|
|
|
Ce que nos anciens appelèrent Place du Marché ou encore Marché aux herbes avant même que n'existât le Cours, cette sorte d'esplanade aux contours irréguliers baptisée depuis la Libération de 1944 Place Laïk père et fils fut dans le passé et dès son origine, le coin de la vieille Seyne le plus animé et l'on peut affirmer que ses activités fébriles se sont maintenues à travers les années et les siècles malgré les variantes des conjonctures économiques et politiques.
Nos concitoyens se prennent parfois à le nommer le cœur de La Seyne, expression justifiée d'abord par un fait géographique qui a vu se dessiner un carrefour donnant accès aux quartiers Ouest par le Boulevard du 4-Septembre aux quartiers Nord et Nord-Ouest, vers la basse ville et les quais par la rue Cyrus-Hugues, aux quartiers Est et l'église par les rues Carvin et Berny.
S'il règne en ces lieux une activité intense, surtout dans les matinées, c'est en raison du marché quotidien : marché aux fruits et légumes, proximité de la poissonnerie, commerces en tous genres de confections, d'habillement, de denrées alimentaires, de boucherie, d'épicerie...
La population y trouve l'essentiel pour la satisfaction de ses besoins matériels.
Il en est ainsi depuis la naissance officielle de la commune, toutes proportions gardées, le chiffre de la population s'élevant alors à quelques milliers d'habitants seulement. L'animation de la place s'accrut particulièrement quand l'hôtel de ville y fut aménagé dans l'immeuble occupé actuellement par la Boulangerie Erutti qui jouxte la pharmacie Armand.
Tout naturellement la voie qui reliait la Place du Marché à l'église fut appelée rue de l'Hôtel de Ville et il est évident que la présence des Municipalités qui présidèrent aux destinées de La Seyne pendant deux siècles eut des répercussions sur les activités propres de la Place du Marché.
Les constructions qui l'entourent, établies aux XVIIe et XVIIIe siècles, ont été les témoins de tant d'événements, heureux ou dramatiques qu'il nous a paru intéressant de faire parler leurs vieilles pierres en espérant que leur langage ne laissera pas indifférents nos concitoyens, particulièrement ceux, désireux de mieux connaître leurs racines ancestrales ; cela par le moyen de nos investigations dans les documents d'archives locales, des récits de nos anciens, sans négliger nos propres souvenirs personnels, riches... et déjà lointains.
À travers ces lignes, nous avons voulu faire revivre maints aspects de la vie d'antan dont nos anciens ont connu parfois les pires rigueurs ; nous avons évoqué leurs traditions, leurs sentiments sur la gestion des affaires publiques. Nous avons rappelé les difficultés de nos édiles du temps passé pour administrer la commune.
Il a été nécessaire aussi de retracer les grandes étapes de notre histoire nationale et leurs répercussions sur le plan local.
Nous n'avons pas oublié de fixer dans nos souvenirs quelques personnages ayant influencé la vie locale par leurs activités sans oublier ceux qu'on pourrait appeler hauts en couleur et dont les agissements et le comportement ont laissé des traces profondes dans le folklore local.
Enfin, il fallait expliquer le rôle profond joué par la Place du Marché, dans le développement du mouvement associatif seynois, le désir de se rencontrer presque chaque jour sur ce forum pour s'y informer, y discuter des intérêts des uns et des autres, s'y exprimer parfois avec chaleur dans la perspective de corriger des injustices ou d'exiger des réparations, y assister aussi à des spectacles.
Hormis les périodes de fièvre historique, la Place du Marché a toujours été le lieu des rencontres amicales, où l'on arrêtait les projets du dimanche, les aïolis au cabanon, les bouillabaisses au bord de la mer, les excursions, la participation aux fêtes des quartiers. Voilà quelques idées inspiratrices de ces textes émaillés de faits, d'anecdotes, de témoignages qui font la petite histoire, dont les aspects ne sont pas les moins attachants et qui permettront au lecteur de mieux saisir comment la communauté seynoise s'est enracinée dans son terreau.
D'après le plan de 1783 |
Naissance de la Place du Marché
L'histoire nous apprend que les villages et les villes se sont formés généralement par l'agglomération d'une population autour d'une place en un point géographique, favorable en priorité à ses activités économiques.
Il n'est pas rare de voir groupés autour d'une fontaine ou d'un bassin à usage d'abreuvoir : des maisons bourgeoises, une église, la maison commune ou Hôtel de Ville flanqué de l'école publique, de la poste ou autres structures administratives, des établissements commerciaux, des hôtels, un marché...
Certes la physionomie des agglomérations n'est pas immuable. Elle est appelée à changer à travers les âges en fonction des besoins de la population, des modifications intervenues dans les règlements d'urbanisme, du désir des administrateurs d'infléchir le développement de leur cité suivant des choix personnels, ce qui signifie que les comparaisons sur les origines et le développement d'une cité par rapport à une autre sont toujours difficiles à établir et à expliquer...
Dans le cas qui nous intéresse, La Seyne-sur-Mer, il n'y eut aucune place centrale comme point de départ de notre communauté qui se soit constituée par la réunion de plusieurs hameaux éloignés de plusieurs centaines de mètres les uns des autres.
Remarquons toutefois que chacun d'eux eut sa placette. Par exemple, la place des Capucins, puis du Séminaire (Germain Loro aujourd'hui) face au quartier Tortel, la place Galilée au quartier Beaussier, la place des Pénitents blancs au quartier Cavaillon (Séverine aujourd'hui).
Au moment où notre ville s'est constituée, il n'y eut donc pas de point central à son origine comme on le vit pour tant d'autres avec un forum pour les cités romaines, une agora pour les cités grecques où les citoyens se réunissaient pour discuter des affaires publiques.
Pour La Seyne, le peuplement de l'espace compris entre les hameaux d'origine (Cavaillon, Beaussier, Tortel) et les rivages marécageux s'étendant de Brégaillon aux Mouissèques, se fit avec une extrême lenteur pendant les XVe, XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.
Les premiers îlots avec leurs constructions anarchiques inconfortables étaient reliés par des sentiers sommairement empierrés par des galets, comme celui reliant le quartier Cavaillon au quartier Beaussier et dont la rue Robespierre constitue aujourd'hui le vestige, la largeur actuelle n'ayant pas varié beaucoup depuis l'origine.
Du quartier Cavaillon, on descendait vers le bord de mer par la ruelle des amoureux (rue Lavoisier aujourd'hui) avant que ne soit aménagée la Calade, devenue la rue Louis Blanqui.
Un chemin qui prit une grande importance fut celui des Moulières. Parti de la rue d'Alsace, il se dessina par l'usage en direction de la forêt de Janas en raison des activités bénéfiques qu'il procurait à la population par l'exploitation des moulins à huile et à blé aussi celle des lavoirs publics dont nous avons conté la longue histoire dans la premier volume de notre série d'ouvrages.
Mais revenons à la ville et à l'urbanisation qui se faisait irrésistiblement du côté de la mer, phénomène inévitable par la multiplication des activités maritimes.
D'une année à l'autre, les marécages de siagnes, de joncs et de massettes reculaient mais ils obstruaient toujours Les Mouissèques et Brégaillon.
Au bas des rues, de lourds chariots déversaient les matériaux arrachés au sol en divers points de la bourgade que devenait La Seyne. La lauvisse creusée pour l'établissement du Chemin des Moulières, à Saint-Honorat, sur les pentes de la colline des quatre moulins, servait au comblement des rivages inhospitaliers et malsains.
Dès la fin du XVe siècle, les premières installations portuaires permirent aux petits bateaux de pratiquer la pêche dans la rade poissonneuse et de transporter les marchandises du petit cabotage.
Aux XVIe et XVIIe siècles, des esplanades importantes favorisèrent l'installation des premiers chantiers de constructions navales en bois. Aux premières embarcations de pêcheurs succédèrent les barges et les tartanes pour le petit commerce. Les chemins qui devinrent peu à peu des rues descendaient des collines de Cavaillon, de Tortel, de Daniel.
De la place des Capucins se détachèrent ainsi la multitude des artères qui constituent ce que nous appelons la vieille ville c'est-à-dire : la rue de l'Evêché, le Cours, le Petit Cours, les rues du Petit Filadou, du Prieur, du Jeu de Ballon, de l'Hôpital, du Sac...
Rappelons au passage, à propos du cours, qu'il succéda au petit cours (rue Marius Giran aujourd'hui) en 1773. L'aménagement rappellerait l'aspect du cours Lafayette de Toulon, si l'année suivante (1774) la municipalité n'avait pas décidé de planter des platanes de chaque côté.
Pour ce faire, il fallut remplacer les deux chaussées descendant vers la mer pour faciliter la circulation des véhicules, par une chaussée centrale et disposer les étals des marchands de part et d'autres, entre les arbres qui accusent donc aujourd'hui 215 années d'existence.
À partir de l'extrémité orientale du cours, les comblages avec plantations de pilotis s'intensifièrent vers la fin du XVIIIe siècle.
Le premier port de La Sagno considéré au XVIe siècle comme un quartier maritime de Six-Fours avait été aménagé sur l'emplacement de ce qui fut la place Bourradet (ou Vourradet) - place Martel Esprit aujourd'hui. Il était relié à la poissonnerie toute proche et sise en bordure du littoral.
La divergence entre la rue de l'Evêché (rue d'Alsace), le Cours et le Petit Cours laissa un espace large presque quadrangulaire qui fut comblé et pavé et que les Seynois baptisèrent Place du Marché et aussi Marché aux Herbes.
Cet endroit précis fut quasiment fermé par l'urbanisation de la basse ville avec des voies d'accès à la mer (rues dénommées aujourd'hui Léon Blum - Cyrus Hugues - Lagane) coupées par des transversales (Franchipani - Baptistin Paul - Taylor ... ).
Ainsi naquit la Place du Marché que les Seynois eurent tôt fait de considérer comme l'âme de leur ville parce qu'elle se situait au point de jonction de plusieurs artères importantes jalonnées des structures administratives et commerciales les plus nécessaires pour leur vie quotidienne.
Jugez plutôt !
Du vieux quartier Beaussier habité par nos ancêtres les plus lointains, on empruntait la ruelle étroite dessinant une double équerre pour accéder à l'église N.-D. du Bon Voyage érigée en 1674 sur le même emplacement que le premier sanctuaire de 1603, alors situé à quelques mètres du rivage.
En contournant le parvis, à main droite, on se rendait à l'Hôtel de la Dîme si l'on avait quelque impôt ou taxe à payer au clergé sans parler des dons en nature. La rue qui y donnait accès s'appela par la suite rue Grune, puis rue Martini. Du parvis de l'église, on accédait aussi par la rue du Palais au tribunal qui y siégeait.
En prenant à gauche, on était à quelques mètres de l'Hôtel de Ville logé dans un immeuble loué par la commune (emplacement de la Boulangerie Erutti aujourd'hui). Nos anciens y venaient prendre connaissance des édits et ordonnances royales affichés sur les murs avant même que le crieur public ne leur apporte les nouvelles dans leur quartier respectif et surtout les informations à caractère local.
|
[photo JCA, 31 décembre 1989] |
Le même immeuble, une vingtaine d'années plus tard : l'ancienne boulangerie Erutti est devenue La Pétrie du Marché [photo JCA, 23 mai 2008] |
Toujours animée le matin, la place leur offrait des légumes et des fruits variés et à quelques mètres plus loin la poissonnerie les attirait par l'odeur de la marée de poissons frais, de coquillages disposés sur les lits des vertes ulves.
S'ils remontaient chez eux, leurs provisions faites, ils pouvaient avoir du pain chaud et craquant au four communal qui exista à l'angle du chemin des Moulières et de la rue de l'Évêché.
Les Seynois en avaient fini en ce début du XVIIe siècle d'aller chercher leur pain au four banal de Six-Fours. Après des années de lutte contre les féodaux de Saint-Victor, ils avaient conquis le droit d'exploiter des étals de boucherie, de poissons et autres fruits de mer ; ils disposaient librement du premier port qu'ils avaient eux-mêmes aménagé à Bourradet avec son grand môle.
Ils ne connaissaient plus la contrainte d'escalader la colline de Six-Fours pour aller s'y marier, ester en justice, accomplir des formalités d'état civil, des actes notariés.
La Mairie, le notaire étaient là sur la Place du marché ; le palais de justice, l'hôtel de la Dîme non loin de là.
La Mairie, dont il sera longuement question dans les pages qui suivent, exerça sa noble mission pendant deux siècles en accueillant quelques édiles et magistrats municipaux qui s'appelèrent : Guigou, Daniel, Tortel, Pascal, Vicard, Lombard, Gauthier, Estienne, Jouglas, Audibert, Fauchier, Astoin, Berny, Martinenq,... pour ne citer que les principaux, tous notables désignés par le pouvoir royal avant la grande Révolution de 1789.
Une mairie qui, à une certaine époque, mit une salle à la disposition d'un instituteur pour enseigner à une quarantaine d'enfants dans des conditions misérables.
L'éducation nationale avait de grands progrès à faire ! La portion de rue reliant la Place du Marché à l'église fut appelée rue de l'Hôtel de Ville jusqu'au transfert de l'administration municipale sur le port en 1847. Il nous reste en mémoire d'avoir lu sur la façade délavée, encore au début de notre siècle, le credo que la France se donna après la Révolution Liberté, égalité, fraternité.
L'aménagement de la mairie sur la Place du Marché aurait pu inciter les édiles du moment à changer cette appellation contre celle, toute naturelle, de Place de l'Hôtel de Ville comme cela existe dans maintes localités. Il n'en a rien été. La coutume a prévalu en faveur de la banalité et de l'usage.
Nous userons donc de cette expression tout au long de notre texte, jusqu'en 1944 où la place porta le nom de Laïk, père et fils, après les circonstances dramatiques que les Seynois connaissent, certes ; mais qu'il n'est pas inutile de rappeler pour ceux qui ne savent pas les détails de l'histoire.
Réflexion faite, on peut comprendre que les édiles du XVIIIe siècle aient hésité à dire Place de l'Hôtel de Ville car, à la vérité, le bâtiment à usage de mairie n'était qu'une maison d'habitation de quelques mètres de façade et trois étages de haut et ne présentait aucun caractère de somptuosité.
Place du Marché ! Ce fut-là que nos ancêtres vinrent clamer en 1657, la victoire de leur indépendance sur les consuls de Six-Fours qui régnaient alors en maîtres sur les travailleurs de La Sagno : ouvriers, paysans, artisans.
Rappelons qu'à partir de 1608 un premier four à cuire le pain avait été autorisé en territoire seynois ; deux autres le furent en 1630 et 1652. De tels écarts dans ces concessions montrent bien que les suzerains ne desserraient leur étreinte qu'avec une extrême prudence. Il en fut de même pour les étals de boucherie et de charcuterie.
En cette fin du XVIIe siècle, La Seyne était dirigée par ses propres consuls aidés d'un greffier et notaire royal, d'un capitaine de ville, d'un capitaine de port, d'un trésorier, de quatre intendants de santé, de fonctionnaires divers : peseur public, sergent de ville et trompette, fontainiers, marguilliers de la Paroisse, Enseigne de la jeunesse.
Par la séparation du territoire de Six-Fours nos édiles avaient obtenu la moitié de la forêt communale aux ressources multiples et toute la presqu'île de Saint-Mandrier. Le terroir seynois disposait de 25 km de côtes découpées où l'on pouvait envisager la création de ports bien abrités, de plages de sable fin, de sites merveilleux.
Dans l'arrière-pays, les terrains du quaternaire offraient de riches espaces à toutes sortes de cultures : vigne, oliviers, primeurs, fruitiers. Les quartiers des Plaines, de Tamaris, des Sablettes, de Saint-Jean, de Berthe, du Peyron se peuplaient peu à peu de cultivateurs. Quelques grands domaines comme La Chaulanne, La Rouve, La Goubran étaient remarquablement exploités. Autant dire que notre ville réunissait déjà toutes les conditions nécessaires à un développement prospère.
Aussi la Place du Marché voyait-elle chaque jour affluer les légumes, les produits de basse-cour, les fruits de la terre et ceux de la mer en abondance.
On n'y trouvait pas tellement de produits en provenance de l'étranger pour la simple raison que les transports sur de grands parcours étaient rares.
La Seyne n'importait guère que du sucre, du café, des épices, des peaux et des cuirs, du chanvre.
Par contre, elle produisait assez pour exporter de l'huile d'olive, du savon, des chandelles, des raisins, des amandes, des cordages, des matériaux de construction (briques et tuiles).
Au début du XVIIIe siècle, elle affirma sa prospérité par le développement de l'artisanat comme l'attestait le nom de certaines rues : rue Savonnière, rue des Celliers, rue de la Grande Forge, rue des Tonneliers.
Comme aimaient à le rappeler nos anciens, la Place du Marché voyait chaque jour défiler les travailleurs ambulants exerçant les petits métiers de la rue dont nous avons gardé, nous aussi, des souvenirs attendrissants. Nous pensons au rémouleur, au raccommodeur de parapluies, de faïences et de porcelaines, au chiffonnier, à l'étameur, au regrattier qui vendait charbon de bois et bûchettes, au cireur de bottes et bien d'autres.
La Place du Marché fut active avant même que le Cours (devenu le Cours Louis Blanc) ne soit aménagé. Les cultivateurs, les petits marchands y parvenaient par le petit cours qui devint par la suite la rue du Petit Filadou.
Au milieu de la place, nos édiles firent édifier une fontaine surmontée d'une pyramide entourée de plusieurs auges où venaient se désaltérer les animaux de trait : chevaux, mulets et ânes.
Ces derniers, fort nombreux à l'époque, passaient leurs matinées jusqu'à la fin des ventes, attachés à un anneau, rue du petit cours (abandonné comme marché), un petit sac contenant leur picotin d'avoine suspendu sous les naseaux.
L'attente devenant fort longue, le petit cours, devenu garage, retentissait intensément des braiments longs et discordants qui n'avaient pas le don d'égayer les habitants de la rue.
La vieille fontaine qui trônait au milieu de la place devint gênante par la suite en raison du développement des activités commerciales. Chevaux et voitures s'entremêlant, il fallut la supprimer, mais on fixa un petit abreuvoir sur le bord du trottoir face au magasin actuel à l'enseigne Joelle.
Indiquons au passage que les problèmes de la circulation se posaient un peu partout, les rues de l'époque ne permettant pas à des charrettes de se croiser.
Pour lutter contre les encombrements, il fallut même imposer aux jeunes gens de ne plus jouer dans les rues.
Un arrêt de la cour du Parlement d'Aix en 1707 enjoignit expressément aux édiles d'interdire les jeux de la boule dans les rues de la ville, ainsi que les jets de pierre avec des frondes. Aux problèmes de la libre circulation s'ajoutaient ceux de la sécurité publique. Déjà !
Quelles denrées la Place du Marché offrait-elle à nos anciens ? Dans ses débuts, ce furent surtout les cultivateurs qui apportaient les fruits de leurs récoltes du terroir seynois. De vastes plaines de Saint-Jean, des quartiers Coste-Chaude, Tamaris, Mar-Vivo, Les Moulières arrivaient toutes les variétés de légumes et de fruits, des produits de basse-cour, des aromates, des produits de cette végétation sauvage disparue : sorbes, caroubes, grenades, jujubes, câpres, salades sauvages, plantes médicinales, olives à saler...
N'est-il pas vrai qu'au sortir du Moyen Age, on se soignait souvent avec des plantes connues depuis l'Egypte ancienne pour leurs propriétés bienfaisantes : diurétiques, laxatives, analgésiques...
Les denrées en provenance de l'étranger et surtout les produits exotiques n'apparurent Place du Marché qu'au début du XVIIIe siècle, quand le Port de Bourradet, son grand môle et ses magasins furent aménagés pour le négoce et desservis par une flotte de bateaux de moyen tonnage : tartanes, senaults, polacres ou brigantins.
De loin en loin notre marché connaissait des heures fébriles, celles des fêtes votives et des foires : la fête de Saint-Roch célébrée par les artisans cordiers ; celle de la Saint-Pierre où l'on voyait défiler le 29 juin de chaque année les prud'hommes pêcheurs de La Seyne à travers la ville, marquer un arrêt Place du Marché où quelques ménétriers et tambourinaires attendaient la procession pour la saluer ; la fête de la Saint-Jean d'été du 24 juin où l'on brûlait des pins et des fagots sur les places publiques et même au bas du marché, malgré les interdictions ; la fête de la Saint-Joseph du 19 mars, célébrée en particulier par les charpentiers de marine, puisque Saint-Joseph était le patron des travailleurs du bois.
La fête patronale du 2 juillet, qui débutait par des cérémonies religieuses, avec un long cortège précédé de bannières et de musiques.
Naturellement, la Place du Marché grouillait de gens de tout âge, de toute condition sociale pour assister à ces spectacles.
Et voilà que déjà plus d'un siècle s'était écoulé depuis la conquête de l'indépendance et notre communauté seynoise avait marqué des progrès certains dont on pouvait dire cependant qu'ils n'étaient pas à la mesure de ses possibilités d'amélioration. La population approchait les 5000 âmes, ayant quadruplé en un siècle et demi, ce qui représentait un accroissement de seulement 25 habitants par an. C'était peu si l'on considérait les atouts de la campagne et de la mer.
Comment expliquer les retards et les insuffisances ? Les salaires étaient bas, les impôts trop lourds. La Royauté avait abusé de la patience du peuple avec la complicité du Clergé et de la Noblesse. Par surcroît, de grandes calamités s'étaient abattues sur le pays pendant le XVIIIe siècle. Les épidémies de peste, dont la plus meurtrière fut celle de 1721. D'autres désolèrent notre région en 1746, 1767, 1768, 1786. On en connaît les raisons, le manque d'hygiène, l'ignorance, la lenteur des progrès de la science.
La terreur s'emparait des populations qui fuyaient les villes. La Seyne était désertée fréquemment, ce qui engendrait le marasme des affaires pour de longues périodes.
À cela s'ajoutèrent des vagues exceptionnelles de froids rigoureux détruisant les récoltes de toute nature. Même les plantations d'olivier furent détruites en 1709, 1740, 1744, 1748, 1755, 1767, 1768, 1783.
Dans les années où le froid et les épidémies coïncidèrent, alors ce fut la catastrophe économique. Les échanges avec les pays extérieurs étant alors fort restreints en ce temps-là, on explique facilement les disettes prolongées, inconvénients qui ajoutaient aux abus du pouvoir royal et engendraient un mécontentement bien légitime.
Depuis longtemps, tous les parlements des Provinces réclamaient la réunion des États Généraux pour trouver des solutions aux difficultés.
Les Consuls et les Maires qui se succédèrent dans cette période : Les Joseph, les Daniel, les Pierre, André et François Jouglas, Joseph Estienne, Joseph Honoré Fabre, François Couret ne pouvaient rester indifférents aux récriminations populaires.
Nous entrions dans la période des cahiers de doléances. Alors, la Place du Marché connaissait par moments une affluence de groupes menaçants contre les autorités.
Les discussions prenaient parfois une tournure passionnée :
- " Comment voulez-vous que les affaires marchent ! " disait Michel Berny, notable, à son homologue François Daniel. Même les gens de la classe moyenne, comme on dirait aujourd'hui, mettaient en doute la pérennité du Pouvoir Royal.
- Et l'un disait : " Pendant tout le règne de Louis XIV qui a duré soixante-dix ans, la France n'a pas cessé de faire la guerre ! ".
- " Et pour quel résultat ? " disait l'autre. " Le pays a été ruiné et les meilleurs de ses fils sont morts au combat. Et maintenant ce Louis XV ne fera qu'aggraver la situation de la France. Il continue à faire des guerres ".
- " Il faut se battre maintenant pour Stanislas Leszczynski ! " Quelle honte ! Pauvre peuple qui trime pendant que le Roi de France mène sa vie fastueuse et entretient son harem.
- " Avant de s'occuper de la Pologne, il ferait mieux de savoir ce qui se passe dans son royaume ! ".
Les Maires et Consuls de La Seyne qui se retrouvaient chaque jour à l'Hôtel de Ville de la Place du Marché se firent l'écho du mécontentement grandissant de la population seynoise.
Durement éprouvées par les guerres et les calamités naturelles, notre commune put obtenir au début du siècle des adoucissements dans le recouvrement de la capitation, impôt prélevé par tête d'habitant pour subvenir aux dépenses de la guerre de succession... d'Autriche.
Nos édiles se démenaient pour administrer la communauté en toute équité. Des impôts, taxes et redevances payées par les citoyens, peu d'argent restait dans les caisses de la commune. À la taille royale, impôt correspondant à notre impôt foncier actuel, à la capitation, comparable à la taxe d'habitation, s'ajoutaient les contributions dites du vingtième, du dixième ou du cinquième prélevées sur les produits du terroir, la gabelle du sel, les droits sur les farines et les grains, la dîme ecclésiastique pour l'entretien des églises, des œuvres de charité et d'assistance, l'exercice du culte... et nous pourrions aussi évoquer les remboursements d'emprunt, les prélèvements autoritaires du Pouvoir Royal.
M. Baudoin nous a appris que dans le milieu du XIXe siècle, La Seyne occupait le trente-troisième rang sur les 53 communautés de Provence les plus imposées.
Quand une collectivité se trouve confrontée à de graves difficultés, on voit toujours surgir parmi ses concitoyens, le parti de ceux qu veulent mettre de l'ordre, les " Y a qu'à " ou les " on n'a qu'à " aux solutions péremptoires et qui aboutissent souvent à dresser une moitié de la population contre l'autre moitié.
Et notre Place du Marché et son Hôtel de ville furent pendant près de 20 ans le théâtre de discussions passionnées, de joutes politiques sévères avec en toile de fond comme toujours des rivalités personnelles et les conflits d'intérêt.
Les faits relatés ici se sont étalés entre 1720 et 1740 : ils nous sont contés dans un mémoire dont nous avons extrait l'essentiel.
" Deux partis gouvernent le bourg de La Seyne : l'un despotique depuis de nombreuses années, l'autre tenu à l'écart et éloigné des charges publiques - ce dernier se dressa, s'organisa afin d'arrêter les abus et la dissipation des deniers publics, protesta auprès du parlement de Provence afin qu'un règlement mette un terme à une telle situation ".
Douze ans plus tard, les opposants à la Municipalité obtinrent l'approbation d'un règlement par le Conseil de sa Majesté. Les consuls de l'époque furent condamnés à la restitution des biens prélevés indûment dans la caisse communale et destitués de leurs fonctions. S'agissait-il déjà de fausses factures ? Ce fut Joseph Daniel qui devint 1er Consul.
Les battus fort mécontents tentèrent de reprendre l'avantage. Un nouveau jugement rendu par la Cour des Comptes aggrava les conclusions du premier procès.
Si nous rapportons ici de tels faits, c'est pour mieux montrer, malgré les années qui passent et même les siècles, la similitude des conflits qui surgissent périodiquement au sein d'une même communauté. Oui ! Déjà La Seyne était coupée en deux moitiés ou presque, aux idéologies souvent très opposées et dans les années qui précédèrent la Grande Révolution de 1789 nous évoquerons succinctement les conflits qui éclateront entre manants de la terre, prolétaires de l'artisanat et la bourgeoisie aisée de la campagne et de la ville.
Comme aujourd'hui, la Place du Marché voyait de petits groupes de discussions se former et le Maire Jouglas qui succéda à Daniel était accusé de perpétuer des procès dans lesquels la Municipalité était toujours impliquée et pas toujours à son avantage. Déjà les affaires administratives se révélaient complexes. Les édiles du moment faisaient ce qu'ils pouvaient mais leurs moyens demeuraient limités.
Les réclamations affluaient à la rue Carvin : les chemins étaient en mauvais état, la ville manquait d'eau, il fallait entretenir la milice communale, les affaires maritimes compliquaient de plus en plus la vie administrative, les locaux manquaient toujours cruellement. La Seyne, cité communale, après un siècle de luttes, se débattait dans des difficultés de toutes sortes, aggravées comme nous l'avons dit par la mauvaise politique de la royauté.
Place du Marché ! Le mécontentement grandissait. On parlait de plus en plus de révoltes, surtout quand il était question d'augmenter les impôts locaux.
Les réclamations portées devant les élus municipaux étaient toujours discutées certes, mais les solutions se faisaient attendre désespérément. Estimant généralement qu'elles relevaient surtout du pouvoir central ou provincial, les Maires et Consuls rétorquaient qu'ils étaient seulement chargés de faire appliquer des lois dont ils n'étaient pas les auteurs.
Il n'est pas inintéressant, pensons-nous, de rappeler succinctement ce qu'était le règlement municipal de police à La Seyne dans cette période qui précéda la Révolution française.
Ce règlement fut élaboré par un bureau dit de police ainsi constitué :
Ce service était distinct des gardes du terroir, fonctionnaires de sauvegarde qui s'appelleront garde-champêtres.
Ce bureau de police s'occupait particulièrement des commerces et marchés, de la voirie, de l'hygiène, des étalages de marchandise, des prix, de la tenue du registre des ventes de pain spécifiant à la fois les qualités et les prix.
Faisaient également l'objet d'une surveillance étroite : les bouchers, les charcutiers, les poissonniers, les marchands de fruits et légumes, de gibier, de volailles, les propriétaires des moulins à huile, à farine, les fourniers, les meuniers, les chapeliers, les cabaretiers, les négociants en bestiaux.
La plupart de ces professions se signalaient par la présence au-dessus de leurs étals ou de leur vitrine d'enseignes, marques distinctives, objets, dessins ou peintures. Par exemple, il y eut longtemps au débit de tabacs de la Place du Marché, une grande pipe fixée au-dessus de la vitrine.
Les marchands de vins se signalaient par des panneaux peints représentant des tonneaux, des feuilles de vigne et des grappes de raisin... Le boucher arborait une tête de bœuf, la vache étant réservée au crémier, etc.
Cette coutume remontait bien avant dans le Moyen Age à une époque où l'immense majorité des gens ne savaient pas lire. Bien évidemment, la présence des objets les renseignait sans avoir appris l'alphabet.
Revenons quelques instants sur notre bureau de police qui avait d'autres missions délicates à remplir. Par exemple ne lui fallait-il pas faire respecter l'arrêté de 1707 du Parlement d'Aix que nous évoquions, il y a quelques instants : arrêté interdisant de jouer à la boule dans les rues et de tirer des pierres avec des frondes !
Par exemple : les interventions contre les tapages nocturnes et la surveillance de l'éclairage des rues.
Dans cette période, les ivrognes, les voleurs et délinquants de tout acabit bénéficiaient d'une obscurité complice, les rues ne recevant la nuit que des lumières blafardes, émanation de quelques lampes à huile suspendues de loin en loin au-dessus de la chaussée.
Il y avait toujours à réprimer des fauteurs d'algarades, des conflits d'intérêts, des protestations parfois violentes à caractère politique assorties d'insultes contre la Royauté, contre le viguier (officier royal représentant le Pouvoir central), contre les Consuls locaux et déjà nos ancêtres, tout au moins les plus démunis, manifestaient leur rancœur de ne pouvoir participer à la vie politique et administrative de la cité.
D'après un document officiel de l'époque, voici comment se déroula l'élection municipale de 1767, sous le règne finissant de Louis le Quinzième.
Le Second Dimanche du mois de Décembre, se réunit à l'Hôtel de Ville, Place du Marché, le Conseil général de la Communauté aux fins d'élire les officiers municipaux chargés d'administrer la ville à compter du 1er janvier suivant.
Balthazar James, valet de ville et trompette de la mairie, annonça la réunion.
Mais dira-t-on, ce Conseil général était composé par qui ? Suivant une coutume ancienne et suivant aussi les exigences du Pouvoir central, le corps électoral était composé des principaux notables de la cité, de bonne vie et mœurs, sachant lire et écrire, inscrit au livre terrier (cadastre d'aujourd'hui). Autrement dit, l'effectif des votants était bien restreint et l'assemblée convoquée par Esprit Ollivier, avocat au Parlement et viguier, ne ferait certainement aucune peine, même légère au représentant du Pouvoir central.
On retrouve dans la liste du corps électoral, qui se chiffrait à quelques dizaines de personnalités honorables, certes des noms bien connus de notre terroir seynois : Beaussier, Daniel, Armand, Prat, Berny, Gros, Guigou, Jouglas, Tortel, Blanc... Remarquons au passage qu'on ne trouve aucun nom à consonance italienne ou corse (la Corse ne deviendra française qu'en 1768).
L'élection fut précédée d'une prestation de serment effectuée suivant Dieu et Conscience comme l'annonça le viguier. Puis on plaça dans un vase des ballottes, sortes de boules de couleur blanche et noire, les noires étant les plus nombreuses. Les participants retirèrent une boule chacun et ceux en possession d'une boule blanche étaient seuls à pouvoir désigner les personnalités chargées d'assurer des fonctions municipales. On ne pouvait parler d'élection mais simplement de désignation. L'opération recommença plusieurs fois pour nommer Maire, Consuls, Officiers municipaux, etc.
Les murs de l'hôtel de ville reçurent le lendemain les affiches manuscrites portant nomination de tous les administrateurs. On voit qu'un tel système était bien éloigné de nos lois actuelles et que les pratiques démocratiques avaient de grands progrès à faire. L'immense majorité du peuple, illettrée à l'époque, ne participait donc pas à la gestion communale.
Il en sera encore longtemps ainsi. Nous sommes en 1767 et les premières écoles d'Enseignement public s'ouvrirent seulement en 1833, sous le règne de Louis-Philippe.
La France était sortie très affaiblie du règne de Louis XV. Son successeur tenta de résoudre la crise financière. En 1788, le Ministre Necker fit comprendre au Roi de France, qu'il fallait alléger les charges excessives devenues insupportables pour le peuple et demander aux notables des efforts financiers indispensables. Nous savons bien qu'en pareil cas, les privilégiés de la fortune, les hobereaux, les profiteurs de toute espèce, n'acceptent jamais aucune concession sérieuse.
Place du Marché, les bruits de mouvements révolutionnaires se répandaient intensément de jour en jour.
Le 26 mars 1789, un rassemblement s'y forma au son du tambour, un orateur harangua l'auditoire qui s'en alla... vers la place Bourradet (Martel Esprit aujourd'hui) en proférant des menaces contre l'occupant de l'immeuble qu'on appela autrefois Imprimerie centrale.
Qui était ce personnage objet de la vindicte publique ?
Un homme de loi qui eut la chance de s'échapper par une porte dérobée au moment où les manifestants avaient déposé un cercueil devant sa porte, geste significatif de leur volonté de vengeance. La maison fut pillée puis, les émeutiers se rendirent rue Grande Forge (Baptistin Paul), au bureau où était perçu l'impôt sur la farine qu'on appelait le Piquet. Cette taxe perçue sur les grains de blé destinés à la panification contribuait à l'augmentation du prix du pain, aliment de base, de première nécessité pour les malheureux. Son appellation venait du fait qu'autrefois un piquet très haut fiché en terre, indiquait l'endroit sur la place publique où le percepteur communal venait faire ses prélèvements.
Là encore, place Baptistin Paul (place de la Grande Forge), des locaux furent dévastés. Le Maire en exercice, Monsieur Jouglas en appela aux autorités militaires de Toulon pour le rétablissement de l'ordre.
À partir de ces événements redoutables, chaque jour la Place du Marché s'animait aux nouvelles à sensation en provenance de la province et de la capitale.
L'on apprit avec une immense satisfaction la prise de la Bastille, puis la nuit du 4-Août, puis toute l'évolution des journées révolutionnaires.
On vint lire les affiches placardées rue de l'Hôtel de Ville et portant mention de la vente des biens nationaux ; on assista aux adjudications qui eurent lieu sur la place publique. On venait aussi prendre connaissance de la liste des gardes nationaux.
La garde de La Seyne comptait alors 729 hommes disposant de 25 fusils et de 96 piques. Le service avait lieu par roulement et les armes étaient déposées à la Mairie, rue Carvin, appelée alors rue de l'Hôtel de Ville.
Les journées révolutionnaires de Paris avaient eu raison du Pouvoir royal. Les assemblées qui s'y substituèrent : Constituante, Législative, Convention, bouleversèrent profondément les structures administratives.
Tous les jours, nos anciens venaient devant l'Hôtel de Ville de la Place du Marché pour s'informer des circulaires et des lois nouvelles.
Par exemple, au mois d'août 1792, on sut que la Municipalité reçut l'ordre d'organiser un service d'État Civil. Le gouvernement central lui expédia des registres doubles pour l'inscription des actes de naissance, de mariage, de divorce et de décès des citoyens seynois.
Rappelons que, jusqu'à la Révolution, les registres de l'État Civil étaient tenus par le Clergé des paroisses. Dorénavant, le mariage célébré devant M. le Maire où son représentant serait seul valable - ce qui n'excluait pas qu'il fut suivi d'une cérémonie religieuse pour les époux qui le souhaitaient.
Et les réformes allaient se succéder à une cadence rapide. Chaque jour, nos anciens venaient à l'Hôtel de Ville pour se renseigner aux panneaux d'affichage, la presse étant quasi inexistante.
Ne fallait-il pas savoir à présent que la semaine serait remplacée par la décade, que le dimanche républicain s'appellerait le décadi, que les mois porteraient désormais le nom des saisons, des travaux agricoles, du temps.
Par exemple, il fallut apprendre que Thermidor, remplacerait juillet, mois de la chaleur ; que Messidor remplacerait août, saison des moissons ; que Brumaire (brume) remplacerait novembre, etc. Autrement dit, il fallut apprendre le calendrier républicain.
Le gouvernement de la convention voulait faire table rase du passé. Sa propagande anti-religieuse concrétisée par des actes de déchristianisation comme la saisie d'objets religieux, la violation de la liberté des cultes, se heurtait à une opposition résolue de la population.
Signalons au passage une institution nouvelle du gouvernement révolutionnaire : la création du baptême civil dans le but de détacher progressivement les croyants de la pratique du baptême religieux. De nombreuses réformes de ce genre ne furent que partiellement appliquées.
Il y eut effectivement des actes de baptême civil dressés à l'Hôtel de Ville de la Place du Marché. Nos concitoyens, dans leur immense majorité, ne savent pas que la loi du 20 Prairial An II instituant cette procédure n'a jamais été abolie et que dans notre mairie d'aujourd'hui il nous arrive encore d'assister à ce genre de cérémonie.
Le temps passait et de graves événements allaient secouer la vie paisible de la population seynoise.
La Révolution française, surtout après l'exécution de Louis XVI, allait voir se dresser contre elle les grands tyrans de l'Europe coalisés. Toulon fut livré aux Anglais par les Royalistes. On sait comment l'armée républicaine lutta admirablement en 1793 pour chasser les ennemis, surtout après l'arrivée de Bonaparte les premiers jours de septembre.
Mais notre Place du Marché que Bonaparte foula de ses pas allait bien souffrir car les bombardements de la flotte anglaise lui causèrent beaucoup de dégâts.
La population seynoise qui avait reçu l'ordre d'évacuer la ville s'y retrouva malgré tout pour y fêter la victoire au lendemain du 17 décembre, après la reprise des forts Caire et Balaguier qui décida de la chute de Toulon.
Elle s'y retrouva souvent par la suite pour lire sur les murs de l'Hôtel de Ville, la liste des arrestations et aussi hélas ! celle d'une douzaine d'exécutions de citoyens accusés d'intelligence avec l'ennemi.
Elle s'y retrouva pour prendre connaissance des décisions du Pouvoir - Bonaparte devenu 1er Consul, étrangla la République après le coup d'État du 18 Brumaire (9 novembre 1799). Devenu Empereur, toute la vie administrative allait être modifiée et d'excellentes réformes allaient être appliquées. Mais nos concitoyens, s'ils avaient pu constater un certain redressement des affaires du pays, commencèrent à éprouver de graves inquiétudes à la lecture des listes de conscrits qu'on affichait Place du Marché.
Après une accalmie de deux ou trois années, la guerre avait repris de plus belle à travers toute l'Europe. Le Pouvoir impérial soucieux de conserver son image de marque dans l'opinion publique, multipliait les mesures de diversion. On demanda à la population de fêter par exemple le 18 Brumaire, anniversaire du coup d'État, ou encore de célébrer avec éclat le sacre et le couronnement de sa majesté l'Empereur.
- Le 8 Frimaire (An XIII) - 1804, le Sous-Préfet de Toulon adressa à M. Raimondis, Maire de La Seyne la lettre suivante :
" Je vous annonce que le sacre et le couronnement de Sa Majesté l'Empereur sont fixés au XI de ce mois, jour de Dimanche. Vous annoncer les cérémonies qui vont avoir lieu, c'est vous dire qu'il doit être célébré ce jour-là, une fête dans toutes les communes de l'Empire. En conséquence, vous voudrez bien, au reçu de la présente, vous occuper de faire tous les préparatifs nécessaires pour la célébration de cette fête auguste afin qu'elle ait lieu, dans votre commune, avec toute la pompe dont elle est susceptible.
" Rien ne doit être épargné, Monsieur, pour que le peuple puisse témoigner sa joie et sa reconnaissance au chef de l'État à qui il doit, à juste titre, tant de bienfaits, de l'avoir tiré de l'abîme où il était plongé et de l'avoir mis dans l'avenir heureux que lui présente le commencement de son règne.
" Votre zèle me garantit d'avance que vous ne négligerez rien pour donner à cette fête, soit par des danses, courses, jeux... tout l'éclat qu'elle mérite.
" Vous voudrez bien dresser procès-verbal de tout ce qui aura été fait et m'en adresser copie dans les vingt-quatre heures qui suivront cette fête et m'accuser réception de la présente "
Le Sous-Préfet
M. Raymondis donna entièrement satisfaction à la circulation préfectorale. On dansa devant la Mairie illuminée, enguirlandée. On organisa des réjouissances diverses Place du Marché et place Bourradet.
On pavoisa les rues principales et nos concitoyens découvrirent que les drapeaux tricolores à la fleur de lys des Bourbons et ceux portant le fer de lance et le coq gaulois de la Ie République avaient été remplacés par des drapeaux à l'Aigle impérial.
Nous étions en 1804 et personne alors ne pouvait se douter que dix ans après il n'y aurait plus d'Empire, plus de grande Armée, plus de victoires à célébrer.
En attendant, nos édiles recevaient des circulaires et des arrêtés préfectoraux leur enjoignant d'appliquer des mesures novatrices comme par exemple les mariages de militaires avec des jeunes filles de la localité avec attribution d'une dot de 600 francs-or accordée aux jeunes époux.
Ces mariages étaient ordonnés par sa majesté l'Empereur à l'occasion de son propre mariage à Paris avec Marie-Louise d'Autriche.
Autre exemple significatif : le mariage des rosières, prévu pour récompenser la sagesse et la vertu chez les jeunes filles les plus méritantes des communes de France, désirant se marier.
La lecture du document ci-joint est à notre avis pleine d'intérêt. Il a été extrait des délibérations du Conseil municipal, Monsieur Joseph Jean Raymondis étant Maire.
L'an 1810 et le 16 novembre à 10 heures du matin, le Conseil municipal de la ville de La Seyne a été extraordinairement convoqué en exécution des dispositions de la lettre de M. le Sous-Préfet de l'arrondissement de Toulon en date du 10 du courant sous le n° 2028 et en vertu de l'invitation qui en a été faite par M. le Maire à chacun des membres.
M. le Maire et Président du Conseil a fait faire lecture de la lettre précitée de M. le Sous-Préfet portant que d'après les intentions de sa majesté l'Empereur et Roi, il doit être marié dans cette ville de La Seyne le premier dimanche de décembre deux dudit mois, une fille honnête, aux frais de la ville - à l'occasion de l'anniversaire de son couronnement et de la bataille d'Austerlitz - et que la somme de 600 francs est affectée dans le budget de 1810 pour la dotation de cette rosière (1) qui doit être choisie par le Conseil séant pour être mariée ledit jour.
(1) Rosière : jeune fille vertueuse
Cette lecture étant terminée, M. le Maire a dit :
" Messieurs ! J'ai l'honneur de proposer au Conseil pour être mariée le 2 décembre prochain une fille honnête de cette ville, laquelle mérite sous plusieurs rapports d'être choisie et préférée parmi toutes celles qui auraient quelque prétention à la dotation dont s'agit. Cette fille s'appelle Thérèse Marguerite Gasel. Elle est née à La Seyne le 13 novembre 1790. Elle est fille mineure de feu Pierre Félix Gasel, vivant, calfat marin de cette ville et de Thérèse Hermitte.
" Vous savez tous, Messieurs que ledit feu Gasel, décédé depuis plusieurs années, délaissa une famille composée de sept enfants, la plupart encore très jeunes et que la fille aînée dudit feu Gasel a contribué essentiellement par son travail et sa bonne conduite au soutien de sa famille.
" Ces bonnes qualités, Messieurs, m'ont déterminé à proposer ladite fille Gasel pour le choix de laquelle vous voudrez bien délibérer et faire les observations que vous jugerez convenables.
" J'ai encore l'honneur de vous proposer pour être l'époux de ladite Gasel le nommé Pierre Sylvestre Laugier ouvrier marin natif des Martigues, Département des " Bouches-du-Rhône ", âgé de 22 ans, fils mineur en fait de mariage de Jean Joseph Laugier, boulanger audit Martigues et de Catherine Margaillan.
" Ce jeune homme est porteur d'un certificat qui lui a été délivré par Monsieur Lauzet ex-capitaine, commandant la 3e compagnie du 1er, Bataillon du Régiment de Toulon, constatant que ledit Laugier a servi audit Corps avec honneur et zèle depuis le 1er février 1807 jusqu'au 31 juillet 1810, et qu'il a mérité l'estime de ses chefs par sa bonne conduite.
" Je me suis assuré au surplus que ledit Laugier et ladite Gasel se sont promis en mariage depuis plusieurs années de l'aveu de leurs parents.
" Sur quoi le Conseil municipal de la ville de La Seyne pleinement convaincu de la vérité de l'exposé fait par Monsieur le Maire et après avoir pris connaissance du certificat constatant le service dudit Laugier a unanimement délibéré de faire choix pour être mariés le premier dimanche de décembre prochain, deux dudit mois, à l'occasion de l'Anniversaire du Couronnement de Sa Majesté Impériale et de la " bataille d'Austerlitz ". Ledit Pierre Sylvestre Laugier, natif des Martigues et de Catherine Margaillan, d'une part et Thérèse Marguerite Gasel née audit La Seyne, le 13 novembre 1790, fille mineure de feu Pierre Félix Gasel, vivant calfat marin et de Thérèse Hermitte d'autre part.
" Extrait de la présente délibération sera transmis à Monsieur le Préfet par l'intermédiaire de M. le Sous-Préfet avec la prière de la faire revêtir de son approbation ".
Suivent les signatures de 27 conseillers municipaux. Nous aurions pu reproduire une délibération semblable datée du 27 octobre 1811 intéressant les époux Marie-Jeanne Françoise Astier et Jean Antoine Silvy.
On imagine l'ambiance fiévreuse, qui régnait dans la population au moment de telles cérémonies. Les édiles du moment cherchaient toujours à être agréables au pouvoir impérial qui les avait choisis.
Toutefois, il leur fallut bien se faire l'écho par intermittence du mécontentement justifié de la population sur des problèmes dramatiques comme l'atteste le texte suivant, de cette même année 1810.
Le Conseil municipal réuni Place du Marché expose :
- que la dame Denans réclame la somme de 4.650 F, solde du terrain cédé à la commune pour l'agrandissement du port. Les temps malheureux de la Révolution n'ont pas permis que la ville s'acquitte de sa dette (une dette qui s'élevait alors à plusieurs millions de francs actuels),- plus de cent navires de commerce, qui étaient toute la ressource de la localité furent enlevés de vive force par les Anglais,
- toutes les maisons et le peu de propriétés rurales qui existent dans cette commune qui ne peut subsister que par les revenus de la mer, furent dévastées ou brûlées sous l'effet des bombes et des boulets,
- ...les dépôts, même les plus inviolables, les registres des notaires publics subirent le même sort et cette perte irréparable a jeté, au sein des familles, un désordre affreux, et occasionné des pertes incalculables.
- ... Dans cet état d'indigence et de malheurs irréparables, les habitants de La Seyne n'ont d'autre ressource que la bienveillance paternelle du meilleur des monarques dont le cœur compatissant n'éprouve pas de plus grande satisfaction que d'essuyer les larmes des malheureux en faisant cesser leur disgrâce.
(Ces lignes sont extraites de la délibération du 18 février 1810). On remarquera que la conclusion relève dans son esprit d'une soumission absolue allant jusqu'à la servilité comme en témoigne également le texte suivant.
À l'occasion de la naissance du fils de l'Empereur, la Mairie de la Place du Marché mit au concours un prix de poésie destiné à récompenser la meilleure forme d'expression des vœux adressés au Roi de Rome.
Le jury décerna ce prix à un jeune homme de la ville nommé Esprit François Barralier qui écrivit :
Souhaits à Sa Majesté le Roi de Rome :
- Que cet auguste enfant puisse égaler son père,
- Qu'il sache comme lui, vaincre et donner la paix
- Qu'il imite toujours les vertus de sa mère
- Et que tout l'univers proclame ses bienfaits.
Nous ne ferons aucun commentaire sur l'opinion de ce jeune homme à qui le prix fut remis au cours d'une séance solennelle à l'Hôtel de ville - un prix qui consistait en un couvert en argent portant ces mots gravés " Naissance du Roi de Rome ".
Hélas ! à ces heures de joie, de gloire, de magnificences succédèrent les angoisses et les désastres.
Le XIXe siècle qui s'était annoncé pour les Français comme une ère de grandeur allait voir succomber l'œuvre du grand Empereur dévoyé par sa mégalomanie et sa politique de conquêtes.
Les habitants de la Place du Marché... et les autres, ne tardèrent pas à comprendre la gravité de la situation quand ils apprirent l'appel pressant de l'Impératrice Reine et régente, adressé au Sénat le 24 octobre 1813 pendant que l'Empereur tentait d'enrayer l'invasion ennemie après les désastres de là retraite de Russie.
Nous reproduisons in extenso deux documents authentiques, significatifs de la duplicité des édiles de cette époque, dont le lecteur pourra mesurer toute la souplesse du comportement, des changements et des adaptations en fonction des situations politiques nouvelles. Ces reproductions de textes originaux pourront peut-être aider à la compréhension de problèmes actuels pour ceux de nos concitoyens à la crédulité excessive et qui ne saisissent pas toujours les changements de religion et les volte-face en fonction des intérêts particuliers.
Le Maire Fauchier a convoqué le Conseil Municipal pour lire le discours prononcé au Sénat conservateur le 8 octobre par Sa Majesté l'Impératrice, Reine et Régente. Après quoi, le Conseil municipal a envoyé à S.M. l'Impératrice l'adresse suivante :
Madame,
" Nous avons entendu avec la plus vive émotion la lecture du discours que Votre Majesté Impériale et Royale a prononcé au Sénat.
L'appel que vous faites aux Français au nom de l'Empereur, votre auguste époux et notre cher souverain au nom de la Patrie et de l'Honneur a retenti jusqu'au fond de nos cœurs.
Témoins depuis vingt années de la gloire immortelle du héros invincible et incomparable qui nous gouverne, pourrions-nous ne pas désirer de voler au secours de nos braves, si des circonstances pénibles nous en faisaient un devoir.
Pourrions-nous ne pas offrir à votre auguste époux tous les sacrifices pécuniaires qu'il a droit d'attendre de tous les sujets. Animés de ce double désir, nous osons Madame, déposer au pied du trône et votre Majesté Impériale et Royale les sentiments dont nos cœurs sont pénétrés et qui sont en même temps ceux des habitants de la ville de La Seyne dont nous sommes l'organe. Nous sommes prêts, Madame, à tous les sacrifices pour la gloire du Prince qui nous gouverne pour l'honneur du nom français et pour assurer la victoire à nos frères ".
Ont signé ce document : les conseillers : Guigou, Martinenq, Jouglas, Tortel, Barraillier, Giran, Ferry, Pratx Fauchier Maire, Estienne Barraillier.
Vers la fin de l'année 1813, les événements se précipitèrent. Ce fut la campagne de France, l'invasion ennemie, l'abdication de Napoléon Ier, le retour des Bourbons au trône de France avec Louis XVIII.
Depuis la lettre pathétique adressée à l'Impératrice, le Conseil municipal de La Seyne se réunit six mois après. Le Monarque n'est plus le même et voici ce qui ressort après cette réunion :
- le Maire et les Adjoints de la ville de La Seyne, les Conseillers municipaux, fonctionnaires publics et principaux habitants de la ville.
Déclarent donner formellement l'adhésion la plus solennelle au décret du Sénat portant la déchéance de l'Empereur Napoléon et de sa famille, prendre la part la plus active au rétablissement du trône des Bourbons dont le souvenir est si cher au cœur de tous les Français pour la conservation duquel ils sont prêts à donner leur vie.
Fait en l'Hôtel de Ville de la ville de La Seyne
le 25 Avril 1814.
Ont signé cette déclaration :
Le Maire Fauchier, Martinenq, Berthe, Raymondis, Guigou, Laugier, Barraillier, Estienne, Tortel, Daniel Beaussier, Prat, Jouglas, Coulomb.
On remarquera que la plupart des signataires se retrouvaient sur les deux documents. Le Maire Fauchier et ses collaborateurs ne s'embarrassaient pas de scrupules.
Quelques semaines plus tard la même équipe, désireuse de conquérir les bonnes grâces de Sa Majesté Louis XVIII poussa plus loin l'exercice de sa servilité.
Déclaration de Monsieur le Maire.
De tous les points du Royaume, des députations se rendent à Paris pour déposer au pied du trône l'hommage de leur amour et de leur dévouement.
Les habitants de cette ville seraient jaloux de faire connaître pareillement à Sa Majesté Louis XVIII par une députation, les sentiments de respect et de fidélité dont ils sont pénétrés pour l'auguste descendant du Saint-Roi Louis IX, du père du peuple Louis XII et du grand Henri IV.
À cet effet, j'ai l'honneur de vous proposer d'envoyer une délégation composée de trois membres au moins pour remplir cet important et honorable devoir. Louis Alexandre Fauchier, Maire - Louis Joseph Coulomb - Louis Bonnaventure - Daniel, ancien commissaire de la Marine.
La situation politique du pays entra alors dans l'une des périodes les plus confuses de son histoire.
Napoléon Ier quitta l'île d'Elbe où il s'était réfugié après sa première abdication. Le 1er mars 1815, il débarquait à Juan-les-Pins et ce fut la marche triomphale sur Paris, la fuite du Roi, la période des Cent Jours, courte et fiévreuse période historique où les Seynois, comme tous les Français ne savaient plus trop à qui il fallait obéir.
Mais la catastrophe du 18 juin à Waterloo fut un tournant décisif. Ce fut le retour des Bourbons au pouvoir, et les Seynois de la Place du Marché demeuraient très divisés. Il y avait les Bonapartistes et les Royalistes, sans doute les plus nombreux, mais discrètement se formait le parti de ceux qui rêvaient d'une République fraternelle - quitter la Royauté pour l'Empire, revenir à la Royauté, les deux systèmes n'avaient pas fait des merveilles. En attendant de nouveaux développements, des rassemblements se formaient souvent, Place du Marché et finalement une majorité se rallia aux Bourbons, le Maire fit pavoiser l'Hôtel de Ville et les rues de la ville. On revit flotter le drapeau blanc avec sa fleur de lys. On dansa des farandoles. Une grand-messe fut solennellement célébrée à la paroisse.
Les militaires restés en majorité fidèles à l'Empereur et au drapeau tricolore furent peu à peu dispersés avec la démobilisation et le calme revint.
La vie communale reprit son rythme régulier. Il fallait réparer les désastres de la guerre. Il y avait tant de gens à secourir ! Pendant des mois, l'Hôtel de Ville de la Place du Marché reçut des citoyens pour l'attribution de secours aux marins et ouvriers en chômage, de pensions aux veuves de marins, les cultivateurs reçurent des primes pour la culture du mûrier.
D'autres furent dédommagés pour les gelées d'olivier qui furent particulièrement cruelles en 1820.
Malgré les désastres de la guerre, la population accusait une légère augmentation. Elle était de 5605 habitants en 1823. Quelques années passèrent et de nouvelles crises politiques allaient secouer le Pays : Abdication de Charles X, avènement de Louis-Philippe d'Orléans.
Le bon peuple seynois, illettré dans sa grande majorité, ne savait plus très bien ce qui se passait à Paris, il entendait parler d'orléanistes, de légitimistes sans comprendre grand chose aux subtilités de la politique du moment.
Par une matinée d'août 1830, nos anciens se pressèrent au bas du cours et virent placarder sur les murs de la Mairie une dépêche circulaire du Préfet du Var ainsi rédigée :
" Préfet du Var à tous ses administrés : le Duc d'Orléans est nommé lieutenant général du Royaume ".
Draguignan, le 4 août 1830
L'investiture royale suivit le 9 août et Louis-Philippe prit le titre de Roi des Français.
Alors, l'on vit réapparaître le drapeau tricolore sur la façade de l'Hôtel de Ville, le nouveau roi symbolisait une monarchie bourgeoise et libérale.
Cette décision entraîna des remous au sein de l'assemblée municipale. L'ancien maire Fauchier quitta sa fonction de premier magistrat et fut remplacé par M. Astoin. Le Conseil municipal remanié prêta serment de fidélité à Louis-Philippe.
1847 : La Mairie quitte la Place du Marché
La vie communale reprit ses activités normales et il semble bien que les affaires prospéraient à La Seyne avec le développement de la construction navale et les inventions nouvelles, celle de l'hélice n'étant pas la moindre.
Notre Place du Marché voyait passer chaque jour de plus en plus des charpentiers de marine, des calfats, des gréeurs. Des écoliers passaient aussi plus nombreux depuis la création de l'école Martini. La population atteignait 7000 âmes vers 1845. Les affaires, les problèmes administratifs s'alourdissaient. Il fallut songer à d'autres locaux pour la gestion des affaires publiques.
En 1846, un projet d'Hôtel de Ville moderne fut étudié sous la direction du Maire Jean-Louis Martinenq et l'année suivante la Place du Marché fut dépossédée de sa Mairie ; la nouvelle construction de belle allure s'élevait majestueusement sur le Port. Les vieux locaux réaménagés en boulangerie permettront à la famille Mabily, l'une des plus anciennes de La Seyne d'y exploiter un four communautaire et qui est devenu depuis la boulangerie Erutti.
Le transfert de l'Hôtel de Ville sur le port, fut pour l'époque un événement considérable. Pensez donc ! Depuis son existence, la commune se voyait dotée pour la première fois d'une structure administrative au sein de laquelle ses édiles allaient pouvoir travailler avec une plus grande efficacité. Outre la salle des délibérations où l'on accédait par un escalier double, on trouvait une salle des mariages, les bureaux du Maire, des adjoints. Les services de l'État Civil, la bibliothèque, les services techniques occupaient le rez-de-chaussée. Le deuxième étage était occupé par des bureaux et des salles de réunion.
|
|
Les cercles de discussion qui animaient les quais de l'Hôtel de Ville, modifièrent quelque peu le caractère de notre Place du Marché et, à l'autre bout du port, où s'étaient établis depuis plusieurs décennies des chantiers de construction navale, d'autres animations étaient nées, à caractère corporatif celles-là, avec la rencontre quotidienne de nos ouvriers place de la Lune. Néanmoins, le cœur de La Seyne resta la Place du Marché qui allait connaître les nouveaux prolongements des événements nationaux : la chute de Louis-Philippe, la naissance de la IIe République en 1848, l'élection du Prince Louis Napoléon Bonaparte à la tête de l'Assemblée Nationale, puis le coup d'État du 2 décembre 1851.
Les idées de progrès faisaient leur chemin Place du Marché et aussi place de la Lune. On parlait beaucoup d'une République sociale et même de socialisme, des noms de révolutionnaires comme Blanqui, Louise Michel, Louis Blanc devenaient familiers à nos ouvriers dont le nombre allait croissant avec le développement de la Construction navale.
Un comité seynois d'opposants au coup d'État se constitua, mais fut réduit à l'impuissance quelques jours plus tard.
Les cercles clandestins entretenaient un climat d'hostilité envers le régime impérial à telle enseigne qu'à la chute de Napoléon III après les désastres de 1870, les municipalités changèrent d'étiquette. La constitution de la IIe République proclamée, hommage fut rendu Place du Marché à ceux qui œuvraient depuis longtemps au triomphe d'un idéal de progrès.
C'est pourquoi vers la fin du XIXe siècle, les rues adjacentes changèrent de nom : la rue de l'Hôtel de Ville s'appela rue Carvin, le marché aux herbes, rue de la République, le cours porta le nom de Louis Blanc, ancien membre du gouvernement provisoire de 1848, la rue de la Paix porta le nom de Cyrus Hugues, Maire de La Seyne de 1876 à 1882, ancien déporté. La Place du Marché devint le cœur de La Seyne républicaine. Non loin de là avait été donné à la Calade le nom de Louis Blanqui, socialiste révolutionnaire qui passa quinze ans de sa vie en prison pour avoir défendu avec ferveur son noble idéal.
1900 : Il est cinq heures !... La Seyne s'éveille
Dès la pointe du jour, la Place du Marché sortait de sa torpeur par le bruit infernal du torpilleur qui brinquebalait sur les pavés disjoints de la rue. Le vidangeur ne descendait pas le marché où l'on allait exposer les beaux fruits, les légumes, les fleurs ; fort heureusement d'ailleurs car les giclées de purin répandaient leur puanteur partout à la ronde.
Il empruntait les rues adjacentes (rue d'Alsace et rue Marius Giran) où l'on faisait obligation aux gens de déposer leurs toupines pour le ramassage.
Toutefois, il ne pouvait éviter les rues Carvin et Cyrus Hugues. Les effluves nauséabonds dispersés après le passage du véhicule, les commerçants matinaux entrouvraient leur magasin avec beaucoup de circonspection, humaient l'air en fronçant parfois les sourcils avant d'accueillir la clientèle.
Le boulanger Mabily et le charcutier Hermite servaient les ouvriers des chantiers en priorité, la journée de travail de douze heures exigeant la prise du travail au lever du jour et même à la nuit à la saison d'hiver.
Chacun d'eux emportait dans sa musette quelques tranches de pain et des rondelles de saucisson bien minces complétées parfois par un reste d'omelette froide de la ville, qu'il dévorerait en travaillant car il n'était pas question de pause en ce temps-là pour le déjeuner.
Certains ouvriers mieux nantis pouvaient s'offrir une bouteille de vin qui passerait d'une bouche à une autre subrepticement car certains contremaîtres avaient une âme de cerbère.
Puis le bruit des souliers cloutés martelant les pavés de la rue Cyrus Hugues s'éloignait vers la place de la Lune où le flot des travailleurs se pressait pour ne pas manquer la porte comme on disait alors.
Les ouvriers ayant répondu au dernier appel du sifflet, la Place du Marché connaissait alors l'animation paysanne. Les petits producteurs arrivaient avec leurs tréteaux, leur balance romaine, leurs cageots en osier pleins de belles marchandises de la terre, récemment cueillies et fraîchement lavées. En ce début du XXe siècle, le terroir produisait tout dans les magnifiques jardins potagers des Audibert, des Barbaroux, des Teissore, des Roux, des Germain, des Moutte, des Arnaud, des Suquet et bien d'autres ! Les familles paysannes se comptaient alors par centaines.
Toutefois, on pouvait déjà noter une certaine concurrence avec des localités varoises spécialisées dans certaines productions. On parlait des riffouarts (radis), d'Ollioules, des navets de Signes, des cerises de Solliès-Pont, des olives de Belgentier, des châtaignes de Collobrières. Les fraises de La Valette, elles aussi, avaient une excellente réputation. Les volailles venaient d'un peu partout : poules rageuses, canards nasillards, coqs belliqueux entretenaient un tintamarre permanent qui s'accentuait dès huit heures quand se mêlaient les sifflements et les grincements de la machine du rémouleur Perrin ; les appels de la marchande de cade, du marin qui vendait des anchois en tonneau ou la morue trempée (marlusso trempado) qu'on appelait alors le poisson des pauvres. Comme les temps ont changé !
- " A l'aïgo sau ! " C'était l'appel du marchand d'escargots et de limaçons blancs qu'on trouvait à foison en ce temps-là, les chimistes n'ayant pas encore inventé les hélicides.
En ce début du siècle, la Place du Marché était déjà réputée par la richesse, la diversité, la qualité de ses produits de la terre seynoise. À l'exception des oranges et des citrons en provenance des Baléares, peu de marchandises comestibles arrivaient de l'étranger, les moyens de transport rapides n'existant pas encore.
- " Eici lou boan froumage ! " C'était l'appel d'un marchand spécialisé dans lou couissignous, fromage fermenté cuisant dont l'odeur n'attirait qu'une clientèle d'amateurs. C'était le cas aussi pour le vendeur de stockfisch, morue séchée à l'air, à odeur forte dont nos grands-mères s'accommodaient mal de la prononciation anglaise en disant stocofish ou estoquefish.
Non loin de là, à quelques mètres peut-on dire, la poissonnerie retentissait des appels chaleureux, des clameurs tumultueuses de nos vaillantes femmes de pêcheurs arrivées dès la pointe du jour depuis Saint-Elme, Tamaris ou le Manteau.
" A l'aubo ! A l'aubo ! " C'est à ce cri que l'on reconnaissait les vendeuses de sardines.
Exception faite pour la morue, on ne trouvait sur les étals que des prises de nos rivages : poissons de bouillabaisses, de grillade, de soupe, crabes grouillants, crevettes sauteuses, mollusques indolents comme les poulpes et les seiches, coquillages divers en provenance de la Petite Mer.
Elles en ont vu défiler des daurades, des congres, des loups de mer, des rascasses, des esquinades... les pierres vénérables de notre Pescarié, depuis le XVIIe siècle au début duquel elles furent bâties.
Comme elles ont vu se succéder des générations de vendeuses, pour la plupart femmes de pêcheurs de nos rivages.
Déjà au début du siècle se manifestèrent les familles : Vuolo, Pignatel, Sauvaire, Christin, Attanasio.
On ne dira jamais assez le mérite de ces gens de mer qui s'en allaient caler leurs filets la nuit, même par gros temps, les retirer à la pointe du jour, tirant le mieux possible sur leurs avirons, préparer hâtivement les prises quand elles étaient suffisantes, les transporter avec des charretons (aucun moyen mécanique n'existant alors) pour se trouver à l'ouverture du marché.
De nos jours, à l'occasion d'expositions de photos anciennes de nos amis Guigou, Panchout, Fiévé, c'est toujours avec des sentiments de curiosité mêlés de tendresse que nous vivons les scènes du marché de ce temps-là.
Nous remarquons nos poissonnières à robe longue, la tête couverte d'un fichu, une pointe de laine croisée sur la poitrine, attachée dans le dos, les acheteuses vêtues d'un casaquin et d'une jupe longue traînant presque à terre.
Les pêcheurs, eux, se reconnaissent à leurs bonnets de laine au lourd caban dont ils sont revêtus et à leurs sabots fourrés. Les cultivateurs portent le gilet court ou la blouse longue suivant la saison, le pantalon de velours retenu par la talhola, le plus souvent rouge, tandis que les notabilités du Conseil municipal ou des chantiers navals se rendent à leurs occupations administratives en longue redingote et coiffés de leur chapeau melon.
Dans cette période, la population voisinait les 20.000 habitants. La Place du Marché ne connaissait pas encore les affluences d'aujourd'hui, mais les années passant, la monotonie du marché quotidien sera rompue par le passage de marchands ambulants venus de l'extérieur. Ce fut le cas pour les Auvergnats qui proposaient aux Seynois de la coutellerie ou autres spécialités de leur pays ; des Italiens venus des Alpes vendre de la camomille du Piémont pour soigner les digestions laborieuses ou le pipermin des montagnes pour fabriquer de bonnes liqueurs.
Ces visiteurs se firent de plus en plus nombreux vers la fin du XIXe siècle, à une époque où le patronat recherchait, comme toujours, une main d'œuvre avantageuse. Michel Pacha, père de la Corniche de Tamaris en avait embauché quatre cents et à ceux-là s'en ajoutèrent des milliers d'autres destinés aux chantiers navals.
Alors se posèrent à La Seyne les problèmes de la cohabitation et du racisme que nous évoquerons plus loin.
Installés sommairement, entassés dans des taudis, à proximité des chantiers ou dans les plus anciennes rues de la basse ville, ces travailleurs italiens surent, par leur ardeur aux tâches les plus ingrates, par leurs privations, réaliser des économies substantielles, acquérir des terrains de culture, bâtir leur maison de campagne, vendre des produits de leur travail.
La Place du Marché connut alors la concurrence que l'on qualifiait d'étrangère.
Nous ne sommes plus chez nous ! s'écriaient les Audibert, les Martinenq, les Allard, les Beaussier. Et l'on pestait contre les piantous, les macaronis, les babis.
Les premiers noms à consonance italienne retentiront sur le marché tous les jours où l'on voyait s'installer les Panaro, les Marro, les Vezzani, les Alena, les Pelufo, les Philipucci... pendant qu'à la poissonnerie les Vuolo, les Attanasio, les Bianco se taillaient une solide clientèle malgré la mauvaise réputation que tentait de leur faire les autochtones.
L'apparition de ces premiers italiens fut l'objet de la vindicte publique, pendant plusieurs années. On les trouvait sales, on les accusait facilement des larcins et même des crimes de la région. On se plaignait du tapage nocturne de quelques ivrognes du dimanche soir qui s'attardaient au Bar de Florence, place Bourradet.
" Ils sont venus de leur pays de misère sans rien du tout ! ", disaient les uns, à la queue de la fontaine au bas du Cours. " Et voilà que maintenant ils achètent des hectares de bonne terre à dix sous le mètre ".
" Et quand ils auront la terre, les entreprises de maçonnerie et les ateliers, ils nous feront tous partir ", disaient les autres. Alors des politiciens se voulant rassurants intervenaient et les répliques fusaient aussitôt : " Le gouvernement nous parle toujours de défendre la Patrie ! Quelle Patrie ? Que sera-t-elle notre Patrie dans quelques années ? ".
" Nos enfants devront se faire tuer pour défendre les propriétés des Italiens - ça c'est un comble ! Ça devrait pas être ça ! ". Mais peu à peu l'intégration des immigrés se faisait tout de même dans la population. Leurs qualités de travailleurs acharnés et économes forçaient le respect. Ils surent nouer dans leur entourage de solides relations de convivialité avec les Seynois de souche.
On sourit aujourd'hui au rappel de ces rivalités de l'époque, génératrices de discordes familiales, de conflits d'autorité au sein des associations locales, d'altercations dans les lieux publics et naturellement sur la Place du Marché et à la poissonnerie.
Toutes les discussions passionnées allaient s'estomper devant la gravité des événements. Quelques semaines après le déclenchement de la Première guerre mondiale, des centaines de nos concitoyens tombèrent sur les champs de bataille de la Marne, de l'Argonne et d'ailleurs et parmi eux des Baglietto, des Giordano, des Baudena, des Guistiniani, des Appennini, etc... etc... Un grand nombre de jeunes gens d'origine italienne ne furent pas des ingrats et défendirent héroïquement leur terre d'accueil.
Pendant les années de la grande guerre, la Place du Marché connut donc bien des angoisses. Des cercles se formaient et les discussions prenaient un tour passionné.
Quand donc finirait le cauchemar ? Des centaines de jeunes Seynois avaient été fauchés sur les champs de bataille et malgré les inquiétudes, des espérances naissaient, puis s'épanouissaient, puis se ranimaient. La Place du Marché était toujours ce lieu de rencontres où la vie luttait contre l'adversité.
Quand le clairon de l'armistice annonça la fin des combats, la Place du Marché connut une animation particulièrement explosive. On s'embrassait, on chantait, on dansait partout. Chacun se prenait à espérer une vie nouvelle, facile, heureuse. Les progrès matériels s'accéléraient. On s'éclairait maintenant à l'électricité, les premiers véhicules motorisés apparurent. Hélas ! Ils n'étaient pas à portée de toutes les bourses. La vie demeurait encore très dure.
Dans les années 1919-1920, les luttes ouvrières prirent parfois un caractère dramatique. Le directeur des chantiers navals, M. Rimbaud faisait front avec une rare obstination aux syndicats ouvriers qui affirmaient d'année en année leur puissance et leur efficacité.
Les discussions les plus vives se déroulaient chaque jour Place du Marché, mais les graves conflits qui opposaient patrons et ouvriers se débattaient surtout Place de la Lune et à la Bourse du Travail construite depuis 1904.
L'évolution des progrès matériels ne s'affirmait qu'avec une extrême lenteur dans la vie quotidienne.
La Place du Marché continuait de s'éveiller au tressautement du torpilleur sur les pavés, contraignant les passants à plaquer leur mouchoir sur leur visage, puis les petits producteurs déchargeaient leurs denrées apportées souvent par de petits ânes gris et des charretons.
Les propriétaires mieux nantis avaient livré la veille leurs fruits et leurs légumes à la criée pour la revente aux détaillants qui se faisait de très bonne heure.
Et déjà parmi les paysans mécontents, on parlait beaucoup de la lutte contre les intermédiaires et des bienfaits de la formule " Du producteur au consommateur ".
Au début du XXe siècle |
En quelques minutes, les tréteaux et les planches installés offraient des profusions de marchandises aux passants.
Comme tous les marchés de Provence, notre Place se distinguait par l'extrême diversité des denrées alimentaires et une richesse extraordinaire de couleurs vives !
À toute la gamme des verts que donnaient les salades, les choux, les épinards, les poireaux se mêlaient celle des jaunes avec les citrons, les pommes, les potirons coupés. Ici, c'étaient les taches blanches des oignons, des navets..., là le rouge sang des tomates et les violets sombres des aubergines.
Il n'était pas possible de rester insensible à la symphonie de couleurs de cette place toujours lumineuse malgré les constructions qui l'entouraient et dont la silhouette n'a guère varié depuis des siècles.
À l'agrément des yeux s'ajoutaient les arômes d'une extrême variété. Odeurs complexes des produits exotiques : bananes ou ananas mêlées à celles du pain chaud et craquant qui sortait du four de Victor Mabily, de la cade chaude fumante, des fritures de beignets, des poissons desséchés, des melons à la maturité avancée.
Et au milieu des appels bruyants qui se fondaient dans un brouhaha animé et joyeux, les passants, les promeneurs, les acheteurs, baignaient dans des sensations d'un bien être indescriptible accru par les agissements et le comportement de certains personnages typiques dont nous avons gardé des souvenirs attachants.
Des personnages folkloriques - Des figures inoubliables
Des générations de seynois n'ont pas oublié la belle mine réjouie de Madame Roppolo, la marchande de beignets qui coupait avec de grands ciseaux des longueurs variables du chichi fregit enroulé en spirale, à la demande des clients.
Son emplacement était celui occupé par Madame et Monsieur Gy, les sympathiques marchands de journaux.
À l'opposé, Madame Roy avec sa petite roulotte à étagères parallèles proposait la bonne cade toute chaude étalée sur d'immenses plateaux circulaires.
|
|
Madame Roy (D'après Charly) |
Cette sorte de galette à base de farine de pois-chiche a toujours fait le régal de nos concitoyens qui la consomment encore de nos jours comme hors d'œuvre ou dessert suivant qu'elle est salée ou sucrée.
Rappelons au passage que la cade, d'après la tradition ancestrale, était faite à l'origine avec de l'huile extraite d'un arbuste épineux, voisin du genévrier qu'on appelle précisément le cade.
Non loin de ces marchandes ambulantes, on entendit aussi pendant de nombreuses années les appels de l'équipe Pistone-Abatte dont le baraquement faisait double usage suivant la saison.
À la saison froide, ils rôtissaient les châtaignes et au moment des canicules de l'été, ils vendaient la glace à la vanille avant que les frères Felicci ne prennent le relais.
Pendant les grandes vacances, à la clientèle habituelle des amateurs de cade et de beignets s'ajoutait celle des touristes, des estivants de Paris ou de Lyon, ceux que les Seynois appelaient les Estrangers. Cette expression révélait une autre forme de racisme moins virulente que celle visant les Italiens.
On se moquait de leur accent pointu. On les surnommait aussi les Franciots. Ils posaient parfois des questions naïves qui déclenchaient l'hilarité bruyante des clients mocos.
Ils s'efforçaient de comprendre les expressions de la langue provençale ces " Estrangers " et n'y parvenaient qu'avec peine.
- Pourquoi donc, disaient-ils à Madame Roppolo, appelez-vous les beignets des " chichi fregit " ?
Alors la marchande expliquait non sans ironiser :
- Que vous ne sachiez pas ce que veut dire " fregit ", je vous le pardonne. En provençal, ça veut dire frit.
- Mais le chichi ! Ça alors ! Les bras m'en tombent !
En hoquetant Madame Roppolo interpellait Gina sa voisine de marché.
- Dis Gina ! Viens expliquer à la dame, ce que c'est le chichi ?
- Pourtant avec la forme que vous donnez au morceau, elle pourrait comprendre.
- Je crois que le mieux, c'est de faire venir Bernard le salaud ! Il lui expliquera, avec gestes à l'appui. Faites-lui confiance pour des démonstrations de ce genre.
Et l'on riait à s'en tenir les côtes devant l'étal de la marchande de beignets qui n'arrêtait pas de satisfaire sa clientèle gourmande de petits et de grands en s'écriant :
- Car même, ces Parisiens, y sont pas forts !
Madame Roppolo avait vendu aussi dans une certaine période des panisses, rondelles confectionnées avec de la farine de pois-chiches, frites comme des beignets et dont le goût rappelait celui de la cade. Mais elle ne voulut pas faire de la concurrence à la famille Roy qui offrit aux Seynois, pendant plusieurs décennies la bonne cade douce ou salée.
Il lui arriva de vendre des châtaignes rôties avec un autre personnage qu'on appelait familièrement lou castagnaïré. Ce dernier proposait, surtout aux enfants, la farine de châtaignes biscottes. Pour quelques sous, ils avaient une bonne mesure de poudre blanche qu'ils absorbaient à même le papier gris des épiciers de l'époque, en le dépliant avec beaucoup de précaution par crainte de bourrades de quelque farceur.
À la belle saison d'été, un autre marchand de glaces, ambulant celui-là, s'installait aussi, Place du Marché avec une espèce de coffre monté sur deux roues et surmonté d'une ombrelle.
Grâce à des moules sphériques ou quadrangulaires, il servait ce qu'on appelait les boers dont se régalaient leurs enfants, tout au moins ceux qui avaient quelques sous en poche.
À quelques pas du débit de tabacs de M. Contrucci, un rémouleur, dont nous parlerons plus loin, actionnait sa machine à pédales et c'était toujours curieux pour les enfants de voir la grande roue transmettre à la pierre meulière une grande vitesse par le moyen d'une courroie. Après quelques sifflements aigus, couteaux et ciseaux reprenaient vite leur mordant.
Dans le va-et-vient ininterrompu des acheteurs, des marchands ambulants, des livreurs, des personnages attachants par leur comportement, leur langage, leur accoutrement, leur mode de vie ont fait parler d'eux pendant des années et malgré le temps écoulé, leur image de marque demeure vivace.
Certes, chaque époque a eu les siens et il serait bien difficile de les retrouver tous.
Nos souvenirs d'enfance sont tout pleins de ces altercations célèbres entre les livreurs comme Gigi, Jérôme, Jourdan, Pierre Canals et autres qui éprouveraient maintenant de grandes difficultés à exercer leur métier devant l'invasion des véhicules motorisés. Ils menaçaient parfois les passants de leur fouet pour se rendre la voie libre. Alors les insultes fusaient de toutes parts et dans quel langage !
Les règlements municipaux firent alors obligation à certains livreurs de marchandises de satisfaire leurs clients seulement l'après-midi.
Ce fut le cas pour Jérôme qui apportait à la boulangerie Mabily les balles de farine de cent kilos ; pour le livreur Jourdan qui distribuait chaque semaine les fagots de pin (fascines) pour maintenir constante la chaleur des fours, pour Gigi chargé spécialement par son patron M. Pellegrin d'écouler les colis en provenance de la gare de La Seyne.
Le marchand de glace à rafraîchir, M. Guglieri débitait lui aussi à toute heure du jour. Il taillait à la hache les longs blocs de glace équarris et pesait soigneusement en évitant le maximum de pertes.
Un personnage du petit commerce seynois qui fit parier de lui longtemps fut M. Verlaque, le marchand de vin de la rue Berny qui parcourait tous les jours les rues de la ville avec son haquet chargé de barils de vingt-cinq litres.
Il est impossible de parler de la Place du Marché sans évoquer le souvenir de l'énorme Auzende qui trouvait commode pour se déplacer, de poser son ventre sur la brouette qu'il poussait devant lui ; de Poletti le laveur de vitres inséparable de sa longue échelle bleue, de son éponge et du seau de rinçage. Sa voix fluette avait un mot gentil pour tous les passants qui l'admiraient faire son travail si soigneusement ; de Litti Pignatéou dont on disait qu'il avait " des pieds comme des bateou ", ce qui le rendait victime des quolibets des garnements de la rue.
N'oublions pas le Grand Titou, loup de mer à la force herculéenne célèbre par ses exploits nautiques ; Pierre la Chique, bien connu des enfants de l'école Martini à qui il proposait des pains d'épices, des berlingots à la menthe et autres sucreries. Les enfants miséreux l'assaillaient en lui criant : " Pierré ! Faï tasta ! ".
Alors notre personnage se déchaînait et se répandait en invectives amères et s'écriait en provençal d'une voix caverneuse " Garça mi lou camp, capoun d'oou bouan diou ! ".
Il fut remplacé par un personnage non moins célèbre, Julien Poggio, qu'on appelait Sénégal.
Toute une génération de Seynois vous parlera de ce modeste travailleur marchand ambulant, toujours plein d'humour et d'entrain, qui vendait tantôt des friandises, tantôt des coquillages, avec pour étalage original, une barque plate qu'il avait fixée sur deux roues.
On le vit même à un certain moment monter un manège pour enfants. Il savait se rendre populaire par sa gentillesse et sa générosité.
|
Sénégal (d'après Charly) |
Parfois, il s'associait à des copains comme Pignatel pour organiser des tombolas clandestines dont les lots à gagner étaient le plus souvent des pièces de gibier (bécasse, lièvre, lapin de champ) ou de beaux poissons.
Les numéros gagnants étaient tirés d'un saquet en présence de quelques témoins de bon aloi, dans un bistrot du port et aussi au débit de tabac de la Place du Marché.
On disait que Lichou, de la rue Cyrus Hugues, n'était pas d'accord pour se prêter à de telles opérations.
Comment ne pas se souvenir de Georgette Baroni, plus connue sous le nom de Georgette, laitière de son état, qui parcourait la ville en tous sens, du matin au soir, avec son cheval, célèbre par sa ponctualité et sa mémoire extraordinaire car il savait l'adresse des clients et s'arrêtait de lui-même devant leur porte... Georgette qu'on aimait parce qu'elle était une travailleuse acharnée, parce que son langage pas très embouché nous amusait.
Son béret basque tombant sur ses yeux, son long tablier aux poches pleines de monnaie, elle n'arrêtait pas de klaxonner pour annoncer son passage, de remplir des bouteilles et des toupins, de compter à haute voix, d'insulter quiconque gênait son cheval dans les rues, de tenir en respect des malandrins.
Son règne prit fin avec l'invasion de la ville par l'automobile.
Impossible d'oublier le portefaix Rinaou (Reynaud) posté en permanence avec son charreton au débarcadère des bateaux à vapeur Toulon - La Seyne dans l'attente d'un client éventuel chargé à l'excès.
Il était la risée de tous en raison de l'ignorance des tarifs à appliquer à la clientèle. Ayant terminé ses humanités au cours préparatoire, il confondait les sous et les centimes et ne savait jamais dire tout à fait ce qu'on lui devait, ce qui ne manquait pas de lui attirer des litiges et des chicanes dont il sortait toujours humilié.
Un autre personnage qui se distinguait, lui, par une avarice extrême fut Bateou pique. Ce curieux sobriquet naquit au Café du Port, parmi les joueurs de cartes.
Au moment de régler les consommations, le personnage en question regardant par la fenêtre, découvrait que le vent se levait violemment sur la mer (même s'il n'était qu'un zéphyr !) et qu'il fallait renforcer d'urgence l'amarrage de son bateau.
Alors il sortait précipitamment en s'écriant :
" Moun bateou pique ! ". Traduisez : " Mon bateau frappe sur le quai ". Le resquilleur était si souvent coutumier du fait que ses partenaires du jeu avaient fini par le surnommer Bateou pique !
Il y eut aussi parmi ces personnages folkloriques, des marginaux généralement discrets qui trafiquaient l'absinthe.
On ignorait les drogues d'aujourd'hui, surtout dans le bas peuple : par contre, les fumeries d'opium, à la mode dans certains milieux de la marine, bénéficiaient d'une grande indulgence de la part des autorités.
Parmi les petits affairistes se distinguaient aussi les trafiquants de cigarettes de troupe, les ravageurs du bord de la mer, les braconniers.
Il y en aurait des figures célèbres à évoquer avec l'Anchoye, remarquable par sa maigreur, Daumas des Moulières dit le Manchot, Buou l'aïgo, si économe qu'il vendait tout le vin de sa vigne et se contentait de l'eau de son puits.
Fil de fer, auquel succédera Ficelle en raison de leur silhouette étique à l'excès..., et les joueurs de boules de la Lune ou des Esplageols qui rassemblaient des foules au moment des concours : Macaron, le Bouc, Lichou, la Cabre...
C'était toujours amusant d'entendre ces personnages raconter leurs exploits.
Le Grand Titou (Magliotto de son vrai nom) avait toujours des démêlés avec les autorités maritimes, tandis que le Manchot pressentait toujours à ses trousses le garde-champêtre et les gendarmes..., mais ils savaient prendre leurs risques courageusement. l'Anchoye, ainsi nommé par la comparaison qu'on faisait de lui avec les anchois séchés vendus en tonneau, était sans nul doute l'un des plus populaires parce que son espace vital c'était la rue. Il vivait d'expédients, de petits travaux, de petits services rendus à ses amis et connaissances. Sa principale activité était celle de portefaix à condition toutefois que les poids à transporter restent dans la limite de ses forces qu'il paraissait toujours ménager.
Il faisait chaque jour la tournée des commerçants ou des revendeurs de la place et du cours.
- " Vous n'avez pas besoin de moi, M. Julien ? ". Alors le charcutier répondait : " Pas aujourd'hui ! Peut-être demain ! ".
Quelque peu déçu, l'Anchoye s'attardait un instant devant la vitrine qui offrait à ses regards de belles marchandises de qualité, propre à exciter subitement les appétits gloutons : jambonneaux aux manches enrubannés, boudins noirs soigneusement enroulés, terrines de viandes rouges et de langues persillées, hachis noyés dans la graisse, tout cela entouré de pots de moutarde et de bocaux d'olives noires et vertes.
Au-dessus pendaient les colliers de saucisses rouges, de cervelas vernis et d'andouillettes poivrées abondamment. Que de belles victuailles convoitées par les miséreux !
L'Anchoye se prenait à espérer qu'en échange de ses services M. Julien serait généreux et lui permettrait de goûter à ces richesses culinaires.
Reprenant sa tournée, il rencontrait souvent Jérôme non sans appréhension car ce dernier lui reprochait durement son oisiveté.
- " Tu es pas trop fatigué, non ? ".
L'autre se défendait en disant qu'il avait aidé le père Coutelenq à gratter la coque de son bateau, pure invention de sa part.
N'y tenant plus l'Anchoye, sollicitait Jérôme
" Paga mi un pastis ! Vaï ! ". Le débardeur se laissait attendrir. De sa haute stature, il toisait le portefaix loqueteux sur lequel il manifestait une supériorité apitoyée.
Ils s'approchaient alors du comptoir des Contrucci, au bas du cours, commandaient leur apéritif de leurs voix éraillées en disant au cabaretier : Gaïre d'aïgo ! Recommandation inutile, le patron connaissant parfaitement les désirs de sa clientèle.
L'Anchoye, avant de quitter son ami lui disait son intention de participer au jeu de pounche cuou pour se faire quelque recette.
L'autre lui répondait ironiquement :
" Sies trop coulhoun per gagna quauquaren ! (2) ". En quoi consistait ce jeu qui ne se pratiquait guère que pendant les fêtes de Pâques ?
(2) Tu es trop couillon pour gagner quelque chose !
Les enjeux étaient des œufs de poule et chacun sait que l'œuf présente une extrémité arrondie (cuou : cul), l'autre plus pointue (pounche : pointe). On jouait à deux. Chaque partenaire, avant de concourir, avait éprouvé secrètement la résistance des coquilles. Il appelait à haute voix sur le marché " pounche ! pounche ! " ou bien " cuou ! cuou ! ".
Alors les concurrents se rapprochaient tenant un œuf dans leur main quasiment refermée, ne laissant dépasser qu'une faible partie de la pounche ou du cuou.
Les deux poings se rapprochaient et l'on provoquait un choc des coquilles d'où il résultait une faille dans l'un des œufs mis au concours et l'œuf embouti était récupéré par le gagnant.
Parmi la multitude des joueurs qui s'affairaient sur le marché, le jour de Pâques, ou dans la semaine qui précédait, on en voyait de très habiles rapporter plusieurs douzaines d'œufs à leur maison.
Quelquefois les œufs cassés étaient revendus au rabais et de nombreuses familles dans le besoin attendaient cette occasion pour faire une gigantesque omelette pascale comme le voulait une tradition bien locale.
La vie quotidienne sur la Place du Marché s'égayait aussi du passage des gagne-petits, des ramasseurs de chiffons et de peaux de lapins, du spectacle des petits métiers de la rue évoqués au début de notre récit.
Faisons maintenant une mention spéciale pour le ciapacan, dont il faut savoir qu'il était le fonctionnaire préposé à la capture des chiens errants. En principe les propriétaires de chiens étaient tenus de graver leur nom et leur adresse sur les colliers de leur bête, obligatoirement déclarée à l'autorité municipale qui percevait une taxe spéciale.
Beaucoup d'animaux échappaient à la surveillance de leur maître et s'en allaient rôder autour des poubelles.
Place du Marché, les déchets abondaient et le préposé au ciapacan avait pour mission de capturer les bêtes libres, de les enfermer dans un coffre de bois porté sur une sorte de charreton à bras et de les rassembler à la fourrière établie alors à la sortie de la ville sur la route de Toulon. Si personne ne venait réclamer les animaux, c'était leur mise à mort. Par contre, des plaignants pouvaient sauver leur chien, mais ne pouvaient éviter une contravention. Précisons qu'en ce temps-là la Société protectrice des animaux n'existait pas encore.
La capture elle-même faisait toujours la curiosité des passants et des enfants surtout. Certains animaux avaient acquis de l'expérience et connaissaient le tortionnaire - lequel pour réussir son coup cachait soigneusement dans son dos le fouet dont la lanière se terminait par le lasso qui attendait la tête des animaux au sortir d'une poubelle. Prise à la gorge, la victime poussait des cris désespérés mêlés quelquefois à ceux d'autres infortunés. On devine alors le vacarme dont retentissait la place.
Des âmes charitables s'apitoyaient toutefois sur le sort de ces pauvres bêtes en espérant pour elles une rapide délivrance.
Dans les années qui suivirent la première guerre mondiale, après tant d'épreuves subies, la population aspirait naturellement au bien-être, à la joie, aux plaisirs. Les spectacles se multipliaient ; on chantait partout, on dansait, on aspirait à toutes les libertés.
La Place du Marché ne fut pas étrangère à cette fringale de réjouissances et ce fut très souvent que les chanteurs ambulants vinrent s'y produire.
Elle avait connu aux XVIIe et XVIIIe siècles les faiseurs de tours, les acrobates, les magiciens, les jongleurs, les troubadours, les montreurs d'ours et la rengaine des violes.
Cette ère était révolue.
On voyait de loin en loin des gitanes tournoyer sur leurs hautes échasses au son d'un accordéon ; des athlètes soulever des poids énormes et recueillir en échange de leurs prouesses quelques pièces de menue monnaie de bronze. Puis, l'on vit des équipes de chanteurs accompagnés d'un violoneux qui diffusaient les partitions de l'époque. Les chansons d'Alibert, de Georgel, de Mayol et bien d'autres avaient beaucoup de succès.
Pendant plusieurs années, on vendit, Place du Marché, des chansons intitulées Nuit de Chine, C'est mon homme, Valencia, Ramona, Les millions d'Arlequin... et pendant des mois leurs couplets et leurs refrains étaient repris chaque jour dans les foyers et fréquemment avec un accompagnement de mandoline, cet instrument étant en vogue à l'époque.
Depuis 1903, année qui vit l'édification du kiosque à musique, place des Esplageols, nos Philharmoniques La Seynoise et L'Avenir Seynois ne venaient plus donner des concerts Place du Marché. Alors, à la belle saison les habitants de la place du Cours Louis Blanc et des environs s'en allaient vers les Esplageols (Ledru-Rollin).
Elle était toujours noire de monde cette place aux jours fixés pour les concerts. Les amateurs passionnés d'un âge certain apportaient leur siège ou leur pliant pour venir savourer des morceaux réputés de musique classique, extraits des opéras et des opérettes de l'époque exécutés par les virtuoses seynois du moment : les Taliani, les Gilardi, les Delor, les Casale et combien d'autres.
Les concerts terminés on s'en retournait Place du Marché retrouver les vieillards éclopés restés devant leur porte. Les commentaires se poursuivaient jusqu'à une heure avancée de la nuit, surtout dans les périodes d'été caniculaires.
Le perroquet de Marguerite Marro, la grand-mère d'Henri Tisot, donnait son point de vue lui aussi, tandis que des grillons stridulaient sur le rebord de quelques fenêtres dans leur petite cage cylindrique de métal.
L'allumeur de réverbères rentrait, sa longue hampe de bois sur l'épaule, après avoir étouffé les dernières étincelles au cœur de l'étoupe fumante de l'extrémité.
Les bavardages se poursuivaient avec animation sur les sujets les plus divers : la construction navale avec des périodes de chômages, les affaires municipales avec les problèmes de l'eau et de l'assainissement jamais résolus, les succès scolaires de l'école Martini et de l'école Clément Daniel qu'on s'apprêtait à transférer à la Gatonne, les fêtes locales et les fêtes de quartier...
On se plaignait du manque d'hygiène à La Seyne et particulièrement sur la Place du Marché où le tripier Scotto jetait presque tous les jours les eaux de rinçage de ses marchandises dans le ruisseau sans écoulement de la rue Carvin. Quelle puanteur par les chaleurs de l'été !... Sans parler de l'invasion des mouches et des moustiques !
Le boulanger Mabily, tout à côté du tripier, l'horloger Cauvière, le pharmacien Armand, les commerçants Pellegrin, Menc, Autard... parlaient de faire circuler une pétition qu'on adresserait au Maire, le Docteur Mazen.
- À quoi ça servira, disaient certains, puisque la ville n'a presque pas d'eau !
Nos anciens se souviennent qu'à la saison d'été, la fontaine située face au débit de tabacs de M. Contrucci, ne donnait qu'un mince filet d'eau. Remplir une modeste cruche d'eau, nécessitait une queue interminable et les coupures du fontainier étaient si fréquentes que l'eau, d'écoulement ne parvenait jamais au niveau de la rue Carvin.
D'autres mécontents conseillaient de vider l'eau de rinçage des tripes directement dans la mer.
Les discussions s'animaient :
- " Ah ! Vous trouvez que c'est la bonne solution de vider l'eau puante dans le port ".
- " Alors si on ne veut pas polluer le port, y qu'à supprimer les pissotières qui s'y déversent tout autour ! ".
On voit que La Seyne avait beaucoup de progrès à faire dans les domaines du confort et de l'hygiène.
Les commerçants de la place au début de notre siècle
Par rapport aux siècles précédents les seuls changements effectifs que l'on put constater furent ceux des activités commerciales. La place, dans sa forme, ses alignements, n'avait pas varié.
Les immeubles ne connurent que des ravalements de façade et des changements de vitrines.
Certes, les propriétaires avaient changé plusieurs fois ; ce fut surtout la nature des commerces qui connut à travers les décennies, de profondes transformations.
À l'angle ouest de la rue Cyrus-Hugues et de la place, on trouve aujourd'hui le magasin de confections Pellegrin qui fut précédé au XIXe siècle par la pharmacie Armand dont nous parlerons plus précisément. Cet immeuble fut en 1903 la propriété de l'Abbé Vicard et de Mlle Hortense Vicard qui le vendirent à M. Arnaud, laitier, et dont M. Honoré Pellegrin père fit l'acquisition le 5 mai 1928.
Tout à côté en direction de la poissonnerie un certain M. Bouchet tenait un magasin de beurres et fromages, puis M. Kadaoui, d'origine juive, vendeur d'objets très divers qui se tailla une réputation de débrouillardise, depuis qu'en 1918, il avait habillé en quelques jours, des centaines de chinois loqueteux venus travailler dans les chantiers navals.
Après lui venait M. Autard, boucher qui s'installa en 1919 du côté opposé de la place, laissant son commerce à M. Martin qui le transmit à M. Julien le charcutier.
Se succédaient ensuite, toujours sur la même face : Mme Moreau marchande d'effets, M. Brouchier spécialiste des articles de ménage, M. Menc, droguiste.
Du côté opposé, à l'angle de la rue Marius Giran et de la rue République nous trouvons aujourd'hui M. Coureit, poissonnier qui fut précédé par Mme Guigou, mercière qui avait acheté son commerce à M. Guisti.
Continuons notre tour de la place pour arriver au bureau de tabac qui jouxta pendant longtemps la marchande de chaussures Françoise Tordo.
Quant au débit de tabacs et boissons, il fut tenu très longtemps par la famille Contrucci dont nous avons déjà parlé.
À quelques mètres de là, s'installait chaque jour le rémouleur Perrin auquel succédera M. Mattéodo.
Ce Perrin appuya sur la pédale de sa machine pendant près d'un demi-siècle pour aiguiser avec une grande précision couteaux, ciseaux et outils divers..., cela jusqu'au jour malheureux où sa jambe fut prise d'un mauvais mal comme on disait alors, mal inguérissable au point qu'il fallut procéder à une amputation..., d'où la mort s'ensuivit peu après.
Traversons par la pensée le bas du cours Louis blanc. Là aussi des mutations profondes ont bouleversé l'aspect des activités commerciales.
L'épicerie Lovera-Queirollo, les magasins de nouveautés Basso et Maynaud, ainsi que le magasin d'alimentation tenu par M. Gil avant qu'il ne s'installe au milieu du cours Louis Blanc, ont tous disparu pour faire place aux structures que nous connaissons aujourd'hui : marchands de vins, Caisse d'épargne, magasins de confection.
Le notaire Audibert fixé à côté du boucher Autard a quitté la Place du Marché dans cette période pour s'installer sur le port.
Les bouchers Autard, Marius Delaud, Victor Hermitte occupèrent l'angle Est de la place, contre la pâtisserie Tisot.
M. Villedieu, boucher, ayant succédé à M. Autard, y exerça sa profession de 1919 à 1983, donc pendant 64 ans.
C'est une performance intéressante à signaler au passage. La boucherie a disparu aujourd'hui remplacée par un magasin de droguerie tenu par M. Villedieu fils et son épouse. Et nous arrivons à la pâtisserie, qui fut précédée par une épicerie tenue par Marguerite Marro, la grand-mère d'Henri Tisot.
À l'entrée de ce magasin, pendant plus de 50 ans, un superbe perroquet salua la clientèle et ses maîtres s'attachèrent à lui avec tant de passion, qu'il fut naturalisé après sa mort et resta toujours présent, mais à l'intérieur de la maison. Ses beaux yeux et ses couleurs demeurèrent si vifs que ses maîtres lui parlaient toujours avec émotion en imaginant ses réponses.
Refermons le tour de la place en traversant la rue Carvin. Nous y trouvons la boulangerie Erutti, acquise par cette famille en 1929 à Victor Mabily. L'immeuble qui l'abrite, répétons-le, fut le siège de l'Hôtel de Ville pendant deux siècles environ. Il jouxtait dans les années 1920-1940 l'horlogerie Cauvière qui avait appartenu à l'horloger Carvin au XIXe siècle et dont nous avons évoqué le souvenir dans Résistances seynoises. Et pour terminer notre tour de la place, nous retrouvons la Pharmacie Armand dont l'existence remonte exactement à 133 années. Elle seule pourrait constituer une page de l'histoire seynoise.
Effleurons seulement le sujet : elle fut la propriété de Madame Armand, mère de Marcel, disparu depuis quelques années. Celui-ci n'ayant pu terminer ses études en raison de la guerre, sa mère s'adjoignit un diplômé en pharmacie du nom de Lesque pour que l'établissement puisse fonctionner légalement.
En 1919, au moment de l'épidémie de grippe aussi meurtrière qu'un choléra, la pharmacie Armand joua un rôle capital dans notre cité.
Mme Armand se fit aider par un pharmacien de la Marine nommé Le Boterf, qui préconisa pour lutter contre le fléau l'alimentation des malades par une grande quantité de bouillon de viande. La boucherie n'était pas loin et le chaudron de la pharmacie n'arrêtait pas de bouillir.
On disait alors que c'était la meilleure façon d'enrayer le mal. Dans le même ordre d'idées, il nous ressouvient que les banquettes des tramways dans cette période portaient des plaques émaillées avec l'inscription-réclame : " Vin de viande du Docteur Aubert ".
Notre regard circulaire de la Place du Marché s'arrêtera là en observant que finalement trois commerces auront survécu à toutes les mutations du dernier siècle : la pharmacie Armand, la boulangerie Mabily et le magasin de confection Pelegrin.
Peut-être des censeurs nous reprocheront-ils cette avalanche de détails et d'anecdotes. Et pourtant, n'est-ce pas de tout cela que l'histoire est faite ?
Le fleuve des mois et des années continua de couler. Les blessures de la première guerre mondiale, à peine cicatrisées, de nouveau l'horizon politique se chargeait de nuées noires. Le fascisme étendait ses ravages en Italie, en Allemagne, en Espagne... et aussi en France.
Les peuples réclamaient de meilleures conditions de vie, des salaires décents, des emplois, des mesures de sécurité contre la propagation des idéologies bellicistes et racistes.
La Place du Marché, le Port virent défiler des milliers de manifestants : hommes politiques, syndicalistes, pacifistes confondus s'unissaient dans le Front Populaire, mais hélas ! les préparatifs pour une seconde guerre mondiale s'accentuaient de jour en jour dans la perspective donnée à Hitler, considéré comme le gendarme de l'Europe, d'en finir avec les idéologies du socialisme et du communisme.
Nous ne reviendrons pas sur les événements dramatiques qui frappèrent si cruellement notre ville de La Seyne et dont le Tome II de notre ouvrage a rendu compte abondamment.
La Place du Marché perdit sa gaieté habituelle, surtout pendant les années de l'occupation ennemie. Nos concitoyens n'osaient même plus s'y retrouver pour y discuter des événements, surtout à partir du moment où les bottes allemandes martelaient le pavé de nos rues.
La Gestapo était à l'écoute des moindres protestations. La Municipalité d'avant la guerre avait été remplacée par un quarteron d'officiers soi-disant patriotes désignés par le pouvoir de Vichy et prêts à toutes les trahisons dont ils nous apportèrent des preuves irréductibles.
Après quelques mois d'une gestion déplorable, ces gens-là firent l'unanimité des travailleurs contre eux.
Les étalages de nos revendeurs avaient perdu leurs richesses d'autrefois. Les restrictions imposées par l'occupant, la pratique du marché noir furent tels que les denrées de première nécessité faisaient cruellement défaut au petit peuple de la ville, alors que les nantis pouvaient se procurer l'essentiel : le pain, la viande, l'huile, le vin, le lait...
Même la poissonnerie n'avait plus rien à vendre. Il arrivait même que nos ménagères s'en allaient à Saint-Mandrier, au lever du jour, pour obtenir quelques sardines.
Ah ! Si vous vouliez manger des rutabagas et des topinambours, vous pouviez bénéficier des largesses des revendeuses.
N'est-il pas vrai que nous allions souvent à la nuit tombante à travers les champs et les bois trouver un cultivateur charitable qui nous réservait par une insigne faveur, quelques carottes et des pommes de terre. Quelle triste époque vécue dans un pays riche où l'on manquait de tout parce que l'occupant et les trafiquants s'arrogeaient tous les droits.
Que de vieillards sous-alimentés périrent par suite de ces restrictions ! Combien de nourrissons ont souffert par manque de lait naturel et de vitamines.
Arrêtons-nous quelques instants sur un événement particulièrement dramatique dont la Place du Marché fut hélas ! le témoin et dont la population fut profondément choquée.
Le 28 septembre 1943, à 11 h 55, une limousine noire s'arrêta devant le magasin de M. Laïk commerçant en vêtements de confection. Deux individus à la mine patibulaire se présentèrent chez lui, revolver au poing l'accusant de détenir des tracts (prétexte odieux, M. Laïk n'avait jamais manifesté ses opinions politiques à La Seyne où il habitait depuis de nombreuses années).
Ces individus n'étaient autres que des policiers de la Gestapo qui lui intimèrent l'ordre de les suivre. À ce moment précis le jeune Laïk Maurice, le fils aîné âgé de 15 ans qui arrivait de l'école Martini fut également emmené dans la voiture.
La Gestapo d'Hitler venait d'accomplir un crime de plus. Chaque jour, depuis des années les enlèvements, les arrestations de communistes, de francs-maçons, de juifs se succédaient. On connaît l'ampleur du génocide qui vit des millions d'êtres humains disparaître dans l'enfer du nazisme, qui hélas ! trouve encore des adeptes de nos jours.
Ce spectacle d'enlèvement Place du Marché dura seulement quelques minutes. Les rares témoins suffirent pour que la nouvelle se répandit avec la rapidité de l'éclair.
Le commissaire de police de La Seyne rendant compte au Préfet du Var avait bien dit dans son rapport que les renseignements concernant M. Laïk d'origine juive étaient favorables, qu'il était père de trois enfants, qu'il avait effectué 5 ans de service dans un régiment de zouaves - un rapport dont les sbires d'Hitler n'eurent jamais connaissance. Même dans le cas contraire, ils n'auraient pas reculé devant leur sale besogne. Allez donc apitoyer les bêtes féroces du nazisme !
Notre population fut profondément marquée par cet événement odieux. La pauvre Madame Laïk demeura avec deux autres petits enfants âgés respectivement de 9 ans et 21 mois.
Elle espéra longtemps retrouver son époux et son fils aîné.
Hélas ! Les mois passèrent, puis les années et quand on sut à la fin de la guerre l'ampleur du désastre tout espoir fut perdu. Il y a 45 ans de cela !
La guerre terminée, les recherches épuisées, les bilans établis, nos édiles honorèrent les victimes de la barbarie nazie en apposant leurs noms sur les murs de la ville près de leurs demeures respectives.
Voilà pourquoi la Place du Marché fut appelée : Place Laïk père et fils ... Un détail de l'histoire locale que la population seynoise n'a pas oublié malgré le temps écoulé.
Plus de cinq siècles se sont écoulés depuis l'apparition des premiers quartiers de La Sagno.
Nous venons d'esquisser les grands faits de leur histoire qui portent témoignage des luttes incessantes pour le mieux être avec des aspects positifs et négatifs.
Nous avons observé les Seynois et les Seynoises Place du Marché, lieu de rencontre quotidienne où ils viennent depuis des siècles exprimer leurs joies, leurs désirs, leurs déceptions et aussi leurs souffrances.
En cette fin du XXe siècle, nous observons une amélioration certaine des conditions de la vie matérielle des gens dans leur ensemble.
Années 1980 |
Le cadre de la place avec ses immeubles aux toitures complexes de hauteurs inégales et d'orientations anarchiques n'a pas varié beaucoup. Mais les devantures des magasins, les enseignes sont plus attrayants ; les étalages disposés avec goût attirent irrésistiblement les passants.
Les gros pavés de grès mal jointés ont disparu pour faire place à un dallage uni, coloré, agréable au regard, assurant aux piétons une meilleure sécurité.
L'abreuvoir aux bestiaux du XVIIIe siècle, qu'il avait fallu détruire pour faciliter le charroi, a été remplacé par une fontaine alimentée abondamment.
Fontaine de la Place du Marché,
visible sur une carte postale des années 1980. Cette fontaine a été
supprimée par la suite, mais nous ne savons pas exactement en quelle
année. |
Un grand panneau Informatique renseigne la population sur les activités locales de loisirs.
La place est propre, régulièrement entretenue ; les odeurs fétides d'antan ont disparu... bref, elle est accueillante à tous égards.
Ce qui a changé beaucoup en ces lieux par rapport aux siècles passés c'est l'animation, résultat de la croissance de la population. On peut parler de grande foule à chaque week-end... Une foule d'acheteurs, de promeneurs, de curieux, de badauds et parmi eux beaucoup de gens au teint basané, d'autres à la peau d'ébène. On sait la proportion importante de travailleurs émigrés fixés aujourd'hui à La Seyne et dont les accents gutturaux ou nasillards ne sont pas toujours admis par la population autochtone.
Ce qui a changé aussi avec le brassage des races, c'est l'extrême diversité des denrées en provenance de pays exotiques, ce qui n'a rien de surprenant compte tenu de la rapidité des échanges. La Place Laïk père et fils connaît souvent de grandes animations avec les braderies qui ont remplacé les foires d'autrefois, occasion pour les commerçants de solder des marchandises. Elle retentit souvent des appels de camelots aux talents oratoires affirmés autour desquels s'agglutinent les passants. Il arrive aussi fréquemment que des orateurs défenseurs des causes populaires, juchés sur une table, expliquent aux gens la cause de leurs difficultés et les remèdes à y apporter, pendant que les vendeurs de l'Humanité voisinent paisiblement avec ceux de la Bible.
Apparemment ces foules disparates au sein desquelles les Seynois de souche se cherchent obstinément, cette population fiévreuse à qui la place offre des richesses de toutes sortes, paraît satisfaite de son sort... et pourtant.
Pourtant de grandes inquiétudes la tenaillent. Ne voit-elle pas proliférer les mendiants qui tendent la main autour de la place ?
Ne sait-elle pas qu'il y a 7 000 chômeurs à La Seyne ? Comment peut-elle accepter que les chantiers navals disparaissent, eux qui furent la prospérité de la ville autrefois. Comment peut-elle admettre que l'économie locale dépende des affairistes européens avec la complicité des gouvernements français ?
Avec la disparition de la construction navale, La Seyne a perdu son identité et de cela la population souffre terriblement. Comme elle constate avec beaucoup d'amertume que le bourg provençal où elle vivait dans la convivialité chaleureuse soit devenu une grande cité cosmopolite. Les temps ont bien changé en ce XXe siècle finissant.
Et cependant la vie doit continuer, malgré les difficultés nouvelles, la vie qui est une lutte de tous les instants, une lutte perpétuelle dont nos anciens nous ont donné si souvent des exemples admirables.
Ne désespérons jamais ! L'histoire nous enseigne qu'en dépit des obstacles, des conflits, des incompréhensions, des préjugés, l'Humanité a tout de même un sens orienté vers le progrès général... à la condition toutefois que la société future à construire saura limiter, sinon abolir les intérêts particuliers excessifs et les égoïsmes outranciers.
|
|
Voir également le texte de Noël Guigou « La Place du Marché » dans le Bulletin municipal de Janvier 1983
Sur la Place du Marché, témoin du temps,... a lieu chaque mois de juin, le concert d'été de la Philharmonique La Seynoise « Sur un marché seynois » [photo JCA, 17 juin 2008] |
Même concert, avec vue sur l'ancienne pâtisserie Tisot [photo JCA, 17 juin 2008] |
Retour au Sommaire du Tome III
Retour à la page d'accueil du site
|
|
|
© Jean-Claude Autran 2023