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Quand vous entrez au Cimetière de La Seyne, à quelques mètres de la porte, vous découvrez sur votre droite, une stèle portant l'inscription suivante :
À la mémoire de SATURNIN FABRE, Maire de La Seyne (1886-1895), Conseiller général (1892-1898).
Sur la face Nord, on lit : " Monument élevé par souscription publique ".
Le nom de Saturnin Fabre se trouve également sur les maisons du Port puisqu'il désigne le quai principal qui fait face à la rade de Toulon. Avant de porter le nom de cet administrateur éminent, on disait avenue du Port et aussi rue du Port et, de tout temps, cette artère fut considérée comme la plus importante de la ville car elle assura toujours le plus grand trafic routier.
Le 20 Novembre 1909 le Conseil municipal conduit alors par le Maire Jean Armand, pharmacien de son état, se réunit
Sont présents : MM. Juès, Tisot, Lesquoy, Audiffren, Ferrandin, Pisan, Martel, Blan, Maïsse, Troubat, Gabriel, Cartier, Giraud, Massone, Tomasi, Campinchi, et Jean Armand qui préside la séance.
L'une des questions à l'ordre du jour porte sur la dénomination des rues. Sur la proposition du premier magistrat, l'Assemblée revient sur une délibération du 26 Septembre 1905, qui avait attribué ce jour-là des noms à trente rues de la ville. Il en demande l'annulation et des changements seulement pour onze d'entre elles.
Nous n'allons pas ici épiloguer sur le choix des édiles du moment.
Il est certain que leur désir de modifier ou de supprimer certains noms était fonction de leur étiquette politique. Depuis des siècles, il en est ainsi.
Sur les onze noms nouveaux à faire approuver, nous n'en retiendrons que deux : Saturnin Fabre et François Bernard tous deux anciens Maires de la ville.
Aucune opposition ne se manifesta au sein de l'Assemblée et c'est ainsi que le quai principal du Port fut baptisé Saturnin Fabre et le quai Est appelé alors Regonfle fut dénommé François Bernard.
Hommage fut donc rendu à ces deux hommes qui s'affrontèrent sur le terrain politique, parfois avec une extrême violence, pour aboutir au tombeau presque en même temps. N'est-il pas vrai que la mort égalise toutes les conditions, toutes les différences, toutes les divergences ?
Dans ce récit, il sera question essentiellement de Saturnin Fabre pour les raisons que nous définirons plus loin. Mais il n'était pas possible de parler de sa vie et de son oeuvre sans évoquer François Bernard dont le combat perspicace, mais peu glorieux, finit par avoir raison de son adversaire abhorré.
La délibération municipale du 20 Novembre 1909 et surtout l'érection de la stèle, sont des marques de reconnaissance tangibles qui portent témoignage des services éminents rendus par Saturnin Fabre à la collectivité seynoise. Nous nous proposons ici de les préciser et de montrer comment son oeuvre a laissé des traces profondes malgré le temps écoulé depuis sa disparition de la scène politique et administrative locale, au début de notre siècle.
Ceux de nos concitoyens amoureux des choses du passé, ceux de nos enseignants désireux de donner à leurs élèves le goût de la recherche historique, se poseront des questions à la lecture du sommaire de l'ouvrage.
Saturnin Fabre a été honoré. Fort bien ! Mais peut-on ignorer les autres magistrats ? Ont-ils démérité ? N'ont-ils pas marqué leur passage à la tête de l'Administration municipale ? Si oui, de quelle manière ? D'autres maires ne sont-ils pas dignes aussi de témoignages laudatifs ?
Certes, il y en eut d'autres, compétents et dévoués dont les efforts méritoires devraient être connus de la population. Cependant, l'Histoire les a oubliés tout à fait et cette ingratitude, nous allons en expliquer les raisons. Mais remontons quelques instants le cours du temps pour mieux comprendre les problèmes complexes de l'Administration communale.
Un peu d'histoire : L'édilité seynoise
Depuis quelle date précise peut-on parler d'une édilité seynoise ?
Il faut remonter à 1631 pour découvrir qu'à ses débuts l'agglomération de La Sagno dépendante des féodaux Six-Fournais était représentée par des délégués choisis parmi les familles les mieux nanties de propriétaires terriens dont le nom est encore bien connu de nos jours : Tortel, Beaussier, Lombard, Pascal,...
À partir de 1636, ces administrateurs délégués deviendront des magistrats responsables. Avec l'érection de La Seyne en commune indépendante en 1657, les édiles élus par les personnalités locales s'appelleront suivant les époques : gouverneurs, consuls ou notables.
Après la Révolution de 1789, ces vocables disparaîtront et le chef de tout corps municipal portera le nom de Maire. Pendant longtemps celui-ci ne sera pas élu par le Conseil municipal, mais désigné par le pouvoir central. À partir de 1882, seulement, il sera élu par ses collègues. Enfin, la loi municipale du 5 Avril 1884 établira de façon précise les attributions des municipalités et leur accordera un certain nombre de libertés tout en les plaçant sous le contrôle administratif du Préfet.
Avec cette loi, les conditions de l'Administration étant bien mieux définies que par le passé, il serait possible de faire un travail durable et efficace au profit de la collectivité.
Mais, comme nous le verrons, les bons textes ne suffisent pas à faire passer dans la vie les meilleurs principes.
Le premier notable seynois qui porta le nom de Maire fut Joseph Estienne qui assuma ses fonctions de 1770 à 1792 et depuis, pendant plus d'un siècle, 45 maires se sont succédé, ce qui montre que la durée moyenne de leur mandat n'a été que de courte durée. Ils ont été remplacés pour la plupart au bout d'une ou deux années d'exercice.
Comment expliquer cette instabilité, néfaste au bon fonctionnement des institutions locales ? Les causes en sont multiples.
La responsabilité des Maires fut souvent contrariée par les évènements politiques de leur temps.
Le manque de moyens, les cabales injustifiées visant au découragement, les intrigues entretenues par des ambitieux, l'ignorance de la population, prête dans son aveuglement à suivre des aventuriers, la fragilité des institutions administratives toujours remises en cause,... tout cela constituait autant d'obstacles qui mirent à rude épreuve les édiles les plus chevronnés et les conduisirent à limiter leurs activités aux affaires courantes et à négliger les grands objectifs.
Il faut bien dire aussi que les Maires, désignés ou élus, n'offrirent pas toujours à leurs administrés les garanties de la réussite. Il y eut les incompétents, les hésitants sans autorité ; ceux n'ayant pas la volonté d'affronter le mécontentement populaire ou de résister aux pressions du pouvoir de tutelle ; ceux qui constataient avec amertume que ce même pouvoir restait souvent indifférent aux appels pathétiques des administrés.
Il y eut les caméléons qui changèrent de couleur politique en fonction des évènements du moment par crainte de représailles.
Combien de magistrats municipaux se découragèrent d'oeuvrer pour le bien public en l'absence de moyens financiers si l'on se souvient que pendant des siècles l'Empire et la Royauté ont contribué puissamment à la ruine du pays par les guerres incessantes, les expéditions inutiles et meurtrières.
Comment assurer une bonne gestion de la commune dans de telles conditions ? La bonne volonté ne pouvant suffire à tout, nous avons là l'explication des nombreuses démissions, des hésitations à renouveler des candidatures, des mandats inachevés.
Voilà pourquoi le nom des maires de La Seyne figurant sur les murs de la ville est peu élevé, une douzaine à peine.
Voilà pourquoi, en réponse aux questions posées précédemment, notre désir de reconnaissance et de vénération s'est trouvé bien limité. D'autant plus que les gens capables et dévoués pour assurer une bonne administration par une fonction quasi bénévole, à peine récompensée par des indemnités dérisoires, des citoyens porteurs des plus grandes qualités humaines sont toujours difficiles à trouver.
Pour avoir la confiance de ses administrés, un bon Maire doit se distinguer d'abord par son intégrité absolue. Il est le point de mire de tous ses concitoyens qui surveillent ses faits et gestes, tant en ce qui concerne sa vie publique que sa vie privée. Il doit forcer le respect de tous par son désintéressement, son dévouement, son souci de ne négliger aucun des problèmes de la vie collective.
La compréhension des problèmes administratifs ne suffit pas pour une bonne gestion. Pour trouver des solutions durables à tous les besoins d'une population composite, diverse dans ses origines, ses usages, ses croyances, ses modes de vie, il faut beaucoup d'intelligence, alliée à un souci d'équité sans perdre de vue la nécessaire concertation du chef et de ses collaborateurs d'une part ; la consultation permanente entre élus et administrés d'autre part.
Le Maire à la hauteur de ses responsabilités doit avoir le souci permanent d'améliorer la vie matérielle de ses concitoyens (naturellement dans la limite des pouvoirs que lui confère la Loi), de créer les conditions de la convivialité malgré les différences, et elles sont nombreuses, surtout dans une ville comme la nôtre devenue très cosmopolite déjà dans le dernier siècle écoulé, une ville au caractère à la fois industriel, commercial, touristique où les périodes prospères furent entrecoupées de récessions économiques, de mévente, de chômage ; une ville en mutation constante due avant tout aux bouleversements de sa composition sociale.
Il appartient également au Maire de comprendre si sa commune a des possibilités de développement, de peuplement et d'adapter le cas échéant sa politique municipale aux impératifs de l'urbanisation et de tous les besoins sociaux.
Mais le devenir de la communauté et le bien être de ses habitants concernent toute l'équipe municipale. C'est pourquoi le Maire doit veiller à la bonne entente de tous ses collègues sans laquelle, aucun travail profitable ne peut s'accomplir.
On peut donc mesurer à travers ces quelques lignes l'immensité des responsabilités du Maire et de ses collaborateurs. La population, trop souvent ignorante des difficultés, trop vite portée à la critique, est loin de se douter de la patience nécessaire aux édiles dans la recherche de justes solutions à des conflits incessants. Elle doit comprendre que le rôle du Maire est si délicat qu'il lui faut un moral à toute épreuve pour exercer ses fonctions correctement.
Au travers de tous les documents écrits en notre possession, relatifs à l'administration de notre ville, nous avons recherché ceux que l'on pourrait appeler les grands maires. À la vérité, il y en eut peu. Après maintes réflexions, après avoir jaugé le volume de leurs réalisations positives et la durée de leurs activités, il nous est apparu qu'un hommage particulier devait être rendu à deux d'entre eux :
Saturnin Fabre pour le XIXe siècle et Toussaint Merle pour le XXe siècle. Il s'agit de deux personnalités éminentes qui ont marqué plus que d'autres leur passage à la tête des municipalités dont ils eurent la charge par leurs conceptions hardies des problèmes d'urbanisme, leur recherche de meilleures conditions de vie pour leurs concitoyens, l'utilisation des progrès de la science, l'avenir touristique de la ville.
Malgré leurs opinions politiques opposées, ces deux magistrats firent oeuvre de précurseurs en matière de gestion municipale.
Nous ne rechercherons pas des comparaisons difficiles à établir si l'on pense qu'ils exercèrent leurs fonctions à plus de soixante années d'intervalle à des époques où les conditions matérielles de la vie n'avaient rien de commun.
Fabre Grégoire Saturnin Calixte
Saturnin Fabre fait parler de lui à La Seyne en 1885, année où il entre au Conseil municipal, présidé par M. Sabatier, retraité de la marine.
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On sait qu'il est né à Toulon le 15 Octobre 1842.
Le premier prénom que lui donne l'état civil est celui de Grégoire. Pourquoi par la suite le second prénom prévalut ? Nous ne savons pas. Simple erreur de transcription peut-être ? Son père Jean-Baptiste, natif d'Ollioules, y exerçait la profession de maçon et sa mère Marie Victoire Maynard, sans emploi, vaquait aux occupations ménagères.
Les époux domiciliés à Toulon vers 1840 s'efforcèrent de donner à leurs enfants une bonne éducation et une solide instruction.
Le nom de Saturnin Fabre fut connu des téléspectateurs dans les dernières décennies, non pas pour rappeler le Maire de La Seyne, mais son neveu artiste de théâtre puis de cinéma (1883-1961).
NB. L'acteur Saturnin Fabre se prénommait en fait Charles. Un beau jour (assez jeune), il trouva que le nom de Saturnin Fabre "sonnerait" beaucoup mieux que le sien au théâtre. Et il l'adopta. Ce qui, dans l'immédiat, eut pour effet de rendre furieux le Maire de la Seyne et, plus encore, son épouse dont les sentiments "bourgeois" admettaient avec peine, non seulement la présence d'un jeune artiste dans la famille, mais plus encore que celui-ci ait le culot de prendre le prénom de son cher et respectable époux... (Précisions fournies en 2004 par M. le Professeur Roland Granier, petit-fils d'une cousine germaine de l'acteur Saturnin Fabre, que nous remercions vivement) (NDJCA).
Saturnin fit des études classiques poussées qu'il compléta par des cours d'architecture, de charpente et de coupe de pierres. Il devint ingénieur et entrepreneur de travaux publics. Dans le même temps, il se passionna pour la peinture, la musique, le dessin, la physique. Tout l'intéressait. À 14 ans, il traçait des épures des ponts biais que son père devait construire sur la ligne ferrée Toulon - Nice. Servi par une vive intelligence, il put réaliser de grandes choses dans des domaines les plus divers, ce que nous allons montrer abondamment.
Ses talents, il les exerça bien au-delà de la région toulonnaise dont il était originaire surtout dans les années qui suivirent ses échecs électoraux à La Seyne.
Son intelligence alliée à une capacité de travail considérable lui permit de s'élever rapidement dans la société et d'assurer à son foyer une situation confortable.
Marié à Marie Hortense Poucel, il eut deux filles : Germaine, épouse Frugier, industriel dans la région parisienne et Rose Marie Eugénie, veuve de Marius Gustave Car, dont la descendance avec Albert Gustave nous a permis de rencontrer Mlle Antoinette Car, arrière-petite-fille de Saturnin Fabre en possession d'une riche documentation sans laquelle nous n'aurions pu enrichir notre récit avec autant de précisions.
Dans sa jeunesse, Saturnin Fabre avait assisté à l'effondrement de l'Empire et s'était rallié au régime républicain tout en prenant ses distances par rapport au mouvement ouvrier grandissant. Il avait condamné le gouvernement de la Commune de Paris et, quand il se lança dans les affaires, il combattit d'entrée les idées montantes du socialisme de Guesde et de Jaurès.
Dès le début de sa carrière politique à La Seyne, il conquit rapidement la confiance des notables, des artisans, des commerçants, des industriels. Il se trouva que, dans le même temps, le choix de ses relations publiques se fera en fonction de ses intérêts personnels lesquels ne furent pas toujours opposés à ceux de la commune.
Il ne fut pas un ingénieur au service d'une administration publique. Ses compétences, il les exerça en qualité d'entrepreneur de travaux publics, ce qui donna l'occasion à ses adversaires politiques, dès le début de son mandat de développer des campagnes malveillantes contre lui et contre le Conseil municipal qu'il dirigeait.
Pensez donc ! Un maire entrepreneur de travaux publics qui propose et qui insiste pour réaliser de gros emprunts, c'était la porte ouverte à toutes les allusions, les suppositions, les calomnies même, à cause de retombées possibles et juteuses comme on dit aujourd'hui.
Notre ville connut pendant dix ans des joutes électorales d'une extrême virulence et à partir de 1885, Saturnin Fabre sera la cible la plus visée du monde politique seynois.
Il se disait républicain modéré. Ses adversaires le taxaient d'affairiste réactionnaire et d'ennemi de la classe ouvrière.
Ces qualificatifs se trouvèrent exacerbés quand il devint propriétaire du domaine de Cachou dont il est question dans notre texte intitulé Vieilles pierres seynoises.
Il disposait d'une trentaine d'hectares étalés entre la route des Plaines, les Chemins de Janas et de N.-D. du Mai, espaces cultivés en vignes, oliviers fruitiers, céréales. La partie arrosable jouxtant le quartier des Moulières donnait d'importantes récoltes de légumes. Une publicité de la fin du XIXe siècle parle des vins ferrugineux extraits de la propriété Fabre demeurant au quartier Cachou.
Malgré ses multiples activités, le Maire de La Seyne s'occupait personnellement de la gestion de son domaine, conseillait utilement les fermiers, surveillait attentivement les plantations, les soins à donner aux arbres, la rentrée des récoltes, la vente des fruits, des légumes et autres produits de la ferme. Le Château avait été aménagé luxueusement pour les réceptions. Cachou ne connut pas seulement des activités agrestes. Le parc accueillait assez souvent des fiacres et des calèches aux attelages pompeusement harnachés amenant des personnalités politiques, des artistes en renom.
Le neveu et filleul du Maire de La Seyne, Saturnin Fabre lui aussi, comédien réputé après la guerre de 1914, amusait les invités. Au cours des soirées mondaines, on dansait la polka, la mazurka, les valses endiablées, le quadrille des lanciers. Cachou accueillit même un jour la musique d'un régiment et son colonel.
Avec un don remarquable d'ubiquité, Saturnin Fabre était partout et s'intéressait à tout. Nous parlerons surtout de l'homme politique, mais on aurait pu parler longuement de l'artiste peintre, du violoniste, de l'architecte. Il ne négligeait pas ses responsabilités familiales, l'éducation de ses enfants. Vers la fin de sa vie, il apporta à son neveu comédien un soutien des plus efficaces, usa de son influence en Haute-Savoie pour lui assurer de nombreuses représentations, le présenta au Préfet et au Maire d'Annecy, ville au service de laquelle il mit ses talents d'architecte, comme nous le verrons plus loin avec précision.
La famille Vidal, voisine de Cachou, nous a porté témoignage des bonnes relations que Saturnin Fabre entretenait avec tous ses voisins qu'il invitait souvent chez lui.
Hélas ! Il n'en fut pas de même avec de nombreux Seynois qui le combattirent résolument dès son installation au sein du Conseil municipal.
Il n'était pas encore Maire quand il fit l'acquisition de son domaine rural mais il fut l'objet de la jalousie de ses adversaires politiques qui pressentaient chez lui des aptitudes à devenir un personnage important de la Région et ignoraient systématiquement ses libéralités en faveur de la commune.
N'avait-il pas offert d'alimenter les lavoirs des Moulières, en période de sécheresse ? Dans nos précédents récits, nous avons longuement évoqué le procès injuste qu'on lui fit et dont ses adversaires furent déboutés.
N'avait-il pas fait don à la commune de terrains importants pour l'établissement d'un chemin reliant la route de Janas au Chemin de N.-D. du Mai ? Un chemin qui existe toujours et dessert le lotissement du Cap Sicié dans sa partie Nord-Ouest (CR 128).
N'avait-il pas envisagé d'alimenter en eau la ville de La Seyne en puisant dans les réserves de la nappe phréatique des Moulières dont une partie se trouvait dans son propre domaine ?
Dans les pages qui suivent, le lecteur découvrira ses qualités d'administrateur de talent, plein d'initiatives qui émergeaient de la routine municipale.
Dans cette période de notre histoire locale, deux autres personnalités de haut niveau eurent un impact indiscutable sur la vie seynoise et l'avenir de ses habitants : Amable Lagane et Michel Pacha.
Le premier, à partir de 1872, en donnant à notre industrie navale un essor considérable, comme ingénieur puis Directeur des Forges et Chantiers. Le second, à partir de 1880, où il s'installa à Tamaris sur les bords de la baie du Lazaret dont il assainit les rivages, créa tout une zone urbaine avec ses transports routiers et maritimes, ses villas, ses structures économiques et touristiques.
Quand Saturnin Fabre devint Maire de la ville, ces deux personnalités éminentes furent amenées, grâce à leur fonction et leurs ambitions, à une collaboration fructueuse avec le premier magistrat de la ville.
Le paysage politique et social en 1885
Pour mieux cerner la personnalité de Saturnin Fabre dans le contexte politique de son époque, au moment où il ambitionne d'accéder aux affaires de la ville, rappelons que la IIIe République s'efforce de rôder l'application des lois constitutionnelles qui l'ont fondée depuis 1875.
À ses débuts, la majorité républicaine du Parlement demeure étroite. Des conflits éclatent entre les députés et Mac-Mahon qui cherche à imposer sa politique. La Chambre est dissoute et de nouvelles élections renforcent la majorité républicaine. Le gouvernement est exercé par les Républicains dits modérés, qu'on nomme aussi les opportunistes, qui ne redoutent pas la république parce qu'elle est aux mains de la grande bourgeoisie des affaires, celle qui a la confiance de Saturnin Fabre.
Les nouvelles institutions sont mises en place par une série de lois entre 1881 et 1884 qui assurent aux citoyens l'exercice des libertés fondamentales, avec toutefois des restrictions et des contrôles sévères : Liberté de réunion et d'association, Liberté de la presse, création des syndicats ouvriers,...
Les lois d'organisation de l'enseignement public datent de cette période. Au travers de ces lois, le gouvernement de Jules Ferry veut le raffermissement de la république dans les masses populaires, mais tous les changements envisagés ne vont pas se faire sans heurts, ne serait-ce qu'avec l'application des lois sur la laïcité d'où vont surgir les conflits entre instituteurs publics et enseignants confessionnels.
Dans notre Histoire de l'École Martini, nous avons illustré abondamment les luttes sévères et aussi sur les situations conflictuelles avec la naissance des syndicats opposés au patronat sur la question des salaires et de la mutualité (voir la biographie d'Amable Lagane, dans un chapitre de cet ouvrage).
En cette fin du XIXe siècle, le progrès des sciences et des techniques s'est considérablement affirmé par l'utilisation de sources d'énergie comme la vapeur, l'électricité, les carburants. Nos chantiers de construction navale travaillent pour la France d'abord, dont la politique coloniale nécessite une flotte de commerce puissante, tout en satisfaisant de nombreuses commandes de navires pour les pays étrangers : Espagne, Russie, Argentine, Japon, Grèce, etc...
La flotte de commerce doit être protégée par des unités militaires et nos chantiers se sont rapidement adaptés à tous les genres de navires : paquebots, cuirassés, sous-marins,...
Leur prospérité ne signifie pas pour autant qu'il y ait du travail pour tous.
En diminuant la durée du travail quotidien on pourrait supprimer le chômage, mais le patronat impose dans cette période des journées de 10 h aux enfants de 13 à 16 ans ; de 11 heures pour les jeunes de 16 à 18 ans et les femmes ; de 12 h par jour pour les adultes. Il exploite durement la classe ouvrière avec le système des prix faits qui consiste à économiser sur les salaires tout en intensifiant le travail.
Les travailleurs ne sont pas dupes de la tactique patronale. Ils s'organisent et défendent âprement leur droit à la vie.
Depuis sa résistance au Coup d'État de 1851, le Var conserve l'image de sa tradition révolutionnaire et la classe ouvrière seynoise est à l'avant-garde. Depuis la fameuse grève de 1872 aux F.C.M. dont se mêla le Sous-Préfet favorable au patronat, l'agitation se poursuivra pendant des années. La classe ouvrière, par le moyen de syndicats, cherche appui auprès des Municipalités. Exception faite, dans cette période, de Marius Giran et de Cyrus Hugues, qui sont maires entre 1872 et 1882, on peut dire que les élus comme Audoly, Sabatier, Barré, Saturnin Fabre considéraient que les conflits entre ouvriers et Patronat ne concernent pas l'Administration municipale. Même pendant son mandat de Conseiller général de 1892 à 1898, Saturnin Fabre n'intervint pas au niveau départemental dans les mouvements de grève qui se produisirent à La Seyne.
Comme d'autres maires l'ont dit avant lui, il ne veut pas se mêler de politique. À l'époque, déjà, les ouvriers syndiqués luttant pour la défense de leurs droits élémentaires sont accusés de vouloir déstabiliser la république : on les appelle les socialistes partageux.
Or, par définition, la politique étant l'art d'administrer un état, une collectivité territoriale, c'est d'abord la bonne conduite des affaires publiques. Un maire est obligatoirement amené, quelles que soient ses opinions, à s'occuper de tous les conflits bénins ou violents opposant ses concitoyens, s'il a vraiment le souci du maintien de l'ordre et de la bonne harmonie de la communauté dont il a la charge.
Certes, les solutions ne sont pas toujours faciles. Saturnin Fabre en fera la cruelle expérience dès son entrée au Conseil municipal.
Il pensait que les réalisations municipales à elles seules suffiraient pour rallier la majeure partie de l'opinion publique. Nous verrons vers la fin de ce récit ce que deviendront ses espérances d'administrateur... et aussi d'homme politique. Car Saturnin Fabre bien évidemment fut un homme politique. Il appartint au parti républicain modéré et son influence y fut telle qu'au bout de quelques années de militantisme à La Seyne on parlait du Parti Fabre.
Au désir légitime de la classe ouvrière d'améliorer ses conditions de vie, la voix d'autres couches de la population s'élevait, expression de réclamations bien justifiées. Par exemple : les pêcheurs de Saint-Elme, du Manteau attendaient de véritables abris pour leurs embarcations modestes. Les cultivateurs, nombreux à l'époque, petits exploitants en général, ne disposant que d'instruments aratoires primitifs, réclamaient des chemins carrossables pour leur charrette. Ils souffraient de la mévente. Les moyens d'exporter étaient inexistants. Par contre, depuis la venue du chemin de fer, des denrées nouvelles arrivaient sur les marchés de La Seyne et de Toulon.
À ces difficultés économiques s'ajoutaient tous les inconvénients d'une vie matérielle inconfortable, particulièrement le manque d'eau potable. En été, on faisait la queue aux fontaines. Rares étaient les immeubles pourvus d'installations sanitaires. Quelques maisons bourgeoises bénéficiaient de l'éclairage au gaz de houille. Généralement la population utilisait la lampe à pétrole, la petite lampe à essence Pigeon, ou la bougie.
L'atmosphère des intérieurs était très malsaine et les nuisances de toutes sortes si mal évacuées que les foyers de maladies infectieuses se multipliaient partout.
Les progrès de la science avaient permis de vaincre la rage, la variole, le choléra. Hélas ! On mourait encore beaucoup de la tuberculose, de la diphtérie et des fièvres typhoïdes. La mutualité ? On en parlait. À ses débuts, elle manquait d'efficacité. Les gens économisaient beaucoup pour faire face à la maladie le cas échéant.
Les conditions de travail demeuraient très dures, le progrès des techniques n'étant pas encore en mesure d'épargner aux hommes de grandes fatigues.
On allait à pied à l'usine ou au champ, les moyens de transport collectifs se résumant à quelques omnibus tirés par des chevaux mais, hélas ! le prix des transports n'était pas à la portée de tous. La bicyclette même n'était pas encore vulgarisée.
La fin du XIXe siècle, ce fut aussi la politique colonialiste des affairistes de la IIIe République, combattue violemment par les socialistes, Jean Jaurès à leur tête.
La jeunesse astreinte à un service militaire de cinq ans manquait beaucoup dans la production agricole ou industrielle. Les Municipalités se voyaient souvent dans l'obligation de réclamer des mesures en faveur des soutiens de familles.
Des milliers de jeunes gens participèrent aux campagnes militaires d'Asie, d'Afrique, d'Amérique, d'Océanie. Combien de fantassins, de zouaves, de fusiliers-marins ne sont jamais revenus des rizières du Tonkin ou des forêts de l'Afrique noire ?
Autre raison du mécontentement de la population : l'arrivée massive des émigrés italiens qu'on vit s'installer à la ville comme à la campagne avec une grande méfiance. Les piantous, les babis, on les soupçonnait des pires maléfices ! Premières manifestations du racisme !
Et Michel Pacha qui fit venir des centaines de terrassiers ultramontains se fit prendre à partie violemment par les gens du terroir malgré l'auréole de mécène que lui faisait la bourgeoisie.
On voit donc, à l'examen de ces multiples aspects de la vie de nos anciens en cette fin du XIXe siècle, que les sujets de préoccupation ne manquaient pas aux édiles du moment et toutes ces difficultés de la vie quotidienne on les retrouvait, bien entendu, dans les autres villes ou villages environnants, en dépit des bonnes volontés et de la compétence des administrateurs responsables.
Saturnin Fabre se promit de faire mieux que les autres pour améliorer le sort de ses concitoyens.
Il constatait que La Seyne vieillissait dans le cadre qui était déjà le sien à la fin du XVIIIe siècle. La population grandissait. Elle était passée de 12 000 âmes vers 1850 à près de 18 000 à la fin du siècle en raison du développement impétueux de l'industrie navale.
Le patronat faisait appel à la main d'oeuvre étrangère qui s'entassait dans les taudis des ruelles de la basse ville (rue Évenos, Équerre, Ramatuelle, Plâtrière,...) ou des baraquements du quartier malsain des Mouissèques.
La zone agglomérée partie des quartiers Cavaillon et Beaussier était limitée depuis longtemps par le port au Nord-Ouest, l'extrémité de la rue Berny à l'Est, le lavoir Saint-Roch au bout de la rue Denfert-Rochereau. Le comblement de la plage des Esplageols s'achevait.
À l'Ouest, le cours Louis Blanc, la rue Gounod (rue des Aires), donnaient accès à des vergers, des potagers, des champs de céréales.
Cette ville de La Seyne, il fallait l'aérer, la relier aux agglomérations voisines par des routes véritables, l'ouvrir sur les quartiers extérieurs en direction des Sablettes, de Six-Fours, d'Ollioules. Cela supposait des travaux de voirie importants.
L'accroissement de la population entraînait ipso facto la révision de toutes les structures administratives, scolaires, sociales,... Les problèmes d'hygiène, de transports, d'eau potable, de logement se posaient avec acuité.
Nous n'étions plus au XVIIe siècle où notre ville vivait presque en autarcie. Les nombreuses exploitations agricoles de petits propriétaires et quelques grands domaines atteignant jusqu'à 40 hectares comme ceux de Lagoubran, la Chaulanne, la Rouve, la petite Garenne pourvoyaient aux besoins de toute la population en légumes, céréales, fruits, huile d'olive, vins de qualités, produits d'élevage.
Depuis la venue du chemin de fer et le développement du commerce maritime, les productions locales ne suffisent plus à une population croissante d'année en année.
Voilà pourquoi il fallut repenser tous les problèmes de communications, d'échanges et utiliser au maximum les moyens de la modernité.
Saturnin Fabre avait bien pris conscience de l'immensité de la tâche posée au Conseil municipal présidé par Honoré Sabatier, retraité de la Marine, dès son élection.
Cette ville de La Seyne, admirablement située au fond d'une rade accueillante, poissonneuse, avec ses multiples vallons et ses plaines fertiles, ses possibilités immenses pour le développement de la construction navale ; son littoral magnifique de plages et de calanques, sa presqu'île de Sicié, sa riche forêt de Janas propices à une véritable industrie touristique. De cette ville qu'il aime, Saturnin Fabre se promet d'en faire une véritable métropole commerciale, laissant à Toulon jouer tout son rôle dans la défense stratégique du littoral méditerranéen.
Et maintenant, à la lecture de tous les textes en notre possession, nous allons retracer ses activités, ses initiatives, ses succès et aussi ses échecs pour conclure néanmoins sur un bilan très positif nonobstant le désaveu de ses concitoyens. N'anticipons pas et revenons à l'année 1885 où il entra au Conseil municipal.
Au mois d'Avril 1885 le Conseil municipal est ainsi composé : MM. Barré, Lercari, Brignolle, Pourchier, Fouque, Audibert, Crozet, Daumas, Sabatier, Sage, Manzoni, Verdagne, Natta, Jouglas, Chailan, Vial, Auffran, Hugues Laurent, Gabriel, Ravel, Hermite, Bardes, Loro Germain, Fabre Saturnin, Andrieu, Ginouvès, Hugues Cyrus.
Cette liste de conseillers appelle une remarque : sur les 27 noms, on en compte seulement quatre à consonance italienne.
La population se modifie profondément en cette fin de siècle par l'émigration italienne, mais la petite bourgeoisie des affaires hésite à présenter des candidats non originaires du terroir car les problèmes de racisme se posent avec acuité.
La plupart des personnalités élues sur cette liste représentent une classe de notables. On y trouve des officiers de marine en retraite comme Barré, un médecin comme Germain Loro, le notaire Audibert, un ingénieur comme Saturnin Fabre, un artisan comme Jouglas, des commerçants, des propriétaires terriens. Autre remarque, la présence de Cyrus Hugues, ancien Maire d'une tendance beaucoup plus marquée à gauche que Saturnin Fabre.
N'a-t-il pas été déporté en 1851 pour son opposition courageuse au coup d'état du Prince-Président ? Il y a donc une minorité dans ce Conseil municipal qui laisse présager qu'en présence des difficultés administratives croissantes, l'opposition deviendra assez forte pour provoquer des crises locales parfois dramatiques. Entre 1884 et 1914 une période de trente années va s'écouler qui verra se développer à La Seyne un climat malsain de mésentente et de méfiance entre les citoyens. Des campagnes de presse virulentes, calomnieuses dresseront les seynois les uns contre les autres ; entre certaines associations, des joutes stériles dureront pendant plusieurs années ; des conflits entre la municipalité et certains groupements prendront un tel caractère venimeux que les bons rapports de la convivialité nécessaires et indispensables dans une communauté d'êtres humains seront réduits à néant.
On aurait pu espérer que l'accession de Saturnin Fabre à la tête de la Municipalité, sa volonté de galvaniser une équipe, ses qualités indéniables d'administrateur, ses initiatives audacieuses mais rationnelles, une ère de stabilité s'ouvrirait dans notre ville.
Saturnin Fabre accomplit deux mandats l'un de 10 ans à la Municipalité, l'autre de 6 ans au Conseil général. Son mérite aura été particulièrement appréciable compte tenu des attaques, des cabales dont il fut l'objet. Son bilan demeura très positif malgré tous les obstacles.
Certes, il n'a pas pu réaliser tous les projets échafaudés dans sa tête, mais les actions engagées pour nombre d'entre eux auront bien facilité les choses à ses successeurs.
Dans la dernière partie de cette relation, nous résumerons la multitude de ses réalisations entreprises hors des limites de la région toulonnaise et parfois très éloignées. On le vit diriger de grands chantiers en Lozère, dans le Cher, les Pyrénées-Orientales, la Savoie, la Haute-Savoie,... et même à l'étranger.
De 1885 à 1886 avec Honoré Sabatier
Saturnin Fabre, conseiller municipal se montra très actif et fit beaucoup pour aider Honoré Sabatier, Maire de 1884 à 1885 et Alphonse Louis Barré, Maire de 1885 à 1886.
Membre des commissions Finances et Travaux, les plus décisives d'une municipalité, il s'y fit remarquer dès le début de son entrée en fonction par ses propositions pertinentes sur tous les aspects de la vie locale en insistant sur l'urgence de certaines réalisations dont l'ajournement devenait dramatique pour la population. L'hypothèse de nouvelles offensives du choléra n'était pas à écarter. L'alerte avait été chaude en 1884.
En maints endroits de la ville, les eaux usées ne s'écoulaient pas. La rue Berny recevait les eaux savonneuses du quartier Cavaillon et y croupissaient. La situation était la même pour la rue Denfert-Rochereau (rue Saint-Roch).
De l'abattoir, appelé en ce temps là l'Égorgerie, on ne savait comment évacuer le sang et les eaux grasses. Il se situait alors à l'emplacement du jardin Anatole France, face à la poste actuelle, et des véhicules tractés par des chevaux transportaient comme ils pouvaient ces nuisances sur le rivage des Mouissèques, toutes les nuits de minuit à quatre heures du matin. Cette pollution s'ajoutait à celle des marécages pour accentuer de terribles foyers d'infection.
À l'opposé, la situation était la même sur les rivages de Brégaillon qui recevaient des ordures et des vidanges humaines. Quand on comprit le danger de cette pollution pour les parcs à moules expérimentaux de cette zone littorale, on évacua les déchets sur des terrains vagues loués par la Municipalité au quartier Peyron (emplacement de l'Hôpital actuel).
Chaque fois que les pluies diluviennes s'abattaient sur ces nuisances, les eaux emportaient toujours vers la mer les toxines et microbes générateurs de maladies endémiques.
Saturnin Fabre estimait que cette situation intolérable ne pouvait se perpétuer et qu'il fallait tout d'abord sensibiliser les ministres du Commerce et de la Santé publique pour les convaincre de la nécessité d'accorder à la ville de La Seyne une subvention d'assainissement.
Il incita le Maire à soumettre à Monsieur le Préfet le dossier de toutes les grandes affaires en attente et il y en avait beaucoup : l'eau, l'assainissement et l'hygiène, la voirie, les problèmes scolaires, les transports collectifs, le tourisme... Ne fallait-il pas aussi s'intéresser à la vie associative naissante car les associations culturelles, sportives mutualistes attendaient des encouragements, des locaux, des primes,... ?
Il y avait donc beaucoup à faire !
Le courrier du Maire enregistrait chaque jour des pétitions suscitées surtout par les adversaires de la Municipalité Barré.
À la séance du Conseil du 27 Janvier 1886, ce dernier fit comprendre à ses collègues qu'il n'irait pas jusqu'au bout de son mandat. Excédé par les attaques incessantes du Parti Ouvrier animé par les Jeunesses socialistes, déçu profondément par l'indifférence des pouvoirs de tutelle incapables de faire face aux besoins d'une population grandissante, à La Seyne comme ailleurs dans la région toulonnaise, Alphonse Louis Barré avait retardé sa démission à cause d'un procès fait à la Municipalité à travers la personne de son conseiller Fabre.
Ce dernier était accusé d'avoir asséché les lavoirs des Moulières à proximité desquels il avait fait l'acquisition d'importants terrains sur lesquels il avait creusé un puits pour l'arrosage de ses légumes. Nous avons apporté toute la lumière sur cette affaire dans notre récit Les Moulières au temps jadis du Tome I des Images de la vie seynoise d'antan.
La Municipalité unanimement solidaire de Saturnin Fabre gagna le procès sur ses adversaires politiques dont les arguments rocambolesques se retournèrent contre eux.
Malgré cet avantage marqué sur ses adversaires, le Maire Alphonse Louis Barré, excédé par les calomnies et les campagnes de presse injurieuses, remit au sous-préfet sa démission du Conseil municipal.
Par qui le remplacer ? La solution fut trouvée aisément. Compte tenu du fait qu'aux élections de Février 1886, le conseiller Fabre fut élu troisième de sa liste et considérant qu'il avait fait ses preuves d'administrateur compétent et dynamique, l'accord se fit sans difficulté sur son nom pour lui demander d'assurer la continuité.
25 Mars 1886 : Saturnin Fabre devient Maire de La Seyne
L'élection au sein du Conseil municipal donna les résultats suivants :
- Saturnin Fabre : 24 voix
- M. Audibert, adjoint : 1 voix
(Il y eut 2 absents ce jour-là).
En fait, Saturnin Fabre ne fut installé dans ses fonctions que le 4 Avril 1886. Mais au préalable il avait tenu à exprimer au sous-préfet l'attachement profond du Conseil municipal à la république avec prière de transmettre sa lettre au ministre de l'Intérieur.
Sans perdre de temps devant le Conseil municipal réuni la semaine suivante, Saturnin Fabre expose l'ensemble de ses projets et ils sont grandioses. Tout naturellement les problèmes financiers se posent en priorité. Il faut voir grand ! dit le Maire et il aborde l'idée d'un emprunt important pour démarrer rapidement. Il ne veut pas se satisfaire des petites affaires courantes.
L'adversaire politique, intraitable, subodore de vilains projets, susurre à longueur de journée que le Maire Fabre a des intentions maléfiques, qu'il prêche avant tout pour ses intérêts personnels confondus dans des entreprises juteuses.
Les amis de Saturnin Fabre réagissent. Le Comité républicain et progressiste qui a soutenu sa candidature se réunit pour réaffirmer avec force la confiance qu'il a mise en lui. Quelques jours plus tard le Conseil municipal fera de même.
Fort de la confiance de ses amis et d'une large fraction de l'opinion publique, le Maire entreprit de réfuter adroitement les attaques de ses adversaires. On l'accusait de collaborer avec les représentants de la bourgeoisie locale et de les favoriser de toutes les manières. En fait, il fut très lié et ce fut bien naturel, à plusieurs personnalités dont notre ville a reçu les influences bénéfiques pendant de longues années.
Pouvait-on lui tenir rigueur d'entretenir les meilleurs rapports avec MM. Noël Verlaque et Amable Lagane, ingénieurs des Forges et Chantiers, qui poussèrent au plus haut niveau la renommée de la construction navale seynoise en cette fin du XIXe siècle ?
Pouvait-il refuser le concours de Marius Michel (Michel Pacha) qui décida d'urbaniser à ses frais toute la zone littorale de Tamaris pour en exploiter les avantages touristiques, d'organiser des transports maritimes reliant La Seyne à Toulon et Saint-Mandrier, de remplacer le vieux Chemin des Sablettes par la route départementale assurant la desserte des quartiers de Mar-Vivo, Fabrégas, les Plaines. Les intérêts de Michel Pacha n'étaient-ils pas compatibles avec ceux de la commune ?
Quand M. Lagane eut besoin de terrains pour agrandir les ateliers des Chantiers, il se tourna vers Michel Pacha, propriétaire de la colline Caire (Fort Napoléon) en accord avec la Municipalité à qui fut réservée des possibilités de voirie.
Saturnin Fabre apprécia l'importante économie dont bénéficia son budget quand Michel Pacha prit à sa charge la réfection de la façade de la paroisse. De même, il attacha le plus grand prix au geste de M. Lagane qui offrit pour ce même édifice un autel, véritable oeuvre d'art, à l'occasion du mariage de sa fille.
Cet ouvrage, construit par la grande marbrerie artistique de Bourg-Saint-Andéol (Ardèche), reposait sur un bas-relief superbe orné de personnages sacrés.
On comprend mieux qu'en présence de tels actes de générosité dont la ville bénéficiait indirectement, le Maire Saturnin Fabre n'allait pas chicaner M. Lagane sur le calcul des prix faits dont les ouvriers se plaignaient, pas plus qu'il n'aurait discuté du salaire minimum des centaines d'ouvriers italiens que Michel Pacha fit venir à Tamaris pour l'aménagement de la Corniche.
Il s'interdisait systématiquement d'intervenir dans les affaires patronales, estimant que les conflits sociaux devaient se régler avant tout par le dialogue entre patronat et syndicats. Cependant il eut peu à peu le sentiment que cette attitude de neutralité et son mutisme risquaient d'aggraver les injustices dont les ouvriers étaient victimes.
Alors ne voulant plus courir le risque de leur réprobation, il n'hésita pas à solliciter du Conseil municipal l'autorisation d'intervenir dans les conflits sociaux pour y jouer un rôle de conciliateur.
L'année de son accession à la tête du Conseil municipal, le chômage sévissait durement.
Le 13 Septembre 1886, il vit voter une subvention de 1500 F pour aider les travailleurs licenciés avant d'aller au ministère de la Marine plaider leur juste cause.
Durant l'exercice de son mandat, des faits semblables se produiront à plusieurs reprises, et il fera voter des crédits importants pour les pères de famille en chômage.
Dans cette période, la construction métallique tend à supplanter la construction en bois. Saturnin Fabre, soucieux de voir les charpentiers de marine de la vieille école conserver leur emploi, intervint auprès des autorités compétentes pour le renouvellement des Chantiers Jouglas et Curet.
Toujours dans cette même année 1886, il fera au Conseil municipal une proposition jugée fort pertinente à savoir de ne confier qu'aux entreprises seynoises les travaux financés par la commune, de manière à limiter le nombre de chômeurs.
L'année suivante, il fera prendre au Conseil municipal une délibération réclamant la réintégration des ouvriers de l'Arsenal licenciés. Il dira bien haut : " La Municipalité Fabre, municipalité républicaine a toujours affirmé son soutien, aussi bien aux ouvriers des chantiers de La Seyne qu'à ceux de l'Arsenal ".
Par ailleurs, il protestera avec véhémence pour n'avoir pas été invité à représenter la ville de La Seyne au sous-comité départemental de l'Exposition Universelle de 1889.
Quelle était la situation de l'enseignement à La Seyne quand Saturnin Fabre prit la direction des affaires publiques ?
Les écoles confessionnelles étaient fort bien organisées depuis la construction de l'Externat Saint-Joseph (boulevard du 4-Septembre), de l'Institution Sainte-Marie et du couvent de la Présentation. L'enseignement y était payant et de ce fait réservé à des privilégiés.
Depuis la promulgation des lois laïques, la république se devait d'établir solidement l'enseignement public obligatoire et gratuit avec les lois de 1881 et 1882, puis laïque à partir de 1886.
Depuis la loi Guizot de 1833, la Municipalité avait installé la première école d'enseignement public dans les vieux murs de l'Hôtel de la Dîme qui devait devenir l'École Martini, nom de son premier directeur. Ce ne fut que dix ans plus tard que fut ouverte la première école pour les jeunes filles qui fonctionnera dans des locaux de l'Hôpital tenu par les soeurs Trinitaires, rue Clément Daniel.
Il faut ajouter à ces deux écoles (La Dîme et Clément Daniel) un embryon surpeuplé d'école maternelle, appelé l'asile, qui accueillait des centaines de jeunes enfants à la rue d'Alsace.
Quand Saturnin Fabre devint Maire, les équipements scolaires laissaient donc à désirer par leur inconfort. L'hygiène manquait, l'exiguïté limitait considérablement le recrutement, on y souffrait de l'humidité et du froid.
Il aurait fallu construire, mais la commune ne pouvait se permettre des dépenses que les élus eux-mêmes auraient jugé excessives, nombre d'entre eux n'étant pas tellement convaincus de la nécessité de l'enseignement, surtout de celui dispensé aux jeunes filles.
Le Maire et son Conseil municipal prirent tout de même un certain nombre de mesures pour améliorer le sort des écoliers et des écolières. L'Hôtel de la Dîme vit ses locaux rajeunir et s'agrandir (une 9ème classe pour le primaire). Le prolongement des bâtiments vers le presbytère date de l'époque Fabre, ainsi que l'immense préau de tôles ondulées donnant sur la cour Nord. Des classes supplémentaires furent installées, un gymnase au sous-sol utilisé aussi par la société de gymnastique de cette époque. Dans notre Histoire de l'Ecole Martini, nous avons signalé que les classes demeuraient surchargées malgré les améliorations.
La situation de l'école de filles était dramatique. Elle occupait quelques salles de l'Hôpital, qui fonctionnait lui-même dans des conditions plus que précaires.
Pour améliorer l'École des Demoiselles (c'est ainsi qu'on appela cette première école publique pour les jeunes filles), Saturnin Fabre proposa la construction d'un Hôpital vers un quartier extérieur. Les locaux libérés auraient permis une extension des locaux scolaires.
Il fallut certes plusieurs années de luttes contre un pouvoir préoccupé surtout d'expéditions lointaines pour obtenir cette construction.
L'acquisition des terrains se fit au quartier de La Gatonne où s'élevèrent de superbes bâtiments qui constituent aujourd'hui l'ossature du Collège Curie. Mais, une fois terminée, cette structure fut détournée de sa destination pour devenir une caserne.
Nous avons bien souvenance des évolutions des régiments d'infanterie coloniale qui y transitaient avant de partir pour l'Afrique, l'Asie, l'Océanie.
Désaffectée en 1931, cette caserne devint un important groupe scolaire. Saturnin Fabre n'eut pas la satisfaction de voir fonctionner l'Hôpital dont il avait rêvé. On sait qu'il fallut bien par la suite trouver un terrain pour édifier un autre établissement qui n'est autre que celui d'aujourd'hui.
Pour en revenir à l'école des filles, il lui faudra attendre encore plus de 10 ans avant de pouvoir accueillir des enfants dans des conditions à peine acceptables, l'effectif par classe dépassant souvent la soixantaine.
Malgré les réticences des autorités académiques, il poursuivit obstinément son action en faveur de l'enseignement féminin. Dès le début de son mandat, il obtiendra la création d'une 8ème classe. Il insistera auprès du ministère de l'Instruction publique pour que l'École des Demoiselles devienne, comme l'École des Monsieurs (Martini) une École primaire supérieure qui préparera au brevet élémentaire et même au brevet supérieur. L'Administration accordera la transformation de l'Ecole primaire en cours complémentaire... seulement à partir de 1905.
Rien n'échappait à Saturnin Fabre de tous les aspects du problème scolaire. Son devoir de Maire républicain l'incitait à soutenir l'école laïque dans son ascension vers les idées de progrès, mais il cherchait adroitement à éviter les conflits entre les instituteurs publics et les cléricaux.
Au bout de sa troisième année de mandat, on put noter un apaisement encourageant dans les esprits. Hélas ! survint l'affaire Dreyfus, du nom d'un officier de l'État-Major, d'origine juive, accusé à tort d'avoir trahi les secrets de la Défense nationale et qui fut condamné, dégradé et déporté à l'île du Diable au bagne de la Guyane. Les cléricaux, ayant soutenu les anti-dreyfusards dans leur campagne antisémite, ne sortirent pas grandis de cette bataille quand Dreyfus fut gracié d'abord et réhabilité ensuite.
Ces luttes politiques et religieuses dressèrent les Seynois les uns contre les autres et apportèrent à Saturnin Fabre des soucis supplémentaires dont il se serait passé volontiers.
Malgré tout, il se démenait. Il visitait souvent les écoles, s'entretenait avec les directeurs et directrices, se permettait des paroles d'encouragement aux uns et aux autres et même des conseils :
- " Pourquoi, disait-il à son ami Hugues, directeur de l'École Martini, ne fixez-vous pas sur les murs des tableaux d'honneur où figurent les noms des élèves reçus à des examens ? ".
À la Directrice de la maternelle, Mme Pons, il conseillait l'enseignement de la lecture aux jeunes enfants :
- " Votre école ne doit pas être une garderie. On a inventé des " machines " à syllaber. La Municipalité fera les frais de cette innovation ".
Après les écoles, il s'en allait visiter les chantiers de la voirie communale souvent avec ses collègues de la commission des travaux.
Dès son arrivée à La Seyne, Saturnin Fabre avait constaté que l'agglomération se confinait dans ses limites du XVIIIe siècle. Pour obtenir un développement harmonieux et humain de la ville, il fallait faire éclater ce cadre étouffant qui n'avait pas varié beaucoup depuis plus d'un siècle et, pour ce faire, il fallait procéder à des percées, créer des voies nouvelles donnant accès aux quartiers périphériques.
Pendant la durée de ses mandats, Saturnin Fabre fit aboutir une multitude de projets et avancer certains autres que ces successeurs eurent à charge de terminer.
Nous nous bornerons ici à une simple énumération.
Au XVIIIe siècle, à l'extrémité orientale de l'actuelle rue Baptistin Paul, de nouvelles habitations s'étaient construites amorçant ainsi une extension presque naturelle en direction des chantiers navals primitifs et vers la campagne qui commençait à la poste actuelle et s'étendait en direction du Pont de Fabre et des Sablettes. Cette timide progression s'appela le Quartier Neuf.
Il fallut réaliser la percée Daniel nom du propriétaire de terrains importants dont l'expropriation permit la création de l'avenue des Sablettes (Frédéric Mistral), puis du boulevard des Hommes Sans Peur (souvenir de la batterie de 1793) qui deviendra le boulevard Jean Jaurès et en prolongement vers l'Est naquit l'avenue Fort Caire (Napoléon plus tard), devenues aujourd'hui avenue Garibaldi et avenue Pierre Fraysse, et que les anciens désignent encore sous le nom de route de Balaguier.
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Cette opération d'urbanisme fut de la plus haute importance. Elle avait fait l'objet d'un décret d'utilité publique le 15 Juillet 1882 dont la ville reçut notification seulement le 25 Août 1884. Le bouillant Saturnin Fabre qui n'avait pas coutume de lanterner ne pouvait admettre un tel retard en matière administrative.
La réalisation de cette avenue de douze mètres de large et de douze cents mètres de longueur permit l'urbanisation de toute la partie est de la ville ainsi que le drainage des eaux pluviales des quartiers Pont de Fabre et Cavaillon en évitant ainsi l'enlisement du Port.
L'aspect négatif de l'opération et il en est presque toujours ainsi en pareil cas, fut que les expropriations allumèrent des protestations, des polémiques, des enquêtes interminables.
La dépense pour l'époque s'éleva à 450 000 francs or (plusieurs centaines de millions d'aujourd'hui). Elle apparut énorme aux adversaires de la Municipalité Fabre. Et pourtant elle était bien nécessaire si l'on voulait pratiquer une politique d'expansion, dont l'efficacité ne tarda pas à se manifester avec la naissance de belles constructions sur les avenues des Hommes Sans Peur et des Sablettes.
Dans la même période, une liaison s'établit du rond-point des Sablettes (Kennedy) vers la place de la Lune par la rue Pierre Lacroix.
Une percée méridionale du Port (boulevard Carnot) conduisit vers Les Mouissèques et Balaguier.
À l'opposé de ces quartiers, vers l'Ouest, le Nord-Ouest, la rue Faidherbe (Ambroise Croizat) fut prolongée vers l'usine des câbles sous-marins installée depuis 1885 par une belle darse et un chenal d'accès.
La rue du Sac (Victor Hugo) et le boulevard du 4-Septembre furent prolongés offrant ainsi des perspectives d'extension de la ville vers Six-Fours. L'élargissement du chemin de la Donicarde prépara une meilleure liaison avec le chemin du Col d'Artaud qui devint route départementale.
Ainsi, toutes ces voies nouvelles allaient faciliter les constructions, les échanges, les liaisons avec les localités voisines ; avec Reynier qui se peuplait au détriment du vieux Six-Fours où quelques familles s'accrochèrent jusqu'au début du XXe siècle ; avec Saint-Mandrier et les Sablettes où déjà se posaient les problèmes du tourisme ; avec Ollioules où pendant longtemps on ne put se rendre que par des chemins bourbeux.
L'entretien des petits chemins fut assuré également, mais il faut bien dire que le cantonnier communal avait fort à faire avec sa pelle, sa pioche et sa brouette.
Une initiative heureuse à l'actif de Saturnin Fabre fut le cimentage des rues. Ce travail soigné effectué avec du ciment de première qualité dit de La Porte de France provenant de Grenoble, se fit par étapes.
Les premières rues où les pavés disparurent furent la rue de la Paix (rue Cyrus Hugues), les rues Taylor, Thiers, Victor Hugo, etc... Ce travail important facilita l'écoulement des eaux canalisées par les bordures de trottoirs. L'entretien des caniveaux qu'il fallut assurer impérativement assura de bonnes conditions de l'assainissement de la ville.
Pour en terminer avec la voirie ajoutons une autre initiative de Saturnin Fabre : la réalisation d'une pénétrante de la forêt de Janas qui donna accès au fort du Peyras.
La Municipalité fit don de 20 000 m2 à l'Administration militaire qui fit une belle route empierrée qu'elle s'engagea à entretenir par la suite.
Eau - Assainissement - Hygiène
Cette trilogie inscrite au programme des municipalités seynoises depuis la fondation de la commune fit l'objet des plus grandes attentions de Saturnin Fabre.
Nous avons évoqué au début de cette relation l'immense danger permanent que représentaient pour les Seynois, les ordures mal évacuées, les marécages pestilentiels des rivages, depuis Brégaillon jusqu'aux Sablettes, les épandages des vidanges humaines, l'absence en ville même de ruisseaux d'écoulement des eaux pluviales, des eaux ménagères.
Les épidémies de choléra, fréquentes au XIXe siècle, avaient causé des malheurs irréparables dans la population. En 1835, 1845, 1865 les pertes en vies humaines se chiffraient par centaines. Malgré les progrès de la science, la variole, la diphtérie, les fièvres typhoïdes étaient toujours à redouter. En 1884 de nouveaux cas de choléra s'étaient manifestés et le Conseil municipal au cours de la séance exceptionnelle du 2 Juillet prit des dispositions dont nous rapportons ici l'essentiel en remarquant que leur application nous paraîtrait ridicule aujourd'hui, du moins pour certaines d'entre elles.
Il fallut certes, fermer immédiatement les écoles. Puis le Conseil municipal décida de siéger en permanence, d'arroser chaque jour les rues avec un mélange d'eau et de sulfate de fer, d'obliger les propriétaires à blanchir leurs maisons, d'interdire l'élevage des poules et des lapins à domicile, de proscrire en territoire seynois l'entrée de linges et objets de literie, d'assurer le transport des vidanges en haute mer par le moyen d'une chaloupe, de demander à l'administration militaire des toiles de tentes pour les indigents, de désinfecter les ruisseaux (le gros Vallat en particulier), de supprimer momentanément le lavoir Saint-Roch, d'empêcher les chercheurs de vers pour la pêche de soulever la vase, etc...
On peut épiloguer sur l'efficacité de certaines de ces mesures. Dans sa lutte pour l'assainissement de la ville, la municipalité obtint des résultats tangibles par le comblement des zones marécageuses de Brégaillon et des Mouissèques, par la disparition des tas d'immondices accumulées un peu partout.
Mais la pollution la plus dangereuse provenait des vidanges épandues à l'air libre sur les terrains vagues du quartier Peyron et mieux encore dans les jardins potagers où poussaient admirablement les légumes, mais... à quel prix ? On ne comptait plus les cas de fièvre typhoïde.
Saturnin Fabre avait bien conscience de la gravité de ces dangers auxquels vinrent s'ajouter ceux de la pollution marine en provenance de la Rivière Neuve, qui évacuait les eaux usées des Toulonnais.
C'est alors que les Municipalités seynoise et toulonnaise se mirent en devoir de trouver des solutions à ces problèmes épineux.
Ici nous renvoyons le lecteur à notre récit du Tome I : Toupines, torpilleurs, émissaire commun, où nous avons expliqué longuement les tâtonnements, les projets scandaleux, les polémiques débouchant sur des conflits politiques ridicules.
Saturnin Fabre dans cette affaire avait vu juste. Son projet d'émissaire commun réalisé avec les municipalités toulonnaises prévalut, mais fut réalisé... 50 ans plus tard. Nous y reviendrons surtout dans les années comprises entre 1890 et 1895.
Sachant bien qu'un projet aussi audacieux que celui-là se heurterait à des difficultés sans nombre, il fallait dans l'immédiat essayer de limiter le plus possible le danger mortel des maladies endémiques et infectieuses.
Toutes les mesures préconisées par Saturnin Fabre allant dans ce sens obtinrent des résultats positifs indiscutables et le meilleur témoignage est celui qu'apporta le Docteur Sauze, ancien interne des hôpitaux de Paris qui écrivit dans une brochure qu'au moment où Saturnin Fabre entra à la Municipalité la mortalité était de 32 pour 1 000 et quand il la quitta, dix ans plus tard elle n'était plus que de 14 pour mille. Et il ajoutait pertinemment : Les actes de l'état civil en font foi.
Avec le problème de l'assainissement se posait évidemment celui de l'eau. Or, depuis ses origines, La Seyne en manquait, parfois cruellement dans les étés particulièrement chauds. Il existait bien des puits dans les campagnes, destinés surtout à l'arrosage des potagers. On avait canalisé certaines sources au quartier Peyron, à la Donicarde. Pour faire face aux besoins croissants, une pompe fonctionnait au quartier Saint-Jean, mais il était à prévoir qu'avec l'extension de la ville, les ressources en eau potable seraient bientôt insuffisantes.
Là encore, dans ce domaine, Saturnin Fabre fit preuve d'une grande imagination. Les Moulières, le seul point du territoire communal où coulait une eau pure et abondante toute l'année, pourrait sans doute apporter remède aux pénuries de l'été. Une canalisation de 4 km nécessiterait certes des travaux coûteux, mais sa réalisation comblerait d'aise toute la population.
Depuis l'arrêt des moulins à blé et à huile, le débit de l'eau en provenance de la forêt de Janas serait suffisant pour assurer la marche de petits ateliers et alimenter ensuite la ville elle-même en eau potable. Contrairement à ce que pensaient les adversaires de Saturnin Fabre, ce projet n'avait rien d'utopique.
La tournure prise par les évènements en empêcha la réalisation, comme fut renvoyé aux calendes le projet de l'Émissaire Commun.
Dans ce domaine, la ville de La Seyne devait se donner des moyens plus modernes et mieux adaptés à une population croissante. Depuis 1847 les municipalités pouvaient travailler correctement dans un hôtel de ville confortable érigé sur le Port. Mais rien de très nouveau n'était apparu comme structure administrative et économique.
L'abattoir ne répondait plus aux besoins de l'époque. En 1886 on construisit un grand édifice à l'extérieur, à l'emplacement actuel de la Mairie annexe où opèrent les services techniques d'aujourd'hui. Cet établissement a rendu de grands services à l'époque où l'élevage des bêtes de boucherie était prospère dans la région toulonnaise.
Dans le domaine des communications, il fallut discuter avec l'administration des P.T.T. pour avoir une poste digne d'une population qui allait sur ses 20 000 habitants.
Saturnin Fabre s'entremit et trouva une construction superbe à l'angle des rues Hoche et Taylor, propriété de la famille Zunino (1).
(1) Le bâtiment autrefois occupé par cet hôtel des postes existe encore aujourd'hui sur l'arrière de notre hôtel de ville et les armoiries de la ville de La Seyne - cinq pains et deux poissons - sculptées en haut de la façade en pan coupé sont encore visibles aujourd'hui.
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Le bureau de postes qui y fut aménagé fonctionna pendant une quarantaine d'années. Il devint insuffisant après la première guerre mondiale et fut remplacé par l'hôtel des postes actuel, avenue Garibaldi.
Nous avons parlé du remplacement du vieil hospice de la rue Clément Daniel par l'hôpital de la Gatonne, malheureusement transformé en caserne par le gouvernement de l'époque.
Saturnin Fabre fut contraint de rechercher d'autres terrains pour en construire un autre qu'il n'aura pas eu le plaisir d'inaugurer. Il s'agit de l'hôpital actuel entré en fonction en 1904.
La poissonnerie, vieillotte, obstruait la rue du Petit Filadou (Marius Giran). Il eut été souhaitable de la transférer, mais où ? Après enquête, il s'avéra que de la population émanaient des murmures de désapprobation. Les vieux Seynois attachés passionnément à leurs vieilles pierres disaient au Toulonnais Saturnin Fabre :
" Et surtout gardez son âme à notre Seyne avec son marché provençal, coloré, bruyant, vivant, inséparable de sa halle aux poissons dont les appels sonores se répercutent dans nos rues, étroites certes avec leurs pavés, mais aussi avec leurs noms glorieux car le coeur de La Seyne républicaine, démocratique, révolutionnaire est là, au point de rencontre de la rue République, du Cours Louis Blanc, socialiste de 1848, de la rue Carvin, déporté de 1851, de Cyrus Hugues, ancien Maire, déporté lui aussi ".
Voilà ce que les seynois de l'époque éprouvaient et exprimaient devant les projets municipaux. Aussi, choisissant une attitude prudente Saturnin Fabre, renvoya à plus tard le projet de remplacement de la poissonnerie... Il n'en fut plus question par la suite.
Un siècle s'est écoulé depuis et, ma foi, il ne semble pas que la population soit tellement contrariée par la présence des dalles moyenâgeuses de l'ancienne halle aux poissons dont l'origine remonte à 1634.
Des structures à caractère économique de la plus haute importance pour l'époque et dont la ville avait la charge, c'étaient les lavoirs publics ou s'affairait la corporation des lavandières.
Saturnin Fabre, attentif à leurs revendications, sut répondre à leur attente : un deuxième lavoir fut construit aux Moulières, le lavoir Saint-Roch fut couvert et protégé des vents, d'autres plus modestes furent édifiés à la périphérie, à Saint-Elme, aux Sablettes.
Ne fallait-il pas penser à la sécurité publique ? En accord avec le Conseil général, une Caserne de gendarmerie fut construite en 1888, avenue des Sablettes. Cet établissement a été transféré depuis peu au quartier Brégaillon (route de Toulon).
Sachant parfaitement défendre les intérêts de la ville, le Maire fit construire des locaux qu'il loua au Conseil général à la condition expresse que le montant du loyer serait suffisant pour amortir la somme empruntée par la commune.
Parallèlement au développement du réseau routier, il fallait penser à l'amélioration des transports. De grands progrès avaient été accomplis avec les déplacements maritimes depuis l'entrée en service de la Société des bateaux à vapeur La Seyne - Toulon et Toulon - La Seyne : les liaisons entre les Sablettes et Toulon par Tamaris, et entre Tamaris et Saint-Mandrier donnaient entièrement satisfaction avec les steam-boats de la Compagnie lancée par Michel Pacha.
Par contre, les transports routiers par omnibus hippomobiles allaient sur leur déclin. On parlait sérieusement des tramways électriques. Différentes sociétés proposèrent à la Municipalité plusieurs projets de liaison entre Toulon et La Seyne avec prolongement sur les Sablettes. Des variantes faisaient passer la ligne par la pyrotechnie et Brégaillon ou alors par la gare de La Seyne.
Saturnin Fabre étudia tous les projets proposés à nos édiles. On peut les retrouver dans notre récit du Tome I : Du bourriquet au S.I.T.C.A.T..
Les discussions furent longues et laborieuses. Avant les projets de tramways électriques, on avait pensé à une voie ferrée reliant la gare et la ville, qui aurait permis le transport des matériaux pour les Chantiers navals, un prolongement vers les Mouissèques étant prévu. Nous étions en 1890.
La première expérience de tramways électriques eut lieu entre Toulon et La Valette le 30 Juillet 1896.
La liaison entre Toulon et La Seyne ne se fera qu'en 1907. Saturnin Fabre n'aura pas vu la réalisation d'un projet auquel il travailla cependant plusieurs années. Alors que ses adversaires politiques se seraient satisfaits d'une liaison Toulon - La Seyne lui, voyait beaucoup plus loin. D'accord avec Michel Pacha, les problèmes du tourisme lui tenaient à coeur.
Il souhaitait voir une ligne de tramways passer par le Manteau, Tamaris, les Sablettes, Mar-Vivo et se terminer à l'entrée de la forêt de Janas. Et pourquoi ne pas envisager, disait-il, l'installation d'un téléphérique amenant les vacanciers et les touristes jusqu'à N.-D. de Bonne-Garde ?
Et pourquoi ne pas construire un grand hôtel tout à côté de la station électrique ?
Quand il avançait de tels propos, ses adversaires voulaient le ridiculiser en le qualifiant de mégalomane... Et pourtant ?
Oeuvres sociales et humanitaires
Ce fut un secteur d'activités pour lequel la Municipalité de Saturnin Fabre ne souffrit aucune négligence. Nous n'en finirions pas de multiplier les exemples de solidarité en faveur des sinistrés et des infortunés.
La Municipalité participa toujours à des secours dans le cas des grandes calamités nationales : catastrophes minières de Saint-Étienne et de Fourmies en 1889 ; inondations du Midi.
En 1886 et en 1891, d'importants crédits furent votés en faveur des pères de famille chômeurs. Dans cette même période, il fallut venir en aide aux victimes des torpilleurs 102 et 110 perdus en mer, ainsi qu'aux sinistrés de la canonnière La Mitraille.
M. Lagane, directeur des Chantiers navals, présidait localement un Comité des fêtes de charité et ce n'était pas en vain qu'il s'adressait au Maire de la ville pour obtenir périodiquement des aides financières.
Il y avait tant de gens à secourir ! On ignorait alors ce dont tout le monde peut bénéficier aujourd'hui : La Sécurité Sociale et les Sociétés de Secours mutuels.
Les premières associations de ce genre qui naquirent au plan local se tournèrent vers la Municipalité. Ce fut le cas pour la Solidarité Maritime, association de prévoyance. D'autres suivirent et reçurent des encouragements.
Notons au passage l'esprit de conciliation de Saturnin Fabre qui entretint avec les groupements étrangers des rapports cordiaux, alors que les sentiments racistes se manifestaient déjà d'une certaine manière. Le 10 Avril 1886, par exemple, la Société italienne de secours mutuels appelée La Subalpine se constitue et donne une fête à l'occasion de son inauguration. La Municipalité répond favorablement à l'invitation et délègue un adjoint et cinq conseillers municipaux.
Autres exemples d'oeuvre humanitaires : le 22 Février 1891, le Docteur Daniel, médecin de l'Hôpital de la rue qui porte aujourd'hui son nom, disparaît.
Le Conseil municipal en réunion à ce moment précis lève la séance en signe de deuil : Saturnin Fabre rappela les services éminents rendus à la population par cet homme de bien qui se dépensa (et bénévolement quand il s'agissait des pauvres) pendant quarante années de sa vie. Il proposa qu'une concession perpétuelle soit accordée à la famille pour la sépulture du défunt.
Dans le même ordre d'idées, il donna satisfaction au Président du Souvenir Français pour des concessions de terrain gratuites en faveur des soldats et marins morts pour la France. Ces mêmes avantages avaient été accordés l'année précédente pour les ouvriers victimes du travail et du devoir.
Mieux encore ! Saturnin Fabre accepta même d'aider certains de ses concitoyens méritants à des titres divers. M. Vidal dont la voix d'or charmait ses amis dans les fêtes populaires reçut une allocation pour lui permettre de suivre des cours de conservatoire et de chant et d'assurer ainsi sa carrière.
Un brave homme se vit un jour attribuer une prime de dévouement à la cause publique pour avoir capturé un chien enragé.
Ne quittons pas cette rubrique sur les oeuvres sociales et humanitaires sans rappeler l'initiative prise par le Maire Fabre, de la création d'une caisse de retraite pour les ouvriers, employés ou paysans, frappés d'incapacité de travail par suite d'accidents ou de vieillesse. Ce projet ne put être mis à exécution, le mandat de la Municipalité ayant été écourté.
Un journal de 1886 fait foi de l'idée pratique de ces retraites ouvrières qui fut reprise par le député varois Cluseret qui en tira une proposition de Loi déposée sur le bureau de la Chambre des députés.
Il est bon de rappeler aussi que Saturnin Fabre apporta son concours au Docteur Dubois pour la création de l'Institut biologique de Tamaris. Le Docteur Poullet, agrégé de la faculté de médecine de Lyon, lui adressa un témoignage de sympathie, au bas duquel il écrivit :
" À l'homme de bien que j'aime le plus ! ".
Tous ces exemples apportent la preuve évidente que le premier magistrat de la ville ne laissait rien au hasard.
Naturellement, des adversaires stupides l'accusaient de faire de l'électoralisme.
Pouvait-on parler de vie associative ?
Ce fut un aspect remarquable de la vie communale en cette fin du XIXe siècle. Des associations de toutes sortes prirent naissance parce que la population recherchait visiblement une solidarité, une entraide mutuelle et la satisfaction de ses besoins culturels et de ses loisirs. La vie des gens était dure et à travers nos écrits nous avons souvent insisté sur les désagréments, les contraintes qu'il leur fallait affronter chaque jour.
Avec le développement de l'instruction, la vie associative s'organisait peu à peu. La création des sociétés de secours et d'entraide fut suivie par les sociétés musicales, artistiques, sportives,...
Nous ne ferons ici qu'effleurer ces problèmes que Saturnin Fabre évoqua souvent au Conseil municipal. Ses soucis d'encouragement à la convivialité de la Communauté seynoise, il les fit partager à ses collègues et c'est pourquoi dans les budgets de la ville apparurent des subventions à La Seynoise, à l'Indépendante, sociétés musicales déjà réputées à l'époque.
Une Société des Arts fut créée avec trois sections : musique, orphéon, symphonie.
Les sociétés sportives reçurent elles aussi des encouragements : excursionnistes, gymnastique, société de tir.
La vie culturelle ne fut pas négligée avec la création d'une bibliothèque populaire, la reliure des archives, le remplacement de l'orgue de l'église, l'inauguration du médaillon de George Sand avec le concours des Cigaliers et Félibres de France.
La population fut intéressée au centenaire de la Révolution de 1789 pour lequel une subvention de 1200 francs fut accordée également au centenaire de la batterie des Hommes Sans Peur (1893).
Indiquons au passage que cette année 1893 fut pour Saturnin Fabre l'occasion d'associer la Municipalité à des faits historiques de la plus haute importance qui lui donnèrent l'occasion de prononcer des discours patriotiques d'une haute tenue. Ce fut le cas pour l'anniversaire de la reprise de Toulon aux royalistes, pour le lancement dans nos chantiers navals du fameux cuirassé Jauréguiberry en présence du Président de la République Sadi Carnot.
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L'année 1894 fut marquée par une manifestation à caractère culturel qui porta notre ville de La Seyne au faîte de la gloire par les succès retentissants de La Seynoise au concours international de Lyon. Nous avons raconté cela par le menu dans l'ouvrage spécial que nous lui avons consacré (1).
(1) Marius Autran - Cent cinquante ans d'art musical - Histoire de la philharmonique " La Seynoise ", 1984.
Saturnin Fabre lui adressa des télégrammes de félicitations et rappelons qu'à l'annonce de cette émouvante nouvelle, le port fut illuminé et pavoisé sur toute sa longueur.
Avant de passer à d'autres aspects de la vie municipale, surtout les plus houleux, il ne nous semble pas inintéressant de citer à titre documentaire une liste de personnalités (notables, élus et fonctionnaires) qui furent amenés à collaborer avec Saturnin Fabre.
Ce document que nous reproduisons in extenso est paru dans un annuaire touristique de l'année 1891 qui nous donne la superficie exacte du terroir seynois : 2708 ha, 20 a, 68 ca et sa population qui s'élève à 13 166 habitants (2).
- (2) La presqu'île de Saint-Mandrier était alors rattachée administrativement à la Commune de La Seyne.
Députés du Var : Clemenceau, Raspail, Cluseret, Rousse
- Conseiller général : Cyrus Hugues
- Conseiller d'arrondissement : M. Raynaud
- Doyenne de La Seyne : Jauffret : curé doyen
- Dumas : Directeur de l'Institution Sainte-Marie
- Verlaque : Aumônier de la Présentation
- Receveur municipal : M. Giran
- Directeur des travaux : M. Lion
- Directeur de l'octroi : M. Florent Mabily
- Receveur de l'Enseignement : M. Mathey
- Percepteur : M. Giraud
- Receveur buraliste : M. Elysée Castellan
- Commissaire de police : M. Saint-Bonnet
- Sergent de Ville : M. Benser
- Receveur des postes : M. Saurin
- Directeur de l'école primaire supérieure : M. Hugues
- Directrice du cours complémentaire : Mlle Carles
- Gardes-champêtres : MM. Sardou et Giraud
- Juge de paix : M. Mouttet
- Huissier : M. Curgut
- Notaire : M. Audibert fils.
Des luttes politiques ininterrompues
Nous n'insisterons pas sur le bilan des réalisations de la Municipalité Fabre, mais on ne peut s'empêcher de penser à la volonté peu commune du Maire et de ses coéquipiers pour réussir à triompher de tous les obstacles accumulés sur leur chemin depuis leur accession aux affaires communales.
On sait bien que, généralement, les batailles politiques sont inévitables et le plus souvent irritantes. Mais, en suivant la chronologie électorale de cette période de l'histoire seynoise, on comprendra mieux le grand mérite des élus à faire oeuvre utile : élections régulières, démissions, réélections, élections complémentaires, élections imprévues, se sont succédé à une telle cadence qu'on peut se demander comment le travail municipal a été possible dans une telle instabilité et une atmosphère politique aussi déplorable.
Rappelons les premières attaques dont Saturnin Fabre fut l'objet dès son élection au Conseil municipal. Alors qu'il n'était qu'un simple conseiller, il fut pris à partie dans l'affaire du puits des Moulières et accusé de l'assèchement des lavoirs publics. Du procès qui s'en suivit il en était sorti grandi, la calomnie n'avait pas payé et les lavandières, meilleur appui de sa défense, avaient publiquement confondu ses détracteurs avec fracas.
Mais pourquoi donc fut-il la première cible de ce Conseil municipal ? Parce que l'adversaire ne s'y trompait pas. Fabre était le plus redoutable pour eux par son intelligence, sa compétence dans l'appréhension de tous les problèmes municipaux.
En 1886, la liste qu'il conduit est élue : il est 5ème sur 27. Cette fois le Conseil municipal le désigne à la responsabilité de Maire.
Alors, les attaques de ses adversaires se multiplièrent dans la presse locale. Sa proposition d'un emprunt de 500 000 F pour la réalisation d'un programme de travaux grandioses lui valut des accusations d'affairiste peu scrupuleux.
Quand il fit cimenter les premières rues de la ville avec du ciment en provenance de la région de Grenoble, là encore il fut accusé de malversation parce qu'on savait qu'il dirigeait des Chantiers de travaux publics en Savoie et même en Lozère. Alors, les langues se délièrent pour échafauder des combinaisons louches entre le Maire de La Seyne et les chefs de ces chantiers lointains.
Pour se défendre et expliquer la nécessité d'un emprunt important pour réaliser de grandes choses, Saturnin Fabre rédigea un tract diffusé à 3 000 exemplaires pour que la population comprenne bien l'efficacité d'un tel investissement et les profits certains que tout le monde en tirerait.
Comparaison amusante : soixante-dix ans plus tard, Toussaint Merle sera accusé lui aussi de dépenses somptuaires par des adversaires aussi stupides que ceux du Maire Fabre, au moment de la reconstruction de l'hôtel de ville.
Dilapidation du bien public disaient les politiciens de bas étage, ce que d'ailleurs ils étaient toujours incapables de prouver.
Revenons à la Mairie Fabre, dont les conseillers unanimes estimèrent nécessaire, dès le début de leur mandat, d'intenter une action en justice contre l'Administration et le gérant de La Voix du peuple.
La résolution du Conseil municipal disait :
" Dans ce journal s'expriment des délateurs malveillants qui ont faussement accusé le deuxième adjoint d'avoir employé des cantonniers dans la propriété de son fils ". Après ces dernières algarades, il semble bien qu'une accalmie suivit et qu'il y eut moins de lances brisées entre les élus et leurs opposants
Elle fut de courte durée, car les évènements de la politique locale et générale se précipitaient. En 1889, les élections législatives allaient raviver les rancunes. Saturnin Fabre conscient de ses aptitudes à remplir une fonction parlementaire, encouragé par ses amis, posa sa candidature. Hélas ! il fut battu, même dans son fief. Un corps électoral que l'on croit bien connaître réserve parfois des surprises désagréables.
Ne pouvant supporter cet échec, le Maire dépité donna sa démission entraînant tout le Conseil municipal dans sa chute. Après quoi s'ouvrit une nouvelle campagne électorale qui se déroula au début de 1890 et vit la réélection du Maire sortant avec un score amélioré (3ème sur 27 conseillers).
S'agissant d'une élection complémentaire, il fallait déjà se préparer aux élections municipales générales pour 1892. Cette année-là fut doublement bénéfique pour notre premier magistrat qui retrouva sa place en Mairie et conquit cette même année le siège de Conseiller général.
Depuis son entrée au Conseil municipal en 1885, Saturnin Fabre dut affronter 6 campagnes électorales au cours desquelles il ne fut battu qu'une fois. Il pouvait donc espérer poursuivre avec succès sa carrière politique, mais la conjoncture devint de plus en plus difficile pour lui et ses coéquipiers, surtout quand il voulut résoudre les problèmes de l'assainissement dont nous avons longuement parlé dans le récit du Tome I de notre série d'ouvrages.
Les Toulonnais désireux de régler chez eux le problème de l'assainissement firent part de leurs projets. Il y en eut plusieurs : déversement des eaux usées dans la rade par la Rivière Neuve, canalisation en direction des Sablettes, puis de Fabrégas. Tous ces projets furent combattus par les Seynois unanimes, municipalité en tête.
À partir de 1890, les ingénieurs au service de la ville de Toulon étudièrent un projet de déversement en haute mer. Saturnin Fabre met au point un projet semblable et il est convaincu à juste titre que les deux villes ne peuvent mener des actions séparées.
Un projet de canalisation souterraine soigneusement isolée des nappes phréatiques est parfaitement réalisable, mais voilà : la vidange toulonnaise passera en territoire seynois. Les adversaires de Saturnin Fabre ont sauté sur cette occasion inespérée pour mener contre lui une campagne d'une violence sans précédent :
" Que le caca des Toulonnais passe sur notre sol ! Ah çà ! Jamais ! Les Seynois ne supporteront jamais une telle offense ! ".
Et le projet d'émissaire commun n'est pas encore déposé que ses adversaires se mobilisent : un comité de protestation se constitue ; on distribue des tracts par milliers, on signe des pétitions, on organise des réunions. Le Maire sera même giflé publiquement. Des manifestants exigent la démission du Conseil municipal. Saturnin Fabre éprouvait de plus en plus de difficultés à réunir ses collègues : certains d'entre eux n'assisteront même plus aux séances.
Les mois passèrent et même les années au cours desquelles, des tentatives de modifications au projet ne pourront aboutir.
Des personnalités influentes de la bourgeoisie seynoise, membres du Comité de protestation contre le projet toulonnais (MM. Lagane, Dr Loro, Michel Pacha...) intervinrent au plus haut niveau.
Des élections complémentaires se déroulèrent le 19 Mai 1895. Elles amenèrent huit conseillers nouveaux dont François Bernard, directeur honoraire des octrois de Marseille, tous opposants à la politique de Saturnin Fabre.
Dès que le Maire eut installé ces conseillers dans leurs fonctions, M. François Bernard demanda la parole pour donner lecture du texte suivant :
" Messieurs et Chers collègues ! La pierre fondamentale de la République Française, c'est le suffrage universel. S'incliner devant son verdict n'est pas abandonner son poste ; c'est faire acte de bon citoyen. Vous connaissez mes chers collègues le mandat que nous avons accepté ; il est simple et énergique en même temps. Il se résume en un seul mot : Démission ! "
" Voilà pourquoi nous venons sans parti pris, sans haine, sans passion, si ce n'est celle d'être utile à notre commune vous dire : Messieurs, au nom des électeurs qui nous ont élus, au nom des intérêts de notre ville, si gravement compromis, démissionnez ! "
" Et alors, devant cette importante manifestation, les pouvoirs publics, nous en sommes persuadés, donneront des ordres pour faire modifier le projet de la ville de Toulon ".
" ... Quant à nous, nous allons remplir notre mandat en adressant notre démission à M. le Préfet du Var au cri de : Vive La Seyne ! ".
Signé : Bernard, Gros, Sicard, Augier, Pevret, Ginouves, Morice, Blanc.
Les nouveaux élus se retirèrent de la séance et le Conseil passa à l'ordre du jour.
Après quoi le Maire prit la parole et déclara :
" Le motif invoqué par les nouveaux élus est respectable, mais celui qui a incité le Conseil municipal à rester à son poste ne l'est pas moins. Si le Gouvernement ne prenait pas en considération les protestations de la ville de La Seyne contre le projet d'assainissement de la ville de Toulon, alors le Conseil se retirerait sans hésitation ". Il ajouta à l'adresse des démissionnaires : " Il eut été préférable pour l'intérêt de la Ville que les nouveaux élus vinssent fortifier le Conseil municipal dans son action légale et qu'ils conservent la responsabilité de leur décision ".
Au mois de Juillet 1895 il fallut procéder à de nouvelles élections afin de pourvoir aux sièges manquants.
À une exception près les mêmes candidats furent réélus. Ce fut M. Célestin Pascal qui présida la séance. Profondément humilié, Saturnin Fabre ne reparut point.
Après les formalités d'usage d'installation des citoyens réélus, François Bernard, s'adressant à ses collègues déclara :
" Pour la deuxième fois, nous avons l'honneur d'être envoyé ici par le Suffrage universel pour vous prier de quitter avec nous l'Hôtel de Ville. L'appel que nous venons faire, nous n'en doutons pas, sera entendu aujourd'hui car, comme nous, vous ne voulez pas que les intérêts de notre ville soient sacrifiés. Non, vous ne le voulez pas parce que vous êtes Seynois ".
" Aucun parti pris ne nous anime. Notre bonheur serait de voir tous les enfants de La Seyne groupés sous le même drapeau pour défendre les intérêts de notre commune. Nous ne sommes pas des ennemis, nous ne voulons que le bien du pays ".
" Voilà pourquoi vous vous joindrez à nous en adressant votre démission à M. le Préfet du Var ".
" Un bon mouvement, Chers Collègues, et vous aurez accompli un devoir dont le pays vous tiendra compte. Démissionnez ! Réfléchissez mes Chers Collègues ! N'assumez pas une responsabilité qui pourrait devenir écrasante ! "
" Faites la grève municipale et quand tout sera terminé, vous reprendrez comme nous votre liberté d'action ".
" Vive La Seyne ! "
Les partisans de Saturnin Fabre à l'exception d'un seul ne furent pas convaincus. M. Bernard ayant demandé l'appel nominal sur la proposition de démission du Conseil municipal, on se trouva devant les résultats suivants :
- Pour la démission : 7
- Contre : 10
Le nombre de conseillers restants n'étant pas suffisant pour délibérer, la séance fut levée.
Le fonctionnement du Conseil municipal n'était plus possible. On devine l'ambiance passionnelle qui régnait alors dans la population. Les séances publiques connaissaient une affluence inaccoutumée. On y venait moins pour savoir si tel chemin allait être aménagé que pour assister aux joutes politiques enflammées, aux empoignades fiévreuses.
De nouveau, les Seynois furent appelés aux urnes et cette fois la majorité nouvelle fut composée des partisans de François Bernard. Mais la marge demeura étroite. En effet : à la session extraordinaire du 8 Septembre 1895 l'élection du Maire donna les résultats suivants :
Saturnin Fabre avait disparu définitivement de la compétition.
Ces derniers chiffres montrent que la population Seynoise restait profondément divisée. L'histoire politique de notre ville nous a appris qu'il en est toujours ainsi depuis cette époque particulièrement troublée.
Le 15 Décembre 1895, une nouvelle attendue avec impatience par les adversaires du projet Fabre, parvient à l'Hôtel de Ville :
" Le projet de collecteur de l'émissaire est rejeté ".
François Bernard et ses amis triomphaient bruyamment.
Tous ceux, parmi les notables, qui ont participé à la bataille contre le projet reçoivent des lettres de remerciements, c'est-à-dire les conseillers municipaux, les députés, les membres du comité de protestation, les membres du Gouvernement.
Les jeunesses socialistes exultent et ne cachent pas leur satisfaction de voir les toupines et le torpilleur continuer leurs bons offices (incroyable,... mais rigoureusement vrai !). D'ailleurs François Bernard n'a pas d'autre solution à proposer.
Quant à Saturnin Fabre, Conseiller général depuis 1892, il continue à défendre les intérêts de La Seyne au niveau départemental, son mandat ne cessant qu'en 1898, mais il ne le fait plus avec le même enthousiasme depuis le désaveu que la population seynoise trompée lui a infligé.
Il suivra de près néanmoins la conduite des affaires municipales par son adversaire Bernard qui ne parviendra pas à dominer la situation. Lui dont les interventions au Conseil municipal présidé par Fabre, se voulaient sans haine, sans passions, sans parti pris, songea tout d'abord à satisfaire ses rancunes personnelles.
Il se lança dans une politique de mesures répressives dont le résultat ne fit qu'aggraver la mésentente entre les Seynois. L'adjoint spécial délégué à Saint-Mandrier, M. Estienne, se vit retirer tous ses pouvoirs sans motif valable. François Bernard l'avait jugé comme un adversaire de la Municipalité.
Des amis de Saturnin Fabre, désireux de lui exprimer leur reconnaissance pour son oeuvre d'administrateur, se réunirent à l'Eden-Théâtre au cours d'une modeste réjouissance où un bronze représentant la Vérité, ainsi qu'un livre d'or portant un nombre considérable de signatures, seraient offerts à l'ancien Maire. Quand François Bernard apprit qu'il s'agissait d'honorer son rival, il refusa catégoriquement de prêter des drapeaux pour la décoration de la salle.
De telles attitudes déplorables ne pouvaient continuer à rehausser le prestige du nouveau Maire.
Ces mesquineries allaient prendre un tour plus grave avec les accusations portées contre La Seynoise.
Un arrêté d'interdiction de sortie fut pris à l'encontre de la Philharmonique, puis un arrêté de dissolution pour des motifs futiles. François Bernard ignorait qu'il n'avait pas le droit de dissoudre une association.
Cette mesure suivie d'un procès retentissant empoisonna l'atmosphère seynoise pendant plusieurs années. La Seynoise sut mobiliser des milliers de ses amis, contre attaqua jusqu'au niveau du Conseil d'État et fut réhabilitée dans la plénitude de ses droits. Cette défaite de François Bernard laissa présager d'autres déconvenues plus graves encore pour lui et ses amis politiques.
En 1900, Julien Belfort, retraité de l'armée, mettait un terme à la carrière du délateur de Saturnin Fabre. Ainsi vont les problèmes de la basse politique.
Essayons maintenant de dégager quelques conclusions à ce récit qu'on ne peut qualifier de biographique, le but recherché étant avant tout le jugement sur l'oeuvre accomplie par Saturnin Fabre à la tête de la Municipalité seynoise.
A-t-il fait oeuvre utile ? Nous répondons oui ! A-t-il administré mieux que beaucoup d'autres ? Sans aucun doute et les arguments qui confortent cette appréciation abondent. Pourquoi donc avec un bilan très positif a-t-il été répudié par une majorité de ses administrés ? Essayons de comprendre !
Voilà un élu qui accède aux affaires municipales dans une période extrêmement confuse de la vie locale et aussi nationale, une vie matérielle qui n'a guère évolué depuis le XVIIIe siècle, les progrès de la science étant insuffisamment vulgarisés ; une situation économique fragile pour la plupart des travailleurs de la ville et des champs désarmés contre le chômage, la maladie, les accidents du travail, la vieillesse ; une jeunesse désorientée, accaparée par l'armée pendant sept ans, puis cinq ans de service militaire ; mobilisée pour des guerres coloniales interminables ; des problèmes d'organisation de l'enseignement, l'école laïque ayant du mal à s'imposer face au sectarisme des cléricaux ; des clivages politiques encore mal définis ; une bourgeoisie aisée de marchands, de petits industriels, d'actionnaires de la grande industrie navale avec Noël Verlaque à leur tête et cependant divisée parce que défendue tantôt par le parti conservateur dirigé le plus souvent par des militaires retraités (Barré, Audoly,...) tantôt par des radicaux comme Cyrus Hugues. Une classe ouvrière très divisée aussi, la plus grande partie étant manipulée par la Direction des Forges et Chantiers, une minorité grandissante au fil des ans, pénétrée par les idées du mouvement socialiste naissant, surtout depuis la venue le 13 Octobre 1879 de Louis Auguste Blanqui à La Seyne, où l'on vit 400 ouvriers attendre le vieux révolutionnaire au débarcadère du bateau venant de Toulon. Ces ouvriers sont les adhérents des cercles démocratiques Les Montagnards et Les Travailleurs. Ils sont l'avant-garde marxiste qui affirmera le courant socialiste à La Seyne, le renforcera après la venue devant les chantiers de Louise Michel, vaillante militante révolutionnaire qui prit part à la Commune de Paris, avant d'être déportée en Nouvelle-Calédonie. Ils sont les pères de ceux qui, bouleversés par l'assassinat de Jean Jaurès quelques années plus tard, prendront en mains les affaires de la ville après la première guerre mondiale.
On aurait pu croire qu'après la mise en place des institutions républicaines en 1875, le pays allait connaître une période de sérénité. Mac Mahon président de la IIIe République faisait tout pour freiner le courant républicain. Il nommait des préfets à sa dévotion, qui avaient pour mission de soutenir des éléments conservateurs en vue d'endiguer les excès de démocratie et surtout les idées du socialisme.
Cyrus Hugues faillit ainsi être révoqué pour avoir accueilli Louis Auguste Blanqui à son arrivée à La Seyne.
Entre 1881 et 1886 l'instabilité municipale n'a jamais été aussi grande. Quatre maires se sont succédé en 5 ans. Nous l'avons écrit au début : c'est à ce moment-là qu'arriva Saturnin Fabre.
Dans cet imbroglio décrit succinctement, comment administrer, se faire écouter, s'imposer pour éviter ou limiter les coups de l'adversaire politique ? À vrai dire, cela relève du tour de force.
Saturnin Fabre eut des défauts comme tout un chacun.
Fit-il preuve d'arrivisme ? On peut toujours taxer d'arriviste celui qui manifeste de l'ambition. Ambitieux, il le fut sans doute, mais ses qualités d'administrateur, son autorité bienveillante sur son équipe, ses initiatives heureuses, son dynamisme, la confiance que lui accordèrent ses amis, et aussi pendant plusieurs années celle de la population, l'autorisèrent à l'être quelque peu.
Son bilan de réalisations, nous l'avons montré, a été impressionnant. Il a défendu avec acharnement les intérêts de la ville, il a été sensible aux revendications de tous les milieux sociaux.
On l'accusait parfois d'avoir favorisé la classe moyenne des artisans et des commerçants, mais a-t-il négligé d'intervenir en faveur de la classe ouvrière, même au plus haut niveau ? N'a-t-il pas été attentif aux problèmes de l'école laïque ? Aux besoins de la vie associative ? Nous avons montré tout cela.
Et malgré tout ce qu'il a pu faire de positif, il fut contraint de cesser ses activités municipales après 10 ans d'exercice. Il n'avait que 54 ans. Dans la plénitude de ses moyens physiques et intellectuels, il aurait pu rendre encore beaucoup de services à la ville de La Seyne.
Comment expliquer le revirement de l'opinion publique à son égard en 1895 ? Comment comprendre que, même parmi ses amis politiques, il y eut des ingrats ?
Il est difficile d'admettre que Saturnin Fabre, élu comme républicain modéré qui se disait progressiste, ait été battu par François Bernard qui se disait radical... un radical appuyé par les Maristes et la Direction des Chantiers !
Le comportement de ces forces traditionnellement réactionnaires s'explique sans doute par le souci de faire échec au parti ouvrier qui s'affirme par ses tendances blanquistes et guesdistes dérivées du Marxisme. " François Bernard, a estimé la Réaction, est sans doute le mieux placé pour battre la turbulence ouvriériste ".
Notons toutefois que l'ancien directeur des douanes avait essayé d'entraîner discrètement dans son sillage les Jeunesses socialistes, un rapprochement s'étant opéré entre socialistes et radicaux depuis l'affaire Dreyfus.
Mais, à notre avis, ces combinaisons politiques n'expliquent pas tout. Elles ne sont pas l'essentiel dans la défaite de Saturnin Fabre. Les véritables raisons du succès de François Bernard il faut les chercher ailleurs.
Au cours de la campagne électorale de Juillet 1895, des propos d'une rare violence furent tenus contre le Maire sortant, accusé par allusions, de malversations. " Beaucoup de travaux ont été faits, c'est vrai ! " disaient les amis de François Bernard, mais le Maire en a tiré des avantages personnels. Ce sont là les poncifs que l'on retrouve fréquemment dans les périodes électorales.
On accuse souvent sans preuve... Comme ces imbéciles, rédacteurs courageusement anonymes, qui écrivirent pendant les élections cantonales de 1986 à La Seyne que des élus de gauche s'étaient fait construire des maisons au frais de la commune. Pas moins ! Le crétinisme politique n'a pas de limite !
Les propos désobligeants, les qualificatifs outranciers servent rarement leurs auteurs.
La véritable raison du succès de François Bernard c'est qu'il réussit, au-delà de tous les clivages politiques, à vaincre son adversaire par un courant de chauvinisme exacerbé à propos du projet de l'émissaire commun. Il y allait de la santé des citoyens mais surtout de leur honneur. On insinuait même que Saturnin Fabre se moquait bien de la dignité des Seynois puisqu'il était d'origine toulonnaise.
Qu'on relise les chansons qui illustrent le texte Toupines, torpilleurs, émissaire commun, écrites en Provençal !
À cette époque (il y a un siècle déjà), s'adresser au public en langue provençale c'était un moyen de le sensibiliser davantage ! Un véritable courant de masse fut créé, une propagande poussée au paroxysme de l'aveuglement répandu par tous les moyens : réunions publiques, tracts, chansons,... eurent raison des propos mesurés et des sages solutions de Saturnin Fabre.
L'amour propre des petites gens fut flatté par des accents patriotiques vibrants qui gagnèrent aussi la bourgeoisie représentée par des notables de haut niveau comme le Docteur Loro, des ingénieurs comme MM. Lagane, directeur des Chantiers navals, Morris ingénieur en chef de l'usine des câbles sous-marins, des réalisateurs de talent comme Michel Pacha.
Haï, injurié, vilipendé, Saturnin Fabre ne trouva plus le courage pour faire front à des adversaires qui avaient créé à La Seyne une atmosphère démentielle. Dans de telles conditions, on comprend fort bien qu'il préféra abandonner les Seynois à leur triste sort car finalement son remplaçant ne fit pas des merveilles.
On aurait peut-être pardonné à François Bernard sa campagne haineuse si, après le départ du Maire Fabre, la solution au problème de l'assainissement avait été trouvée.
Hélas ! Hélas ! Hélas ! Il n'en fut rien : Les Seynois continuèrent à sortir les toupines devant leur porte dès potron-minet, à respirer les effluves puants du torpilleur, à contracter des maladies contagieuses dues aux épandages sauvages des vidanges.
Relisez la chanson intitulée L'Assainissimen dé La Seyno le refrain se termine ainsi : Préféraren toujours leis torpilleurs et leïs toupino. Elle fut chantée au siège des jeunesses socialistes... des socialistes dont les solutions manquaient plutôt de réalisme.
Nous étions en 1896 et les Seynois attendront jusqu'en 1952 pour voir se réaliser l'émissaire commun : 56 ans !
Et comment ? Suivant les méthodes préconisées par Saturnin Fabre, car c'est lui qui avait raison. Il avait eu le tort d'avoir raison avant les autres. Une chanson ne dit-elle pas : Le Coupable a dit la vérité... Il doit être exécuté ?
Que devint le Maire déchu ? Profondément ulcéré par une campagne électorale aussi déloyale qui mit fin à ses fonctions, il se retira momentanément à Cachou mais on le revit tout de même à La Seyne dont il continua à défendre les intérêts au Conseil général du Var qui vit la fin de son mandat en 1898. Il s'y acquitta correctement des tâches entreprises au profit de la commune depuis 1892.
Si les Seynois, dont la majorité s'était prononcée impulsivement contre lui, avaient été informés objectivement de ses aptitudes à réaliser de grandes choses, leur comportement eut été certainement différent.
On connaissait l'administrateur qui agissait sur place, mais on ignorait ses nombreuses activités à l'extérieur. Ses adversaires laissaient planer des doutes sur l'intégrité de ses affaires et l'accusaient faussement de malversations.
Heureusement pour lui, il reçut des témoignages du plus haut niveau pour la qualité de ses travaux.
Nous avons relevé dans le Savoyard de Paris quelques-uns des projets auxquels il donna vie en sa qualité d'entrepreneur de travaux publics. Par exemple : il exécuta plusieurs lignes de chemin de fer, notamment celle de Limoges à Le Dorat (Haute-Vienne).
En vue de satisfaire un besoin urgent de l'État, il posa en 35 jours, 42 kilomètres de voie, ce qui lui valut un témoignage de satisfaction décerné par M. Leblanc Inspecteur général des Ponts et Chaussées.
Il fut aussi le réalisateur de la ligne de chemin de fer de Perpignan en Espagne qui nécessita 750 000 m3 de terrassements.
Au début du siècle, il fut appelé en Grèce par le Président du Conseil des ministres pour des essais d'assainissement à Athènes. Ses réalisations furent si performantes que le roi de Grèce George Ier le félicita et le décora de la croix de chevalier de l'Ordre de Saint-Sauveur. Il est plutôt cocasse de constater qu'il réalisa pour un pays étranger ce que les électeurs Seynois lui interdirent de faire à La Seyne.
Dans des domaines totalement différents, on peut parler de Saturnin Fabre inventeur.
N'est-ce pas lui qui, au cours d'une visite faite à un cuirassé d'une escadre grecque, émit l'idée de modifier l'orifice des ventilateurs et des manches à air du plafond des compartiments au fond des navires, et d'abaisser ainsi de 45° à 22° la température intérieure ?
N'est-ce pas lui qui, en 1870, s'inspirant des théories militaires relatives à la défense des places, indiqua le jalonnement des fortifications qui protègent aujourd'hui la place de Toulon ?
N'est-ce pas lui qui voulut appliquer à l'exposition de 1900 son invention du ballon cable-way dont les expériences officielles avaient été des plus concluantes et avaient donné lieu à des rapports élogieux de la commission compétente ?
Le rapport approuvant cette application avait été signé par les ingénieurs des Ponts et Chaussées, les ingénieurs des Mines, le Directeur du Génie, le Directeur de l'Artillerie et les membres de la Faculté des Sciences.
Durant les dix dernières années de sa vie, c'est en Haute-Savoie qu'il se rendit le plus souvent. Sollicité par les pouvoirs publics pour la mise en valeur du tourisme à la montagne, il mit sur pied des programmes grandioses pour l'exploitation des richesses naturelles.
Dans un long rapport au préfet, il développe toutes les possibilités de création de stations, de voies ferrées, de téléphériques et de tout ce qu'il a pu faire, imaginer, inventer. Le fleuron de ses réalisations les plus prestigieuses fut le projet de station estivale d'Annecy, avec son casino, dont le dôme fut un chef-d'oeuvre d'architecture, et d'un grand hôtel dont les lignes de construction s'harmonisaient avec celles du relief environnant, avec ses quais où l'amarrage des barques pouvait s'effectuer devant l'escalier d'honneur avec ses structures d'accueil (cercle, théâtre, salles de lectures, salle de musique, restaurant, parc, etc...). Ce fut dans ce même document adressé au préfet de Haute-Savoie en 1899 que Saturnin Fabre exposa son projet de chemin de fer du Mont Blanc.
Quelques années passèrent avant la mise au point définitive de ce projet grandiose et le 27 Avril 1906, le Président de la République Émile Loubet signa le décret d'utilité publique approuvant le projet d'Annecy comme station estivale. Aussitôt, le Savoyard de Paris écrivit :
" Dans trois ans, Annecy centre du tourisme international, sera l'image de l'oeuvre du grand homme, de l'ingénieur éminent Saturnin Fabre ".
À cette lecture, l'ancien Maire de La Seyne éprouva sans aucun doute une grande satisfaction.
Hélas ! il ne vit pas la réalisation de ces projets grandioses conçus dans les dernières années de sa carrière. Il mourut à Lyon le 18 Novembre de cette même année 1906.
Les évènements qui ont marqué cette fin de carrière de Saturnin Fabre sont restés longtemps mal connus et donnent encore lieu à des explications controversées. Ainsi, d'après les recherches menées par M. José Banaudo sur les différents projets concurrents lancés à cette époque pour ouvrir une voie de chemin de fer jusqu'au sommet du Mont-Blanc, il apparaît que Saturnin Fabre avait déjà déposé un projet extrêmement ambitieux dès 1896 et qu'il s'y était énormément investi. Alors que son principal concurrent, Henri Duportal ingénieur des Ponts et Chaussées, avait conçu une ligne essentiellement à l'air libre à partir de Saint-Gervais, desservant plusieurs sites de séjours et d'excursions (restaurants, belvédères) et suivant des pentes plus modérées, Saturnin Fabre (en association avec l'astronome Joseph Vallot) avait conçu son chemin de fer comme le moyen le plus direct possible pour atteindre le Mont-Blanc, c'est-à-dire quasiment tout en souterrain au départ des Houches, et suivant une déclivité inégalée jusqu'alors dans le monde, afin d'obtenir le trajet le plus court possible, mais rendant la traction électrique obligatoire. Malgré de premières expertises qui lui sont favorables en 1899 et 1900, Saturnin Fabre sent ensuite le projet lui échapper et il adresse alors des courriers véhéments au Ministre et au Conseil Général, dans lesquels il parle de parle de « mesquines questions électorales qui semblent primer le droit et la justice ». Ces courriers ne semblent pas avoir reçu de réponse officielle et il semble que dès juin-juillet 1904, les jeux étaient déjà faits puisque le Conseil Général allait accorder le mois suivant (août 1904) la concession à son concurrent Henri Duportal. Ce sera l'actuel Tramway du Mont-Blanc, qui au départ de Saint-Gervais aboutit au Nid d'Aigle, au bord du glacier de Bionnassay, mais qui ne sera cependant jamais prolongé jusqu'au Mont-Blanc. Dans la mémoire de la famille de Saturnin Fabre, on a longtemps retenu que Saturnin Fabre « aurait été atteint d'une congestion cérébrale après s'être vu dérober les plans d'un important et spectaculaire projet de tunnel dans les Alpes... ». Que s'est-il passé en réalité ? On ne le saura sans doute jamais puisque l'on ne peut s'en faire une idée qu'à partir des arguments avancés par les deux parties. Ainsi, Duportal affirmait de son côté que, dès le début de 1902, Fabre, ne parvenant pas à réunir le financement nécessaire, avait proposé de lui céder ses droits, puis s'était ensuite ravisé... Qui dit vrai ? En outre, de 1902 à 1904, la mise en concurrence des deux projets s'était faite sur le fond d'une rivalité traditionnelle entre Chamonix (favorisée par le projet Fabre partant des Houches) et Saint-Gervais (point de départ du projet Duportal). Or, il est frappant de constater que même le député Emile Chautemps (cousin du futur ministre Camille Chautemps) et la commune de Chamonix, qui étaient à l'origine les meilleurs soutiens de Fabre, prennent parti pour son concurrent dès le début de 1904. Une réflexion de Chautemps laisse enfin entendre que Saturnin Fabre aurait lassé certains hommes politiques du département en multipliant les projets ambitieux, tels que ceux d'un casino, d'un grand hôtel et d'un tramway à Annecy ? Il convient donc de se garder de prendre parti sans condition en faveur de l'un ou de l'autre projet. Toujours est-il que, même si son projet n'a pas été retenu et si Saturnin Fabre s'est senti gravement lésé, avec le recul du temps on peut considérer que Saturnin Fabre est le premier à avoir convaincu ses contemporains de l'intérêt et de la possibilité de gravir en train le massif du Mont-Blanc ! Il est donc indirectement le père de l'actuel Tramway du Mont-Blanc... |
Son épouse, décédée 12 ans plus tard, devait le rejoindre dans la tombe surmontée d'une stèle, oeuvre de la reconnaissance publique dont nous parlions au début de notre récit.
Disparu à 64 ans dans la pleine maturité de ses moyens physiques et intellectuels, Saturnin Fabre épuisa le meilleur de lui-même dans des luttes politiques stériles et de continuelles tribulations.
Le bilan de ses activités et de ses succès aurait pu atteindre des dimensions de plus grande envergure, surtout au bénéfice de notre ville de La Seyne. L'extrême sensibilité du corps électoral ne l'a pas permis... il y a déjà 100 ans de cela !
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