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Avant d'entrer dans le vif du sujet quelques propos liminaires m'ont paru nécessaires pour expliquer au lecteur les raisons de ce texte au caractère plutôt sinistre, comme l'estimeront sans doute certains esprits chagrins.
S'il m'arrive de glisser dans mes récits de souvenirs, des anecdotes plaisantes, voire incongrues, ce ne sera pas le cas ici, les évocations du passé lointain et même celles plus proches de nous, étant le plus souvent douloureuses et même dramatiques.
Hélas ! L'histoire des humains n'est pas faite que de bonheur, d'événements agréables à vivre, de satisfactions, de succès. Comme partout ailleurs la population seynoise eut à subir des malheurs en tout genre, les mauvais coups du sort avec les guerres mondiales, les guerres coloniales, les épidémies mortelles, les explosions des structures militaires, fréquentes autrefois.
On peut ajouter à tous ces désastres les accidents du travail de la Navale, puis les accidents de la route, les crimes crapuleux, les sévices du nazisme, du racisme et dont les atrocités sont toujours présentes dans nos souvenirs malgré le temps écoulé.
Notre cimetière porte témoignage de tout cela. Au début de mon siècle, les progrès de la science n'avançaient que très lentement dans le domaine de la médecine. On mourait de la tuberculose, de la typhoïde, de la méningite et la mortalité enfantine atteignait jusqu'à 15 % des bébés, alors que les adultes dépassaient rarement 70 ans.
Nos anciens se résignaient souvent en disant : « Il faut bien mourir de quelque chose ! ».
Il y eut aussi ceux qui acceptaient la guerre comme une fatalité.
Depuis, les scientifiques ont apporté les preuves qu'il était possible d'améliorer la santé des êtres humains et de prolonger leur existence de manière appréciable.
Les pacifistes, de leur côté, s'évertuaient à trouver des solutions aux problèmes de la paix et de la guerre qui ont fait tant de mal à l'humanité. Dans ce domaine, la partie est loin d'être gagnée.
Revenons à notre petite patrie seynoise et aux soucis quotidiens de nos concitoyens.
Indépendamment des grands événements qui marquent l'histoire n'est-il pas vrai que chaque jour qui passe apporte des deuils dans les familles, suites des maladies, des accidents aux causes multiples, des crimes et autres forfaits ?
Tous ceux que le malheur frappe ont généralement le souci de donner à leurs défunts une sépulture convenable. Depuis la plus haute Antiquité, le culte des morts existe et se pratique de façons fort diverses suivant les coutumes ancestrales, les religions et aussi les moyens financiers. Certains de nos concitoyens estiment que les témoignages de respect et de reconnaissance doivent se mesurer à l'importance des structures architecturales, des statues, des grilles en fer forgé, des objets de souvenir. Quelle erreur ! Quelle injustice !
On peut voir chaque jour des gens se recueillir devant les tombes, discrètement sans apporter de fleurs, sans marmonner des prières, ni faire un signe de croix. Leur culte intérieur est tout aussi respectable que celui des bâtisseurs de chapelles, d'autels ou de stèles. Voilà les premières remarques que je voulais faire avant d'entrer dans la genèse des nécropoles seynoises. Comme nous le verrons plus loin, il y en eut plusieurs : celle du sommet du Vieux Six-Fours, celle de Saint-Mandrier, rattaché autrefois à La Seyne, celle du jardin du presbytère actuel, celle du quartier Saint-Honorat.
Quand on entre dans des nécropoles, on éprouve des sentiments mitigés faits à la fois de tristesse et de pitié mais aussi de révolte en présence des souvenirs gravés dans la pierre qui rappellent des disparitions prématurées ou des événements atroces ayant précédé les malheurs individuels ou collectifs. Et l'on se pose toujours les mêmes questions. Pourquoi tant d'injustices ? Pourquoi ces inégalités devant la mort ?
On sait que les Pharaons et les Empereurs romains reposaient dans de riches sépultures (des pyramides gigantesques par exemple) alors que les esclaves bâtisseurs devaient disparaître sans laisser aucune trace.
Ces inégalités, à une échelle moindre certes, existent aussi à La Seyne. C'est pourquoi dans ce sujet : « Mémoires d'entre tombes », j'ai voulu les édulcorer en rendant hommage à tous les disparus, quelle que fût leur condition sociale, à tous ceux qui ont fait notre cité par leur travail acharné, leurs peines parfois immenses, leurs douleurs face à l'adversité, leur courage, leur conscience, leur volonté d'améliorer les conditions d'existence dans notre communauté seynoise.
Vingt générations d'ouvriers, d'administrateurs, de paysans, de pêcheurs, d'ingénieurs, de médecins, de mariniers, d'artisans, d'officiers, de magistrats ont fait l'histoire de La Seyne ; ce qui corrobore pleinement la parole du poète qui a dit : « C'est la cendre des morts qui créa la Patrie ».
Bien entendu, il ne sera question ici que de notre petite patrie « La Seyne » en observant que j'ai voulu rendre à tous les disparus le même hommage sans oublier ceux qui ne reposent pas dans notre nécropole parce qu'ils moururent hors de leur petite patrie en raison d'événements fortuits : les guerres, l'émigration colonialiste, la déportation, les sévices politiques et raciaux.
Ne faut-il pas penser aussi à ceux dont les familles les plus démunies n'ont jamais pu acquérir une sépulture et que la terre commune n'a pu recevoir que quelques années seulement.
Revenons au sujet « Mémoires d'entre tombes » ! Ce titre très significatif qui s'intègre dans le culte des morts et rappelle de nombreux souvenirs empreints d'un souci d'enrichissement de notre culture seynoise, ce titre, apparemment lugubre, je l'ai volontairement choisi pour exprimer la reconnaissance que nous devons à nos ancêtres disparus. Oui ! la reconnaissance, vocable dont j'ai dit et écrit qu'il était sans doute l'un des plus beaux de la langue française.
Au hasard de mes souvenirs très nombreux, très émouvants et particulièrement vivaces, j'ai été amené à raconter les choses les plus diverses : pourquoi la superficie primitive du cimetière de Saint-Honorat est passée de 3 037 m2 à 7 hectares ? Comment a évolué le style des sépultures ?
Ne fallait-il pas rappeler les changements intervenus dans le déroulement des obsèques, décrire les cérémonies les plus célèbres ayant parfois un véritable caractère historique pour en venir bien sûr à la situation présente, aux visites quotidiennes, aux célébrations solennelles, aux manifestations du culte des morts, aux anniversaires traditionnels ? En somme, les sujets les plus divers seront traités dans les lignes qui suivent et dont certains lecteurs diront sans doute : « À quoi bon raconter toutes ces tristesses ? ».
Et pourtant, il m'a paru nécessaire d'accomplir un devoir de mémoire. Aux observations attentives du plan de notre nécropole, personne ne peut rester insensible à la lecture des inscriptions sur les stèles de souvenirs douloureux sur l'emplacement des sépultures de militaires, du carré des enfants, autant de victimes innocentes que la terre seynoise avait vu naître pour la plupart et qu'elle a repris inexorablement.
Il eut été impensable que dans ce voyage à travers le temps ne soient pas évoqués des spectacles atroces dont je fus le témoin et qui ne s'estompent qu'avec lenteur malgré le demi-siècle écoulé.
Amis de l'histoire ! En parcourant les allées du cimetière dans tous les sens, vous découvrirez sans aucun doute les faits les plus marquants de notre histoire locale concrétisés par des monuments, des noms de personnalités de notoriété certaine, ce qui ne doit pas nous faire oublier les humbles qui apportèrent leur modeste contribution aux progrès de la collectivité seynoise.
Autres observations : les problèmes de la foi religieuse et des tendances philosophiques ne sont pas soulevés dans ce récit. Dans les quelque 5 000 tombes et sépultures diverses, des humains qui y reposent furent des croyants d'obédience fort diverses : des chrétiens, des catholiques, des protestants, des chrétiens orthodoxes, des libres penseurs, des juifs, des musulmans, des athées, lesquels chacun dans leur foi sincère, cherchèrent la paix dans l'au-delà, ce qui est parfaitement respectable. Autre précision à apporter : il n'était pas possible de faire un inventaire complet de toutes les tombes, pas plus que de citer toutes les personnalités dignes de l'être. Certaines familles seront peut-être déçues, mais il fallait éviter que cette relation ne ressemblât à un catalogue.
Il m'a tout de même fallu insister sur la partie la plus proche de l'entrée, la plus ancienne, celle qui comporte le plus de chapelles, celle dont l'aspect contraste avec les zones d'extension, après les agrandissements successifs, mentionnés à la fin de l'historique qui va suivre.
Disons rapidement pour terminer ces préliminaires que les sujets plus particulièrement dignes d'intérêt seront développés avec beaucoup de précision.
Les styles architecturaux du siècle dernier, l'histoire des stèles rappelant les grandes catastrophes locales, les épidémies mortelles, les deux guerres mondiales, les guerres coloniales. Des textes rappelleront ce que l'on trouve sur les tombes : les objets du culte, les inscriptions, les épitaphes dont le caractère est bien souvent très émouvant, les concessions à caractère collectif, des faits exceptionnels dont certaines familles furent victimes et que les traditions seynoises n'ont jamais oubliés.
Historique des cimetières seynois
Remontons au XVe siècle où les premiers quartiers de La Seyne prenaient forme à Beaussier, à Tortel, à Cavaillon. Aucune structure administrative religieuse n'y existait. Tout dépendait des seigneurs-abbés de Saint-Victor, retranchés dans leur castellum de Six-Fours, à qui il fallut beaucoup de temps pour organiser la vie des habitants et s'occuper aussi des morts.
Un cimetière exista dans le prolongement de la collégiale de Saint-Pierre. De vieux Six-fournais y possèdent encore des sépultures familiales utilisées présentement.
En cette fin du XVe siècle, il n'était guère pensable que les morts de La Sagno et des quartiers environnants soient transportés à dos de mulet pour recevoir une bénédiction avant d'être ensevelis. Oui ! à dos de mulet, aucune route n'existant entre Six-Fours et la rade. La liaison se faisait par un sentier pierreux, cahoteux parti du quartier Tortel passant par Vignelongue pour atteindre La Collégiale, voie primitive qui est devenue aujourd'hui le chemin du Vieux Reynier.
Dans les périodes dramatiques, celle de la peste de 1721 par exemple, les prêtres de Six-Fours ne purent apporter à toutes les victimes les secours de la religion. Alors les cadavres peuplèrent les jardins et les bois. Les autorités ecclésiastiques inquiètes de telles pratiques trouvèrent des solutions à la gravité de ces problèmes au début du XVIIe siècle, mais il fallut bien du temps pour obtenir des institutions stables. Pendant longtemps on utilisa plusieurs lieux de sépultures.
Les historiens locaux ont mentionné un cimetière au quartier Tortel, dans le domaine des pères Capucins, disparu après la Révolution de 1789 et remplacé par l'établissement actuel des Maristes.
Ils nous ont appris, ces mêmes historiens, l'existence tout près du petit port des Mouissèques, disparu lui aussi, d'un modeste édifice appelé chapelle des morts entourée de sépultures où reposaient des gens décédés en mer et qu'il fallait se hâter d'ensevelir.
On apprendra beaucoup plus tard que les religieuses de la Présentation avaient aménagé un lieu de sépulture attenant à leur établissement où les sœurs défuntes étaient déposées dans des loges à la manière de certaines provinces italiennes.
Plus près de nous, en 1964 précisément, n'a-t-on pas découvert aussi des caveaux dans l'église actuelle Notre-Dame-de-Bon-Voyage, d'où l'on retira des squelettes d'adultes, ceux très probablement de prêtres ayant exercé leurs offices dans le presbytère où ils avaient souhaité ardemment demeurer après leur mort.
Cette pratique fut sans doute réservée à des ecclésiastiques de haute lignée. Plus généralement par la suite, les sépultures se situèrent dans les sols avoisinant les chapelles et les églises. Avec l'accroissement des populations et donc des décès, il fallut en venir à la conception de véritables nécropoles en précisant ces problèmes particulièrement pour notre communauté qui dut compter avec Six-Fours et Saint-Mandrier.
Dans le même ordre d'idées, il est fort intéressant de rappeler les découvertes effectuées dans les années 1985 par les dirigeants de l'Association « Les Amis de la Collégiale » à l'occasion de travaux d'assainissement entrepris dans l'église pour arrêter des infiltrations qui détérioraient progressivement l'autel à la suite de pluies diluviennes.
Il fallut creuser profondément pour fixer des drains aboutissant à un puisard.
Quelle ne fut pas la surprise des travailleurs à la découverte de cinq crânes d'enfants, alignés correctement à la gauche de l'autel ! D'autres crânes apparurent plus bas, puis ce furent des squelettes entiers d'adolescents âgés sans doute de 8 à 12 ans.
Il fallut de longues recherches pour connaître la raison de la présence de ces ossements à l'intérieur de l'église. Les archives précieuses de l'Abbaye de Saint-Victor les Marseille révélèrent qu'il s'agissait d'enfants appelés oblat c'est-à-dire par définition d'enfants offerts par leurs parents au Père-abbé dirigeant de la Collégiale pour y être consacrés au service des autels et ne plus en ressortir jusqu'à la tonsure vers 17 ans.
Ces malheureux mouraient le plus souvent faute de soins et de nourriture substantielle.
Drôle de conception que l'amour de ces parents qui offraient leur progéniture au service de Dieu pour qu'un jour, dans l'au-delà, ils puissent bénéficier, eux, de la reconnaissance divine. Passe encore d'offrir à la communauté religieuse des légumes et des volailles, mais offrir leurs propres enfants, quelle monstruosité !
Ce comportement appelle tout de même une explication. Certains seigneurs ou riches propriétaires de cette époque n'espéraient-ils pas, par la qualité de leur offrande que leurs enfants pourraient être choisis un jour comme dirigeants de l'abbaye de Saint-Victor ou de ses succursales ?
Il a été dit plus haut qu'il fallait aussi compter avec Saint-Mandrier pour la solution des problèmes de sépultures. Pourquoi Saint-Mandrier ?
Parce qu'il faut rappeler qu'en 1657, la grande île de Sépet fut rattachée à La Seyne par la formation de l'isthme des Sablettes, liaison parfois délicate avant sa stabilisation définitive encore mal acquise un siècle plus tard.
À l'état insulaire, le hameau de Saint-Mandrier abrité au creux Saint-Georges comptait quelques familles de pêcheurs et en l'absence de structures funéraires, il est certain qu'elles enterraient leurs morts à proximité de leurs habitations ou d'un sanctuaire chrétien établi depuis le Moyen Age.
Précisons le nombre de 208 habitants que donne le cadastre de 1790. L'île de Sépet en compta beaucoup moins. La population de Saint-Mandrier allait s'accroître par l'implantation de structures sanitaires : le Lazaret, construit sur la hauteur face à Tamaris sous le règne de Louis XIV, suivi d'une importante décision de Colbert pour la création de l'hôpital Saint-Louis mis en service pour la Marine en 1672.
Obligatoirement, ces structures exigèrent l'aménagement d'un cimetière car hélas, les porteurs de la lèpre, du choléra ou de la peste n'achevaient pas toujours le séjour de la quarantaine.
Il nous a été possible de lire une protestation de la population autochtone de Saint-Mandrier qui déclarait ne pas pouvoir transporter des cadavres à La Seyne les jours de gros temps l'isthme étant alors inutilisable. Il fallut donc établir un cimetière qui prit une extension considérable par la suite pour devenir une nécropole nationale surtout à partir de 1804, année de la mort de l'Amiral Latouche-Tréville tué en défendant Toulon contre les Anglais et à la mémoire duquel une stèle a été érigée.
Si je m'attarde à parler de ces faits historiques c'est pour la simple raison que Saint-Mandrier n'était alors qu'un petit quartier de La Seyne, mais que son cimetière national a reçu depuis sur ses 7 800 m2 de superficie des milliers de victimes des deux guerres mondiales : Italiens, Russes, Serbes et Grecs.
À la lumière de ces récits relatifs aux premiers cimetières de Six-Fours, La Seyne, Saint-Mandrier, on se rendra compte de la complexité des problèmes à résoudre pour les responsables des administrations concernées.
Nos édiles ont beaucoup de soucis avec leurs administrés vivants et les problèmes perdurent après disparition de ces derniers... et il en est toujours ainsi en ce XXe siècle agonisant.
Restons encore quelques instants dans ces périodes où les structures officielles n'existaient pas, où l'on enterrait les morts un peu partout, le plus souvent dans les terrains avoisinant les chapelles. Indiquons en passant que La Seyne en possédait onze au XVIIe siècle.
Le roi Louis XVI, informé de cette pratique, s'en émut. Par souci d'hygiène, il en vint à son interdiction par une ordonnance de 1779. Les difficultés ne furent pas réglées pour autant.
Fort heureusement à La Seyne, Robert de Frangipani, abbé de Saint-Victor réussit à convaincre les seigneurs du castellum de Six-Fours de faire quelque chose de positif en faveur de « La Sagno », quartier avancé sur la mer et qu'il fallait doter d'abord de structures religieuses pour envisager par la suite, l'aménagement d'un cimetière.
Robert de Frangipani, prêtre à qui La Seyne doit le plus pour la conquête de son indépendance, s'était bien rendu compte de la désaffection progressive des habitants de la côte, devenus les plus nombreux de la communauté six-fournaise, alors qu'il fallait escalader un chemin tortueux pour assister à la messe, s'approvisionner au four communal, effectuer toutes les formalités d'usage chez le curé, le notaire, l'officier d'état civil...
Alors, en prélude à l'indépendance religieuse, fut d'abord autorisée en 1603 l'édification d'une chapelle qui allait se substituer à un sanctuaire des plus primitifs datant du XVIe siècle et bâti au bord de l'eau.
Le rivage d'alors atteignait la rue Carvin et le bas du marché actuel.
Origine de la nécropole actuelle
Cet édifice religieux devint très vite une paroisse suivant un acte publié à Rome le 12 juillet 1514, lequel précisait les modalités de fonctionnement et l'obligation de créer un cimetière qui serait entretenu par les dirigeants de la paroisse.
Les syndics, administrateurs de l'époque, appliquèrent scrupuleusement les ordres, mais ils n'avaient pas prévu le développement rapide de la population.
Le terrain destiné aux morts des premiers quartiers seynois s'étendait sur le jardin du presbytère actuel et la cour de récréation de l'ancienne école Martini. Il fut acquis par Pierre Daniel pour la somme de 500 livres. Un agrandissement fut nécessaire et réalisé en 1701, après la bénédiction de Monseigneur Chalucet.
Parvenus au XIXe siècle, les édiles seynois furent confrontés à de nouvelles difficultés en raison essentiellement de l'accroissement de la population et aussi pour répondre aux besoins nouveaux de la modernité.
Il fallut attendre jusqu'en 1827 sous la Restauration qu'une ordonnance royale autorise la ville de La Seyne à faire l'acquisition d'un terrain de 3 037 mètres carrés, appartenant à un riche propriétaire nommé M. Beaussier, pour opérer un transfert des sépultures de l'ancien cimetière du presbytère au quartier Saint-Honorat (cimetière actuel). Mais l'ordonnance de 1827 ne fut concrétisée que 10 ans plus tard sous le pouvoir royal de Louis-Philippe après l'acquisition d'un autre terrain, propriété de Monsieur Hermitte au quartier des Pénitents blancs pour la réalisation presque définitive du cimetière actuel.
Nous étions alors en 1837. Le nouveau cimetière prenait forme et le transfert des restes mortels du presbytère s'opéra en accord avec les familles les plus anciennes dont les noms se retrouvent de part et d'autre de l'entrée du cimetière actuel et de l'allée centrale.
Un bâtiment administratif imposant fut construit avec ses bureaux, le logement du conservateur. Depuis son origine, peu de modifications lui ont été apportées, exception faite d'agrandissements minimes aux extrémités.
Peu de temps après l'édification de l'entrée, une inscription émouvante apparut au fronton face au nord, qui serait due, aux dires de nos anciens, à Monsieur Martini ancien directeur de l'école primaire supérieure, devenu inspecteur de l'instruction publique sous le règne de Louis-Philippe. En voici le texte intégral :
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Depuis les initiatives de Robert de Frangipani à nos jours, près de quatre siècles se sont écoulés et c'est bien pourquoi un historique du cimetière avait sa place dans les Images de la vie seynoise d'antan.
Si les milliers de nos ancêtres qui y dorment de leur sommeil éternel pouvaient témoigner, ne serions-nous pas en possession des archives les plus riches pour la reconstitution du passé glorieux seynois ?
Imaginons un instant que la voix des disparus puisse s'exprimer, on en saurait bien plus sur l'histoire véritable de notre ville, sur les conditions de vie souvent dramatiques de nos anciens, leurs luttes contre les épidémies mortelles, la cause des fléaux qu'endeuillaient chaque jour les familles : la tuberculose, les fièvres typhoïdes, le tétanos, la méningite, etc. Nous serions impressionnés par les taux de la mortalité infantile, par les conditions de travail inhumaines, par l'importance de l'illettrisme.
Pas ou peu d'inscriptions existent sur les tombes de l'Ancien Régime. Il est probable que dans le transfert des restes mortels du premier cimetière jouxtant le presbytère, vers le cimetière actuel, des pierres tombales gravées, des objets de culte aient disparu.
C'est seulement à partir de 1837 que l'on peut reconstituer, toutefois avec une précision relative, l'histoire de notre nécropole étalée sur deux siècles environ, contée ici dans ses moments les plus forts en respectant du mieux possible un ordre chronologique.
Restons pour l'instant dans le XIXe siècle. Pénétrons dans l'allée centrale bordée de part et d'autre de tombes luxueuses, de chapelles de styles recherchés qui appellent quelques commentaires sur leur architecture parfois exubérante dans le désir d'honorer les disparus et d'exprimer très fort des sentiments de reconnaissance, mais peut-être aussi dans le souci d'attirer le regard des passants.
Seules les familles bourgeoises de La Seyne issues des grands propriétaires terriens, des industriels de la Navale pouvaient se permettre de construire ces chapelles à fronton triangulaires ou semi-circulaires, à colonnes ou pilastres cannelés dont les pierres tombales portent des statues d'anges ou de vierges, de christs crucifiés, de palmes, de rameaux d'oliviers sculptés dans la pierre.
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* « Allée 5
Ouest, ce grand monument funéraire (2,50 m x 4 m) en pierre taillée et
sculptée et en marbre est installé sur la seconde concession acquise le
1er septembre 1914 par la famille Toussaint Bernard. Un monument
remarquable à plusieurs points de vue. Ainsi, au fait de son
couronnement, la sculpture d'un grand-duc aux énigmatiques yeux jaunes
plus vrai que nature, remplace l'habituelle
De part et d'autre
de la porte, deux branches de chardons sculptés évoquent probablement
l'immortalité. Mais la référence religieuse n'est pour autant pas absente de cet énigmatique temple » (Var-Matin, 1er novembre 2016).
À droite de l'allée centrale, les tombeaux surélevés sont généralement entourés de grilles en fer forgé et accessibles par une échelle métallique qui permet l'entretien, le nettoyage, l'arrosage des fleurs. Hélas ! Il faut malheureusement constater l'état d'abandon de nombreuses tombes livrées aux intempéries, aux dégradations de la rouille. Combien mériteraient de sérieuses réfections ? Mais à la charge de qui ?
Le conservateur n'est-il pas souvent à la recherche des propriétaires ou des héritiers ?
Si l'on sait que les premières chapelles datent de 1860, il est bien visible que certaines menacent ruine et qu'il est urgent d'arrêter les dégâts. La partie la plus ancienne de notre nécropole est délimitée par la route des Moulières au Nord-Ouest, les terrains du stade municipal à l'Est et l'ancien mur transversal au Sud.
C'est là, de part et d'autre de l'entrée que l'on trouve les sépultures des premières familles de pêcheurs, d'artisans de l'industrie navale, de la petite bourgeoisie des affaires. Citons quelques dates en exemple avec : les Lacroix (1862), Daniel (1888), Maurel (1887), Bory (1901), Arnaud (1900), Badino (1903), Braque (1889), etc. Entrons dans la 1ère section.
Avant de pénétrer dans les allées parallèles à l'allée centrale, orientées Nord-Sud, observons la rangée des tombeaux adossés au bâtiment administratif, ceux où reposent les restes mortels des premières familles transférés depuis le cimetière du presbytère et dont les stèles révélaient déjà les noms, les âges, les titres, les distinctions honorifiques. Les noms de bons Seynois se succèdent : Foucque, Caillol, Arnaud, Décugis, Martinenq, Morice, Pignatel, Daniel, Guieu, Hermitte...
Face à cet alignement, les stèles de trois maires attirent le regard des visiteurs : celle de Saturnin Fabre (Maire de 1886 à 1896) également conseiller général ; celle de Baptistin Paul (Maire de 1912 à 1919), celle de Louis Mazen (Maire de 1920 à 1940).
Six allées parallèles à l'entrée centrale occupent l'ensemble du premier secteur et nous font découvrir une multitude de noms prestigieux qu'il n'est pas possible de citer dans leur intégralité.
L'allée parallèle au stade du côté de la salle Maurice Baquet témoigne de familles vénérables : Mabily par exemple, dont un représentant (Esprit Bonaventure Mabily) fut propriétaire d'un des Quatre Moulins du quartier Domergue ; un autre (Jean-Louis Mabily) fut adjoint au Maire au début de la IIIe République. Un autre (Victor Mabily) fut le boulanger de la rue Carvin et le dernier (Amable Mabily) fut directeur d'école et adjoint au Maire de Toulon. Une école maternelle de La Seyne porte son nom.
Dans cette même allée, dans la tombe Laurent-Cotsis, repose un célèbre résistant seynois, Jacques Laurent, déporté à la suite du coup d'État du 2 décembre 1851, dont le nom a été donné à l'ancien chemin des Moulières, principale voie d'accès à notre cimetière.
N'omettons pas de signaler également le tombeau de la famille Fraysse dont l'un des membres, Pierre, joua un rôle important dans la cité. Ancien déporté de la deuxième guerre mondiale, adjoint au Maire en 1947, il mourut accidentellement dans l'exercice de ses fonctions en 1950.
Plus près de nous, en ce même lieu repose le docteur Jean Sauvet, ancien résistant, Maire de La Seyne après la Libération (1945-1947), qui eut le grand mérite de réparer les plus grands désastres de notre ville sinistrée.
Avant de quitter la première section, n'oublions pas de citer les sépultures collectives : le caveau des pères Maristes où reposent les cendres de tous les professeurs ayant enseigné à l'Institution Sainte-Marie fondée en 1849. Le caveau de nombreuses religieuses dirigeantes de la Présentation avant la cessation de cette structure en 1905.
Et aussi le caveau où se retrouvèrent vers le mur ouest les restes mortels des sœurs trinitaires qui dirigèrent l'Hôtel-Dieu de la rue Clément Daniel, ce même établissement où fut ouverte la première école publique de jeunes filles en 1846, origine du Cours complémentaire transféré à la Gatonne en 1931.
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Les noms de quelques religieuses de l'orphelinat Saint-Vincent de Paul, disparu aujourd'hui, figurent également sur la stèle des sépultures collectives.
Pour rester dans le domaine religieux, il faut faire une mention spéciale pour le Chanoine Hugues qui officia longtemps à la paroisse Notre-Dame et l'ancien missionnaire Deblieu dont l'influence fut très forte dans la catholicité.
Dans la section B, prolongement de la section A, se trouvent d'importantes sépultures militaires qui ont suivi la première guerre mondiale avec des victimes russes dont nous avons déjà parlé et des morts français de la seconde guerre mondiale. À la lecture des épitaphes, on est impressionné par les âges et aussi par la mention souvent répétée : inconnu .
De part et d'autre de l'allée centrale, relevons également des noms de personnalités du monde politique qui s'ajoutent à ceux de l'entrée déjà cités, avec les exemples du Député-Maire Henri Pétin, de François Cresp, fondateur du Parti Communiste à La Seyne, de Cyrus Hugues, Maire de 1876 à 1882, de Louis Barré, Maire en 1882-1883 et 1886.
Le monde musical est largement représenté dans la partie la plus ancienne du cimetière par les tombes de musiciens émérites et de dirigeants prestigieux qu'il n'est pas possible de citer tous. Les Philharmoniques La Seynoise et l'Avenir seynois ont laissé le souvenir indélébile de présidents et d'exécutants de haut niveau avec les Silvy, Gilardi, Guinchard, Martinenq, Bergonzo, Auffan, Aillaud, Viale, Casale, etc.
Il faut faire une mention spéciale à Marius Gaudemard, le fondateur de La Seynoise qui se dévoua à la cause sacrée de la musique à partir de 1830, ce qui permit à notre ville de La Seyne de figurer à la troisième place des philharmoniques de France, après Lille et Roubaix-Tourcoing. Visiteurs du cimetière ! Ne cherchez pas la tombe de Marius Gaudemard. Les bombardiers de nos alliés américains l'ont pulvérisée au sinistre 29 avril 1944 dont nous reparlerons car, hélas ! elle ne fut pas la seule.
Les noms de musiciens disparus figurent surtout dans notre ouvrage intitulé : 150 ans d'Art musical à La Seyne paru en 1984.
Restons encore quelques instants dans ce secteur le plus ancien de notre nécropole pour y rappeler, certes de façon incomplète, les noms de personnages qui furent à des titres divers les pionniers de notre communauté seynoise.
Comment pourrait-on oublier les noms des premiers constructeurs navals du XIXe siècle : les Lombard, Guerry, Argentery, Baudoin (ancêtre de Louis Baudoin, historien de La Seyne)... et le nom des Beaussier, famille des plus anciennes de notre terroir dont le premier quartier porte le nom. Le dernier représentant de cette famille illustre, Eugène Beaussier, fut secrétaire général de la Mairie pendant plusieurs décennies.
À proximité, autre célébrité locale dont le nom apparaît sur une stèle de la famille Estienne d'Orves, dont le dernier représentant, le lieutenant de vaisseau Honoré d'Estienne d'Orves, grand résistant français, victime de la barbarie nazie, fut fusillé au Mont-Valérien, le 29 août 1941.
Ne quittons pas le premier secteur sans faire une mention très spéciale à la tombe de Madame Rose Louise Marguerite Vallavieille épouse de M. Pézenas de Bernardy, capitaine des Vaisseaux du Roi (illustration de sa tombe ci-dessous).
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Née à Toulon le 29 juin 1754 et décédée à La Seyne le 22 août 1829 à l'âge de 75 ans, cette honorable personne fit l'objet d'une légende que mes grands-parents m'ont transmise dans une version pour le moins étrange.
En 1774, Madame la comtesse Rose de Pézenas, quelques mois après son mariage (elle avait 20 ans), serait morte étouffée par un noyau d'abricot et enterrée au cimetière de Toulon, parée de tous ses bijoux. Les obsèques terminées, un brigand (le fossoyeur ?) vient ouvrir son cercueil pour s'emparer des bijoux. Ayant soulevé la défunte, celle-ci revint à la vie en exprimant un grand cri de soulagement. Littéralement terrorisé, le voleur s'enfuit précipitamment et la soi-disant défunte regagna son domicile.
On apprit peu après qu'elle donna naissance à un bébé superbe. Ce qui donna tout son sens à la légende de farceurs provençaux : ...de l'enfant de Pézenas qu'ero mouart avant d'estre nas ! (qui mourut avant d'être né).
Refermons cette parenthèse, curiosité de notre histoire locale, pour pénétrer dans la section 1B dont la création fut nécessitée par l'accroissement de la population et par conséquent celui des décès.
Les agrandissements successifs
Rappelons ici que les édiles du XIXe siècle furent confrontés à de sérieux problèmes d'inhumation, surtout dans les périodes d'épidémies mortelles du choléra des années 1835 et 1845, en attendant celle de 1865 dont il sera question plus loin.
En 1861 et 1865, sous l'autorité municipale de M. Estienne, des acquisitions de terrain furent possibles dans le prolongement de la section originale.
Puis en 1888, le Maire Saturnin Fabre réalisa un agrandissement en direction du quartier Saint-Honorat le long du chemin des Moulières.
Cinquante ans plus tard en 1937, la Municipalité de l'époque, ayant à sa tête le Docteur Mazen, put faire l'acquisition d'un vaste terrain appartenant au Sieur Croce au quartier Canourgue dont les vieux Seynois se souviennent du Vélodrome où se disputèrent tant d'épreuves sportives suivies passionnément par une population fanatisée par Satragno, Caprino, et bien d'autres.
Il ne fallut pas longtemps pour que ce nouvel espace soit occupé par des sépultures civiles et militaires.
Toutefois, il fallut compter avec un inconvénient sérieux, un sous-sol trop humide rendant certains caveaux presque inutilisables dans les périodes de pluies diluviennes. Anticipons quelque peu sur l'urgence de ces problèmes pour dire que ce fut surtout à partir de 1964 et les années suivantes grâce à l'acquisition de vastes terrains des hoirs Audiffren qu'il fut possible de conserver une terre commune bien nécessaire pour les infortunés, les miséreux sans importance sociale. Cette extension en direction des quartiers Laffran et Domergue permit également de satisfaire la demande de la communauté israélite qui désirait grouper les siens comme elle en avait le droit.
Toutefois, le maire de l'époque fut réticent quand une autre demande sollicitait une entrée spéciale pour accéder à la concession juive, parce que disait le responsable de la communauté : « Nous ne voulons pas que nos morts passent par la même entrée que les autres ». Sans commentaire !
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Les stèles de souvenirs dramatiques
Si nos regards se portent dans le prolongement de l'allée centrale, apparaissent trois monuments de haute taille dominant l'espace du cimetière de la section originale.
Le premier fut érigé en 1869. Il consistait tout simplement en une colonne cannelée portant une croix de pierre à son extrémité, posée sur un socle en maçonnerie.
Ce monument ne portait pas de nom particulier. On disait simplement qu'une croix devait être placée là, parce qu'elle est le symbole d'espérance en un monde meilleur.
Coïncidence curieuse, elle fut érigée à l'initiative de la Municipalité sous la direction de Pierre Lacroix. Le monument lui-même s'appela un jour : la Croix !
Devenue vétuste au bout de plusieurs décennies, il fut nécessaire de la restaurer. Alors un grand socle en pierre de taille la supporta en toute sécurité.
La face nord de l'ouvrage fut percée et devint une fontaine dont les visiteurs furent bien satisfaits pour l'entretien des pots de fleurs.
Un événement des plus inattendus allait permettre au monument rénové de porter un nom célèbre.
En 1893, le Président de la République Sadi Carnot vint assister à La Seyne au lancement d'un cuirassé des plus perfectionnés pour l'époque appelé Jauréguiberry (nom d'un amiral qui se distingua pendant la guerre de 1870 et devint par la suite Ministre de la Marine).
La population seynoise flattée de cette visite, fit au Président des ovations chaleureuses à son arrivée devant l'Hôtel de ville où le maire Saturnin Fabre l'accueillit avec le Conseil municipal.
Quelques mois plus tard, en 1894, Sadi Carnot fut assassiné à Lyon par un anarchiste italien nommé Caserio.
L'émotion fut grande à La Seyne et à l'initiative du maire, un portrait du Président défunt fut fixé à la colonne du cimetière, barré par une écharpe de deuil.
Hélas ! le terrible bombardement du 29 avril 1944 endommagea si gravement le monument que le portrait disparut. Mais le nom de Carnot demeura et depuis 1894 tout le monde parle de la colonne ou de la fontaine Carnot.
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Le deuxième
monument
qui suit la colonne Carnot dans l'allée centrale
est une création relativement récente justifiée
par des hommages qu'il fallait rendre aux victimes civiles des bombardements de 1944. Ce
monument en marbre gris à la mémoire des victimes du 29 avril et du 11
juillet 1944 a été édifié vers 1980 dans l'allée centrale du cimetière,
entre la fontaine Carnot et l'obélisque de 1865. Seuls 68 noms y sont
gravés en lettres d'or (sur un total de 264 morts), car il s'agit
uniquement des noms de ceux qui furent ensevelis dans une fosse commune
(familles ne possédant pas de sépulture ou corps non identifiés).
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Nous reviendrons plus longuement sur les événements ayant justifié l'édification de cette stèle du souvenir dans la rubrique qui suit : « Les années désastreuses du XXe siècle ».
Le troisième monument, différent des premiers dans sa structure, n'est pas une colonne mais un obélisque datant de 1866 érigé primitivement sur une place de la ville (Bourradet) mais transféré en 1896 dans le cimetière actuel pour les raisons données plus loin.
Ce monument a lui aussi son histoire qui remonte à une époque plus particulièrement dramatique pour nos anciens du siècle dernier, celle du choléra de 1865, fléau le plus meurtrier depuis la terrible peste de 1721 qui fit 100 000 victimes dans la Provence. Cette catastrophe a été racontée longuement par M. Baudoin dans son Histoire générale de La Seyne-sur-Mer.
En voici un résumé succinct : à partir du mois de juin de cette année funeste 1865, il fallut déplorer plusieurs dizaines de décès quotidiens. La population en proie à un véritable vent de panique, gagna les campagnes environnantes. On prit des mesures de protection qui nous paraissent aujourd'hui ridicules. Hélas ! En ce temps-là, le corps médical n'avait sur les problèmes de la microbiologie que des notions bien rudimentaires.
Néanmoins, il faisait confiance à la chaux vive pour la désinfection des locaux contaminés, à la fumée des résineux qu'on brûlait dans les rues, au sulfate de fer soluble dans une eau dont on arrosait les chaussées.
On en vint même à interdire aux pêcheurs de vers marins de soulever la vase des rivages car il s'en dégageait des odeurs nauséabondes. L'élevage des poules et des lapins fut défendu à domicile.
Le conseil municipal réuni en permanence désigna deux conseillers chargés spécialement de l'assainissement de la ville.
Ils sollicitèrent de la Préfecture un bateau à clapet et une chaloupe pour le transport des vidanges en haute mer, la création d'une ambulance à l'école Martini, établissement scolaire fermé comme tous les autres.
Des toiles de tente de l'Administration militaire abritèrent quelque temps des habitants voisins de cholériques à qui l'on avait brûlé meubles et vêtements.
L'enlèvement des cadavres et leur transfert furent souvent effectués par des forçats du bagne de Toulon, pauvres gens à qui l'on proposa des réductions de peines en échange de leur tâche particulièrement ingrate.
On ne saurait mieux dire car la plupart d'entre eux périrent, victimes de l'épidémie mortelle.
En trois mois près de 500 décès furent enregistrés à l'hôtel de ville. Les cloches de l'église Notre-Dame de Bon Voyage n'arrêtèrent pas de sonner des trépas.
« La
Seyne ressemblait à une immense nécropole. Plus d'animation, plus de
bruit. Les grandes machines de nos chantiers ne fonctionnaient que par
moments », écrivit le Dr Étienne Prat dans « La Seyne et son épidémie cholérique en 1865 », où il nota l'extrême insalubrité du centre-ville.
Il va sans dire que la vie de notre malheureuse cité seynoise fut paralysée pour longtemps et hélas ! elle ne fut pas la seule dans la région.
L'industrie de la construction navale, interrompue pendant plusieurs mois, ne reprit qu'avec une extrême lenteur, de nombreux travailleurs éloignés hésitant à regagner leur domicile avec leur famille.
S'il est nécessaire de rappeler ces faits c'est pour en venir surtout aux traces ineffaçables laissées dans le cimetière par le terrible fléau.
Il y a quelques années à peine les fossoyeurs du cimetière découvrirent des couches de charbon épaisses, surprenantes, dont ils ignoraient la cause.
Après enquête, on découvrit la présence de nombreux squelettes au-dessous d'épaisses couches de charbon. Ce fut alors un procédé de désinfection utilisé pour lutter contre le choléra de 1865.
En souvenir de cette année terrible et en hommage à tous ceux : édiles, médecins et tous les citoyens qui se dévouèrent sans limites, pour édulcorer quelque peu les souffrances de la collectivité, la municipalité d'alors décida d'édifier place Bourradet un monument appelé obélisque qui porta l'inscription suivante : « En souvenir des actes de dévouement, de courage et de charité accomplis pendant la désastreuse épidémie de 1865 : La Seyne reconnaissante - 1er mai 1866 ».
La place Bourradet fut appelée par la suite place Martel Esprit, nom du Maire de l'époque qui se dévoua particulièrement pour sa ville.
Des hommages furent rendus également aux élus particulièrement dévoués durant les événements dramatiques : ce fut le cas pour Négrel, chef infirmier de l'hôpital qui périt à son tour, victime du fléau mortel, à l'adjoint au maire Nicolas Chapuis et aux conseillers Argentery, Rousset, Jouglas.
La présence de l'obélisque sur la place Martel Esprit fut critiquée par la suite. On trouva inconvenant que le bal des fêtes votives ait lieu à l'emplacement même d'un monument évocateur de souvenirs dramatiques.
La municipalité décida alors de le transférer, mais 30 ans plus tard, dans le cimetière où on le retrouve à extrémité de l'allée centrale.
Le transfert de cet obélisque fut une opération extrêmement délicate réalisée grâce au dévouement de M. Goss camionneur des Forges et Chantiers et de Mlle Curet, propriétaire d'un chantier naval à l'emplacement actuel du jardin de la ville.
Tous deux disposaient du matériel nécessaire pour le transport de ce poids lourd qu'ils effectuèrent gratuitement.
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Ces trois monuments évocateurs du souvenir de Sadi Carnot, des guerres mondiales (1914-1918 et 1939-1945), et du choléra de 1865 sont parfois dissimulés à nos regards par l'ombre de grands cyprès pointant vers le ciel leurs fuseaux bleus et noirs.
Ouvrons ici une parenthèse pour expliquer leur présence dans la plupart des nécropoles provençales et même au-delà. Ces cyprès originaires de l'île de Chypre, dont les habitants se nomment cypriotes (ceci explique cela), étaient considérés par les Grecs de l'Antiquité comme un symbole de solitude et de tristesse. Ils furent pendant des siècles, et sans doute cette croyance persiste, l'emblème de l'espérance et de l'immortalité à cause de leur verdure éternelle. Les Anciens les respectaient et leur reconnaissaient la propriété de purifier l'air par leurs émanations balsamiques.
Ce culte persistant explique la présence de ces arbres vénérés que l'on trouve généralement dans notre région. Il n'est pas exclu de penser que les Grecs fondateurs de Marseille et aussi de Six-Fours un siècle plus tard, ont contribué à enseigner à nos ancêtres ligures, les vertus de ces végétaux sacrés.
Refermons cette parenthèse pour revenir aux stèles du souvenir et surtout à la quatrième plus éloignée des autres, adossée au mur ancien Est-Ouest qui limitait le cimetière avant le deuxième agrandissement. Il s'agit du Souvenir Français, édifié en 1892, monument dont on ignore souvent que sa construction couvre un caveau important où furent déposés en 1875 les corps des victimes de l'explosion du cuirassé Magenta ; puis le cercueil de Louis Gautier, quartier-maître mécanicien, seul Seynois tué par l'explosion du cuirassé Liberté où périrent 300 hommes le 25 septembre 1911 ; puis celui du celui du soldat Touvier, première victime seynoise de la première guerre mondiale.
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On note deux erreurs sur la dalle : 1) à la dernière ligne, l'explosion du cuirassé Liberté a eu lieu le 25 septembre 1911 (25-9-1911 et non 25-7 !) - erreur qui a été corrigée en 2012 ; 2) l'explosion à l'école de Pyrotechnie a eu lieu les 23 décembre 1869 (et non 1969 !!), erreur qui n'a toujours pas été corrigée. |
On doit savoir que le Souvenir Français est une Association nationale fondée en 1887 dont les comités se comptent par centaines dans les grandes villes de France représentant quelque 300 000 adhérents. Ces organisations se préoccupent de l'entretien des tombes et monuments, consacrés à la mémoire de ceux qui sont morts pour que vive la France.
Le comité seynois très actif organise régulièrement des cérémonies en l'honneur des victimes françaises de la guerre, des combattants d'Afrique du Nord et d'Indochine dont les tombes au nombre de 70 sont disposées de part et d'autre de la stèle de 1892.
Le Comité du Souvenir Français est toujours associé aux grandes cérémonies traditionnelles comme celles du 11 Novembre et du 8 Mai, en accord avec le Comité de Coordination des associations d'anciens combattants et victimes de guerre, hélas fort nombreuses (anciens combattants républicains, anciens combattants de la résistance, médaillés militaires, veuves de guerre, cheminots anciens combattants, anciens de guerres d'Algérie et d'Indochine, Rhin et Danube, déportés de 39-45, prisonniers de guerre).
Pour en terminer avec les stèles du souvenir, ajoutons l'érection depuis 1990 d'un monument moins élevé que les autres, mais tout aussi émouvant et portant l'inscription suivante : « À la mémoire de nos morts d'Afrique du Nord : Algérie-Tunisie-Maroc ». L'emplacement choisi a été l'extrémité de l'allée centrale dans le prolongement des trois premières stèles les plus anciennes dont nous avons parlé longuement.
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Les années désastreuses du XXe siècle
Les historiens des années à venir auront beaucoup à dire sur les drames de l'humanité du XXe siècle et notre cimetière porte témoignage comme tous les autres, des événements douloureux subis par les populations et notre communauté seynoise eut à souffrir plus que d'autres de contingences bien particulières qui seront rappelées plus loin.
Ce début du XXe siècle que de nombreux écrivains ont qualifié de belle époque s'ouvrit pourtant sous le signe de la guerre.
Nos concitoyens applaudissaient chaleureusement les discours belliqueux des dirigeants nationaux à l'occasion des lancements de bateaux dans nos chantiers navals : cuirassés, croiseurs, sous-marins mis au service du colonialisme français dont les affaires prospères enrichissaient les classes possédantes.
Certains patriotes n'espéraient-ils pas une guerre de revanche de la France après les désastres de la guerre de 1870 ? N'avait-on pas à reconquérir le minerai de fer de la Lorraine ? L'Amirauté française ne rêvait-elle pas d'égaler la flotte britannique ?
Le bon peuple français ne se doutait pas des malheurs qui allaient s'abattre sur lui. Dans ses préparatifs fébriles au surarmement, les autorités maritimes ne s'offusquaient guère des accidents fréquents dont les équipages étaient victimes. Rappelons quelques chiffres mentionnés dans le Tome I, à propos des explosions des cuirassés Iéna en 1907 et Liberté en 1911.
Entre 1893 et 1911 une quinzaine d'explosions se produisirent sur les navires de guerre. S'adressant aux pouvoirs publics, un journal parisien de l'époque parlait « d'incurie criminelle » en précisant « 600 morts et 250 millions de dégâts, ça suffit ».
En nous limitant à quelques faits seulement, on voit bien que le XXe siècle ne s'ouvrit pas sur des auspices très heureux. Le premier cataclysme de 1914-1918 allait rapidement se transformer en guerre mondiale dont les bilans catastrophiques ont été donnés dans mes précédents ouvrages. La France était sortie victorieuse du conflit mais à quel prix ?
Le cimetière de La Seyne porte de nombreux témoignages des calamités dont notre population eut à souffrir. Mais il n'a pas recueilli la totalité des 430 morts sur les champs de bataille de France et des pays étrangers lors de la Grande Guerre, de nombreux corps n'ayant jamais été retrouvés. Certaines familles, d'autre part, ont laissé leurs victimes dans les cimetières militaires aménagés sur le lieu des combats.
Par contre, nombre d'entre elles, désirèrent reprendre les restes mortels de leurs enfants dans les sépultures familiales.
J'ai gardé le souvenir vivace de ces poignantes cérémonies funèbres organisées par le ministère des Anciens combattants.
Dans la mesure où l'identification des victimes avait été possible, les petits cercueils de bois blanc portant une plaque d'identité en cuivre étaient rassemblés à la Bourse du Travail, la veille des obsèques.
Comment pourrais-je oublier les scènes déchirantes des familles éplorées venues reconnaître les siens. Alors, un long cortège se formait avec des camions militaires tirés par des chevaux, emportant chacun vers le cimetière 8 ou 10 petits cercueils recouverts d'un drapeau tricolore.
Les petits écoliers de l'école Martini dont j'étais dans les années 1922-23 avaient été placés au premier rang devant l'entrée du cimetière pour assister à ces cérémonies funèbres dont je parle toujours avec émotion.
La présentation des armes, le cliquetis des baïonnettes au commandement impératif des officiers m'impressionnaient beaucoup.
Après quoi c'étaient les discours officiels, plus ou moins éloquents pour exprimer la reconnaissance que la France devait aux glorieux disparus. Les orateurs s'époumonaient, la sonorisation n'existant pas en ce temps-là. De leurs phrases retentissantes parvenaient à mes oreilles des expressions confuses : sacrifice suprême, mort au champ d'honneur, victimes du devoir...
J'essayais d'imaginer ce que pouvaient contenir les petits cercueils que les fossoyeurs acheminaient vers leurs tombes respectives. Mais les expressions transfert des cendres ou dépouilles mortelles n'apportaient aucune clarté à mes interrogations.
Avant la fin de la cérémonie, nous retournions à l'école prendre nos cartables sous la conduite de nos maîtres dans un silence absolu, sans nous douter, le moins du monde que vingt ans plus tard, ce serait à nous de connaître d'autres événements, d'autres atrocités, d'autres obsèques collectives dont le souvenir n'est pas près de s'effacer. Ce qui m'amène obligatoirement à parler de la Seconde guerre mondiale dont notre cimetière historique porte également de nombreux témoignages.
La période de l'entre-deux guerres connut des événements précurseurs de ce nouveau cataclysme dont les bilans horribles ont été donnés dans mes ouvrages précédents. Je n'y reviendrai donc pas sauf pour montrer les souffrances de notre population, dont le nombre des victimes civiles dépassa celui des militaires par le fait des bombardements aériens et des sévices commis par les occupants hitlériens.
11 mars - 29 avril - 11 juillet 1944, journées de sinistre mémoire
Dans le Tome II des Images de la vie seynoise d'antan, ces dates ont fait l'objet d'une relation importante intitulée : Des années dramatiques - Des événements inoubliables.
Il m'a paru nécessaire d'y revenir non pas pour redire les bilans catastrophiques, les destructions massives, les pertes humaines qui s'élevèrent à 266 morts et des centaines de blessés ; mais surtout pour montrer combien le cimetière avait souffert des bombes lâchées au hasard par les forteresses volantes américaines. L'objectif était sans doute les Chantiers de constructions navales. Hélas ! Quand on fit le bilan des points de chute, on constata que 4 projectiles seulement avaient atteint leur but. La ville et la proche campagne reçurent 700 bombes de 500 et 1 000 kg. Et le cimetière reçut sa part !
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Des tombes pulvérisées furent projetés des cadavres qu'il fallut enterrer une deuxième fois.
Quel spectacle abominable ! Une plaque rappelle ce souvenir atroce :
« À la mémoire de nos chers disparus, pulvérisés dans leur tombe au bombardement du 29 avril 1944 ».
On peut toujours lire de-ci, de-là, des inscriptions évocatrices de cette journée terrible sur les tombes dont l'une particulièrement émouvante où figurent les noms de trois victimes d'une même famille : « Baptistin Monier, 55 ans - Élisa Paul, 33 ans - Henri Paul, 15 mois ».
Rappelons au passage que la liste des victimes du 29 avril 1944 et du 11 juillet 1944 a été donnée à la page 384 de notre Tome II des « Images de la vie seynoise d'antan ».
Comment oublier le spectacle poignant des obsèques de tous les martyrs qu'il fallait ensevelir au plus vite. Toutes les victimes n'ayant pas de sépulture familiale, il fallut ouvrir pour nombre d'entre elles une fosse commune.
Comment oublier ces hommes et ces femmes couchés ou à genoux sur les talus de terre arrachée à la tranchée lugubre, appelant désespérément leurs chers disparus. Certains exigeaient l'ouverture des cercueils pour identifier des visages qu'ils n'avaient pu voir les jours précédant la catastrophe.
Difficile à soutenir du regard cet alignement de bières longues et courtes confectionnées à la hâte avec du bois blanc. Certains pensaient que les petits cercueils renfermaient des corps d'enfants ; ce ne pouvait être le cas, ces derniers ayant été évacués depuis plusieurs mois.
Ce qu'on avait peine à imaginer, ce fut la nécessité de modèles réduits destinés à contenir des restes humains non identifiés comme le spécifièrent les registres de l'État civil. Soit dit en passant, ayons une pensée émue pour les sauveteurs qui se chargèrent d'une telle besogne.
Deux mois s'écoulèrent après ces journées terrifiantes de cette fin d'Avril 1944. Les alertes au bombardement se multiplièrent et à chaque fois les sirènes de l'arsenal et de notre clocher incitaient la population à se mettre à l'abri et à chaque fois des équipes de soldats allemands actionnaient les barriques métalliques de fumigènes qui jalonnaient par centaines les routes et les chemins de l'aire toulonnaise. En quelques minutes, après les appels gutturaux de cette langue allemande faite de commandements péremptoires et d'aboiements retentissants, la ville et la campagne étaient plongées dans une brume épaisse rendant les objectifs invisibles pour les bombardiers.
Et il en fut ainsi jusqu'à la date du 11 juillet 1944 avec la catastrophe de l'Émissaire commun où 101 Seynois périrent : asphyxiés, piétinés, écrasés dans les circonstances décrites avec précision précédemment dans la rubrique Des années dramatiques.
À l'Est de la colonne Carnot les tombes s'alignent adossées au mur qui les sépare du Stade municipal.
On découvre dans cette partie des sépultures collectives du souvenir, un mémorial nommé Carré des Russes. Pourquoi des Russes ? L'origine de leurs sépultures remonte à la guerre de 14-18 où le cimetière de Saint-Mandrier devenu cimetière national dont il a été question au début de cette relation ne pouvait recevoir des morts étrangers qu'en nombre limité. C'est alors que fut utilisé celui de La Seyne.
Les victimes italiennes sont restées dans leur majorité dans la terre de la presqu'île.
Notons un carré réservé pour les enfants en un temps où la mortalité infantile atteignait des proportions effarantes. Citons ce chiffre donné par les archives d'ecclésiastiques sous le siècle de Louis XIV, le Roi Soleil, 200 enfants sur 1000 naissances parvenaient à l'âge de la majorité et pendant longtemps les sépultures d'enfants furent groupées.
C'est dans cette partie centrale que l'on remarque les tombes de maires prestigieux tels que Toussaint Merle et Philippe Giovannini, de personnalités ayant dominé la vie publique seynoise tels que M. Aillaud qui enseigna pendant 40 ans à deux générations d'écoliers seynois, les docteurs Henri et Germain Loro qui ont laissé des souvenirs très attachants dans la population.
Étienne Gueirard, professeur de mathématiques émérite qui prépara nombre de ses élèves à la profession d'enseignants, Julien Baude, directeur d'une école technique de notre ville, des myriades de mes amis instituteurs, professeurs reposent dans la partie centrale de notre cimetière. Je pense à MM. Michel, Lorenzini, Fabre, Troubat, Roussin, Triquet, Varangue, Camoin, Soleri, Pinson, à Raphaël Dubois, fondateur de l'Institut de Biologie marine de Tamaris.
Des multitudes d'élus municipaux et nationaux, ceux de mon siècle en particulier, administrateurs de la ville de 1920 à 1940 avec : Lamarque, Mathé, Gassier, Coste, Garro, Milou, m'ont laissé des souvenirs précis pour les avoir entendus dans les réunions publiques exposer leurs projets, ceux de l'après-guerre 39-45 avec : Sauvet, Peiré, Rochild, Cauro, Silvy, Peyre, A. Paganelli, C. Dutto, avec qui j'ai collaboré pendant plusieurs décennies.
Je pourrais écrire des listes interminables de ces braves gens dévoués, désintéressés, Seynois pour la plupart et ce faisant, il me reviendrait en mémoire une phrase que mon père vieillissant se plaisait à répéter et que je peux faire mienne aujourd'hui : « Je connais plus de morts que de vivants ».
Et comment pourrais-je oublier les camarades syndicalistes tels que : Grimaud, Dimo, Gilly, Reverdito, Teply, Mattone, défenseurs infatigables de la classe ouvrière ; mes amis de la Résistance de 1940-45 comme : Bessone, les frères Armando (Édouard et Esprit), Mary, J. Ghibaudo, Duval, Canal, Matteoli, Meunier, Monaco, Ruy, Milano, Canal, Guicheney ; les amis des Arts, comme le sculpteur Rousselot, le peintre Olive Tamari, d'une grande notoriété ; mes anciens collaborateurs de la municipalité, employés, chefs de service comme : E. Beaussier, A. Molinari, R. Pastorino, M.-L. Rouvier, Merenda, Debals, P. Cresp, S. Guibert, C. Provençal, Griette.
En qualité d'animateur de plusieurs sociétés locales, n'ai-je pas le devoir de mémoire de rappeler les noms d'anciens combattants comme Rey, Leroy, Alexandre ; d'anciens pêcheurs comme Vuolo, Sauvaire, Pignatel, Cayol, Imbert.
À ces listes d'amis de citoyens dévoués à la cause seynoise pourraient s'ajouter des musiciens, des sportifs, des accidentés du travail, des techniciens et cadres de l'industrie navale, des artisans, des commerçants qui donnèrent à notre communauté un tissu associatif remarquable pour qui des hommages ont été rendus dans les ouvrages précédents des Images de la vie seynoise d'antan.
À ces énumérations d'amis, de collaborateurs que j'ai accompagnés dans le champ du repos, qu'il me soit permis d'ajouter quelques mots sur ma propre famille qui compte quatre tombes dans cette partie centrale du cimetière : celles des Aubert, apparentés par mon arrière-grand-mère maternelle à la famille Mabily, celle des Hermitte-Prat, celle des Augias, celle des Autran-Gautier.
Elles sont proches les unes des autres et ont recueilli les restes mortels d'une trentaine de personnes adultes et enfants dont les noms, prénoms et dates de décès ont été correctement gravés sur les stèles. On y trouve peu d'objets de culte, seulement des fleurs à l'occasion de la fête des morts ou des anniversaires.
Ma famille est respectueuse des traditions d'une manière plutôt discrète en ce sens que nous n'aimons guère les jours de cérémonies nous mêler à la foule des visiteurs aux conversations trop souvent oiseuses où l'on parle de tout, sauf du véritable objet de la cérémonie en hommage aux disparus.
Nous pénétrons dans le cimetière, aux heures les moins fréquentées, pas forcément le jour des rites ancestraux.
Est-il bien nécessaire de nous fixer des jours pour échanger silencieusement notre âme avec celle de ceux qui nous ont quittés.
Nous traînons nos pas dans ces allées qu'ils parcoururent avant nous ; nous les suivons encore du regard, nous entendons leur voix et il nous semble bien que nous allons les retrouver.
Nous préférons le recueillement silencieux aux conciliabules des commères à la langue très affilée. En écrivant cela je pense à ma grand-tante Joséphine, heureuse le dimanche après-midi de participer aux rencontres de ses amis après l'heure des vêpres. Elles n'arrêtaient pas de dauber sur l'abbé Gafron qui les traitait de pécores parce qu'il avait refusé de satisfaire à leur revendication essentielle, à savoir le chauffage de l'église pendant les froidures de l'hiver.
« Je la connais bien la tante Joséphine, disait le prêtre. Si l'église était chauffée, ce n'est pas pour l'amour de Dieu qu'elle y viendrait. Elle est si avare qu'elle penserait surtout à économiser le chauffage de sa maison ».
Les commères du cimetière ne se lassaient pas de leur verbosité intarissable, de leurs commentaires sur les familles endeuillées. Elles connaissaient le contenu de chaque caveau, la cause des disparitions de tous les défunts, les soins apportés par tel ou tel médecin et il était souvent question des plus connus de leur époque : le docteur Henri Loro, fils de Germain Loro, jouissait d'une excellente réputation, acquise par sa générosité légendaire. Les autres qu'on nommait Daniel, Jaubert, Dravet, Grangean, Marro, Bonifay, étaient plus ou moins soumis aux critiques : l'un parce qu'il était un fumeur de cigares qu'il n'éteignait pas, même chez les malades, l'autre à cause de son avarice en exigeant une rétribution pour le moindre certificat...
Quand leurs ordonnances n'avaient pu éviter le pire alors, les mégères s'en allaient répétant une phrase concluante du Docteur Loro : « Que voulez-vous faire quand le mal est plus fort que la science ? Il faut bien nous incliner n'est-ce pas ? »
Les commérages allaient bon train les jours de cérémonies officielles, ou d'anniversaires.
Ne fallait-il pas savoir si la veuve récente de tel quartier ou de telle rue n'avait pas oublié d'apporter des fleurs sur la tombe de son époux ? Et quelles fleurs ?
Et les langues se déliaient avec délectation quand on apprenait que Madame Arnaud du quartier Domergue, veuve depuis peu rencontrait souvent Monsieur Décugis dont l'épouse s'était éteinte subitement l'année précédente. Ils se rencontraient au cimetière où ils entretenaient des pots de cyclamens et de réséda sur leur tombe respective. Ils échangeaient des propos sur leur infortune et sur le chemin du retour Madame Arnaud offrait ses services au veuf Décugis.
« Peut-être avez-vous besoin d'une femme de ménage ? Voulez-vous que je vous apporte quelques commissions ! Ne vous gênez pas avec moi, vous savez ! ».
Les mégères faisaient des déductions hâtives sur l'avenir de ces relations anodines :
Et les bavardes multipliaient les exemples et ne négligeaient pas les histoires croustillantes, même devant les sépultures sacrées !
Leurs commérages prenaient des proportions démesurées quand elles avaient pu assister à des mariages, des baptêmes, des enterrements. À une époque où les distractions étaient rares, il y avait tant à gloser sur les événements locaux.
Dès que le clocher de Notre-Dame de Bon Voyage sonnait des glas lugubres, on s'informait sur la famille du défunt, sur la maladie qui avait causé le malheur, sur le médecin impuissant devant la cause du drame.
Alors les femmes dont les tâches ménagères n'étaient pas leur souci majeur, s'empressaient d'assister aux cérémonies funèbres qui se préparaient.
La veille, certaines d'entre elles avaient poussé leur hardiesse à accompagner des amis de la famille jusqu'au domicile mortuaire dont la porte d'entrée avait été encadrée de tentures noires portant au sommet les initiales dorées du défunt.
Les plus curieuses, pénétrant dans la chambre où vacillaient les lueurs blafardes des cierges de part et d'autre du cadavre, avaient tôt fait de vérifier si le miroir de l'armoire à glace était masqué par un voile comme l'exigeait la coutume, s'il était possible de bénir le corps du défunt avec le laurier traditionnel, si on l'avait revêtu de son costume du dimanche, comme si c'était mieux de pourrir dans son habit noir, probablement celui que l'on gardait depuis le mariage.
Tout cela avant d'avoir dévisagé le défunt, observé les traits de douleurs ayant précédé le trépas.
Alors, se multipliaient les paroles d'encouragement à la famille, les étreintes, les signes de croix accompagnés de grosses larmes séchées par d'immenses mouchoirs.
Les questions rituelles se posaient à l'entourage familial éprouvé :
Enfin, il fallait bien se résoudre à quitter la chambre mortuaire en faisant de nouveaux signes de croix car d'autres visiteurs arrivaient.
Et les commères, dès la sortie, éprouvaient une jubilation certaine à la pensée d'avoir à raconter à d'autres comment elles avaient su plaindre le deuil, suivant l'expression du temps passé.
Si je vais m'attarder quelques instants à vous raconter dans le détail les cérémonies funèbres d'autrefois c'est dans le but de montrer une évolution sensible des mœurs dans un sens que j'estime bénéfique, obtenu par des simplifications rendues bien nécessaires par la modernité.
Les enterrements d'autrefois attiraient toujours la curiosité des passants, des gens de quartiers, intéressés par le luxe ou la pauvreté du char funèbre, la longueur du cortège, alors possible en l'absence de véhicules motorisés, la représentation des corporations ou des associations auxquelles le défunt appartenait, la présence ou non des institutions religieuses, etc.
Généralement, on assistait à des obsèques religieuses dont les rites ont évolué depuis mon enfance. La chrétienté, malgré les coups sévères qu'elle avait reçus au début du siècle par les lois sur la séparation de l'Église et de l'état, affirmait toujours son influence considérable sur la population.
Les jours des cérémonies funèbres les choses se passaient ainsi. Le prêtre revêtu de la chasuble aux riches dentelles, coiffé de sa barrette, accompagné de deux enfants de chœur porteurs des instruments du culte : la croix du Christ et l'encensoir ; se rendait au domicile du défunt et lisait des prières avant de se placer devant le char funèbre en attendant l'ordre de mise en route, donné le plus souvent par un ordonnateur maître de cérémonie vêtu d'un bel habit noir et coiffé d'un chapeau haut de forme.
Les employés des pompes funèbres de l'entreprise Pellegrin déposaient le cercueil sur le véhicule et le recouvraient délicatement d'un drap mortuaire tout noir bordé de passementeries complexes couleur d'or.
Si le défunt appartenait à une famille de nantis, il fallait alors disposer, autour du cercueil, bouquets de fleurs et couronnes de perles. Pour ce qu'on appelait alors les enterrements de première classe, on disposait aussi au-dessus du char funèbre des plumeaux de couleur sombre. Les chevaux eux-mêmes n'étaient pas oubliés : leurs sabots avaient été vernis, leur tête empanachée, leur corps recouvert d'un manteau immense décoré dans le même style que le linceul.
Comme ils étaient patients ces chevaux dressés sans doute pour accomplir des tâches lugubres. Il est probable que l'entreprise Pellegrin en utilisait d'autres plus impétueux pour emmener des nouveaux mariés dans les calèches.
Le cortège était prêt au départ. Mais il arriva, avec les cérémonies funèbres que soient associées ce qu'on appelait les petites sœurs des pauvres qui se déplaçaient pour les enterrements des gens riches.
En rang par deux, ces fillettes de l'orphelinat Saint-Vincent de Paul, vêtues de robes sombres, prenaient place en tête du cortège sous la conduite d'une religieuse dont la longue robe bleue rasait le sol, coiffée d'une énorme cornette blanche solidement fixée à la chevelure par crainte d'une rafale de mistral.
Enfin, le cortège s'ébranlait doucement, silencieusement au commandement du cocher tout de noir vêtu lui aussi usant rarement de son fouet pour se faire obéir de ses bêtes.
Tout au long du parcours, le prêtre lisait des passages de l'Évangile à voix basse quand l'officiant s'appelait Hugues, ou alors avec une voix de stentor comme celle de l'abbé Martinenq.
On approchait de l'église pour la messe, cérémonie la plus importante ; puis le cortège reprenait sa route, toujours la rue Jacques Laurent, ancien chemin des Moulières.
En ce temps-là, le prêtre et ses assistants accompagnaient les dépouilles mortelles jusqu'au cimetière, où les dernières prières s'élevaient avant l'ensevelissement.
Il n'en est plus ainsi aujourd'hui : les chars funèbres en bois et leurs chevaux ont disparu, remplacés par des véhicules motorisés mais silencieux. Les cortèges à pied ne se font plus que de l'église au cimetière en passant par la petite rue Martini, sans quoi les enterrements causeraient des perturbations insolubles dans la circulation urbaine. Le rôle du clergé a été forcément amoindri la cérémonie religieuse se faisant seulement à l'église.
Les obsèques d'antan ont connu aussi des évolutions. Notons toutefois, conformément à leurs croyances que, déjà dans ma jeunesse, l'on assistait à d'autres formes de cérémonies, à d'autres rites, avec des obsèques de protestants ou d'israélites ; celles de francs-maçons, de libres penseurs, de musiciens célèbres, étaient précédés des porteurs de poêles, aux insignes de leur association.
Mais avant de revenir à notre champ du repos sur lequel il y a encore tant à dire, ajoutons quelques mots sur des enterrements célèbres, des funérailles dont le souvenir est resté vivace dans la mémoire des plus anciens de ma génération. Hormis celles qui suivirent les grandes calamités (maladies endémiques, guerres mondiales), les plus émouvantes furent des cérémonies prestigieuses rendues par exemple au Docteur Daniel, vénéré par la population seynoise, pour son dévouement sans limite, sa générosité, celles du Maire Baptistin Paul, décédé en mission à Paris pour la défense de la construction navale ; celle de Toussaint Merle dont les triples mandats de Maire, de Conseiller général et de Député durèrent un quart de siècle, celles de Michel Pacha, mécène de La Seyne, décédé à Tamaris enterré à Sanary dont il fut maire, et dont le cortège s'étira sur plusieurs kilomètres. Une relation particulière lui a été consacrée dans un ouvrage précédent.
Cinq mille tombes nous parlent
Anatole France a écrit : « les pierres parlent à ceux qui savent les entendre ». Sans doute voulut-il évoquer les pierres du passé lointain, depuis les mégalithes de la préhistoire, les pyramides d'Égypte, les palais romains ou ceux de la Grèce Antique, les châteaux féodaux, les cathédrales, les forteresses, les arènes, les statues et stèles du souvenir. Toutes ces œuvres dont il est difficile d'assurer la survie portent témoignage de la volonté de nos ancêtres de laisser après eux des traces de leurs activités, de leur besoin de culture, de leurs soucis d'améliorer la vie, de leurs devoirs de défendre leur petite patrie, de lui donner des bâtiments administratifs convenables et durables, des structures éducatives, sportives, économiques.
Dans le Tome II des Images de la vie seynoise d'antan, ces questions ont été développées sous la rubrique Vieilles pierres seynoises en parlant des pierres de la défense, des pierres de la foi, des pierres du souvenir, des stèles dont il a été question précédemment.
Pour être plus complet, il aurait fallu parler des pierres tombales qui peuplent 7 hectares de notre terroir seynois, cette lacune sera comblée partiellement dans les lignes qui suivent. C'est la raison de ce texte « 5 000 tombes nous parlent ».
Elles nous parlent de cent manières par les inscriptions gravées dans les pierres : noms et prénoms des disparus, date de leur décès, souvent le lieu et les circonstances de la mort.
Au hasard de nos pas, nous découvrons des objets de culte : statuettes de la vierge, la croix du Christ, des anges, des inscriptions à caractère biblique : CREDO (je crois), ou alors Dieu est amour.
D'autres signes d'une autre religion : les tombes de militaires musulmans ornées de l'étoile et du croissant. Remarquons aussi des caveaux marqués de l'Étoile juive.
D'autres structures rappellent l'idéal des Francs-maçons : Le triomphe de la concorde, fondé vers 1786. Apparaissent ainsi sur les tombes des insignes bien connus : branche d'acacia, maillet, fil à plomb, équerre, truelle, triangle sacré.
Sur des multitudes de tombes, on peut remarquer des symboles de larmes, des mains qui se serrent, des cœurs surmontés parfois d'une croix, des fleurs artificielles, des couronnes, des urnes funéraires.
Les tombes où dorment des musiciens portent des sculptures de lyre ou d'instruments. La Seynoise, notre vieille philharmonique dépose toujours une plaque du souvenir, sur la tombe des siens.
On peut noter également des statuettes de la colombe de la paix et même celle de la chouette dont on sait que le chant lugubre évoquait le passage de la mort.
Les témoignages de solidarité abondent pour rendre hommage aux accidentés du travail de la Navale. Par exemple « L'atelier de la tôlerie à notre camarade » même chose pour les charpentiers, les calqueurs...
Rappelons à ce propos que notre Tome V, consacré essentiellement à l'Histoire des chantiers navals, a rendu hommage particulier aux accidentés du travail. Combien de tombes sont marquées par la marine avec Siméon Pichaud, directeur du port, Henri comte de Philibert Cosnac, capitaine de frégate, Richard Palix et P.J. Bonnafet capitaines de vaisseaux.
La mention des aviateurs est plus rare. Citons au moins deux exemples parmi d'autres : celui de Guibert Victor, aviateur, Noël Gambino, pilote de chasse sur Mirage III mort en service commandé le 11 décembre 1968 à l'âge de 25 ans.
Les marins seynois disparus en mer pourraient se compter par centaines : tels Alexandre Tessier, disparu avec L'Amiral Charner le 8 février 1916, coulé par un sous-marin allemand au large de Beyrouth, ou Charles Lardier, disparu à bord du croiseur Kléber à Mers-El-Kébir en 1940.
Comment ne pas être ému par cette inscription des anciens résistants seynois de la dernière guerre : « Souvenir des ouvriers et employés des F.C.M. à : Louis Rouvier, mort pour la France dans les rangs des F.F.I. à Aups à l'âge de 21 ans, Henri Lefèvre, F.F.I. du Vercors, 18 ans, mort à Vassieux (Drôme), Georges Fornoni fusillé à Saint-Nazaire (Drôme) le 11 août 1944 ».
Dans toutes les corporations ont été honorés des hommes remarquables dont les souvenirs demeurent gravés dans les plaques de marbre dont voici quelques exemples poignants : « À la mémoire de nos anciens maîtres », « Souvenir des anciens élèves de l'Institution Sainte-Marie », « Les médaillés militaires en souvenir de leurs camarades ». Sur la tombe de Raymond Dimo, dirigeant prestigieux du Syndicat des Chantiers navals de La Seyne de 1958 à 1988, on peut lire « Ses amis, ses camarades ».
À proximité on peut lire : « Les instituteurs de La Seyne à leur collègue Henri Bertolucci » qui fut directeur de l'école Renan à La Seyne.
Le nom de tous les martyrs de la Résistance ne se trouvent pas au cimetière. Hélas ! Combien ont disparu dans les camps de la mort du nazisme.
Pensons à MM. Laïk, père et fils, dont une place de la ville porte les noms.
La liste complète de tous les martyrs de la Résistance figure aux pages 383-388 du Tome II des « Images de la vie seynoise d'antan ».
Poursuivons notre visite dans le champ du repos ! Et nous allons de surprise en surprise. Tiens ! nous apprenons qu'un Seynois est mort à la bataille de Marengo en 1800 sous le premier Empire, dont il faut savoir que pour la gloire de Napoléon Ier, 1 000 000 de français ont péri sous son règne.
On rencontre aussi la tombe du chef de bataillon Jean-Auguste Martin, qui se distingua à la bataille de l'Alma en Crimée en 1856.
Nul doute que la guerre de 1870 fit aussi des victimes dans la population seynoise et il y eut aussi les Seynois disparus dans les guerres coloniales : au Tonkin, en Afrique noire, en Algérie, au Maroc.
Aux objets de culte, aux vases fleuris, s'ajoutent fréquemment des inscriptions émouvantes, expressions de douleurs vives, de souvenirs intarissables, de regrets éternels, des photographies, des images. Celle d'une petite fille qui tient une colombe au-dessous de laquelle on peut lire : « Cette fleur nous a été ravie au moment d'éclore ».
Sur une tombe d'enfant, on peut lire ce vers de Malherbe : « Il a vécu ce que vivent les roses, l'espace d'un matin ».
Sur la tombe d'une victime accidentée de la route, ces lignes exprimant le désespoir :
Qu'est-ce que le destin ? L'Antiquité chinoise donne cette définition : « Ce qui arrive sans qu'on l'ait fait venir, c'est le destin », tandis que La Fontaine a écrit : « On rencontre sa destinée, souvent par des chemins qu'on prend pour l'éviter ».
Il ne me semble pas que l'on puisse trouver à redire à ces opinions. Les exemples apportés ici sont des plus convaincants. Qu'on en juge !
D'une longue épitaphe sur la concession de la famille Argentery, ces lignes sont extraites :
« Maria Hugues Cyrus, née Armand, mariée le 1er octobre 1865, morte le 14 décembre 1870... Une courte maladie, son accouchement prématuré ont brisé cette belle âme... L'attente d'être mère l'enivrait de bonheur... Le même cercueil reçoit l'agneau avec la mère... Vivante je t'aimais, absente je t'aimerai, où tu es, je désire venir ».
Voici d'autres exemples particulièrement douloureux bien connus de mes proches.
Louis Gautier, quartier-maître mécanicien, époux de Joséphine Mathieu, fut parmi les 300 victimes de l'explosion du cuirassé Liberté le 25 septembre 1911. Retrouvé dans la rade de Toulon, huit jours plus tard, son corps fut déposé dans le caveau du Souvenir Français à La Seyne le 3 octobre suivant. Le 5 octobre, sa fille Louise venait au monde.
Autres détails cruels de l'histoire :
L'artilleur, maréchal des logis Joseph Magliotto, natif du quartier Beaussier, fut frappé à mort sur le front de la première guerre mondiale le 8 octobre 1918.
Mais sa famille ne fut informée de cette terrible nouvelle que le 11 novembre 1918, au moment où le carillon de Notre-Dame sonnait à toute volée pour annoncer l'armistice tant attendu. On imagine l'immense douleur de la famille, plongée pendant longtemps dans le plus grand désespoir.
Que pourrait-on dire alors sur les cas bien nombreux de ces soldats qui moururent après la signature de l'armistice, les moyens de communication et de transmission étant fort précaires à l'époque, le cessez le feu, hélas ! ne parvint qu'avec bien du retard dans certaines unités. Dans l'enfer des combats, il a suffi qu'un agent de transmission soit tué ou seulement blessé, qu'un fil téléphonique soit rompu par un obus, pour engendrer les plus grands désastres.
Mes souvenirs personnels me permettent d'affirmer que des soldats français furent tués par leurs frères artilleurs alors qu'ils avançaient vers les tranchées ennemies et que l'ordre d'allonger le tir par-dessus leurs têtes n'avait pas été donné au bon moment.
Que d'erreurs ! Que de malchances à déplorer dans les turbulences de la guerre ! On pourrait certes multiplier les exemples nombreux de la vie quotidienne.
Citons encore le cas du commandant Joseph Venturino, en fonction sur le bâtiment Général Bonaparte, torpillé le 19 mai 1943 au large de Nice. Dans les tourbillons du navire sombrant, l'officier parmi d'autres est englouti sous les flots. Il réussit à faire surface grâce à sa ceinture de sauvetage, alors que le bateau disparaissait. Sauvé de justesse 16 heures après le drame, il est transporté à l'hôpital Sainte-Anne. Hélas ! il mourra peu après d'une pneumonie.
Il me revient en mémoire le cas de mes oncles Augias, cultivateurs du quartier Camp Laurent. Le père, Louis, 45 ans et le fils, Joseph, 20 ans, sont tous deux mobilisés en 1914 et dirigés sur le front de Lorraine. Le jeune, excellent mitrailleur est le plus exposé au danger, le père utilisé dans un service auxiliaire soigne des chevaux à quelques kilomètres en retrait de la ligne de feu.
En 1916, inopinément, un obus allemand atteint les écuries et Louis Augias est frappé à mort à Sivry-la-Perche (Meuse) et il repose depuis dans le cimetière militaire d'Esnes-en-Argonne.
Quant au fils Joseph, il fut un miraculé de Verdun, sur le front duquel il fut transpercé d'une balle allemande et considéré comme perdu par les ambulanciers. Mais il en réchappa... et mourut à 92 ans. On ne trouvait pas d'autre explication à son miracle qu'en répétant : « Ce n'était pas son heure ! »
Par définition, un miracle sous-entend une intervention divine, une puissance occulte qui règle par avance les événements et cela d'une manière irrévocable.
Pourquoi cette force surnaturelle qu'on appelle la fatalité frappe les uns aveuglément, épargne les autres sans distinction aucune. En présence des calamités de toutes sortes, d'événements dramatiques, l'humanité recherche des raisons, des explications aux injustices du sort, ou encore à la providence qui a été d'un grand secours aux chanceux. Dans ce cas, on dit tout simplement : « Il est né sous une bonne étoile ! ».
En écrivant cela, je pense encore à la guerre de 1914-1918 dont les bilans effroyables ont été donnés dans les tomes précédents.
Encore un exemple significatif qu'il faut situer au 8 février 1916. Ce jour-là le croiseur-cuirassé Amiral Charner est torpillé au large de Beyrouth alors qu'il allait en surveillance du Canal de Suez. L'effectif de ce navire comportait 20 officiers et sous-officiers, et 350 matelots.
Le maître mécanicien Alexandre Tessier se trouvait à bord. Il avait quelques liens de parenté avec mes grands-parents. Il demeurait à La Seyne au quartier Gavet. Quand la Marine annonça aux familles la perte du vaisseau, on ne lui laissa aucun espoir de retrouver des survivants.
Les mois et les années passèrent. J'avais relaté dans un ouvrage précédent la disparition de l'Amiral Charner et affirmé que de ce drame il n'y avait eu aucun survivant. L'une des lectrices de mon livre m'interpella un jour dans la rue Cyrus Hugues.
Je souhaite vivement que cette honorable personne, que je n'ai plus revue à La Seyne depuis longtemps, puisse prendre connaissance de ces lignes qui lui apporteront une rectification à l'erreur que j'ai commise il y a déjà près de 20 ans.
Le quartier-maître Cariou a pu dire après son sauvetage que la Providence l'avait bien servi ce jour-là, mais allez donc savoir les souffrances endurées par ce marin après avoir survécu à ce drame.
J'en reviens à mon propos sur la fatalité et les interrogations qu'elle pose à tout le monde. Pourquoi ce 8 décembre 1916, à l'endroit précité, 369 hommes moururent engloutis dans la Méditerranée en quelques instants alors qu'un seul échappa au désastre. « C'était écrit » diraient les Arabes (Mektoub). Oui ! peut-être. Où et par qui ? Est-ce vraiment une explication ?
Comme le lecteur aura pu en juger d'après le plan paru au début de son historique, la nécropole seynoise présente des contours sinueux qui contrastent avec la silhouette quadrangulaire originale.
Les sections 3A et 3B dans leurs limites sont très significatives à cet égard parce qu'elles furent aménagées à la suite de tractations difficiles avec les propriétaires des terrains. Les municipalités furent confrontées à des difficultés certaines imputables à des problèmes de crédit, de la nature géologique des sols, de zones de terrains accidentés.
Néanmoins, tous les inconvénients aplanis, à partir de 1973, l'extension put se faire en direction des collines du quartier Touffany. La construction de restanques solides fut réalisée et permit d'édifier un maximum de sépultures en étages sur un minimum de surface.
Un système de niches, de cases et de cellules à 3 alvéoles sur 3 niveaux permit de satisfaire les besoins accrus imposés par la croissance importante de la population qui passa de 34 000 habitants en 1965 à 60 000 en 1988.
Dans les années 1980, le cimetière prit sa forme actuelle et le style nouveau des sépultures trancha radicalement avec celui des chapelles musées d'autrefois.
Disons au passage que ces monuments funéraires et le patrimoine architectural qu'elles représentent font l'objet de vives inquiétudes des édiles de l'heure présente soucieux de pallier les dégradations suite aux intempéries inévitables et à la vétusté, et aussi sans doute aux négligences des propriétaires ou des héritiers - lesquels d'ailleurs ne se retrouvent pas toujours en dépit des recherches perspicaces du conservateur.
Il faut bien dire que parmi les familles les plus anciennes, nombre d'entre elles n'ont laissé aucune trace tangible.
Dans cette période des années 1980, un travail considérable de réorganisation a été accompli par les responsables de notre nécropole, à tous les niveaux : notamment par la création des secteurs, le balisage des allées, le renforcement du personnel s'élevant aujourd'hui à six personnes et composé de fossoyeurs, d'agents d'entretien et de surveillance, tous dirigés par un surveillant de travaux sous la responsabilité du conservateur. Ajoutons qu'ils accomplissent tous leurs tâches ingrates avec une haute conscience.
Ne fallait-il pas penser également à multiplier les points d'eau, les fontaines si utiles aux visiteurs quotidiens soucieux d'entretenir, de nettoyer, de fleurir leur sépulture familiale ?
Les employés occupés presque chaque jour à des cérémonies funèbres font tout leur possible pour assurer une surveillance des tombes visitées parfois par des malandrins, des pirates odieux qui n'hésitent pas, même en ces lieux sacrés du souvenir, à voler des objets d'art, des sculptures de la foi pour les revendre bien loin. Ou alors, phénomène fréquent les jours d'anniversaire, la disparition de pots de fleurs de tombes richement garnies, œuvre d'aigrefins avaricieux qui honorent leurs disparus avec les fleurs des autres. Lamentable ! mais hélas terriblement vrai !
Après les derniers agrandissements du cimetière, soit en direction du quartier Touffany, soit vers le quartier Domergue, les municipalités purent se réjouir d'avoir vendu en quelques mois des centaines de concessions même à perpétuité, celles dont les prix étaient les plus élevés. Et là encore, on put constater les inégalités devant la mort. Tandis que les citoyens les mieux nantis pouvaient offrir à leurs disparus des sépultures correctes, d'autres devaient se contenter de la terre commune dont la superficie s'amenuise d'année en année.
On sait que, dans ce secteur, l'inhumation y est gratuite, mais les emplacements utilisés ne sont plus renouvelables au bout de cinq ans.
Et pourtant, les hommes, les femmes, les frères, les sœurs, les amis qui y reposent provisoirement apportèrent leur contribution à la vie communautaire sous une forme ou sous une autre. Ils n'ont pas eu droit à des chapelles ou autres monuments luxueux.
Ceux que le poète a appelé « Les humbles, les obscurs, les sans grade », qui reposent sous leur tertre funéraire ont droit au respect comme tous les autres disparus, quelle que fût leur importance sociale.
Et ma pensée vagabonde se dirige obligatoirement vers ceux de nos Seynois qui périrent dans l'enfer des camps de concentration imaginés par les hitlériens dans les atrocités des guerres mondiales sans laisser aucune trace ; ceux qui périrent dans les combats navals, engloutis dans des coques d'acier par milliers ; ceux qui tombèrent loin de leur patrie, victimes des guerres coloniales en Afrique, en Asie, en Océanie.
Quel écolier ne se souvient-il pas du célèbre poème de Victor Hugo Oceano nox ! dont ces quelques vers émouvants sont extraits :
Le cimetière au quotidien en fin du siècle
Rares sont les jours ou des cortèges funèbres ne franchissent pas l'entrée de notre nécropole, annoncés par le clair tintement de la clochette du portique. Le conservateur est toujours présent à la réception du défunt, de sa famille, de ses amis. Un rassemblement se forme sur l'esplanade d'entrée à l'heure précise fixée auparavant.
Puis c'est le dernier parcours, la dernière étape, la plus cruelle vers la sépulture et la séparation douloureuse du défunt d'avec les affligés : les condoléances...
Toutes les cérémonies n'ont pas la même importance ni le même caractère suivant les volontés exprimées dans le testament du défunt, les opinions de la famille. Les uns veulent des obsèques somptueuses, les autres préfèrent la simplicité.
Que de fois, il nous a été donné d'entendre des marches funèbres, celle de Chopin en particulier, jouées par les philharmoniques La Seynoise ou l'Avenir seynois.
En fonction de leur importance sociale, de leur appartenance à telle ou telle association, des éloges funèbres sont rendus à des personnages influents en présence de leurs amis porteurs de dais, d'insignes, de drapeaux.
On sait bien que généralement les obsèques n'ont pas le caractère de funérailles somptueuses - le plus souvent les familles recherchent la simplicité et aussi en raison des dépenses onéreuses.
Le cimetière au quotidien ce ne sont pas toujours les enterrements et les foules qui y viennent célébrer les anniversaires, les fêtes nationales : le 11 novembre, le 8 mai, le 29 avril, le 1er et le 2 novembre, la Noël... sans oublier la fête des mères qui est devenue la plus respectée de toutes, ce qui me permet d'ajouter qu'il serait injuste d'accuser les gens d'indifférence ou d'ingratitude.
Venons-en aux jours ordinaires où se manifestent tout de même des activités régulières, celles du personnel chargé de préparer des sépultures, d'entretenir l'ensemble, d'opérer des transferts de corps, etc.
Celles des visiteurs quotidiens, hommes et femmes, qui viennent se recueillir sur les tombes, fleurir, arroser, entretenir des céramiques ou autres objets de culte, dire des prières, adresser discrètement des messages aux disparus, convaincus de les joindre par les phénomènes de la métempsycose. Les veuves, d'ailleurs plus nombreuses que les veufs, s'en viennent chaque jour affirmer leur fidélité et leur amour à leur époux défunt, entretiennent un va-et-vient permanent dans les allées d'entre tombes. Les points d'eau qu'il a fallu multiplier au fil des décennies leur évitent des fatigues pour le transport de l'arrosoir traditionnel.
Hélas ! le temps passe inexorablement, les veuves vieillissent, espacent leurs visites jusqu'au jour où elles confient à d'autres, les marchands de fleurs et d'articles funéraires le soin d'entretenir leurs tombes.
Tous ceux que le malheur a frappés n'ont pas les mêmes réactions devant la douleur. Après un deuil cruel, certains décident de ne plus entrer au cimetière estimant que la séparation doit être totale. D'autres se font tout de même un devoir de mémoire, en particulier le 2 novembre, pour ce qu'on appelle le jour des Morts en apportant des chrysanthèmes, des bégonias, des cyclamens ou autres fleurs superbes ou alors de magnifiques fleurs artificielles qu'il n'est pas nécessaire d'arroser et plus résistantes aux intempéries.
En somme, le cimetière agrandi passant depuis 1837 de quelque 4 000 mètres carrés à sept hectares, devient un lieu de rencontres tout de même vivantes et comme au temps de ma volubile grand-mère, les conciliabules s'animent sur des sujets tout à fait différents des discours mortifères, des oraisons funèbres et des regrets éternels.
Sur le chemin du retour des cérémonies funèbres des hommages rendus aux victimes de la guerre, aux accidentés du travail, il se trouve toujours des plaisantins à la faconde intarissable, au verbe haut et dont la discrétion n'est pas la qualité première. Qu'on en juge par ces réflexions entendues sur les lieux mêmes d'entre les tombes.
Plaisantins et propos incongrus
Ils avaient quelque peu contenu leur verbosité ces plaisantins, avant la descente du défunt dans sa sépulture. À voix basse, ils avaient tout de même échangé avec les voisins de cortège leurs succès des dernières parties de chasse ou de pêche, commenté des résultats électoraux, vanté les effets positifs des grèves dans la navale. Mais la cérémonie funèbre terminée, leurs langues allait pouvoir se délier prestement, surtout si l'ordonnateur de la cérémonie venait d'annoncer :
Et la conversation tourne en propos moqueurs sur les veuves fidèles, assidues aux mêmes heures chaque jour pour garder un certain contact avec leurs chers disparus. Mon ami Auguste, avec son franc-parler, aux limites de la décence, a failli se fâcher avec sa voisine, veuve depuis plusieurs années, visiteuse fervente du cimetière en lui disant : « Prenez garde Madame ! À force de venir au cimetière, on finit par y rester ».
La dame, paraît-il, n'a pas apprécié une telle réflexion qu'elle a jugée plutôt déplacée.
Nos plaisantins, sur le chemin du retour, à hauteur du tailleur de pierres, Monsieur Carle, marquaient toujours un arrêt pour observer le travail de la scie électrique dont les dents grinçantes s'enfonçaient lentement dans les blocs de marbre pour en tirer les lourdes pierres tombales.
- Joseph, le partisan de la crémation défendait de nouveau sa cause : « Voyez ! Les dépenses qu'on pourrait éviter si l'on répandait les cendres mortuaires dans la mer ou alors dans les jardins comme la loi le permet maintenant ».
Les avis étaient toujours partagés.
Parvenus à la descente de la rue Jacques Laurent, Auguste toujours en verve arrêtait le groupe et montrait du doigt un endroit précis.
« Voyez là, il y a quelques années, montait le char funèbre d'un jeune accidenté de la route dont j'ai oublié le nom. Le véhicule à cette époque était tiré par un beau cheval et voilà qu'avant d'atteindre le sommet de la côte, l'animal s'arrêta, l'espace d'un court instant. Les affligés et tous les gens du cortège n'en comprenaient pas la raison qu'ils ne tardèrent pas à découvrir au redémarrage du convoi ».
L'animal ayant un besoin urgent à satisfaire s'était délesté abondamment de son crottin fumant et malodorant, obligeant les affligés et les autres à zigzaguer pour limiter les souillures des souliers vernis.
Immanquablement, on entendit maugréer dans le cortège mais aussi des rires difficiles à contenir ; le cocher aurait dit par la suite qu'il n'était pas responsable de tels désagréments.
Il se trouva tout de même un farceur pour dire qu'on doit toujours faire boire et manger les chevaux deux heures avant leur travail quotidien et pourquoi pas exiger le reste ?
Les propos hilarants émanaient, même à l'annonce d'événements sérieux. Apprenant un beau matin qu'un de ses amis était mort subitement dans son lit, André Garro, inépuisable en drôleries, réagit en déclarant à son entourage « s'es ravilla mouart » la langue provençale étant la plus courante au début du siècle. Traduisez « il s'est réveillé mort ! ».
Mais nos joyeux lurons revenaient tout de même à des sujets plus graves en évoquant les vols de fleurs et d'objets d'art déposés sur les tombes.
Il y a des salauds qui ont pris des pots de fleurs sur la stèle du Souvenir Français. « C'est à peine croyable, des actes pareils », disait le fils d'un soldat de la guerre 14-18. « Des gens comme ça mériteraient d'être fusillés ! ».
Venant se mêler à la conversation mon ami Giordano, enseignant retraité, homme d'une grande sagesse, partisan fervent de la crémation déclarait :
« Les gens manquent de courage et de franchise ! Ils ont peur de ce qu'ils appellent l'au-delà, c'est-à-dire une chose sur laquelle ils ne savent rien et que personne n'a su expliquer avec précision jusqu'ici ».
« Les problèmes de la mort, disait-il, devraient être résolus par l'incinération des cadavres ou si vous préférez la purification par le feu : point d'entretien onéreux des tombes, point de vols de fleurs à déplorer, plus de problèmes de terrains à trouver pour les sépultures. Tout devrait se régler de la manière la plus simple et la plus discrète. Les fleurs, les couronnes, les prières, les cantiques, les drapeaux, les épitaphes, tout cela est parfaitement inutile et n'enlève rien à la douleur ».
Alors, Giordano, poursuivant son métier d'éducateur disait à l'équipe des plaisantins qu'il voulait convaincre « Lisez, La mort du loup, un poème sublime d'Alfred de Vigny ! ».
L'un d'eux qui avait probablement terminé ses humanités au cours élémentaire répliquait :
« Je ne vois pas ce que le loup peut nous apporter dans cette discussion ! ».
Alors Giordano très écouté de son auditoire résumait la parole du poète ainsi :
Ayant assisté à la mort d'un loup abattu par une équipe de chasseurs dont il faisait partie, Alfred de Vigny impressionné par la fin silencieuse et courageuse de l'animal face à ses ennemis, écrivit un poème célèbre intitulé « La mort du loup » dont les vers qui suivent ont été extraits :
Depuis 1837, point de départ de la nécropole actuelle, des agrandissements fréquents ont été nécessaires en fonction de l'accroissement de la population et donc du nombre des disparus.
La configuration actuelle est définitive en ce sens qu'aucune extension n'est possible. Malgré les formules nouvelles de cases murales pour utiliser au mieux les terrains de sépultures, il faut bien constater que le cimetière actuel est arrivé à saturation.
Nos édiles ont projeté une nouvelle nécropole au quartier Camp Laurent, étendue sur 5 hectares pour y établir en trente ans 2 560 caveaux, plus de 300 tombes en terre commune soit au total 12 000 places.
Tout cela doit s'accompagner d'un projet de crématorium qui serait géré par un syndicat intercommunal.
Depuis déjà une quinzaine d'années, les demandes de crémation sont de plus en plus fréquentes. D'après les statistiques officielles, elles seraient passées de 3 % à 18 %.
Les communes de l'Ouest varois en majorité sont favorables à ce projet qui donnera satisfaction aux familles de plus en plus nombreuses, désireuses d'adopter ces pratiques funéraires.
Les collectivités municipales, périodiquement à la recherche de terrains de sépultures, verront certainement dans la réalisation du crématorium, un moyen de simplifier leurs difficultés.
Ainsi s'achève cette relation à caractère historique évident dont j'ai voulu qu'elle soit d'abord un hommage à tous les disparus de la communauté seynoise depuis son origine, à tous les citoyens qui luttèrent toute leur vie durant pour assurer leur propre subsistance, celle de leur famille, celle de toute une population, confrontée, comme il a été montré à des conditions de vie très précaires, à des fléaux mortels, aux événements dramatiques de plusieurs guerres dont les stigmates perdurent malgré les siècles écoulés.
Les sujets traités à travers ces textes offrent une grande diversité dont certains lecteurs seront peut-être choqués par leurs caractères lugubres ou morbides, difficiles à éviter.
Il fallait, me semble-t-il, insister sur la nécessité de pérenniser le souvenir de blessures inguérissables, de spectacles atroces dont je fus le témoin. J'ai considéré comme un devoir de les rappeler dans le souci de sensibiliser mes concitoyens, la jeunesse surtout, aux luttes incessantes de l'Humanité contre l'adversité aux origines et aux formes multiples.
En démêlant les fils de l'histoire tumultueuse de notre nécropole, au hasard de la plume, j'ai insisté sur les inégalités profondes dans les hommages rendus aux disparus : les uns reposant dans un cimetière musée sous des chapelles au style architectural remarquable ; les autres sous un tertre bien modeste portant seulement le nom du disparu ; les conditions de ces disparités s'expliquant par la condition sociale des familles, les problèmes financiers mais également par les conceptions parfois très différentes des problèmes de la mort et de la foi.
Le lecteur aura compris, je l'espère du moins, la complexité de ce sujet aux multiples facettes dont le point de départ fait référence à des faits historiques auxquels succèdent des styles d'architectures, des agrandissements nécessaires, le souci des édiles responsables des problèmes d'entretien et d'extensions inévitables.
Puis, il fallut rappeler longuement des catastrophes entraînant des milliers de victimes innocentes dans la tombe, sans oublier les coutumes ayant trait aux problèmes de la mort.
Tout cela a été dit, obligatoirement avec des lacunes, car il ne m'était pas possible de citer en exemple tous les fondateurs de notre cité, tous les créateurs de l'industrie navale, tous les artisans des tissus économique, associatif, culturel.
J'ai fixé mes souvenirs dans les parties les plus anciennes du cimetière pour la simple raison qu'elles sont pour moi les mieux connues, celles où l'immense majorité de mes amis disparus y repose son sommeil éternel.
Et parmi tous ces honorables citoyens il y eut des ingénieurs, des médecins, des officiers, des administrateurs, des présidents prestigieux de la vie associative, des artistes, des entrepreneurs artisans, des enseignants de tous les niveaux, des musiciens, des pêcheurs, des navigateurs, des constructeurs navals, des agriculteurs, grands et petits propriétaires terriens...
En bref, tous les représentants des catégories sociales qui ont fait du bourg provençal qu'était La Seyne en 1657, année de son indépendance économique et administrative, une grande cité industrielle de renommée mondiale dans les XIXe et XXe siècles.
Dans la diversité des thèmes développés dans ces pages d'histoires certains lecteurs estimeront peut-être déplacés les propos tenus par des plaisantins sur les problèmes de la mort. Et pourtant la réalité est là dans la bouche de gens qui ne trouvent rien d'offensant dans leurs réparties.
Le labyrinthe de mes idées m'a conduit à écrire ce septième ouvrage de la série « Images de la vie seynoise d'antan » sur le thème de la nécropole de 1837, particulièrement digne d'intérêt parce qu'à mon avis il est évocateur des points les plus forts de l'histoire seynoise.
A consulter également :
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© Jean-Claude Autran 2024