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La Seyne ne fut à ses origines au XVe siècle qu'un hameau de Six-Fours détaché sur les bords de la rade de Telo Martius : on l'appelait alors La Sagno.
Au XVIIe siècle les premières habitations s'étant reliées, elle devint un village d'un millier d'âmes. La voilà aujourd'hui une grande ville de 60 000 habitants, la deuxième du département. On pourrait expliquer longuement les raisons de cette croissance, mais ce n'est pas le but de cette relation fragmentaire dont l'objet est de faire connaître aux seynois de souche, mais aussi aux seynois d'adoption et de cœur, les longues luttes menées par leurs prédécesseurs pour donner à leur communauté des conditions de vie plus confortables et plus humaines.
Nous savons bien que dans la civilisation présente, de graves problèmes sont à résoudre, mais n'oublions jamais les épreuves cruelles auxquelles nos anciens furent confrontés : calamités naturelles, épidémies meurtrières, guerres et luttes fratricides, famines, répressions politiques,... Tous ces fléaux hélas ! ne sont pas disparus de la vie de notre planète. Dans la présente étude, nous allons prendre un exemple limité seulement à notre terroir seynois, celui de la conquête de l'eau pure, préoccupation constante de nos anciens.
Certains s'étonneront peut-être du choix d'un tel sujet car diront-ils : personne n'est jamais mort de soif à La Seyne, ni à Toulon ou ailleurs dans le département du Var. C'est vrai ! Mais l'histoire nous a appris que dans certaines périodes, la pénurie d'eau potable prit des dimensions dramatiques surtout à partir du moment où la population s'accrut sensiblement avec en corollaire la multiplication d'activités fort diverses.
Au début de leur installation sur les rivages poissonneux et un arrière-pays de vallons fertiles, nos ancêtres pêcheurs et cultivateurs purent trouver des ressources suffisantes pour satisfaire leurs besoins matériels, mais leur situation devint inquiétante quand le système hydrographique de la presqu'île de Sicié subit de graves dégradations vers la fin du siècle dernier.
Ce fut surtout dans cette période que la bataille pour l'eau pure devint déterminante pour l'avenir de notre ville. On lira plus loin les raisons de changement du milieu naturel qui eurent pour conséquences néfastes un appauvrissement des ressources hydrauliques et un déséquilibre dans la vie quotidienne des habitants.
La recherche de solutions heureuses aux difficultés dura près d'un siècle. Elle allait de pair avec celle de la lutte contre la pollution qui dura aussi longtemps, aspect de la vie seynoise développé longuement dans le chapitre Toupines, torpilleurs, émissaire commun du Tome I des Images de la vie seynoise d'antan.
Nos ancêtres luttèrent conjointement sur les deux fronts : l'eau pure et l'évacuation des déchets, les deux problèmes étant liés intimement.
Il leur fallut faire preuve de beaucoup d'imagination, de patience, d'obstination dans la recherche de solutions aux implications politiques inévitables sur lesquelles il faudra bien nous attarder quelques instants.
Volontairement, nous n'avons pas voulu émailler excessivement notre texte de statistiques, de comparaisons chiffrées et nous avons arrêté notre étude vers les années 1977-1980 où l'on peut considérer que le problème de l'eau pure à La Seyne était réglé pour l'essentiel surtout depuis l'extension du Canal de Provence.
Il me souvient d'avoir développé au cours d'une conférence publique donnée à la Salle Apollinaire le 17 octobre 1983, le sujet suivant Cent ans de lutte contre la pollution - L'assainissement à La Seyne.
J'avais beaucoup insisté sur les conditions de vie déplorables de nos anciens établis sur des rivages hostiles du fait des marécages, des eaux croupissantes pestilentielles, des difficultés à établir des moyens de communication et d'échanges, des dangers de la piraterie venus du Moyen-Orient, de l'Afrique du Nord et de l'Espagne.
Par surcroît, l'eau potable suffisamment abondante sur le terroir de Sicié et de Janas ne pouvait être acheminée vers la population agglomérée autour du premier port de La Sagno. Je dis bien abondante car la presqu'île de Sicié, admirablement boisée de pins et de chênes, constituait une réserve d'eau qui ne s'infiltrait qu'avec lenteur dans les schistes, lesquels restituaient au bas des pentes une eau d'une limpidité et d'une pureté irréprochables.
Le nombre des points d'eau existant sur la presqu'île de Sicié demeure important malgré la succession des années de sécheresse. Et les vieux Seynois ont toujours en mémoire les noms de Moulières, Belle Pierre, Roumagnan, Le Rayolet, Bramas, Le Jonquet, toujours évocateurs dans leurs têtes chenues de journées inoubliables passées autour des sources, le long des ruisseaux aux murmures discrets, au milieu d'une végétation luxuriante et d'une variété prodigieuse.
Quand les ancêtres de notre terroir se fixèrent dans les premiers quartiers, ils ne connurent pas l'eau courante dans leurs habitations primitives. Pendant plus d'un siècle, les possédants de la terre creusèrent des puits chez eux, des puits souvent couverts (pouzzalacqua) en forme d'ogive, fermés et même verrouillés par crainte du vandalisme des garnements en vadrouille (déjà !).
Il y eut aussi des puits communaux dont le plus connu fut celui de la rue Cauquière. Ces puits n'étant pas toujours à proximité des habitations, on imagine le va-et-vient incessant des ménagères portant à bout de bras les lourdes cruches en terre cuite, les arrosoirs ou autres récipients de fortune pour assurer la consommation, le lavage, la propreté de toute une famille.
Les maris, soucieux d'éviter à leurs épouses des fatigues excessives, se levaient dès potron-minet pour remplir des baquets ou des cuveaux nécessaires à l'usage quotidien. Après quoi, ils s'en allaient à leur travail à pied car les moyens de transport collectifs ou individuels furent aussi une véritable conquête de l'homme. Le Tome I des Images de la vie seynoise d'antan apporte de grandes précisions sur ce sujet dans le texte intitulé Du bourriquet au S.I.T.C.A.T.
Mais revenons aux ressources hydrographiques de notre terroir. Le climat de notre région s'apparente à un système subtropical à deux saisons : l'une sèche (printemps, été), l'autre humide (automne, hiver). Les rares cours d'eau existants (Le Vallat du Pont de Fabre, qui se jette dans la rade en passant au-dessous des chantiers navals, le ruisseau de Vignelongue qui se termine à la Muraillette, le ruisseau de la Donicarde, le ruisseau de l'Oïde en provenance des Moulières) ne sont alimentés qu'à la saison des pluies. Exception faite pour l'Oïde, tous ces petits cours d'eau sont surtout des torrents complètement asséchés pendant de longs mois.
Nos ancêtres ont tiré parti des Moulières, en utilisant un courant d'eau descendant du Peyras, suffisamment fort pour actionner les moulins à huile et à blé qui ont fonctionné pendant 4 siècles au bénéfice des populations seynoise et six-fournaise. L'eau des sources fut utilisée essentiellement par les lavandières vers la fin du XIXe siècle. Le Maire Saturnin Fabre avait pensé que cette eau d'une pureté parfaite pourrait être canalisée vers la ville qui souffrait déjà cruellement de la pénurie d'eau potable. Son projet ne put être mis à exécution, pas plus que celui de l'assainissement dont j'ai parlé longuement au cours de la conférence du 17 octobre 1983, les revers électoraux l'ayant obligé à orienter ses talents d'administrateurs sous d'autres cieux.
L'exploitation des premiers points d'eau
Les Seynois peu nombreux pendant les XVIIe et XVIIIe siècle purent subvenir à leurs besoins en eau par le captage de quelques sources dont les résurgences se situaient aux quartiers Donicarde, Saint-Lambert, Berthe, Le Crotton. Depuis 1621 les R.P. Capucins (ordre de Saint-François) étaient installés dans un important domaine de plusieurs hectares au quartier Tortel. Ces lieux sont occupés aujourd'hui par l'Institution Sainte-Marie qui dispose de nombreuses constructions à usage de classes, de dortoirs, de cuisines, de salles spécialisées pour l'enseignement aux jeunes gens de La Seyne et des environs. Ces pères capucins au nombre d'une quarantaine exploitaient un puits comme tout le monde jusqu'au jour où un habitant généreux de leur voisinage fit don à leur communauté d'une source abondante située au quartier Donicarde au lieu appelé très anciennement Terres vieilles. Peut-être cet honorable citoyen espérait-il la grâce divine en échange de son bienfait ?
Aussitôt les Capucins aménagèrent une canalisation qui put alimenter à la fois leur propriété et quelques fontaines que la Municipalité d'alors se dépêcha de construire à la grande satisfaction de ses administrés. La plus importante fut celle de la place Bourradet au centre de laquelle on bâtit un abreuvoir pour les animaux de trait qui apportaient chaque jour des fruits et légumes sur le marché, en provenance des quartiers extérieurs (Les Plaines, Saint-Jean en particulier) aux terres alluviales fertiles.
La source de la Donicarde fut appelée source Saint-François, nom de l'ordre auquel appartenaient les Capucins.
De la canalisation qui descendait sur la place Bourradet (Martel Esprit aujourd'hui) on put alimenter diverses fontaines en particulier vers le haut du cours, la place des Capucins, devenue place du Séminaire, puis Germain Loro aujourd'hui, la fontaine du Piquet (devenue plus tard place Baptistin Paul) qui desservait ce qu'on appela le quartier neuf au XIXe siècle. Une source en provenance du quartier Berthe fut captée pour amener l'eau pure au grand Môle (quai Hoche), au quartier du Peyron, à Saint-Roch, aux Plageols. Une autre source dite de Saint-Lambert (quartier Saint-Antoine aujourd'hui) alimentait les quartiers Sud-Est du port et du Regonfle (place Gabriel Péri).
Il est amusant de rappeler au passage un conflit qui éclata entre l'administration et les R.P. Capucins, dès que la ville de La Seyne eut conquis son autonomie. Ces derniers se firent une excellente réputation dans la communauté seynoise où ils aidaient de leur mieux la classe laborieuse. Ils exercèrent leurs bons offices pendant deux siècles, mais au fil des années leur effectif alla s'amenuisant au point qu'en 1792 il n'y avait plus qu'une vingtaine de personnes au couvent et des infirmes pour la plupart. La convention passée à l'origine entre les Capucins et les syndics administrateurs de la communauté seynoise ne fixait la consommation d'eau qu'avec beaucoup d'approximation. L'augmentation de la population entraîna tout naturellement un accroissement des besoins et les capucins qui cultivaient leurs légumes ressentirent peu à peu les effets de la pénurie.
Par surcroît, leurs moyens financiers n'étant plus suffisants pour entretenir toutes les conduites d'eau desservies par la source de la Donicarde, il fallut que la communauté prenne à sa charge les dépenses nécessaires. Mais les Capucins ayant été propriétaires de la source presque au début de leur installation maintinrent leurs exigences pour les quantités d'eau indispensables aux besoins de leur habitat et l'arrosage de leur jardin. De son côté, la ville allait éprouver de grandes difficultés financières. D'après la première convention passée avec les Révérends Pères, il était précisé qu'elle devait pourvoir à leur habillement, ce qui lui coûta 500 livres, dès leur installation, mais les années passant, il lui fallait bien envisager d'importantes dépenses pour l'extension de son réseau d'eau potable. De tout cela s'ensuivit un conflit entre municipalité et les Capucins ; des discordes qui durèrent longtemps, jusqu'aux approches de la Révolution de 1789 et sous le gouvernement de la Convention qui ne fut pas tendre avec les religieux. Le couvent des Révérends Pères Capucins de Saint-François disparut dans cette période en tant que structure religieuse et fut acheté par une association de défense de la chrétienté désireuse de conserver la vénérable maison fondée par Michel Tortel, Capitaine des vaisseaux du Roi. Rappelons au passage que ce personnage d'origine seynoise avait contracté la peste à Constantinople, s'en était guéri par miracle et en reconnaissance à Dieu avait fait un don de 3.000 piastres à la ville de La Seyne pour y édifier le couvent des R.P. Capucins. Les nouveaux propriétaires remirent le Couvent, son église et ses dépendances à l'autorité religieuse, après la tourmente révolutionnaire. Dans la période des guerres napoléoniennes, un hôpital militaire y fut installé, qui dura jusqu'en 1814 ; puis l'établissement revint au diocèse d'Aix-en-Provence, puis un séminaire y fut installé, ce qui explique l'appellation nouvelle de la place des Capucins qui devint place du Séminaire.
Notons au passage que le Séminaire fut animé par le Supérieur Laforest Jean Joseph, nommé curé le 6 octobre 1813 et qui décéda le 31 juillet 1834.
Laissons là l'historique du couvent que nous pourrions poursuivre jusqu'en 1849, date de l'établissement des Maristes qui vint remplacer le Séminaire en ruines. Mais le problème de l'eau devait ressurgir d'une façon assez inattendue.
En 1807, l'administration du diocèse en voulant rétablir le Séminaire, demanda et obtint de la ville une concession d'eau en sa faveur. Elle était dans l'ignorance des droits que détenaient les propriétaires de l'ancien couvent sur la source de la Donicarde. Mais les conseils municipaux qui se succédèrent, n'étant pas en possession du premier contrat qui affirmait la copropriété de la source, émirent la prétention d'avoir un droit complet sur les eaux du Séminaire. On devine les complications qui ont pu suivre. Ce n'est qu'une petite histoire qui prouve que les questions administratives ne sont pas toujours simples à démêler. Le propriétaire de la Source baptisée Saint-François qui avait fait don de cette richesse aux R.P. Capucins ne se serait jamais douté que sa générosité entraînerait des conflits, des oppositions d'intérêt, des querelles à caractère administratif et cela pendant plus de deux siècles.
Des ressources en eau limitées mais suffisantes
Quand la communauté seynoise se constitua au milieu du XVIIe siècle, sa population ne dépassait guère le millier d'habitants. Vers la fin du siècle suivant, elle atteignait 5.000 âmes environ, ce qui signifie que la croissance ne se faisait qu'avec une extrême lenteur. Aussi les besoins en eau potable ne posaient pas de graves problèmes quantitatifs pour la population : les nombreux puits, les quelques sources énumérées précédemment dont le débit était modeste mais régulier, suffisaient à la consommation des ménages dont les conditions de vie rudimentaires étaient fort éloignées de la vie actuelle avec les exigences d'une hygiène généralement recherchée. On ignorait autrefois les salles de bain, les douches, les piscines, le lavage des véhicules, la propreté des rues. En principe, on lavait les carreaux de la maison chaque jour avec une serpillière de chanvre ou de grosse toile rincée dans un ou deux seaux d'eau.
Nos grands-mères appelaient cette opération passer la pièce. On lavait le linge devant sa porte ou dans un jardin au moyen d'une baille ou d'un bassinet alimentés par l'eau d'une fontaine ou d'un puits tout proche.
Les ménagères les plus courageuses et les lavandières professionnelles s'en allaient à l'extérieur jusqu'aux confins de la forêt de Jans où l'eau courante des lavoirs publics donnait au linge une blancheur éclatante. Les plus fréquentés furent ceux des Moulières dont nous avons conté la longue histoire dans le Tome I des Images de la vie seynoise d'antan. Construits au ras du sol, les dalles de grès où l'on savonnait et brossait le linge, ne dépassaient guère trente centimètres au-dessus du courant d'eau. Aussi les travailleuses agenouillées, le corps protégé des éclaboussures par une demi-caisse en bois blanc, avaient bien du mérite, à se tenir ainsi sur leurs rotules pendant des heures. Elles y venaient en toutes saisons même durant les hivers rudes, affrontant avec bonne humeur les fatigues du trajet, les gerçures de leurs mains, les engelures de leurs pieds. Et malgré les inconvénients, elles éprouvaient du plaisir à papoter autour de ces lavoirs, véritable agence d'information sur les événements les plus inattendus des communautés seynoise et six-fournaise. Il faut vous dire qu'au XVe siècle, quand l'eau des sources des Moulières fut exploitée, la commune de La Seyne n'existait pas encore et les lavoirs étaient la propriété des Six-Fournais. Quand La Seyne naquit au milieu du XVIIe siècle, la ligne de partage des terres longeant le chemin de Cachou, il arriva que les lavoirs se trouvèrent en territoire seynois ainsi que les moulins à huile et à blé dont nous avons déjà parlé. Cette situation risquait de provoquer des incidents entre les deux communautés. Des accords, des actes notariés autorisèrent tout de même les Six-Fournais à utiliser les moulins et les lavoirs comme par le passé. Incommodées par le tapage de quelques bugadières particulièrement exaltées, certaines ménagères n'hésitaient pas à laver leur linge à deux petits lavoirs plus éloignés d'un kilomètre des Moulières. L'un s'appelait la Belle Pierre en forêt de Janas, qui pouvait accueillir seulement quatre ou cinq lavandières ravies de l'abondance et de la qualité de l'eau pure et de la commodité qu'offrait une surface de roches schisteuses bleues, lisses sur une belle surface, permettant ainsi à la brosse et au battoir de jouer efficacement leur rôle. Ce lavoir naturel dissimulé au milieu d'une végétation abondante de cistes, de romarins, de genêts épineux pouvait être repéré de loin par la présence imposante de quelques frênes et peupliers qui avaient su trouver l'humidité salvatrice. Les marins en service au fort du Peyras le connaissaient bien ce petit lavoir de la Belle Pierre ; certes leur lessive était bien modeste, mais ils préféraient l'eau courante à celle des citernes du fort... sans parler de la fraîcheur qui leur permettait de déguster le Pernod de la contrebande. En quittant le vallon de Janas où l'eau coulait toute l'année durant, si l'on s'engageait sur le chemin de Notre-Dame de Bonne Garde par le raidillon de Bagne Camise, on atteignait bientôt l'aire de mascs (sorciers), puis à main droite naissait le vallon de Roumagnan où l'on découvrait un nouveau point d'eau signalé par la présence de frênes et de platanes, une source nommée Le Rayolet. Le débit était suffisant pour alimenter un bassin couvert, assez vaste pour servir de refuge aux promeneurs en cas d'intempérie subite. Dans un coin de l'édifice, un foyer avait été aménagé où l'on pouvait réchauffer des plats ou faire du café grâce au bois mort de la forêt. Tout à côté du lavoir, un modeste terrain de culture pour légumes et fruits, au centre duquel s'élevait une maisonnette, habitée dans une certaine période par un nommé Balestra, employé communal. L'entretien de ce lavoir était à la charge de la commune de Six-Fours, mais il n'était pas interdit aux familles seynoises d'en user. Peu de lavandières le fréquentaient ce lavoir, mais des mamans soucieuses de procurer à leurs enfants les joies d'une détente au grand air, n'hésitaient pas le jeudi à emporter du linge sale et un casse-croûte, à effectuer ainsi une partie de leur lavage hebdomadaire pendant que les enfants récoltaient à la ronde salade sauvage, escargots, asperges, champignons suivant les possibilités que la saison leur offrait. Ces petits lavoirs du Rayolet et de la Belle Pierre ont disparu depuis longtemps, mais les anciens en ont gardé des souvenirs particulièrement attachants qu'ils racontent toujours avec la même ferveur.
Parmi les lavoirs les plus anciens n'oublions pas de citer celui dit du Crotton, nom du quartier qui s'étend entre les Sablettes et Tamaris. Il se situait à moins de cent mètres de l'École maternelle Léo Lagrange. De forme rectangulaire, ce lavoir creusé à faible profondeur, dallé et cimenté n'était pas couvert. Il recevait les jours de beau temps, les lavandières de Saint-Elme, des Sablettes et même de La Seyne, des ménagères qui appréciaient son eau courante et pure qui donnait comme celle des Moulières un linge d'une blancheur impeccable. Comme les lavandières des Moulières, elles usaient avec fracas de la brosse à chiendent et du battoir. Leurs langues allaient bon train et il leur fallait parfois hausser le ton pour rembarrer les militaires de Balaguier ou les douaniers des Sablettes venus les lutiner à leur passage. Ce lavoir du Crotton joua son rôle pendant plus de deux siècles. Les archives locales nous apprennent qu'il fut construit par Antoine Deprat, maître maçon en 1702. Il ne fut pas entretenu régulièrement et au début de notre siècle son état de délabrement fut tel qu'on. l'abandonna tout à fait. Les édiles de l'époque, nous y reviendrons plus loin, lui substituèrent deux autres lavoirs couverts où le lavage pouvait se faire debout : l'un se situait aux Sablettes presque au début de la Corniche Pompidou, l'autre à Saint-Elme sur l'emplacement actuel du jeu de boules côté Petite mer. Si les bulldozers de la modernité ont fait disparaître les marécages du Crotton et le modeste lavoir qui donna tant de joie aux enfants de la ville dont j'étais, il en reste néanmoins des souvenirs merveilleux, étincelants que nous, les anciens, aimons à égrener au cours de nos rencontres quotidiennes sur notre beau marché provençal.
La forêt de Janas avec ses lavoirs avait ses charmes, mais le Crotton n'était pas en reste : laissons parler les anciens : " Souviens-toi, Louis ! ".
- « Quand nous quittions le Pont de Fabre pour nous engager vers Tamaris, laissant à notre droite le vieux chemin des Sablettes, la campagne était belle avec ses vignobles, ses fruitiers, ses cabanons. Nous longions la longue chênaie qui nous amenait au domaine de Saint-Louis ». Étienne se rappelait : « Nous aidions nos mères et nos grand-mères à pousser des voitures d'enfants désaffectées, des brouettes, quelquefois un charreton contenant le linge sale de toute la famille, du linge d'étoffes lourdes et encore plus pesant au retour si le vent n'avait pas permis le séchage. On empruntait le chemin de la Pièce de Toile qui nous menait de Saint-Louis au Crotton. On n'en voyait plus la fin », reprenait Marius.
- « Au fait, tu le sais toi, pourquoi ce chemin s'appelait Pièce de Toile ? ».
- « Oui, je le sais ! On le nommait ainsi, me disait mon père, en raison de son tracé rectiligne et de sa couleur de poussière blanche qui évoquaient une pièce d'étoffe qu'on aurait déroulée ».
Alors Etienne exprimant son désaccord se rappelait les explications de son maître d'école : M. Aillaud.
- « Ce n'est pas ça du tout ! ».
- « Mon maître m'a appris que cette expression se rapporte à la chasse. La Pièce de toile était un long filet que l'on tendait au ras du sol pour attraper du gibier. Au passage des cailles ou autres oiseaux migrateurs, les chasseurs mais surtout les braconniers les capturaient vivants et en très grand nombre. Les souvenirs de mon enfance me ramènent souvent dans ce quartier du Crotton particulièrement giboyeux et quasiment inhabité au début du siècle. Rien d'étonnant à cette arrivée massive de volatiles à la recherche d'une terre d'accueil comme le domaine de Saint-Louis et ses environs surtout après une traversée parfois tumultueuse de la Méditerranée. Quand on arrivait au bout de ce chemin raboteux de la Pièce de toile, on découvrait le Château Verlaque et à quelques mètres plus au sud, le lavoir du Crotton où fut jadis blanchi le linge de George Sand quand elle vint à La Seyne se reposer en 1865. Les trois kilomètres parcourus depuis la ville n'avaient pas émoussé la volonté des enfants d'aider les mamans à nettoyer le lavoir, le débarrasser de la vase et des feuilles mortes accumulées au fond. Puis leur récréation commençait. Pensez-donc ! La baie du Lazaret était à cent mètres à peine ». Laissons parler Joseph, passionné pour toutes les richesses qu'offraient alors aux seynois les rivages de Tamaris.
- « Mon cœur se mettait à carillonner à la pensée des captures multiples auxquelles j'allais me livrer. Le long du chenal emprunté par les ferry-boats des lignes de transport établies par Michel Pacha, je barbotais dans les algues, dans les vaïres (clairières sous-marines), je remplissais de vieux seaux rouillés avec les comestibles de la mer qu'on trouvait alors à profusion : bigorneaux, oursins, favouilles, clovisses, praires... ».
Aux enfants venus de la ville se mêlaient parfois ceux venus de Tamaris, de Saint-Elme, des Sablettes : Les Zurletti, les Tosello, les Vuolo, les Gaillard, les Pisany. Alors les rires éclatants, les exclamations percutantes se répandaient très loin à la ronde. Certains avaient le souci d'enrichir le musée de leur école.
- « Voilà un hippocampe ! disait Mathilde Zurletti, je le porterai à la maîtresse. Ça lui fera sûrement plaisir ! ». Après l'ivresse des joies incomparables de la mer, après s'être repus des excellents casse-croûte préparés par les mamans, on jouait sur l'herbe verte tout près du Château Verlaque. Puis on reprenait le chemin de la ville en fin d'après midi, après avoir rangé dans les brouettes ou les carrioles le linge séché sur la prairie. Quelles journées inoubliables ! On allait à pied en tirant, en poussant, en haletant des véhicules de fortune, par des chemins tortueux. Les charges imposaient parfois des efforts redoublés mais avec une vaillante obstination, les équipages rentraient à la ville par le même chemin pris le matin. Exténués mais tout de même heureux.
Laissons maintenant ces lavoirs primitifs dont l'eau pure pendant des siècles permit à nos ancêtres de connaître un minimum d'hygiène. Nous avons montré que l'utilisation des puits, des sources naturelles captées, la création d'un réseau de fontaines dans la partie agglomérée de La Seyne, avait permis la satisfaction des besoins courants de la population en eau potable. Faisons toutefois une remarque pour ce qui concerne la basse ville construite comme on le sait sur des comblements effectués depuis le haut du marché jusqu'à la mer. Nos anciens y creusèrent des puits, mais l'eau qu'ils en tiraient était saumâtre, donc impropre à la consommation. Il en est encore ainsi aujourd'hui. Vers la fin du XIXe siècle, avec le développement de l'industrialisation, la population de La Seyne atteignit près de 20 000 âmes et il était bien évident que les besoins s'étaient accru dans tous les domaines et particulièrement ceux relatifs à l'hydrographie. Comme nous le verrons, dans le même temps que les besoins de la population augmentaient, la presqu'île de Sicié voyait peu à peu ses nappes phréatiques s'appauvrir par des phénomènes de la nature que l'homme pouvait difficilement maîtriser. Nous avons jusqu'ici posé les problèmes de la consommation urbaine des eaux. Mais il faillait bien penser aux campagnes où l'eau potable se trouvait en abondance grâce aux puits que les cultivateurs creusaient eux-mêmes. Nous voilà conduits à poser les problèmes de l'arrosage des légumes, surtout sous un climat comme le nôtre où les périodes de sécheresse durent parfois plusieurs mois et portent de rudes atteintes aux richesses hydrauliques de notre terroir.
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Les besoins de la campagne : les norias
Que signifie ce vocable qui n'est plus guère en usage dans nos campagnes, sinon pour désigner une vieille machine d'irrigation abandonnée dont il reste un pivot et des engrenages rouillés fixés au-dessus d'un grand puits, hors d'usage depuis longtemps. Il s'agit d'appareils très anciens en usage chez les Portugais, les Espagnols et les Arabes, conçus sous la forme dune chaîne sans fin où s'accrochaient des godets généralement en zinc qui plongeaient renversés au fond d'un puits et remontaient pleins pour se déverser dans une canalisation d'arrosage. Qui actionnait cette chaîne et ses godets ? Un homme seul n'aurait pas tenu longtemps à cette besogne.
Alors, on utilisait un cheval ou même un âne attelé à un bras de levier très long dont le mouvement circulaire autour du puits entraînait un système d'engrenages aux grosses roues dentées qui le transformait en mouvement vertical permettant ainsi la montée des godets.
Mais encore fallait-il disposer d'un animal docile capable de tourner pendant des heures, les yeux masqués par des oeillères, marquant peu d'arrêts pour reprendre son souffle !
À la vérité il s'en trouvait peu réunissant toutes ces conditions. Mon grand père Aubert, propriétaire d'un lopin de terre à Mar Vivo, irriguait son potager avec une noria actionnée par une ânesse appelée Madoun. Je ne saurais dire qui l'avait ainsi baptisée ! Quand il lui fallait tourner à la noria, elle manquait plutôt d'enthousiasme. Par ses arrêts fréquents, le courant d'arrosage irrégulier parvenait difficilement à l'extrémité des plates-bandes. Aussi mon pépé Aubert, si paisible par nature, manifestait-il son impatience et appelait de loin son épouse pour remettre en route la bourrique.
Tous les jeudis, jours sans écoles à cette époque, j'étais particulièrement vigilant près de la noria pour aiguillonner Madoun qui manquait souvent à ses devoirs. Ce système d'irrigation par les norias dura longtemps. À la Seyne, comme ailleurs, tous les cultivateurs en faisaient usage et cela dura jusqu'au début de notre siècle qui vit l'apparition des pompes mues par le moteur à explosion.
Les vestiges de ces norias sont encore visibles chez les Audibert, les Lubonis, les Raybaud, les Hugues, c'est-à-dire chez les descendants des rares familles paysannes qui subsistent dans le terroir seynois.
Nous reviendrons plus loin sur les problèmes d'arrosage qui devinrent dramatiques dans les années d'après la première guerre mondiale. Voyons tout d'abord à partir de quelle époque nos ancêtres furent confrontés aux difficultés de la consommation d'eau à usage domestique (alimentation, lavage du. linge, propreté, hygiène,...) Nous disions tantôt que les quantités d'eau que la nature offrit à nos anciens suffisaient à leurs besoins et cela pour des raisons faciles à saisir : ils étaient peu nombreux (5.000 habitants au début du XIXe siècle) et leur mode de vie bien plus simple que de nos jours n'exigeait pas des consommations d'eau excessives. Aucune installation sanitaire n'existait dans les habitations ; les gens ne faisaient que des toilettes sommaires et n'avaient pas de véhicules à laver. La grande industrie, inexistante au XVIIe siècle, ne prit naissance qu'au milieu du XIXe, ce qui signifie que pendant des siècles l'eau des puits et des sources dont nous parlions au début de ce récit suffisait aux besoins des habitants. Bien évidemment l'accroissement de la population, les mutations intervenues dans les progrès de la modernité, la naissance et le développement de la grande industrie et aussi sans nul doute une dégradation du milieu naturel, toutes ces causes posèrent à l'édilité seynoise des problèmes dont la solution ne fut pas toujours facile à trouver. Notre relation sur Janas (voir Tome I) a fait état des agressions humaines dont la forêt fut victime à travers les âges. Jean Denans dans son manuscrit (histoire de La Seyne de 1713) parle de la beauté et de la puissante végétation de la presqu'île de Sicié. Hélas ! Au fil des années et des siècles, la forêt a perdu sa splendeur du Moyen Age. Volontairement ou non, les hommes lui ont porté de mauvais coups par une exploitation maladroite de ses richesses. Les coupes de bois excessives, le gemmage, l'ont affaiblie considérablement. Les incendies, la maladie de certaines espèces et la pâture ont fait le reste, en sorte que la garrigue, formation végétale secondaire avec ses chênes verts, ses genêts épineux, ses cistes, ses herbes odoriférantes, a remplacé la vraie forêt sur des étendues de plusieurs centaines d'hectares, phénomène dont les conséquences néfastes sur le climat ont été certaines pour l'ensemble de la presqu'île de Sicié. La forêt ne retenant plus l'eau comme autrefois, le ravinement entraînait bien vite les eaux de pluie vers la mer ; il s'ensuivit de sérieuses perturbations sur le régime des sources et des nappes phréatiques de toute la presqu'île. Et voilà qui explique la disparition des moulins des Moulières et le tarissement des sources qui alimentaient les célèbres lavoirs dont il a été longuement question dans le Tome I de notre ouvrage. Le projet du Maire Saturnin Fabre d'amener l'eau pure des Moulières vers la ville, s'estompa et les grands dangers de la sécheresse se manifestèrent vers la fin du XIXe siècle. Entre 1823 et 1900 la population passe de 5.600 habitants à 20.000, en comptant le hameau de Saint-Mandrier rattaché alors à la commune de La Seyne. Cet accroissement du nombre d'habitations posa forcément des problèmes de consommation d'eau potable, mais nos édiles trouvèrent les moyens de satisfaire en grande partie, les besoins.
Disons quelques mots sur Saint-Mandrier qui vit seulement en 1856 les premiers travaux d'adduction d'eau. Comme à La Seyne, ses habitants exploitèrent au mieux l'eau des puits et des sources. Il faudra plus d'un siècle aux administrateurs pour trouver des solutions satisfaisantes au problème crucial de la consommation d'eau potable. Indiquons au passage que Louis Esposito, auteur d'un ouvrage sur la presqu'île de Saint-Mandrier, a exposé le problème de l'eau avec beaucoup de précisions à la page 116 de son livre intitulé : À la découverte de la presqu'île.
Les édites seynois, tant bien que mal, firent face aux difficultés. Aux fontaines du XVIIe siècle, il fallut bien en ajouter d'autres au fur et à mesure du peuplement des quartiers périphériques.
En 1866, Bernard Lacroix succéda à Esprit Martel à la tête des affaires municipales. Cet ancien capitaine au long cours veilla tout particulièrement à l'amélioration du réseau d'eau et multiplia le nombre des fontaines. Il fit installer une pompe à vapeur qui capta l'eau de la source de Saint-Jean à quelques mètres de l'hôpital, ce qui eut l'heureux effet d'augmenter la consommation d'eau dans les ménages. La pompe de Saint-Jean fut la cause de quelques polémiques en raison du bruit excessif que produisait la machine à vapeur, aux dires des adversaires de la Municipalité d'alors. Plus tard, cette machine fut remplacée par un moteur électrique de grande puissance. La station hydraulique de Saint-Jean a fonctionné pendant près d'un siècle et a permis de compléter l'approvisionnement du premier réservoir de la ville situé au quartier Tortel. Cet ouvrage édifié en 1882 et d'une capacité de 200 m3 fut alimenté dès son origine par une canalisation en provenance de Toulon, propriété de la Compagnie Générale des Eaux. Dans les années qui suivirent, il fallut demander à cette même compagnie 10 fontaines supplémentaires et penser à la construction des lavoirs à proximité de la ville.
L'histoire des lavoirs publics pourrait faire l'objet d'une étude spéciale qui s'inscrirait dans la bataille générale pour l'eau pure. Ces structures disparues ont rendu des services considérables à la population. Elles ont fait le souci permanent des municipalités qui avaient la charge de leur entretien. Dans le Tome I de notre ouvrage, un long développement a été consacré à ceux des Moulières dont l'existence remontait au XVe siècle. Les premiers lavoirs furent établis aux sources d'eau vive dans certains quartiers privilégiés, mais avec le peuplement des quartiers extérieurs, il fallut amener l'eau de la ville, comme aux Sablettes ou à Saint-Elme, et il fallut pour ce faire des crédits importants. En 1894, la municipalité présidée par Saturnin Fabre mit au point un projet de lavoir au quartier des Mouissèques, qui ne put se réaliser dans les délais espérés, les joutes électorales ayant interdit au Maire sortant de poursuivre son œuvre. Son successeur ne fit rien de positif pour apporter les solutions attendues du public. Du lavoir des Mouissèques il en fut encore question mais seulement le 7 mars 1901, à la séance du Conseil municipal présidé alors par le Maire Julien Belfort, retraité de l'armée. Malgré les protestations de la population ouvrière des Mouissèques, un autre projet de lavoir fut retenu et réalisé en 1900 sur un terrain appartenant à Madame Requin au quartier Peyron riche en sources d'eau pure. Il s'agissait du lavoir Saint-Roch disparu depuis peu et qui rendit des services considérables à la population urbaine car son débit continu permettait un lavage correct du linge. Il fut fréquenté pendant près d'un siècle par des lavandières certes courageuses mais tout de même moins vaillantes que les bugadières des Moulières travaillant sur leurs rotules.
En 1901 la municipalité décida encore d'augmenter le nombre des fontaines, toutefois sans engagement de dépenses nouvelles, en réduisant leur débit pendant la nuit. On fit par la suite usage de bornes-fontaines dont l'écoulement n'était plus continu et commandé par des boutons pression en cuivre ou des manivelles horizontales de manière à économiser ce précieux liquide qu'est l'eau potable car la pénurie se faisait cruellement sentir au début du siècle. La même année on procéda à la couverture du lavoir Saint-Roch, réalisation qui fut bien appréciée des ménagères qui purent dès lors faire leur lavage même les jours de pluie.
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Dans les années qui suivirent, l'ère des lavoirs publics allait se poursuivre avec l'édification de ceux des Mouissèques, de Saint-Elme, des Sablettes, de Saint-Mandrier. Ceux des Moulières furent les premiers à bénéficier d'une toiture ; par contre le plan de lavage resta toujours au niveau du sol ou presque. Ces structures rendirent des services appréciables à la population et disparurent progressivement avec la vulgarisation des laveries collectives et des machines à laver. Il est bon d'ajouter que l'eau des lavoirs était généralement propre à la consommation, exception faite pour certains endroits précis, comme le quartier de la gare ou l'eau d'une nappe phréatique était saumâtre. Les gens venaient souvent remplir cruches et arrosoirs au débit des lavoirs car l'usage des éviers, des robinets dans les maisons individuelles ne se réalisa qu'avec une extrême lenteur. Nous reviendrons sur cet aspect capital de la bataille pour l'eau potable.
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Depuis l'extension prise par la construction navale à La Seyne et l'accroissement sensible de sa population les problèmes de la consommation en eau potable devenaient inquiétants au fil des années. La dégradation du système hydrographique dont nous avons déjà expliqué les causes, jointe à la politique routinière des municipalités et des polémiques stériles, tout cela ne pouvait guère contribuer à des solutions efficaces des problèmes de l'eau potable.
Entre 1900 et 1919 les luttes politiques prirent une telle ampleur que six maires se succédèrent dont la plupart ne finirent pas leur mandat.
En 1900, le Maire François Bemard qui avait battu Satumin Fabre en mobilisant la population sur le grave problème de l'assainissement auquel d'ailleurs il n'avait rien compris, fut à son tour chassé par Julien Belfort lequel ne tint son poste de Maire que pendant quatre ans seulement. Remplacé par Henri Pétin, industriel, rien de sérieux ne fut entrepris pour la solution des problèmes en suspens. Au bout de quatre ans d'exercice et malgré son accession à la députation varoise, Henri Pétin laissa la place à Jean Armand, pharmacien qui accomplit ses fonctions de Maire pendant deux ans seulement, c'est-à-dire de 1910 à 1912. Puis ce fut le tour de Jean Juès, commerçant, qui sera Maire lui aussi pour deux années. Nous n'allons pas vous raconter ici les luttes politiques néfastes pour le sort de La Seyne et des Seynois, ce qui au demeurant serait fort intéressant mais sortirait du cadre de notre sujet, luttes qui expliquent en grande partie les difficultés à résoudre des problèmes aussi importants que ceux de l'assainissement et de l'eau qui sont d'ailleurs complémentaires.
Pendant plusieurs années, nos édites ne surent pas faire autre chose que de réduire les débits. Le fontainier chaque soir fermait les vannes avec sa grande clé tubulaire et les rouvrait le lendemain ce qui l'obligeait à des déplacements incessants. Dans les périodes de grande sécheresse, les gens de ma génération se souviennent des queues interminables qu'il fallait faire aux fontaines, celle du cours Louis Blanc, de Bourradet de la rue Baptistin Paul ou de l'avenue Gambetta. Il n'était plus possible d'utiliser toutes les fontaines et les rares qui demeuraient en service n'offraient qu'un filet d'eau incapable de remplir une cruche en moins de cinq minutes. Aussi la patience des usagers était mise à rude épreuve. Que de fois à ma sortie de l'école à 11 heures, il m'arriva de remplacer ma mère dans la file d'attente pour lui permettre de préparer le déjeuner. Que de fois, je fus témoin de disputes retentissantes quand un resquilleur tentait de gagner une place ou alors si un donneur de leçon accablait des adversaires politiques rendus responsables de la pénurie d'eau potable :
- Ah si nous avions un Saturnin Fabre à la tête de la mairie, nous n'en serions pas là à attendre quelques gouttes d'eau disait le père Hermite.
- Parlons-en de celui-la disait Clément. Vous vous rappelez pas qu'il voulait faire passer le caca des toulonnais sur notre sol. Non ! mais des fois, il était fou ce type !
- Oui, mais en attendant nous avons toujours les toupines et le problème de l'eau, il est pas réglé.
- Il avait des idées Saturnin Fabre et de bonnes idées. C'est lui qui avait pensé à installer une pompe à balancier au puits de Janas, à l'entrée de la forêt, la où les Romains avaient créé un premier sanctuaire. Ils sont bien contents les pèlerins de pouvoir faire provision d'eau fraîche avant de monter à la bonne mère.
- Oui ! mais Monsieur Bonnegrâce, le garde de la forêt, il a dit qu'il fallait souvent la réparer cette pompe et puis c'est pas ça qui donnerait l'eau à toute La Seyne.
- Saturnin Fabre il a dit que de l'eau il en ferait venir d'ailleurs. Il a pensé au Ragas, il discutait aussi avec Toulon pour acheter de l'eau. Il en avait des solutions ; hélas ! les électeurs seynois ont été assez bêtes de se débarrasser de lui. Il n'a pas pu réaliser l'assainissement à La Seyne, mais il a fait celui de la ville d'Athènes ! Les Grecs avaient compris ses capacités d'ingénieur et les Seynois, non ! Les discussions de ce genre se poursuivaient chaque jour.
- Et puis reprenait un autre : Ils sont tous les mêmes ces candidats. Monsieur Clemenceau avait promis les eaux de Fontaine L'Évêque pour se faire élire sénateur.
- Nous attendrons encore longtemps. (Il prophétisait vrai ce dernier intervenant, car il fallut attendre 80 ans).
- Je vous le dis qu'ils sont tous les mêmes disait André Garro ! et il avait des arguments à l'appui.
- Je vous apporterai les professions de foi des candidats aux municipales de 1904, qu'il s'agisse de celles de la droite ou de la gauche, vous n'y trouverez aucune phrase, aucune proposition sur les problèmes de l'eau. Et Garro disait la vérité, ces documents sont toujours lisibles aujourd'hui.
Vers 1908, les bruits de guerre s'intensifièrent ; aussi les réalisations municipales passèrent au second plan. Les crédits budgétaires consacrés à l'entretien et à l'extension éventuelle du réseau demeurèrent les mêmes pendant plusieurs années. Le Maire élu en 1912, M. Baptistin Paul, ingénieur retraité de la Marine, ne disposait pas de moyens exceptionnels pour se lancer dans des projets de grande envergure et les problèmes de l'eau n'avancèrent nullement. Un autre grave problème préoccupait M. Baptistin Paul : celui du chômage. Après la guerre de 1914-1918, il fallait relancer avec force la construction navale. En 1919, au cours d'un déplacement à Paris, le Maire, qui devait rencontrer le Ministre de la Marine, décéda subitement et il allait incomber au Docteur Mazen de prendre en main les destinées de la ville. On peut dire qu'à partir de 1920 la bataille pour l'eau pure prit une ampleur dramatique et pour se faire une opinion sur la question, il est à la fois amusant et décevant de relire les textes, les écrits de cette époque : articles de presse, délibérations municipales, compte-rendu de mandat, tracts de propagande électorale...
Pour illustrer notre propos, remontons quelque peu le cours de notre histoire locale.
Dans les années 1920 et nos souvenirs d'enfance sont très précis sur ce sujet, la plupart des immeubles de la ville n'étaient pas desservis en eau potable, d'abord parce que le système de distribution de la ville ne le permettait pas, et puis les gens reculaient souvent devant le prix des travaux de maçonnerie et de plomberie, alors que l'eau coulait aux fontaines et qu'elle était gratuite. Mais toutes les rues n'étaient pas équipées de fontaines et nos mamans que nous aidions du mieux possible perdaient beaucoup de temps en trajets épuisants, une cruche lourde à chaque main, pour amener l'eau (Ô combien précieuse !) nécessaire à la cuisine, à la toilette, au lavage des parquets... soit une moyenne de 30 litres d'eau par personne et par jour, quantité évidemment très inférieure aux besoins de la modernité en cette fin du XXe siècle. Pour mieux illustrer les conditions d'inconfort que les Seynois, dans leur immense majorité connurent jusqu'au milieu du XXe siècle, le lecteur me pardonnera de faire référence à un cas personnel. Entre 1921 et 1925, mes parents demeurèrent sur le cours Louis Blanc au 3e étage d'un immeuble situé face à M. Gil commerçant en fruits et légumes. Le seul réservoir d'eau du quartier Tortel n'ayant pas une altitude suffisante, la pression de l'eau trop faible interdisait l'usage d'un évier à eau courante. Il existait bien un évier dans notre petite cuisine avec un robinet alimenté par une caisse à eau placée dans les combles et que l'on pouvait remplir au moyen d'une pompe à balancier énorme qui rendait des bruits de ferraille à chaque mouvement. On se serait très bien accoutumé à ce désagrément si l'eau en provenance du sous-sol de l'immeuble avait été limpide et potable. Hélas ! il n'était pas rare d'y trouver des vers vivants ou morts et ce spectacle affligeant décourageait ma mère de s'en servir même pour passer la pièce (nettoyer les parquets). Nous avons eu l'occasion d'expliquer pourquoi la majeure partie de l'agglomération seynoise la plus ancienne ne pouvait tirer de l'eau potable de son sous-sol, ayant été bâtie sur des comblements de la mer d'où les résurgences d'eau salée existent encore de nos jours. Donc, il existait bien un évier dans cette petite cuisine du cours Louis Blanc avec sa cuvette en terre cuite ; le tian comme disaient nos grands-mères ; ainsi que deux cruches blanches contenant chacune 5 litres d'eau, potable celle-là, parce qu'elle provenait de la fontaine de la rue d'Alsace tout à côté de l'Asile, l'école maternelle d'antan. Que de fois dans la journée fallait-il descendre et remonter les étages pour s'approvisionner en eau pure et que pouvait-on faire avec dix litres d'eau ?
Et quand l'eau manquait pour la toilette, nos mamans nous disaient : « Aujourd'hui tu te laveras comme les chats ! », ce qui voulait dire : passer un coin de serviette humide sur son visage. Si on exige aujourd'hui que les enfants lavent leurs mains avant de passer à table, ce n'était pas le cas autrefois. Il n'était pas rare de voir des adultes faire leur toilette à la fontaine, même à la mauvaise saison, cela pour éviter de transporter de l'eau dans les appartements. La toilette des femmes était plutôt discrète. Les installations sanitaires et hygiéniques étaient un luxe que l'immense majorité de nos anciens ne pouvaient s'offrir. On était bien loin des salles de bain, des douches, des bidets alimentés en eau courante chaude et froide. Les nantis moyens possédaient des tables de toilette avec psyché et deux récipients : cuvette et broc le tout d'une contenance de quelques litres. Bien évidemment les toilettes ne pouvaient être que sommaires même si on utilisait du savon de temps en temps. Il n'était pas possible de laver du linge à la maison, sauf pour ceux disposant d'un jardinet avec bassin et puits attenant. Aussi les lavoirs publics étaient-ils très fréquentés. S'approvisionner en eau était donc une véritable corvée. Que dire alors de celle des toupines, nécessité impérieuse pour l'évacuation des excréments quotidiens et des poubelles. Dès potron-minet, il fallait déposer sur les trottoirs de la rue d'Alsace toutes les ordures et immédiatement après le passage du préposé municipal, nettoyer les récipients nauséabonds à la fontaine où l'on voyait là aussi des ménagères faire la queue. L'eau de rinçage des récipients s'écoulait lentement dans les ruisseaux, le long des trottoirs et répandait la pestilence dans la basse ville. Les mêmes désagréments se retrouvaient dans toutes les rues équipées de fontaines. Il n'était pas rare de voir des ménagères remonter les étages, la toupine rincée dans la main gauche et la cruche d'eau potable dans la main droite. Curieuse cohabitation n'est-ce pas ?
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Nous n'insisterons pas davantage sur les conditions de vie malsaine des Seynois qui durèrent jusqu'au milieu de notre siècle en raison du manque d'eau potable. Avec de l'eau en quantité suffisante, ce serait la réalisation de l'assainissement attendu depuis 50 ans, ce serait la régression de la maladie, la prévention contre les épidémies, des conditions d'hygiène meilleures pour tous, un accroissement des produits agricoles, le développement industriel de la commune, des avantages certains pour le tourisme. La municipalité dirigée par le Docteur Mazen depuis 1919 S'efforça de trouver des solutions à la pénurie d'eau potable. Elle avait héritée de conventions passées avec la ville de Toulon qui pouvait offrir quelques largesses à sa voisine par le truchement de la Compagnie des Eaux et de l'Ozone. La fourniture de 2.500 mètres cubes par jour grâce au barrage du Revest, la remise en service du puits de Saint-Jean dont le débit, disait-on pourrait atteindre 600 mètres cubes quotidiens, l'espérance de prospections nouvelles du côté du quartier Saint-Jean et des Plaines, la population pouvait estimer voir régler la problème dramatique de l'eau potable. Hélas ! Il fallut déchanter ; les prospections du côté de la gare ne donnèrent pas une eau de bonne qualité, celle du quartier des Plaines furent négatives pour la simple raison que depuis l'apparition des moteurs à essence et des pompes aspirantes et foulantes tous les cultivateurs de cette zone sud de notre terroir avaient quasiment épuisé les nappes phréatiques. Les puisatiers, dont le fameux Remusan, avaient approfondi les puits, creusé des galeries adjacentes pour trouver de nouvelles sources et malgré tous leurs efforts, dans les années de sécheresse, il n'était guère possible d'arroser les jardins qu'une demi-heure par jour, ce qui eut bien évidemment des conséquences désastreuses sur la production locale des légumes. Le puits de Saint-Jean ne donna pas le débit escompté. Les années passèrent et de 1919 à 1929 rien de sérieux ne fut réalisé pour l'amélioration du réseau d'eau potable. Il nous souvient des campagnes électorales pour les Municipales où les adversaires de la municipalité venaient à la Bourse du Travail, chahuter le Maire Mazen et son adjoint Albert Lamarque en scandant bruyamment : de l'eau ! de l'eau ! de l'eau ! Le soir d'un compte-rendu de mandat, un électeur fit remarquer au Maire, respectueusement toutefois :
- « M. le Maire et M. Le Premier Adjoint, vous nous avez parlé de tout : voirie, œuvres sociales, écoles, etc. et, chose curieuse, vous n'avez pas dit un mot sur les problèmes de l'eau ! ». C'était rigoureusement vrai. On aurait dit que les édiles du moment voulaient escamoter le problème qui était pourtant celui que les Seynois avaient à cœur de voir se réaliser le plus vite possible. Albert Lamarque fit cependant une réponse qui laissa un espoir aux électeurs. On apprit ce soir-là que la Municipalité avait obtenu du Conseil de préfecture de Nice la déchéance de la compagnie concessionnaire des eaux qui n'avait rien fait pour augmenter la dotation d'eau à La Seyne à la suite de quoi la ville pourrait s'emparer du réseau et l'exploiter elle-même directement avec le droit d'entreprendre des recherches. Cette nouvelle apaisante apporta quelque espérance à la population seynoise. Hélas ! Elle dut se résigner à voir s'écouler encore trois longues années avant le fameux projet de Carnoules qui a défrayé les chroniques locales et départementales pendant longtemps, plus précisément entre 1935 et 1967. Il s'agissait d'un captage d'une belle eau de source d'un débit abondant, utilisée partiellement par les paysans pour irriguer leurs cultures. L'eau pouvait arriver jusqu'à La Seyne par gravité. Comme nous le verrons plus loin, si la réalisation du projet apporta au début des satisfactions certaines à la population seynoise, il s'en suivit de graves déconvenues par la suite. Mais avant d'en exposer les tenants et les aboutissants il nous faut ouvrir ici une parenthèse pour vous dire ce que devint le projet pendant la guerre sous l'administration du gouvernement de Vichy, imposé à la France par les ennemis de la République en étroite collaboration avec les Allemands.
Sous l'administration de Vichy
On sait qu'après la défaite de 1940 et le complot contre la IIIe République, le gouvernement de Vichy avec le Maréchal Pétain à sa tête chassa, par des arrêtés préfectoraux, les municipalités républicaines. Et celle de La Seyne faisait partie du nombre. Remplacé par le Capitaine Galissard, le docteur Mazen ne s'inquiéta plus guère des Eaux de Carnoules et son successeur, totalement incompétent, n'allait pas apporter des solutions efficaces aux problèmes capitaux qui se posaient à la ville affamée, terrorisée. La population n'osait pas revendiquer, au début du nouveau régime tout au moins. Le Maire à la disposition des Allemands qui raflaient tout, n'avait aucun moyen pour réaliser quoi que ce soit. Le réseau d'eau resta à peu près ce qu'il était avant la guerre jusqu'aux années 1943 et 1944 où les bombardements libérateurs des forteresses américaines lui portèrent de rudes coups. Celui du 29 avril 1944, particulièrement meurtrier causa dans le réseau de distribution des eaux des dégâts considérables. En plusieurs dizaines d'endroits, les canalisations furent hors d'usage : à la rue Isnard, au boulevard Jean Jaurès, au centre ville, à la place de la Lune, à la rue Blanqui. Il fallut plusieurs semaines avant de rétablir la circulation de l'eau et la réparation des fontaines détruites. La ville évacuée en grande partie, les services municipaux paralysés, on ne trouvait pas la main d'œuvre ni le matériel nécessaire pour le rétablissement des conduites d'eau. Après la Libération, les municipalités dirigées par le Docteur Sauvet et Toussaint Merle améliorèrent quelque peu le réseau. La station de pompage de Saint-Jean, totalement détruite, fut reconstruite et mise en service en juin 1945. Les travaux d'adduction de Carnoules, interrompus pendant la guerre, reprirent, mais l'eau n'arriva à La Seyne que beaucoup plus tard. Revenons au point de départ.
Le projet fut adopté par une commission extra-municipale composée de techniciens, de géologues, d'ingénieurs. Après avis favorable du Conseil supérieur d'Hygiène, le décret d'utilité publique du 11 août 1936 autorisa l'exécution des travaux et la dérivation maximum de 100 litres/seconde, soit 8 600 mètres cubes par jour. L'adduction située à main gauche avant d'atteindre Carnoules quand on se dirige vers Nice, comprend 200 mètres de galeries avec chambre de captage, quatre brise charge pour alimenter le réservoir de la Colle d'Artaud. Indiquons au passage que la première pierre de ce réservoir fut posée le 6 décembre 1937 par le ministre de la Marine de l'époque, M. François Blanchot. Cette structure avait été rendue nécessaire car le premier réservoir, le plus ancien, situé au quartier Tortel n'étant qu'à la côte de 44 mètres ne pouvait alimenter en eau les habitations de plusieurs étages ou celles bâties sur des collines environnantes. Le réservoir de la Colle d'Artaud, à une altitude de 89 mètres pouvait donner de la pression partout et sa capacité de 2 800 m3 ajoutée aux 2 400 m3 de l'ancien réservoir les élus du moment espéraient régler pour longtemps les problèmes de l'eau pure à La Seyne.
Les eaux de Carnoules pourraient arriver par gravité de la côte 214 à la côte 89 sans nécessité ou presque de personnel, une simple vanne permettant de régler le débit. Il fallait s'attendre cependant à des difficultés, la canalisation s'étirant sur 42 kilomètres. Hélas ce qui fut tout à fait imprévu : la guerre (encore une !) entraîna l'interruption des travaux pendant plusieurs années et il fallut attendre le 29 janvier 1953 pour voir les eaux de Carnoules se déverser dans le réservoir de la Colle d'Artaud.
Nous connaissons bien les difficultés que rencontrent les élus dans leurs tâches. Leurs projets sont souvent contrecarrés par des événements inattendus, par l'insuffisance des crédits espérés, par des inconvénients tout à fait imprévisibles.
Par exemple en 1935, au moment où l'industrie automobile prenait son essor, pouvait-on prévoir qu'un jour les poids lourds ne pourraient pas franchir certains ponts et seraient responsables d'éclatements de canalisations souterraines, incidents qui se produisirent souvent sur les 42 kilomètres de l'aqueduc de Carnoules.
Que de fois le directeur des services techniques, M. Molinari fut dans l'obligation de se déplacer avec ses équipes d'ouvriers et de techniciens pour réparer la canalisation crevée, ce qui entraînait à La Seyne des coupures d'eau certes bien regrettables.
Autrement dit : les échecs, les retards ne sont pas toujours imputables aux élus, même aux meilleurs.
Qui aurait pu prévoir que les caprices de la nature s'acharneraient sur les sources de Carnoules, que les sécheresses persistantes en réduiraient considérablement le débit, que les arrosants, organisés en syndicats, intenteraient un procès à la ville de La Seyne dans l'espoir de récupérer l'eau qui leur manquait. Nous n'allons pas ici entrer dans le détail des procédures qui aboutirent à un conflit entre La Seyne et Carnoules, deux municipalités de même obédience idéologique, ce dont les candidats de la liste d'Albert Lamarque aux élections municipales d'avril 1953 se réjouissaient.
Ces derniers clamaient bien haut leur satisfaction et s'en allaient répétant que c'étaient bien les élus socialistes d'avant la guerre qui avaient réglé le problème de l'eau pure à La Seyne.
La campagne électorale de 1953
(Se référer égaleent au Bulletin municipal de 1953 consacré aux questions de l'eau et de l'assainissement)
La campagne électorale pour les municipales de 1953 atteignit une rare violence et les candidats socialistes, battus aux élections précédentes de 1945, 1947, 1950, espéraient bien reprendre la mairie en utilisant entre autres arguments l'arrivée des eaux de Carnoules à La Seyne.
Leurs adversaires communistes avec Toussaint Merle à leur tête s'efforçaient de minimiser l'importance de cette réalisation en critiquant la longueur de l'aqueduc. Pensez donc ! Comment surveiller et entretenir une canalisation de 42 km ? Et puis disaient-ils : « le débit de 100 litres/seconde promis n'a pas été obtenu ! ».
La propagande communiste faisait état de 19 litres/seconde tandis qu'un rapport des Ponts et chaussées du 24 mars 1953 affirmait 4 000 m3 par jour soit 46 litres/seconde.
Pour sa défense, Albert Lamarque comparaît son œuvre à celle des Romains qui avaient construit des aqueducs célèbres pour l'alimentation des grandes villes en eau potable. Il faisait référence à celui qui conduisait l'eau des fontaines d'Eure et d'Airan vers Nîmes et dont les derniers vestiges apparaissent encore avec le Pont du Gard. Cet aqueduc était de même longueur que la canalisation de Carnoules.
Autre exemple significatif : le Canal de Marseille exécuté de 1839 à 1847 qui lui amena les eaux de la Durance après un trajet de 92 kilomètres dont plus de 16 km en souterrain.
De part et d'autre, on argumentait du mieux qu'on pouvait...
Toussait Merle, maudissant l'aqueduc de 42 km dont l'entretien s'avérait difficile et coûteux, envisageait de le vendre au Syndicat des eaux de l'Est-Varois groupant 9 communes dont les municipalités d'obédience socialiste comme Solliès-Ville, La Farlède, Pierrefeu, Bormes, Le Lavandou.
Les adversaires de Toussaint Merle, édiles d'avant la guerre, voulaient se glorifier d'avoir résolu seuls les problèmes de l'eau à La Seyne et criaient au scandale, estimant comme un crime monstrueux l'abandon d'une grande canalisation, fragment du patrimoine communal, tandis que le Maire de La Seyne voyait à travers le transfert de l'aqueduc au Syndicat des eaux, de grands avantages : vente qui rapporterait à la ville près de 20 millions de francs, utilisables immédiatement pour la réalisation d'équipements collectifs dont la ville avait bien besoin, arrêt des remboursements d'emprunts effectués par ses prédécesseurs, fin des frais d'entretien à payer...
Et pendant que les communes dirigées par des socialistes entraient en opposition avec les candidats socialistes de La Seyne, les municipalités communistes de La Seyne et de Carnoules étaient toujours en conflit à cause des arrosants qui manquaient d'eau et cherchaient à récupérer leurs pertes.
Qui aurait pu prévoir de telles conséquences sur la vie politique varoise ? Comment les électeurs allaient-ils réagir et se faire une opinion juste avant d'aller aux umes ?
Albert Lamarque, durant la campagne électorale, avait beaucoup insisté sur le bilan globalement positif de la Municipalité dont il fut le Premier Adjoint pendant 20 ans. Il s'était targué d'avoir réglé les problèmes de l'eau et de l'assainissement grâce à l'aqueduc de Carnoules, mais les discours les plus pathétiques, la propagande écrite la plus affinée ne pouvaient effacer ni même atténuer sa maladresse politique concrétisée par l'alliance du Parti socialiste S.F.I.O. avec les partis de la droite classique.
Les anciens de nos concitoyens qui participèrent à la campagne des municipales de 1953 ont certainement souvenance de cette fameuse réunion publique à la Bourse du Travail, au cours de laquelle devant une salle comble et houleuse, au terme de sa péroraison sur le problème des eaux, Albert Lamarque fut tourné en dérision par un auditeur qui s'exclama : « C'est la Manon des Sources ! ». La répartie de ce plaisantin déchaîna l'hilarité générale d'autant plus justifiée que dans cette période même se jouait le film de Marcel Pagnol dont Manon des Sources était le titre.
Il fallut un bon moment au Président de la séance pour rétablir l'ordre. Les exclamations ironiques, les quolibets s'étant enfin calmés, Toussaint Merle demanda la parole pour donner son point de vue et celui de ses amis, la réunion publique étant contradictoire.
Il développa ses arguments avec beaucoup de mordant, il les étayait de dates et de chiffres précis applaudi souvent par ses partisans qui dominaient nettement l'auditoire. Les dix minutes d'intervention que le Président socialiste lui avait accordées arrivèrent à expiration et ce dernier lui demanda de conclure.
Mais Toussaint Merle poursuivait implacablement ses démonstrations et devant les protestations de ses adversaires il. devint sarcastique.
- « Ah ! Vous voulez que je m'arrête et j'ai pourtant tant de choses à vous dire, vous avez peur de la vérité ! ". S'adressant à la foule, il s'exclama " Ceux qui sont d'avis que je poursuive, levez la main ! ». Ses supporters particulièrement exaltés s'écrièrent :
- « Continuez ! Continuez ! ».
- « Voyez, M. le Président, c'est ça la démocratie ! ! ».
et la salle devenait de plus en plus houleuse !
Pour résumer le fond des discussions passionnées ayant trait au problème de l'eau, disons que la Municipalité d'avant la guerre avait fait avancer le problème de l'eau pure et il est indéniable que ses dirigeants eurent beaucoup de mérite à le faire.
Mais on pouvait tout de même leur reprocher la lenteur de cette réalisation, car il faut se souvenir qu'en 1929 seulement, donc 10 ans après son élection, le Conseil municipal présidé par le Docteur Mazen commença à s'inquiéter sérieusement du problème, qu'on parla de Carnoules seulement en 1935 et que l'eau arriva finalement à La Seyne en 1953. Entre 1919 et 1953 il s'était tout de même écoulé 34 ans.
Et puis ne faut-il pas rappeler que le syndicat des Eaux de l'Est-Varois s'approvisionnait avant la guerre à la Compagnie des Eaux et de l'Ozone de Carcès, village du Var qui avait vu s'édifier un important barrage sur le Caramy, à l'instigation de la Mairie de Toulon confrontée elle aussi aux difficiles problèmes de l'eau et de l'assainissement.
Depuis son édification en 1935, ce barrage rendait des services considérables et si une entente avait pu se réaliser entre les municipalités seynoise et toulonnaise, l'eau aurait coulé dans nos réservoirs dès 1936.
Il est avéré qu'au mois de Mai 1936 des propositions furent faites à la ville de La Seyne dans l'intention de la faire bénéficier des travaux effectués à la fontaine d'ajonc de Carcès. La réponse du Conseil municipal de La Seyne fut négative.
Il est vrai que dans cette période les relations entre les Municipalités de La Seyne et de Toulon n'étaient pas toujours au beau fixe. Les désaccords politiques persistèrent longtemps entre Marius Escartefigue classé maire de droite et l'équipe socialiste Mazen-Lamarque. Peut-être tenait-on rigueur au Maire de Toulon d'avoir fait son éducation administrative à La Seyne au poste de secrétaire général...
Il semble bien que la raison majeure du refus seynois aux propositions toulonnaises relatives à la fourniture d'eau potable, soit avant tout imputable à l'esprit de gloriole de nos édiles qui tenaient absolument à gérer leur canalisation propre en toute indépendance.
Revenons à l'année 1953, décisive pour la solution des problèmes de l'eau pure. Après plusieurs semaines de campagnes de presse, de distributions de tracts, de joutes oratoires, les élections du 26 avril donnèrent les résultats suivants :
La tactique socialiste d'union avec la droite et soi-disant apolitique échoua lamentablement.
L'affaire des eaux de Carnoules n'allait plus défrayer les chroniques locale et départementale comme par le passé, mais les problèmes de l'eau potable ne furent que partiellement résolus.
N'était-il pas vrai que les citoyens exigeaient et c'était bien normal des conditions de vie meilleures avec des logements confortables, des installations sanitaires.
Depuis le 25 août 1948 où fut créé l'Office Municipal H.L.M. les ensembles immobiliers se multipliaient.
Peu à peu dans les quartiers périphériques les appartements éclairés, spacieux, aérés, chauffés, se substituaient aux taudis malsains... mais la prospérité de la ville aux plans urbanistique, industriel, culturel ne pouvait se réaliser sans l'eau pure et abondante.
Toussaint Merle avait promis durant la campagne électorale l'amélioration dans la distribution de l'eau, là où elle existait et surtout de nouvelles dessertes impérativement nécessaires. Ses promesses furent tenues et même dépassées. Dès le début de son mandat, l'avenue Donicarde, le quartier Sainte-Anne, la rue Berny, les quartiers de Fabre à Gavet reçurent les canalisations attendues depuis bien longtemps.
Les travaux du Syndicat intercommunal des Eaux furent accélérés et rapidement les 100 litres/seconde arrivèrent dans les réservoirs de la ville qui en possédaient seulement deux à ce moment-là : Tortel et la Colle d'Artaud.
Il était particulièrement urgent de revoir et de réorganiser le réseau d'eau potable.
Toussaint Merle écrivait dans le Bulletin municipal de Mai 1953 : « Il s'agit de donner au cours de l'été prochain de l'eau en quantité suffisante et avec une pression permettant la desserte à tous les niveaux, à tous les habitants de notre ville... et dans les mois à venir d'étendre l'adduction d'eau aux quartiers et aux rues non encore desservis ».
Rappelons succinctement comment le réseau d'eau fut conçu avant la guerre de 1939-1945. Il existait un seul réservoir dit de Tortel alimenté par les eaux du Ragas à Dardennes et de son barrage. L'eau de pompage du puits de Saint-Jean complétait modestement cette réserve qui se chiffrait à 2.000 m3.
Toutes les canalisations partaient de ce réservoir pour alimenter la ville dans sa partie agglomérée, puis desservaient Tamaris, Les Sablettes, Balaguier, Saint-Mandrier et Brégaillon. On les disait palmées ces canalisations car il n'existait aucun raccordement entre elles à leurs extrémités, inconvénient considérable car la rupture d'une seule de ces conduites rendait la distribution d'eau impossible dans des secteurs importants de la commune qu'il fallait isoler pendant toute la durée des réparations.
L'arrivée des eaux de Carnoules et la mise en service du premier bassin de la Colle d'Artaud en 1937, puis l'édification d'un deuxième réservoir identique au précédent, ont permis, avec l'adjonction de celui de Tortel, une extension considérable du réseau de distribution. À ce deuxième réservoir de la Colle d'Artaud, édifié en 1957, vinrent s'en ajouter deux autres : celui du Rouquier de 1000 m3 dont un bac de 500 m3 fut réservé à Saint-Mandrier et aussi un premier réservoir de 500 m3 pour Fabrégas.
La bataille pour l'eau pure se gagnait pas à pas et Toussaint Merle n'arrêtait pas de dénoncer les carences de l'État en matière d'équipement hydraulique.
Dans cette période, La Seyne allait vers une population de 50.000 habitants. Les logements se multipliaient les équipements collectifs suivaient et les exigences n'étaient satisfaites qu'au coup par coup.
Sur le chapitre des Eaux reprenons quelques chiffres : Le réseau de 39 km en 1947 est passé 20 ans plus tard à 117 km. La consommation d'eau annuelle est passée dans les mêmes périodes de 461 407 m3 à 3 762 780 m3. Le nombre des abonnés est passé de 2 018 à 13 652.
Tous ces progrès ont été possibles grâce à des arrangements heureux avec le syndicat de l'Est que nous avons cité précédemment, grâce à de nouvelles conventions avec Toulon, la grande voisine de La Seyne, grâce également au forage des puits des quartiers Berthe et Saint-Jean et nécessairement à la construction de nouveaux réservoirs.
On lira plus loin la liste de tous ceux en exercice aujourd'hui, leur quartier d'implantation et la date de leur construction. Fort heureusement le relief de notre terroir offre des dizaines de collines qui ont rendu possible une répartition heureuse des réserves d'eau potable dans tous les quartiers.
En 1957, il fallut construire 3 réservoirs, ce qui s'explique par l'urbanisation rapide des quartiers périphériques sans parler de la zone urbaine prioritaire en extension rapide.
Rappelons au passage que l'achat des terrains de la Z.U.P. remonte à 1957, que dans un premier temps 540 logements y étaient prévus sur les 107 hectares acquis par l'Office H.L.M.
Dans les années qui suivirent, notre ville de La Seyne allait être transfigurée au point que les vacanciers venus du Nord ou du Centre de la France ne reconnaissaient plus des paysages qui leur étaient devenus familiers.
Nous montrerons ici succinctement les grandes étapes de ce développement fulgurant par des chiffres pris dans les statistiques officielles.
En 1962, La Seyne comptait 34 270 habitants.
En 1977, sa population atteignait 53 000 habitants (Rappelons au passage que dans les années cinquante elle avait été amputée de l'agglomération de Saint-Mandrier). Elle avait réussi par le travail acharné de ses fils à surmonter toutes les blessures de la guerre, à se doter de tous les équipements urbains qui lui manquaient malgré les entraves à ses projets que les adversaires de la Municipalité accumulaient sur sa route, par tous les moyens, parce que sa couleur politique n'était pas à leur convenance.
Le Maire de l'époque, Philippe Giovannini, écrivait dans le bulletin du 30e anniversaire de la Municipalité :
« La Seyne est devenue une grande et belle ville moderne vivante et dynamique aux importantes ressources économiques, une ville dont l'urbanisation raisonnable et équilibrée a permis, en respectant les sites, de lui conserver les avantages de son originalité, une ville dotée de tous les équipements nécessaires à l'amélioration de la vie de nos concitoyens et dont les équipements de caractère social, culturel, sportif et de santé n'ont pas d'équivalents dans le département ».
Qu'il nous soit permis d'ajouter que dans cette période l'action conjuguée des élus et de toute la population sauvèrent nos chantiers navals, menacés de fermeture. Les dirigeants nationaux avaient su trouver des solutions pour relancer les industries locales. Ce n'est guère le cas aujourd'hui au moment où ces lignes sont écrites.
On pouvait donc se réjouir dans cette période de l'extension considérable que prenait le réseau d'eau potable, mais d'autres problèmes très sérieux allaient se poser car l'amenée de l'eau depuis les points de captage de Carnoules (*), de Carcès, de Dardennes, se faisait par des canalisations vétustes, d'un diamètre qui s'avérait trop petit et de graves inconvénients en résultaient pendant les mois d'été appelés période de pointe, durant laquelle il n'était plus possible par ces vieux tuyaux d'acheminer les quantités d'eau indispensables.
(*) En
septembre 2022, considérant que « cette source n’alimente plus notre
ville et serait utile pour la population carnoulaise », face aux
sécheresses que connaît régulièrement notre département et plus
particulièrement nos zones agricoles, le maire de Carnoules a souhaité
disposer de cette source. « Étant sensible aux problématiques
rencontrées par nos voisins et parce qu’il est primordial que nous nous
entraidions, notamment lors de ces épisodes de grandes sécheresses »,
Mme Nathalie Bicais, maire de La Seyne, a assuré son soutien à M.
Christian David, maire de Carnoules, dans ses démarches auprès de la
Métropole Toulon Provence Méditerranée pour récupérer cette source
d’eau, essentielle à sa commune.
Il fallut progressivement procéder au remplacement des canalisations les plus anciennes ce qui ne manqua pas de poser au budget communal de sérieux problèmes financiers, mais les difficultés furent peu à peu aplanies.
Le développement considérable de ce réseau conduisit les responsables du service des eaux à une nécessité impérative : celle de mailler entre elles toutes les canalisations soit en cours de trajet, soit à leurs extrémités afin de donner à l'ensemble du réseau une cohérence absolue et des pressions équilibrées partout.
Ajoutons que dans cette période de gros efforts furent nécessaires pour développer et améliorer la distribution d'eau potable dans les parties agglomérées de la ville.
Mais direz-vous, ami lecteur, nous voilà éloignés de la bataille pour l'eau pure. Pas du tout ! Parce que, bien évidemment, si l'industrie prospérait, si toutes les formes d'activités se développaient, si les logements se multipliaient, il fallait de l'eau, encore de l'eau, toujours plus d'eau potable.
Le nombre des lotissements se chiffrait à 34 en 1947. En 1977, il passa à 172... sans parler des 620 villas construites hors lotissements.
Par rapport à 1947, le nombre des abonnés à l'eau passa de 2 211 à 17 033.
Si le stockage s'élevait en 1947 à 2 000 m3, il passa à 14 300 m3. Il fallut construite trois autres réservoirs entre 1957 et 1972 (à Fabrégas, au Plan d'Aub, et un 3e réservoir à la Colle d'Artaud).
3e
réservoir à la Colle d'Artaud , inauguré le 28 octobre 1972 |
Pour la seule année 1966, 11 kilomètres de canalisations nouvelles furent posées (Colle d'Artaud au quartier Touffany - l'Oïde - la Verne - Fabrégas - Chemin Rouvier - boulevard Dominique - Gavet - Quartier Sainte-Musse).
Trois ans plus tard, les quartiers Janas, les Moulières, Capus, Guérin, Bastian étaient desservis. Chaque année, il fallut creuser des canalisations nouvelles. Le réseau qui en comptait 39 kilomètres en 1947, passa à 145 km en 1972. Cette même année, on vit la consommation annuelle passer à 3 069 641 m3 alors qu'elle n'était que de 461 407 m3 en 1947, et le nombre des réservoirs était passé de 1 à 7.
Dans cette période, la population avait doublé, mais la consommation d'eau avait été multipliée par 6.6.
En 1973, le chef du service des eaux écrivait dans son rapport de fin d'année :
« Malgré les extensions qui ont entraîné une augmentation de la consommation ; malgré une sécheresse de plusieurs mois ; malgré les ruptures de canalisation, aucune coupure d'eau ne s'est produite pendant l'été ».
La bataille pour l'eau pure, les édiles de cette période comprise entre 1960 et 1980 ont déployé des efforts Ô ! combien méritoires pour la gagner. Des milliers de logements modernes depuis la création de l'office municipal H.L.M. abritaient des familles modestes sorties de leurs taudis datant parfois de trois siècles.
Au premier ensemble, celui de Saint-Antoine construit en 1952, puis ceux de Cavaillon, de Saint-Jean construits en 1955 sont venus s'ajouter chaque année des centaines de logements : aux Mouissèques, à la Rouve, à Max Barel, à Gai Versant, à Berthe, à la Lune, au Floréal, au Prairial, au Messidor, au Mont des Oiseaux, au Mont Plaisant, au Vallon des Signes.
Les seuls programmes de construction de 1972 à 1974 comportaient 1101 logements avec la Maurelle, la Présentation, le Germinal, le Fructidor, les Fauvettes.
Un rapport de l'Office H.L.M. de 1973 précise son patrimoine :
Avec de tels bilans, on comprendra aisément que la quantité d'eau consommée à La Seyne devenait prodigieuse. La consommation domestique atteignit 5 500 000 m3 en 1976. L'approvisionnement s'éleva à 4 720 000 m3.
Mais ici, il faut ajouter que les solutions aux problèmes de l'eau pure ne furent pas seulement apportées par les élus seynois. Dès 1973, ils avaient prévu l'arrivée des eaux du Canal de Provence. Elle arriva l'année suivante ce qui nous conduit tout naturellement à un historique succinct de cette réalisation d'envergure régionale.
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Les plus anciens de nos concitoyens savent, pour l'avoir entendu de leur père, que depuis le début de notre siècle il était question dans les sphères officielles d'amener l'eau du Haut-Var ou de la Basse-Provence vers les régions côtières qui souffraient de plus en plus de la pénurie d'eau potable du fait de l'accroissement des populations, du développement de leurs activités économiques, industrielles, agricoles et touristiques.
Depuis le milieu du XIXe siècle, Marseille recevait l'eau de la Durance alimentée par le Verdon gonflé lui-même par l'énorme débit des sources de Fontaine l'Évêque.
Le rêve des économistes, des hommes politiques, des édiles de tous les niveaux était d'amener vers la côte ces richesses hydrauliques qui se perdaient dans la mer.
Monsieur Clemenceau avait été député du Var de 1885 à 1893, puis sénateur de 1902 à 1920. Il avait inscrit dans ses programmes électoraux l'alimentation en eau de Toulon et La Seyne par les eaux de Fontaine l'Évêque, mais ces promesses ne se réalisèrent jamais de son vivant malgré sa longue et fulgurante carrière politique.
De loin en loin, à l'occasion d'élections partielles ou générales, les discussions brûlantes revenaient sur le sujet des eaux qui prenait des aspects dramatiques dans les périodes de grandes sécheresses.
Il n'y a pas si longtemps n'avons-nous pas vu les barrages de Dardennes et de Carcès complètement asséchés ?
Le projet de Fontaine l'Évêque, il aura fallu l'attendre plus d'un demi-siècle pour que le problème de l'eau pure qui intéressait une vaste région du territoire national entre dans une phase véritablement créatrice.
En 1957, fut lancée la Société du Canal de Provence et d'aménagement de la région provençale qui proposait la réalisation des travaux d'équipement hydraulique de tout le Sud-Est avec l'aménagement du Bas-Rhône et du Languedoc ainsi que l'aménagement agro-industriel de la Durance.
Le programme général de cet organisme comprenait :
Ce projet intéressait à l'origine 250 communes et 1 800 000 habitants environ.
Plus de trente années se sont écoulées depuis la création de la Société du Canal de Provence. L'essentiel de son programme a été réalisé par tranches au fil des années, tant du côté varois que du côté rhodanien. Ne parlons ici que de la grande canalisation qui se détachait des barrages de Fontaine l'Évêque et de Quinson pour venir à Ollioules après avoir traversé les territoires de Varages, Ollières, Signes, Le Beausset et qui, depuis 1974, alimente d'abord les réservoirs de la Colle d'Artaud.
(Dates de construction et contenances)
Ces réservoirs alimentent aujourd'hui plus de 200 kilomètres de canalisation.
Capacités de stockage
Que nous voilà bien loin de la Source Saint-François du quartier Donicarde exploitée par les R.P. Capucins installés par Michel Tortel, il y a de cela près de quatre siècles !
Ces textes sur la bataille pour l'eau pure ne constituent qu'une étude bien superficielle des luttes sévères menées par nos anciens pour la conquête, la conservation et l'usage de cet élément qui tient une place considérable dans l'existence des gens.
Ils ont mis l'accent sur les efforts méritoires des administrateurs locaux, toutes tendances politiques confondues pour satisfaire les besoins d'une population qui aspirait légitimement au confort et à l'hygiène. Comme on a pu le constater le terme de bataille n'est pas excessif si l'on se rappelle l'aspect parfois violent des conflits qui opposèrent des citoyens, des hommes politiques, des associations, des conflits qui durèrent des siècles et dont il serait bien imprudent d'affirmer qu'ils ont trouvé leur solution définitive.
Ils ont insisté, sur les difficultés à vaincre, d'une extrême diversité : obstacles et caprices de la nature, problèmes économiques et financiers, ambitions politiques démesurées, débordements électoraux outranciers.
Ils auraient pu remonter plus avant dans le temps passé en rappelant que l'eau, aliment indispensable à l'alimentation de tous les êtres vivants aussi nécessaire à leur existence que l'air atmosphérique, fut vénérée par les civilisations les plus antiques.
Le culte de l'eau existait chez les peuples aryens et plus près de nous les Romains dont-ils pas montré leur souci permanent d'alimenter les populations en eau potable ?
À leur passage, en Provence pour aller conquérir la Gaule, n'ont-ils pas construit des aqueducs dont on retrouve encore les vestiges aujourd'hui ?
Ils connurent aux premiers siècles de notre ère les abondantes sources des Moulières puisqu'ils édifièrent un sanctuaire à l'entrée même de la forêt de Janas pour vénérer leur dieu Janus (voir Tome I).
Si l'agglomération seynoise avait existé, nul doute qu'ils y auraient amené l'eau courante des moulins à huile et à blé, projet envisagé sérieusement beaucoup plus tard par le maire Saturnin Fabre en 1890.
Ce problème de l'eau qui méritait bien une relation historique n'a été évoqué ici qu'à partir du XVIIe siècle, alors que La Seyne n'existait qu'à l'état embryonnaire et comptait à peine quelques centaines d'habitants.
Pour conclure ce récit, disons que la bataille pour l'eau pure se poursuivra inéluctablement. Les conditions de la vie humaine avec de nouvelles nuisances parfois des plus imprévues connaîtront de nouveaux développements. Il en sera ainsi dans les domaines de l'eau pure, comme dans les autres. Rien ne sera jamais réglé définitivement.
En remerciant tous ceux qui dans le passé ont fait avancer les conditions matérielles de la vie seynoise d'antan tout en ignorant les lois de l'écologie, faisons confiance aux générations futures, mieux armées par la science, pour gagner pacifiquement les batailles du progrès et du bien être général.
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