La Seyne_sur-Mer (Var)   Histoire de La Seyne_sur-Mer (Var)
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du Tome VII
Marius AUTRAN
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Images de la vie seynoise d'antan - Tome VII (1999)
La vie seynoise...
quand mon siècle avait 10 ans
(Texte intégral du chapitre)

 

 

Ce titre appelle de ma part quelques explications. Tout d'abord, pour vous dire, amis lecteurs, que ce fut précisément le 2 décembre 1910, à quatre heures du matin, que je vis le jour à La Seyne-sur-Mer, 5, rue Philippine Daumas ; fils de Simon Autran, matelot mécanicien âgé de 23 ans qui terminait sa maistrance, et d'une mère sans profession Victorine Aubert, âgée de 20 ans, descendante d'une vieille famille de notre terroir, les Hermitte.

Unique enfant de leur union, je fus gâté, dorloté mais néanmoins élevé dans le plus grand respect des valeurs morales de ce temps : soumission inconditionnelle au pater familias ; obéissance absolue au maître d'école, respect, vénération même, des anciens, pour leur travail, leurs sacrifices, leurs coutumes.

Si j'écris cette relation en empruntant son titre à Victor Hugo ce n'est pas pour raconter ma vie, très longue, très riche d'expériences vécues, heureuses et aussi dramatiques, mais surtout pour situer La Seyne au début d'un siècle qui apporta à l'humanité des transformations spectaculaires et à La Seyne des mutations profondes sous l'impulsion de ses enfants de la ville, des champs et des rivages.

Nonobstant les difficultés financières, les querelles politiques toujours néfastes, nos édiles ont su préparer de véritables transfigurations par leurs efforts acharnés et faire d'une bourgade de 19 800 habitants au début du siècle, une grande ville imposante, la deuxième ville du département après le port de Toulon, une ville aux activités multiples et fort diversifiées : industrielles, agricoles, touristiques, culturelles, sportives, sociales.

Il m'arrive souvent en compagnie de vieux amis et camarades de ma génération de retracer les grandes étapes de ses mutations fulgurantes en insistant sur le fait que nous aurons été les témoins des progrès techniques fabuleux préparés par les scientifiques du siècle dernier, ne l'oublions jamais, qui découvrirent les forces énergétiques de la vapeur d'eau, du pétrole, de l'électricité, qui allaient bouleverser la vie humaine avec l'apparition d'outils de travail mécanisés, de véhicules en tout genre, rapides, confortables, individuels et collectifs, terrestres, maritimes et aériens. Et puis ce fut le téléphone, le cinéma parlant, la radio, la télévision, l'informatique, l'astronautique, etc...

Parallèlement à ces progrès surprenants, le corps médical triomphait de grands fléaux par l'usage des vaccins qui permirent d'arrêter ou de limiter les ravages causés par la tuberculose, la fièvre typhoïde, la diphtérie, la méningite, le tétanos, la variole. La chirurgie accomplissait en même temps des progrès étonnants.

J'ai essayé à travers cette relation de situer La Seyne au début de mon siècle et de montrer que ce fut surtout à partir de 1910 qu'elle prit son essor en dépit des événements dramatiques que l'on sait et dont il a été question longuement dans les ouvrages précédents.

Grâce aux délibérations municipales de l'année 1910 et surtout à mes archives familiales, le lecteur pourra se faire une idée précise de ce que La Seyne était dans ses aspects géographiques, économiques, sociaux avec l'interpénétration des problèmes administratifs et politiques toujours complexes, le développement rapide des industries : la Navale d'abord, suivie de l'artisanat de la sous-traitance, tout cela en parfaite harmonie avec l'exploitation prospère des ressources du sol, de la grande forêt de Janas, sans parler de la beauté incomparable des rivages favorisant le tourisme impulsé avec succès depuis la fin du siècle dernier par les initiatives audacieuses de Marius Michel (Michel Pacha).

L'accroissement rapide de la population allait poser à nos édiles les problèmes inéluctables de l'urbanisation, des transports et des communications, des structures nouvelles pour l'Enseignement, la santé publique, la sécurité, etc.

C'est pourquoi, obligatoirement, il me faut parler de nos édiles élus démocratiquement ou presque. Observons au passage que les femmes n'avaient pas encore conquis le droit de vote, que les fonctionnaires et surtout les militaires ne pouvaient prétendre à des fonctions électives.

Les difficultés ne manquaient pas, ni à la population ni aux élus chargés de l'administrer. Leur ampleur et surtout le manque de moyens pour les résoudre expliquent la période d'instabilité politique que La Seyne connut au début du XXe siècle. Qu'on en juge !

Le Directeur des douanes François Bernard avait détrôné Saturnin Fabre, sans doute l'un des Maires les plus compétents que connut la ville dont la biographie élogieuse figure dans le Tome II de notre ouvrage. C'était en 1896. Quatre ans plus tard, le Maire Bernard est remplacé par Julien Belfort qui sera battu à son tour par Henri Pétin, représentant de la petite bourgeoisie seynoise. En 1908, ce dernier laisse la place au pharmacien Jean Armand qui ne fut premier magistrat seulement pendant deux ans. De 1910 à 1912 apparaît Jean Juès, commerçant, qui laissera la place à Baptistin Paul, ingénieur. Cette énumération apporte la preuve évidente d'une grande instabilité dans les fonctions électives, La Seyne ayant changé de maire six fois en quelques années.

Et pourtant, les élus de cette période difficile avaient fait tout leur devoir. Il n'y avait pas eu de scandales financiers, pas de mise en examen, mais les problèmes politiques de taille se posaient comme celui de la séparation de l'Église et de l'État qui généra à La Seyne comme ailleurs des dissensions douloureuses dans la population. Nous y reviendrons !

L'historique de la construction navale seynoise a montré longuement les conditions d'existence précaires de la classe ouvrière en ce début du XXe siècle. Tout naturellement les syndicats s'organisaient et agissaient pour obtenir la réduction du temps de travail à 12 heures par jour, pour une mutualité efficace, pour des conditions d'une vie décente. Dans cette période s'était formé le Parti ouvrier dont la coloration socialiste s'affirmait d'année en année après la construction de la Bourse du Travail inaugurée le 23 septembre 1903. Les militants ardents défenseurs de la classe ouvrière venaient discuter après leurs dures journées de l'idéal défendu par les Louis Blanqui, Jules Guesde, Pierre Renaudel, Marcel Cachin, Jean Jaurès et bien d'autres.

Bourse du Travail et rue Gambetta en 1906

Le 30 juin 1910

Le Conseil municipal de La Seyne se réunit pour désigner le Maire et deux adjoints. Il est ainsi composé : MM. Lesquoy, Gabriel, Cartier, Martinenq, Auzias, Tortel, Chanceau, Daudé, Valentin, Traversa, Girard, Juès, Bernard, Giraud, Tomasi, Marquand, Gay, Aubert, Andrieu, Arnaud, Sénéquier, Estienne, Guichard, Albert, Menc, Badino. 1 absent : Campinchi.

À cette première réunion furent désignés comme maire : Jean Juès et comme adjoints MM. Romain Tortel (1er adjoint) et Édouard Gay (2ème adjoint).

Nos concitoyens reconnaîtront sans doute des noms qui leur sont familiers ; des noms de leurs ascendants artisans, commerçants, petits fonctionnaires.

Il y a peu d'ouvriers dans ce Conseil municipal et surtout pas de femmes, lesquelles d'ailleurs, n'étaient même pas électrices.

Passons sur la répartition des élus dans les commissions de travail.

On sait que les activités municipales sont d'une extrême diversité et généralement complexes. Les décisions ne rallient pas toujours l'unanimité des membres du conseil et les sources de conflit sont fréquentes même dans les assemblées de même coloration politique.

Il est rare que dans l'exercice d'une mandature, il n'y ait pas de démissions individuelles ou collectives. Les municipalités de la fin de notre siècle n'offrent-elles pas le même spectacle affligeant aux yeux de nos concitoyens de l'heure présente ?

Les discussions les plus houleuses se produisaient toujours en début d'année au moment de l'établissement du budget, exercice délicat qui détermine avec la plus grande approximation les recettes et les dépenses pour l'année entière.

L'examen du budget de 1910 montre à l'évidence le souci des édiles de ce temps, d'une gestion saine, équilibrée, permettant l'entretien des biens communaux, la rétribution régulière des fonctionnaires et la réalisation de quelques projets souhaités par la population.

 

Le budget de la ville : les recettes

Évitons de donner des chiffres qui n'auraient aucune signification aujourd'hui, mais parlons surtout de la nature des opérations en recettes et dépenses et nous découvrons des pratiques qui nous paraissent bien ridicules à l'heure présente. Et pourtant ?

Les recettes provenaient surtout des impôts qui s'appelaient alors : contribution foncière, contribution personnelle, mobilière ou impôt sur les portes et les fenêtres (créé sous le Directoire). La patente (devenue aujourd'hui la taxe professionnelle, payée par les artisans et les commerçants).

À ces impôts directs s'en ajoutaient une multitude d'autres. Par exemple : les citoyens payaient une taxe sur les chiens, sur les vélos, sur les briquets, sur les chevaux et les voitures, sur les permis de chasse, sur l'abattage des bestiaux, sur les actes de l'état civil.

Il existait aussi un droit de stationnement, mais à cette époque les tramways seuls étaient visés. Depuis peu de temps, ceux-ci n'ayant fait leur apparition qu'en 1908.

Les ressources provenaient aussi des coupes de bois de la forêt communale de Janas, de l'exploitation de la résine dont le garde forestier avait la responsabilité. La sève des gros pins entaillés à leur base s'écoulait lentement dans de petits pots en terre cuite dont le contenu était déversé dans des tonneaux expédiés dans des entreprises locales et régionales intéressées par ce produit de la nature.

Les pins maritimes rectilignes étant recherchés par les petits chantiers de la construction navale en bois, pour les matures, il n'était pas rare de voir sur la route de Janas, les trinqueballes à deux grandes roues seulement, transporter des troncs d'une longueur impressionnante.

En 1910, l'entreprise Prat dont les écuries se situaient proche de la Caisse d'Épargne actuelle, rue Chevalier de la Barre, se chargeait des transports en tous genres.

Pour rester dans le domaine des recettes du budget communal, ajoutons la vente des concessions au cimetière qui persiste de nos jours avec profit pour le budget communal. Il exista, dans la forêt de Janas un endroit nommé La Sablière où pendant plusieurs années des maçons vinrent s'approvisionner contre redevance à la ville.

Cette énumération de taxes fort diversifiées, montre que nos édiles d'autrefois s'ingénièrent à trouver des ressources pour équilibrer leur budget. Hélas ! au fil du temps, il s'avéra que la perception de certaines de ces taxes n'était pas suffisante pour payer les fonctionnaires chargés de les encaisser. Alors elles disparurent peu à peu.

Certaines, comme les droits d'octroi, persistèrent jusque dans les années 1930.

Qu'appelait-on octroi ? Il faut savoir à ce propos qu'il s'agissait d'une forme d'impôt très ancienne que les Romains de l'Antiquité appliquaient déjà chez eux, il y a deux mille ans. Elle frappait les marchandises et denrées diverses qui entraient dans une ville.

À ne pas confondre avec les droits de douane, imposés sur des marchandises qui franchissaient la frontière du pays.

Rappelons qu'il existait déjà à la fin du siècle dernier une caserne de douaniers, sise place Ledru-Rollin, à proximité du kiosque à musique édifié en 1903.

Cet emplacement se nommait les Esplageols pour la simple raison que le rivage compris entre l'entrée du port et la Bourse du Travail était une longue plage envasée.

Revenons à l'octroi que la France connaissait depuis le Moyen Age. En ce début du XXe siècle qui nous préoccupe, on pouvait voir à la limite des communes de Six-Fours, d'Ollioules et de Toulon, les préposés seynois de l'octroi en uniforme de drap bleu, pantalon à bandes rouges verticales, surveiller attentivement les piétons et leurs bagages, les attelages de chevaux et d'ânes. Sur un ton péremptoire, ils posaient alors la question rituelle : « rien à déclarer ? ».

Le passage de denrées comestibles d'une commune vers une autre était taxé suivant des barèmes établis conjointement par l'administration de l'octroi et les mairies.

Tout cela nous paraît bien ridicule aujourd'hui. Pensez donc ! On payait pour le passage d'une cagette de salades, d'un litre de vin, d'une douzaine d'escargots. Les alcools étaient taxés plus cher. D'autant plus ridicules ces pratiques, que l'on pouvait emprunter des sentiers détournés pour passer certaines marchandises à travers bois le plus souvent et de préférence la nuit.

Quelle comptabilité minutieuse les préposés de l'octroi devaient tenir ! Ils n'encaissaient le plus souvent que de petits sous en bronze et là encore il fallut envisager la suppression de ces droits d'octroi insuffisants pour payer les petits fonctionnaires chargés de les percevoir. Ce qui devait hâter la disparition de cette administration désuète, ce fut l'intensification des véhicules individuels et collectifs. Il me souvient d'avoir vu les employés de l'octroi visiter les tramways au poste de Lagoubran, ainsi que les premières autos. Leur célérité ne pouvait empêcher des ralentissements considérables de la circulation routière. Obligatoirement, les postes d'octroi disparurent et il en fut ainsi dans toute la France en 1949.

Par contre, la vigilance des douaniers continuait de s'exercer sur les rivages et dans les ports pour les marchandises d'importation.

Dans ces années de début du siècle, arrivaient fréquemment dans le port de La Seyne des tartanes chargées d'oranges en provenance de l'Espagne ou alors des pondéreux destinés à l'artisanat seynois.

Là aussi, il y avait des droits à percevoir et les douaniers surveillaient scrupuleusement l'horizon entre le Cap Sicié et le Marégau pendant que le gardien du Sémaphore doté d'une lunette à longue portée scrutait l'horizon lointain en direction de l'Algérie et de l'Espagne.

Autre particularité à signaler à propos du trafic des marchandises : le contrôle des passe-debout à la sortie des Forges et Chantiers. Il s'agissait de lutter contre le coulage d'objets divers, de petits outils par exemple, dont les spécialistes du larcin voulaient enrichir leur atelier personnel ou alors en offrir à des amis particuliers.

Revenons à ce budget de 1910 dont nous avons brièvement résumé les recettes. Comme on a pu le constater nos anciens élus avaient su créer des ressources nouvelles avec des taxes indirectes de formes multiples. Si nombre d'entre elles ont disparu, elles ont toujours été remplacées par d'autres estimées plus rentables par les pouvoirs en place.

Depuis la dernière guerre, les contribuables ont connu la vignette auto, la taxe sur les compteurs électriques, les prélèvements appelés C.S.G. et autres, tout cela couronné par la redoutable trouvaille que fut la T.V.A. N'insistons pas et espérons toujours en la clémence des élus responsables des finances nationales qui reconnaissent au moment des campagnes électorales que les citoyens français paient beaucoup d'impôts, beaucoup trop !

 

Le budget de la ville : les dépenses

Les seynois de l'année 1910 étaient en droit d'espérer obtenir quelques avantages en échange de leurs contributions personnelles. Les municipalités de cette période apportèrent à la population des réalisations appréciables susceptibles d'améliorer les conditions de la vie quotidienne, demeurée très précaire jusque-là. Mais avant de les préciser, il est utile de situer avec précision la géographie du terroir seynois, les limites de la zone urbaine, les ressources de la campagne et des rivages, les possibilités considérables d'une industrialisation qui s'affirmait depuis la fin du XIXe, siècle favorisée par l'arrivée du chemin de fer, avec les perfections apportées dans le domaine de la construction navale et des industries annexes avec la naissance du tourisme, avec la modernisation d'exploitation dans les immenses terrains de cultures des quartiers Saint-Jean, des Plaines, de Mar Vivo, de Tamaris, des Moulières.

Rappelons succinctement les limites de la zone urbaine : au Nord : la Bourse du Travail, à l'Ouest le boulevard du 4 septembre, au Sud les quartiers Tortel, Beaussier, Cavaillon, à l'Est, la place de la Lune et le rond-point des Sablettes (Kennedy aujourd'hui). Au-delà de ces limites, on ne voyait que des maisons de campagne, on ignorait ce qu'étaient les immeubles collectifs.

Place Bourradet

Place du Quartier Neuf

Toutes les zones agricoles offraient au regard des Seynois des champs d'artichauts, de légumes de toutes sortes, des arbres fruitiers, des vignes, de céréales, des oliviers, des mûriers, oui ! des mûriers car nos anciens de cette époque faisaient l'élevage des vers à soie au quartier Saint-Jean comme à la Rouve.

Ce fut seulement dans ces années 1910 que les frontières de La Seyne du XVIIe siècle éclatèrent surtout après les décisions de Saturnin Fabre d'ouvrir les communications de la ville vers Six-Fours, Ollioules, Les Sablettes, Janas et Toulon.

On a peine à imaginer que les seules voies vraiment carrossables reliant La Seyne à Toulon, à Saint-Mandrier, à Six-Fours et Ollioules étaient des routes empierrées de moellons brisés à longueur d'année au bord des chemins par des cantonniers armés de marteaux à longs manches flexibles et de lourdes hies, en attendant les rouleaux compresseurs actionnés par une chaudière à vapeur.

En ce début du XXe siècle, La Seyne disposait des ressources appréciables de l'industrie navale en expansion, de ressources agricoles de toutes sortes : des richesses de la mer en poissons et coquillages. Elle produisait beaucoup pour la population autochtone mais aussi pour l'exportation. Le développement de la vie économique exigeait des moyens d'échanges avec l'extérieur proche et aussi lointain. Ce qui m'amène à poser le problème des transports et des communications, évoqués de façon approfondie dans le Tome I de l'ouvrage, sous la rubrique Du bourriquet au S.I.T.C.A.T.

Il faut y revenir tout de même pour préciser les soucis de la Municipalité de 1910 qui soutenait la compagnie des bateaux à vapeur assurant la liaison avec Toulon depuis plusieurs décennies, encourageant Michel Pacha créateur de ligne de steam-boats de Tamaris, collaborant avec la société des tramways, dont les véhicules électriques reliaient La Seyne à Toulon depuis deux ans seulement. Le Conseil municipal délibéra sur un projet de transport La Seyne - Les Sablettes par le littoral avec la perspective d'un prolongement sur Saint-Mandrier. Pour la première fois, il fut question de la voie ferrée reliant la gare de La Seyne aux Chantiers navals de la Lune. Ce dernier projet si espéré par la société des F.C.M. se concrétisa sept ans plus tard seulement.

Gare de La Seyne-Tamaris-sur-Mer vers 1910

Au cours de la réunion d'avril 1910, décision fut prise d'élargir la route de Balaguier, de limiter la place de la Lune par des trottoirs, de créer le chemin des deux chênes reliant le chemin de Fabrégas à la plage de Mar Vivo (propriété des Audibert).

L'amélioration du réseau routier apportait certes quelques satisfactions aux conducteurs d'omnibus à deux ou quatre chevaux, à une clientèle cossue qui se déplaçait en calèches, aux chariots, aux fardiers, aux tombereaux, aux véhicules des pompes funèbres de l'entreprise Pellegrin, mais nos édiles devaient envisager un avenir tout proche avec l'arrivée sur les routes de véhicules à moteur dont les Seynois, les mieux nantis, artisans, commerçants, petits industriels, médecins, dont nous avons donné les noms dans le tome I, lesquels pouvaient rouler déjà avec des Peugeot, des Delaunay-Belleville, des Panhard, etc.

Les transports collectifs apparaîtront seulement dans les années 1930.

Il fallait prévoir que, la vie économique s'intensifiant, les limites de la zone urbaine seraient bientôt dépassées vers les rivages, les voies nouvelles : avenue Frédéric Mistral, boulevard Jean Jaurès desserviraient des zones de constructions qu'il faudrait alimenter en eau potable. Ne fallait-il pas penser aux structures scolaires qui n'avaient guère évolué depuis le siècle dernier. Sans doute faudrait-il emprunter pour financer les travaux nécessaires.

Nos édiles de ce temps avaient la possibilité de contracter des emprunts à longs termes : 30 ans le plus souvent, avec des taux d'intérêt minimes.

 

Les biens communaux

On pouvait donc investir sans risque majeur. Mais il fallait veiller au bon entretien du patrimoine communal avec du personnel suffisant et rémunéré correctement. Les dépenses ordinaires étaient consacrées aux salaires des fonctionnaires municipaux et l'entretien des propriétés communales qu'il n'est pas inutile de rappeler pour montrer qu'elles n'avaient pas tellement évolué depuis le siècle dernier. L'Hôtel de ville datait de 1847. La Bourse du Travail de 1903-1904. L'abattoir de 1895. L'école publique primaire et E.P.S. Martini datait du XVIIe siècle, l'école de filles Clément Daniel, logée à l'Hôtel-Dieu, du XVIIe siècle également. L'école François Durand venait de s'ouvrir en 1910, une maternelle et une classe enfantine au boulevard Jean Jaurès et aux Sablettes dataient de 1903-1904. À la charge de la commune, on trouvait : les lavoirs publics (les Moulières, Saint-Roch, le Crotton), la forêt de Janas et la maison forestière. L'hôpital nouveau du quartier Peyron était un établissement régional avec participation communale. L'entretien des routes et chemins vicinaux se faisaient sous la responsabilité de la commune. La caserne de la Gatonne, avant de devenir l'école Curie, dépendait des autorités militaires.

Voilà l'essentiel de ce patrimoine seynois qui avait grand besoin d'être rajeuni et surtout enrichi de nouvelles structures.

1908 - Le quai et l'Hôtel de Ville de 1847
L'Hôtel de Ville de 1847 et la rue Hoche
L'Hôtel des Postes et Télégraphes
Le cours Louis Blanc - Le Marché en 1910

Des tâches épineuses

Depuis le début du siècle les conseils municipaux eurent à faire face à des questions redoutables.

Par exemple : l'accueil des immigrés italiens dont l'intégration dans la vie seynoise ne se fit pas sans récrimination de la population autochtone.

Autre problème délicat : l'application des lois sur la laïcité (de 1903 et 1905), instaurant la séparation de l'Église et de l'État.

Ces sujets d'inquiétude étaient d'autant plus redoutés que les querelles politiques se multipliaient. La chute de Saturnin Fabre n'avait pas apporté de solution aux problèmes de l'assainissement. En 1910, La Seyne demeurait célèbre avec ses toupines.

Le torpilleur

Les municipalités successives faisaient de leur mieux pour entretenir les routes et les chemins vicinaux, amener de l'eau potable aux fontaines et surtout en quantité suffisante, améliorer l'éclairage public par les becs de gaz, impulser une certaine vie associative. Tout cela relevait d'un train-train quotidien que des événements hors du commun allaient bouleverser.

Avec le développement de la Navale, le patronat trouva bon d'amener de la main d'oeuvre italienne. Dans le texte du Tome III intitulé Du bourg provençal à la cité cosmopolite, les problèmes de l'immigration ont été traités longuement. Rappelons succinctement la politique de Michel Pacha qui utilisa lui aussi les travailleurs italiens pour aménager la corniche de Tamaris vers la fin du siècle dernier... au nombre de 400 disait-on !

Ces ouvriers ne disposaient que de pics, de pelles et de brouettes pour réaliser une oeuvre remarquable qui dure encore malgré le siècle écoulé. Ils fraternisèrent avec de nombreuses familles italiennes venues de Sicile, de Sardaigne et de Naples ; avec les ouvriers italiens des chantiers navals dont le nombre égala parfois celui des Seynois.

On sait que des problèmes de racisme se posèrent dans les rues seynoises où les étrangers occupaient les taudis de la basse ville ou ceux des Mouissèques.

Des conflits éclatèrent aussi dans la vie associative, les sociétés musicales en particulier, ainsi que les mutuelles.

Les années passant, les uns et les autres confrontés aux difficultés de la vie quotidienne, l'intégration des étrangers, piantous et macaronis confondus, se fit tout de même sans gravité. La Provence et l'Italie n'étaient-elles pas des soeurs latines ?

Il convient d'ajouter que les querelles et litiges nés de l'immigration s'estompèrent bien vite avec les horreurs de la première guerre mondiale dont les signes avant-coureurs apparaissaient avec l'intensification des constructions navales pour la marine de guerre, les discours patriotiques enflammés des politiciens du plus haut niveau.

Venons-en à ce problème de la laïcité au plan local, surtout à partir de 1905, année où il fallut appliquer les lois sur la séparation de l'Église et de l'État dont le contenu ne faisait pas l'unanimité dans une population dont la tradition chrétienne s'était fortement enracinée dans les familles au cours des siècles.

Après la laïcisation, les réactions du Clergé seynois

Les idées républicaines, socialistes, anticléricales se répandaient avec force et la bourse du travail, édifiée dans les années 1903-1904, accueillit des militants et militantes célèbres : Jules Guesde, Jean Jaurès et bien d'autres. Le parti ouvrier créé à La Seyne, encouragé par les municipalités républicaines voulait une solide instruction pour les enfants ; une instruction gratuite, ouverte à tous et surtout laïque, dans le souci d'écarter le sectarisme des religions. Les problèmes scolaires se posaient donc avec acuité dans une ville où la population, à majorité chrétienne disposait déjà de structures scolaires puissantes comme les lignes suivantes vont le rappeler.

 

Les problèmes scolaires

Ils ont toujours été l'une des préoccupations majeures des municipalités seynoises, mais il faut bien reconnaître que les réalisations positives se heurtaient à des difficultés financières énormes. L'enseignement public avait à faire face à la suprématie des écoles privées puissamment soutenues par le Clergé.

Le ministre Guizot sous le règne de Louis-Philippe avait fait obligation aux communes de plus de 6 000 habitants de créer une école primaire et une école primaire supérieure, mais il laissa le soin aux édiles de trouver les ressources nécessaires à leur bon fonctionnement. Les budgets étriqués de La Seyne, comme partout ailleurs, ne pouvaient envisager des constructions neuves. On eut recours à des locaux, propriétés du Clergé, devenus disponibles surtout après les lois consacrant la séparation de l'Église et de l'État. Ce fut d'ailleurs dans cette période de 1910 que le budget des cultes fut supprimé, ce dont les défenseurs de l'école publique se réjouirent. L'hôtel des impôts, propriété du Clergé, appelé la Dîme fut utilisé avec profit. Ce bâtiment imposant permit le fonctionnement de la première école d'enseignement public à La Seyne, celle qui devint plus tard l'école Martini, nom de son premier directeur. Dix ans plus tard, la Municipalité utilisa l'Hôtel-Dieu de la rue Clément Daniel pour y installer la première école de filles. Cette construction datant du XVIIe siècle n'était pas du tout adaptée à un enseignement correct et efficace. Dans les locaux exigus s'entassaient des effectifs pléthoriques, la cour de récréation s'étendait sur 150 mètres carrés.

Quelles structures scolaires trouve-t-on à La Seyne en 1910 ?

Dans une maison vétuste de la rue d'Alsace (où est installée l'administration de la P.M.I. aujourd'hui) fonctionne une classe enfantine appelée l'Asile où s'entassent une centaine de jeunes enfants qui jouent dans une cour poussiéreuse l'été et boueuse l'hiver.

Depuis 1901-1902, la Municipalité de Julien Belfort a créé une première classe maternelle (devenue aujourd'hui maternelle Jean Jaurès), puis une autre aux Sablettes.

Aucune construction n'est sortie de terre pour l'école primaire publique, pas davantage pour l'école primaire supérieure. Cette situation perdurera jusqu'en 1945.

Mais en 1910, diront les vieux Seynois, est née l'école François Durand. Ce qu'ils ne savent sûrement pas, c'est que la Municipalité de l'époque avait acheté à Madame Rose Sicard de vieux locaux qu'il fallut transformer en classes - deux classes provisoires. Ce fut par la suite que l'école fonctionna avec quatre classes pour les garçons et autant pour les filles.

En somme l'enseignement public et laïque éprouvait les plus grandes difficultés à s'affirmer, malgré les lois promulguées par la IIIe République en 1881-1882-1886.

Par contre, l'enseignement privé confessionnel était encore florissant mais tout de même en recul par rapport au siècle précédent.

Quelles étaient ses structures ? L'Institution Sainte-Marie (les Maristes), l'Externat Saint-Joseph (boulevard du 4 Septembre), la Présentation réservée aux jeunes filles, l'École Sainte-Thérèse, l'école de l'Orphelinat Saint-Vincent de Paul (école maternelle Anatole France aujourd'hui).

On sait que le collège des Maristes et la petite école Sainte-Thérèse demeurent.

Les problèmes de l'enseignement ont été traités avec beaucoup de précisions dans notre Histoire de l'École Martini, suivie d'une monographie sur L'enseignement à La Seyne depuis 1789, ouvrage paru en 1980.

Malgré toutes les difficultés auxquelles se heurtaient l'enseignement public et les municipalités républicaines qui le défendaient, les instituteurs et les professeurs, ardents défenseurs de la laïcité faisaient du bon travail et formaient une génération de jeunes gens, garçons et filles aux connaissances étendues dans tous les domaines. Les instituteurs d'alors se nommaient : MM. Aillaud, Guigou, Carle, Forel, Trotobas... (école Martini), les professeurs de l'école primaire supérieure, avec MM. Pierre, Lenoir, Romanet, Gueirard, allaient donner d'excellents élèves à l'École Normale de Draguignan. Les institutrices du cours complémentaire de la rue Clément Daniel faisaient de même avec des maîtresses d'élite qu'on nommait Mmes Evesque, Porre, Martin, Chambon... Et malgré leurs conditions de travail désastreuses, ces honorables personnes préparèrent avec succès de jeunes Seynoises à leur brevet supérieur.

Voici quelques décisions municipales de ce temps qui illustrent bien la grande misère de l'école laïque à ses débuts. Les municipalités de l'année 1910 adressent des suppliques au Conseil général et au ministère de l'Instruction publique pour obtenir des cartes de géographie, des ouvrages pour les bibliothèques scolaires. On brûlait dans les poêles le bois en provenance de la taille des platanes du cours Louis Blanc, le coke viendra plus tard. Ce ne fut qu'à partir de 1910 qu'on installa des becs de gaz dans les écoles principales : Martini et Clément Daniel.

Dans le même temps, il avait fallu passer un marché avec la société d'éclairage au gaz et à l'électricité pour l'installation des becs de gaz dans les quartiers périphériques comme les Mouissèques, la Donicarde ou Brégaillon.

L'éclairage électrique dans les écoles et les habitations n'apparaîtra que dix ans plus tard.

En dépit de tous les obstacles et des moyens insuffisants malgré la propagande antilaïque visant à décourager l'enseignement public et l'école sans Dieu, l'école de la République faisait son chemin.

La grande majorité de la population travailleuse fit confiance à ses maîtres et à leur enseignement de qualité. Les écoles privées, payantes, reçurent toujours les fils de la petite bourgeoisie locale : artisans, commerçants, médecins, ingénieurs...

Voilà donc résumés les aspects essentiels des problèmes scolaires de ce temps qui causèrent tant de soucis à nos administrateurs locaux.

Précisons que l'application des lois sur la séparation de l'Église et de l'État eut des prolongements douloureux, au plan local, surtout après l'expulsion vers la frontière italienne, des religieuses du couvent de la Présentation et plus tard l'interdiction des processions en ville... sans parler de la suppression du budget des cultes dont les oeuvres sociales de la ville allaient bénéficier.

Néanmoins, le tissu économique seynois s'enrichissait d'année en année et de toute évidence le développement de l'instruction devait l'accompagner. Ne fallait-il pas des comptables, des secrétaires, des dessinateurs, des ouvriers hautement qualifiés pour l'industrie navale et les entreprises sous-traitantes, pour l'arsenal de Toulon, la marine de guerre, les transports et communications. À partir des structures commerciales les plus anciennes, comme l'entreprise de peinture Content fondée en 1883 et la pharmacie Armand datant de 1856, le commerce local et l'artisanat allaient prospérer de façon spectaculaire.

L'école Martini et sa section E.P.S. (École Primaire Supérieure) donnaient à la jeunesse seynoise une instruction permettant l'accession à des cadres subalternes de la fonction publique (enseignement, P.T.T., contributions, marine, armée de terre) pendant que le cours complémentaire de la rue Clément Daniel préparait des jeunes filles au Brevet élémentaire et même au Brevet supérieur. Dans le souci de compléter l'enseignement public, les municipalités républicaines de 1910 votaient des crédits spéciaux en faveur de la jeunesse seynoise.

La rubrique Oeuvres sociales apportera plus loin des précisions sur le contenu des délibérations prises à cet effet.

Avant de passer à un autre sujet, il m'a paru nécessaire et plaisant d'insister sur le rôle éminent joué par la vieille école Martini qui dispensa le savoir aux jeunes Seynois pendant 143 ans.

Quand elle fut arasée en 1976, des anciens élèves en grand nombre éprouvèrent le besoin de se rassembler dans une amicale pour y cultiver leurs souvenirs d'écoliers et d'étudiants.

À l'occasion d'une rencontre entre anciens élèves grisonnants et anciens maîtres vieillissants, j'avais dédié à l'Amicale le poème qui suit. Nous étions au 12 février 1992. Ce texte situe l'école Martini dans les années 1935-1945.

Parmi les nombreux personnages cités : instituteurs, institutrices, professeurs, les survivants sont rares.

Mais les conditions de travail, la situation matérielle de l'école, les méthodes d'enseignement étaient identiques à celle de 1910, ce qui explique mon désir d'intégrer dans ce Tome VII des Images de la vie seynoise d'antan le texte intitulé :

 

En Souvenir de Martini
Chers amis ! nous voici de nouveau réunis
Pour conter de « Martini » la belle histoire
En oubliant un peu nos quotidiens soucis
En cultivant mieux notre vieille mémoire.
 
Quel rôle glorieux joua cet édifice !
De votre vie d'enfant, il en prit bien dix ans.
Et depuis Louis-Philippe, début de son office
Il éduqua sans faille plusieurs milliers d'enfants.
 
Votre timide entrée dans la petite cour
Vous fit découvrir vos premières maîtresses...
D'école, j'entends bien. Avec un tendre amour
Déjà vos petits coeurs s'éveillaient à l'ivresse.
 
Pour les dames Boudon, Lagarde, Roumieux
Marguerite Malsert parfumée et pimpante.
Pour vous apprendre à lire il n'y avait pas mieux
Et calculer très bien sans méthode savante.
 
Aux heures de « récré », on jouait comme des fous
On courait, on se roulait dans la poussière
Lacérant les sarraus et aussi les genoux
Sans penser aux soucis des vaillantes mères.
 
Parfois on s'arrêtait car le clocher voisin
S'agitait bruyamment au-dessus de vos têtes
En répandait au loin de beaux sons argentins
Qui donnaient à la cour une ambiance de fête.
 
Bien sûr tout n'était pas aussi magnifique
Souvenez-vous, anciens ! Quand vous pinciez vos blairs
Devant la puanteur des latrines publiques
Bâties tout à côté du grand portail de fer.
 
Elles étaient là avant la République
Les placer contre le mur de la Paroisse ?
Une solution peut être plus pratique.
Le curé protestait. C'était pour Dieu l'angoisse.
 
Et ce fut Martini alors qui supporta
Le triomphe mordant de la gent catholique
Et l'odeur des vidanges et de tous les cacas
Rejoignant tous ceux des toupines historiques.
 
Et puis bien vite les années ont passé
Et vous voilà déjà dans la cour des plus grands
Les échelons scolaires vous avez affronté
Pour bien vous aligner sous le préau géant.
 
Et vous avez trouvé Arène et Lombardi
Chasseurs de Janas, bons tueurs de bécasses
Qui s'en allaient vers la forêt chaque jeudi
Pour en rêver après tout en faisant la classe.
 
Suzanne Arnaud, stricte pour le travail bien fait
Avare de louanges ainsi que Vacchero
Qui n'exigeait toujours que du travail parfait
Sans quoi il vous montrait qu'il n'était pas manchot.
 
Tout près d'eux régnait aussi Penciolleli
Fort brocardé pour son accent insulaire
Nul n'a pu oublier quand vous étiez puni
Les verbes conjugués et sans cesse à refaire.
 
Et puis de surcroît l'humiliation suprême
Regarder Jules Ferry fixé haut sur le mur
Surtout sans lui jeter le moindre anathème
En renonçant vraiment à jouer au plus dur.
 
À toutes les rentrées le Directeur Malsert
Épiait de son bureau près de la cloche.
Grands et petits redoutaient sa poigne de fer
Car ses mains n'étaient pas toujours dans leurs poches.
 
Vous voilà arrivés dans les cours supérieurs
Devenus des sixièmes en nouvelle structure
Il vous fallut trouver les chemins les meilleurs
Pour décider enfin de votre vie future.
 
Peut-être avez-vous connu ces maîtres d'élite
Qu'on nommait Mouré, Arnaud, Favier, Camoin
Tous se taillèrent un immense mérite
En faisant leur métier avec le plus grand soin.
 
À la 6e moderne, le père Autran
Pas toujours très commode avec son auditoire
Et déjà penché sur La Seyne d'antan
Dont il vous conte encore la glorieuse histoire.
 
Des parents préféraient le baccalauréat
Vous connûtes alors Turquay, Dary, Laure
D'autres voyaient pour vous surtout « L'arsenacat »
Ou des chantiers navals la véritable aurore.
 
Aux ateliers bien vieux, la technique attendait
Le grand directeur Baude à la voix de ténor
En crachant son mégot souvent s'époumonait
Et imitait Boudon à la voix de stentor.
 
Le bon Ramognino dans sa classe houleuse
Alignait des formules jusqu'à satiété
Devant des recrues bien trop souvent moqueuses
Car il fut le plus fort en électricité.
 
À la chaudronnerie, Soleri et Gondran
Firent des prodiges en travaillant le cuivre
Fabre et Chabaud furent les meilleurs artisans
De tourneurs de choix difficiles à suivre.
 
Mais n'oublions pas le distingué Varangue
Et aussi le râleur Pépé Lorenzini
L'un était chargé d'affiner votre langue
Et l'autre voulait voir l'ébéniste accompli.
 
Voilà ce qu'à peu près vous avez retenu
Des classes de votre adolescence
Mais aussi, soyons nets, vous étiez parvenus
Aux premiers assauts de la concupiscence.
 
Alors vous arpentiez la rue Cyrus Hugues
Chaque jour, pour croiser des yeux doux
Et envisager quelque modeste fugue
Avec un beau minois qui vous rendait jaloux.
 
Le temps comme un lévrier a bien vite couru
Des peines, des succès, des échecs et des joies
Mesurez maintenant le chemin parcouru
En vouant aux anciens toujours la même foi.
 
Car ils vous ont fait hommes et bons citoyens
Travailleurs honorables et bons patriotes
Que notre amicale soit le meilleur moyen
De rendre ici hommage à ces fameux pilotes.
 
Toujours présente à nos âmes et nos coeurs Martini !
Pour nous, tu es toujours vivante.
De ton souvenir avec la même chaleur
Nous t'exprimons toujours notre joie palpitante.
 
Remercions celui dont tu portas le nom
Et qui fit beaucoup pour l'École laïque
Rue, parking, école assurent son renom
La vieille Seyne trouve cela magique.
 
Pour en terminer avec cette tirade
Empreinte pour nous tous d'une grande amitié,
Je souhaite à l'Amicale de franches rigolades
Car La Seyne a besoin de beaucoup de gaîté.

 

Marius AUTRAN

 

Ce poème a été dédié à « l'Amicale des Anciens élèves de l'Ecole Martini », le 16 février 1992.

 

La vie économique

Elle était dominée par le développement impétueux de la construction navale, surtout depuis la naissance en 1835 des Chantiers de constructions navales métalliques. La création de la Société des F.C.M. (Forges et Chantiers de la Méditerranée) en 1854-56 allait affirmer avec force la vocation maritime de notre cité favorisée par une rade extrêmement abritée de tous les vents, surtout depuis l'édification des jetées entre Toulon et Saint-Mandrier de 1876 à 1883.

La construction navale seynoise, avait acquis une réputation mondiale par ses livraisons de navire à la Russie, à l'Espagne, aux pays de l'Amérique Latine (Brésil - Argentine - Chili...) et même aux pays d'Extrême-Orient.

Avant la fin du XIXe siècle, les F.C.M. (Forges et Chantiers de la Méditerranée avaient construit 1 000 unités en tout genre).

À partir du XXe siècle, l'industrie navale connut des alternatives de succès prestigieux et de récessions tout cela en fonction des événements internationaux des guerres mondiales, des concurrences étrangères, des mouvements sociaux, autant de problèmes soulevés et développés dans le Tome V relatif à la Construction navale.

Revenons toujours à notre année 1910 à La Seyne qui vit le lancement de nombreuses unités. Après celui du cuirassé Voltaire, long de 145 m et celui du ponton-mature de 150 tonnes destiné particulièrement aux F.C.M. ; dans la seule année 1910 on assista aux lancements de cinq cargos dont les noms suivent : Duchesse de Guise ; Marquis de Lubersac ; Charlotte ; Arthur Capet, Alice. Citons également le Sant Anna, paquebot à 2 hélices pour la Compagnie Cyprien Fabre ; le Salta paquebot de 145 m de long. Dans cette même période ce fut la mise en chantier du Canada. N'oublions pas de citer le yacht Hirondelle construit pour le Prince de Monaco.

Forges et Chantiers de la Méditerranée - Lancement du Canada

Passons rapidement sur le perfectionnement des techniques apporté à tous les niveaux avec les machines-outils. Ce fut précisément en 1910 que les cales de lancement furent desservies par des grues-titan se déplaçant sur voie ferrée. Quel progrès ! Que de temps gagné et de peines épargnées aux hommes ! La largeur de la plus grande cale fut portée à 16 mètres, ce qui permit la construction de plus grandes unités.

Dans cette période, l'effectif des chantiers s'élevait à plus de 5 000 ouvriers dont plus d'un tiers était d'origine italienne. La superficie de l'établissement atteignait 20 hectares. Après l'aide de l'État à la construction navale accordée vers la fin du XIXe siècle, les Forges et Chantiers de la Méditerranée demeuraient au premier rang de l'industrie maritime française qu'il s'agisse de la flotte de commerce ou de la marine de guerre.

Le faîte de leur réputation fut atteint par le lancement du cuirassé Paris, mis en chantier en 1910, lancé en 1912 et qui remplaça le cuirassé Liberté détruit par l'explosion de 1911 faisant 300 victimes.

L'extension de la grande construction navale eut des répercussions bénéfiques sur les activités artisanales et commerciales de notre localité. Déjà on parlait des marchés de la sous-traitance avec les ateliers de ferronnerie du Pont de Fabre, avec les Chantiers du Midi qui confectionnaient encore des chalands en bois.

Les fabriques de cordages et de filin étaient en déclin par rapport aux siècles précédents. Néanmoins, la corderie Abran, place de la Lune et celle de la Gatonne faisaient encore des travaux de qualité.

La fabrique de peinture Content, a toujours manifesté d'excellentes activités qui ont duré plus d'un siècle à La Seyne.

Il existait encore des moulins à huile en ville même, celui des Moulières ayant disparu en même temps que le moulin à blé, par insuffisance de la force motrice c'est-à-dire l'eau du Peyras dont les nappes phréatiques s'épuisaient d'année en année. Le dernier moulin à huile de cette période fut probablement celui de la rue Cauquière.

Les Quatre moulins du XVIIIe siècle, qui fournissaient aux Seynois la farine de leur blé, avaient disparu après un siècle de bons services. Avec le développement des transports ferroviaires, la ville était pourvue par les riches régions céréalières de la Beauce et de la Brie.

Ainsi les industries alimentaires comme la fabrication des huiles et de la farine disparurent peu à peu avec l'accélération des échanges et des transports et l'amélioration incessante des moyens de communication.

Indépendamment de l'industrie métallurgique propre, une multitude de corporations locales prospéraient : charpentiers de marine, calfats, voiliers, menuisiers, cordiers, peintres, etc.

En 1910, les petits métiers de la rue, les petits boulots se manifestaient chaque jour, parfois bruyamment dans les rues de la ville et aussi dans les campagnes. C'était le rémouleur Perrin qui n'arrêtait pas au bas du marché d'aiguiser couteaux et ciseaux ; c'était l'étameur qui faisait fondre son étain devant la pharmacie Armand ; puis le réparateur de parapluies, de faïences et de porcelaines, le vitrier, le tondeur de chiens, le chapacan (chapar = attraper et can = chien) qui faisait la chasse aux chiens errants, l'homme sandwich coincé entre deux panneaux réclames, l'un sur sa poitrine, l'autre dans son dos, pour informer la population sur le contenu des programmes de cinéma du dimanche ; c'étaient aussi les marchands ambulants vendeurs, d'olives, d'anchois, de pistaches, de bonbons...

Quelle animation dans ces rues, toutes piétonnes, bien sûr, doublée le dimanche par des chanteurs ambulants accompagnés d'une gracieuse vendeuse offrant les textes et la musique des partitions. De loin en loin, les spectacles de la rue s'animaient d'un montreur d'ours, d'un faiseur de tours, d'un acrobate, d'un jongleur, d'une viole actionnée à la manivelle. Ces pauvres gens s'efforçaient par leur adresse de convaincre les gens d'un geste de générosité au passage de leur écuelle.

La vie économique seynoise se manifestait aussi beaucoup dans les campagnes. On était loin de penser aux problèmes de l'urbanisation. Depuis Six-Fours jusqu'aux Sablettes et Tamaris en passant par le Pas du Loup et le Pont de Fabre, les terrains de culture soigneusement entretenus offraient aux regards des vignobles, des champs de légumes de toute espèce, des oliveraies, des vergers d'une richesse extraordinaire.

Les familles paysannes se comptaient par centaines avec les Audibert, les Teissore, les Meissonnier, les Hugues, les Lubonis, les Moute, les Garnier...

Aux frontières septentrionales avec les domaines de la Chaulane, de Lagoubran, là aussi s'étendaient sur des dizaines d'hectares les plantations d'artichauts, les vergers, les luzernières, les melonnières et aussi des fleurs. Il sera longuement question de cette partie du terroir seynois dans le texte intitulé De la Chaulane d'antan à la Z.U.P. d'aujourd'hui. Et n'est-il pas nécessaire de parler aussi des ressources de la mer et de ses rivages ?

La vie économique à caractère maritime a eu dans cette période de 1910 un impact considérable sur la vie locale tant les richesses de la mer abondaient dans la rade de Toulon, la baie du Lazaret, les côtes rocheuses de Marégau et de Sicié.

Des centaines d'espèces de poissons, de mollusques, de crustacés s'étalaient chaque matin, dès l'aube sur les larges dalles de notre poissonnerie, sans parler des ventes effectuées dans les campagnes grâce aux vaillantes poissonnières et leurs enfants qui poussaient des brouettes ou des charretons.

La baie du Lazaret particulièrement riche en coquillages permettait à des centaines de familles de pêcheurs professionnels de gagner leur vie - une vie tout de même rude car les avirons ne seraient remplacés par des moteurs que 20 ans plus tard. N'oublions pas de parler des parcs à moules exploités déjà depuis la fin du siècle précédent dont les Seynois faisaient une consommation presque quotidienne.

Les petits ports de Saint-Mandrier (rattaché alors à La Seyne), des Mouissèques, du Manteau, de Saint-Elme, alimentaient une clientèle essentiellement locale. Ils n'avaient pas à redouter les importations venues de l'étranger, ni du poisson congelé des bords de l'Atlantique. Faisons une exception pour la morue, la bonne morue, bien meilleure que celle des temps présents.

La vie économique prospère, on pouvait l'apprécier chaque jour sur notre beau marché provençal avec ses platanes du XVIIIe siècle, ses marchandises infiniment variées et presque toutes des produits du terroir seynois. Pas de salades en provenance de Casablanca ; pas de poulpes de Mauritanie, pas de raisin italien. Tout de même quelques bananes des pays africains et des oranges espagnoles.

La vie économique serait appelée bientôt à de grands changements avec l'exploitation à bas prix de l'immense empire colonial conquis en Afrique, en Asie, en Océanie et dont les profits ne firent pas le bonheur de tout le monde.

À la vérité, à La Seyne comme ailleurs, la population travailleuse connaissait toujours des conditions d'une vie précaire. À la lecture de certains chroniqueurs qui qualifiaient ces années du XXe siècle naissant de belle époque, mon père, qui connut de dures privations durant son enfance, réagissait vertement à la lecture de tels propos.

- « Ah ! oui, vous parlez d'une époque ! Nos mamans ne pouvaient guère varier les menus quotidiens : des bourratifs, on n'en manquait pas : pommes de terre, pois chiches, macaronis, haricots secs, pain dont on bourrait la soupe et les bols de café matin et soir. Il n'y avait pas toujours de la viande une fois par semaine sur la table. Un peu de vin pour les papas dont la journée de travail durait jusqu'à 15 heures par jour pour faire vivre la maisonnée.

À leur moment de repos, c'était le ravaudage des effets qu'il fallait faire durer le plus possible, le ressemelage des chaussures. Nos parents lésinaient sur tout. Ne fallait-il pas économiser quelque peu pour faire face à la maladie et les médecins de l'époque qui s'appelaient Loro, Jaubert, Dravet, Granjean faisaient de leur mieux pour éviter des dépenses excessives. De la Sécurité Sociale, il n'en sera question... que trente ans plus tard ».

 

Les oeuvres sociales

Malgré l'abondance des ressources locales, la grande majorité de la population souffrait de nombreuses privations.

Les municipalités de cette période avaient parfaitement conscience de cette situation et firent des efforts méritoires pour édulcorer les misères des uns et des autres.

Le texte des délibérations qui suivent en portent témoignage.

Par exemple, en décembre 1910, le Conseil municipal décide de prendre à sa charge le transport vers des asiles (Pierrefeu en particulier) des sourds-muets, des aveugles.

Dans la même réunion, le Conseil municipal vote une motion sous forme de voeu, contre l'augmentation du prix du pain qui demeurait l'aliment essentiel des travailleurs.

Le Conseiller municipal Guichard proposa à la dernière réunion de fin d'année le voeu suivant : « sensiblement ému des misères qui atteignent les prolétaires, je vous propose d'ouvrir un chapitre spécial au budget de 1911 au titre de l'assistance humanitaire aux veuves et aux demi-orphelins plongés dans l'indigence ».

Dans le même ordre d'idées, le 6 décembre 1910, le Conseil municipal vote un crédit de 257,40 F pour le paiement de 520 kilos de pain et 180 kg de pommes de terre délivrés au syndicat des perceurs riveurs et chanfreineurs des Forges et Chantiers pendant la grève de 1910.

À la municipalité républicaine présidée par Jean Juès, on soutenait effectivement le mouvement progressiste. On savait que les ouvriers de cette époque travaillaient plus de 3 000 heures par an et dans des conditions parfois inhumaines.

Ce n'est pas le maire Henri Pétin qui aurait participé au soutien des ouvriers en lutte contre le Patronat, lui qui supprima l'indemnité allouée au gardien de la Bourse du Travail.

Ce n'est pas lui non plus qui aurait fait voter par le Conseil municipal une subvention de 50 F en faveur de la jeunesse socialiste seynoise. Décision qui était l'une des preuves des sentiments démocratiques dont les édiles seynois s'imprégnaient fortement avec le courant anticlérical.

Ouvrons ici une parenthèse pour conter les prolongements inattendus de la décision municipale et les réactions de la Préfecture de l'époque.

La délibération fut refusée par le sous-préfet pour le motif suivant rédigé en ces termes dans la réponse authentique du sous-préfet : « Le Président de la Société (jeunesse socialiste seynoise) a fait, lors du départ des jeunes conscrits, une conférence antimilitariste placée sous le patronage de la jeunesse socialiste. Il n'est donc pas possible d'approuver la délibération municipale car le Président de la Société a manifesté ses sentiments antipatriotiques ».

Le Conseil municipal, profondément ulcéré, fut de nouveau réuni dans les semaines qui suivirent et porta la subvention de 50 F à 60 F en l'inscrivant au chapitre « Dépenses imprévues » (article 88 du budget primitif).

Restons dans le domaine social en vous parlant des cours du soir à la Bourse du Travail érigée 5 ans plus tôt sur la pression du mouvement ouvrier et l'influence grandissante des syndicats.

La jeunesse seynoise pouvait alors recevoir une formation professionnelle ou culturelle en suivant des cours gratuits de musique, de dessin industriel, des cours de coupe pour les filles, des cours professionnels d'enseignement général, de langue étrangère (anglais), de dactylographie.

Oui ! La dactylographie en 1910. Ce fut d'ailleurs un heureux événement pour le Secrétariat général de la Mairie, lorsque dans sa réunion du 29 octobre 1910 le Conseil municipal vota une subvention pour l'achat d'une machine à écrire.

Au cours de cette même réunion, signalons en passant que le Maire Jean Juès et ses collaborateurs voulurent affirmer avec force leurs sentiments républicains en adoptant à l'unanimité un voeu de félicitations adressé au peuple portugais qui venait depuis peu de s'émanciper de sa tutelle monarchique en proclamant la République, institution qui connaîtra de rudes épreuves par la suite.

Revenons à des problèmes sociaux concernant le monde agricole composé de riches propriétaires disposant de 30 hectares comme à la Chaulane, de 70 hectares à la Rouve, Tamaris, les Sablettes avec Michel Pacha.

Le château de la Rouve

Monde agricole composé également de métayers dont les profits émanaient seulement d'un tiers des superficies totales exploitées, mais aussi de centaines de travailleurs chargés des tâches manuelles les plus ingrates : binage des plantations de petits pois, de fèves, ramassage des sarments de vignes, buttage des pommes de terre, épierrages, tous ces travaux à effectuer au ras du sol et après des journées harassantes, ces pauvres gens loqueteux s'en revenaient avec des salaires de misère. Cette catégorie des gens de la terre qu'on appelait par surcroît des culs-terreux comportait un nombre impressionnant de femmes et d'enfants.

Le même conseil municipal d'octobre 1910, désireux de venir en aide à ces travailleuses misérables prit ce jour-là une curieuse décision.

Il pensa créer une nouvelle ressource en retranchant du tarif d'octroi les droits qui pesaient sur une boisson de qualité inférieure nommée piquette.

Qu'il nous soit permis seulement de douter de l'efficacité d'une telle mesure en faveur de ces malheureuses de la terre qui maniaient le magouillet à longueur d'année par les froids les plus rigoureux et les canicules les plus ardentes.

Pour en terminer avec les problèmes sociaux qui ont fait l'objet, répétons-le des plus grandes attentions de nos élus républicains et laïques de 1910, il convient d'ajouter l'attribution de subventions à la Caisse des Écoles... organisme qui se proposait d'aider les familles pour faciliter la fréquentation scolaire ; la Caisse des Écoles qui porta aussi le nom dans une certaine période de Sou des écoles laïques.

Des subventions furent accordées également aux associations sportives naissantes, aux formations musicales comme La Seynoise, âgée déjà de 70 ans, l'Avenir seynois, au laboratoire de recherches marines de Tamaris dirigé par le professeur Raphaël Dubois.

Toutes les décisions relatives aux aides sociales firent l'unanimité au sein du Conseil municipal. Par contre lors de la réunion du 26 décembre 1910, la dernière de l'année, de vives discussions opposèrent nos édiles sur un sujet bien particulier : la gestion de l'Hôpital inauguré depuis cinq ans seulement.

Cet établissement à caractère régional, placé sous l'autorité préfectorale était dirigé par un Directeur entouré d'un Conseil d'administration où siégeaient deux élus municipaux désireux d'accomplir leur tâche scrupuleusement. Ce 26 décembre précisément, ces derniers intervinrent vigoureusement pour dénoncer les scandales de l'Hôpital.

- « N'exagérez pas ! », leur disait-on.

- « Nous sommes ici pour dire la vérité », répliquait le conseiller Guichard. Avec véhémence, il accusait la Préfecture de ne pas répondre aux observations déjà formulées au sujet de la mauvaise gestion de l'établissement. Il culpabilisait le médecin et l'économe de ne pas jouer leur rôle honnêtement.

- « Précisez donc vos propos ! », disait le Maire.

- « Voilà les faits que d'autres peuvent constater. Le Directeur commet des abus en prélevant chaque jour sur la livraison des marchandises un kilo de viande pour sa consommation personnelle, sans parler des fruits et légumes, qu'il prend au jardin à volonté. L'économe de son côté élève des chèvres dans le jardin de l'hospice et loge l'un de ses neveux dans les appartements, autant de choses contraires au règlement intérieur ».

- « Tout cela il faut le prouver », disait le conseiller Daudé.

- « C'est tout le personnel qui le voit ! Non ? ».

Les conseillers délégués menacèrent de démissionner si leurs remarques n'étaient pas prises en considération.

Peu de temps après, on apprit que des sanctions avaient été décidées contre le Directeur, lequel fut déplacé. On n'employait pas encore la formule de mise en examen.

 

La vie associative et culturelle

La vie communautaire n'était pas faite que du travail des citoyens. Ne fallait-il pas penser nécessairement au repos et aux loisirs ?

Rappelons que ce fut seulement à partir de 1906 que fut légalisé le repos hebdomadaire. Les travailleurs de 1910 bénéficiaient donc depuis peu de cette conquête sociale hautement appréciable.

Les plus âgés se reposaient généralement chez eux tout en lisant un journal qu'ils n'achetaient pas tous les jours par économie. Les plus jeunes surent se trouver des activités de loisirs évoquées dans les lignes qui suivent en rappelant que là aussi dans le domaine de la vie associative nos anciens ont mené des luttes sévères pour avoir le droit de se distraire et de varier leurs activités.

Dans notre Histoire de La Seynoise (Cent cinquante ans d'Art musical à La Seyne), ces problèmes ont été évoqués en montrant la méfiance du pouvoir royal ou impérial de l'époque à l'égard des sociétés ou groupements divers quelles que fussent leur nature, même des associations à caractère caritatif, toutes épiées par la police par crainte de propagandes subversives dissimulées.

Néanmoins, la vie culturelle se manifesta avec plus ou moins de bonheur pour la musique et les orphéons. Les tentatives de créations de cercles républicains subirent les fluctuations de la vie politique et ce ne fut qu'à partir de la IIIe République en 1875 que la vie associative prit forme en observant toutefois qu'une loi véritable de réglementation n'apparaîtra qu'en 1901.

Voici un bref aperçu des structures de cette époque pour lesquelles la population seynoise apporta son concours enthousiaste et dont certaines poursuivent leurs activités certes avec de nouvelles formules depuis un siècle et plus. Nos anciens du début de notre siècle appréciaient les bienfaits que leur apportaient les innovations de la IIIe République. Saturnin Fabre, Maire de 1886 à 1896, avait été l'un des premiers à encourager la vie sportive par une subvention à la Société de gymnastique. Il en fut de même par la suite pour la société des excursionnistes, la société de tir, les cours d'escrime.

Le sport équestre avait pris naissance à La Seyne en 1898 avec l'aménagement d'un hippodrome à Lagoubran (terrain occupé par les C.N.I.M. aujourd'hui).

Dans les années 1910, le champ de courses connut sans doute sa période la plus faste avec la fréquentation de milliers de fervents venus en calèches de tous les azimuts de l'aire toulonnaise pour admirer les beaux chevaux et aussi, bien sûr, pour jouer de l'argent. Les précurseurs du tiercé ont bien existé, il y a déjà cent ans !

Les courses à Lagoubran

On parlait beaucoup de l'Aurore, société de gymnastique dont les acteurs donnaient des spectacles de plein air le dimanche après des défilés en ville, cliques de clairons en tête !

Vers la fin du siècle dernier, les Boulomanes seynois étaient organisés et faisaient des concours place de la Lune sous l'autorité inflexible de Monsieur Aillaud, instituteur vénérable de l'école Martini.

Le Rugby Seynois avec Adrien Marquet à sa tête naquit en 1900. Le football, sport bien connu aussi, s'organisera quelques années plus tard, tandis qu'en 1905 une discipline de la mer vit le jour sous l'impulsion de quelques passionnés par la navigation à voiles. Il s'agissait du Club nautique seynois, association toujours active à l'heure présente.

Par la suite, plusieurs de ces associations fédérées unirent leurs efforts au sein de l'Olympique seynois dirigé par François Cresp,qui fut plus tard conseiller municipal de l'époque Toussaint Merle.

Ces quelques rappels historiques de la vie associative à caractère sportif doivent être complétés par les structures à caractères revendicatifs comme les syndicats déjà nombreux à l'époque, les associations de secours mutuels importantes par le développement intensif des industries locales.

Les structures d'accueil et de fonctionnement n'existaient guère. Avant la création de l'Eden-Théâtre, concert en 1891, nos anciens ne connurent que le sous-sol de l'école de la Dîme (école Martini dans le futur) où fonctionna une école publique en 1793, puis une salle de gymnastique servant également de salle de réunion publique utilisée souvent vers la fin du XIXe siècle par les syndicats des chantiers navals.

Avant l'ouverture de l'Eden-Théâtre, place de la Lune, des spectacles d'amateurs se déroulaient dans les remises et entrepôts de la rue Rousset à proximité du grand môle du premier port de La Sagno (rue Hoche aujourd'hui). Cette rue s'appelait alors rue de La Comédie.

À partir de 1891, les spectacles, les réunions publiques, les conférences, les concerts se multiplièrent au Théâtre de la Lune à la grande satisfaction de la population qui vint applaudir Jean Aicard, le ténor Ansaldi, des artistes d'opérettes, de music-hall avec les Polin, Dranem, Ouvrard, Mayol,... Elle se pressait aussi pour entendre la Pastorale, les concerts de nos musiques locales La Seynoise, l'Avenir seynois (voir le texte Formes anciennes et nouvelles de la culture seynoise).

Les plus anciens de nos concitoyens se souviennent d'avoir assisté à la représentation de Faust, des Noces de Jeannette, de la pièce de Jean Aicard : Le Père Lebonnard.

La vie associative prit un élan tout particulier à partir de l'inauguration de la Bourse du Travail en 1903. Dans les années qui suivirent, la grande salle retentit de la voix d'orateurs célèbres, de syndicalistes valeureux, d'hommes politiques de haute lignée.

Les locaux à usage de bureaux, d'assemblées générales permirent à de nombreuses associations de fonctionner plus activement. Après la journée de travail, la Bourse, comme on disait, était une véritable ruche dont on pouvait présager des luttes ouvrières de grande amplitude.

Rappelons aussi que la Bourse était un lieu de rencontres agréables pour la jeunesse seynoise à la faveur des bals du dimanche, animés par nos musiques locales. C'était l'époque des polkas, des mazurkas, des valses endiablées qui se prolongeaient jusqu'à des heures tardives, entrecoupées toutefois par des algarades entre marins de l'escadre toulonnaise et marsouins de l'Infanterie Coloniale, logés à la caserne de la Gatonne (future école Curie).

Entrée de la caserne de la Gatonne - Bâtiment principal

Nous pourrions évoquer d'autres salles de spectacles qui existèrent dans cette période de début de notre siècle. Le texte intitulé Formes anciennes et nouvelles de la culture seynoise en fera mention de manière plus approfondie dans les pages qui vont suivre.

 

Hygiène - Santé publique

En ce début de notre siècle, nos édiles avaient bien conscience de l'importance des luttes à mener pour préserver la santé publique, mais leurs moyens étaient bien limités pour le faire.

Il y avait quelques années à peine que des savants comme Pasteur, le Docteur Roux, avaient découvert les bases de la microbiologie ; on commençait à parler des vaccins. À partir de là, la médecine allait progresser de façon spectaculaire.

En attendant, les chercheurs multipliaient les expériences pour tenter de vaincre les fièvres typhoïdes, la méningite, le tétanos, la coqueluche et surtout la tuberculose qui faisait des ravages surtout dans les milieux les plus démunis.

Dans la période qui nous préoccupe, la propreté de La Seyne laissait beaucoup à désirer. Elle n'était pas totalement délivrée des miasmes marécageux de ses rivages, malgré les efforts méritoires du Maire Saturnin Fabre dont les projets audacieux avaient heurté ses adversaires politiques, surtout celui de l'Émissaire commun dont il a été longuement question dans le texte intitulé Toupines, torpilleur, émissaire commun.

Depuis la chute de la Municipalité Fabre, en 1896, on attendait toujours des solutions concrètes sur les questions de vidanges et d'ordures ménagères.

Si l'on ne parlait pas beaucoup de la pollution de l'air, par contre, on s'inquiétait de la qualité des eaux. Et il fallut bien longtemps pour convaincre les élus et leurs administrés que les infiltrations des fosses à purin vers les puits voisins étaient la cause de graves maladies intestinales.

Nos paysans ne voyaient aucun danger en arrosant leurs salades avec le purin de leurs cabinets d'aisance, ou quand Finette et Isabelle, collecteurs de toupines malodorantes, vidaient les tonneaux de vidange pestilentielle dans les rangées d'artichauts des terres de Saint-Jean.

Les propriétaires et les revendeurs se réjouissaient de voir grossir les cachoufliers aussi vite.

Ils voyaient le profit immédiat et ne s'offusquaient guère des conséquences sur la santé des consommateurs. Et quand des eaux de pluie diluvienne allaient s'écouler sur les rivages de Brégaillon où déjà nos anciens exploitaient les parcs à moules, un jour vint où l'on comprit mieux les raisons d'un accroissement catastrophique des fièvres typhoïdes.

Les rues de la ville étaient balayées chaque jour. Les ordures enlevées et entassées dans un lieu situé non loin de la Bourse du Travail appelé le comblage.

Par temps de mistral, on les brûlait quelquefois. Toutefois, pour en diminuer le volume, la Municipalité proposa un jour aux cultivateurs de nos jardins potagers, de recevoir des tombereaux d'ordures afin de les convertir en compost pour engraisser leurs terres et enfouir en même temps toutes espèces de virus émanés de matières en décomposition.

Pendant les canicules de l'été, une arroseuse municipale circulait dans les rues principales de la ville pour rafraîchir et assainir.

Des rues pavées, les eaux ne s'écoulaient guère et, mêlées aux eaux de rinçage du tripier de la rue Carvin, par exemple, elles croupissaient et des odeurs infectes s'en dégageaient pendant des semaines.

Les odeurs putrides, la population les respirait à longueur d'années : les habitants de la haute ville sortaient leurs mouchoirs en empruntant la rue Martini aux latrines légendaires qui infestèrent tout un quartier pendant deux siècles ; un quartier où avait été aménagé la plus grande école de la commune.

La pollution de l'air commençait dès cinq heures du matin avec le passage du torpilleur brinquebalant sur des pavés mal jointés et laissant des flaques malodorantes sur les trottoirs.

À cette pestilence s'ajoutait celle des urinoirs publics pour les hommes. Sur les quais du port, on en comptait quatre et pour combattre les mauvaises odeurs des édicules, un proposé municipal y projetait du grésil, mais l'effet recherché n'était pas des plus heureux.

De ces urinoirs, on en trouvait près de la Bourse du Travail, place de la Lune, boulevard du 4 Septembre, rue Jacques Laurent...

Ils ont disparu et pourtant les gens ont trouvé le moyen de satisfaire autrement leurs besoins physiologiques. Leur souvenir nous paraît bien risible aujourd'hui quand on se rappelle les maladresses de certains usagers rajustant leur pantalon au sortir de l'édicule et aux fréquentations nocturnes de certains individus aux moeurs spéciales.

Voilà donc quelques aspects et faits significatifs d'une insalubrité particulièrement nuisible à la population.

Dans ces conditions, le corps médical demeurait souvent impuissant à lutter contre les maladies. Il ignorait l'efficacité des vaccinations d'aujourd'hui et surtout les antibiotiques. Aussi, la durée de vie des gens était bien limitée. Les octogénaires étaient rares et la mortalité infantile atteignait parfois 15 % des naissances.

Pour en terminer avec les problèmes de l'hygiène et de la santé, disons quelques mots sur les équipements locaux de l'époque.

Les locaux de l'Hôtel-Dieu de la rue Clément Daniel avaient été remplacés en 1905 par l'Hôpital régional du quartier Peyron. Ce fut un progrès important apprécié par nos anciens qui purent recevoir des soins d'une bien meilleure qualité.

Les médecins de l'époque se comptaient sur les doigts des deux mains, y compris ceux présents à l'ambulance des Chantiers navals du temps du Directeur Noël Verlaque. Ils étaient secondés par les religieuses de Saint-Vincent de Paul, appelées par Amable Lagane en 1872 pour soigner les accidentés du travail.

Autrement dit, l'équipement sanitaire était nettement insuffisant. La médecine et la chirurgie avaient de grands progrès à faire. Les médecins allaient s'attaquer avec succès à la recherche des mesures les plus efficaces de la prophylaxie. Mais les élus se devaient surtout de régler les questions épineuses de l'eau potable et de l'assainissement pour tous.

Sans la solution de ces problèmes majeurs, il n'était pas possible d'envisager une hygiène publique véritablement efficace. Nous sommes en 1910. Hélas ! la population seynoise ne pourra obtenir des satisfactions complètes sur ces sujets que soixante ans plus tard !

 

La vie religieuse

Les historiens locaux ont montré avec une grande précision que la communauté seynoise, avant de conquérir son indépendance par rapport aux seigneurs-abbés de Saint-Victor-les-Marseille régnant au sommet du castellum de Six-Fours, avait reçu de fortes empreintes du Clergé tout puissant de l'époque.

Des structures religieuses de la Chrétienté, il y en avait dans tous les quartiers de Six-Fours et de La Sagno, animées par des ordres religieux qui s'appelaient : Confrérie du Saint-Esprit, Pénitents blancs, Pénitents gris, R.P. Capucins...

Rappelons aussi que les pratiques de la religion furent impulsées par des religieuses : les soeurs trinitaires, le couvent de la Présentation des Mouissèques, les religieuses de l'orphelinat Saint-Vincent de Paul.

Pensionnat de N.-D. de la Présentation : une partie de la façade sud

Une vie religieuse intense régna à La Seyne pendant plusieurs siècles au cours desquels nos anciens suivirent avec une foi inébranlable les messes, les cérémonies à l'occasion de la fête des Saints, les processions, les pèlerinages.

Avant même la séparation de La Seyne de sa commune mère Six-Fours, de nombreuses structures religieuses existaient depuis 1603 où un premier sanctuaire fut édifié sur l'emplacement de l'église actuelle. L'année 1621 vit naître le couvent des R.P. Capucins (propriété des Maristes actuellement).

L'établissement Maristes à Mar Vivo

En 1625, fut construite la Chapelle de N.-D. de Bonne Garde au sommet de la presqu'île du Cap Sicié. Puis ce fut la Chapelle des Pénitents blancs en 1639 (emplacement du Centre médico-social actuel), édifice qui reçut par la suite la première administration communale.

La chapelle des Pénitents gris naquit en 1655 dans le domaine du Clos Saint-Louis à l'Évescat.

Vinrent s'ajouter à ces structures, la chapelle du Saint-Esprit, rue Victor Hugo, puis la chapelle de Saint-Jean de Berthe en 1659, la chapelle de Saint-Joseph de Gavary en 1664, la chapelle du Peyron ou de Saint-Roch en 1677. On pourrait également mentionner des oratoires qui existèrent chez des particuliers (Saint-Antoine par exemple) désireux d'obtenir une place de choix dans l'au-delà.

Chapelle du Saint-Esprit, reconstruite à l'angle des rues Gounod et Clément Daniel

Pierre ayant appartenu à l'ancienne chapelle du Saint-Esprit

N'oublions pas de citer les nombreux oratoires édifiés au bord de routes importantes (Saint-Jean - Le Pas du Loup), et surtout ceux, les plus nombreux qui jalonnaient le chemin tortueux donnant accès à la Bonne Mère, dont il ne reste un certain nombre de vestiges.

Oratoire dédié à Santo Estello
Oratoire de l'aire des Mascs

Oratoire Saint-Louis
Oratoire Saint-Michel Archange

Cette longue énumération est nécessaire pour la reconstitution de notre histoire locale et pour montrer la situation de la foi religieuse en 1910.

Il n'est pas inutile d'expliquer l'évolution des problèmes de la foi. Pourquoi nombre de structures religieuses ont disparu ? Pourquoi au fil des années, la puissance du Clergé s'est-elle affaiblie ? Pourquoi en ce début du XXe siècle, l'hôtel de la Dîme, future école Martini, ne recevait plus comme autrefois les dons en nature sous forme de sacs de blés, de jarres d'huile d'olives, de paniers d'oeufs et de fruits, de volailles et autres denrées comestibles ?

L'époque du servage était bien révolue et pourtant le Clergé admettait mal les exigences d'une population qui luttait pour des conditions de vie plus humaines en échange des durs labeurs auxquels elle était confrontée.

Rappelons au passage les conflits à caractère économique qui l'opposaient aux seigneurs-abbés de Six-Fours, lesquels non contents de bénéficier de ressources en nature, prélevaient des droits substantiels sur les produits de la pêche des petits ports de La Sagno et du Brusc.

Malgré l'ampleur du mécontentement populaire, le Clergé s'opposait de tout son pouvoir à la mise en cause de ses privilèges ancestraux, à savoir l'exploitation à son profit des moulins à blé et à huile, des pressoirs féodaux, des étals de viande, des actes de l'état civil.

Les habitants du quartier de La Sagno étaient encore tenus au début du XVIIe siècle, d'escalader les pentes du vieux Six-Fours, en passant par l'actuel chemin du Vieux Reynier et le quartier Vignelongue, pour les baptêmes, les mariages, les enterrements (avant la création de N.-D. de Bon Voyage), les cérémonies religieuses, les formalités notariales...

Il fallut beaucoup de patience et de persuasion au prêtre Robert de Frangipani pour faire admettre à ses confrères la nécessité de donner au quartier de La Sagno devenu surpeuplé par rapport aux Six-Fournais des structures administratives et religieuses.

« Les gens ne viendront plus à la messe à la Collégiale », disait le clairvoyant Frangipani.

Il fallut aussi déléguer des administrateurs du vieux Six-Fours, permettre aux habitants des premiers quartiers Tortel, Beaussier, Cavaillon, de créer des fours à cuire le pain et des étals de viande et de charcuterie.

On sait qu'il fallut plusieurs décennies à nos ancêtres pour obtenir un premier sanctuaire en 1603 et les premiers fours en 1608 et 1615... et il leur fallut lutter jusqu'en 1657 pour obtenir enfin leur indépendance totale autrement dit leur autonomie de gestion.

Les luttes à caractère économique furent menées obstinément par le petit peuple des campagnes et des rivages désireux d'améliorer ses conditions de vie misérables et mieux encore par une bourgeoisie des affaires composée d'artisans, de commerçants, de propriétaires terriens, de capitaines au long cours.

Ces luttes portèrent de grands préjudices au Clergé qui fut souvent obligé, pour survivre, de céder à des familles de haute lignée, d'immenses domaines dont l'exploitation fut bénéfique pour toute la population, ce qui ne signifie pas que les manants furent libérés de toutes contraintes.

À l'influence du Clergé se substitua celle des Tortel, des Beaussier, des Lombard, des Daniel, des Vidal et bien d'autres dont les noms sont restés attachés au quartier de leur implantation.

Lou Casteou Bory, au quartier Beaussier

Il n'est pas inutile de rappeler qu'au cours des siècles passés, la foi religieuse avait subi de rudes atteintes causées par les désaccords internes de la chrétienté au sein de laquelle les dirigeants les plus rigoristes dénonçaient les abus de toutes sortes : cumul des bénéfices ecclésiastiques, commerce des indulgences... tout cela débouchant sur les hérésies, les interprétations divergentes des textes sacrés, la naissance et le développement du protestantisme, les guerres de religion.

Les conflits idéologiques s'ajoutant à ceux d'un caractère économique tout aussi aigu, il en résultait une dégradation progressive du Clergé à tel point que ce dernier avait perdu les moyens d'entretenir toutes les structures édifiées au cours des siècles précédents et de faire vivre une administration aux méthodes obsolètes et la plupart des ordres religieux si nombreux dont nous parlions plus haut.

Observons toutefois que, malgré l'érosion du temps, certaines structures de la foi religieuse jouèrent un rôle important en dépit de leur dégradation progressive. Les élus locaux ont su tirer parti de vieux édifices comme l'hôtel de la Dîme qui devint l'école Martini après la création d'un enseignement public par le Ministre Guizot sous la Royauté de Louis-Philippe en 1833.

Cet établissement rénové, transformé en école, recevra des enfants et des adolescents pendant plus d'un siècle. Le sous-sol devint une salle de sport et aussi une salle de réunions publiques.

Puis son extension vers les terrains du presbytère permit la création de l'école Martini avec ses ateliers, ses salles de dessin, etc.

École Martini : la façade Nord, la cour Nord transformée en parking (1975)

Autre exemple significatif : L'Hôtel-Dieu du XVIIe siècle qui reçut des malades, des invalides, devint au milieu du XIXe siècle une école publique pour jeunes filles et bien plus tard la Justice de Paix, l'École des Beaux Arts, la Caisse des Écoles.

Sa restauration annoncée laisse prévoir une renaissance de la vie associative au centre ville.

Et l'on peut citer également les travaux de restauration de la Chapelle de N.-D. de Bonne Garde et du Clos Saint-Louis à Tamaris.

L'essentiel des structures religieuses d'antan aura été maintenu par les élus municipaux et régionaux, ce qui ne signifie pas que la catholicité ait retrouvé dans les générations présentes, la foi intense des siècles passés.

Revenons précisément sur ce XVIIIe siècle où la religion chrétienne connut de rudes épreuves dont les causes ont été exposées brièvement jusqu'ici.

Ce XVIIIe siècle, qui apporta de grandes lumières aux populations de la France et de l'Europe.

Porteurs de théories nouvelles sur la vie politique, économique, religieuse, Voltaire, J.-J. Rousseau, Montesquieu, Diderot... et bien d'autres, allaient s'attaquer aux fondements d'une société dominée depuis des siècles par les féodaux, la Royauté et un Clergé tout puissant. Ils persuadaient, par leurs ouvrages, les populations de la nécessité d'une société libérale où règneraient enfin la justice et l'équité pour le plus grand bonheur du peuple. Insensiblement, un idéal révolutionnaire grandissait qui préparait la grande Révolution de 1789 dont la chrétienté eut à supporter des attaques d'une violence telle qui lui sera impossible de reprendre ses privilèges d'antan malgré l'appui des régimes autoritaires du siècle suivant, avec les Rois et les Empereurs.

À travers tous les aspects de ces problèmes idéologiques, politiques, économiques, on comprend bien que la foi religieuse fut singulièrement écornée... Et ce ne fut pas tout !

Arrivons dans ce XIXe siècle, celui de l'industrialisation naissante, des grandes découvertes techniques, des communications rapides... mais aussi des conflits sociaux entre patronat et classe ouvrière organisatrice des syndicats.

Ouvrons ici une parenthèse sur un conflit très particulier qui opposa profondément les Français et dont les prolongements au plan local nous ont été contés par nos anciens.

De quoi s'agissait-il ? De l'affaire Dreyfus, résumée ici à grands traits et dont la conclusion porta un coup supplémentaire à la Catholicité.

En 1894, le capitaine Dreyfus de confession israélite fut arrêté, dégradé, condamné au bagne de la Guyane pour des motifs d'espionnage au profit de l'Allemagne.

Cette affaire revêtit un caractère judiciaire scandaleux et surtout politique.

L'officier Dreyfus n'était pas coupable et il fut démontré par les interventions d'hommes célèbres comme Émile Zola et Jean Jaurès que déjà à cette époque se posait le problème du racisme anti-juif appuyé par la Chrétienté de l'époque.

Le capitaine Dreyfus fut gracié en 1899 et réhabilité seulement en 1906.

Le vrai coupable était le commandant Esterazy dénoncé par l'officier allemand mourant à qui il avait remis des documents secrets relatifs à la défense nationale.

L'attitude du Clergé français de cette époque ne fut pas de nature à défendre Dreyfus pour les raisons énoncées plus haut.

Cette affaire odieuse prit une telle dimension que le bloc des gauches au plan national triompha aux élections législatives du début du siècle et amena au pouvoir les partisans acharnés de la séparation de l'Église et de l'État, opération politique dont les conséquences furent dramatiques pour les cléricaux.

C'était le triomphe des partisans résolus de l'École Laïque, École de la République. C'était le renforcement des Sociétés de la libre-pensée et de la Franc-maçonnerie animées dans notre région toulonnaise, par les Georges Clemenceau, Henri Dutasta et bien d'autres.

À La Seyne même, les répercussions sur la vie politique furent sensibles et l'on vit se succéder des municipalités à caractère progressiste avec les François Bernard, Julien Belfort, Jean Armand, Jean Juès, Germain Loro, E. Jouffet, V. Scallero...

Les idées de l'idéal républicain et socialiste faisaient leur chemin. Les élus locaux s'entendaient de mieux en mieux avec la classe ouvrière qui obtint en 1904-1905, la fondation de la Bourse du Travail à l'avenue Gambetta, établissement semblable à une véritable ruche où se réunissaient tous les soirs les syndicats de toutes les corporations de nos chantiers navals, animateurs de revendications bien justifiées : journée de 10 heures, augmentation des salaires, amélioration des conditions de travail, protection sociale par une mutualité efficace.

À travers tous les aspects et les contradictions des problèmes idéologies, politiques, économiques, religieux, malgré les situations complexes, les mutations profondes de la population, les rivalités de personnes, les ambitions plus ou moins justifiées, nos anciens ont su faire face pour l'organisation de leur vie communautaire et le bien-être général.

Il n'est pas inutile de revenir avec précision sur la vie seynoise de ce temps où la marche vers le progrès ne s'effectua qu'avec lenteur malgré les atouts certains de La Seyne pour l'amélioration d'une vie meilleure de sa population.

 

La vie quotidienne

Rappelons que La Seyne de 1910 était une bourgade où l'on travaillait beaucoup. L'industrie navale occupait des milliers d'ouvriers seynois et immigrés (Italiens pour la plupart). Dès le petit matin, c'était le passage bruyant du torpilleur collecteur des vidanges puantes, le rinçage des toupines autour des fontaines, l'arrivée des cultivateurs sur le marché, la vente des légumes à la criée, l'installation des poissonnières plutôt mal embouchées ; puis la rentrée des ouvriers à l'appel du sifflet des Chantiers, puis les attroupements sur le port pour attendre les tramways et les bateaux à vapeur en direction de la Pyrotechnie et de l'Arsenal maritime.

Tramway sur le port de La Seyne, dans les années trente

Parallèlement aux activités industrielles, des centaines de familles d'agriculteurs exploitaient les plaines fertiles de Saint-Jean, du Pas du Loup, de Tamaris, de Cachou, tandis que sur les rivages s'affairaient les pêcheurs de Brégaillon, des Mouissèques, de Saint-Elme, de Tamaris, à qui la mer offrait en abondance des poissons, des mollusques, des crustacés.

Mais, répétons-le ni les uns, ni les autres, ne possédaient d'engins mécaniques pour leurs travaux. Ils retournaient la terre à la bêche, tiraient vigoureusement sur leurs avirons quel que soit le temps, transportaient leurs marchandises sur des charretons à bras, des carrioles tractées péniblement par des haridelles.

Ceux, propriétaires d'un vrai cheval étaient considérés comme des nantis, comme les premiers usagers d'une bicyclette d'ailleurs.

L'artisanat de la métallurgie faisait d'assez bonnes affaires en rapport avec la grande industrie navale.

Les habitations de la population ouvrière n'étaient le plus souvent que des logements insalubres aux fenêtres réduites, sans chauffage, sans eau courante et donc sans installation sanitaire.

Les petits-bourgeois dans lesquels on classait les ingénieurs, les fonctionnaires moyens, les propriétaires terriens, occupaient généralement des logements plus confortables éclairés au gaz de ville dont les lueurs blafardes cherchaient à supplanter les lampes à pétrole.

L'éclairage électrique tendra à se généraliser dix ans plus tard ! Quant au problème de l'eau, particulièrement cruel en été, et dont le souvenir des queues aux fontaines ne s'est pas encore effacé de nos mémoires, ce problème ne sera résolu pour tous qu'après plusieurs décennies de luttes en tout genre, décrites avec précision dans le chapitre La bataille pour l'eau pure du Tome IV de notre série d'ouvrages.

Nonobstant les faveurs de notre climat provençal et la générosité de notre beau soleil, il fallait tout de même se prémunir contre les vagues de froid exceptionnelles. Les possédants de poêle en fonte utilisaient le coke que produisait l'usine à gaz d'éclairage construite depuis 1864, ou alors se chauffaient au bois de chêne, alors que la plupart des besogneux récoltaient les pommes de pins et le bois mort de la forêt de Janas pour les flambées de l'hiver.

Autres aspects de la vie quotidienne de ce début du XXe siècle : l'habillement, la mode, les usages en fonction des saisons, des créations, de la recherche des nouveautés, des événements, des profits du commerce et des industries : vastes sujets qu'il faut nécessairement schématiser ici en rappelant les évolutions vers la commodité et les agréments de la vie quotidienne.

Généralement, les ouvriers entraient dans les ateliers en bleus de travail ou bleus de chauffe et en fonction des souillures de leurs activités, ils portaient souvent de vieux vêtements râpés qu'ils ne changeaient pas jusqu'à l'usure totale ; les employés et cadres qui disposaient d'un bureau, les dessinateurs se distinguaient par leur costume avec veston boutonné jusqu'au cou, leur chapeau melon et leurs bottines lacées ou à boutons.

Les ménagères portaient des robes qui traînaient presque à terre, des casaques courtes s'arrêtant à la hanche et par-dessus, à la saison fraîche, une grande pointe en laine dont les extrémités se nouaient dans le dos.

Les vêtements des hommes et des femmes manquaient surtout de commodité, d'aisance dans les mouvements et les déplacements.

Les crinolines avaient disparu vers la fin du siècle dernier. Bientôt de nouvelles modes exigeraient des robes plus courtes, des chapeaux plus légers, des cols ouverts pour les hommes civils et militaires, on commençait à envisager la disparition des chignons, des épingles à chapeau pour les dames, des supports-chaussettes pour les hommes.

Dans nos campagnes, nos braves paysans portaient à longueur d'année leurs traditionnels pantalons de velours retenu autour de la taille par la taillole rouge longue de plusieurs mètres et sur leur tête le chapeau de feutre relevé sur la nuque.

Et nous n'en finirions pas d'évoquer aussi les pèlerines lourdes dont le drap s'imbibait sous la pluie ; les écoliers supportaient les désagréments de l'humidité et la rigidité de leurs galoches à semelles de bois. Ils ne souffraient pas plus pour autant, ignorant les progrès à venir.

Les Seynois de 1910, les travailleurs, ouvriers et paysans, les artisans, les ménagères oeuvraient en fonction des moyens que la société de ce temps leur offrait. Mais ils espéraient tout de même des améliorations dans tous les domaines et malgré les situations complexes définies précédemment, il y avait des avant-gardes lucides du mouvement associatif qui, au-delà de leurs espoirs, agissaient dans les syndicats, les mutuelles, les groupements à caractère caritatif, les associations de loisirs ; cela depuis les lois de 1901.

Les masses populaires s'éveillaient et prenaient peu à peu conscience des conquêtes sociales et des luttes inévitables à mener à tous les niveaux.

La laïcisation des écoles publiques s'était achevée précisément en 1910 à La Seyne.

Les problèmes de l'immigration italienne s'apaisaient peu à peu au fil des années.

Les plaies ouvertes dans le monde chrétien après les lois de séparation de l'Église et de l'État, se refermaient pacifiquement.

Ainsi allait La Seyne en 1910, une année pleine de promesses et d'espérances.

La Seyne prenait son essor avec une population croissante, une construction navale mondialement réputée, une agriculture qui connaîtrait bientôt le bienfait des engins mécanisés, les possibilités d'extension d'une vie associative riche et vivante, le développement impétueux du tourisme favorisé par les sites enchanteurs de la forêt de Janas, les criques merveilleuses de Sicié, les rivages ravissants de Saint-Mandrier, des Sablettes, de Tamaris.

Ancienne villa George Sand, à Tamaris

Cependant deux problèmes de taille restaient à résoudre : ceux d'une eau potable et abondante, ceux de l'assainissement indissolublement liés.

En relisant le Tome IV des Images de la vie seynoise d'antan le lecteur retrouvera sous le titre La bataille pour l'eau pure les solutions apportées à ces questions capitales par l'édilité seynoise.

Hélas ! La patience des Seynois fut mise à rude épreuve, eux à qui M. Clemenceau, candidat aux élections sénatoriales varoises au début du siècle, avait promis les eaux surabondantes de Fontaine-L'Évêque pour le littoral.

Nos anciens auront dû patienter pendant 40 ans pour voir disparaître les toupines et le torpilleur et leurs cortèges de pestilence et les dangers des épidémies mortelles. Ils auront attendu 60 ans pour voir couler les eaux de Fontaine-L'Évêque par le Canal de Provence, une eau tout de même purifiée sur le parcours et surtout en abondance dans les habitations et les jardins.

À la décharge des administrateurs, il convient de dire qu'ils eurent bien du mal à exercer leurs fonctions et à réaliser des projets si on se rappelle que l'année 1910 écoulée, les signes avant-coureurs de la première guerre mondiale se précisaient de jour en jour.

On connaît les bilans désastreux : les deuils, les ruines, les catastrophes irréparables.

Les plaies à peine refermées, ce fut un deuxième cataclysme, avec des destructions énormes, des ruines financières incalculables à tous les niveaux.

La tâche des administrateurs et des édiles de ces périodes dramatiques n'a pas été facilitée... C'est le moins qu'on puisse dire !



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