La Seyne_sur-Mer (Var)   Histoire de La Seyne_sur-Mer (Var)
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du Tome V
Marius AUTRAN
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Images de la vie seynoise d'antan - Tome V (1995)
Petite Histoire de la Grande Construction Navale
Troisième époque : De 1940 à 1965

(Texte intégral du chapitre)



 

 Les années noires de la deuxième guerre mondiale

Depuis son accession à la tête de l'Allemagne en 1933 le chancelier Hitler avait parfaitement précisé sa politique extérieure : lutte contre le traité de Versailles, redressement de la puissance militaire, conquête de nouveaux marchés d'exportation et mieux encore conquête d'un nouvel espace vital. Ainsi disait-il : « Tous ceux qui sont de sang allemand, qu'ils soient actuellement sous la souveraineté danoise, polonaise, tchèque ou française, doivent être réunis en un même Reich ».

À partir de Mars 1938, les coups de force allaient se succéder en Europe centrale (Annexion de l'Autriche, assassinat du Chancelier Dollfuss, annexion des Sudètes de Tchécoslovaquie, entrée à Prague en 1939...) tandis que les démocraties reculaient, capitulaient, comme elles l'avaient fait depuis la guerre d'Espagne.

De 1939 à 1942, l'Allemagne et ses alliés firent la conquête de l'Europe tandis que les Japonais voulaient créer une Asie orientale sous leur domination.

On sait comment se termina l'ambition de ces conquérants qui prouvèrent abondamment la barbarie de leur civilisation et de leur idéologie.

Les conséquences de ce deuxième conflit mondial furent catastrophiques pour les vainqueurs et les vaincus. Il nous fallait rappeler même succinctement, ces faits considérables dont la vie de l'humanité entière allait souffrir et expliquer ce qu'allaient devenir nos chantiers navals dans l'ambiance de cette tourmente incomparable dont nous pouvons témoigner.

Tout au début de la guerre, nos chantiers achèvent la construction de 50 chars légers « F.C.M. » de 12 tonnes. Par suite de la loi sur l'organisation de la nation en temps de guerre, ils sont placés sous la direction de l'arsenal de Toulon.

Après la signature de l'armistice, en juin 1940, on y construit des batteries de 75, des bouées, des fours électriques.

Des commissions allemandes et italiennes viennent contrôler les fabrications, ce qui n'est guère apprécié par le personnel et la direction des chantiers.

Si des unités commandées par la marine nationale, comme les contre-torpilleurs : Sirocco, Bison, Fleuret, Casque, furent terminées en Juin 1940, avant la signature de l'armistice ; deux autres : l'Intrépide et le Téméraire mis sur cale en 1939 ne furent jamais terminés, d'après les archives des Chantiers qui les disent « inachevées ». Ces bateaux furent lancés les 25 et 26 juin 1941. Le paquebot Kairouan pour la Compagnie de navigation mixte ne fut terminé qu'en mai 1941.

Le travail marchait au ralenti. Autre exemple manifeste : le transport frigorifique Djoliba, dont le marché fut passé en novembre 1940, ne sera lancé qu'en 1947.

Dans cette période, on ne construira pas d'unités spectaculaires. L'effectif du personnel tomba au-dessous de 800 personnes, les matières premières étant usinées en Hollande et acheminées sur La Seyne avec des retards considérables dans les livraisons, la passivité des travailleurs qui ne cherchaient nullement à satisfaire la production, de tout cela résultèrent des activités dérisoires par rapport aux fabrications grandioses des années d'avant-guerre. On vit des ouvriers s'affairer autour de la coque des chalands de débarquement, des petits cargos, de remorqueurs. Ils effectuaient leur tâche consciencieusement, paisiblement, toutefois sans motivation excessive. Nous allons voir qu'après le 27 novembre 1942, date du sabordage de la Flotte, leur comportement évoluera vers des sentiments de révolte, de résistance à l'ennemi. En attendant, ils se préoccupaient d'abord de trouver leur pitance. Tous les travailleurs et leurs familles souffraient de la faim car les Allemands raflaient tout, même les denrées de première nécessité. À leurs conditions de vie misérables allaient s'ajouter d'autres dangers.

Au mois de juillet 1942, dans le vaste atelier de la tôlerie fut rassemblée la grande majorité du personnel pour y entendre un propagandiste allemand de haut niveau, le Docteur Leight. Celui-ci parla au cours d'une conférence organisée par certains cadres des Forges et Chantiers de la Méditerranée, favorables à l'idéologie nazie, dans le but de vanter les bienfaits de la collaboration. Il parla abondamment des avantages matériels du travail en Allemagne et lança un appel vibrant pour le recrutement de volontaires.

L'effroyable machine de guerre allemande exigeait de plus en plus des millions et des millions de soldats.

Les dirigeants du troisième Reich, comptant d'abord sur le courage et le patriotisme de ses enfants, il lui fallut bien remplacer les travailleurs des usines par une autre main d'oeuvre, celles des pays conquis.

Le Docteur Leight venait donc chercher de l'aide auprès des Seynois de la Navale et il le fit en déployant tous ses talents de persuasion. Mais l'auditoire attentif ne fut guère réceptif à ses propos.

Remarquons au passage que notre région n'était pas encore occupée en juillet 1942 et néanmoins le gouvernement du Maréchal Pétain laissait circuler les émissaires de Hitler et organiser le recrutement des volontaires, à leur guise dans toutes les usines de France.

Mais cet immense travail de propagande par affiches, tracts, conférences ne donna pas pour les Allemands les résultats escomptés. Le patriotisme des Français s'affirmait avec plus de force chaque jour et la tactique de la persuasion fit place à l'institution du S.T.O. (Service du Travail Obligatoire) à la fin de l'année 1942 plus précisément.

Déjà à l'automne s'effectuèrent les contrôles d'identité à la porte principale des chantiers, lesquels visaient plus particulièrement les jeunes des classes 40 et 41.

La jeunesse seynoise n'avait pas du tout l'intention, même pour de meilleurs salaires, d'aller travailler dans la froidure du pays des Teutons et surtout sous la férule des nazis.

Première forme de résistance à l'ennemi, les volontaires seynois pour le travail en Allemagne furent très rares.

Pour échapper aux contrôles d'identité, la jeunesse évitait de sortir et de rentrer par la porte principale. Elle trouvait d'autres issues : mur du chantier face à la Présentation, sortie par les Mouissèques, en longeant le bord de la mer.

Des ouvriers qualifiés s'efforçaient par tous les moyens d'échapper aux réquisitions. On vit même des apprentis rater volontairement un essai leur permettant d'accéder à la qualification d'OP1 ou OP2, et donc à des salaires plus confortables, pour éviter de partir en Allemagne.

Avant même que la soldatesque hitlérienne n'occupât les lieux de l'entreprise, le personnel des chantiers comprit que la plus grande méfiance devenait nécessaire dans les conversations, d'autant que les mesures répressives du Gouvernement de Vichy se multipliaient à l'encontre des républicains, des laïques, des patriotes, a fortiori des politiciens de la gauche, les communistes plus spécialement.

Avec prudence, les propos s'échangeaient devant les marronniers, terme usité dans les entreprises pour désigner les tableaux où l'on accrochait ou décrochait les marrons, c'est-à-dire les jetons métalliques numérotés attestant la présence des travailleurs.

 

Le 27 novembre 1942 aux F.C.M

Après les succès foudroyants des Allemands et de leurs alliés en Europe, la fin de l'année 1942 fut marquée par des événements considérables qui rendirent l'espoir aux peuples du monde entier.

D'une part le débarquement des armées alliées anglaises et américaines en Algérie et au Maroc qui devait leur assurer la maîtrise de l'Afrique du Nord.

L'armée de l'illustre Rommel qui avait tenté de prendre l'Égypte, en vue de se diriger vers le Caucase, fut mise dans une situation très difficile.

D'autre part sur le front russe, les troupes allemandes engagées dans la bataille de Stalingrad allaient subir une grave défaite laquelle marqua un véritable tournant dans le cours de la guerre.

On sait que depuis l'armistice de juin 1940 qui permit aux Allemands d'occuper plus de la moitié de notre pays, dans la zone française dite libre, la population jouissait encore d'une liberté relative.

Après le débarquement des armées alliées en Afrique du Nord le 8 novembre 1942, l'ennemi redouta d'autres opérations de ce genre sur les côtes européennes.

Ce fut alors qu'il conçut le projet de s'emparer de la belle Flotte française, concentrée presque entièrement à Toulon.

En violation de tous les engagements, et surtout en accord avec les autorités françaises du moment, la zone de la France non occupée fut envahie par les troupes de Hitler, sauf le camp retranché de Toulon-La Seyne, respecté depuis le 11 novembre.

Près de 100 navires de guerre (cuirassés, croiseurs, contre-torpilleurs, avisos, sous-marins, transports...) représentant une puissance de feu énorme, toutes les structures militaires de l'Arsenal, tout cela était étroitement surveillé par l'État-major allemand dont les officiers ne craignaient pas de se montrer sur les hauteurs de Six-Fours, du Faron, de Sicié pour étudier leur mauvais coup avant la date prévue, qui se produisit par surprise dès 3 heures du matin, le 27 novembre.

À ce point de notre récit, il fallait bien expliquer l'arrivée des troupes allemandes jusque dans nos chantiers de constructions navales et la réaction patriotique qui suivit tant aux chantiers de La Seyne qu'à l'Arsenal de Toulon.

Le sabordage de la Flotte de guerre fut un événement hors du commun, raconté avec précision dans le tome III de notre ouvrage au chapitre intitulé « Résistances seynoises », page 141.

Nous n'y reviendrons pas longuement. Nous l'avons rappelé pour montrer les incidences douloureuses dont souffrit également La Seyne et sa population.

Les colonnes motorisées allemandes venant de l'Ouest par Bandol et Sanary atteignirent Toulon par la route nationale du Beausset et d'Ollioules. Elles avaient pour mission de se diriger sur le centre de Toulon, sur Saint-Mandrier et les Chantiers de La Seyne, dans le but de paralyser le système de défense de l'Arsenal et de capturer les navires ancrés devant les appontements ou fixés dans les bassins.

Simultanément, une vingtaine d'avions survolaient la rade à basse altitude, lançant des fusées éclairantes et surveillant de très près les navires, dont certains, de petites unités, réussirent à gagner le large.

Dans un fracas épouvantable d'explosions incessantes, de tirs de mitrailleuses et de D.C.A., la belle Flotte française s'enfonça dans les eaux, s'enlisa dans les faibles profondeurs vaseuses.

Les Allemands furieux de voir échouer leur tentative, arrivèrent alors devant les chantiers, montèrent sur deux petites unités en criant « Haut les mains ! ».

Sabotée à temps, l'une de ces unités coula sous leurs yeux. Seul, le contre-torpilleur La Panthère tomba entre leurs mains.

Dans les heures qui suivirent, le chantier fut occupé militairement, mais aucune structure de la construction navale ne fut détériorée. On comprit que les occupants avaient bien l'intention d'en tirer le meilleur parti pour la suite des opérations militaires.

Au fil de nos souvenirs, ils n'eurent pas le temps de s'emparer de deux baleinières en provenance de Toulon qui permirent à des marins français de trouver le salut sur le rivage des Mouissèques.

Ces rescapés du désastre demandèrent des vêtements civils aux habitants qui les vêtirent de leur mieux.

À 7 heures 30, les ouvriers des chantiers étaient rentrés, mais leur enthousiasme au travail ne se manifestait guère. Groupés un peu partout, les discussions animées laissaient présager la volonté de résister aux exigences de l'ennemi. Nos ouvriers allaient connaître ce qu'était vraiment l'occupation allemande.

Depuis 1940, ils en avaient déjà ressenti les effets désastreux. Avant même l'arrivée de leurs engins blindés à croix noire, des uniformes vert-de-gris à croix gainée, la population française, impuissante au début de l'occupation avait assisté au pillage systématique des ressources de toutes sortes : matières premières, produits alimentaires. Dans notre Provence, si riche en vignes, en oliviers, en fruits et légumes, les tickets d'alimentation n'octroyaient à chacun que des rations à peine suffisantes pour subsister.

Les ouvriers, travailleurs de force, ne recevaient que 350 grammes de pain par jour. Sur le marché, la belle marchandise avait disparu, mais on trouvait en abondance les rutabagas, les topinambours, les fenouils qu'on assaisonnait par des ersatz, c'est-à-dire des produits de remplacement infects. Les pommes de terre étaient devenues une denrée rare et il fallait se dissimuler comme des voleurs pour en ramener de chez les cultivateurs du terroir. Les portions de viande accordées par le rationnement étaient ridicules.

Si l'on ajoute à tout cela les persécutions contre certaines catégories de citoyens : les juifs dont les biens furent saisis, les communistes, les syndicalistes, emprisonnés pour leurs opinions jugées dangereuses par l'occupant et ses collaborateurs français, il est aisé de comprendre l'ambiance de méfiance et même de haine qui naquit et se développa dans tous les ateliers de la Navale.

Apportons quelques précisions sur le comportement de certains individus, des cadres connus dans le personnel qui s'étaient révélés avant la guerre même comme des collaborateurs en puissance au moment de la grève contre les accords de Munich, le 30 novembre 1938. Déjà des sanctions avaient été prises contre des militants politiques et syndicaux.

Citons au passage un cas bien particulier : celui du Directeur Larzillière, patron qu'on disait de combat contre la classe ouvrière. Le personnel des chantiers eut avec lui bien des lances brisées au sujet des problèmes revendicatifs, mais il rendit hommage à son attitude patriotique après la capitulation de Pétain.

Au moment du 11 novembre 1942 et surtout à partir du 27 novembre, M. Larzillière refusa de recevoir les commissions allemandes et italiennes qui voulaient s'imposer et mettre l'activité des chantiers à leur service ; ce comportement courageux entraîna son limogeage ipso facto. Il fut remplacé provisoirement par M. Jammy qui, au bout de sept mois laissa la place à M. Lamouche.

Au mois de janvier de l'année 1943 est mise en place une direction allemande, dont M. Mautz est le haut responsable, qui trouvera tout de même des collaborateurs parmi les cadres seynois. En petit nombre, il est vrai, tous disparus aujourd'hui et dont nous tairons la plupart des noms par souci de ne point porter atteinte à l'honorabilité de leurs descendants.

Parmi les collaborateurs, l'un d'entre eux rendait compte en ces termes à la direction, d'un entretien qu'il avait eu avec les inspecteurs du Commissariat spécial de la Préfecture : « Malgré les 18 ouvriers que nous avons fait condamner pour menées communistes à des peines variant entre six mois et cinq ans de prison, notre établissement a encore un pourcentage très élevé d'extrémistes qui n'attendent que des succès russes pour refaire un nouveau juin 1936 ».

Le document dont ces lignes sont extraites date du 16 Mars 1942 et porte la signature du Directeur des ateliers de l'époque. Nous reproduirons plus loin d'autres textes particulièrement significatifs des agissements de cet individu.

 

De 1942 à 1944 : l'occupation allemande - La Résistance

Revenons un instant sur les événements de la guerre que tout le personnel des chantiers suivait avec une attention passionnée.

Certes le débarquement des armées alliées en Afrique du Nord avait suscité d'immenses espérances dans le monde du travail, mais au début de 1943, la bataille de Stalingrad qui durait depuis des mois se termina par une défaire cuisante des armées hitlériennes et fut un tournant décisif de la guerre. La masse des ouvriers des chantiers voyait dans cette victoire une revanche contre l'occupant nazi et un encouragement à lutter contre lui par tous les moyens.

Des organisations clandestines distribuaient adroitement des tracts comme « L'Écho Seynois », initiative de Toussaint Merle, des imprimés à la croix de Lorraine ; des inscriptions à la craie se multipliaient sur les tôles, les titans, les cales. Tout cela rendait l'ennemi fou de rage.

Malgré les menaces, les syndicats clandestins préparaient des actions revendicatives pour exiger des salaires décents et surtout une alimentation substantielle. L'ennemi amenait des wagons pleins de matériaux : tôles, cornières, pièces préfabriquées dans l'intention évidente d'accélérer la construction navale de petites unités et de chalands de débarquement.

Alors, la résistance de la classe ouvrière s'organisa, se développa en vue de réaliser adroitement toutes les formes de sabotage dont voici un aperçu dans les lignes qui suivent. On voulait se tenir informé des progrès de la contre-offensive des soviétiques sur tout le front de l'Est que l'ennemi n'avait pas réussi à percer : ni à Leningrad, ni à Moscou (qui ne reçut jamais un obus), ni à Stalingrad malgré les efforts titanesques déployés par les meilleures divisions hitlériennes. Chaque matin, à la prise du travail, chacun racontait ce qu'il savait en provenance des radios clandestines ; cela malgré le brouillage des ondes savamment entretenu par les Allemands.

Certains de nos concitoyens dont les logements avaient fait l'objet de réquisitions au bénéfice des officiers de la Wehrmacht parvenaient insidieusement à connaître leurs inquiétudes. Les chars d'assaut et tous les véhicules à moteur devaient être adaptés aux températures sibériennes. Il ne faisait aucun doute que les unités installées sur notre terroir seynois s'apprêtaient à partir pour le front russe. On sut beaucoup plus tard qu'elles furent anéanties dans la gigantesque bataille de Koursk.

Dans cette période, les Chantiers navals de La Seyne avaient la charge de construire 32 chalands de débarquement et 3 navires de transport appelés KT (Kriegsmarintank).

Tous ces ouvrages, mis en chantier entre juin 1943 et juin 1944, ne purent jamais être utilisés par les Allemands.

Après un retard considérable dans la livraison, les moteurs furent sabotés de diverses manières.

Malgré la surveillance étroite des ingénieurs allemands, des graisseurs se trouvaient remplis d'acides, des câbles étaient coupés en des endroits difficiles à déceler.

Des cornières, des tôles, des obus de petit calibre pris sur des torpilleurs furent jetés à la mer.

Le texte du tome III de notre ouvrage intitulé : « Résistances seynoises » a évoqué avec précision le nom des organisateurs de la Résistance dans les Chantiers. Nous n'y reviendrons pas longuement, mais il est important de rappeler le rôle joué par le sous-directeur M. Vayssières (Lieutenant Robert dans la Résistance) qui sauva de nombreux jeunes du S.T.O. (Service du Travail Obligatoire) en les désignant pour des affectations spéciales. Cette forme particulière du sabotage de la machine de guerre allemande eut des prolongements d'une grande efficacité, certains affectés spéciaux ayant rejoint les maquis.

M. Vayssières observa la plus grande discrétion quand il apprit que la C.G.T. clandestine s'était constituée dans les chantiers. Des ouvriers courageux comme Traversa, Garnier, Vidal, Seuzaret, Chamand, Michel, réalisèrent le tour de force d'entrer au syndicat officiel autorisé par la Charte du travail, d'y encourager des adhésions nombreuses de camarades afin d'isoler le responsable pétainiste Michel, cadre des pompes funèbres municipales (à ne pas confondre avec le précédent).

L'assemblée générale, où affluèrent les véritables démocrates, les Résistants, les patriotes, désignèrent comme secrétaire général du syndicat, Marius Traversa.

À partir de là, les événements locaux allaient prendre une tournure encourageante pour le proche avenir. Il faut dire aussi que le camp des puissances de l'Axe Rome-Berlin subissait des revers ininterrompus.

L'année 1943 touchait à sa fin. Mais depuis le mois de juillet, le fier Mussolini n'impressionnait plus les foules par ses fanfaronnades. Les Alliés avaient réussi un débarquement en Sicile.

Depuis Stalingrad, les armées allemandes reculaient sur tous les fronts de l'Est. En septembre ce fut le débarquement des troupes françaises en Corse. Tous ces succès militaires eurent une incidence bénéfique sur le moral des populations opprimées et la population seynoise et les Chantiers de La Seyne qui souffrirent beaucoup de voir circuler des hommes à la croix gammée et aussi des Chemises noires du sinistre Mussolini, se prirent à espérer une libération prochaine de la barbarie fasciste et comprirent aussi qu'il fallait y participer courageusement.

C'est ce qui explique la mobilisation des énergies et des coeurs pour lutter victorieusement contre l'occupant malgré des dangers certains. Les syndicalistes - avec Marius Traversa à leur tête - organisèrent des actions revendicatives dès la mise en place de la direction nouvelle apparemment officielle.

 

Pour entretenir un bon moral !

À toutes les formes de résistance diversifiées et surtout les actions collectives comme les délégations, les manifestations, les grèves, s'ajoutaient les mauvais tours de plaisantins qui s'ingéniaient à ulcérer l'ennemi par tous les moyens, en évitant bien sûr de se faire pincer.

En voici quelques exemples : inscriptions à la craie et même à la peinture sur les coques en cales, sur les murs des ateliers. Au lendemain de la défaite allemande de Stalingrad ou du débarquement des Américains en Afrique du Nord, les allemands ne savaient plus comment s'y prendre pour faire disparaître ces marques de provocation.

Des locaux insuffisamment surveillés de leur part, des ouvriers courageux réussirent à faire disparaître, du linge, des aliments, des bottes. L'un d'entre eux ne réussit-il pas à voler un poulet rôti dans la cuisine d'un feldwebel au moment où ce dernier allait passer à table ? Il avait réalisé ce tour de force au moyen d'une immense fourchette passée par une trappe d'aération au-dessus du fourneau.

Louis Meunier, personnalité seynoise bien connue, n'arrêtait pas d'amuser ses compagnons de travail par des farces dont il avait le secret. Il imagina un jour d'enfoncer dans la terre un tuyau de faible diamètre sur un trajet que seuls les Allemands empruntaient. La section du tuyau affleurait à la surface du sol et là notre farceur y avait soudé une grosse pièce de 5 francs bien aplatie qui n'allait pas manquer de tenter les passants.

Nombreux étaient les ouvriers cachés à proximité qui attendaient avec une amoureuse impatience et voulaient jouir du spectacle désopilant que serait la réaction des personnages médusés, qui après un regard circulaire se sauveraient honteusement en écoutant des sarcasmes : « On les a bien couillonnés », s'esclaffaient les rieurs !

Et nous pourrions aussi évoquer les poignées de portes enduites de la fiente des goélands... mais aussi d'animaux d'une autre espèce !

 

Des luttes courageuses

Les archives du syndicat des métaux des F.C.M. relatent les événements les plus saillants de l'année 1943 où les luttes ouvrières prirent un caractère particulièrement aigu du fait de l'intransigeance de la Direction qui ne voulait rien savoir des revendications du personnel de l'entreprise. Dans l'un de ses rapports d'activité, le syndicat s'exprime ainsi :

« Sur le plan social M. Chevalier était intraitable. Profitant de la présence des nazis, il recevait les dirigeants syndicalistes de façon cavalière, allant même un jour à mettre à la porte un délégué. Ouste ! lui cria-t-il en le chassant. Presque aussitôt, le Dr Mautz était reçu avec tous les honneurs dus à cet ingénieur allemand chargé des réparations et des constructions pour le compte de son pays.

Le 10 novembre 1943, le pain manque à La Seyne : La C.G.T. clandestine donne l'ordre de grève qui est suivi à 100 %.

Tout le personnel reste devant la porte des chantiers. Le Directeur vient parlementer pour la reprise du travail. Inutile ! Les ouvriers veulent du pain. Les Allemands provoquent un incident et emmènent un otage. Les esprits s'échauffent et M. Chevalier est désemparé. La délégation syndicale est arrêtée. Les mitrailleuses et les fusils-mitrailleurs sont braqués sur les ouvriers ; un coup de feu est tiré, mais personne ne perd son sang-froid.

C'est alors que M. Maljean, sous-préfet de Toulon, arrive, accompagné de quelques officiers allemands.

Les palabres, les menaces ne pourront fléchir la volonté des manifestants. L'arrivée du pain sur les lieux et sur l'instance du piquet de grève mettra fin aux algarades et à 17 heures le travail sera repris ».

Le lendemain une manifestation patriotique se déroula en ville pour la célébration de l'armistice de 1918, étape décisive qui marquait l'arrêt des combats victorieux de la France et de ses alliés. Il était tout naturel que la masse des ouvriers des chantiers soit présente à une démonstration de force que l'ennemi n'apprécia pas du tout.

Avant de quitter l'année 1943, rappelons les instructions de M. Lamouche, Directeur général des F.C.M. qui, par sa lettre du 22 décembre 1943, ordonnait au directeur local de s'engager résolument dans une politique de rendement et de productivité. On comprend bien la raison de cette intervention comminatoire, les allemands ayant constaté la lenteur calculée des travaux et aussi des sabotages des travailleurs seynois. L'ennemi exigeait qu'une impulsion nouvelle soit donnée à l'entreprise et qu'on en finisse avec ces chalands de débarquement qu'on n'achevait jamais.

Alors le Directeur des Chantiers poussa aux heures supplémentaires, au travail du dimanche, aux réquisitions assorties de menaces de déportation si on n'y répondait pas.

Des ingénieurs jouèrent alors le rôle de garde-chiourme. Des tickets de cantines et des heures de travail furent supprimés à ceux des ouvriers qui arrêtaient le travail quelques minutes avant le sifflet. La Direction exerçait des pressions sur les travailleurs pour obtenir des départs en Allemagne, car les volontaires, on les compta sur les doigts d'une main.

S'adressant particulièrement aux jeunes, elle leur déconseillait de rejoindre les maquis où ils seraient mal nourris, mal vêtus, où leur vie serait en danger.

Nous pourrions citer quelques-uns de ces protagonistes bien connus. Notre souci de ne pas ternir l'honorabilité de certaines familles, éclaboussées par leur conduite antipatriotique, a prévalu.

Relevons cependant deux noms que les publications syndicales et politiques d'après la guerre portèrent à la connaissance du grand public : Touviers et Delacourt. Le premier fit arrêter plusieurs militants syndicalistes parmi les meilleurs : Mattone, Couret, Mary, Giovannini. Sa mauvaise conscience le poussa au suicide après avoir écrit : « Je disparais pour n'avoir pas à parler ».

Le second pourrait faire l'objet d'un dossier spécial. On en jugera plus loin par la lecture de ses correspondances avec la « Kommandantur ».

En janvier 1944, fut constituée à Marseille une inter-syndicale des métaux avec la participation de La Seyne, La Ciotat et Port-de-Bouc.

Après la suppression de tous les avantages conquis par le Front populaire (semaine de 40 heures, conventions collectives...) il fallut organiser des rassemblements partout et faire le point de la situation, des salaires surtout. Les réunions avec la Chambre patronale débouchèrent sur des satisfactions ridicules. Alors il fallut en venir à des moyens plus efficaces que les discussions et les bavardages. Une grève pour le 21 mars fut décidée par tous les chantiers de la construction navale de la région.

Un cahier de revendications fut déposé en préfecture, document où figuraient en priorité l'augmentation avec les exigences de doublement des rations de pain, de viande, de matières grasses. Il s'y ajoutait aussi la condamnation de la répression dans la France entière. Rappelons que dans cette période dramatique des patriotes savoyards étaient massacrés par centaines par les amis de M. Mautz, le Directeur allemand des chantiers, autorité incontournable que les courageux syndicalistes du moment devraient affronter obligatoirement.

La grève du 21 mars fut un véritable coup de tonnerre sur les bords de la Méditerranée, tant elle fut suivie avec détermination par les travailleurs. À La Seyne, elle fut suivie d'une délégation au sous-préfet.

Ce dernier écouta froidement le secrétaire du syndicat -Traversa- qui lui exposa courtoisement les revendications des personnels du chantier, toutes catégories confondues.

Après quoi, le petit sous-préfet répondit sèchement : « Messieurs, j'ai pris bonne note, je n'ai plus rien à faire avec vous ». À ce moment, curieusement le téléphone retentit. L'échange de quelques mots : oui ! non ! bien sûr ! c'est entendu !

Le sous-préfet raccroche pour dire à la délégation qui s'apprêtait à partir. M. Mautz vous attend !

Il s'agissait bien du Directeur allemand, celui qui régnait sans partage sur l'entreprise et auquel on ne pouvait rien cacher ou refuser.

Une heure plus tard, la direction syndicale se présenta au bureau de ce triste personnage, ne se faisant guère d'illusions sur le résultat de sa démarche. Elle voulut tout de même affronter l'hitlérien pour lui montrer la résolution des travailleurs et de toute la population de poursuivre leurs actions quelles que fussent les menaces.

Voici résumée en peu de mots cette entrevue décrite à peu près dans ces termes par Louis Puccini, auteur d'un ouvrage intitulé La Seyne et la Résistance.

Le secrétaire Traversa ne fut pas autorisé à parler longuement, le Directeur allemand l'interrompit pour lui dire : « La grève que vous faites est illégale et donc interdite par les lois allemandes et elle pourrait être suivie de la peine de mort ».

Cependant Traversa et Guilbaud s'évertuèrent à expliquer qu'ils n'avaient pas donné d'ordre de grève, que les travailleurs excédés par l'insuffisance des salaires et surtout par les restrictions alimentaires, s'étaient décidés d'eux-mêmes à user de la grève pour se faire comprendre. Tout le monde souffrait de la faim, et les responsables de cette situation étaient avant tout les patrons qui refusaient les revendications ouvrières et n'admettaient aucune concertation.

L'Allemand trouva là sans doute le moyen de dégager ses responsabilités et dit ceci : « Ce qui se passe avec vos patrons ne m'intéresse pas, mais je ne veux pas voir de grèves dans l'entreprise. Faites reprendre le travail ! ». Il ajouta (mais disait-il la vérité ?) : « Je ne prends pas de sanction contre vous aujourd'hui car j'attends une délégation de l'Amirauté allemande qui doit vérifier l'avancement du programme des travaux - mais soyez assurés qu'à la prochaine grève, c'est vous qui porterez la responsabilité de ce que vous risquez, la déportation en Allemagne ».

Puis les délégués furent congédiés par M. Mautz qui ajouta sur un ton provoquant : « A demain ! ».

Pour être tout à fait objectif disons que l'entrevue avec le représentant allemand ne fut pas totalement négative, ce dernier s'étant tout de même engagé à améliorer le menu de la cantine.

Que faire après cette journée de grève du 21 mars dont le monde du travail pouvait se réjouir de l'enthousiasme et de la puissance ? Fallait-il la poursuivre dès le lendemain ou demander une nouvelle rencontre avec la Chambre patronale, impressionnée d'ailleurs par le succès de la grève à La Ciotat, à Port de Bouc, à Marseille ?

Le succès de cette grève du 21 mars eut des répercussions immédiates. Le soir même « Radio Alger » répandit la nouvelle en claironnant que les ouvriers des Chantiers Navals de la Méditerranée avaient fait perdre 50 000 heures de travail à la machine de guerre allemande.

Cette grève de 24 heures suivie dans l'unité totale, ce rassemblement imposant des heures durant, devant l'entreprise donnèrent aux travailleurs une confiance accrue dans leurs forces.

Le travail avait repris le lendemain dans le calme et chose étonnante on ne vit aucun Allemand ni aucun policier français aux abords des chantiers.

Un fait inattendu se produisit : un ouvrier venu en vélo de La Ciotat vint alerter la direction syndicale de La Seyne lui demandant de reprendre la grève comme le faisaient les ouvriers des autres chantiers navals.

Le problème ne fut pas simple, car une grève doit se préparer, et là, il fallait agir sur l'instant.

Une situation exceptionnelle appelait une grande efficacité pour la répartition des responsabilités. Un rendez-vous « Place de la Lune », face à la grande porte des chantiers, fut organisé en moins de deux heures et des centaines de participants s'y rencontrèrent non pas tellement pour parler de problèmes revendicatifs mais plutôt pour affirmer leur solidarité envers leurs camarades pourchassés par les allemands et la police de Vichy. Ils ne manifestaient pas en criant des slogans. À la vérité, ils hésitaient à engager une action concrète, ce qui explique aussi le passage discret des voitures de la police française qui n'exprimèrent aucune hostilité contre le rassemblement.

Mais ce calme apparent allait être rompu brutalement par l'arrivée d'une dizaine de camions allemands dont les bâches cachaient des soldats casqués et armés qui sautèrent des véhicules et se précipitèrent en vociférant comme ils savent si bien le faire, sur les ouvriers sans défense tandis que d'autres mettaient en batterie des mitraillettes devant la porte du gardien-chef et aux fenêtres du premier étage : crépitements des armes automatiques, dispersion des manifestants dans les rues avoisinantes. Tout se passa en l'espace de quelques minutes.

Après cette démonstration, ce qu'il fallait redouter c'étaient les réactions de M. Mautz qui pouvait à partir de là mettre ses promesses à exécution.

Après mûres réflexions, la direction syndicale décida de reprendre le travail le lendemain et de terminer les ouvrages commencés avant le mouvement du 21 mars.

L'ambiance du travail dans l'entreprise évoluait de jour en jour vers la sérénité, engendrée par les désastres que l'ennemi subissait sur les fronts de l'Est, en Italie, en Afrique, et même dans le Pacifique.

Sur le plan revendicatif, les travailleurs défendus par les responsables syndicaux de la commission paritaire obtinrent des avantages appréciables avec une nouvelle grille des salaires, des majorations de nuits et de dimanches.

Au fil des jours, il était visible que le travail n'était plus la préoccupation majeure des travailleurs qui vivaient surtout dans un climat d'attente. Les titans marchaient au ralenti et leurs servants perdaient beaucoup de temps à chercher les pièces à accrocher.

Chacun vivait dans la crainte des alertes de plus en plus fréquentes. Depuis le bombardement de Toulon qui fit des centaines de morts une ambiance de panique gagnait tous les ateliers.

Si les titaniers qui dominaient de leurs regards vigilants, toute l'aire toulonnaise apercevaient la moindre fumée, ils criaient avec force : « Alerte ! Alerte ! ». Mais ces fumées n'émanaient pas toujours des barils de fumigènes disposés par les Allemands sur les routes et voies secondaires.

Il s'agissait alors de fausses alertes, suffisantes pour vider les ateliers de leur personnel et arrêter totalement le travail. La plus grande confusion régnait par la suite avant la reprise des activités.

Le 29 avril 1944 vers midi ce ne fut pas hélas une fausse alerte qui retentit. Les forteresses volantes américaines arrosèrent La Seyne de 700 bombes de 500 et 1000 kg mais seulement 4 ou 5 projectiles touchèrent les chantiers, lesquels semble-t-il devaient être leur objectif principal. Le chapitre « Des années dramatiques » du tome II de notre ouvrage a décrit avec beaucoup de précision cette journée d'épouvante pour les Seynois.

Rappelons simplement pour ce qui concerne les chantiers que les quelques bombes qu'ils reçurent causèrent des dégâts relativement minimes : un petit navire TK fut coulé, une cale de lancement endommagée, les engins de levage et les ateliers souffrirent seulement de quelques éclats. Il n'y eut pas de pertes en vies humaines, les lieux ayant été désertés en temps opportun.

Par contre, la ville sinistrée à 65 % eut à déplorer plus de 120 morts.

Au mois de mai, les 800 ouvriers et employés vivaient toujours des heures d'inquiétude. Ils réclamaient des vivres et des abris contre les raids aériens.

Le 15 mai, vers 11 heures, le syndicat décida d'une grève. Plusieurs centaines de participants se rassemblèrent devant la porte principale, défilèrent sur le port en direction de l'Hôtel de Ville, dont le hall fut envahi aux cris de : « Du pain ! Des abris ! ».

Le Maire Galissard, son premier adjoint et un chef de service se montrèrent timidement et ne réagirent même pas devant les slogans hostiles que les manifestants leur adressaient. La police française n'osait même plus assurer leur protection. Les arrogants de la municipalité et de la Légion qui pendant trois ans avaient insulté nos ouvriers d'élite, les traitant de salopards en casquette, commencèrent à comprendre qu'un jour prochain il leur faudrait rendre des comptes à la population.

Pendant les derniers jours de mai, de nombreux jeunes reçurent un ordre de départ pour l'Allemagne. Une action courageuse des syndicalistes et des Résistants s'engagea devant la gare de Toulon pour éviter leurs départs.

Le 6 juin fut annoncé à toute la population en délire, le débarquement des troupes alliées en Normandie, nouvelle qui déclencha dans les chantiers une joie indescriptible. On ne vit plus alors circuler les collaborateurs serviles de l'ennemi, les mouchards, les arrivistes, les ambitieux avides de promotions. Les travailleurs respiraient un air de liberté et les plus courageux s'apprêtaient à participer concrètement à la libération de La Seyne et de ses chantiers.

Mais avant d'en arriver là, hélas ! il fallut passer par d'autres moments douloureux, d'autres sacrifices des plus cruels. Des centaines de familles sinistrées, ruinées, endeuillées, songèrent tout naturellement à chercher leur sécurité ailleurs, les villages du Var les accueillirent mais aussi des départements beaucoup plus éloignés comme l'Ardèche, l'Isère, la Drôme, le Gard, la Haute-Loire.

Tout cela explique que les effectifs des chantiers s'amenuisaient de jour en jour.

Les alertes se succédaient laissant présager une prochaine intervention massive des alliés. Mais où ?

Le 11 juillet fut pour notre ville une autre journée épouvantable. Après une alerte, des gens par centaines vinrent chercher refuge dans le tunnel étroit, départ de l'Émissaire commun en construction et dont les bouches d'aération de la Colle d'Artaud n'avaient pas été ouvertes.

Ce jour-là 92 personnes périrent asphyxiées, étouffées, écrasées. Ce nombre aurait pu être plus important sans l'intervention du personnel de sécurité des chantiers qui apporta dans un temps record des bouteilles d'oxygène.

Le lendemain de cette journée lugubre et des obsèques poignantes, un ordre de grève fut lancé par le syndicat pour les 12 et 13 juillet en prélude à une grande journée patriotique du 14 juillet, qui n'était plus célébré depuis plusieurs années.

Un rendez-vous fut donné à 15 heures sur le port à l'angle de la rue Cyrus Hugues. Bien avant l'heure fixée de nombreux curieux s'étaient rassemblés tenaillés certes par une certaine crainte. Y aurait-il des forces de police ? des troupes allemandes ?

La direction syndicale suivie de nombreux travailleurs arrive aux cris de « Venez ! Allons-y ! En avant ! N'ayez pas peur ! ». Et voilà plus de 300 manifestants qui n'hésitent pas à se joindre à un cortège se dirigeant vers le cours Louis Blanc puis le boulevard du 4 Septembre pour atteindre l'École Curie, où sont prudemment repliés les édiles pétainistes et les chefs des services municipaux sur le parcours la Marseillaise et même l'Internationale avaient retenti bruyamment. On se serrait les coudes. Aux sentiments de circonspection des premiers instants du Rassemblement avait succédé une audace vraiment imprévisible et les manifestants savaient pourtant que les soldats allemands et la police française n'étaient pas loin.

Aucune autorité officielle municipale ne parut. La présence d'un chef de la police et quelques subalternes n'impressionna aucunement la foule qui entonna la Marseillaise.

C'est alors que Marius Traversa, secrétaire du syndicat, dans une vibrante improvisation rappela la lutte héroïque des ouvriers des chantiers, le débarquement et l'avance des alliés et lança un appel pour la préparation d'une grève insurrectionnelle afin de chasser l'occupant et les collaborateurs français traîtres à leur patrie.

Ce discours vibrant prononcé devant des représentants de la police ne manqua pas d'audace, mesurant tous les dangers, les camarades responsables décidèrent d'accompagner Traversa dans un lieu sûr après l'avoir embrassé.

Après quoi, chacun retourna vers le port où les discussions allaient bon train pour conclure qu'à La Seyne, il n'y avait plus de pouvoir municipal effectif - et mieux encore on ne vit plus aucune intervention de la police.

Les grèves se poursuivirent les 15, 16 et 17 juillet. Après le 15 août, date du débarquement des troupes franco-américaines, les chantiers ne manifestèrent plus aucune activité. Sans attendre l'année de la Libération, des milliers de Seynois soupçonnant de nouveaux combats meurtriers quittèrent la ville, mais les meilleurs militants du syndicat entrèrent en contact avec la Résistance locale et contribuèrent à la libération plus rapide du sol seynois.

Dans notre texte Résistances seynoises du tome III de notre ouvrage, nous avons raconté toutes les péripéties des combats de la Libération.

Nous n'y reviendrons pas.

Dès le 15 août, l'armée du Général de Lattre de Tassigny se mit en route sur Toulon qui ne tarda pas à être investi. Les Allemands comprirent alors qu'il leur faudrait bientôt déguerpir des bords de la Méditerranée.

Le fameux « Directeur allemand » des F.C.M., dont nous avons parlé précédemment, apprit à ce moment-là une cruelle nouvelle. Toute sa famille venait de périr dans un bombardement terrifiant de sa ville d'origine, oeuvre des redoutables raids britanniques sur la Ruhr. Aussitôt, il se suicida.

Mais avant de disparaître, il avait passé des consignes à ses subordonnés. En application des décisions du grand État-major allemand, il ne fallait rien laisser d'utilisable pour les troupes alliées. D'où la préparation minutieuse d'une destruction des chantiers et de toutes les installations portuaires.

Quelques résistants français savaient que les Allemands minaient les titans, les ateliers, le pont basculant. Que faire ? Il aurait fallu les attaquer pour empêcher leur sale besogne. Mais où prendre les armes ? Les citoyens avaient été dans l'obligation de rendre aux autorités leurs fusils de chasse. Pouvait-on tenter un déminage, après le travail des Allemands ? Où allait-on trouver des spécialistes, des artificiers pour le faire ?

 

Le 17 août 1944 : destruction complète des chantiers

Le sous-directeur des Chantiers entra effectivement en contact avec les syndicalistes de la Résistance ; mais sans résultat positif, devant le manque de moyens efficaces.

Et le 17 août 1944, ce fut la catastrophe. Les 197 mines réparties dans les chantiers, le long des quais y compris ceux du port explosèrent presque simultanément dans un fracas épouvantable. L'ennemi avait voulu détruire non seulement les instruments de production mais aussi la darse d'armement et le joli petit port de La Seyne que les armées de la Libération auraient pu utiliser ultérieurement pour le ravitaillement des troupes et de la population.

Un violent tremblement de terre n'aurait pas donné un spectacle plus affligeant. Sur 71 000 m2 de toitures, 69 000 avaient été détruits. Partout sur les dizaines d'hectares des chantiers : des murs effondrés, calcinés, des décombres où s'entremêlaient des ferrailles tordues, des pièces de machines, des outils. Dans les bâtiments administratifs incendiés périrent des plans, des dessins, des maquettes, des archives. Les quais dentelés par les entonnoirs des mines étaient complètement inutilisables.

Ateliers des chantiers

Les perspectives de la défaite avaient provoqué chez les boches une telle rage de destruction que leurs ancêtres, les Huns, les auraient certainement félicités de leur ouvrage et se seraient félicités sans doute d'avoir eu de tels enfants.

Que dire aussi de toutes les habitations entourant le port ? Plus de quais ! Des entonnoirs, avaient jailli des tonnes de pavés qui brisèrent toutes les vitrines des magasins.

Des maisons démantelées pendaient des volets déchiquetés, des portes, des gouttières tordues, des meubles, des tableaux... Quel spectacle abominable !

Sur les eaux calmes de la darse, quelques embarcations flottaient encore, les amarres rompues, errantes pour la plupart au gré de flots et des vents.

Port de La Seyne - Quai Saturnin Fabre

Port de La Seyne - Quai Gabriel Péri

Quand les Allemands furent enfin chassés du sol seynois entre le 26 et le 27 août dans les conditions décrites précédemment (voir Résistances seynoises), quand les communications postales furent rétablies, le grand Conseil d'Administration de la société des F.C.M. prit la décision de la reconstruction de l'entreprise avec la perspective d'apporter des améliorations, des extensions et surtout du modernisme.

Pour la première fois depuis sa création, elle émit des emprunts obligatoires pour 245 millions, et le capital fut porté à 236 millions. Il fallut tout d'abord déblayer le terrain, des décombres, de la ferraille inutilisable ; enlever, avec le concours des artificiers, les mines non explosées, combler les entonnoirs. On utilisa ce qui pouvait encore servir des bâtiments administratifs ; on construisit des baraquements provisoires. Des ponts-roulants très puissants avaient résisté aux explosions les plus violentes. Ils servirent au transport des matériaux amenés par centaines de tonnes dont voici quelques détails : 400 tonnes de ciment, 375 tonnes de briques, 750 tonnes de tuiles, 50 tonnes de plâtre, 180 tonnes de métaux. Et aussi 10 000 m2 d'Everite, 15 000 m2 de verre. Dans un temps record 10 des 12 grues démolies furent rétablies, ainsi que le ponton-mâture de 150 tonnes.

Il fut cependant nécessaire d'acheter des machines aux Américains : tours, fraiseuses, etc.

Deux ans après la destruction, la presque totalité des toitures détruites fut réparée.

M. Gaignebet écrivait en 1947 que les plans de modernisation des chantiers se réalisaient admirablement.

 

La reconstruction - La Renaissance

Le personnel des Chantiers et la population seynoise tout entière se réjouissaient de voir disparaître rapidement les stigmates de la guerre. Les quais reconstruits prenaient de l'extension, les outils de travail réparés renaissaient chaque jour avec des améliorations techniques porteuses d'une productivité grandissante.

N'était-ce pas le devoir de chacun, dans un élan patriotique fulgurant, de rendre leur plein essor aux industries nationales ? Et c'était bien le cas pour la construction navale, d'autant que, la guerre n'étant pas terminée, la tâche la plus urgente restait en priorité l'écrasement définitif des fauteurs de guerre et de leurs idéologies barbares. Il fallait faire vite et le redressement de l'économie française affaiblie singulièrement par les désastres du conflit mondial, demandait des sacrifices énormes de la part de tout le peuple de France.

C'était bien évidemment l'intérêt des possédants, des patrons de la grande industrie, mais aussi du peuple laborieux qui avait perdu tous les avantages sociaux conquis avant la guerre.

Des comités patriotiques à la production furent organisées dans le but d'améliorer le rendement des entreprises. Leurs pouvoirs très étendus ne manquèrent pas de soulever des conflits entre organisation syndicale et patronat.

C'est alors que se posa le problème des trusts qui avaient collaboré ostensiblement avec l'occupant allemand.

Comment fallait-il juger les grands Directeurs de la Navale sur leur attitude face aux exigences de l'ennemi ?

La loyauté de quelques ingénieurs était aussi sujette à caution aux dires de certains observateurs.

Furent également créés des comités d'épuration et les discussions sur ce thème prirent parfois un caractère violent, car certains ouvriers frappés par la répression réclamaient à juste titre des règlements de comptes. Ce fut le cas aux Chantiers de La Seyne comme partout ailleurs.

Les appels patriotiques lancés à tout le personnel ne pouvaient faire oublier les attitudes équivoques de certains cadres de l'entreprise soucieux de ne pas déplaire à l'occupant par crainte de perdre leur emploi. Rares furent ceux coupables d'un excès de servilité et encore plus rares les traîtres à leur patrie. Ceux des ouvriers, des syndicalistes surtout, qui s'étaient franchement battus par les sabotages, les distributions de tracts, l'organisation de grèves et qui auraient souhaité une épuration exemplaire dans nos chantiers, une véritable purge dans les personnels d'autorité, se bornèrent finalement à dénoncer et à fustiger par tracts le comportement des éléments tièdes et suspects. Et puis les semaines et les mois passèrent. Les rancoeurs, les ressentiments s'émoussèrent.

À cinquante ans de là, nous n'avons pas voulu ranimer ni raviver de fâcheuses querelles surtout dans une période où la population seynoise désorientée a besoin d'union, de convivialité, pour retrouver son identité détruite.

 

Verba volant, scripta manent

Malgré le désir d'anciens collaborateurs de faire disparaître des documents compromettants pour eux, malgré les destructions de la guerre et la disparition de précieuses archives, il existe tout de même des textes que l'histoire locale, à notre avis, doit conserver.

Voici quelques extraits de la correspondance du fameux chef des ateliers dont nous avons parlé précédemment et très significatifs d'une trahison manifeste.

Ces documents tirés des archives en partie sauvées de nos chantiers détruits avaient déjà été portés à la connaissance de la population seynoise au cours de réunions publiques organisées à la Bourse du travail au lendemain de la Libération. Quelques anciens s'en souviennent, mais la génération présente ignore leur existence.

La jeunesse d'aujourd'hui a certainement appris de ses maîtres d'école ce que furent les grandes trahisons historiques : celles des émigrés de Coblentz, des royalistes toulonnais de 1793, de Bazaine, pour ne citer que trois exemples.

Il y eut aussi celles de 1940 et leurs listes seraient fort longues à rappeler. Même s'il ne s'agit, comme à La Seyne, que de petits personnages, leurs actes odieux doivent être condamnés avec la même rigueur, depuis le mouchard du quartier ou de l'atelier jusqu'aux sommités de la Nation. Voici donc quelques échantillons de leur prose écrite, choisis parmi des centaines d'autres.

Voir l'ensemble des courriers confidentiels écrits par divers collaborateurs des nazis, notamment celui entre un Directeur des Ateliers et le Président du Syndicat des Industries Navales, indiquant l'emplacement des installations sensibles « que les armées d'occupation allemandes devraient détruire avant leur départ ».

Egalement :

- Un Directeur des FCM n'hésite pas à écrire au Comité d'Action Anti-Bolchevique que « depuis deux ans, nous luttons contre les éléments terroristes, beaucoup de ceux-ci sont dans l'impossibilité de nuire (...). Le gouvernement de M. Pierre LAVAL prend les mesures qui s'imposent pour assainir l'état d'esprit alarment dans lequel nous vivons (...). Les évènements actuels donnent aux fauteurs de trouble un espoir chimérique qu'il est de notre devoir de juguler avec une énergie particulière (...). Vous pouvez compter sur nous, toutes les Grandes Sociétés Françaises nous suivent et approuvent entièrement notre action dans tous les domaines. Il faut démasquer à l'intérieur, dans tous les milieux, les terroristes qui agissent sournoisement.- Le Bolchevisme n'a jamais été aussi agissant, guettant le moment propice pour replonger le pays dans des désordres plus graves qu'en 1936.- On ne saura assez que les malheurs de la France viennent de la politique criminelle du Front populaire.- Nous comptons sur l'appui du Grand Patronat Français qui est avec nous ».

- Le Directeur des Ateliers (Compte-rendu de l'entretien avec les Inspecteurs du Commissariat spécial de la Préfecture) : « Malgré les 18 ouvriers que nous avons fait condamner pour menées communistes à des peines variant entre 6 mois et 5 ans de prison, notre Etablissement a encore un pourcentage élevé d'extrémistes qui n'attendent que des succès russes pour refaire un nouveau Juin 1936 » (16 mars 1942).

- Le Directeur des Ateliers à M. Lamouche, Directeur Général des F.C.M. : « (...) Il reste actuellement 29 communistes dans nos ateliers provenant ces cellules des Forges et Chantiers.- Ils ont conservé l'amour de Staline et ne cachent pas leur joie lorsque les Russes remportent quelques succès.- Parmi ceux que j'ai fait condamner, ils sont sortis de prison et lorsque je les rencontre (...), je vois ces regards de haine dirigés vers moi, ce qui me fait penser que la lutte des classes n'est pas terminée.- Je n'ignore pas d'ailleurs, ce qui m'attend si les Soviets sortent vainqueurs de cette guerre » (16 juillet 1943).

Egalement, les notes du Directeur des Chantiers, M. Lamouche, entre la date de sa nomination (12 juillet 1943) et le 19 septembre 1944.

Pour la période ayant immédiatement suivi la Libération, voir les compte-rendus du Syndicat des Métaux, le bilan des sabotages aux Chantiers, les échanges entre le Directeur des Chantiers (M. Chevalier) et les Syndicats, les courriers relatifs à la création d'un Comité Local de Libération, d'un Comité d'Épuration et de Comités Patriotiques à la Production.

Refermons la page de la collaboration avec l'ennemi pour ce qui concerne l'entreprise des chantiers navals seynois.

Nul doute que les représentants vichystes, clique des ramassis du régime fasciste de Pétain, agissaient en liaison avec ceux de la Municipalité Galissard de sinistre mémoire, imposée aux Seynois par décret préfectoral du 21 mars 1941.

Ces lettres qu'on vient de lire et dont les signatures le plus souvent illisibles émanaient du principal meneur dénoncé il y a quelques instants qui avait pour titre « Directeur des ateliers » et que l'audace poussa même à se faire admettre pendant une courte période comme étant le Directeur des F.C.M. Il fut sans doute le plus dangereux des pro-nazis seynois. Avec le comité d'action anti-bolchevik (14, avenue de l'Opéra, Paris) auquel il collabora, il fut responsable de la mort de plusieurs jeunes Seynois dont nous tairons les noms par souci de ne pas atteindre l'honorabilité de leurs familles. Ces malheureux périrent dans la gigantesque bataille de Koursk, sur le front russe en 1943 où la légion française anti-bolchevik, comme la légion espagnole, furent complètement anéanties.

Des Seynois de la génération de la seconde guerre mondiale se souviennent de tous ces faits, dénoncés en leur temps. Qu'ils acceptent de tourner les pages de cette période sombre de notre histoire nationale et locale, mais qu'ils n'oublient pas !

Et maintenant, revenons à la construction navale que nous situons dans les années qui suivirent la reconstruction entre 1946 et 1966. Avec une rapidité surprenante, les plaies de la guerre furent pansées et presque guéries et cela, il faut le souligner sans cesse, avec des personnels courageux sachant s'adapter à des techniques nouvelles, avec des conceptions de la vie sociale tout à fait différentes du passé.

 

Entre 1946 et 1956 : De nouveaux bilans prodigieux

La population française et le monde du travail en particulier avaient parfaitement compris la nécessité impérieuse de redonner à la France ses capacités de production d'avant la guerre et mieux de les accroître.

Aux Forges et Chantiers, syndicats et patronat impulsaient avec vigueur les travaux appelés déjà aux diversifications. On sensibilisait le patriotisme et le civisme de tous. Mais il n'était pas incompatible que dans le même temps les travailleurs retrouvent les avantages conquis en 1936 et perdus pendant la guerre, et aspirent à une amélioration de leurs conditions de vie.

Le problème des revendications se posa évidemment malgré les appels aux sacrifices. Ce qui explique que dans cette période de 1947-1957 des grèves éclatèrent à La Seyne comme partout ailleurs en France. Les conflits « capital-travail » existent depuis toujours... et ce n'est pas fini !

Les mouvements ouvriers se multiplièrent chez les cheminots, les métallurgistes, les dockers. Ils coïncidaient avec des événements internationaux d'une telle gravité que le monde entrait dans une période qualifiée de guerre froide au point que la menace d'un nouveau conflit mondial n'était pas à écarter.

Les courants d'opinion s'affrontaient violemment dans les ateliers les uns favorables à l'indépendance des peuples, mouvement qui se développait à l'échelle mondiale, les autres, héritiers du colonialisme, désireux d'user de la force pour maintenir la présence française partout. On sait comment cette politique déclenchée en 1947 se termina en Indochine et quelques années après en Algérie.

Il y avait ceux qui acceptaient la volonté hégémonique des U.S.A. avec l'application de son plan Marshall, et d'autres partisans d'une politique d'indépendance nationale absolue.

Autre sujet brûlant : l'ascension fulgurante du communisme en Asie et ailleurs.

Les discussions passionnées, les discordes sur tous ces sujets ne pouvaient pas laisser indifférents le monde ouvrier et les syndicats, mais il s'en suivit des heures difficiles pour l'entreprise : les mouvements de grève furent réprimés violemment en 1947, les chantiers occupés militairement, le gouvernement de l'époque ne permettant même plus la distribution de tracts devant la porte de l'entreprise.

En 1948, à la suite de conflits internes dans le mouvement syndical, une fraction de militants de la C.G.T. se détacha pour créer un autre syndicat - appelé Force ouvrière - une scission de plus dans le mouvement ouvrier, après celles de 1921 et de 1931.

L'année 1953 vit aux chantiers navals une longue grève des soudeurs - un autre conflit en 1955 troubla profondément la vie seynoise avec l'occupation des ateliers pendant la nuit par les C.R.S.

Nous n'en dirons pas plus sur cette période agitée de la vie dans les chantiers. Nous laissons le soin à un autre historien d'approfondir ces problèmes du syndicalisme et des questions revendicatives que nous n'avons fait qu'effleurer à certains moments les plus épineux : fin du XIXe siècle et les périodes d'après chaque guerre.

Par contre, ce que nous allons souligner dans cette période de 1946 à 1956, ce sont les bilans impressionnants réalisés par l'entreprise malgré les luttes parfois sévères qui permirent aux ouvriers, techniciens et autres personnels d'obtenir des avantages substantiels.

Rappelons les efforts inouïs des personnels, toutes catégories confondues, pour rétablir les équipements et structures essentielles trois ans après la sinistre journée du 17 août 1944.

Les anciens quais reconstruits à partir de 1949, les premiers navires du programme naval furent livrés à la marine marchande. Quelques chiffres sont ici nécessaires pour mieux comprendre la réorganisation de l'entreprise.

La superficie de l'établissement portée à 250 000 m2 en comportait 75 000 de surface bâtie, avec un front de mer de 1 400 mètres.

Sur une longueur de 800 mètres, les quais furent pourvus de voies ferrées pour les grues (les titans). La distribution d'air comprimé, d'eau et de moyens de soudure fut assurée partout.

Vue de l'entrée des Forges et Chantiers et des voies ferrées pour les titans

Malgré les difficultés de toutes sortes, malgré la pénurie générale des métaux, l'équipement fondamental de l'entreprise fut rétabli au bout de deux années d'un travail acharné.

Les dragages importants permirent aux plus grands navires en armement ou en réparation avec un tirant d'eau de 9 mètres de pouvoir accoster sans difficulté. Les trois grandes cales situées à l'est de la darse d'armement furent pourvues d'avant-cales, et il fut alors possible de construire des navires de 220 mètres de long.

Des activités fort diversifiées reprirent à la grande satisfaction de tout le monde : patronat, classe ouvrière, commerçants, municipalités, étudiants, apprentis. Dans cette période d'ascension économique, on se souvient que les Chantiers de La Seyne et l'Arsenal maritime offraient de nombreuses perspectives à nos jeunes élèves de l'École Martini. Nous verrons par la suite comment les directions successives de ces grandes entreprises se préoccupèrent de la formation de leurs personnels. Pour ce qui concerne nos chantiers navals, nous consacrerons quelques pages à l'enseignement privé donné dans les ateliers par les ingénieurs, mais aussi des professeurs de l'École publique.

Dans l'espace de dix années, les effectifs du F.C.M. passèrent de 2 266 à 3 680 (dont 2 653 ouvriers).

Ce dernier nombre nous est donné par les statistiques de 1956. Passons sur le détail du nombre des ingénieurs, des employés, des dessinateurs, des agents de maîtrise.

À la fin de l'ouvrage, on lira un tableau comparatif des effectifs numériques et catégories à différentes époques qui montrera les fluctuations parfois troublantes de l'Entreprise.

Dans cette période de redémarrage, on construisit beaucoup de cargos dont les marchés avaient été passés à la fin de la guerre, alors que les ateliers n'étaient pas encore relevés de leurs ruines. Entre 1951 et 1954 furent livrés aux compagnies marseillaises Paquet et Messageries maritimes des navires tels que l'Oued Sous, l'Oued 212, l'Hilaire Maurel, le Foria, le Volta, l'Irraouaddi, l'Oued Ziz. Les structures techniques nouvelles apparaissaient chaque année, des améliorations incessantes facilitaient le travail des hommes tout en accroissant la productivité.

L'atelier des chaudières produisait maintenant des échangeurs de température, des condensateurs, des chaudières à circulation naturelle avec montée en pression rapide.

Le cintrage des tôles se faisait désormais par de puissantes presses hydrauliques. Les machines à souder de grande puissance avaient fait disparaître presque partout les équipes de riveurs frappant le métal rougi à grands coups de marteaux.

On créa aussi des fours à recuire, des appareils de contrôle pour vérification des soudures. Le bureau d'études avait vu son effectif passer à 220 personnes aptes à faire toutes les études de coque de machines, de chaudières, d'hélices. Tous les bateaux dont les noms suivent : Président de Cazalet, Kairouan, Koutoubia, Djenné, Lyautey, Ville de Marseille, Ville de Tunis, Côte d'Azur, Lisieux, El-Djezaïr ; les paquebots hollandais Ryndam et Maasdam, l'escorteur le Bordelais, furent équipés de la façon la plus moderne.

Le Kairouan

Sur les bords de la Manche

Dans le même temps, les Forges et Chantiers de la Méditerranée avaient toujours le contrôle des ateliers du Havre acquis en 1872 et dont nous avons déjà parlé (Chantier de Graville de 120 000 m2, atelier Mazeline de 75 000 m2).

Ces établissements comptèrent un effectif de 1 700 personnes. Pour donner une idée de leur importance, disons qu'après la dernière guerre, les F.C.M. des bords de la Manche totalisaient la construction de 510 navires de toutes catégories.

Il nous a semblé utile, compte tenu de l'étroite collaboration entre les Établissements de La Seyne et ceux du Havre, de consacrer quelques développements à ces derniers qui ont été capables de construire des navires de tous les types : croiseurs, torpilleurs, paquebots, dragueurs, cargos, remorqueurs, bacs fluviaux, équipements pour le génie, etc.

Ces ateliers du Havre acquirent une grande renommée après la construction des bateaux en service sur la Manche, dont les derniers nés furent dans les années 1950-1953 : le Lisieux, la Côte d'Azur.

Les ateliers Mazeline, c'était un ensemble d'ateliers de mécanique et de fonderie avec un parc de 250 machines-outils, qui produisirent les moteurs Sulzer F.C.M. avec des engrenages rectifiés pour des mécaniques de chars.

La fonderie pouvait donner des pièces pour moteur pesant jusqu'à 40 tonnes. La fabrication d'hélices de grand diamètre en laiton à très haute résistance devint une spécialité des ateliers Mazeline.

Dans cette période de 10 années (de 1946 à 1956) ils produisirent jusqu'à 160 000 CV de moteurs Diesel livrés à des chantiers de construction navale de France, d'Europe et du Canada. 500 mécanismes de chars d'assaut furent livrés, ainsi que 260 hélices en laiton coulées par leurs soins.

Ces quelques chiffres fragmentaires montrent l'importance et la diversité de la production des Chantiers de la Manche rattachés à la Société F.C.M., et dont beaucoup de Seynois ignoraient l'existence. Certes, ils n'avaient pas l'envergure des Chantiers seynois, mais il faut retenir qu'avec leurs 4 cales de lancement (la plus grande mesurant 120 mètres de long), avec une grue titan de 30 tonnes et quatre autres de 6 tonnes, leurs 150 mètres de quai, ils constituaient un complément appréciable à la construction navale seynoise.

Nous ne reviendrons pas sur l'extrême diversité de leurs productions. Il était nécessaire de rappeler comment les ateliers du Havre avaient été associés à la Société F.C.M.

Avant de quitter cette période de dix années que l'on peut qualifier de prospère, disons que l'Établissement de La Seyne présentait dans les années 1958-1960 un visage rajeuni, malgré les ravages de la guerre. Et cela répétons-le sans cesse, on le devait à la réputation et au savoir-faire de ses personnels : ouvriers, agents de maîtrise, employés, dessinateurs, ingénieurs, directeurs.

Il est impossible dans ces pages de dresser un bilan complet des réalisations spectaculaires, mais ces quelques résultats chiffrés seront tout à fait persuasifs.

Les principales livraisons furent : trois paquebots à turbines de 25 000 tonnes, trois paquebots à turbines d'un port en lourd total de 75 000 tonnes, 4 escorteurs de 1 290 tonnes, deux bananiers de 6 000 m3, deux chalutiers, 175 000 cv de turbines à vapeur et à gaz, sans parler de la refonte et de la réparation de nombreux navires, en particulier trois croiseurs et deux paquebots.

Il va sans dire que des travaux de modernisation de grande envergure avaient été nécessaires pour obtenir de tels rendements. Nous n'entrerons pas dans les détails techniques. Dans cette période du milieu du XXe siècle, les structures ne ressemblaient plus guère à celles de 1856, date de départ de la grande construction navale.

Les ateliers comportaient huit groupes dont les plus importants étaient la soudure, la tôlerie, la mécanique et les turbines, l'atelier des chaudières. Aux machines-outils classiques vinrent s'ajouter les machines les plus modernes pour souder et assembler les grands éléments préfabriqués par exemple les machines à découper au chalumeau, les soudeuses automatiques, les positionneurs, etc.

Les plus grands ateliers mesuraient de 130 à 135 m de long, leur largeur variait de 50 à 60 mètres.

Si autrefois les chaudières venaient de l'extérieur, on trouvait maintenant dans le nouvel atelier des chaudières de tous types, des échangeurs de température, des stations d'essais sous vapeur.

On y fit fonctionner aussi de grosses presses hydrauliques pour cintrer des tôles, des machines à souder de grande puissance, des fours à recuire.

L'année 1952 vit naître un nouveau bâtiment de la Direction de 90 m sur 18 m, qui regroupait les bureaux des ingénieurs, le bureau d'études et les services administratifs.

Ce bâtiment abritait 200 personnes aptes à exécuter toutes les études de coques de machines et d'hélice.

Dans ce personnel de direction, on trouvait des éducateurs qui s'occupaient spécialement de la formation des apprentis qui deviendraient un jour des cadres de l'entreprise. Ce problème majeur sera développé plus loin.

On comptait dans cette période quatorze grues d'une puissance variant de 4 à 80 tonnes... sans oublier le légendaire ponton-grue appelé Atlas, pouvant déplacer 150 tonnes. De grands ensembles préfabriqués prirent naissance sur des plate-formes extérieures aménagées à proximité des cales. L'accession à tous les grands ateliers : turbines, soudure, tôlerie... fut bien simplifiée.

Le légendaire ponton-grue Atlas, pouvant déplacer 150 tonnes

Au printemps 1956, quatorze grands bâtiments se trouvaient simultanément à différents stades de construction, dans nos chantiers, parmi lesquels sept grands cargos pour des armements norvégiens ou anglais, six navires de charge ou porteurs de minerais, et un escorteur pour la Marine française. Ces chiffres sont significatifs de la puissance de la production seynoise au profit de l'activité maritime.

Résumons en quelques phrases l'essentiel des réalisations de nos chantiers navals dans la période comprise entre 1946 et 1956 : en 1948, le bananier Djoliba fut mis en service pour la compagnie Fraissinet et suivi par les paquebots à turbines de 25.000 tonnes : Maroc, Lyautey, El-Djezaïr.

Dans la même période furent lancés onze cargos du type Euphrate, Duquesne, Volta, des escorteurs, des bananiers, des chalutiers ; des chars d'assaut (ARL de 44 à 50 t et AMX de 13 t) ; puis des turbines marines (licence Parsons).

On n'en finirait pas d'énumérer des travaux en tout genre et de montrer leur extrême diversité. On peut considérer que dans cette période les Chantiers de La Seyne étaient devenus les plus importants de la côte méditerranéenne avec un personnel d'élite qui s'élevait à quatre mille personnes environ.

On pouvait se satisfaire des résultats positifs et envisager l'avenir avec confiance, mais de temps à autre à la lecture de certains rapports administratifs, d'échos de presse, de textes publicitaires relatifs à la construction navale, de « fuites » émanant des Conseils d'Administration de l'entreprise, on apprenait des nouvelles troublantes.

Déjà, M. Lamouche, Président Directeur-général des F.C.M. n'avait-il pas signalé que l'armement privé français avait commandé à l'étranger plus de 130 000 tonneaux pendant le premier semestre de l'année 1950, et que de ce fait 57 cales de construction sur 76 risquaient de devenir vacantes ?

On comprend bien pourquoi les armateurs français agissaient ainsi. Ils estimaient bien trop chère la main-d'oeuvre française. Il était prévisible, dans ces conditions et surtout si des mesures n'étaient pas prises au niveau national pour assurer la défense des industries navales, comme les autres d'ailleurs, que le ralentissement de leurs activités entraînerait pour La Seyne des licenciements, des pertes de ressources importantes pour le budget communal et des conséquences désastreuses pour l'économie locale et régionale.

Les syndicats des chantiers s'inquiétèrent de cette situation et la municipalité de l'époque, soucieuse avant tout des problèmes de l'emploi, allait prendre la tête d'une lutte acharnée contre les affairistes, les financiers au plus haut niveau, qui se souciaient peu de l'intérêt de la classe ouvrière et d'une façon plus générale, des intérêts nationaux.

Dans sa séance du 18 août de cette même année 1950, le conseil municipal présidé alors par Toussaint Merle avait protesté contre le lancement du paquebot Provence dans les Chantiers de Newcastle, en Angleterre.

Nous reviendrons longuement sur ces problèmes de défense de la construction navale qui allaient se poser d'une façon dramatique.

De nombreux travailleurs estimaient que les propos tenus par les syndicats (surtout la C.G.T.) et la Municipalité péchaient par excès de pessimisme, car les bilans étalés de 1950 à 1961 furent impressionnants.

La diversification des travaux se poursuivait avec des paquebots, des cargos, des minéraliers, des navires militaires, des car-ferries, des transports de gaz liquéfié, des méthaniers, des chars d'assaut, des chalands amphibies de débarquement, des charbonniers, des bananiers, etc.

La construction d'un prototype de « naviplane », technique très à l'avant-garde pour l'époque fut réalisée. Également la première jumboïsation (technique qui consiste à allonger un navire en intégrant dans la partie centrale des éléments de coque, spécialement pour les pétroliers.

Sans vouloir trop allonger les nomenclatures, citons quelques noms de bateaux à la construction desquels de nombreux Seynois participèrent.

Escorteurs de la marine : le Normand, le Lorrain, le Savoyard, le Vendéen.

Cargos : Zagora, Roald Amundsen, Wate Creat, Tide Crest, Arthur Stove, Prins Dam, Moltzaus, Tchibanga, Tidra, Gange, Jules Verne.

Au total plus de soixante navires de types divers.

Ce magnifique bilan avait été obtenu grâce aux possibilités d'une grande diversification, à des prix très compétitifs, à la construction de plusieurs types de navires simultanément dans des détails rapprochés.

En présence de tels résultats significatifs, on imaginait mal que la construction navale allait péricliter dangereusement à bref délai.

Et pourtant !

Marquons maintenant une halte sur les problèmes techniques de la construction navale pour évoquer un aspect humain : la formation des ouvriers et des cadres, question primordiale à laquelle les directions des chantiers navals ont porté une grande attention comme on pourra en juger et dont la solution ne se réalisa qu'avec beaucoup de lenteur en fonction des coutumes et des opinions en cours sous les régimes politiques de notre pays : la Royauté, l'Empire, la République, l'État fasciste...

L'une des lois les plus anciennes relatives à ce sujet date du 12 février 1841, à l'époque précisément des premiers chantiers navals en fer. Cette loi parle de la modernisation de l'apprentissage.

Voici à titre documentaire l'essentiel de son contenu et quelques commentaires de la presse d'antan :

- « L'apprenti ne doit pas faire de travaux étrangers à sa profession, pas de travaux insalubres ou au-dessus de ses forces ».

- « La journée est limitée à 10 heures pour les moins de 14 ans à 12 heures pour les jeunes de 14 à 16 ans ».

- « Le travail est interdit de nuit pour les moins de 14 ans ».

- « L'apprenti ne peut être employé le dimanche que dans la matinée et seulement pour la mise en ordre de l'atelier. S'il ne sait pas lire, on doit lui accorder deux heures par jour pour son instruction ».

- « En général, il est bien traité et cependant des taloches sont distribuées sans que les parents ne s'insurgent contre le procédé ».

- « On lui enseigne son métier avec beaucoup de lenteur car les patrons craignent que, trop vite formés, ils aillent travailler ailleurs... et puis ils servent aussi très souvent de manoeuvres ».

- « Des patrons abusent. Ayant à charge un apprenti, il arrive qu'on le fasse se lever avant 5 heures du matin et travailler jusqu'à 8 heures ou 9 heures du soir ».

Fort heureusement, les choses ont bien changé depuis et voyons comment elles ont évolué à La Seyne.

 

La formation des apprentis aux F.C.M.

De tout temps, dans le monde de l'artisanat et de l'industrie, il a fallu penser à l'éducation des ouvriers. Les patrons d'autrefois exigeaient plusieurs années de préparation. Comme il n'existait au niveau de l'État aucune réglementation, les entrepreneurs, les chefs d'entreprises avaient la liberté absolue d'organiser la formation des apprentis comme ils l'entendaient.

Mais l'évolution progressive de la société, des structures économiques, des lois sociales, depuis l'ancien régime du Moyen Age vers la grande industrie du XIXe siècle posa au législateur des problèmes de plus en plus complexes. Leur solution n'intervint qu'avec une extrême lenteur. Nous allons le montrer plus spécialement sur les thèmes de la construction navale pour ne pas sortir du cadre de notre historique.

Rappelons le travail accompli dans nos petits chantiers de construction navale en bois évoqués dans les pages précédentes (Lombard, Jouglas, Baudoin, Argentery, Curet,...).

Les maîtres charpentiers, les menuisiers de l'époque n'avaient pas suivi eux-mêmes des cours dans les lycées techniques et ils savaient donner aux tartanes, aux goélettes des formes superbes, assembler admirablement les membrures, les quilles et les étraves, assurer un équilibre parfait aux navires et une résistance incroyable à la violence des flots. Et cela avec un outillage que nous qualifions aujourd'hui de primitif : des haches, des scies, des tarières, des vilebrequins, des rabots, des tournevis.

Ils savaient très bien imiter les constructeurs de trières, de galères, des galions des temps antiques.

Ces travailleurs courageux de nos chantiers des XVIIIe et XIXe siècles avaient appris à travailler grâce aux précieux conseils de leurs aînés qui avaient eux-mêmes enrichi leur savoir par la pratique et la routine.

On n'entrevoyait même pas de leur donner une instruction générale et quand on employait des enfants comme calfats ne disait-on pas qu'il n'était pas nécessaire de savoir lire et écrire pour coincer l'étoupe entre les bordages ? Puis naquirent les constructions métalliques où apparurent de nouveaux métiers comme les tôliers, les riveteurs. Là encore on ne vit pas la nécessité d'études théoriques pour découper des plaques de fer, les assembler par des rivets chauffés au rouge, écrasés à coups de marteau.

Au début du XXe siècle, en 1913 plus précisément, des voix s'élevèrent au Parlement pour parfaire l'instruction générale des apprentis. Pour ce faire, l'État encouragea les Municipalités à prendre des initiatives.

Remarquons au passage que nos édiles seynois de la fin du XIXe siècle avaient déjà bien compris la nécessité de favoriser et de développer l'enseignement professionnel, puisqu'une délibération de mars 1880 décide la construction d'un hangar à côté de l'École Martini pour y installer un atelier. En décembre de la même année, le conseil municipal délibère pour bénéficier des subventions décidées par le Ministère de l'Instruction publique, lequel ne prendra sérieusement en main le problème de l'Enseignement technique qu'en 1919 avec la loi Astier.

En 1882, un bâtiment destiné à servir d'atelier de menuiserie fut construit contre les murs de l'École Martini. Dans les années qui suivirent et dans le prolongement de la menuiserie furent édifiés les ateliers d'ajustage et de chaudronnerie en bordure de la rue Jacques Laurent.

Des milliers de Seynois se souviennent encore de ces vieilles structures disparues où ils apprirent leur métier qui les conduisit aux Chantiers Navals ou à l'Arsenal. Des postes de maîtres de travail manuel sur bois et sur fer furent créés.

À partir de 1891 une collaboration fructueuse s'établit entre les municipalités, celle de M. Saturnin Fabre en particulier et les Forges et Chantiers qui détachèrent les premiers chefs d'atelier. Nous avons en mémoire les noms de Zali, Ugou (menuiserie - ajustage) et plus tard Sauvaire (à la chaudronnerie, construite en 1900).

Cette collaboration, comme nous le soulignerons plus loin, se poursuivra sans discontinuer jusqu'à la disparition des Chantiers. Même après la disparition de l'École Martini à laquelle succédèrent le Lycée Beaussier et le Lycée technique Langevin (établissements d'État), les relations furent constantes entre Chantiers navals et Éducation nationale, et très bénéfiques à la fois pour les professeurs et les structures d'apprentissage dont il sera question plus loin avec l'École technique privée des C.N.I.M.

Revenons à nos municipalités du début de notre siècle qui prirent à leur charge la moitié du salaire des professeurs d'atelier, l'autre moitié étant payée par la Société des F.C.M. - qui poussèrent à la création des cours d'adultes surtout après l'édification de la Bourse du travail. Dans des locaux spacieux et confortables, les jeunes gens recevaient gratuitement des cours de dessin industriel et de mathématiques.

Il avait fallu en 1901 un crédit municipal de 600 francs pour payer les professeurs spécialisés dans ces disciplines.

Les municipalités Armand et Juès (1908-1910 et 1910-1912) proposèrent la création d'une section industrielle à l'École primaire supérieure de La Seyne et poussèrent leurs démarches au niveau le plus élevé, auprès de M. Painlevé, alors Ministre de l'Instruction publique. La Société des Forges et Chantiers fut également sollicitée pour apporter à la structure envisagée des outils et des machines. Hélas ! le projet ne vit pas le jour, le ministère craignant sans doute une atteinte à l'enseignement général.

Ce ne fut qu'à partir de 1920 que les problèmes de l'apprentissage dans notre ville de La Seyne prirent une tournure plus nette.

D'importants crédits de la Municipalité Mazen facilitèrent la création de l'École pratique d'industrie, embryon de l'Enseignement technique. Ce fut un décret du 6 octobre 1923 qui créa l'École pratique de commerce et d'industrie qui rassembla à ses débuts une trentaine d'élèves.

Il est donc prouvé de manière concrète que les municipalités républicaines seynoises ont eu le souci constant d'instruire la jeunesse et de faciliter pour elle un enseignement professionnel, de telle sorte qu'elle ne connut pas le fléau du chômage avec les débouchés que lui offrirent les Chantiers Navals et l'Arsenal pendant plus d'un demi-siècle.

La direction des F.C.M., tout naturellement, s'intéressait à la formation des apprentis. Ne lui fallait-il pas de bons ouvriers qui deviendraient de bons contremaîtres pour produire des ouvrages de qualité supérieure ?

D'après les statistiques officielles, nous savons que des centaines d'enfants et d'adolescents étaient admis dans les chantiers comme manoeuvres. Ils effectuaient de petits travaux, servaient les ouvriers en outillage, transportaient de menus fardeaux, rendaient maints services appréciables dans les ateliers et surtout là où leur sécurité était assurée. Il était normal d'envisager que ces jeunes gens apprendraient véritablement le métier dont ils étaient chaque jour les témoins. On pouvait envisager comme cela se faisait dans certaines industries de passer des contrats entre familles et entreprises, mais pendant longtemps les unes et les autres tâtonnèrent en fonction des réformes de l'Enseignement, de la prolongation de la scolarité.

Alors la Direction des Chantiers procéda de la façon suivante : elle organisa des cours entre 1920 et 1942 confiés à des agents de maîtrise, et les apprentis travaillaient dans des boxes qui leur étaient réservés dans les ateliers de production.

Les cours théoriques étaient dispensés par des ingénieurs des chantiers tels que MM. Perron, Evano, Scarrone, Ravel, Guiol, Garier, Menville...

L'enseignement général (français, calcul, sciences) était assuré par des professeurs et instituteurs de l'École Martini tels que MM. Turquay, Burg, Penciolleli.

La pratique des métiers suivants était enseignée : traçage, serrurerie, chaudronnerie, ajustage, électricité, menuiserie, charpentage marine. Dans la période de 1929 à 1942 les apprentis affrontaient un C.A.P. dont le caractère était particulièrement local. Les professeurs du C.E.T. Martini choisissaient et corrigeaient les épreuves en accord avec les ingénieurs des F.C.M.

Les documents de cette époque nous apprennent que de 1929 à 1942, ont été formés 384 apprentis dont 256 obtinrent le C.A.P., soit 66 %.

Les responsables de l'organisation furent successivement avant 1942, les ingénieurs Ravel et Paoli. Durant les années de la guerre sous l'impulsion de MM. Scarrone et Christol, les élèves furent groupés dans quatre classes spécialisées, mais les élèves de 2e et 3e années continuaient leur formation dans les ateliers.

La guerre causa évidemment les plus grands désordres dans la formation des apprentis. Après le bombardement du 29 avril 1944, la Direction dispersa professeurs et élèves et malgré la tourmente des alertes fréquentes, les apprentis passèrent néanmoins leur C.A.P.

À leur départ des chantiers, les Allemands détruisirent le 17 août les ateliers, la quasi-totalité de l'outillage, et les locaux de l'école des apprentis furent rendus inutilisables.

Au début de l'année 1945, l'école fut tout de même réorganisée, elle fonctionna dans des baraquements sur le terrain où exista par la suite le « self-service ».

La reconstruction des locaux administratifs, des bureaux, de la rotonde permit de reloger l'école confortablement dans le long bâtiment qui longeait la place de la Lune, plus précisément le boulevard Albert Ier, devenu boulevard Toussaint Merle.

Par rapport à l'Éducation nationale, cette école d'apprentissage n'était pas dans une situation administrative régulière. En 1955, elle fut légalement ouverte sous le nom d'École technique privée après le dépôt d'un dossier complet précisant les buts, les effectifs, les locaux, les professeurs, etc.

Voir : Histoire de l'École technique privée

Refermons la parenthèse sur la formation des apprentis pour résumer en quelques pages l'histoire des dix années qui précédèrent la grande crise de 1966.

Cette période fut fertile en événements de toutes sortes, tantôt porteurs d'espérances, tantôt néfastes et chargés de douloureux présages.

 

Menaces de fermeture des chantiers - Réactions de la classe ouvrière et de la population

Après les menaces de 1950, il fallait se souvenir des enseignements de l'histoire du passé seynois. À plusieurs reprises, le plein emploi avait subi de rudes atteintes par intermittences, certes, mais l'activité des grandes entreprises a toujours dépendu pour une grande part des conjonctures nationales et internationales. Les précisions que nous avons apportées pour le XIXe siècle ont montré que malheureusement les travailleurs furent toujours les premières victimes du marasme économique.

Les difficultés ont eu des causes multiples. N'est-il pas vrai que des entreprises de l'importance de nos chantiers navals n'eurent pas toujours à leur tête des dirigeants d'une égale compétence, que les progrès techniques entraînèrent des réductions d'horaires d'où s'en suivaient des licenciements, le chômage, les déplacements de personnels vers d'autres chantiers ?

Dans la période évoquée ici, les événements allaient prendre une tournure particulièrement dramatique.

En 1952 se précisaient des bruits de réduction d'effectifs, le Maire Toussaint Merle, remarquable par sa combativité au service de ses concitoyens, attira l'attention du conseil municipal sur la gravité de la situation économique locale. Il proposa la constitution d'un comité de défense de la Navale sous l'égide de la municipalité.

Des appels furent lancés à une multitude d'associations (syndicats de toutes tendances, commerçants, artisans, partis politiques, etc.). Ils ne furent entendus que partiellement. Sans doute la couleur de la municipalité ne plaisait pas à tout le monde et ses adversaires l'accusaient facilement de démagogie dans les perspectives d'une prochaine campagne électorale.

Dans les années qui suivirent, entre 1956 et 1958, Toussaint Merle alors député et membre de la Commission de la Marine marchande à l'Assemblée nationale, intervint fréquemment en faveur des travailleurs des Forges et Chantiers de la Méditerranée. Malgré les avertissements réitérés, le pouvoir de l'époque envisageait sérieusement un plan de disparition de certains chantiers navals, dont celui de La Seyne.

La presse du syndicalisme n'arrêtait pas de protester contre la politique des grands groupes financiers appelés : Schneider, Loire Penhoët, Worms, Banque de Paris et des Pays-Bas, Lazard, Rothschild, qui laissaient péricliter la Construction navale alors que cette industrie représentait un seul secteur de leurs activité, mais un secteur capital pour l'intérêt de la nation et du peuple travailleur et cela à un moment où les besoins de l'activité maritime allaient croissant.

Ne fallait-il pas des cargos, des pétroliers, des minéraliers, des méthaniers, des bateaux de tourisme, des bateaux de pêche ?

La France possédait des chantiers d'une extrême performance, des ingénieurs et des ouvriers de valeur ; la Navale était pour elle l'une des plus vieilles industries florissantes. Il paraissait inconcevable que l'on s'orientât de plus en plus vers leur fermeture, alors que les économistes du plus haut niveau s'efforçaient de démontrer que :

1. Le sort de l'armement français était tributaire de la construction navale.
2. La plus grande partie des navires étant sous-traitée, la construction navale faisait travailler la plupart des branches industrielles.
3. La Construction navale n'avait-elle pas un rôle stimulant qui faisait progresser d'autres techniques ?
4. La Navale n'avait-elle pas le caractère d'une industrie essentiellement exportatrice facilitant la rentrée des devises ?

 

La revue Méditerranée (1958)

À ce point de notre récit, intercalons ici une courte parenthèse pour signaler une innovation d'un caractère tout différent des problèmes techniques évoqués jusque-là. En 1958, une équipe composée d'ingénieurs, d'employés, d'ouvrier, imagina la confection d'une revue intitulée Méditerranée, considérée comme un moyen d'information et de liaison de tous les travailleurs de l'entreprise. L'équipe de rédaction fut supervisée au début par M. Veyssière, directeur, puis par M. Charron.

L'ouvrage destiné gratuitement au personnel parut entre 1958 et 1965 et disparut avant l'année 1966, dont il sera question longuement dans les pages qui suivent.

Les auteurs voulurent décrire la vie dans les chantiers en évitant toutefois les aspects revendicatifs dans le souci de ne pas se substituer aux syndicats. Ils souhaitaient d'abord tenir les travailleurs au courant des activités de l'entreprise sous la rubrique Le point du mois, du progrès des techniques, de l'avancement des travaux, des commandes en cours, des projets, des lancements, avec parfois des retours sur le passé glorieux de la Construction navale seynoise. La revue prenait parfois un caractère d'intimité familiale avec les naissances, les mariages, hélas aussi les décès, les départs au service militaire, le retour des jeunes qui étaient alors sûrs de retrouver leur place. Il y était aussi question du fonctionnement de la coopérative d'achat, des problèmes de l'enseignement et de l'apprentissage pour apporter aux jeunes gens des lumières sur leur propre avenir.

Une rubrique féminine intéressait des centaines de travailleuses aux problèmes de l'enfance, de la mode.

Les aspects de la vie culturelle et sportive n'étaient pas oubliés. On y trouvait des textes littéraires, des récits, des contes en langue provençale signés « Toni ».

Par ce moyen de liaison précieux les personnels étaient informés avec précision sur les problèmes médicaux.

Indiquons au passage que depuis 1947 existait dans l'entreprise un service médical dirigé par un médecin spécialiste des accidents du travail, assisté d'une infirmière et de 3 infirmiers.

La revue fit aussi état pendant plusieurs années des prêts à la construction et des possibilités d'accession au logement pour les ouvriers par une participation financière des F.C.M. à l'office municipal H.L.M. On voit donc que les sujets d'intérêt ne manquaient pas pour étoffer le contenu de la revue ; et ce à quoi les rédacteurs devaient penser aussi, c'était à apporter toutes précisions sur les tâches à accomplir, en rappelant les devoirs de chacun.

 

Les menaces se précisent à partir de 1959

En 1959 parut le fameux « Livre blanc de la Construction navale » rédigé par M. Merveilleux du Vignaud où apparaissaient en filigrane les intentions de l'État d'aller rapidement vers des concentrations industrielles d'où, bien évidemment il fallait prévoir une réduction des effectifs, une limitation de la production. Il faut rappeler qu'il y avait 14 chantiers de construction navale en 1947. En 1958, il en restait huit dont 3 seulement pouvaient construire de grosses unités.

En 1947, la Navale comptait 40 000 ouvriers. Six ans plus tard, ce nombre était descendu à 30 000 et le Ve plan prévoyait qu'en 1970 l'effectif ne devrait pas dépasser 17 500. Par la fusion et la concentration des activités de tous les ateliers, les autorités compétentes affirmaient qu'il ne serait plus toléré qu'un seul chantier sur chaque façade maritime de la France.

Dans sa séance du 8 octobre 1959, le conseil municipal adopta une importante résolution qui soulignait les menaces de crise dans l'industrie navale en faisant référence aux déclarations du Ministre du travail devant les représentants de la presse spécialisée. Le Ministre avait expliqué la nécessité d'une reconversion qui serait totale pour certains chantiers.

De son côté, M. Vayssières, Directeur des F.C.M. dans son ordre de service du 11 octobre disait : « l'ensemble des chantiers se trouve placé devant le problème du changement d'orientation d'une partie de son activité… La reconversion pourra être totale dans certains chantiers et partielle dans d'autres... ». Les chantiers touchés par cette reconversion totale n'avaient pas été désignés.

Et l'on sut tout de même ce que M. Vayssières n'avait pas dit, à savoir que le rapport de la commission Merveilleux du Vignaud adopté par le gouvernement prévoyait le maintien en activité de trois chantiers seulement : Dunkerque, Saint-Nazaire et La Ciotat.

Il y avait donc pour les Chantiers de La Seyne une menace de reconversion totale, ce qui provoqua de multiples protestations au sein des assemblées locales : syndicats, associations, municipalité. Les résolutions adoptées insistaient sur les conséquences dramatiques des mesures gouvernementales sur la vie de la population, (chômage, misère, paralysie du commerce local, incidences désastreuses sur le commerce local et sur les budgets communaux).

La fédération de la métallurgie apportait ses solutions qu'on peut ainsi résumer : semaine de 40 heures sans diminution de salaires, retraite à 60 ans, rupture des liens qui attachaient la France au Pacte Atlantique et au Marché Commun afin de permettre à la Société des F.C.M. de commercer avec tous les pays du monde : Chine et U.R.S.S. comprises.

Cependant, malgré les menaces réelles de crise, les journaux financiers et les dirigeants de la Construction navale multipliaient les déclarations lénifiantes.

Le 23 juin 1960, M. André Lamouche, Président du Conseil d'Administration des F.C.M. déclare : « Notre société grâce à l'amélioration de ses installations et à la réduction de ses prix de revient se trouve actuellement nettement compétitive ». Il ajoute peu après : « Les possibilités de commandes pour l'étranger sont grandes ».

Le 29 juin 1962, M. Chevalier, nouveau président du Conseil d'Administration depuis décembre 1960 est satisfait de l'entreprise qu'il dirige et déclare : « Notre société possède aujourd'hui à La Seyne un magnifique outil de constructions de navires » et l'année suivante, dans « La Correspondance Économique » précise : « Les F.C.M. ont l'équipement nécessaire pour construire n'importe quelle unité de guerre ou bâtiment de commerce, et tous les accessoires nécessaires aux navires et aux ports ».

Cette dernière citation date du 11 juillet 1963. Malgré les déclarations encourageantes et qui se voulaient rassurantes pour les travailleurs quant à la sauvegarde de leur emploi, on comprenait que le pouvoir politique finirait par capituler devant les exigences des grands de la finance qui envisageaient un plan de disparition de certains chantiers navals dont ceux de La Seyne, ce qui impliquait déjà l'asphyxie économique de l'aire toulonnaise.

Certains économistes pensaient avec beaucoup de conviction à l'Europe de demain dont la réorganisation permettrait de résoudre les grands problèmes sociaux. Ils estimaient nécessaires des licenciements dans les industries navales et les autres, ce que les travailleurs concernés ne pouvaient guère apprécier. Les mauvais coups furent portés en 1964. Le 3 septembre de cette même année, la direction annonça 389 licenciements.

Les syndicats protestèrent avec véhémence, car il était démontré qu'il y avait du travail. La Direction des chantiers reconnaissait que la masse des produits à transporter augmentait sans cesse : denrées comestibles, pétrole, automobiles, minerais, ce qui explique que les demandes de navires existaient et que l'on pouvait garantir l'emploi. Les syndicats demandaient par ailleurs la nationalisation de la Marine marchande et la transition du fret français sous pavillon national. Dans cette période, d'importants programmes furent réalisés.

L'El-Kantora pendant le lancement

Des minéraliers (jusqu'à 32 000 tonnes) comme le Gérard LD ; le Sagafjord, le King Leonidas, le Lens, le Pengall ; des cargos de 15 000 t dont voici quelques noms : Estancia, Sierra, Primavera, Hortensia, Southwick, Dahlia, Nurith, Oriental Vénus et bien d'autres dont l'énumération serait bien longue.

Ajoutons à tout cela des car-ferries, des paquebots comme le Napoléon par exemple.

Outre toutes ces réalisations grandioses de nos chantiers, la Direction avait réussi à créer le M.I.T., organisme capable de produire du matériel et des installations terrestres : des biens d'équipement destinés à des branches d'activités fort diverses comme le pétrole, la chimie, la sidérurgie, la mécanique lourde, l'incinération des résidus urbains, le dessalement d'eau de mer, l'énergie nucléaire, les escaliers mécaniques, les convoyeurs à passagers.

Montage de la coque du Pengall

Dans le même temps, les procédés de jumboïsation de pétroliers que nous avons déjà évoqués devenaient des opérations familières aux techniciens de l'entreprise. On le verra avec des bateaux comme l'Isara, l'Isidora, l'Isomeria.

Puisqu'il y avait tant de choses à faire, puisque les chantiers étaient à la pointe du progrès et trouvaient toujours des moyens pour diversifier leurs fabrications, puisqu'il y avait du travail en perspective pourquoi donc vouloir appliquer des plans de malheur, disait-on dans les ateliers et aussi dans la population.

Ce IVe plan qui avait prévu la réduction des effectifs de la Navale de 39 000 personnes en 1960 à 27 000 en 1965 ! Et ce Ve plan dont les objectifs à atteindre étaient de passer à 17 000 emplois en 1970 !

Serait-il possible que des gouvernements démocratiques laissent s'accomplir de telles injustices en plongeant des centaines de familles dans le plus grand dénuement ?

La municipalité Toussaint Merle s'efforça de ranimer le Comité de défense de la Navale, en sommeil depuis 1952, boudé par des formations syndicales qui prétendaient ne pas vouloir faire de la politique. Et pourtant n'aurait-il pas fallu envisager de revoir les conditions draconiennes du Plan Marshall et du Pacte Atlantique imposés par des gens qui faisaient de la politique, mais pas celle favorable au monde ouvrier ?

Les cercles officiels de l'industrie navale cherchaient à calmer les inquiétudes et laissaient entendre que la construction des chars d'assaut pourrait compenser le ralentissement de l'activité maritime proprement dite.

On ne disait pas que la construction des chars n'exigeait qu'une main d'oeuvre réduite et très spécialisée.

Ce que l'on ne rappelait pas assez, c'est que les constructeurs français profitaient tout de même de l'aide à la construction navale instituée depuis plusieurs années. Il ne serait pas inutile de revenir sur l'attitude des grands groupes financiers préoccupés de faire fructifier leurs capitaux ailleurs que dans la Navale.

Tout cela déclenchait des polémiques sans fin. La situation s'aggravait de jour en jour et le bruit courut que les F.C.M. se trouveraient bientôt en état de cessation de paiement. Que faire pour sortir de ce marasme ?

Dans cette période, apparut le grand seigneur de la mer Onassis qui sembla s'intéresser à la fabrication des chars (AMX). Ses projets n'eurent pas de suites favorables.

Le rapport du Conseil d'Administration de l'exercice 1965 exposa l'origine et la nature des difficultés auxquelles se heurtait la construction navale seynoise, en premier lieu la concurrence japonaise qui, déjà, absorbait la moitié des commandes mondiales.

Pour y faire face, les dirigeants s'étaient orientés vers les activités de reconversion et il y en avait deux prédominantes dans cette période : la construction des chars d'assaut et les usines d'incinération.

La fabrication des engins blindés représentait en 1963, 40 % de l'activité de la société.

Hélas ! En 1964, ce fut l'arrêt total de ces activités alors qu'elles avaient été promises jusqu'en 1970. D'où vint cette décision ? On ne sait trop.

Pour les usines d'incinération, ce fut la même déconvenue. Les commandes escomptées ne furent pas notifiées. Alors le Conseil d'Administration expliqua la nécessité pour lui de faire face à un problème de sous-emploi.

D'où la nécessité d'entreprendre de nouvelles études de recherches pour la conquête d'autres reconversions. Et l'on sait, disaient les patrons, qu'elles sont toujours longues et coûteuses.

Par surcroît, rappelons les investissements importants de la société des F.C.M. pour l'acquisition nécessaire à l'essai des chars d'assaut, problème qui avait provoqué des difficultés entre la Direction des chantiers et la Municipalité en raison de la détérioration des routes, la « corniche » de Tamaris en particulier.

Se faisant l'écho des protestations de la population des quartiers des Sablettes, Mar Vivo, le Conseil Municipal délibéra dans les années 1955-1956 pour demander l'interdiction des excès de vitesse des engins blindés.

Ajoutons à cela une aide problématique de l'État évidemment complice de la disparition des industries navales. Tout cela suffit à expliquer qu'à la fin du premier semestre 1965, la crise financière apparut à travers les comptes de la trésorerie.

Voilà les raisons essentielles des événements graves dont la relation suit.

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