plus lourdes et favorisant les entreprises privées. Le cas fut très net à La Seyne où l'on vit les Chantiers exonérés de la taxe locale pour les travaux destinés à l'exportation. Par surcroît, le taux des subventions sur tous les travaux effectués se réduisait.
Toussaint Merle n'hésita pas à entrer en conflit avec le ministère de l'Intérieur pour exiger des subventions d'équilibre.
Avec sa combativité incessante, il fit front à toutes les Administrations, à tous les organismes qui mettaient un obstacle aux nombreux projets de réalisations.
Ne fallut-il pas réagir contre l'Administration des Chantiers qui procédait aux essais des chars d'assaut sur la chaussée asphaltée de la corniche de Tamaris ? Ne fallut-il pas mener un combat de longue durée contre le " Génie militaire " qui entassait toujours au Fort Napoléon des stocks de munitions, d'un modèle périmé d'ailleurs, constituant un volcan permanent d'un extrême danger pour la population environnante ?
Ne fallut-il pas alerter la population ouvrière sur les luttes à mener pour la défense des constructions navales. Ce fut sur la proposition de Toussaint Merle que fut constitué le premier comité de défense.
À partir de 1962, un autre problème grave vint s'ajouter aux difficultés ordinaires. Les familles de rapatriés d'Afrique du Nord arrivèrent par centaines.
La Municipalité fit tout ce qui était en son pouvoir pour leur apporter aide et assistance. Cent quarante familles occupèrent des logements neufs. Les enfants furent reçus dans les écoles, bénéficièrent de tous les avantages sociaux. De nombreux emplois furent créés à leur intention.
Toussaint en reçut beaucoup de ces rapatriés et si, quelquefois, certains exprimaient leurs rancunes, il leur faisait observer courtoisement que ce n'étaient pas les communistes qui avaient porté de Gaulle au Pouvoir. Voilà résumés succinctement quelques aspects de la vie municipale de cette période des années 1960-65 qui fut malgré tout, extrêmement bénéfique pour La Seyne.
Le 4 juin 1961 : Toussaint Merle réélu Conseiller général
Avant d'entrer dans les dernières années du " Mandat le plus long " il faut nous arrêter quelques instants sur l'élection cantonale de 1961 qui désigna Toussaint Merle pour un 3ème mandat au Conseil général du Var.
La Campagne électorale fut menée rondement. Il y eut 3 candidats en présence : M. Clément, Maire de Saint-Mandrier (socialiste), M. Bayle, Conseiller municipal de Toulon (gaulliste de l'U.N.R.), et Toussaint Merle, Maire de La Seyne, Conseiller général sortant.
Dans sa profession de foi, le candidat socialiste parla surtout de sa personne ; le candidat U.N.R. insista sur la nécessité d'obéir au Général de Gaulle, considéré comme le Deus ex-machina de la France.
Ces deux candidats opposés à Toussaint Merle présentèrent aux électeurs un programme ambitieux et mirobolant.
Mais, disaient-ils, " Nous ne voulons pas faire de la politique ". C'était les prendre pour des imbéciles, tant il est vrai que l'administration d'une ville ou d'un département est avant tout fonction de la politique suivie par les pouvoirs de tutelle. Toussaint Merle, comme il avait l'habitude de le faire expliqua à ses électeurs et électrices dans des documents écrits et dans ses réunions publiques que son programme solidement étudié pourrait se réaliser à la condition d'une politique de paix (en Algérie d'abord), d'une réduction des crédits militaires, d'une relance économique, de la défense de nos industries (la Navale en particulier).
Il persifla ses adversaires qui n'osèrent pas affronter le public avec assurance. L'un, par manque d'éloquence, l'autre, par crainte d'une opposition sévère. Ce dernier avait annoncé quelques petites réunions, mais non contradictoires !
Le régime du pouvoir personnel commençait à décevoir beaucoup de ceux qui avaient voté oui massivement au référendum gaulliste de 1958. Au fil des jours, l'opposition à la candidature de Toussaint Merle perdait de son acuité et, de l'avis général, on estimait qu'il arriverait dans un fauteuil.
Les résultats du 1er tour furent sans appel :
Sur 13 671 suffrages exprimés :
Ce succès écrasant du candidat communiste fut obtenu avec un gain de 821 voix sur 1955.
Les intérêts du canton seraient de mieux en mieux défendus. Déjà, notre Conseiller général sortant avait fait avancer considérablement les dossiers sur les grandes communications (élargissement de la route N 559 de La Seyne à Six-Fours, aménagement du carrefour de la Pyrotechnie, corniche varoise,...), sur le Canal de Provence, sur la construction navale, sur le tourisme, sur le Barrage de Malpasset (article ci-joint), sur l'enseignement (projet de Lycée technique cantonal, école de plein air ouverte aux trois communes du canton...). Et puis, avec Toussaint Merle, on savait qu'on pouvait compter sur un homme libre de toute attache avec des sociétés capitalistes, pas plus qu'avec le régime de pouvoir personnel.
Ainsi, le défenseur du canton de La Seyne allait-il reprendre souvent la route de Draguignan pour débattre de tous les problèmes administratifs, financiers, culturels, économiques... de notre beau département du Var dont il connaissait à fond les villes, les villages, les hameaux, les besoins et les aspirations de leurs habitants.
Cette élection au Conseil général fut suivie en 1962 d'une élection législative. De nouveau il fallut à notre camarade reprendre sans faiblir l'offensive contre un pouvoir qui n'améliorait guère la situation de la France.
Toussaint Merle fut une fois de plus mis à contribution par la direction du Parti communiste pour diriger la campagne, établir un programme, dresser des bilans, mobiliser toutes les organisations du Parti, organiser des réunions publiques, rédiger des tracts, des articles de presse, etc...
Nous n'allons pas entrer ici dans le détail de cette élection. Disons simplement que les électeurs de gauche semblèrent se ressaisir. Le siège de la 4ème circonscription fut enlevé par le candidat U.N.R. Bayle avec une avance de quelques centaines de voix seulement sur un nombre de suffrages exprimés de 51 775 (Merle 25 488 voix - Bayle 26 287).
De nombreux militants qui, depuis des années, se donnaient sans compter pour le triomphe de leur municipalité, de leur Conseiller général, estimaient qu'ils allaient reprendre leur souffle, les prochaines élections en vue étant les Municipales de 1965. Toussaint leur disait :
" Camarades ! Comprenez bien ! Nous devons être en campagne électorale de façon permanente ". Parce que c'est tous les jours que nous avons de bonnes causes à défendre. Dès que les problèmes se posent, des difficultés surgissent, des conflits éclatent, il nous faut intervenir sur le champ pour apporter des solutions justes et aussi dénoncer les saboteurs, les délateurs, dont le but principal est de s'emparer de la Municipalité.
On ne va pas à la rencontre des gens et discuter de leurs désirs quelques jours avant une campagne électorale. Chacun se souvient d'avoir vu Toussaint Merle en compagnie de son épouse parcourir les campagnes à ses rares heures de détente, discuter avec les paysans, les propriétaires de villas, les artisans, des projets en cours et futurs.
Rien ne lui échappait : ici, le ruisseau n'avait pas été curé avant la saison des pluies ; là, l'éclairage était défectueux, plus loin c'étaient des chemins qu'il faudrait élargir dans une prochaine tranche de travaux. Il maintenait avec les gens un contact permanent et s'efforçait de donner satisfaction à leurs demandes..., mais il était évident que tout n'était pas possible.
Par contre, il lui arrivait souvent d'aller au-devant des demandeurs ou des protestataires.
Il lisait régulièrement le Journal Officiel avant ses secrétaires, dont il ne voulait recevoir aucune leçon. Sa lecture rapide lui permettait d'en extraire les lois ou les arrêtés susceptibles d'un intérêt pour ses concitoyens, pour les associations ou les catégories socioprofessionnelles. Sur le champ, il leur écrivait pour attirer leur attention sur les avantages éventuels à tirer de telle ou telle intervention.
Il savait par avance qu'il serait quelquefois payé d'ingratitude. Pour lui, ce qui comptait c'était l'intérêt général.
Il écrivait dans cette période à ses adversaires dont la hargne ne faiblissait guère :
" Vous voulez nous remplacer et vous ne savez que mentir, injurier, calomnier. Ce n'est pas nouveau, vous avez fait de même en 1947, en 1950, en 1953, en 1959 avec vos promesses outrancières, vos mensonges grossiers, vos injures déplacées, vos calomnies ordurières... Vous rêvez depuis longtemps de battre Le merle rouge ".
Pauvres gens ! Une ville ne s'administre pas avec des cris et avec des gestes, avec des attitudes et des slogans. Elle s'administre avec du travail et de la ténacité, avec du dévouement et du désintéressement.
Le quatrième mandat municipal arrivait à son terme. Il fallait se préparer à de nouvelles joutes sévères contre des adversaires protégés par le Pouvoir, contre une presse venimeuse dont l'objectivité n'était pas la qualité première.
Le gaullisme, malgré la propagande tapageuse des médias, faisait de moins en moins recette. Sa politique économique entrait en récession, le coût de la vie augmentait. L'agriculture, le commerce, l'artisanat végétaient.
Au plan industriel, on parlait de plus en plus de concentration des chantiers navals, de reconversion, de licenciements.
Par surcroît, les libertés communales étaient menacées par des mesures à caractère financier ruineuses pour les villes et les villages.
Tout cela était expliqué chaque jour par L'Estancaïre. Toussaint Merle et ses camarades ne s'arrêtaient pas de parler et d'écrire.
Mais la plus grande difficulté de la politique gaulliste c'était toujours la guerre d'Algérie, dont le Pouvoir ne savait comment se dépêtrer. Les fascistes de l'O.A.S. s'organisaient solidement et une atmosphère permanente de complot gagnait tout le pays.
On sait comment se termina le drame algérien. Le peuple français exprima sa volonté de négociations et la paix triompha.
Localement, l'arrivée massive des rapatriés d'Afrique du Nord aurait pu modifier sensiblement la carte politique. Mais l'intégration de ceux qu'on appelait les pieds noirs se fit sans trop de mal. Nous avons déjà évoqué l'accueil qui leur fut réservé par la Municipalité.
En somme, quand arriva le moment pour les Seynois de se prononcer aux élections du 14 mars 1965, Toussaint Merle et ses amis avaient su créer une ambiance propice à de nouveaux succès.
Vers un cinquième mandat municipal
Quelques semaines avant le scrutin un bulletin municipal fut distribué à la population. Il s'intitulait :
" 18 Ans d'Administration municipale au Service de La Seyne ".
Ce document présentait un bilan impressionnant dans tous les domaines de la vie locale. Rédigé en style lapidaire, il foisonnait de comparaisons chiffrées, d'illustrations nombreuses, preuves indiscutables d'un développement impétueux vers le bien-être général de la population. Problèmes de l'urbanisme, du logement social, de l'eau, de l'assainissement, de l'enseignement, des structures sociales et culturelles, des finances, du sport,...
Que de réalisations nouvelles, inconnues dans les autres villes du département : centre médico-social, centre médico-sportif, crèche municipale, école de plein air, observatoire Antarès,...
Passons rapidement sur toutes les réalisations à l'actif de la Municipalité sortante et que nos concitoyens n'ont pas oubliée, pour en venir à l'élection elle-même.
Les adversaires de Toussaint Merle crurent bien faire en lui opposant une liste dite apolitique patronnée par un certain groupement dénommé A.N.R.A.S. (Association Nationale et Républicaine pour l'Avenir de La Seyne), dont le premier responsable était M. Charles Scaglia, chef de service de Mairie.
On y trouvait tout l'éventail des politiciens de l'anticommunisme vulgaire qui reprenaient les immondes calomnies tirées des poubelles de Hitler et de Pétain.
Il y avait des U.N.R., des M.R.P., camouflés, des socialisants, anciens candidats à des élections précédentes.
L'Estancaïre donna son appréciation ainsi formulée :
" La duplicité de l'A.N.R.A.S. éclate au grand jour, et ce groupement apparaît bien comme nous l'avons qualifié : un groupement inspiré par l'U.N.R., cherchant à envelopper sa marchandise d'un apolitisme qui n'est qu'un attrape-nigaud ".
La liste composée par le P.C. et Toussaint Merle à sa tête restait pour l'essentiel ce qu'elle était depuis longtemps. Sa stabilité et la compétence des adjoints et des conseillers chevronnés étaient les gages d'une victoire probable.
Les résultats de ce 14 mars 1965 mémorables pour la population Seynoise donnèrent sur 17 161 suffrages exprimés :
Une fois de plus, Toussaint faisait mordre la poussière à ses adversaires hargneux et dépités. L'anticommunisme maladif n'avait pas payé.
L'année suivante s'ouvrait la crise des chantiers navals. Depuis 10 ans, Toussaint Merle avait alerté la population sur les dangers d'une restructuration de la construction navale. Ses adversaires, amis du grand patronat, ne voyaient dans ses avertissements que démagogie et propagande.
Et voilà qu'au début de l'année 1966, la Direction des F.C.M. parlait de fermeture. Nous ne voulons pas ici analyser les raisons profondes de cette crise. Ce qui nous paraît important de souligner dans cette relation c'est la manière dont la Municipalité prit la tête de la défense des travailleurs, un combat qui concernait toutes les couches de la population. C'est bien Toussaint Merle qui prit l'initiative de constituer un comité de défense de la Navale, que d'ailleurs certains syndicats ou associations avaient boudé au début.
Consciente de ses devoirs envers une population qu'elle administrait depuis si longtemps, la Municipalité, dès le 8 février, se réunissait, délibérait et apportait son soutien efficace à la lutte menée par les organisations syndicales enfin unies appuyées, par les organisations économiques, politiques, philosophiques de la localité. Il est bon de rappeler que Toussaint Merle, député de 1956 à 1958 et membre de la Commission de la Marine marchande à l'Assemblée nationale, avait multiplié ses interventions en faveur des travailleurs de nos chantiers.
Lors des premiers licenciements, en 1964 et 1965, il avait participé activement à toutes les actions engagées par les Syndicats, pendant que les élus U.N.R. estimaient nécessaires les licenciements.
À partir du mois de février 1966 où le mauvais coup du grand patronat faillit anéantir la vie seynoise, dès la séance extraordinaire du Conseil municipal, un mouvement de solidarité d'une puissance inégale avec des formes d'actions les plus diverses se déclencha, pas seulement à La Seyne, mais dans le département et même la région : délégations à tous les niveaux, meetings, marches sur Toulon, Draguignan, Marseille, Paris.
Tous ceux qui ont participé à ces actions de masse en ont gardé des souvenirs indélébiles. Cette lutte générale où se mêlèrent dans l'union la plus totale : Municipalité, Syndicats, organisations corporatives, aboutit au succès que l'on sait. La Société des Forges et Chantiers de la Méditerranée avait disparu après plus d'un siècle d'existence, mais une autre société (C.N.I.M.) avait pris la relève avec de grandes perspectives nouvelles. La grande leçon à tirer de ces luttes c'est que la classe ouvrière unie aux autres couches de la population s'était imposée aux dirigeants du patronat et de l'État. Non seulement il n'y avait pas eu de licenciements, mais des emplois nouveaux allaient être créés par centaines.
Toussaint Merle et son Conseil municipal pouvaient être fiers de l'œuvre accomplie dans ce domaine capital de la vie économique seynoise.
Derniers combats politiques : Toussaint Merle de nouveau député
La bataille des Seynois et des Varois avait été aussi un exemple pour la classe ouvrière de la France entière.
L'ambiance chaleureuse, enthousiaste avait gagné la majeure partie de la population travailleuse seynoise et le succès de ces luttes n'allait pas rester sans lendemain.
Les militants, les élus s'accordèrent quelques semaines de répit, mais il fallait bien songer à d'autres échéances.
Notre ami Toussaint Merle commençait à ressentir les effets d'un surmenage inquiétant qui le rendait de plus en plus nerveux. Son comportement devenait désagréable. Malgré lui, il s'emportait souvent pour des broutilles et il n'admettait pas facilement qu'on lui en fît la remarque, même sur un ton amical. On lui pardonnait toujours ses mauvaises humeurs passagères, tant on savait la somme énorme de travail accumulée pour sa ville, ses concitoyens, ses proches, son Parti et les fatigues incroyables qu'il avait surmontées.
Les batailles politiques allaient se poursuivre intensément. Les 5 et 12 mars 1967, les électeurs et les électrices devaient procéder au renouvellement du Parlement. Et voilà de nouveau Toussaint Merle engagé dans une campagne électorale harassante, mais cette fois avec l'aide précieuse de sa suppléante éventuelle Danielle Colonna.
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L'Union de la Gauche s'était affirmée positivement dans le Var et un peu partout à travers le pays. Au deuxième tour de scrutin, grâce au désistement de toutes les forces républicaines et démocratiques, Toussaint Merle retrouvait son siège de député. Il obtenait dans une circonscription de 94 240 inscrits, 35 578 voix. Son adversaire Bayle en avait 33 644.
Les évènements allaient se précipiter en 1968. On se souvient de ce mouvement d'une ampleur et d'une puissance exceptionnelles qui souleva les couches laborieuses de la Nation, désireuses de changements politiques profonds. Des millions de travailleurs entrèrent en grève et obtinrent des avantages substantiels tout en évitant les débordements de certains groupements d'étudiants gauchistes et anarchistes. Après les évènements troubles de mai 1968, le Président de la République décida de donner la parole au peuple.
Pour nous en tenir à notre immense circonscription électorale, l'on vit repartir Toussaint et Danielle tous les jours pendant plusieurs semaines inlassablement, visiter les municipalités, les groupements sportifs, les coopératives, les associations, tenir des meetings où ils donnèrent le meilleur d'eux-mêmes pour expliquer aux gens que le Gaullisme installé depuis 10 ans au Pouvoir n'avait guère amélioré la situation des Français. Et, le plus grave, c'est qu'il avait créé une psychose de guerre civile, sans doute pour mieux affirmer sa nécessaire autorité.
Le Président de la République intervint directement dans cette campagne sans parler de toutes les pressions de la classe bourgeoise et des médias. Le 30 juin, les élections tournèrent à l'avantage des partis de droite. Dans la 4ème circonscription, Toussaint Merle perdait son siège.
Ainsi s'achevait sa carrière parlementaire et, chose curieuse, le caprice des évènements et des situations politiques complexes avait fait qu'il n'avait pu terminer aucun des trois mandats parlementaires qu'il détint : Conseiller de la République (1946-1948), Député (de 1956 à 1958), Député (1967-1968).
Ce dernier échec électoral n'était certes pas la chose la plus grave pour lui. Il ressentait maintenant après plus de vingt ans de militantisme, de discussions passionnées, de joutes oratoires, de déplacements incessants à toute heure du jour ou de la nuit, de réflexions profondes, de pages remplies, de tensions d'esprit, de lances brisées avec des adversaires de mauvaise foi..., tout cela représentait beaucoup pour le maintien d'un équilibre psychique plus que jamais nécessaire pour lui en cette fin d'année 1968.
On lui conseillait un repos de quelques mois à la montagne. Il savait bien qu'il pouvait compter sur le concours de ses camarades, de son premier adjoint Philippe Giovannini surtout, aguerri aux questions municipales depuis 15 ans déjà.
Personne ne put le convaincre. On aurait dit qu'il prenait feu au contraire à échafauder des projets nouveaux, à faire front aux difficultés, à fustiger ses adversaires. Il n'avait pas éprouvé une grande amertume après l'échec aux Législatives de juin 1968. Son siège de Conseiller général, il n'avait pas tenu à le conserver l'année précédente. Mais, la Municipalité, les réalisations grandioses qui avaient transformé sa ville natale lui tenaient particulièrement à cœur et il donnait l'impression d'aller jusqu'au bout de ses forces pour la poursuite de son œuvre. On aurait dit qu'il voulait mourir en combattant.
Effectivement, jusqu'à la fin de l'année 1968, il fut toujours présent aux réunions du Conseil municipal, aux réunions des commissions de travail, aux inaugurations et fêtes traditionnelles.
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Il avait présidé la distribution des prix au Lycée Beaussier qu'il avait quitté depuis deux ans, sa retraite de l'enseignement étant intervenue le 1er juillet 1966.
L'auditoire, attentif à ses propos, éprouva à deux ou trois reprises une inquiétude sérieuse quand on le vit s'interrompre en proie à des malaises. Il parvint tout de même à terminer son discours, remarquable d'ailleurs par la qualité élevée de son contenu.
Le 31 décembre, un malaise plus grave qu'à l'ordinaire le terrassa. Ses camarades médecins, appelés d'urgence, le firent hospitaliser à l'Hôpital Sainte-Anne. Il fut sauvé de justesse.
Après plusieurs semaines de soins les plus attentifs, il avait hâte de reprendre le chemin de Mar-Vivo où il s'était retiré dans un appartement bien modeste, à proximité de la mer qu'il avait adorée toute sa vie, en compagnie de son épouse. Il comptait pouvoir reprendre ses activités municipales suspendues depuis deux mois ! Ce n'était pas l'avis des médecins. N'y tenant plus, le 15 mars, il participa à l'inauguration de l'avenue Gagarine. Quelle imprudence ! La cérémonie se fit sous une pluie diluvienne et une température glaciale.
Le 28 mars, il fit sa rentrée au Conseil municipal et espérait reprendre un rythme de travail normal. Il était visible qu'il y parvenait difficilement. Son visage souffreteux, son état permanent de nervosité inquiétaient son entourage.
Ce fut le moment choisi par la classe politique hargneuse qui le combattait violemment depuis plus de vingt ans, pour donner de nouveau toute la mesure de son abjection.
Elle inscrivit sur les murs, comme elle l'avait d'ailleurs déjà fait lors de la campagne municipale de 1965 : « MERLE, va soigner ton cancer ! ». Faute d'arguments sérieux pour convaincre les électeurs, ses suppôts en étaient venus à espérer la souffrance et la mort de ce militant incorruptible. Quelle ignominie !
Par surcroît, les mêmes individus le calomniaient en disant à la cantonade qu'il s'était fait construire une superbe villa à Issy-les-Moulineaux ! !
On se demande comment il aurait pu le faire en touchant le salaire d'un ouvrier qualifié comme l'exigeait la discipline du Parti.
Fort heureusement, les Seynois savaient que cet enfant de la classe ouvrière seynoise n'avait jamais rien possédé d'important.
L'appartement dont il fit l'acquisition à son départ à la retraite n'était qu'un modeste F2 dans une copropriété du Chemin Hermitte, et sa première auto, il l'acheta à 56 ans, et ce n'était qu'une petite voiture d'occasion !
Et pourtant, Toussaint Merle aurait pu être riche ! Rappelons au passage un fait qu'il se plaisait à conter. Ayant reçu une demande d'audience d'un promoteur de la Région, désireux de voir se réaliser des lotissements lucratifs, Toussaint écouta attentivement le quémandeur et lui laissa entendre que l'opération souhaitée lui paraissait hasardeuse. Tout souriant le promoteur, croyant fléchir le premier magistrat, sortit son carnet de chèques en disant :
- « Il y aura 20 millions pour vous, M. le Maire ! »
Bondissant de son siège, rouge de colère, Toussaint hurla : « Sortez ! Monsieur, dans notre mairie, on ne mange pas de ce pain-là ! ». Et notre homme de se précipiter vers la sortie sans demander son reste. Peut-être s'agissait-il d'un piège ? De toute manière, l'opération séduction n'avait pas marché.
Notre longue expérience de la vie politique française nous permet d'affirmer que tous les élus n'auraient pas réagi comme Toussaint Merle.
Mais revenons à nos inquiétudes de ce printemps de l'année 1969 qui le vit presque chaque jour effectuer une promenade au bord de la mer entre les Sablettes et Fabrégas en compagnie de son épouse. Puis, chaque jour, il prenait son tacot, comme il disait, pour aller dépouiller son courrier, discuter des affaires avec son secrétariat, donner des instructions aux services.
On le vit inaugurer l'éclairage de la Corniche (Les Sablettes - Tamaris) le 18 avril.
Trois jours plus tard, il présida la séance du Conseil municipal du 21 avril... Ce fut la dernière de cette longue carrière municipale.
24 mai 1969 : Journée funeste pour la population seynoise
Il est 14 heures. Toussaint passe à son bureau pour quelques instants. Il en repart pour rendre visite aux anciens du foyer-restaurant qui fonctionnait alors rue Jacques Laurent (centre culturel d'aujourd'hui). On l'accueille chaleureusement, comme toujours. Il s'enquiert de la santé des uns, du montant de la retraite des autres.
Mais, diront des témoins, il avait l'air pressé. Après avoir serré beaucoup de mains, il se dirige vers la rue Cyrus Hugues et gagne rapidement le parking des Esplageoles où sa voiture est garée. Il ouvre la portière. Il s'effondre.
Des ouvriers de l'E.D.F. travaillant tout à côté l'ont vu étendu sur le sol. Ils accourent. Les secours s'organisent : quelques minutes après il est à l'Hôpital. On tente une ranimation. En vain !
Toussaint est mort ! Collapsus cardiaque, diront les médecins. La nouvelle se répandit avec la rapidité de l'éclair. De toutes parts on entendait " Ce n'est pas possible ! ". Les gens se refusaient à y croire et attendaient d'autres sources d'information.
Hélas ! une émotion intense gagnait toute la population. Les gorges se serraient, les larmes perlaient dans les yeux et, à la tristesse de l'épouvantable nouvelle, s'ajoutait la grisaille d'un ciel chargé de nuées noires.
Est-il besoin de dire l'immense douleur de Malou et de ses enfants. Jusqu'à la nuit tombante ce fut le défilé interminable des camarades, des amis, des personnalités atterrées par la nouvelle de cette mort brutale et qui voulaient saluer Toussaint une dernière fois dans sa petite chambre de Mar-Vivo.
Le lendemain matin, le Conseil municipal se réunit en séance extraordinaire sous la présidence de Philippe Giovannini, 1er Adjoint. Très ému, il parla du Maire défunt, du camarade au dévouement sans limites, à la cause de sa ville, de son parti, de toute une population. " Sa disparition laisse un grand vide, dit-il, et il nous faudra serrer les rangs pour travailler sans relâche à la poursuite de notre œuvre commune ".
Puis, il donna connaissance des innombrables messages de sympathie parvenus à l'hôtel de ville en provenance de la ville, du département et de bien au-delà. Enfin, il fit part à ses collègues de toutes les mesures prises pour le déroulement des obsèques qui devaient être grandioses : gardes d'honneur, ordre du cortège, itinéraire, éloges funèbres, etc...
Le lundi 26 mai, la dépouille mortelle de Toussaint Merle fut exposée à l'hôtel de ville et les gardes d'honneur se succédèrent jusqu'au moment des obsèques, autour de son cercueil.
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La presse, toutes tendances confondues, consacra beaucoup de place à ces évènements douloureux. Mêmes les adversaires politiques s'inclinèrent avec respect devant ses qualités d'homme d'action et de réalisateur.
Le journaliste Menghi écrivait dans le Petit Varois le soir même du drame :
" Il avait disparu, le compagnon de tant de luttes, celui dont l'empreinte demeurera indélébile sur les pierres de tant de chantiers ouverts à La Seyne, sur l'asphalte de tant d'avenues, dans le souvenir affectueux de milliers de personnes qui lui doivent d'être mieux soignées, mieux secourues, mieux instruites, mieux protégées à La Seyne que partout ailleurs dans le Var ".
La Fédération du Var du Parti Communiste Français dans un long communiqué paru dès le dimanche matin du 25 mai 1969, retraçait toute la carrière politique et administrative de Toussaint Merle. En voici quelques extraits :
" ... La mort l'a emporté brutalement en pleine force de l'âge. Une immense douleur nous accable. C'est une grande figure de notre Parti qui disparaît et dont il fut un militant exemplaire ".
" ... Il a donné de l'administrateur dévoué et intègre une image exaltante... "
Pendant trois jours sans interruption les témoignages d'amitié et d'affections affluèrent à l'hôtel de ville et à son domicile : les enseignants, les syndicats de toutes tendances et de toutes corporations, les associations d'Anciens combattants, de retraités, les clubs sportifs, les associations culturelles, de parents d'élèves, le foyer des anciens, les élus du département et du Parlement rendirent hommage à celui qui avait fait beaucoup pour le bonheur des autres.
Avant la levée du corps, le Préfet, le Sous-préfet, le Président du Conseil général et ses collègues, des maires, des conseillers municipaux vinrent par centaines s'incliner devant la dépouille du défunt.
Puis, le cercueil enveloppé du drapeau tricolore fut exposé sur la voie publique devant l'hôtel de ville : on l'entoura par un immense cercle de gerbes et de bouquets de fleurs. À quelques mètres, une tribune endeuillée où successivement trois camarades de Toussaint Merle rendirent hommage à sa mémoire.
Très ému, Philippe Giovannini, son plus proche collaborateur, rappela sa brillante carrière municipale et que, grâce à son administration à la fois humaine, sage et audacieuse, La Seyne était devenue une grande ville, vivante, belle et accueillante.
Louis Puccini, secrétaire fédéral du Parti communiste, souligna le passé du militant dévoué, courageux, efficace.
Il dit : " Depuis plus de 25 ans, tu n'as ménagé ni le temps, ni tes forces pour ta ville, pour ton département, pour ton Parti. Tu as bien rempli ta mission de communiste ".
Enfin, Robert Ballanger, qui prit la parole au nom du Comité Central du Parti, rappela les passages de Toussaint Merle à l'Assemblée Nationale et au Conseil de la République et déclara : " Ses interventions relatives aux collectivités locales, à l'emploi, à la Construction navale, aux Revendications ouvrières il les fit toujours avec la plus grande clarté et une compétence inégalée ".
On procéda ensuite à la mise en place du cortège après que l'on eut descendu les centaines de gerbes fleuries où le rouge dominait. Les bouquets, les couronnes s'étaient accumulés dans la salle des fêtes de l'hôtel de ville, offrant aux regards un véritable spectacle de floralies.
Enfin, le cortège s'ébranla aux accents de la marche funèbre de Chopin jouée par La Seynoise. Sur la longueur du quai Saturnin Fabre le cercueil fut porté par des camarades, suivi par toute la famille éplorée et la mère de Toussaint qui, malgré son grand âge, accompagna son fils jusqu'à sa sépulture et fit preuve d'un courage admirable.
Les élus en écharpe suivaient, puis les porteurs de gerbes et de bouquets, puis une foule immense, une véritable marée humaine. Combien étaient-ils ces Seynois, ces Varois de tous les milieux sociaux qui marchaient lentement, leurs regards pleins de tristesse ? Combien étaient-ils ces vieillards incapables de défiler, ces mamans portant leur bébé, massés sur les trottoirs ? Combien étaient-ils tous ceux qui emplissaient les rues adjacentes de la basse ville ? Combien étaient-ils ces autres qui attendaient depuis des heures à l'entrée du cimetière ?
Des observateurs ont parlé de quinze mille, vingt mille peut-être ? Ces chiffres ne sont pas excessifs. On avait l'impression que toute La Seyne était là.
Départ
du cortège devant l'hôtel de ville |
Au
premier rang : Gérard BRÉMOND et Marie-Claude PAGANELLI portent
l'écharpe tricolore de Toussaint MERLE Au second rang, les adjoints : Marius AUTRAN, Josette VINCENT, Philippe GIOVANNINI, Jean PASSAGLIA, Alex PEIRÉ, Maurice PAUL |
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Les obsèques durèrent plusieurs heures. De la Mairie, le cortège avait gagné la Bourse du travail par l'avenue Curet, il revint vers le port par l'avenue Gambetta, la rue Hoche, se dirigea jusqu'au Rond-Point Kennedy, passa devant les chantiers, longea le quai Gabriel Péri et prit la direction du Cimetière par la rue Lagane. Il fut impossible à cette immense foule d'assister à l'inhumation. Jamais notre nécropole ne connut une telle affluence.
Au cimetière,
devant la tombe |
Ainsi notre cher Toussaint Merle retrouva la terre de ses ancêtres, entouré de milliers de ses camarades, de ses amis, de ses concitoyens, bouleversés par une peine immense. Et avant même que chacun ne fut rentré chez soi, inévitablement, on parla de la succession. Là, c'est une autre page de l'histoire locale qui allait se tourner et qui ne sera pas traitée dans ce récit qu'il nous faut bien conclure.
Disons simplement que Toussaint Merle ayant fortement imprégné ses camarades de travail de son expérience et de son enseignement, il avait su forger les conditions d'une bonne continuité.
Toussaint Merle toujours présent !
Tel fut le destin de cet enfant de La Seyne, devenu un homme véritable dont la vie fut consacrée pour l'essentiel à l'éducation des enfants et au bien être de la collectivité ; des tâches exaltantes certes, mais nécessitant une volonté et une puissance d'énergie hors du commun, au point que chacun s'étonnait de son rythme de travail infernal.
Hélas ! la résistance humaine a ses limites et, s'il a été emporté prématurément, c'est parce qu'il a vécu sa vie avec trop d'intensité. Il a lutté jusqu'à l'épuisement total de ses forces.
Les années ont passé et, malgré la phrase d'Aristote citée au début de notre récit, la population seynoise n'a pas oublié les bienfaits qu'elle a reçus de lui.
Faut-il rappeler qu'à sa mort, la population avait plus que doublé par rapport à son premier mandat de 1947 ?
Elle avait reçu toutes les structures nécessaires à la vie d'une grande ville : locaux administratifs, logements sociaux, installations portuaires, voirie, écoles pour tous les ordres d'enseignement, industrialisation, œuvres sociales, activités sportives, culturelles, touristiques, etc... Une population qui rappelle sans cesse, avec une certaine nostalgie, cette longue période où elle voyait le Maire, ses adjoints, les conseillers municipaux toujours sur la brèche, apportant aux portes de l'entreprise, sur le marché du Cours Louis Blanc, dans les établissements publics, toute la clarté sur les activités municipales, toutes les explications sur les problèmes politiques, tous les avertissements pour déjouer les pièges de la grande bourgeoisie exploiteuse et belliqueuse.
Elle regrette amèrement, la perte de l'administrateur de talent, de l'homme intègre qu'elle s'était donné comme premier magistrat de la ville, en rappelant à la génération présente qu'en ce temps-là, il n'y eut jamais d'élections annulées pour fraude, d'urne baladeuse, d'employés compromis, et même emprisonnés, de coups de feu meurtriers, d'individus interlopes dans les sphères municipales.
Certains politiciens de bas étage cherchèrent en vain des failles dans l'administration des municipalités à direction communiste. Ah ! S'ils avaient pu prendre en défaut le Maire sur un point quelconque de sa gestion, pensez si les sirènes anti-municipales auraient tôt fait de sonner des alertes. Hélas ! pour elles, cela n'arriva jamais. Au contraire, n'y eut-il pas des préfets de cette période qui reconnurent à Toussaint Merle la plus grande aptitude à gouverner dans la plus grande transparence, tant au niveau municipal que départemental. Il n'en fut pas toujours de même avec d'autres élus qui tentèrent de salir, de calomnier l'homme incorruptible qu'il fut.
Oui ! Toussaint Merle est toujours présent dans les conversations de nos concitoyens. N'est-il pas présent dans la salle du Conseil municipal que son portrait domine avec son rictus moqueur qui semble toujours défier l'adversaire ?
Des ouvriers longent tous les jours le BOULEVARD Toussaint MERLE, des enfants fréquentent tous les jours L'ÉCOLE Toussaint MERLE, des anciens se réunissent au FOYER Toussaint MERLE.
Toussaint Merle n'est-il pas présent sur le Port où son souvenir a été perpétué par un monument que ses camarades édifièrent à l'entrée des Chantiers navals... un monument composé d'une stèle en blocs de béton blancs qui se juxtaposent et se superposent jusqu'à cinq mètres au-dessus du sol (l'œuvre du sculpteur Albert Ayme) et qui symbolise le bâtisseur que Toussaint Merle fut pour sa ville.
Tous ces hommages qui lui furent rendus après sa disparition brutale ont été largement mérités et, en écrivant ce texte, notre désir a été de les compléter par les souvenirs de ce long mandat municipal dont nous n'avons pu qu'effleurer les sommets.
Toussaint repose avec Malou son épouse au cœur de notre vieille nécropole, à quelques mètres de la fontaine Carnot. Nombreux sont les visiteurs, les passants qui marquent un arrêt et se recueillent devant leur tombe.
Ils disent hautement :
" Nous en sommes séparés, mais ils ne nous ont pas quittés ! ". Ils n'ont pas oublié l'enfant du pays si profondément enraciné dans le terreau seynois qui est mort de la passion pour sa ville, sa population, sa jeunesse et de son attachement profond à la paix, au progrès humain et à la juste cause du socialisme.
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