La Seyne_sur-Mer (Var)   Histoire de La Seyne_sur-Mer (Var)
Retour au Sommaire
du Tome III
Marius AUTRAN
jcautran.free.fr
Retour à la page d'accueil
du site
Images de la vie seynoise d'antan - Tome III (1990)
Du bourg provençal à la cité cosmopolite

(Texte intégral du chapitre)

 

« Qui sait si l'inconnu qui dort sous l'arche immense,
Mêlant sa gloire épique aux orgueils du passé
N'est pas cet étranger devenu fils de France
Non par le sang reçu mais par le sang versé ? »
Pascal Bonetti, 1920
 
 

Au fil de l'histoire : Mutations - Migrations - Chauvinisme

Cette étude bien superficielle se propose d'appréhender un thème qui n'est pas nouveau et dont l'intérêt cependant n'échappera pas à nos concitoyens tant il fait l'objet permanent de vives discussions et de controverses parfois violentes.

Il s'agit de la venue et de la présence prolongée d'éléments étrangers au sein de la population autochtone, autrement dit des problèmes de l'immigration avec toutes leurs conséquences sur la vie locale. Problèmes dont la solution n'est jamais définitive parce qu'elle exige des efforts patients et sans cesse remis en cause de la part des pouvoirs publics et des administrés.

Nous avons de la chose une expérience fort longue. La génération présente a vécu ces dernières années les phénomènes de l'immigration africaine et nord-africaine, mais nous pouvons faire état de faits semblables apparus antérieurement et dont les causes furent bien différentes.

Ils ne sont pas particuliers à La Seyne, ces phénomènes et leurs manifestations ont été perceptibles en d'autres localités à des époques bien déterminées, pour des raisons parfaitement explicables que nous développerons.

Ils ont pris parfois une telle ampleur que la vie locale en a été influencée favorablement avec la venue de travailleurs manuels vigoureux et courageux ne reculant devant aucune tâche même ingrate.

Par contre, la rencontre de populations de races différentes aux croyances, aux modes de vie, aux comportements en opposition avec ceux de la population de souche a aussi provoqué des malaises et même des rapports conflictuels au sein d'une communauté comme la nôtre dont la convivialité s'était solidement établie avec le temps surtout depuis le Moyen Age.

En cette fin du XXe siècle vieillissant, quand les plus anciens de nos concitoyens se rencontrent sur le cours Louis Blanc, aux heures du marché quotidien, ils cherchent ostensiblement à dévisager dans la foule, d'anciennes connaissances, des amis d'enfance et quand de loin en loin, ils rencontrent une figure familière, leur joie explose bruyamment. Leur satisfaction réciproque se manifeste par des appels retentissants, des poignées de mains chaleureuses, des embrassades et même de tendres étreintes.

La raison de ces changements dans le comportement des uns et des autres est tout simple à comprendre. Depuis les dernières décennies, l'évolution de la population en nombre et en qualité a été si rapide et si profonde que les gens du cru en sont venu à éprouver une sorte de frustration à voir se multiplier dans les habitations, dans les rues, sur les places publiques, dans les campagnes des types de visages offensants à leurs yeux par leurs traits et leurs teintes ; des jargons émis par des personnages à la peau d'ébène, des charabias gutturaux bizarres débités par d'autres créatures olivâtres ou basanées.

- " Nous ne sommes plus chez nous ! " disent les gens du terroir seynois. Des plaisantins ajoutent malicieusement : Peut-être devrons-nous demander bientôt la nationalité arabe ou sénégalaise !

Les conversations sur ce sujet prennent parfois un tour plus violent, avec des propos agressifs émanant de gens bornés bien incapables d'expliquer eux-mêmes leurs propres origines.

- " Quand donc serons-nous débarrassés de tout ça, de tous ces pouilleux qui viennent manger le pain des Français et prendre leur travail ! ".

Ce sont alors des propos à tendance raciste qui fusent, même dans la bouche des chrétiens à qui les " Évangiles " ont appris cependant : " Aimez-vous les uns les autres ! ". L'un s'écrie : " Si ça continue, ils nous feront tous partir de chez nous ". Ce à quoi un autre réplique : " Non seulement ils ont le travail, mais la Mairie leur attribue des logements. De la " Sécu ", ils en bénéficient comme tout le monde. Leurs enfants encombrent nos écoles. Il y a quatre millions d'étrangers en France. Comment voulez-vous réduire et supprimer le chômage ? Tout cela est scandaleux ! On a beau changer de gouvernement, c'est toujours la même chose ".

Hélas ! ces propos enflammés sont parfois suivis de dérapages et quand on sait que de-ci de-là des groupements, des associations, des partis politiques s'arrogeant le monopole du patriotisme, attisent les querelles et cultivent à plaisir le chauvinisme et la xénophobie à des fins politiques, alors on ne peut envisager l'avenir qu'avec une certaine inquiétude. Nous reviendrons dans la conclusion de ce texte sur la manière dont il faut considérer ces problèmes humains de l'immigration dont les solutions en aucun cas, ne doivent être trouvées dans l'intolérance et la violence.

Si nous avons choisi entre autres sujets à caractère local d'aborder ce thème brûlant, c'est pour expliquer et comprendre la cause des mouvements de population en nous référant à l'histoire générale et aussi à des exemples locaux qu'il nous sera facile d'illustrer.

 

Remontons le cours du temps

Les migrations nombreuses de populations ont commencé avec les origines lointaines de l'Humanité que les ethnologues ont trouvées dans la partie occidentale de l'Asie.

Depuis les temps préhistoriques, pendant des millénaires et jusqu'à la fin du Moyen Age, des migrations compliquées se produisirent, d'où il résulta des brassages de populations considérables. Ces déplacements parfois massifs eurent pour causes des nécessités vitales d'exploitations de ressources naturelles, des persécutions à caractère politique ou religieux, des conquêtes coloniales et c'est pourquoi il est bien difficile de trouver des types raciaux d'une pureté irréprochable.

On admet généralement que les civilisations humaines les plus anciennes seraient d'origine indo-européenne et que du cœur de l'Asie deux rameaux migrateurs auraient divergé : l'un vers l'Europe avec les Aryens, l'autre vers l'Afrique avec les Sémites et que l'un et l'autre auraient donné naissance à d'immenses peuplades confédérées : les Gaulois, les Celtes, les Ligures, les Ibères, les Arabes et nous n'en finirions pas de citer des noms de tribus qui s'épuisèrent en guerres perpétuelles pour exploiter les richesses naturelles et assurer leur survie.

La France actuelle est le pays le plus anciennement peuplé du monde, bien évidemment parce que les conditions de la vie humaine y ont été jugées les meilleures par les peuplades qu'elle a accueillies au cours des siècles.

Aux premiers occupants se sont fondus au creuset celto-gaulois des Bretons, des Basques, des Vikings, des Ligures, des Romains, sans parler des apports orientaux et africains. C'est pourquoi il est impossible d'affirmer que notre peuple est une véritable race physique.

Et ces phénomènes de mutations, de migrations, d'intégrations qui ont existé à l'échelle nationale, nous allons les cerner de plus près au plan régional et local.

Nous avons expliqué dans nos précédents ouvrages les buts recherchés par les peuples du Moyen-Orient qui longèrent les côtes de la Méditerranée au temps de ces millénaires de l'Antiquité qui précédèrent l'ère chrétienne : les Crétois, les Phéniciens, les Grecs ont défilé sans se fixer définitivement et puis dans les environs des IVe et IIIe siècles avant notre ère, notre région provençale connut la rencontre des Celtes venus du nord avec des populations indigènes dites Ligures, rencontre pacifique au dire des historiens. De cette fédération celto-ligure, nous dit Louis Baudoin, naquit une peuplade appelée Camatuliciens qui s'installa en plusieurs points de la région toulonnaise et connut certainement le territoire de Sicié. Grâce à son savoir-faire, cette peuplade aurait pu créer des institutions locales dans notre contrée qui offrait aux hommes beaucoup de facilités pour leur subsistance quotidienne.

Vers la fin du IIe siècle avant notre ère passèrent les Romains, porteurs d'une civilisation très évoluée qui fit ses preuves avant l'ère chrétienne sur notre littoral. On sait les traces profondes laissées par eux dans de nombreuses cités de notre région provençale et dans toutes les régions de La Gaule dont ils firent la conquête. Les siècles passèrent et il est certain qu'ils eurent des contacts très étroits avec les populations autochtones soumises sans difficultés majeures dans notre région.

Mais la puissance des Auguste, des César, des Marc Aurèle allait s'émousser peu à peu.

L'effondrement du grand empire romain fut suivi d'une longue période de violence et d'anarchie. La Gaule connut alors les grandes invasions venues du cœur de l'Asie avec les Huns mais surtout de l'Europe centrale avec les Wisigoths, les Ostrogoths, les Vandales, les Burgondes, qui constituèrent ce qu'on a appelé les royaumes barbares.

Au début du VIe siècle, un autre peuple venu de Germanie conquit toute La Gaule, soumit tous ces royaumes épars et rivaux. Ce fut alors le règne des Francs qui se donnèrent un grand chef Clovis, considéré déjà au Moyen Age comme le premier roi de France.

Il réalisa l'unité de tous les peuples envahisseurs, après les avoir vaincus tout à tour. Il eut le mérite de préparer une fusion pacifique avec les Gallo-Romains.

Dans notre région provençale, qui fut occupée longtemps par les Ostrogoths, le rapprochement avec les descendants des Celto-Ligures se fit paisiblement.

Les populations de l'époque auraient pu espérer que le raffermissement d'un Pouvoir central leur permettrait de vivre en paix dans un pays au climat idéal et aux ressources d'une extrême variété.

Hélas ! Après la disparition de l'Empire romain, l'anarchie régnant sur l'ancienne Gaule, les peuplades d'Afrique du Nord exercèrent leurs premières convoitises sur nos côtes provençales. Venus d'Espagne, ils furent arrêtés en 732, par le fameux duc des Francs, Charles Martel et refoulés vers le Languedoc et la Provence. Ils arrivèrent aussi par mer sur notre littoral quand l'Empire de Charlemagne fut démembré et la région méditerranéenne isolée de la France. Ils s'établirent fortement à la Garde-Freinet (Fraxinatum) et se fixèrent longtemps dans la montagne des Maures.

La piraterie sarrasine ou mauresque interdit donc à nos ancêtres Celto-Ligures Camatuliciens de s'installer durablement sur le bord des flots bleus. Leur établissement définitif ne put se réaliser qu'après la lutte impitoyable du Comte de Provence, Guillaume Ier qui écrasa les Sarrasins à la Garde-Freinet en 972, dans leur repaire. Des milliers d'entre eux furent réduits à l'esclavage.

Parmi les seigneurs qui se distinguèrent dans ces combats, il faut noter Gibelin Grimaldi qui planta son drapeau au sommet du Mont Maure et s'empara d'un butin considérable. Depuis cette époque, le nom de Grimaldi a été donné à Grimaud.

Les Arabes mis à la raison, la Provence n'allait pas encore connaître la stabilité. Elle passa aux mains du Comte de Barcelone, Raymond Bérenger, puis au XlVe siècle, ce fut la reine Jeanne de Naples qui en eut la charge. Puis notre belle Provence fut envahie pendant les guerres d'Italie, François Ier étant roi de France. Les troupes de Charles-Quint s'emparent de Toulon, mais échouent devant le siège de Marseille en 1524.

Dix ans plus tard la Provence est de nouveau dévastée. Puis commencent les guerres de religion. Ce sera seulement en 1593 que la Provence sera conquise définitivement par Henri IV. Que d'incertitudes ! Que de complications avant que les conditions de la vie humaine puissent s'établir sur nos rivages ! Dans nos précédents écrits, il a été montré que le peuplement des bords de la rade de Telo Martius ne fut possible qu'après l'organisation de la défense côtière : l'arsenal, les fortifications, la Tour Royale, Balaguier, la flotte de guerre,...

Voilà qui nous amène enfin aux origines de La Seyne et de son port, à la naissance et au développement de sa population dont il est bien difficile de déterminer les racines d'autant que les migrations ne sont pas des phénomènes humains, toujours prévisibles. Il y a des mouvements de populations préparés, organisés dans des buts économiques précis. Par contre, nous venons de voir à travers une histoire fragmentaire de la France et de la Provence que le déplacement des gens est souvent la résultante des guerres, des invasions, des persécutions politiques ou religieuses. Si nous avons insisté quelque peu sur les tribulations, les fluctuations des peuplades qui nous ont précédés avant de parvenir à une stabilité relative, c'est qu'il fallait montrer au lecteur qu'il n'est au pouvoir de personne de connaître sa véritable identité raciale.

 

Les Seynois des XVIe et XVIIe siècles : Vers la stabilité

Il semble bien que ce fut à partir du XVe siècle que nos ancêtres seynois commencèrent à connaître une stabilité suffisante pour y exercer des activités terrestres et maritimes durables.

Dans le premier texte de cet ouvrage, nous avons fait mention de la première administration municipale mise en place dans la chapelle des Pénitents Blancs : nous n'y reviendrons pas.

Voyons pour l'instant ce que représente vraiment la bourgade de La Seyne, comment est composée sa population de travailleurs, illettrés pour la plupart, de petits-bourgeois assez bien nantis. Le texte intitulé Place du Marché a montré comment, après la disparition des dangers de la piraterie, notre communauté seynoise se constitua lentement par la jonction des premiers hameaux établis sur les quartiers Cavaillon, Tortel, Beaussier, Daniel, par la maîtrise d'un milieu naturel hostile que constituaient les épais marécages du littoral par la longue lutte contre les féodaux six-fournais accrochés férocement à leurs privilèges fiscaux et décidés obstinément à maintenir La Sagno en état de vassalisation.

Avant même de conquérir son indépendance, notre cité compte en 1631 un millier d'habitants, deux cents immeubles d'habitations environ, une classe prospère de commerçants, d'artisans, de capitaines. La petite construction navale en bois est à l'origine d'une classe ouvrière qui prendra une extension considérable à partir du XIXe siècle. Elle compte essentiellement des charpentiers, des gréeurs, des voiliers, des lesteurs, des calfats, tous enfants du pays.

En 1636, l'ensemble des habitants : petits-bourgeois ou prolétaires exige des administrateurs seynois et non six-fournais. Les années passent, les activités se multiplient, la population augmente et dépasse celle du suzerain six-fournais.

Les grands domaines de l'abbaye de Saint-Victor morcelés, vendus, ont donné naissance à une classe paysanne dont on retrouve le nom des familles dans les quartiers : Audibert, Lombard, Daniel,... Sur ces terres, les métayers, les ouvriers agricoles vont tirer des richesses en fruits, légumes, produits d'élevage pendant, que sur les rivages les pêcheurs s'organiseront eux aussi pour exploiter admirablement les produits de la mer aux variétés infinies d'espèces comestibles.

Ainsi La Seyne est devenue une bourgade importante qui méritait d'obtenir son autonomie. Elle lui sera attribuée en juillet 1657 par les lettres patentes du roi Louis XIV qui consacrèrent la séparation des deux communautés de La Seyne et Six-Fours.

 

Comment s'appelaient-ils ?

Venons-en maintenant à l'origine des noms seynois sans vouloir remonter les méandres de l'anthroponymie, cette véritable science qui se propose la recherche de l'origine des noms, leur localisation et aussi leur évolution, nous allons à la lumière d'exemples précis montrer que les noms propres de nos anciens du Moyen Age sont toujours en usage après cinq siècles écoulés.

Remarquons au passage que cette stabilité ne pouvait exister antérieurement parce que l'État civil n'était pas encore organisé. Ce fut François Ier, qui le rendit obligatoire par l'ordonnance de Villers-Cotterets de 1539. À partir de là, ce fut le Clergé qui se chargea d'en tenir les registres jusqu'à la Révolution et la nouvelle Constitution de 1793.

Les noms propres de nos plus anciennes familles se trouvent non seulement dans le midi méditerranéen mais aussi dans le Sud-Ouest, le Centre de la France, la région lyonnaise, avec généralement tous les départements au substrat occitan et quelquefois même au nord des pays de Loire. Le dictionnaire des noms de famille et prénoms de France nous apprend que des noms bien connus de La Seyne et de la Provence ont des origines très lointaines. Audibert, variante de Audebert a des origines germaniques (Aldiberht). Cauvin (nom primitif de Calvin) est originaire de Noyon en Picardie. Bourguignon, très répandu dans le midi, provient de la Bourgogne où s'installèrent les Burgondes, peuplade germanique, au début du Moyen Age.

Nous disions tantôt que des milliers de Sarrasins, de Maures et autres Barbaresques furent capturés par des troupes françaises après leur défaite du Fraxinet : les uns réduits à l'esclavage, avaient été envoyés aux galères. D'autres, plus chanceux, entretinrent les domaines féodaux, ou même quelquefois servaient les prêtres dans leur église.

Combien de ces esclaves féminins firent l'objet d'un commerce odieux d'où il résulta de nombreuses descendances mauresques ?

La science de l'anthroponymie nous enseigne qu'il existe bien en Provence des noms d'origine sarrasine (ou maghrébine)...

Comme il en existe d'ailleurs en Languedoc ou en Aquitaine, c'est-à-dire des provinces occupées jadis par les Arabes venus d'Afrique du Nord par l'Espagne. Généralement les noms commençant par al ou el sont portés par des familles françaises depuis des siècles. Voici quelques exemples : un nom comme Alcabour d'origine arabe, est celui d'une famille venue en Flandre pendant l'occupation espagnole du XVIIe siècle. On trouve maintenant des Alcabour chez nous et nous pouvons citer des Albeziane, des Alcaïde, des Alcoléa, des Alézard, des Alfocéa, etc.

Quand la première administration fut mise en place à la tête de notre commune, la petite bourgeoisie veilla à ce que les édiles municipaux portent bien des noms du cru. Nous pouvons trouver dans les procès-verbaux de réunions, des actes administratifs des noms courants de familles qui ont encore des descendants présentement comme : Audibert, Daniel, Guigou, Lombard, Beaussier, Tortel, Ricard, Pascal, Vicard, Pourquier, Denans, Estienne, Arnaud, Martinenq, Verlaque, Jouglas, Curet, Blanc, Berny, Prat, etc.

Si nous consultons les livres terriers (cadastres d'autrefois), nous retrouvons les mêmes noms obligatoirement parce que les édiles de ce temps-là devaient être propriétaires fonciers, comme les électeurs d'ailleurs.

Ces noms de familles seynoises du XVIIe siècle, nous les trouvons aussi dans les documents six-fournais en remontant les siècles ayant précédé la séparation de La Seyne de sa commune mère.

Citons-en quelques autres typiques du terroir de l'abbaye de Saint-Victor : Bonnegrâce, Roux, Brun, Guiol, Granier, Espanet, Bernard, Bertrand, Olivier, Venel, Revest, Dallest, Coulomb, etc.

Poursuivons nos investigations vers le milieu du XVIIIe siècle. À La Seyne, après la reprise de Toulon, aux Royalistes et aux Anglais, des poursuites sont engagées contre 198 citoyens pour délit d'émigration. lis se nomment : Abran, Baudoin, Beaussan, Bonnefoy, Bousquet, Brémond, Castillon, Esclapon, Fabre, Fournier, Gautier, Fouque, Magnan, Minjaud, etc.

Pas un seul de ces noms nous fait penser à des origines étrangères. Tous ces patronymes que nous trouvons au fil des siècles prouvent bien la stabilité de cette population descendante des Celto-Ligures.

Une stabilité qui s'explique par le manque de communication et de transport, d'où la paralysie des échanges commerciaux, d'où la nécessité pour de nombreuses communautés de vivre en autarcie.

N'avons-nous pas écrit déjà que La Seyne, ayant conquis son autonomie, avait montré sa capacité à se suffire en ressources alimentaires : céréales, fruits, légumes, huile, poisson,... ?

À certains moments de son histoire, La Seyne connut évidemment des perturbations du fait des événements. Pendant les guerres d'Italie par exemple, des mouvements de troupes ont causé bien des inquiétudes à nos ancêtres, mais on ne put les comparer à des mouvements migratoires importants capables de déstabiliser la société de l'époque.

Pendant des siècles, on vit donc très peu d'éléments étrangers se mêler à la population autochtone, exception faite pour quelques déserteurs, quelques esclaves sarrasins libérés et sans doute aussi des navigateurs en rupture avec les lois de leurs pays.

Nous aurions pu aussi nous étendre sur la composition des unités de gardes nationaux en 1792. Leur effectif est de 729 hommes. De leur liste nominative, nous avons extrait seulement 6 noms à consonance italienne comme Anglesi, Bonomi,... Certains autres comme Coupini figurent dans d'autres documents et sont terminés par un y. La proportion des noms étrangers est quasiment nulle.

Entrons dans le XIXe siècle : les actes de naissance enregistrés entre 1847 et 1852 s'élèvent à 630. Sur ce nombre, on compte seulement 36 noms qui font penser à une origine italienne parce que terminés par a, e, i, o. C'est l'amorce d'un mouvement migratoire imposé aux ultramontains par nécessité économique. La proportion de ces premiers immigrés est certainement beaucoup plus forte, car nombre d'entre eux célibataires vinrent s'établir presque clandestinement à titre d'essai et leur nom n'apparaît pas dans les documents administratifs. Autre indication significative : on ne trouve pas de nom à consonance étrangère sur le cadastre de 1829. Avant de cerner ce problème considérable de l'immigration au plan local, il est indispensable, croyons-nous, de le situer d'abord à l'échelle nationale.

 

Un siècle d'immigration en France

Depuis 100 ans, ils ont été des millions d'hommes à quitter leur pays d'origine pour venir s'installer en France. Le développement de la grande industrie et la faiblesse de la natalité favorisèrent à partir de 1850 un appel à la main d'œuvre immigrée.

En 1886 notre pays comptait déjà 1,1 million d'étrangers qui venaient surtout de pays limitrophes comme la Belgique et l'Italie.

Il s'agissait là d'une immigration de voisinage à caractère spontané dont les Belges représentaient 43 % et les Italiens 23 %. Presque tous ces étrangers étaient employés dans l'industrie et l'agriculture. Étant près des Français culturellement, leur intégration se fit sans difficulté au point qu'une loi de 1889 facilita leur naturalisation.

Entre 1900 et 1910 les organismes privés spécialisés dans le recrutement furent mis en place et le puissant Comité des Forges structura en Suisse et en Italie tout un réseau de recrutement de travailleurs pour la sidérurgie et les mines.

Nous verrons plus loin que le patronat seynois, de son côté, apporta son précieux concours pour trouver la main d'œuvre nécessaire à la navale.

À la suite de la première guerre mondiale, la situation démographique française continua à se dégrader. L'État prit alors à sa charge une partie du recrutement des travailleurs étrangers (environ 30 %). La Société générale d'immigration, fondée en 1924, fit le reste.

En 1911 les étrangers représentaient 2,8 % de la population totale. En 1930, ils atteignaient 7 %.

Dans la période 1929-1930, caractérisée par une grave crise économique, un grand nombre de ces étrangers seront renvoyés.

 

L'immigration italienne

Ce fut effectivement à partir de 1852 que les rivages méditerranéens provençaux connurent un afflux sensible d'émigrés italiens, mouvement dont la cause résidait avant tout dans leurs conditions de vie d'une extrême précarité tant à la ville qu'à la campagne.

Les témoignages dont nous ferons état seront très éloquents.

On vit dans cette période des Italiens si misérables que certains n'hésitèrent pas à tenter de grandes aventures, à s'expatrier en pays lointains, très souvent aux États-Unis ou en Amérique latine avec l'espoir d'y exploiter des richesses.

Les moins audacieux se contentèrent de franchir nos frontières alpestres dans l'espérance d'y trouver des conditions de vie plus humaines.

Les difficultés du peuple s'expliquaient surtout par le fait que l'Italie de cette époque n'était pas encore une nation vraiment organisée, que ce fut seulement entre 1859 et 1870 que se réalisa son unité politique sous l'impulsion de Cavour encouragé par Napoléon III.

Entre ses petits états et ses provinces, c'étaient des rivalités sans fin, obstacle à tout développement d'ensemble de la société et de l'économie italiennes.

Les ressources à caractère industriel faisaient cruellement défaut alors que du côté de la France, la sœur latine, les industries de toutes sortes prenaient une extension fulgurante. Les transports, surtout avec l'utilisation de la vapeur, entraient dans une phase de développement considérable. Les chemins de fer, la construction navale, les liaisons maritimes exigeaient de plus en plus une main d'œuvre nombreuse et qualifiée.

Le patronat français n'hésita pas à faire appel à la main d'œuvre étrangère.

Rappelons un exemple bien local : Michel Pacha, vers la fin du siècle dernier, fit venir quatre cents travailleurs d'Italie, terrassiers et maçons en priorité, pour réaliser la Corniche de Tamaris.

MM. Noël Verlaque et Amable Lagane, directeurs des chantiers navals, en appelèrent eux aussi à la main d'œuvre immigrée. Ils n'avaient pas grand-chose à perdre ces paysans loqueteux, ces montagnards du Piémont qui vivaient de châtaignes et de polenta ; ces jeunes femmes qui transportaient des seaux de vidanges à des altitudes incroyables pour fertiliser la terre des restanques hautes et abruptes.

- Non ! disaient-elles. Cette vie ne peut plus durer !

Mais avant de s'expatrier, il fallait avoir un minimum de garantie. On discutait dans chaque famille. Comment ferons-nous pour nous loger ? Comment serons-nous accueillis ?

Au bout de ces discussions, on décidait toujours de faire partir un ou deux membres de la famille en éclaireur, des hommes d'abord, des célibataires de préférence, pour savoir comment les choses pourraient se passer.

Le phénomène de l'immigration italienne qui a concerné notre région et La Seyne en particulier, s'est manifesté à trois périodes distinctes : le milieu du XIXe siècle, la fin du XIXe siècle, surtout dans les années 1875-1876, et l'après-guerre de 1914-1918 jusqu'en 1936. Nous verrons plus loin que pendant cette dernière période, les motivations ne furent pas les mêmes qu'au début. D'une guerre à l'autre, les événements allaient bouleverser bien des choses.

La première période fut celle de l'expérience, des tâtonnements, car la sécurité de l'emploi ne fut pas toujours assurée. Les travailleurs italiens avaient fait preuve d'un optimisme excessif.

Certains hésitaient à quitter définitivement leur pays par crainte d'apparaître comme des traîtres à leur patrie. De jeunes immigrés y retournaient pour accomplir leurs obligations militaires ou alors par désir d'y trouver une épouse.

Et pourtant leur misère était si grande qu'ils finirent par opter définitivement pour La Seyne et la région provençale.

Dans un premier temps, ils s'efforcèrent de trouver un travail stable, un logement modeste et envoyaient des subsides à leur famille restée au pays.

Par la suite, ils furent rejoints par leur femme et leurs enfants. De nombreux jeunes fondèrent véritablement leur foyer à La Seyne.

Mais il y eut fréquemment des périodes de chômage dans les industries seynoises et les étrangers en furent les premières victimes.

Sans se laisser abattre, ces malheureux entreprirent les métiers les plus divers. Rien ne les rebutait. Certains fouillaient dans les poubelles, ramassaient et revendaient des chiffons, des peaux de lapin, du verre ; d'autres faisaient du commerce ambulant, vendaient des pommes de terre, de l'ail, des plantes aromatiques, du pétrole, des bougies, du bois gras pour allumer le feu des fourneaux.

Malgré toutes leurs difficultés, on en voyait exercer deux ou trois métiers différents, travaillant jusqu'à 15 heures par jour. Ils réussirent à se loger dans des taudis dont ils agrémentaient l'intérieur quand ils le pouvaient.

Puis, après des périodes de chômage, le travail reprenait dans les chantiers où on leur réservait les travaux les plus pénibles.

Leur persévérance, leur âpreté au gain leur permirent de s'installer tout de même et d'inciter par la suite d'autres membres de la famille à les rejoindre.

Le premier courant de l'émigration italienne fut modéré ainsi que l'attestent les actes de naissance enregistrés à l'Hôtel de Ville. Entre 1853 et 1862, on compte 2 480 naissances dont 230 d'origine italienne, soit moins de 10 %.

L'extension de l'émigration à des familles entières se manifesta surtout dans les deuxième et troisième périodes, c'est-à-dire à la fin du XIXe siècle et surtout au début du XXe siècle.

Indépendamment des tâches ménagères, les femmes elles aussi, travaillèrent durement comme couturières, lavandières, balayeuses de rue, ouvrières agricoles.

Quels quartiers accueillirent ces émigrés italiens en priorité ?

Tout d'abord les quartiers de la Lune, des Mouissèques, de la Rouve, de Saint-Antoine évidemment parce qu'ils étaient tout près de leur lieu de travail, tout au moins pour ceux travaillant au chantier naval.

Les habitants de ces quartiers non encore urbanisés, vivaient dans une saleté repoussante. Aucun écoulement d'eau n'y existait ; les marécages des Mouissèques étaient tout proches ; les tas d'ordures où pullulaient les rats entretenaient des maladies endémiques. Le choléra de 1865 y prit naissance, ce qui expliqua les nombreuses victimes parmi les émigrés italiens.

Il fallut l'arrivée de Saturnin Fabre à la tête des affaires communales pour assainir ces quartiers mal famés à tous points de vue.

 

D'où venaient-ils ces travailleurs émigrés ?

Ils arrivaient du Piémont, de la Toscane, de Naples, de Sicile, de Sardaigne. S'ils n'avaient pas tous une formation bien déterminée, ils avaient surtout la volonté d'entreprendre.

Ceux en provenance de Naples, de la Sicile, s'établirent comme pêcheurs à Saint-Mandrier où existait depuis longtemps un port très abrité. À la fin du XIXe siècle, on en comptait 53 en provenance de Procida (golfe de Naples) tandis que dans la même période, on en trouvait une douzaine à Saint-Elme.

Vers 1860, à Saint-Mandrier, habité par des familles aux noms provençaux comme Peyret, Bernard, Andrieu, Blanc, Gaudemard, Giraud, Jouvenceau, vinrent s'incorporer les Esposito, Coppola, Bianco, Ajello, Saldalamacchia, Scotto di Rinaldi et plus tard viendront se fixer à La Seyne (hameau de Saint-Elme) des Vuolo, des Attanasio, des Repeto. Des centaines de transalpins, d'abord des célibataires, arrivèrent de Coni, de Buti, de Gênes, et entrèrent aux Forges et Chantiers comme manœuvres. Les ouvriers qualifiés rares au début, devinrent de plus en plus nombreux.

Le Petit Var, journal d'information, publiait à la fin du XIXe siècle des statistiques dont les chiffres suivants sont extraits :

- En 1881, on comptait dans les chantiers navals 2.177 ouvriers. Sur ce nombre, 58,4 % étaient Français ; 41,4 % étaient Italiens.

- En 1887, sur 2.223 ouvriers, on compte 1.152 Français et 1.071 Italiens.

- En 1902 : la construction navale bat son plein, la guerre approche ! Sur les 5.420 ouvriers des chantiers navals, 3.550 sont Français et 1.450 sont Italiens employés à titre permanent, auxquels s'ajoutent 420 étrangers à titre extraordinaire.

Des centaines d'autres Italiens s'établirent comme ouvriers agricoles, artisans maçons, ferronniers, cordonniers, petits commerçants. Ils surent admirablement s'adapter à tout : aux modes de vie, à la langue provençale (surtout les Piémontais), à la langue française qu'ils apprirent aisément pour la plupart à lire et à écrire.

Peu à peu, ils abandonnèrent les premiers quartiers malsains et s'installèrent dans des locaux plus confortables de la ville : rue Evenos, rue Messine, rue de l'Hôtel de Ville. Puis, leur infiltration se fit dans les quartiers extérieurs : quartier Beaussier, Cavaillon, Pont de Fabre... La place Bourradet vit naître le bar de Florence fréquenté assidûment le dimanche jusqu'à une heure tardive. Après les excès de boisson, les jeux de cartes ou de la moura se terminaient souvent par des rixes.

Quel accueil la population seynoise réserva-t-elle à ces étrangers ? D'après les travaux d'enquête de quelques chercheurs, les nombreux témoignages de leurs enfants et petits-enfants et aussi notre expérience propre, il ressort que la froideur et l'hostilité constatées au début des premières migrations ne furent jamais la cause de violents conflits. Certes, les sarcasmes dont les Italiens furent abreuvés au début de leur séjour à La Seyne ne pouvaient pas créer une atmosphère agréable de cohabitation. Les qualificatifs de Piantou, de Babi, de Macaroni fusèrent longtemps dans la bouche des Seynois qui se disaient appartenir à une race pure. Les anciens surtout réagissaient mal. Déjà ils s'exprimaient en racistes, ce qui explique en partie le lent processus des naturalisations et aussi le désir de certaines familles de retourner au pays natal.

Cependant, les récriminations de la population ne se manifestaient pas avec violence publiquement. Entre eux, les Seynois protestaient contre la présence des étrangers parce que, disaient-ils, ils sont la cause du chômage et puis ce sont les Italiens qui nous apportent les maladies contagieuses. Leurs enfants sont tous pleins de poux.

- " Qu'attend-on pour nous débarrasser de cette engeance ? ".

Les mois et les années passèrent et les Seynois constatèrent l'évidence : les Italiens étaient des travailleurs acharnés et honnêtes qui rendaient partout des services appréciables. La majorité de la population comprit le désespoir qui avait contraint ces malheureux à quitter leur patrie. Elle leur fit confiance et les gens compréhensifs disaient : " Ils sont des latins comme nous, leurs ancêtres Romains sont venus chez nous il y a bien longtemps. Ils sont chrétiens comme nous et ils iront à la même église. Notre langue provençale leur est familière, surtout chez les Piémontais ". Vous verrez, ils finiront par prendre nos habitudes. Ainsi le bon sens triompha et le moment vint où les beaux émigrés ne retournèrent plus en Italie chercher une épouse. N'y avait-il pas de belles filles à La Seyne ? Et il y eut aussi de belles brunes venues de Lombardie et de la Toscane qui ne laissèrent pas indifférents les pêcheurs et les cultivateurs seynois.

Les petits-bourgeois qui les méprisèrent, en vinrent à les utiliser pour maints travaux à la ville comme à la campagne. L'adaptation, l'intégration de ces émigrés se faisait insensiblement.

Leurs enfants furent reçus dans les écoles et les enseignants se mirent à leur portée pour les faire suivre.

Vers la fin du XIXe siècle, le processus des naturalisations s'amorça sérieusement malgré les frais de chancellerie qui posaient parfois problème chez les plus humbles.

Un phénomène déterminant pour l'intégration des étrangers ultramontains fut leur participation à la vie associative. Ils ne furent pas indifférents aux organisations ouvrières, aux syndicats. Leur fanfare La Garibaldienne, se mêlait souvent aux festivités locales. Et peu à peu, par dizaines, les musiciens italiens entrèrent dans nos philharmoniques locales : La Seynoise et L'Avenir Seynois.

À partir de 1910, les naturalisations se multiplièrent : entre 1895 et 1910, 510 Italiens optèrent pour la nationalité française. Les jeunes furent appelés au service militaire et malheureusement des dizaines d'entre eux tombèrent sur les champs de bataille dans les premiers mois de l'année 1914, donnant ainsi la preuve cruelle de leur attachement à la France, leur terre d'accueil.

 

Entre 1920 et 1940

À partir de 1921, le paysage politique italien se dégrada dangereusement. On sait comment Mussolini, avant même de devenir le chef de l'État, avec l'appui du roi Victor Emmanuel et de la Papauté, fit régner la terreur dans son pays en brisant par la force brutale, les tortures et les assassinats, tous ceux qui s'opposaient à sa politique et à son idéal fasciste.

Des milliers d'Italiens poursuivis trouvèrent un refuge en France et particulièrement dans le Midi grâce à des compatriotes installés depuis plusieurs décennies sur des terres provençales et des cités industrielles comme La Seyne. L'immigration s'accentua et prit alors un caractère nettement politique. Par centaines, démocrates, républicains, socialistes, communistes, anarchistes, libre-penseurs, furent accueillis par des familles d'immigrés qui prirent de gros risques en assurant leur clandestinité. Disons au passage que les familles les plus humbles sauvèrent des hommes politiques de haut rang comme Saragat ou Pietro Nenni, devenus dans la République italienne d'après guerre, les plus hauts personnages de l'État.

Les émigrés de cette période arrivèrent souvent sans autorisation légale et furent tout disposés à renforcer le courant antifasciste en France où les syndicats et les partis politiques de gauche s'unissaient dans le vaste mouvement du Front Populaire. Dans cette même période, les Républicains espagnols se battaient contre Franco, de sinistré mémoire, allié de Hitler et Mussolini.

De courageux émigrés italiens n'hésitèrent pas un instant à s'engager dans les brigades internationales et nous avons en mémoire les noms de Seynois comme Casanova, Salvatore Casulo, Angelo Filiputti, Lombardozzi, Gaspard Francioli, etc.

Dans la période du Front Populaire, beaucoup d'émigrés italiens réussirent à régulariser leur situation et obtinrent leur naturalisation.

La période comprise entre 1925 et 1936, onze années de l'entre-deux guerres, vit donc un mouvement migratoire important de l'Italie vers la France, renforcé par le fait des persécutions politiques, ce qui ne veut pas dire que les motivations à caractère économiques avaient disparu, au contraire, car le fascisme n'a jamais amélioré les conditions de vie du peuple italien.

Tous ces nouveaux Seynois du XXe siècle ont permis le doublement de la population. Ils s'enracinèrent solidement après des années de travail acharné et des économies substantielles.

Leurs premiers lopins de terre se transformèrent en hectares où ils creusèrent des puits pour arroser leurs cultures et bâtirent leur maison d'habitation.

Une petite bourgeoisie italienne naquit avec les propriétaires terriens, les artisans maçons, les commerçants, une classe qui faisait bien des jaloux parmi les Seynois de souche.

On les avait admis ces Italiens, mais un certain racisme persistait, révélé dans les conversations.

- " Un jour, ils seront les maîtres de tout : de nos terres, de nos entreprises, ils s'enrichissent sur notre dos les Macio, les Salvagno, les Césana, les Ristorto, les Cavallo, les Tosello ".

- " Ce qui est plus grave répliquait un interlocuteur, c'est que leurs enfants se sont instruits dans nos écoles et demain ils seront les maîtres de notre administration... les Garaudi, les Magnino, les Bellone, les Ribba, qui ont fait leur maistrance auront bientôt l'arsenal en main ".

- " On les voit partout : dans les écoles les Melgazza, les Giordano, les Fenoglio, les Rossi font la classe à des petits Seynois. C'est un comble ça ! ". Un autre répliquait : " Vous allez sur le marché, à la poissonnerie ; là ce sont les Filipucci, les Peluffo, les Aquarone, les Queirollo, les Attanasio, les Vuolo, les Repeto,... ".

Monsieur Pons, Président de La Seynoise, au début du XXe siècle, assistait à la pénétration des Italiens au sein de la Philharmonique. À certains sociétaires qui tiquaient devant l'entrée des Gilardi, des Taliani, des Baschieri, des Contratto, des Maffiolo, des Romano, des Ribba, des Garro, etc., il répondait tranquillement : " Pourquoi les refuserions-nous puisqu'ils sont de bons musiciens ? ".

Le même phénomène d'intégration se produisait dans les syndicats, les partis politiques. Les Italiens naturalisés, pouvaient prétendre à juste titre à des responsabilités et des honneurs dans le mouvement associatif.

Dans les années de l'entre-deux guerres, apparurent quelques candidatures aux élections municipales, avec prudence toutefois.

Il est vrai que le mélange des communautés seynoise et italienne s'était finalement effectué sans violence notable, mais un fond de racisme persistait parmi les électeurs. La preuve nous était donnée au moment des élections municipales où l'on voyait des électeurs, qui ne s'en cachaient pas d'ailleurs, rayer les noms des candidats aux noms d'origine italienne, au moment où les lois électorales permettaient dans les scrutins de liste, de panacher ou de rayer des candidatures.

Des Seynois déclaraient : " Que des Italiens président des associations de boulomanes, passe encore ! Mais qu'ils administrent la ville ! Alors ça, ce serait une abomination ! ".

Ces mêmes citoyens approuvèrent les mesures draconiennes prises par le gouvernement de Vichy en 1940 à l'encontre des étrangers et des familles italiennes en particulier. À La Seyne des centaines d'entre elles furent chassées, des sanctions prises contre des fonctionnaires d'origine italienne ; cela au nom du patriotisme le plus pur du Maréchal Pétain, alors que dans le même temps, il se soumettait à toutes les exigences d'Hitler et de ses complices nazis.

La guerre 1939-1945 soumit les émigrés italiens à de rudes épreuves : à ceux qui tombèrent sur les champs de bataille ou dans les combats de la Résistance s'ajoutèrent les victimes civiles des bombardements. Le lecteur pourra en consulter la liste dans le tome II au chapitre intitulé Des années dramatiques.

Lors de l'occupation italienne en 1943, de nombreux Italiens vécurent clandestinement parce que recherchés par les sinistres Chemises noires qui poursuivaient les antifascistes, même parmi les émigrés. La paix enfin revenue, La Seyne pansa ses blessures, reconstruisit ses habitations et il est évident qu'on ne pouvait plus faire aucune distinction entre les communautés seynoise et italienne tant les heures douloureuses les avaient rapprochées l'une de l'autre.

À de rares exceptions près on ne vit pas de familles italiennes retourner se fixer à leur point de départ. De nos jours, là où se retrouvent des parentés, on se rend des visites périodiques et on peut considérer que le grand courant migratoire italien auquel nous avons assisté est maintenant terminé. Est-ce à dire que des faits semblables ne sont plus possibles ? Il serait imprudent de l'affirmer car dans notre monde agité, tourmenté à l'extrême, tout est possible. Nous reviendrons sur le sujet dans la conclusion de cette étude.

 

D'autres mutations

À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, la région provençale et surtout son littoral méditerranéen allaient connaître un développement économique important et un accroissement sensible de sa population.

L'extension de la construction navale, le renforcement de la flotte de guerre concentrée à Toulon, la création des grandes compagnies de navigation à Marseille, l'amélioration des liaisons ferroviaires et maritimes furent autant de facteurs d'intensification des échanges entre les pays de l'immense empire colonial français et ce qu'il était convenu d'appeler la mère patrie.

Tout cela entraîna obligatoirement des déplacements de population, des intégrations les plus inattendues, des émigrations de Français vers d'autres continents, des mutations internes dont voici quelques exemples :

On sait que, traditionnellement la Bretagne a toujours donné à la Marine nationale un contingent important de ses fils. Toulon, devenu le plus grand port de guerre, vit augmenter de façon sensible le nombre des familles bretonnes dont certaines vinrent s'installer à La Seyne définitivement.

Les chantiers navals de La Seyne ayant construit des bateaux pour la Grèce, il arriva souvent que les unités de la marine hellénique reviennent à leur point de départ pour des réparations nécessaires ou des travaux de modernisation ; ce qui explique la présence à La Seyne, en nombre limité il est vrai, de quelques familles d'origine grecque fondées par des marins des flottes civiles et militaires.

Des noms comme Cotsis, Patellis, Pappas, Panayotis, sont bien connus de nos concitoyens. Quand on sait qu'il existe aussi des Augias à Toulon, à Hyères,... et aussi à La Seyne, comment ne pas penser à la Grèce antique et à ses navigateurs qui appelèrent Sicié le promontoire cithariste,... il y a 2000 ans !

Vers les années 1915-1919, les Turcs entreprirent d'exterminer les Arméniens. Les persécutions des musulmans contre les chrétiens, les conflits à caractère religieux, prirent une ampleur dramatique dans les pays du Moyen-Orient, des violences qui hélas ! ne sont pas encore apaisées de nos jours !

Par milliers les Arméniens terrorisés quittèrent leur pays et se réfugièrent dans les États limitrophes, dans un premier temps. Les dangers persistants les poussèrent plus tard à gagner les rivages hospitaliers de la Provence.

Comment la France généreuse aurait-elle pu refuser d'entendre les suppliques des malheureuses victimes de la barbarie ?

Le port de Marseille en reçut un grand nombre. Particulièrement doués pour le commerce et la petite industrie, les travailleurs arméniens surent par leurs qualités, se faire admettre au sein de la population marseillaise et combien, depuis, ont épousé des Françaises et fondé un foyer ?

Naturellement, leurs activités rayonnèrent dans la région et La Seyne en reçut quelques centaines. Qu'il nous soit permis là encore de citer quelques noms devenus bien familiers aux Seynois : Azarian, Bibérian, Garabétian, Papazian, Khidérian, Zadigan, Mikélian,...

Un mouvement migratoire sensible qui concerne particulièrement les régions du Nord et de l'Est est celui des Polonais venus travailler dans les mines de charbon et de minerai de fer, depuis plus d'un siècle. Nous pourrions faire aussi état de quelques familles venues se retirer dans le midi de la France, préférant notre climat si attachant aux froidures polonaises. Nous ne pourrions donner, là encore, que des exemples limités.

Pour respecter un ordre chronologique, citons le passage sur nos rivages de touristes anglais dans les années 1920-1925. Il ne s'agissait pas de richissimes car l'équipement hôtelier eut été insuffisant pour eux. La promenade des Anglais, c'était à Nice et à Cannes.

Des gens de condition modeste trouvèrent tout de même agréables la Corniche de Tamaris et les rivages lumineux et colorés des Sablettes et de Sicié. Il ne s'agissait pas de hauts dignitaires de la bourgeoisie britannique, mais de simples travailleurs qui profitèrent pendant quelques années d'un taux de change particulièrement avantageux pour la livre Sterling et du fait que les prix étaient bien plus abordables que ceux de la Côte d'Azur-Riviera. Cette migration passagère des vacanciers anglais fut de courte durée et nous n'avons jamais eu connaissance que certains d'entre eux se soient décidés à se fixer à La Seyne.

Revenons quelques instants au début du siècle, dans une période où notre économie locale et régionale prit un essor considérable. Avec le développement des administrations : P.T.T., S.N.C.F., douanes, contributions, enseignements, Marine nationale, on assista à un transfert important de familles corses. Leur accent particulier amusait nos anciens provençaux. À la différence d'autres migrants qui ne retournaient plus dans leur pays d'origine, les Corses très attachés aux traditions et aux mœurs de leur île natale, effectuaient le plus possible des va-et-vient et ne perdaient jamais le contact avec les parents restés au pays.

Quand ils reprenaient leurs activités, les vieux provençaux de chez nous les avaient surnommés Leï Tordré (du latin turdus : grive). Autrement dit, on les comparait à des oiseaux migrateurs. Les Corses ne prenaient pas en mauvaise part cette boutade. Par contre, ils se fâchaient quand on leur disait préférer les porte-plumes et les stylos aux outils des travailleurs de la terre.

Leur attachement à leur Île natale est demeuré très fort et nous voyons chaque année de nombreux retraités s'y retirer pour dormir leur dernier sommeil dans le village de leurs aïeux.

Devenue française en 1768, la Corse fut isolée pendant longtemps et n'eut pas avec la métropole de relations intenses par le manque de moyens de communications, ce qui explique la venue tardive de ce courant migratoire que l'on doit considérer comme une mutation interne.

Rappelons également qu'après la Révolution russe de 1917 des centaines de familles de l'Empire des Tsars furent accueillies par la France. Il s'agissait d'un courant migratoire à caractère nettement politique, les nouveaux venus étant généralement des partisans de l'ancien régime, craignant des représailles. Les anciens de notre école Martini ont bien connu des Dlousky, des Klimof, les Anikine, les Besougloff, les Dolatowsky,... ne sont-ils pas devenus de bons Seynois ? Précisons que le nombre de ces émigrés russes ou de leurs descendants demeura limité.

Si nous regardons vers la frontière espagnole, on ne peut pas faire état de mouvements importants de population de l'Espagne vers la France ou vice-versa, exception faite au moment des travaux saisonniers de la campagne. Le phénomène est sensible au moment des vendanges en Languedoc-Roussillon. Aux centaines d'Espagnols, se mêlent également de nombreux Portugais dont la main d'œuvre est appréciée par les propriétaires terriens.

À travers les siècles et pour des motivations nettement politiques, il y eut toujours des transfuges de régimes dictatoriaux et les exemples les plus connus de nous, nous ont été donnés par le Portugal, l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne.

Nous avons insisté particulièrement sur l'exode des Italiens terrorisés par les bandes de Benito Mussolini, chef socialiste devenu dictateur fasciste après la marche sur Rome en 1922. Quelques années plus tard, on assistait en Allemagne à la montée du nazisme avec Hitler dont les émules dignes descendants des Huns pillaient, incendiaient, assassinaient.

Les Juifs et les communistes visés les premiers furent contraints de s'expatrier par milliers pour échapper à la Gestapo et sauver leur vie. Certains cherchèrent refuge jusqu'en Provence, des Alsaciens en particulier. C'est pourquoi on entend de-ci, delà, des noms à consonance allemande, en nombre limité toutefois.

Le cas le plus proche de nous, de ces malheureux fuyant la tyrannie fut l'exode des combattants de l'Espagne républicaine vaincue, victimes de la barbarie franquiste.

La région provençale en accueillit des milliers qui vécurent longtemps dans la clandestinité de préférence dans les campagnes où les travaux de la terre leur permettaient de survivre. Nombre d'entre eux, la guerre mondiale venue, n'hésitèrent pas à s'engager dans la lutte clandestine pour défendre héroïquement leur terre d'accueil, la France. Nous reviendrons sur le rôle éminent joué pendant toute la durée de la guerre par la M.O.I. (main d'œuvre immigrée) qui devint un mouvement international groupant des hommes de nationalités fort diverses qui luttaient pour leur pain et leur liberté. On y trouvait des Polonais, des Italiens, des Espagnols, des Yougoslaves, des Hongrois, des Tchèques et par la suite des Russes évadés des premiers camps allemands. La guerre terminée, les survivants des combats meurtriers de la Résistance ne rentrèrent pas tous dans leur pays d'origine. C'est l'une des raisons qui expliquent la présence, en nombre limité toutefois, de gens qu'on n'appelle plus des étrangers parce qu'ils ont acquis depuis longtemps la nationalité française.

On peut rappeler aussi pour la petite histoire seynoise, la venue de quelque 350 Chinois amenés à La Seyne pour travailler dans les chantiers navals essentiellement comme manœuvres, cela dans les années qui suivirent la première guerre mondiale. Ces miséreux vivaient entassés dans des baraquements alignés en bordure de La Lune dans une telle promiscuité que les rixes quotidiennes soulevèrent les protestations des gens du quartier environnant. Cette main d'œuvre certainement peu coûteuse pour le patronat de la Navale, séjourna une année à peine et de telles expériences ne furent pas renouvelées. C'est certainement depuis cette époque que le bois qui longe la montée de Gavet et qui domine le quartier Sainte-Messe est familièrement nommé le Bois du Chinois (voir ci-dessous).



 

Évolution de la population seynoise

1631 : 1.000 habitants
1790 : 5.035 habitants
1823 : 5.605 habitants
1835 : 5.610 habitants
1852 : 12.000 habitants
1865 : 13.000 habitants
1891 : 13.160 habitants
1897 : 16.341 habitants
1911 : 19.825 habitants
1931 : 25.144 habitants (avec Saint-Mandrier)
1962 : 33.636 habitants (sans Saint-Mandrier)
1965 : 34.000 habitants
1982 : 58.732 habitants
1988 : 60.000 habitants

 

Migrants français et rapatriés

Pour examiner tous les aspects de ces mouvements de population qu'on appelle émigration ou immigration suivant qu'on s'éloigne de son pays d'origine ou qu'on s'y intègre, il faut rappeler maintenant le colonialisme, c'est-à-dire par définition, cette politique d'exploitation des richesses d'autres pays au profit des classes privilégiées d'une métropole.

L'histoire de France nous apprend que cette politique commença il y a bien longtemps, sous les règnes de Louis XIV et Louis XV, que la France avait fait la conquête d'immenses territoires comme l'Inde et le Canada, d'où elle fut chassée par la perfide Albion, que la Royauté de Charles X commença la conquête d'Algérie en 1830, que cette politique se poursuivit intensément sous le règne de Napoléon III et plus encore sous la IIIe République.

Ainsi, à la fin du XIXe siècle, la France se trouva la tête d'un immense empire colonial avec : l'Afrique du Nord, l'Afrique noire, l'Indochine, les territoires du Pacifique, de l'Amérique, etc.

Des milliers de Français s'en allèrent exploiter les richesses de ces pays : minéraux, bois précieux, fruits exotiques. Ce type d'émigration bien organisé, dans un but bien déterminé, incita des centaines de Seynois à chercher fortune à Alger, Oran, Bizerte, Saigon, Casablanca, Dakar, Nouméa, etc,...

On apprenait aux enfants dans les écoles que les Français allaient pacifier, civiliser des pays habités par des sauvages. Les partisans acharnés de la colonisation disaient aussi qu'il fallait affirmer la supériorité génétique de la race blanche.

À la vérité, ils cherchaient à justifier leur politique pour s'assurer une domination économique et des profits juteux. Et pendant plus d'un siècle, plusieurs générations de Français se sont expatriées pour chercher fortune et aussi parfois la gloire. Leurs réussites furent inégales. Certains réalisèrent des affaires fructueuses, mais la plupart connurent les déboires de la décolonisation.

Toute médaille a son revers. Les Français, les Provençaux, les Seynois de souche n'ont jamais vu d'un œil de complaisance les étrangers s'implanter dans leur terroir, même si les intentions de ces derniers n'étaient pas belliqueuses. L'occupant, le colonisateur, même s'il veut jouer le rôle de pacificateur et de civilisateur, n'est pas forcément aimé par les peuples apparemment soumis.

S'il en avait été autrement, si les occupants monopolistes avaient su associer équitablement les populations indigènes à la gestion des affaires, les grandes nations occidentales n'auraient pas été chassées de leurs empires coloniaux.

On sait qu'à la fin de la deuxième guerre mondiale, des bouleversements considérables se produisirent sous toutes les latitudes avec toutes les conséquences que l'on devine sur les mouvements de populations.

L'ère du grand colonialisme s'achevait et les peuples soumis depuis plus d'un siècle allaient signifier aux émigrés français de rentrer chez eux et de s'occuper de leurs propres affaires.

Nous n'entrerons pas dans le détail de ces luttes qui se déroulèrent à l'échelle mondiale et qui ne sont pas tout à fait terminées.

Il nous fallait rappeler ces faits pour situer les mouvements migratoires d'aujourd'hui et ceux d'un passé récent et parler surtout de leur incidence sur la vie seynoise transfigurée par la venue d'êtres humains représentatifs d'une bonne douzaine de nationalités dans des proportions très inégales, il est vrai.

Mais avant d'expliquer les raisons de l'arrivée massive de travailleurs étrangers en provenance du continent africain, il faut vous parler de l'exode des Français d'Algérie qui constitua un mouvement migratoire assez inattendu.

En 1954, quand les premières escarmouches entre troupes françaises et patriotes algériens se transformèrent en véritable guerre pour l'indépendance des Nord-Africains, les populations européennes dont certaines avaient fait souche depuis plus d'un siècle, se sentirent menacées et peu à peu vinrent chercher la sécurité sur notre littoral.

Malgré les exhortations des Généraux d'Alger pour la guerre à outrance contre ceux qu'on appelait les rebelles, il fallut bien en venir à des solutions de sagesse. L'arrêt des combats se produisit le 19 mars 1962.

Le Général de Gaulle, Président de la République fit approuver sa politique pacifiste par la voie d'un référendum qui fut approuvé à une écrasante majorité par le peuple français. L'indépendance de l'Algérie suivit, après quoi ce fut l'arrivée massive de ceux qui pendant bien longtemps avaient occupé le sol algérien : de ceux qu'on appelait les pieds noirs et dont l'intégration dans les villes du Midi ne se fit pas sans difficulté.

Le rapatriement des Français d'Algérie, arrivés à La Seyne par centaines et par milliers, dans notre département, posa de graves problèmes aux administrateurs locaux. Il fallut bien trouver des emplois pour les fonctionnaires et des logements pour tous. La Municipalité, présidée alors par Toussaint Merle, apporta son concours sans réserve pour la solution à toutes les difficultés.

L'arrivée massive de centaines de familles en provenance d'Alger, d'Oran, de Constantine, de Philippeville, de Tizi-Ouzou,... et de bien d'autres localités nord-africaines causa véritablement un choc dans la population seynoise. Les pieds noirs se firent souvent rabrouer par les autochtones qu'ils accusaient presque d'être à l'origine de leurs déboires.

Un quart de siècle s'est écoulé depuis. Les ressentiments se sont apaisés, mais il n'en reste pas moins la persistance des rancœurs de nombreuses familles qui ont dû abandonner leurs biens immobiliers aux Arabes. Quand le flot des Oranais avec les Sanchez, les Martinez, les Garcia, les Alpanez, les Gonzales, les Gimenez, les Fernandez, les Navarro... déferla sur nos rivages, nos ports de pêche, nos ateliers, nos administrations, les Seynois eurent parfois le sentiment de voir leur terroir devenir une colonie espagnole. Il n'est pas inutile de rappeler au passage que la ville d'Oran, avant d'être française en 1831, avait appartenu aux Arabes, mais aussi aux Espagnols et même aux Turcs dans une certaine période.

Entre 1960 et 1965, la population seynoise augmenta de trois mille habitants environ dont la plupart vinrent d'Afrique du Nord et l'on peut considérer que depuis, leur assimilation s'est accomplie malgré des récriminations bien compréhensibles.

Les mouvements migratoires sporadiques dont nous faisions état il y a quelques instants avec la venue de Russes, de Tchèques, de Juifs, de Grecs, d'Arméniens, de Polonais, de Belges, n'ont posé aucun problème quant à l'équilibre ethnologique de notre cité seynoise.

On entendait seulement dans la population des réflexions de ce genre :

- " Je n'aurais pas voulu que ma fille épouse un Polonais ou un Allemand ", disaient des mamans seynoises ; ce à quoi d'autres répondaient,
- " Mais vous ? Votre mari n'est-il pas d'origine italienne ? "
- " Ce n'est pas comparable ! Les Italiens sont plus proches de nous ".

Mais les sentiments de xénophobie ne prenaient jamais une ampleur dramatique.

 

Africains et Nord-Africains

Il n'en est pas de même aujourd'hui avec l'arrivée massive des travailleurs africains et nord-africains, ces derniers qu'on appelle généralement les Maghrébins, viennent des bords de la Méditerranée : Tunisiens, Algériens, Marocains. Les Africains de race noire sont appelés : Sénégalais, Maliens, Ivoiriens, Dahoméens, Tchadiens, Guinéens, Malgaches...

Ces courants migratoires en provenance de l'Afrique entière, constituent l'un des problèmes graves qui se posent aux pays occidentaux par la naissance et le développement de conflits à caractères racistes.

Ce phénomène de société dont nous allons expliquer les causes n'est pas sensible qu'à La Seyne puisque la France entière est concernée, de même que la plupart des pays d'Europe, surtout les pays industrialisés.

Nous ne parlerons pas de l'arrivée des Hindous en Angleterre, des Turcs et des Yougoslaves en Allemagne, en Belgique ou en Suisse. Nous aborderons surtout les problèmes locaux et les faits quotidiens dont nous sommes les témoins. Mais auparavant il nous faut expliquer la cause de ces phénomènes ethnologiques considérables de notre temps.

 

Pourquoi cette afflux étranger massif ?

La France avait un besoin pressant de main d'œuvre après les destructions de la guerre : il fallait des terrassiers, des maçons, des cultivateurs, des hommes de peine en tous genres. Il fallait redonner vie à des régions industrielles anéanties, reconstruire des centaines de ponts, remettre en service tous les bâtiments publics endommagés, refaire et développer le réseau routier, restaurer des villes démantelées, pratiquer une politique du logement.

Nous avons évoqué longuement dans le tome II de notre ouvrage la situation lamentable de La Seyne après sa libération fin août 1944.

Des villes sinistrées comme la nôtre, il y en avait des centaines dans toute la France. Les mêmes problèmes de reconstruction se posaient de la même façon en Angleterre, en Allemagne, en Belgique et il manquait des millions de vies humaines disparues dans la tourmente.

Pour ce qui concerne particulièrement notre pays, il faut souligner que depuis la première guerre mondiale, sa situation démographique n'a cessé de se dégrader et son taux de natalité insuffisant a conduit ses gouvernants, son patronat, ses administrations à recruter des étrangers pour éviter l'asphyxie de son économie.

Et il ne faut pas s'étonner que leur nombre soit passé de 1.500.000 en 1921 à 2.700.000 en 1931 et à près de 4 millions aujourd'hui.

Remarquons que l'immense majorité de ces travailleurs étrangers est composée de manœuvres qui accomplissent des besognes pénibles devant lesquelles les Français sont de plus en plus réticents, il faut bien le dire.

Nous sommes entrés dans une époque où les gens poussent les enfants aux études, ce qui est parfaitement légitime, alors qu'autrefois, après leur certificat d'études primaires, on les envoyait gagner quelque argent à l'atelier, à la campagne ou au bord de la mer.

Aujourd'hui la jeunesse est de moins en moins orientée vers les, travaux manuels surtout s'il s'agit de travaux de force.

De l'autre côté de la Méditerranée, l'immense continent africain, composé de pays sous-développés, connaît au contraire du nôtre, un taux de natalité croissant au point que certains d'entre eux connaissent hélas ! les affres de la faim pour des millions de leurs ressortissants.

Alors, depuis la fin de la dernière guerre les chefs d'entreprises ont trouvé là une main d'œuvre facile à recruter, facile à exploiter, tout au moins au début de son arrivée en métropole.

Comment les tractations entre nos gouvernants et les pays sous-développés se sont-elles déroulées ?

Nous n'entrerons pas ici dans le processus des promesses réciproques. Parlons simplement des mécanismes qui ont abouti à une situation inquiétante que les gouvernements successifs n'ont pas été capables de maîtriser... Situation qui engendre aujourd'hui des conflits de société aux prolongements redoutables.

Depuis 1945, on peut distinguer trois périodes dans le mouvement des populations concernant la France entière et naturellement notre région.

De 1945 à 1955, l'Office national de l'immigration contrôle à peu près l'arrivée des étrangers. Peu d'Italiens nouveaux arrivent à La Seyne, ce qui n'est pas le cas avec les Algériens, les Tunisiens, les Marocains de plus en plus nombreux.

À partir de 1956 l'immigration devient incontrôlée et sauvage.

Les filières privées organisent les arrivées clandestines, phénomène qui suscite des réactions sensibles de la population française et surtout des racistes qui en tirent argument politique pour la conquête des municipalités ou mandats parlementaires.

Enfin en 1974 le gouvernement de l'époque cherche à limiter le nombre des étrangers en France et obtient une stabilisation à 7,7 % de la population soit 4 millions environ.

 

La situation actuelle

Si nous en croyons les statistiques officielles, le nombre des migrants paraît se stabiliser au plan national et sans doute au plan local. Observons cependant que les chiffres avancés par les autorités compétentes sont forcément approximatifs en raison du trafic clandestin organisé systématiquement par de véritables marchands d'hommes, dignes descendants d'une époque esclavagiste.

Les principales communautés étrangères étaient ainsi réparties en 1973 et 1985, d'après le tableau ci-joint :


1973

1985

Portugais

812.007

Portugais

846.438

Algériens

845.694

Algériens

724.960

Marocains

269.680

Marocains

558.741

Italiens

572.803

Italiens

378.939

Espagnols

570.395

Espagnols

350.912

Tunisiens

148.805

Tunisiens

225.680

Turcs

45.363

Turcs

154.267
Total
3.264.747
Total
3.239.937

Ce tableau comparatif fait apparaître des fluctuations alternatives qui accusent des augmentations d'émigrés pour certains pays comme le Portugal, le Maroc, la Tunisie, la Turquie et des diminutions pour l'Algérie, l'Italie et l'Espagne. Le phénomène peut être différent pour d'autres pays d'accueil.

Voici quelques nombres précis concernant les Maghrébins actuellement dans le Var (statistique de 1989) :

Marocains : 10.589 contre 7.464 en 1982
Tunisiens : 14.472 contre 11.148 en 1982
Algériens : 11.375 contre 13.388 en 1982

soit 36.436 pour 1989 (5,6 % par rapport à la population varoise), alors qu'on en comptait 32.000 en 1982 représentant seulement 4,7 % de la population varoise.

Dans la même période, l'ensemble des étrangers (Maghrébins, Européens ou autres) représentait 7,6 % de la population du département, proportion voisine de la moyenne nationale.

 

Les nouveaux étrangers de La Seyne

Ce fut surtout à partir de 1962, avec la fin de la guerre d'Algérie, que la France accueillit de nouveaux étrangers, ceux venus du continent africain et surtout les Nord-Africains ou Maghrébins.

Phénomène curieux : au moment où les pays dits coloniaux accédaient à l'indépendance, leurs travailleurs s'expatriaient par milliers attirés par les promesses du patronat des pays occidentaux à la recherche d'une main d'œuvre particulièrement éprouvée pour des travaux pénibles.

La colonialisation et la guerre qui s'en suivit n'avaient guère facilité l'accession des peuples opprimés à l'indépendance. En Algérie, se produisit un phénomène d'exode rural ; l'afflux considérable de la jeunesse dans les villes posa des problèmes dramatiques aux nouveaux dirigeants du pays pour qui l'émigration de milliers de leurs ressortissants fut un bienfait immédiat.

Mais les problèmes épineux de l'emploi, du logement, de l'éducation, furent loin d'être résolus, d'autant que la religion musulmane s'opposait à la limitation des naissances. Venons-en à la situation locale qui découla de ce grand mouvement migratoire.

Au 31 décembre 1971, une statistique sérieuse dénombrait 2.859 étrangers vivant dans notre commune, comprenant : 1.243 hommes, 813 femmes, 803 enfants de moins de 16 ans. Sur cet effectif, on comptait 948 Nord-Africains (507 hommes, 116 femmes, 325 enfants de moins de 16 ans). En 1972, le nombre des étrangers (toutes nationalités confondues) passait de 2.859 à 4.208 (dont 1.500 enfants de moins de 16 ans).

Ce dernier nombre est significatif des problèmes pédagogiques posés à nos enseignants du premier degré, surtout les tableaux comparatifs qui suivent donnent une idée de l'évolution démographique de ces dernières années.

Recensement de 1975

La population seynoise comportait 24.850 hommes et 26.535 femmes, soit au total : 51.385.

Sur ce nombre, il fallait compter 47.975 Français et 3.410 étrangers ; ces derniers en provenance d'une dizaine de pays différents.

Recensement de 1982

La population en augmentation comportait : 27.949 hommes et 29.403 femmes, soit au total 57.352 ; sur ce nombre, il fallait compter 53.214 Français et 4.138 Etrangers.

Répartition des étrangers


1975

1982

Espagnols

445

Espagnols

310

Italiens

695

Italiens

567

Portugais

90

Portugais

55

Algériens

885

Algériens

903

Autres nationalités

1.295

Autres nationalités

445


Autres Maghrébins

1.858

Proportion des étrangers

7,2 %

Proportion des étrangers

7,7 %

Ces chiffres appellent quelques remarques :

Le nombre d'émigrés Espagnols, Portugais et Italiens va décroissant. Celui des Algériens est en légère augmentation. Les Maghrébins Tunisiens et Marocains deviennent plus nombreux. Ce sont les mêmes tendances que l'on constate au plan national.

En 1982, le pourcentage des étrangers était en légère augmentation et il n'est pas imprudent d'affirmer qu'avec la grave crise économique qui frappe actuellement notre ville avec la disparition des chantiers navals et des industries de la sous-traitance, le nombre des émigrés devrait diminuer localement ; ce qui ne signifie pas un reflux vers leur pays d'origine. Parmi eux, nombreux sont ceux qui acceptent volontiers les travaux de la campagne, c'est pourquoi les propriétaires exploitants du Haut Var n'hésitent pas à faire appel à leur concours.

À propos des immigrés italiens frappés par le chômage, nous disions qu'ils avaient su s'adapter à toutes les situations courageusement en acceptant n'importe quelles tâches, même celles qui n'étaient pas de leur vocation, même les plus ingrates.

Il en est de même aujourd'hui avec les étrangers venus d'Afrique et les Italiens d'origine dont le comportement raciste se manifeste parfois bruyamment sur le marché où déambulent aussi des Maghrébins ont la mémoire bien courte.

Ont-ils oublié comment leurs parents et leurs grands-parents furent accueillis à La Seyne au début du siècle ?

Les problèmes de la cohabitation n'ont pas trouvé d'emblée des solutions et à ces rappels du passé, essayons de voir, d'analyser et de comprendre les situations d'aujourd'hui et les réactions des uns et des autres devant les difficultés de la vie quotidienne, en insistant particulièrement sur les Maghrébins.

Comme l'avaient fait les Italiens autrefois, ces derniers sont venus isolément, économisant sur leur salaire pour envoyer des subsides à leur famille. Ils trouvèrent à se loger dans la basse ville, dans les mêmes rues occupées avant eux par les transalpins, dans un confort relatif. À la décharge de nos municipalités il faut bien dire qu'il n'y eut jamais de bidonvilles à La Seyne. Quand ces nouveaux étrangers furent certains d'assurer à leur famille une vie décente, alors les femmes vinrent les rejoindre et notons en passant que depuis leur installation à La Seyne des centaines de leurs enfants y ont vu le jour, dûment enregistrés au service de l'état civil. Leurs conditions de travail, chacun les connaît. Il suffit d'observer les chantiers du bâtiment. Qui creuse les tranchées pour la rénovation des réseaux d'eau ? Qui manipule le béton ou les marteaux pneumatiques ? Qui goudronne nos routes, et entretient la voirie communale, départementale, nationale ? Qui anime les grands chantiers de construction ? Qui effectue les travaux les plus insalubres, ceux de la peinture par exemple ?

 

Le devoir des uns et des autres

Il ne serait pas concevable que ces travailleurs immigrés qui œuvrent au développement économique de nos cités dont La Seyne, ne reçoivent pas en échange quelques marques de considération. Les pouvoirs publics, les administrations, les municipalités ont le devoir de faciliter les conditions de leur accueil. Toutes les mesures prises ces dernières années en faveur des travailleurs immigrés de La Seyne ne furent pas du goût de tout le monde. Les attardés du racisme et de la xénophobie les trouvaient bien superflues. Peut-être auraient-ils préféré voir se multiplier les taudis et les bidonvilles qui font toujours scandales dans les plus grandes villes de France ? Ne savent-ils pas que de tout temps notre pays a été une terre d'accueil et de fraternité ?

Les travailleurs étrangers ont droit à des conditions de vie correctes, à des logements salubres, à des salaires décents, à la sécurité de l'emploi, à la garantie de la non-violence, au respect de leurs croyances,... ce que les Français exigeraient eux-mêmes s'ils étaient contraints à l'émigration.

Il va sans dire que les autochtones ont le droit d'exiger que les migrants, quels qu'ils soient, soient tenus et c'est tout naturel, à l'obéissance aux lois françaises.

Lorsque dans les années 1970-1972, les vagues migratoires d'Afrique s'affirmèrent, Philippe Giovannini étant Maire, des mesures nombreuses furent prises en faveur des étrangers : des logements convenables leur furent attribués, dans toute la mesure du possible ; les enfants trouvèrent place dans les écoles (maternelles, primaires, collèges). Tous les avantages sociaux leur furent concédés (allocations, soins médicaux, colonies de vacances,...)

Signalons au passage que les Maghrébins paient leur loyer régulièrement au propriétaire de leur logement. Ils ne sont jamais en retard pour acquitter leur participation aux frais des colonies de vacances... On ne peut pas en dire autant avec certaines familles seynoises !

Autre forme de l'aide aux travailleurs immigrés : l'alphabétisation. En accord avec l'Amicale pour l'Enseignement aux Étrangers, organisme dépendant de l'Éducation nationale, des cours d'alphabétisation fonctionnèrent à l'initiative de la ville. Au centre culturel du quartier Berthe, un cours féminin fonctionna pour deux groupes de 15 travailleurs chacun, puis un autre cours féminin l'après-midi (15 personnes).

Un cours sous forme de stage fonctionna pour les ouvriers de la S.A.M.I.C. Au total il y eut dans cette période 70 personnes qui fréquentaient régulièrement les cours d'alphabétisation où l'on vit se dévouer des membres du corps enseignant à titre bénévole, ce dont il convient de les féliciter et de les remercier.

Les Maghrébins ont le souci d'assurer une bonne éducation à leurs enfants. Nos écoles seynoises les accueillent dans les meilleures conditions, mais il est certain que leur adaptation à la langue et à la culture française ne se fait pas sans peine et la patience du corps enseignant est souvent mise à rude épreuve.

Des instituteurs algériens et marocains assurent par intermittence des cours de langue arabe aux enfants d'émigrés. Généralement leurs parents insistent pour que l'enseignement des deux langues leur soit donné et nous constatons que de nombreux jeunes, nés à La Seyne il y a trente ans déjà sont parfaitement aptes à parler deux langues et même davantage pour ceux parvenus au Lycée Beaussier à l'Enseignement secondaire.

Remarquons au passage que la fréquentation scolaire des enfants étrangers est régulière mais la politique de ces dernières années qui a consisté à concentrer des Maghrébins dans la zone urbaine prioritaire devenue partiellement un ghetto, n'a guère contribué à favoriser un enseignement de qualité pas plus que des solutions humaines à la cohabitation.

Voici des chiffres éloquents : des statistiques récentes nous apprennent que l'école Victor Hugo reçoit 28 à 30 % de Maghrébins ; l'école Maurice Thorez I : 42,33 % ; l'école Maurice Thorez II : 46,51 % ; l'école Jean Zay : 53,42 %...

Devant de telles proportions d'enfants étrangers dans les classes, des familles seynoises cherchent à faire instruire leurs enfants ailleurs. On imagine les tournures délicates que les problèmes pédagogiques ont prises et les difficultés ont été telles qu'il fallut organiser une zone d'éducation prioritaire (Z.E.P.) dont nous n'allons pas, ici, évoquer les modes de fonctionnement.

Les problèmes d'adaptation, de cohabitation ne se résolvent qu'avec lenteur. Le chômage et l'insécurité croissante les aggravent. Les autochtones ont tendance à mettre sur le dos des émigrés, les larcins ou autres actes de malveillance.

Il est vrai que les étrangers aiment se retrouver entre eux ; leurs rencontres familiales bruyantes à l'occasion d'événements heureux, irritent souvent leurs voisins. Et pourtant, certains Seynois pourraient se souvenir qu'au temps du colonialisme florissant, ils se manifestaient de la même façon alors qu'ils étaient les occupants à Alger, Bizerte ou Philippeville. Que les Maghrébins se rencontrent, se groupent pour s'entraider, rien d'étonnant à cela.

N'existe t-il pas une association des Varois de Paris ? une amicale des Bretons à Toulon ?

La participation des étrangers à la vie associative locale se concrétisera certainement avec le temps ; les écoliers devenus étudiants se rencontreront obligatoirement dans les sociétés sportives, culturelles, philanthropiques. Les jeunes banniront le racisme et sauront défendre les principes sacrés de liberté, d'égalité, de fraternité.

Ces étrangers que l'on a tendance à mépriser parce que héritiers de leurs traditions ancestrales, ils ne pensent pas comme nous, parce que leurs modes de vie sont parfois très différents des nôtres, ne sont pas inaccessibles aux conseils de sagesse prodigués par les services sociaux de la ville, par des associations de secours, d'entraide (Secours populaire, SOS racisme, Office municipal de l'action socio-éducative,... et bien d'autres).

Nous avons le devoir de les aider, ces étrangers que l'on considère trop souvent comme des parias, ce qui ne signifie pas que nous devions pour autant renoncer à notre propre identité locale et nationale, ce dont nous parlerons mieux dans la conclusion de notre texte.

Aidons-les quand nous le pouvons en nous rappelant qu'aux années les plus dramatiques des deux guerres mondiales ils prirent les armes pour défendre notre sol aux côtés de nos combattants. Nos têtes chenues sont toujours habitées par le souvenir inoubliable des défilés militaires où se succédaient dans un ordre impeccable les unités de tirailleurs marocains, algériens, tunisiens, malgache, sénégalais, tonkinois. Nous achetions des figurines représentant tous ces fantassins d'outre-mer en uniformes bariolés qui faisaient notre admiration et que nous échangions parfois sur nos bancs d'écoliers.

Par milliers ils tombèrent sur le sol de la mère patrie. Au cours de la deuxième guerre mondiale, tous les prisonniers de race noire furent massacrés jusqu'au dernier par les Allemands hitlériens ou non.

D'autres étrangers échappés des camps nazis ou déserteurs du service du travail obligatoire se mirent à la disposition de la Résistance française. Il faut savoir que 150.000 d'entre eux rejoignirent la M.O.I. pour défendre leur terre d'accueil. Italiens, Polonais, Espagnols, Hongrois, Autrichiens, victimes de l'oppression et de la misère dans leur pays, combattirent en 1940 sur la Somme, l'Aisne, la Loire ou dans les maquis de Provence et du Vercors. Ceux qui survécurent restèrent attachés au sol de France et y fondèrent leur foyer.

Avons-nous le droit de les appeler toujours des étrangers ? Comment pourrions-nous oublier que l'armée française de la Libération commandée par le Général de Lattre de Tassigny, comptait dans ses rangs des milliers d'Africains et de Nord-Africains et que les premiers libérateurs de La Seyne, arrivés le 27 août 1944 à 6 heures du matin, furent les soldats du 1er Bataillon du 13e R.T.S. (Régiment de Tirailleurs Sénégalais) ?

 

On les nommait aussi des étrangers

Nous écrivions au début de ce texte : " Il est impossible d'affirmer que le peuple français est une véritable race physique ".

Les historiens de grand renom ont montré que depuis Philippe Le Bel en 1328 jusqu'à nos jours, la grandeur de la France a été faite du brassage de peuples très divers qui ont séjourné sur son sol, que le peuple français s'est enrichi de l'apport d'autres ethnies venues de toutes les régions d'Europe.

Les statistiques officielles estiment à 7 millions le nombre des étrangers intégrés en France au cours du dernier siècle écoulé. Cette population immigrée a été imprégnée laborieusement et fortement par son climat attachant, ses richesses naturelles, son idéal de liberté et de justice.

Empressons-nous d'ajouter que, de leur côté, les migrants venus d'un peu partout ont enrichi le potentiel économique et un capital intellectuel qui s'est accumulé dans notre pays au cours des siècles. Ils ont contribué à porter plus haut le prestige de la France dans les domaines les plus divers : culture générale, arts, littérature, sciences, etc.

En voici quelques exemples que l'on peut énumérer parmi des centaines d'autres :

S'agit-il de l'histoire des lettres ? Pensons à Madame De Staël, d'origine suisse ; à Moréas dit Jean, auteur grec ; au cubain José Maria de Heredia ; à René Vivien, américain ; à Apollinaire, polonais ; à Émile Zola, de mère espagnole et de père naturalisé français ; à Tristan Tzara, roumain,...

S'agit-il des sciences ? Nous trouvons dans ce domaine le célèbre mathématicien Lagrange venu d'Italie ; le savant de l'Institut Pasteur, d'origine russe Metchnikov ; la polonaise Marie Curie, née Sklodowska, prix Nobel pour ses travaux sur la matière radio active, pour la découverte du radium et du polonium. Son sang mêlé à celui du grand savant trop tôt disparu donna à la France Irène Joliot-Curie qui devait se couvrir de gloire par ses travaux sur la désintégration de l'atome.

S'agit-il de peinture ? Rappelons les étrangers venus travailler en France et qui y sont restés comme Picasso, Chagall, Modigliani, Foujéta, Soutine,... N'oublions pas non plus le célèbre sculpteur Brancusi, d'origine roumaine.

S'agit-il de musique ? Comment oublier l'apport précieux de Cherubini, Italien naturalisé, de Gluck et Meyerbeer (Allemands), etc.

Voilà des faits de l'histoire indéniables, inoubliables, qui devraient inciter les héritiers du nazisme à modérer leurs propos haineux, leurs manifestations chauvines et leurs théories racistes qui poussent hélas jusqu'au crime, les partisans de l'Apartheid et leurs thèses rétrogrades qui relèvent d'un fanatisme stupide soulèvent maintenant la réprobation du monde entier. S'il n'en était pas ainsi nous n'assisterions pas au vaste mouvement démocratique qui secoue le monde entier. Qui aurait pu dire, il y a seulement quelques années, que de nombreuses villes des U.S.A., à commencer par la capitale New York, se donneraient des Maires de couleur noire ? Et nous n'avons pas l'impression qu'en France, les étrangers naturalisés intégrés dans l'armée française, dans le corps médical, dans le journalisme, dans l'enseignement, ne sont pas à la hauteur des fonctions dont ils ont la charge.

Mais leur intégration et leur adaptation n'ont pas été le fait du hasard car le problème de l'immigration doit être traité avec le plus grand sérieux. Or, les négligences auxquelles nous faisions allusion précédemment pourraient déboucher sur de graves événements si elles devaient se reproduire.

 

La situation actuelle va-t-elle durer ? Si oui, que faire ?

Personne n'est en mesure d'affirmer, dans les complexités de la vie nationale et internationale, ce que sera l'avenir démographique de la France, mais il est probable que l'intégration de milliers d'étrangers, qui vivent chez nous depuis trente ans et plus, se fera. Elle s'accomplit progressivement d'année en année. Les jeunes Maghrébins de 1960 sont devenus des écoliers, des étudiants, des bacheliers. Leurs parents s'établissent comme petits commerçants, cultivateurs, artisans. Des unions, des mariages mixtes comme on dit, ne sont pas rares de nos jours. Il est vrai que les phénomènes d'insertion des étrangers d'aujourd'hui sont plus lents qu'au temps de l'immigration italienne et que l'obstacle essentiel c'est la religion.

Mais la religion chrétienne comme la religion musulmane ne sont pas intangibles. Combien de schismes a connu la première depuis ses origines ? Et les lois du Coran elles aussi seront soumises à une évolution inéluctable. La religion musulmane n'admet pas la contraception, mais on n'empêchera pas les jeunes Maghrébines d'user de la pilule.

L'expérience nous a appris que l'occupant n'est pas forcément celui qui impose sa loi. Les autochtones sont doués d'un grand pouvoir de persuasion et ils l'ont prouvé.

Les étrangers d'où qu'ils viennent, captivés par le soleil du midi, s'adaptent parfaitement à la bouillabaisse, au pastis, et à la pétanque.

Quand les premiers Italiens s'établirent à La Seyne, ils baptisèrent leurs enfants avec des prénoms de leur pays : Luigi, Giuseppe, Renato, etc. La génération suivante adopta des prénoms bien français. C'est ainsi qu'arrivèrent dans le terroir seynois : les Marro Gilbert, les Bertolotto Antoine, les Fiandino Jean-Marie, les Pratali Paul, les Viazzo Eugène, les Ciampi Christian,... Allez leur dire aujourd'hui qu'ils ne sont pas Seynois ?

L'intégration des immigrés italiens s'est faite sans difficultés, celle des Maghrébins se fera aussi mais avec plus de lenteur. Elle se fera mieux si la population autochtone les traite avec humanité, si elle condamne avec force les actes de violence des fanatismes du racisme.

Ces problèmes d'insertion, de cohabitation se règleront avec le temps, avec la patience, avec la compréhension, avec la vie - la vie qui est plus forte que tous les préjugés et l'opinion des falsificateurs de l'histoire. Mais,... attention !

Cela ne signifie pas que les gouvernements responsables ne doivent pas s'attacher à la recherche de solutions justes et équitables aux problèmes de l'immigration, phénomène de société qui n'est pas fatal.

Cela nous amène à quelques réflexions sur une politique dont les pouvoirs publics ne semblent pas maîtriser toutes les données et qui débouche sur une exploitation politique organisée par des gens qui s'arrogent le monopole du patriotisme.

Les gouvernements n'ont pas toujours su ou voulu limiter l'immigration étrangère. C'est un aspect délicat auquel il faudra bien s'attaquer si l'on ne veut pas voir monter la colère de la population française qui tient à juste titre au maintien de son identité nationale, régionale et locale.

La politique d'intégration est souhaitable, mais il faut la réussir et pour ce faire la France ne doit pas dépasser le seuil de tolérance qu'elle a atteint. Les gouvernants quels qu'ils soient doivent contrôler sérieusement les flux migratoires. Les frontières françaises sont franchies souvent par des indésirables, des clandestins dont les intentions ne sont pas toujours très pures et qui sont la proie des trafiquants de la main d'œuvre.

La France dont on se plaît à répéter qu'elle est le pays des Droits de l'homme et une terre d'accueil, a tout de même des capacités d'insertion limitées. Si nos gouvernants négligent cette réalité, la population exaspérée verra se développer davantage la haine raciste avec les tristes conséquences que l'on devine.

 

Que faut-il conclure ?

Parvenus au terme de cette approche sur les problèmes généraux et locaux de l'immigration, résumons-nous !

Nous avons montré que les origines de notre population seynoise sont fort lointaines, qu'elles résultent comme la population française en général de mélanges complexes quasiment incontrôlables et que par conséquent, nul ne se peut se prévaloir d'appartenir à une race pure.

Puis, nous avons montré qu'après les grandes invasions du Moyen Age, notre région n'a pas connu de bouleversements spectaculaires à caractères démographiques ou ethnologiques. Notre population seynoise est demeurée stable jusqu'au milieu du XIXe siècle.

Si par la suite des changements se sont opérés, si la population a augmenté sensiblement et s'est diversifiée par plusieurs vagues d'émigration étrangère, particulièrement intenses avec les Italiens, chacun aura compris que l'apport étranger s'expliquait essentiellement par des nécessités à caractères économiques et imposé au pays par une politique de main d'œuvre.

Mais il y eut par la suite d'autres motivations au déplacement des populations : recherche du profit maximum, dans les pays annexés à la métropole par des émigrants français, mutations intérieures occasionnées par des nécessités administratives ou économiques ; puis ce furent les migrations recherchées pour la sécurité dans les périodes de turbulences (guerres coloniales, persécutions religieuses, résistance aux idéologies du fascisme). Nous avons évoqué aussi les migrations saisonnières à caractère économique ou même touristique. En somme nous avons examiné tous les cas qui se sont révélés à La Seyne, qui ont touché de très près la population seynoise dont le bourg provençal s'est transformé progressivement en cité cosmopolite.

Il fallait insister surtout sur l'émigration italienne parce qu'elle fut très importante et eut des répercussions considérables sur la vie seynoise sans aller toutefois jusqu'à une déstabilisation. On peut même affirmer qu'elle fut bénéfique pour l'économie locale qui reçut l'impulsion de milliers d'ouvriers et de cultivateurs qualifiés, d'entrepreneurs audacieux, d'artisans, de commerçants enthousiastes qui forcèrent l'admiration de la population seynoise de souche par leur volonté de réussir, leur courage, leur endurance et qui devinrent au fil des années de véritables fils de la Provence.

Dernier volet de cette étude sur le problème des étrangers : la venue des Africains et des Nord-Africains, problème délicat qui offre certaines similitudes avec la venue des Italiens chez nous, mais aussi des différences profondes susceptibles d'engendrer des conflits à caractère politique.

Nous n'avons pas prétendu apporter des solutions définitives à ces questions brûlantes, mais verser au dossier de l'immigration quelques réflexions et conseils qui nous semblent relever du bon sens élémentaire, de la sagesse et de la lucidité.

Les grands dirigeants des pays les plus riches du monde ont-ils compris que ces flux migratoires qui nous préoccupent sont de véritables fléaux de l'humanité qui hélas ! s'ajoutent à bien d'autres. L'idéal serait de pouvoir les enrayer à leur source en créant un nouvel ordre économique mondial qui permettrait aux hommes d'où qu'ils soient de vivre dans leur pays d'origine ; en établissant une véritable coopération avec les États qui ne voient dans l'exil qu'une bouée de sauvetage pour des milliers de leurs travailleurs en difficulté... Une coopération qui devra exclure toute idée d'exploitation des uns par les autres.

Les pratiques colonialistes d'antan qui se voulaient pacifistes et civilisatrices n'ont pas su réaliser l'amitié entre les peuples. La preuve nous en a été donnée par l'effondrement des empires coloniaux sous la poussée irrésistible des mouvements d'indépendance.

Et les états nouveaux issus de ce processus sont toujours sous la dépendance des puissances financières mondiales qui aggravent les grands fléaux de l'Humanité : la guerre économique, les massacres entre sectes religieuses, la drogue, l'intégrisme ; elles vendent les armes aux factions opposées dans un même pays ; elles vendent des hommes en organisant à leur profit les immigrations clandestines dont se nourrit le racisme, devenu un véritable cancer de l'humanité.

Elles entretiennent des conflits politiques, des guerres religieuses ; elles organisent des coups d'état et paient généreusement des pantins à leur service.

Tous ces dangers qu'elles ont engendrés ont pris une telle ampleur que les populations affolées ne savent plus où trouver leur sécurité.

Et pourtant doivent-elles s'abandonner au désespoir ? Personne n'a le droit de se désintéresser du sort des hommes.

Nous avons formulé des vœux qui sont certainement partagés par des millions de citoyens dans ce monde incertain de violence et d'injustice.

Les hommes ont réalisé des découvertes scientifiques magnifiques, pour rendre leur vie matérielle plus facile et plus agréable.

Ils ont vaincu le grand fléau des épidémies ; ils ont maîtrisé de grandes forces de la nature,... mais leur tâche la plus difficile demeure : vaincre leur égoïsme, l'égoïsme aux formes multiples qui s'appellent : ambition démesurée, volonté de domination, accumulation des richesses,... l'égoïsme qui est la racine de toutes nos misères.

Souhaitons qu'ils sachent mettre leur intelligence et leur cœur au service des justes causes humaines afin qu'un jour puisse triompher l'esprit d'une véritable fraternité universelle.

 


Retour au Sommaire du Tome III

Retour à la page d'accueil du site

Histoire de La Seyne-sur-Mer (Var)
Récits, portraits, souvenirs
jcautran.free.fr

Accès aux œuvres complètes
de Marius AUTRAN
Biographie
de Marius AUTRAN
Biographies familiales
et autobiographie de Marius AUTRAN
Pages généalogiques
Forum du site
Encyclopédie des
rues de La Seyne
Lexique des termes
provençaux
Dictionnaire du
Mouvement ouvrier et social seynois
Documents divers sur l'histoire
de La Seyne
Les élections à La Seyne depuis 1945
Chronologie de
l'histoire de La Seyne
La Seyne de A à Z
Archives, souvenirs et écrits divers
de Marius AUTRAN
Archives, souvenirs et écrits divers
de Jean-Claude AUTRAN
Avis de recherches
Informations
légales sur le site

© Jean-Claude Autran 2022